M. le président. Monsieur le Premier président, le Sénat vous remercie et vous donne acte du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.

Nous allons procéder au débat dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

La parole est à M. le président de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. André Guiol applaudit également.)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, le Premier président de la Cour des comptes présente cette après-midi au Sénat le rapport public annuel. Cette présentation est un moment solennel pour notre assemblée, qui illustre et symbolise l’assistance que la Cour des comptes apporte au Parlement, en application de l’article 47-2 de notre Constitution.

Cette année, la remise du rapport public a été quelque peu décalée pour permettre à la Cour d’achever l’instruction de ses enquêtes et de livrer ses analyses sur la gestion de la crise. Le Premier ministre lui a également confié une mission relative à la situation des finances publiques et aux priorités de l’action publique pour l’après-crise, ce qui explique l’absence de sa traditionnelle analyse de la situation de nos finances publiques. Alors que le Parlement débat de la soutenabilité de notre dette publique et que la commission Arthuis vient de rendre ses conclusions, nous serons attentifs aux résultats de ces travaux.

Je ne reviendrai pas longuement sur le fait que, au-delà de ce rapport public annuel, la Cour des comptes produit de nombreux autres rapports qui nous sont très utiles. La commission des finances vous entend très régulièrement, monsieur le Premier président, comme ce sera encore le cas, le 15 avril prochain, sur l’exécution du budget de l’État.

L’activité de contrôle de notre commission se nourrit également des résultats des enquêtes demandées en application de l’article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF.

Nous avons ainsi entendu, le 10 mars dernier, les magistrats de la cinquième chambre de la Cour, venus présenter, au cours d’une audition pour suite à donner, l’enquête sur l’article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, la loi SRU.

D’autres auditions seront organisées avant l’été sur le bilan de l’intégration de la gendarmerie au ministère de l’intérieur et sur la couverture mobile en 4G du territoire.

De nouvelles enquêtes sont d’ores et déjà programmées pour être remises au début de l’année 2022, dont l’une, très attendue, concernera la mise en œuvre du plan de relance et sera suivie par le rapporteur général de notre commission, Jean-François Husson.

Ces enquêtes complètent utilement les travaux de contrôle et d’évaluation conduits par les rapporteurs spéciaux tout au long de l’année, lesquels donnent lieu à la publication de nombreux rapports d’information – une vingtaine l’an passé –, en dehors même de la période du printemps. Tous ces travaux ont vocation à nourrir et à éclairer nos débats budgétaires.

Le premier tome du rapport public annuel a pour ambition de tirer les premiers enseignements de la crise liée à l’épidémie s’agissant de plusieurs politiques publiques.

La Cour fait, par exemple, un premier bilan de la politique d’hébergement et de logement des personnes sans domicile pendant la crise sanitaire. Elle souligne la faible préparation de l’État, qui manquait, avant le mois de mars 2020, d’outils opérationnels de gestion de crise, tout en décrivant l’engagement des opérateurs sur le terrain, lequel a permis, dans une situation critique, d’assurer la continuité des missions.

L’hébergement d’urgence ne doit toutefois être qu’un point de passage : c’est sur l’accès au logement, en particulier dans les différentes formes de logement social, qu’il nous faut désormais mettre l’accent. Ce premier bilan nous intéresse particulièrement, puisque notre rapporteur spécial Philippe Dallier travaille actuellement sur le sujet.

La Cour analyse, en outre, le déploiement des outils numériques qui ont permis d’assurer une continuité des apprentissages dans le contexte de fermeture des établissements scolaires lors du confinement de mars 2020.

Comme l’avait fait notre collègue Gérard Longuet dans son dernier rapport budgétaire, la Cour rapport souligne que, malgré un succès global et la mise en œuvre rapide d’outils numériques à grande échelle, la crise sanitaire a soulevé des problématiques d’inégalités d’accès au numérique. Cet enseignement doit désormais guider la stratégie numérique de l’éducation nationale, en intégrant les acquis et l’expérience de la période de confinement.

La Cour détaille également les répercussions de la crise sur le groupe SNCF. S’il apparaît que celui-ci a su faire preuve de réactivité au cœur de la pandémie pour affronter cette épreuve inédite, la dégradation de sa situation financière n’en est pas moins très sévère. La crise a révélé les fragilités structurelles dont souffrait déjà la SNCF avant la pandémie, sources de préoccupations quant aux perspectives financières du groupe.

