M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez raison, monsieur le garde des sceaux, la privation de liberté ne doit en aucun cas remettre en cause la dignité de l’être humain.

Dès lors que le 2 octobre, le Conseil constitutionnel, dont les décisions s’imposent à toutes les autorités publiques, enjoignait qu’il y eût un texte de loi conforme aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de cassation, qu’est-ce qui vous a empêché, entre le 2 octobre et le 1er mars, de déposer un projet de loi ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je l’ai dit !

M. Jean-Pierre Sueur. Rien ! Certes, un amendement a été rédigé, vous l’avez dit, mais il était sans rapport avec le texte sur lequel il devait se greffer. Alors, le Sénat a pris le relais, et je remercie M. Buffet d’avoir eu cette idée. Cependant, quand le Parlement prend la main, il doit faire son propre texte et non se contenter de copier-coller un texte du Gouvernement qui n’a pas pu avoir le succès escompté. C’est son rôle !

Nous avons donc été saisis de cette proposition de loi avec une extrême rapidité, et je dois vous dire, monsieur le rapporteur, que je regrette profondément la façon dont se sont déroulées les auditions. En effet, s’il existe une autorité compétente en cette matière – personne ne le conteste –, c’est le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Comment peut-on justifier, mes chers collègues, de ne pas entendre Mme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté ? Franchement, monsieur le président de la commission, il était possible que la commission l’entende. Cela n’a pas été fait. Pourtant, cette institution, d’abord dirigée par Jean-Marie Delarue, puis Adeline Hazan et maintenant Mme Simonnot, a une grande expertise de ces sujets depuis très longtemps.

D’ailleurs, Mme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a envoyé un courrier, dont je tiens, puisqu’elle n’a pas été entendue elle-même, à citer des extraits : « Le texte qui vous est soumis ne peut être regardé comme suffisant pour préserver les droits des personnes détenues. Il semble au contraire avoir pour objectif principal » – j’insiste sur cette expression – « de limiter les conséquences des jurisprudences, en faisant obstacle aux recours qu’elles créent et même en restreignant les prérogatives du juge au profit de celles de l’administration. »

Je vais citer cinq points évoqués dans cette lettre ; ils sont repris par l’Observatoire international des prisons et de nombreux magistrats et avocats que nous avons reçus, mais ils ne sont pas présents dans le texte ou en contradiction avec lui.

Le premier point concerne les délais. L’indignité est inacceptable – vous avez raison, monsieur le garde des sceaux –, et il est urgent d’y remédier. Or il serait possible de raccourcir les délais par rapport à ce que prévoit le texte ; nous avons déposé des amendements pour cela, et vous pourrez les soutenir, si vous le souhaitez…

Le deuxième point concerne la saisine du juge. Il faut simplifier les choses ; sinon, la procédure n’aura pas l’effet recherché.

Le troisième point concerne la conformité du texte à la jurisprudence de la Cour de cassation. Je maintiens, monsieur le garde des sceaux – tout le monde peut vérifier ce point, y compris vous-même –, que la rédaction actuelle du texte est contraire à ce que dit la Cour de cassation. Pour vous le démontrer, je vais simplement vous lire son arrêt du 25 novembre : « Encourt en conséquence la censure l’arrêt qui, en présence d’une description circonstanciée, s’arrête au fait qu’elle ne renverrait qu’aux conditions générales de détention dans l’établissement pénitentiaire en cause et qui exige de l’intéressé qu’il démontre le caractère indigne de ses conditions personnelles de détention. » Or ce sont justement ces conditions personnelles de détention que vous mettez dans le texte. Clairement, vous ne tirez aucune conséquence de la jurisprudence de la Cour de cassation !

Le quatrième point concerne les transferts. Le texte prévoit bien, je vous en donne acte, monsieur le garde des sceaux, un examen des conditions familiales, mais nous pensons que ce n’est pas suffisant, et Mme Simonnot est du même avis que nous : il faut aussi prendre en compte les conditions sociales, la préparation de la sortie, l’activité rémunérée, la continuité des soins et le droit à la défense.

