M. le président. L’amendement n° 224 rectifié, présenté par Mme Vermeillet, M. Mizzon, Mmes N. Goulet, Férat et Doineau, MM. Louault, Chauvet, Laugier, Kern, Henno, Longeot, Canevet et Levi, Mme Billon, MM. Capo-Canellas, Cigolotti, Moga et Delcros, Mme Morin-Desailly et M. Duffourg, est ainsi libellé :

Alinéa 13, première phrase

Après les mots :

dans les seuls cas où

insérer le mot :

soit

et après les mots :

au même premier alinéa est engagée,

insérer les mots :

soit une plainte pénale pour des faits de menaces de mort, de crime ou de délit contre leur personne ou des faits de violences volontaires est déposée,

La parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Avec la crise sanitaire, les services bancaires constatent davantage de pratiques frauduleuses, soit pour capter les aides publiques à mauvais escient, soit pour profiter de certaines entreprises affaiblies par la crise économique, soit encore pour développer des transactions qui financent des activités illégales. Les agents des services bancaires doivent donc redoubler de vigilance et deviennent eux-mêmes plus exposés qu’avant la crise au risque de devoir dénoncer une transgression à Tracfin.

La question de la protection personnelle de ces agents se pose. En effet, si Tracfin juge opportun de bloquer un compte bancaire, il est aisé pour le détenteur de celui-ci de soupçonner son banquier.

L’article 46 prévoit que les banques pourront lever le droit d’opposition pour les besoins de leur défense en cas de poursuites civiles, commerciales ou pénales engagées par les personnes visées par le droit d’opposition.

Le présent amendement vise à compléter cet article, en prévoyant que la confidentialité du droit d’opposition peut être levée par les banques pour les besoins du dépôt d’une plainte pénale en cas de menace de violence ou de mort sur leurs agents ou pour des faits avérés de violences volontaires.

Si nous souhaitons que les services bancaires continuent de dénoncer les pratiques illicites, il nous revient d’assurer la protection de leurs agents et de veiller à ce qu’ils ne courent aucun risque.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Le présent amendement vise à permettre la levée de la confidentialité de l’exercice par Tracfin du droit d’opposition dans le cas où une plainte pénale pour des faits de menaces de mort, de crime ou de délit contre une personne ou des faits de violences volontaires est déposée.

En premier lieu, il convient de souligner que Tracfin est un service de renseignement, dont les activités sont nécessairement soumises à une obligation de confidentialité : il est nécessaire de ne toucher à cette confidentialité qu’avec une extrême prudence, au risque de nuire gravement à de potentielles enquêtes.

En deuxième lieu, dans le cas d’une plainte pénale pour des faits de menaces de mort, de crime, de délit ou de violences volontaires contre un collaborateur, l’exercice par Tracfin de son droit d’opposition ne semble pas absolument nécessaire à la compréhension par l’autorité judiciaire de la situation.

À l’inverse, les cas dans lesquels la confidentialité des activités de Tracfin est levée correspondent généralement à des actions en responsabilité contre l’entité assujettie, pour lesquelles la non-révélation de l’exercice du droit d’opposition de Tracfin rendrait la compréhension de l’affaire impossible.

Enfin, contrairement à ce qu’indique l’objet de l’amendement, la révélation du contenu d’une déclaration de soupçon n’intervient que « dans les seuls cas où cette déclaration est nécessaire à la mise en œuvre de la responsabilité » des entités assujetties et lorsque « l’enquête judiciaire fait apparaître que les dirigeants peuvent être impliqués dans un mécanisme de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme qu’ils ont révélé ».

Pour l’ensemble de ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

M. le président. Monsieur Kern, l’amendement n° 224 rectifié est-il maintenu ?

M. Claude Kern. Non, monsieur le président, je vais retirer cet amendement d’appel visant à attirer l’attention sur une évolution dangereuse. L’Association française des banques est très inquiète pour les agents bancaires.

M. le président. L’amendement n° 224 rectifié est retiré.

Je mets aux voix l’article 46.

(Larticle 46 est adopté.)

Article 46
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Article additionnel après l'article 46 - Amendement n° 567 rectifié

Articles additionnels après l’article 46

M. le président. L’amendement n° 151 rectifié, présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Fialaire, Guérini et Guiol, Mme Pantel, MM. Requier, Roux et Gold et Mme Guillotin, est ainsi libellé :

Après l’article 46

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 26 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« La liberté de religion s’exerce dans le strict respect des principes de la République et de l’ordre public, sous la responsabilité des aumôniers qui exercent leur office.