Cette question majeure constitue l’un des axes principaux du contrôle que les rapporteurs spéciaux Hervé Maurey et Stéphane Sautarel viennent d’engager et qui a démarré le 9 mars dernier par l’audition du P-DG Jean-Pierre Farandou.

Une étude approfondie du déploiement du fonds de solidarité par la direction générale des finances publiques, la DGFiP, est aussi présentée. Pour la Cour, le bilan intermédiaire est globalement positif : la DGFiP a su réagir rapidement et efficacement aux problématiques rencontrées par les entreprises lors du premier confinement, même si elle note la complexité croissante du dispositif, qui vise à répondre à un grand nombre de situations et concerne des entreprises de plus en plus importantes.

Ces évolutions sont, de fait, porteuses de risques pour nos finances publiques, et ce d’autant plus depuis les annonces visant à prendre en charge une part substantielle des charges fixes des entreprises des secteurs les plus touchés. L’importance des enjeux financiers doit conduire à un renforcement des contrôles. Nous partageons votre inquiétude sur ce point, monsieur le Premier président.

La participation des régions au fonds de solidarité à hauteur de 467 millions d’euros en 2020 a témoigné de la mobilisation exceptionnelle des collectivités territoriales face à la crise. La Cour conteste l’autorisation accordée par le Gouvernement d’imputer ces dépenses en section d’investissement. Une telle décision a néanmoins permis de permettre un haut niveau d’engagement des régions aux côtés de nos entreprises, sans compromettre leur propre équilibre financier, leur capacité à investir et ainsi, à prendre part à la relance.

Les développements consacrés à l’assurance chômage rappellent que la baisse des cotisations, la hausse des dépenses d’indemnisation et le financement d’un tiers du dispositif exceptionnel d’activité partielle ont provoqué une explosion du déficit du régime, qui s’est ainsi établi à 17,4 milliards d’euros en 2020.

La Cour pose donc la question de la responsabilité que doit prendre l’État dans l’effort de redressement de la trajectoire financière de l’assurance chômage, en évoquant notamment la reprise d’une partie de la dette de celle-ci, qui a atteint 54,2 milliards d’euros à la fin de l’année 2020. Les comptes de l’Unédic sont, en effet, affectés par des décisions de l’État auxquelles elle est insuffisamment associée.

Comme l’ont déjà souligné les rapporteurs spéciaux Emmanuel Capus et Sophie Taillé-Polian, cette tendance ne date cependant pas de la crise : elle s’était déjà manifestée à l’occasion de la baisse de la subvention de l’État à Pôle emploi, compensée par une contribution croissante de l’Unédic au financement de cet opérateur. Une clarification s’impose sur ce sujet.

Le second tome du rapport est consacré à plusieurs politiques publiques et à leur gestion. J’y relèverai deux éléments.

D’une part, l’interrogation de la Cour quant au modèle des réseaux consulaires, que vous avez évoqué. Je pense que certains d’entre nous ne partagent pas tout à fait la position de la Cour.

Le rapport remet très clairement en cause le financement par une taxe affectée des deux principaux réseaux consulaires, les chambres de commerce et d’industrie, les CCI, et les chambres de métiers et de l’artisanat, les CMA.

La Cour les considère comme des prestataires de services, qui devraient être financés par le produit de leurs activités commerciales. Or ils assument des missions d’intérêt général et, au cours de la crise, ils ont accompagné, dans un contexte difficile, un très grand nombre d’entreprises. Le dispositif de financement actuel joue également un rôle de péréquation territoriale qu’il ne faut pas négliger.

D’autre part, la Cour se penche sur les politiques de lutte contre le désendettement et en faveur de l’inclusion bancaire, ce qui prolonge l’enquête réalisée au titre de l’article 58-2 de la LOLF et remise à notre commission en juillet 2017, plusieurs auditions que nous avons organisées et la préoccupation que traduit la proposition de loi de notre groupe sur le plafonnement des frais bancaires.

La Cour souligne les difficultés rencontrées par la procédure du droit au compte, en recul depuis qu’elle a atteint son plus haut niveau d’application en 2015, du fait de l’insuffisante simplification des procédures et d’une mobilisation hétérogène des réseaux bancaires. Elle constate la grande hétérogénéité des seuils retenus par les établissements bancaires pour apprécier la situation de fragilité financière.