Vous savez très bien que le transfèrement peut être tout à fait dissuasif par rapport à la procédure qu’il s’agit ici de mettre en place – la lettre de Mme Simonnot fait également état de ce problème. En effet, si vous dites à quelqu’un qu’il sera transféré à 500 kilomètres, il hésitera peut-être à dénoncer ses conditions de détention, parce qu’il verra les conséquences pour lui en termes de lien familial et social.

Enfin – c’est le cinquième point –, les mesures appropriées pour améliorer les conditions de détention échappent en grande partie au contrôle du juge, ce qui est paradoxal selon Mme Dominique Simonnot, qui écrit dans sa lettre : « Il est à craindre que le recours au transfert pour le règlement des situations individuelles, combiné à la surpopulation carcérale qui touche de nombreux établissements, ne manquera pas de conduire au placement d’une autre personne dans les conditions contestées par le détenu transféré ; ce risque doit être expressément écarté par la loi. »

Nous le savons, vous l’avez dit, et tout le monde le dit, il faut que la France applique ce que disent la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de cassation. Mais, pour mettre fin aux conditions indignes de détention, il faut faire en sorte, mes chers collègues, de lutter contre la surpopulation. Or, à cet égard, il y a quelque chose de quand même très étonnant : à la suite de l’ordonnance du 25 mars 2020, plus de 13 000 détenus ont été libérés, et nous sommes redescendus en dessous des 100 % d’occupation. Est-ce que cela a entraîné de considérables problèmes dans notre pays ? Non ! Au contraire. Vous êtes même désolé, monsieur le garde des sceaux, de voir les chiffres remonter… Nous en sommes à 60 783 places opérationnelles dans les 188 prisons de France avec un taux de peuplement de 105 % – dans les maisons d’arrêt, le taux est de 122,7 % !

Ce combat est ancien. Je me souviens que Jean-René Lecerf, qui n’était pas de mon groupe politique, a mené un combat admirable pour l’encellulement individuel et pour une loi sur la détention pénitentiaire. Il expliquait qu’il existait d’autres formes de peines que la détention.

M. le président. Il faut conclure, cher collègue !

M. Jean-Pierre Sueur. Je pense aussi à Dominique Raimbourg, qui s’est beaucoup battu à l’Assemblée nationale pour mettre en place de nouvelles règles destinées à lutter contre la surpopulation carcérale.

M. Jean-Pierre Sueur. Il faudra bien y revenir.

M. le président. Il faut vraiment conclure !

M. Jean-Pierre Sueur. Je pense aussi à Christiane Taubira, qui a tout fait pour mettre en place d’autres types de peines.

Je pense enfin à Robert Badinter, pour lequel la principale cause de la récidive dans ce pays, c’est la condition pénitentiaire.

Nous continuerons donc ce combat, qui passe aujourd’hui par l’adoption de nos amendements à ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi du président Buffet que nous examinons cet après-midi tire les conséquences d’une récente décision du Conseil constitutionnel, qui a estimé qu’il incombait au législateur de garantir aux personnes placées en détention la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne, afin qu’il y soit mis fin. Cette décision du Conseil constitutionnel fait suite à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme condamnant la France, ainsi qu’à un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui a créé une nouvelle voie de recours ouverte aux personnes placées en détention provisoire.

La proposition de loi reprend le dispositif d’un amendement que le Gouvernement avait initialement envisagé de faire adopter, en décembre 2020, par l’Assemblée nationale dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif au Parquet européen. Le Gouvernement a cependant dû y renoncer, lorsque l’amendement a été déclaré irrecevable par l’Assemblée nationale sur le fondement de l’article 45 de la Constitution.

Toujours est-il que la décision du Conseil constitutionnel imposait une action rapide, dans le délai qu’il avait prescrit. C’est ce qui a conduit notre collègue François-Noël Buffet à prendre l’excellente initiative du dépôt de cette proposition de loi.

Le texte insère dans le code de procédure pénale un nouvel article 803-8, qui prévoit dans quelles conditions et selon quelles modalités un détenu peut saisir le juge judiciaire, lorsqu’il estime subir des conditions indignes de détention, afin qu’il y soit mis fin. Il procède également à une mesure de coordination à l’article 144-1 du code de procédure pénale et complète le paragraphe III de l’article 707 du même code. Ce paragraphe III affirme le droit, pour toute personne condamnée incarcérée en exécution d’une peine privative de liberté, de bénéficier, chaque fois que cela est possible, d’un retour progressif à la liberté, en tenant compte des conditions matérielles de détention et du taux d’occupation de l’établissement pénitentiaire, dans le cadre d’une mesure de semi-liberté, de placement à l’extérieur, de détention à domicile sous surveillance électronique, de libération conditionnelle ou d’une libération sous contrainte, afin d’éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire.