Alors que les nouvelles offres de bancarisation ne font pas l’objet d’un plafonnement des frais et accentuent encore l’exclusion numérique, la Cour cite le « maquis » des frais bancaires et leur difficile appréhension par les clients et par les acteurs. Cette situation plaide pour que notre commission continue à travailler sur ce thème.

En conclusion, je veux dire ma satisfaction de voir la Cour des comptes jouer tout son rôle en assistant le Parlement dans son contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques et en répondant aux demandes d’enquêtes formulées par les sénateurs, ceux-ci, dans leurs fonctions législatives comme de contrôle, décidant des suites qu’ils entendent y apporter. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, le rapport annuel de la Cour des comptes prend, cette année, une forme très particulière, avec une focalisation sur l’analyse des réponses des pouvoirs publics à la crise sanitaire que notre pays traverse encore.

Ce faisant, monsieur le Premier président, vous êtes en quelque sorte allés à l’essentiel, au plus près du vécu et des préoccupations des Français.

Pour autant, l’exercice était délicat, puisque plusieurs commissions et organismes s’étaient déjà donné une mission d’analyse du même ordre.

Pour ne parler que du Sénat, notre assemblée a mis sur pied une commission d’enquête pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion. Cette commission, présidée par Alain Milon et dont les rapporteurs étaient Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales, Bernard Jomier et Sylvie Vermeillet, a remis son rapport le 8 décembre dernier.

Le Sénat a, depuis lors, créé une mission commune d’information pour évaluer les effets des mesures prises ou envisagées en matière de confinement ou de restrictions d’activités, mission qui est présidée par Bernard Jomier et dont Jean-Michel Arnaud et Roger Karoutchi sont les rapporteurs.

Néanmoins, vous avez bien souvent évité l’écueil de la redite. Le Parlement trouvera donc d’intéressantes pistes de réflexion à la lecture de votre rapport annuel.

Je centrerai naturellement mon propos sur les chapitres du rapport qui concernent le plus les domaines de compétences de notre commission des affaires sociales : le champ sanitaire, bien entendu, et celui de l’assurance chômage.

S’agissant du volet sanitaire, la commission a pris connaissance avec un très grand intérêt des recommandations formulées par la Cour visant à la réorganisation des services de réanimation.

Votre rapport souligne, tout comme le faisait d’ailleurs la commission d’enquête du Sénat, que le chiffre des unités de réanimation en France, rituellement brandi comme l’une des preuves de notre retard structurel par rapport à l’Allemagne, ne tient pas compte des unités de surveillance continue. Or, lorsque l’on ajoute ces unités, la capacité française s’établit à 27 lits pour 100 000 habitants, ce qui place notre pays à la troisième position de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), derrière l’Allemagne et l’Autriche.

Vous vous êtes également penché sur les causes réelles des transferts sanitaires de la première vague, sur les raisons de la faible implication, tout au moins dans un premier temps, des établissements de santé privés et sur les effets largement inconnus des déprogrammations massives d’activités hospitalières et libérales.

À cet égard, vous soulignez d’ailleurs très bien, à travers les exemples de la Bourgogne-Franche-Comté et de la Nouvelle-Aquitaine, que, indépendamment du niveau de présence réelle du virus dans ces territoires au cours de la première vague, les établissements ont procédé à des reprogrammations de soins, notamment chirurgicaux, dans des proportions comparables.

Dans certains cas, cette réorganisation a même pu permettre d’accueillir des patients covid venant d’autres régions. Les conséquences de ces réorganisations pour les autres territoires pourraient donc être similaires.

Vous concluez en recommandant de « mieux tenir compte des besoins lors de la planification sanitaire ». Le Sénat, chambre des territoires, vous rejoint évidemment sur ce point. Nous avons d’ailleurs récemment tenté de promouvoir les projets territoriaux de santé lors de l’examen de la proposition de loi censée porter la traduction législative des engagements du Ségur de la santé. Nous ne pouvons qu’espérer, monsieur le Premier président, que les recommandations de la Cour donneront à cette intention le poids qui paraît encore lui manquer…

Pour ce qui concerne votre recommandation d’augmenter les effectifs des médecins réanimateurs et d’infirmières qualifiées, je constate qu’elle rejoint l’appréciation de la commission d’enquête du Sénat. Celle-ci avait aussi constaté que la difficulté venait de l’évaluation locale des besoins en temps réel et du manque d’efficacité des circuits d’information censés renseigner les gestionnaires de crise sur l’évolution territoriale de l’épidémie à l’hôpital.

À cet égard, je note que la Cour n’est pas plus parvenue que notre commission d’enquête à évaluer et à localiser les capacités disponibles dans le secteur privé qui n’auraient pas été mobilisées dans la crise. Nous espérons que le temps permettra d’éclaircir ce point et de préciser la gestion de ces lits, en particulier en cas de crise.

À l’invitation de la présidente Catherine Deroche, la Cour des comptes aura d’ailleurs l’occasion de poursuivre ses travaux sur l’organisation des services de réanimation et sur leur modèle de financement au-delà de la première vague épidémique de covid-19. La situation actuelle de ces services, lors d’un confinement intervenant un an après la première crise, pourra sans doute apporter de nouveaux enseignements.

Pour ma part, je suis convaincu que, au-delà même des services de réanimation, l’organisation d’un système de santé trop centralisé et trop éloigné des territoires constitue une difficulté qu’il nous faudra résoudre afin de gagner en efficacité.

Pour ce qui est de l’assurance chômage, dont la Mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la Mecss, du Sénat a d’ailleurs entendu la direction la semaine dernière, vous rappelez la situation financière dégradée dans laquelle l’Unédic a abordé la crise, ainsi que les changements en matière de gouvernance qui proviennent de l’attribution à l’assurance chômage de ressources fiscales par la loi de 2018.

À cette lumière, vous soulignez que les décisions extraordinaires de l’année 2020 ont été prises par l’État, certes dans un contexte d’urgence, mais sans que les partenaires sociaux, théoriquement gestionnaires de l’Unédic, aient leur mot à dire, malgré l’impact financier considérable de ces mesures sur les comptes du régime.

Par conséquent, vous recommandez de préciser les rôles respectifs de l’État et des partenaires sociaux dans la détermination des dépenses, des recettes et, bien sûr, de l’amortissement de la dette. Vous recommandez également de définir, à la sortie de la crise, la nouvelle trajectoire financière qui s’impose, de statuer sur le niveau et les modalités de reprise d’une partie de la dette et de redéfinir le niveau de participation de l’Unédic au financement de Pôle emploi dans un cadre pluriannuel.

La commission vous suit largement sur ces préconisations. À nos yeux, il est nécessaire, en particulier, de sortir de l’ambiguïté en matière de gouvernance.

C’est pourquoi un rapport d’information de notre commission, qui sera bientôt suivi d’une proposition de loi organique, propose formellement d’intégrer l’assurance chômage dans le périmètre des lois de financement de la sécurité sociale. Il rejoint en cela l’une des conclusions du rapport de la Cour des comptes de 2020 sur le cadre organique et la gouvernance des finances publiques.

En conclusion, monsieur le Premier président, je remercie la Cour, au nom de notre commission, de son rapport, comme d’habitude solide et rigoureux et qui apporte de nouveaux enseignements utiles sur la gestion publique de la crise que nous avons connue et que nous traversons malheureusement encore. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, RDSE et SER.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, avec les bouleversements dus depuis un an à la crise sanitaire, il est d’une certaine façon rassurant de retrouver cette échéance classique du printemps qu’est la publication du rapport public annuel de la Cour des comptes.

Celle-ci permet à la fois de faire le point sur la situation générale des finances publiques au regard des engagements pris en lois de finances et de mettre l’accent sur la gestion de certaines institutions ou administrations.

Je regrette simplement la brièveté du délai imparti – moins d’une semaine – entre la publication du rapport annuel et la tenue de ce débat : elle qui ne permet pas d’effectuer une analyse très approfondie de ses quelque mille pages.

Le présent rapport public annuel rappelle l’impact exceptionnel de la crise sanitaire sur les finances publiques, avec pas moins de quatre budgets rectificatifs l’année dernière. Rappelons néanmoins la rectification de quelque 45 milliards d’euros annoncée en début d’année par le ministre des comptes publics sur l’exécution du budget 2020. S’il s’agit d’une bonne nouvelle relative, n’interroge-t-elle pas sur la prévisibilité des lois de finances, monsieur le Premier président ?