La proposition de loi précise que le droit de la personne d’être incarcérée dans des conditions respectant sa dignité est garanti par les dispositions du nouvel article 803-8.

Je me réjouis que la commission ait approuvé le dispositif équilibré de ce texte, tout en y apportant plusieurs précisions pour le parfaire.

Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants, comme le Sénat dans son ensemble, est particulièrement attentif au respect des droits fondamentaux des personnes. Il votera donc ce texte à l’unanimité. Toutefois, ne nous y trompons pas, l’adoption de cette proposition de loi ne résoudra pas à elle seule le problème posé par les conditions de détention dans notre pays. Elle ne dispensera donc pas la France de poursuivre son programme de construction et de rénovation de places de prison – vous en avez parlé, monsieur le garde des sceaux.

Je veux ici rappeler que le Gouvernement s’est engagé à ouvrir 7 000 places d’ici à 2022 et à lancer les opérations pour l’ouverture de 8 000 places supplémentaires à l’horizon de 2027. À plusieurs reprises, dans le cadre des travaux de la commission des lois, notamment en tant que rapporteur pour avis du budget de l’administration pénitentiaire, j’ai eu l’occasion de m’interroger sur le manque d’ambition de ce programme, qui se contente de prolonger des projets lancés par la précédente majorité. Je souhaite, monsieur le garde des sceaux, que, sous votre houlette, il soit amplifié – ce serait de bon aloi. Sa mise en œuvre devrait en effet conduire à une amélioration des conditions de détention, en réduisant la surpopulation dans les maisons d’arrêt. Il est donc primordial que ce programme ne prenne pas de retard du fait de la situation sanitaire et qu’il ne soit pas affecté par des mesures de régulation budgétaire.

Monsieur le garde des sceaux, pour tous ces combats qui sont à mener, vous pouvez compter sur notre groupe et sur le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Détraigne applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cela fait des années que nous ne cessons de décrier le sort réservé aux détenus dans les prisons françaises. Entre surpopulation carcérale et conditions de détention inhumaines et dégradantes, nos prisons ne sont plus, depuis bien trop longtemps maintenant, à l’image d’un pays qui se revendique patrie des droits de l’homme… et de la femme – nous sommes le 8 mars, tout de même !

Les chiffres sont alarmants : en moins de vingt ans, les prisons françaises sont passées de 48 000 à 72 000 personnes détenues. Si ce chiffre a récemment connu une légère baisse liée à la crise sanitaire, il n’en reste pas moins qu’au 1er janvier 2021 ce sont plus de 20 000 personnes qui sont encore détenues dans des établissements, dont le taux d’occupation est supérieur à 120 %. En outre, à ce jour, une trentaine d’établissements pénitentiaires a été considérée par la justice comme exposant les personnes détenues à des traitements humiliants.

Cette situation, nous ne pouvons pas prétendre la découvrir aujourd’hui ! Déjà en 2018, j’interpellais le Gouvernement sur les violences et les mauvais traitements que subissaient certains détenus à la prison de Villefranche-sur-Saône. La garde des sceaux d’alors m’avait formulé une réponse qui était le symbole du déni ordinaire des pouvoirs publics face à ce sujet pourtant si important, mais peu traité par les médias, donc peu exposé au regard des citoyens.

En juillet 2019, je publiais une tribune dans la presse pour dénoncer les graves violences physiques et morales qui ont lieu dans nos prisons et, à de nombreuses autres occasions, nous avons publiquement défendu le droit au respect de la dignité en prison, y compris dans cet hémicycle.

Ces nombreux appels sont restés lettre morte jusqu’aux décisions de la CEDH du 30 janvier 2020 et surtout du Conseil constitutionnel du 2 octobre dernier – c’est à cette dernière décision que nous devons ce texte précipitamment mis à l’ordre du jour de notre chambre. Le Conseil a considéré qu’il incombait au législateur de garantir aux personnes placées en détention la possibilité de saisir le juge pour des conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine. L’échéance avait été fixée au 1er mars 2021.