Vous soulignez également la faible anticipation de la crise sanitaire. Avec le recul, il est vrai que ce manque d’anticipation apparaît comme un grand défaut de la gestion de la crise, sans doute renforcé par un calendrier politique défavorable. Cependant, il faut tout de suite mettre en regard la forte mobilisation, dès le début, de moyens budgétaires massifs, rendue possible par la suspension des règles du pacte de stabilité. Le Parlement a été au rendez-vous, malgré des conditions de travail compliquées – comme partout ailleurs –, afin de continuer à faire fonctionner la démocratie et les institutions.

Ce rapport revient sur la contribution du service public du numérique éducatif à la continuité scolaire pendant la crise sanitaire. En tant qu’ancien enseignant, je tiens moi-même à exprimer ma solidarité et ma reconnaissance envers le monde éducatif, qui a dû faire face, avec les moyens dont il dispose, à un défi inédit. La réouverture des établissements scolaires après le premier confinement doit aussi être considérée comme une chance, alors que, dans de nombreux pays, comme en Italie, ils sont restés fermés près d’un an.

Le fonds de solidarité pour les PME devrait rester comme l’une des mesures phares de la lutte contre les conséquences économiques de la crise sanitaire. La Cour salue, à juste titre, l’efficacité de sa mise en œuvre. Le montant des aides et les critères d’éligibilité, souples, ont évolué depuis le début de la pandémie.

Les mesures de soutien d’urgence ont un coût budgétaire très important. C’est pourquoi notre salut dépend autant de l’efficacité de la campagne vaccinale, qui permettra de rouvrir progressivement les activités. Gageons que la Cour ne manquera pas de s’y intéresser l’an prochain, lorsque nous aurons davantage de recul.

De nombreux secteurs économiques sont désormais fortement fragilisés.

La Cour attire l’attention sur la situation de la SNCF. On pourrait parler de celle des transports en général, comme du secteur aérien et même du transport maritime, comme on l’a vu hier lors du débat qui s’est tenu ici même sur les liaisons trans-Manche. Cette situation est d’autant plus préoccupante que les transporteurs doivent réaliser des investissements importants pour la rénovation des infrastructures ou encore la transition énergétique.

Un autre secteur très fortement touché est celui de l’hôtellerie-restauration. On ne peut que regretter la fermeture de ces lieux de convivialité depuis des mois, en particulier à Paris.

Je terminerai par la situation des réseaux consulaires, notamment des chambres de métiers et de l’artisanat. Leur rôle a été essentiel avant et pendant la crise. Il l’est aujourd’hui pour accompagner les entreprises dans la sortie de crise. L’effort de réorganisation du réseau depuis la loi Pacte a été très important. À la différence des CCI, les chambres de métiers continuent de voir leur activité augmenter.

Mon groupe a récemment formulé des propositions visant à soutenir les travailleurs indépendants et les PME. Elles vont, entre autres, dans le sens du renforcement du stage de préparation à l’installation des artisans et du maintien des centres de formalités des entreprises.

On ne saurait assez insister sur l’importance des réseaux consulaires dans le maillage économique du territoire. Ce sont des interlocuteurs de proximité et des interlocuteurs naturels pour les entrepreneurs et les artisans. Le maintien d’un financement public nous paraît ainsi essentiel pour garantir l’équité entre toutes les entreprises sur tous les territoires.

Telles sont, mes chers collègues, les quelques réflexions que m’inspire la présentation de ce rapport public annuel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, Henry Kissinger aurait affirmé : « Il ne peut pas y avoir de crise la semaine prochaine : mon agenda est déjà plein ». (Sourires.)

Année après année, les responsables politiques du pays ont refusé d’anticiper la survenance d’une crise, que celle-ci soit financière, sociale ou sanitaire. C’est ce que je lis dans le rapport de la Cour des comptes : ce gouvernement, comme bien d’autres avant lui, a contribué à l’impréparation généralisée qui a affecté notre capacité à répondre à la conjonction de crises que nous affrontons et à la gérer. Au reste, ce n’est un secret pour personne que la crise était antérieure à la pandémie…

Je note, au préalable, un symptôme du manque de réflexion de la période d’avant le covid : jamais, par exemple, n’est paru un rapport sur l’activité de réanimation. Pourtant, la saturation des lits de réanimation ne date pas de la crise sanitaire !