Parce que la défense de la dignité des personnes détenues est notre engagement de longue date, nous ne pouvons que soutenir cette proposition de loi et nous y associer. N’oublions pas que, derrière celle-ci, des vies sont concernées.

La récente actualité nous le rappelle clairement. Le 2 février dernier, un homme incarcéré à Meaux est décédé ; il avait été hospitalisé quelques jours plus tôt à la suite d’une violente altercation avec des surveillants. Le même jour, à la maison d’arrêt pour femmes de Poitiers-Vivonne, une violente altercation avec des surveillantes causa à une détenue quarante-deux jours d’ITT.

Monsieur le garde des sceaux, selon votre prédécesseure, l’objectif du Gouvernement était, je cite, que, « d’ici à la fin du quinquennat, des conditions de détention plus dignes et conformes aux engagements européens soient mises en place ». Si cette proposition de loi est une première étape, nous attendons toutefois une amélioration urgente des conditions de vie dans les lieux de détention, ainsi que des relations entre les personnes détenues et les surveillants. Nous attendons aussi davantage d’écoute de la part du personnel médical et d’encadrement de ces établissements. Il est également important de se pencher sur les problèmes psychiatriques : ils sont traités avec un peu de négligence, alors qu’il s’agit d’une question si importante.

Ce n’est pas en construisant de nouvelles prisons, sitôt construites, sitôt remplies, que l’on réglera le problème de la surpopulation carcérale. La réforme des lieux de privation de liberté reste un chantier ample et complexe. En attendant, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, c’est un constat que nous avons tous fait cet après-midi : la France fait partie des États européens dont les prisons sont les plus encombrées et dont la population pénale augmente. Au 1er janvier 2020, elle comptait 70 651 détenus pour 61 080 places opérationnelles, portant ainsi la densité carcérale globale à 115,7 %.

Alors même que le principe d’encellulement individuel est inscrit dans notre droit depuis 1875, cette surpopulation chronique emporte de graves conséquences sur les droits et la dignité des détenus.

Entre 2015 et 2017, trente-deux requêtes ont été déposées par des personnes détenues en métropole et en outre-mer auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle a, le 30 janvier 2020, condamné notre pays à résorber l’inflation carcérale et à instituer un recours préventif et effectif, permettant aux personnes détenues de faire cesser ces atteintes graves à leurs droits fondamentaux.

Dans un arrêt du 8 juillet 2020, la Cour de cassation, concernant un placement en détention provisoire, posait le principe selon lequel des conditions indignes de détention sont susceptibles de constituer un obstacle à la poursuite de cette détention.

Cette solution, entre maintien en détention et libération sèche, ne pouvait pas être considérée comme satisfaisante. Aussi, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a, le 2 octobre dernier, décidé l’abrogation à la date du 1er mars 2021 du second alinéa de l’article 144-1 du code de procédure pénale, qui prévoyait la remise en liberté d’une personne placée en détention provisoire, lorsque les conditions de ce placement cessaient d’être remplies. Il laissait par conséquent six mois au législateur pour faire respecter ce droit à être incarcéré dans des conditions qui ne violent pas la dignité humaine.

La présente proposition de loi, sur laquelle le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel, en créant un dispositif équilibré, à la fois protecteur des droits des détenus et garant de la sécurité des Français. S’inscrivant dans une démarche transpartisane initiée par le président Buffet, que je remercie, elle s’inspire de la proposition que vous aviez, monsieur le garde des sceaux, communiquée pour avis au Conseil d’État le 1er décembre dernier et dont la commission des lois avait été destinataire. Son adoption sous forme d’amendement à l’Assemblée nationale dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif au Parquet européen n’a pas été possible, car cet amendement a été déclaré irrecevable au regard de l’article 45 de notre Constitution.

Je ne pense pas qu’il soit utile de gloser sur le retard pris dans le vote de ces dispositions. Il me semble que la responsabilité est collective. Je crois utile de rappeler que l’initiative de la loi appartient également au Parlement.

Cette parenthèse refermée, le dispositif créé ne constitue pas à lui seul la solution pour améliorer les conditions de détention dans notre pays – nous en sommes tous d’accord. Ces dernières années, des mesures ont été prises pour incarcérer plus dignement.

S’il est vrai que l’incarcération est nécessaire dans certains cas, la peine est bien la privation de la liberté, et non la privation de la dignité, comme vous l’avez indiqué, monsieur le garde des sceaux.

Le Président de la République s’est engagé à créer 15 000 places de prison d’ici à 2027 ; 7 000 sont en cours de livraison. Je salue d’ailleurs la création de 981 places de prison supplémentaires en outre-mer ces dernières années, dont 182 dans mon département.

Un rapport de 2014, commandé par l’ancienne garde des sceaux, Mme Christiane Taubira, avait dressé un constat particulièrement alarmant sur le surpeuplement de certains établissements ultramarins. Ces constructions ont permis de réduire le taux moyen d’occupation carcérale dans ces territoires : il est passé de 130,7 % en 2012 à 113 % en 2019. À l’horizon de 2026, nous attendons 1 156 places supplémentaires.

Néanmoins, la prison n’est pas la seule solution, et je me félicite que des alternatives à la détention soient aussi développées. C’est le sens d’une réponse pénale adaptée, proposée chaque fois qu’elle est possible et utile.

Le groupe RDPI votera donc en faveur de cette proposition de loi, qu’il a cosignée et qui permet un recours effectif devant le juge judiciaire pour faire constater des conditions de détention contraires à la dignité humaine et y mettre fin. Il est bien évident que les mesures mises en place pour désengorger les prisons doivent être poursuivies.

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dès 2013, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme en raison des conditions de détention d’un détenu qui, à la différence de nombreux autres demeurés silencieux, avait porté sa réclamation jusqu’à l’une des instances internationales les plus influentes.

Permettez-moi de rappeler quelques éléments qui furent relevés à l’occasion de cette décision au sujet des conditions de détention : les toilettes n’avaient pas de porte ; la chasse d’eau fuyait, il n’y avait donc pas de pression et rien ne s’évacuait ; près du lavabo, une prise électrique pendait ; les lits superposés, normalement scellés au mur, ne l’étaient plus, ce qui entraînait des risques de chute ; le local des douches était insalubre avec seulement une petite fenêtre et aucun système d’aération ; des cafards couraient partout.

Cette description est absolument édifiante, mais nous ne l’apprenons pas aujourd’hui. En plus d’un phénomène de surpopulation, le milieu carcéral est insalubre.

En cette Journée internationale des droits des femmes, j’aurai également une pensée pour les nombreuses femmes détenues dans notre pays, qui subissent des conditions similaires.

Évidemment, il n’est nullement question de remettre en cause le principe même de l’incarcération. Aux délits sont associées des peines, parmi lesquelles la prison. Cependant, celle-ci ne peut pas avoir pour fonction d’humilier les détenus. Nous devons tous avoir à l’esprit que chacun a vocation à en sortir. Nous espérions que ce constat et cette condamnation, en 2013, permettent d’améliorer l’état de nos prisons. Tel n’a pas été le cas.

Pis, en plus de subir des conditions de détention indignes et de souffrir des conséquences de la surpopulation carcérale, les détenus ne disposent d’aucun moyen de les faire cesser. En raison de cela, la France a été condamnée une première fois par la CEDH en mai 2015. C’est également pour ce motif qu’elle l’a été une nouvelle fois en 2020. Dans cette dernière décision, les juges européens ont rappelé trois objectifs à l’État français : supprimer le surpeuplement dans les établissements pénitentiaires ; améliorer les conditions de détention ; établir un recours effectif.

Ce tableau, que je viens brièvement de dépeindre, n’est pas à l’honneur de notre nation. Aussi, il y a lieu de se réjouir de l’initiative du Sénat qui vise à y mettre fin. Cette proposition de loi est évidemment la bienvenue. Je salue à cet égard l’auteur de ce texte, auquel le groupe du RDSE souscrit.

Toutefois, gardons à l’esprit que le fait de renforcer les droits des prisonniers ne revient pas à ce que les prisons soient moins saturées ni à ce que les cellules soient dans un meilleur état afin de respecter la dignité des hommes et des femmes qui s’y trouvent. Un droit de recours effectif ne répare pas des canalisations bouchées, pas plus qu’il ne désinsectise une cellule ou qu’il ne permet d’aérer des douches collectives.