Depuis au moins une décennie, elle est bien connue des personnels médicaux. Puisque, en temps normal, 88 % des lits de réanimation sont occupés, il est évident que, en période de pandémie mondiale, l’Île-de-France, par exemple, ne peut que constater, impuissante, que sa capacité d’accueil est dépassée de 8 points ! Autrement dit, 8 patients sur 100 sont reçus dans des conditions précaires, sans matériels adaptés.

Le pire, c’est que l’on aurait dû apprendre, si ce n’est avant l’épidémie, du moins entre les différentes vagues ! Entre le 2 et le 16 avril dernier, ce sont 2 700 patients qui ont été accueillis en Île-de-France, pour seulement 1 150 places.

Indépendamment d’une éventuelle crise sanitaire, nous savions que nous ne pourrions pas faire face à des besoins de soins accrus avec des moyens en baisse. Or, entre 2013 et 2019, la France a été amputée de 21 000 lits d’hospitalisation.

Mes chers collègues, tout est dit à la page 163 de ce rapport. Il y est question de la progression des lits de réanimation : « Cette progression de 0,17 % par an s’avère dix fois plus faible que celle des effectifs de personnes âgées », qui constituent pourtant près des deux tiers des malades hospitalisés dans ce secteur.

Concrètement, en 2013, il y avait 44 lits de réanimation pour 100 000 habitants de plus de 65 ans ; à la veille de la crise sanitaire, il n’y avait plus que 37.

Sans entrer dans les détails du rapport, nous y trouvons bien d’autres choses que nous savions déjà, notamment que 5 % des jeunes souffraient de défaut d’accès aux outils informatiques et que les 600 000 élèves en rupture numérique ne pourraient pas continuer à étudier.

Nous savions que les 300 000 personnes sans domicile, dont 40 000 sans-abri, étaient chaque année plus nombreuses dans cette société confrontée à une exclusion chronique : 10 % de plus par an depuis 2012 !

Nous savions, comme le souligne la Cour, que l’« absence de préparation opérationnelle », alors même que l’épidémie de H1N1 ou la canicule de 2006 auraient dû permettre une réponse moins confuse, a rendu l’État défaillant dans sa capacité à proposer des solutions d’hébergement et d’accueil et à répondre aux besoins urgents d’équipement en masques et en tests de dépistages.

On savait donc, mais on n’en a pas tenu compte. Notre groupe adresse donc ses remerciements à la Cour d’avoir rappelé et précisé ces éléments.

Vous l’aurez compris, la gestion de la crise sanitaire s’inscrit dans une situation déjà complexe, sur fond de détresse sociale, de rationnement de services publics et de pression financière sur les collectivités locales.

L’afflux de cas n’a pas entraîné un recours aux hôpitaux privés pour combler les carences de l’hôpital public, qui était dépassé : 80 % des patients covid en soin critiques étaient hospitalisés dans le public et seulement 10 % dans le privé lucratif.

La fédération représentative de l’hospitalisation elle-même déplore que ces établissements n’aient pas été associés pour soutenir le public, l’exécutif préférant les transferts de patients et les déprogrammations massives. En avril dernier, c’est près d’un acte chirurgical majeur sur deux qui n’a pas été assuré.

Concernant le logement de ceux qui n’en avaient pas, à l’heure des successions de confinements, les acteurs de la solidarité sont très critiques : « Tant les objectifs fixés que les outils mobilisés se situent dans la lignée de ceux qui préexistaient à la crise sanitaire. Ils ne permettent pas de se situer au niveau qu’appelle la crise. L’échec de nombreuses dynamiques d’insertion et, plus largement, les tensions dans les structures d’hébergement résultent de cette impossibilité […] d’accéder à un logement ».

Ainsi, le tarif des places d’hôtels est de 14 % plus cher en moyenne à Paris pendant la période hivernale. Autre exemple, l’État réserve 400 places sur le site Kellermann à 113 euros par jour et par personne. Cette situation d’urgence permet de répondre à court terme et de façon coûteuse à des besoins profonds, mais ne propose aucune perspective à horizon post-épidémique.

Je vous remercie de votre rapport, monsieur le Premier président. Je pense qu’il constitue un exercice critique invitant à l’audace et à l’inédit politique. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER. – M. Jean-Raymond Hugonet applaudit également.)