Déplacer les détenus d’une maison d’arrêt à une autre, comme par un jeu de chaises musicales, ne permet pas non plus de réduire le nombre de détenus par maison d’arrêt.

Tout cela est et demeurera une question de moyens matériels, bien au-delà des moyens juridictionnels.

Renforcer les droits des prisonniers est une chose ; s’assurer que leur place est réellement en prison en est une autre. Le Sénat y travaille aussi, et nous aurons d’ailleurs demain les conclusions de la mission d’information sur l’expertise psychiatrique en matière pénale de nos collègues Delattre, Roux et Sol.

Pour conclure, je dirai que la procédure qui nous est présentée, pour être effective, devra nécessairement être plus rapide. Nous voterons ce texte ; nous resterons néanmoins vigilants par la suite sur l’état réel des conditions de détention.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cette proposition de loi arrive tardivement, mais elle a au moins le mérite d’arriver, après une série de décisions d’instances européennes et nationales relevant de graves atteintes aux droits et à la dignité des personnes détenues.

La condamnation historique de la France, le 30 janvier 2020, par la Cour européenne des droits de l’homme a conduit à l’indemnisation de trente-deux personnes incarcérées dans différents centres pénitentiaires, en métropole et outre-mer, notamment pour violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui prohibe les traitements inhumains et dégradants. La CEDH a estimé que les voies de recours prévues par le code de justice administrative n’étaient pas satisfaisantes, car elles ne permettaient pas de répondre aux problèmes structurels causés par la surpopulation carcérale, lesquels nécessitaient des mesures de réorganisation du service public de la justice.

Cette décision forte a eu pour conséquence un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui a estimé, le 8 juillet 2020, que le juge judiciaire avait l’obligation de garantir à la personne placée dans des conditions indignes de détention un recours préventif et effectif, sans que le législateur intervienne. Cette situation a été jugée insatisfaisante par le Conseil constitutionnel, qui a donc affirmé, en octobre dernier, qu’il incombait au législateur de garantir aux personnes placées en détention la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine afin qu’il y soit mis fin. Aussi, la présente proposition de loi tire les conséquences de cette censure et prévoit un dispositif de nature à garantir le droit à des conditions dignes de détention.

Nous n’avons rien à redire sur le dispositif proposé par l’article unique : si, après saisine d’une personne se plaignant de conditions de détention indignes, l’administration pénitentiaire n’a pas pris des mesures, comme un transfèrement, dans le délai prescrit pour mettre fin au traitement indigne, le juge a la possibilité d’ordonner soit un transfèrement du détenu, soit sa mise en liberté provisoire ou bien encore un aménagement de peine.

Malgré le caractère extrêmement grave des causes qui ont conduit à légiférer, bien tardivement, et même si je peux partager, pour une bonne partie, les propos de Jean-Pierre Sueur, je tiens à exprimer notre satisfaction de voir aujourd’hui cette question abordée avec des mesures générales pour mettre fin à cette situation inacceptable. C’est pourquoi nous voterons en faveur de cette proposition de loi.

Néanmoins, il est primordial de rappeler que le profond décalage entre les normes applicables et la réalité quotidienne des conditions de vie des personnes détenues n’a que trop duré, comme le notait le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son rapport en 2018 : « Ni les lois sur l’encellulement individuel ni les normes relatives à l’espace vital par personne détenue, telles que recommandées par le Comité européen de prévention de la torture, ne sont respectées, pas plus que ne le sont les propres normes de l’administration pénitentiaire. »

Permettez-moi enfin, monsieur le garde des sceaux, de condamner, en cette Journée internationale des droits des femmes, les mauvaises conditions de vie des femmes en prison, qui portent trop souvent atteinte à leur dignité.

La construction de nouvelles places de prison, comme le souligne le président de la commission des lois, auteur de la proposition de loi, à la fin de l’exposé des motifs, ne peut être une réponse satisfaisante au problème. C’est pourtant, hélas, ce que vous proposez. Vous souhaitez également mettre fin aux réductions automatiques de peines en les assortissant de conditions, celle relative à la bonne conduite existant déjà. Or, comme le signalait hier la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot : « Il y a sans doute beaucoup de détenus qui voudraient être soignés, trouver un boulot ou une formation en prison,…