« En cas de non-respect de l’ordre public, l’agrément des aumôniers peut être suspendu ou retiré, dans des conditions fixées par un décret en conseil d’État. »

La parole est à Mme Nathalie Delattre.

Mme Nathalie Delattre. La liberté religieuse est un droit auquel la prison ne peut se soustraire. L’administration pénitentiaire se doit d’organiser pour tous les détenus qui le désirent un accès aux cultes. Pour cela, des aumôniers agréés par l’administration pénitentiaire interviennent dans les prisons pour célébrer les offices religieux et animer les réunions cultuelles.

Leur rôle est fondamental, puisqu’ils permettent aux détenus de pratiquer leur religion dans de bonnes conditions au sein des lieux de détention.

Dans le cadre de la responsabilité qui est la leur, les aumôniers pénitentiaires doivent s’assurer que l’exercice de cette liberté religieuse se fait dans le strict cadre des principes de la République.

Lors de la mission d’information sur l’impact de l’urgence sanitaire sur les lieux de privation de liberté lancée par la commission des lois, pour laquelle j’ai été corapporteure aux côtés de François-Noël Buffet, nous avons pu constater cette nécessité d’encadrer au mieux l’exercice de ce droit fondamental.

Néanmoins, nous ne pouvons pas le nier, l’exercice de cette liberté religieuse en milieu carcéral est bel et bien une source d’inquiétude grandissante, la prison étant un lieu propice au séparatisme et à la radicalisation religieuse.

Face à ces phénomènes, il est urgent d’agir et de prendre les mesures qui s’imposent. Nous ne pouvons pas laisser nos prisons être gangrénées par ces idéologies, qui menacent aussi bien les personnes qui se trouvent au sein de ces établissements que celles qui sont à l’extérieur.

Je souhaite donc que les aumôniers pénitentiaires se voient confier la responsabilité de la liberté religieuse en prison et que l’on retire leur agrément à ceux qui ne consentent pas au respect des principes républicains et de l’ordre public.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Cet amendement vise à durcir les conditions d’exercice du culte en prison.

Le premier ajout risque de complexifier le droit existant. Il prévoit l’exercice du culte « sous la responsabilité des aumôniers », en empiétant sur les responsabilités du chef d’établissement, lequel doit selon nous conserver ses compétences en la matière.

Le second ajout proposé est satisfait par le droit actuel, qui conditionne déjà les pratiques religieuses en prison « au bon ordre de l’établissement et à la sécurité », et prévoit évidemment des procédures de qualification et d’agrément des aumôniers.

En conséquence, la commission sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

M. le président. Madame Delattre, l’amendement n° 151 rectifié est-il maintenu ?

Mme Nathalie Delattre. Non, je le retire, monsieur le président.

Article additionnel après l'article 46 - Amendement n° 151 rectifié
Dossier législatif : projet de loi confortant le respect des principes de la République
Article additionnel après l'article 46 - Amendement n° 453 rectifié bis

M. le président. L’amendement n° 151 rectifié est retiré.

Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 567 rectifié, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 46

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le d de l’article 18-2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique est abrogé.

La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. La loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique oblige les représentants d’intérêts à déclarer leurs relations avec le Parlement.

La loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance a introduit dans ce dispositif une dérogation pour permettre aux associations à objet cultuel d’échapper à ce contrôle et à la nécessaire déclaration des représentants d’intérêts. Nous dénonçons ce recul à travers cet amendement et nous souhaitons revenir à l’esprit de la loi du 11 octobre 2013 dans toute sa rigueur.

Article additionnel après l'article 46 - Amendement n° 567 rectifié
Dossier législatif : projet de loi confortant le respect des principes de la République
Article 46 bis (nouveau)

M. le président. L’amendement n° 453 rectifié bis, présenté par Mme Conway-Mouret, M. Sueur, Mmes Harribey et de La Gontrie, M. Assouline, Mmes S. Robert, Monier et Meunier, MM. Marie et Magner, Mme Lepage, MM. Féraud, Leconte, Lozach, Kerrouche, Kanner, Bourgi, Durain, Redon-Sarrazy, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet et Conconne, M. P. Joly, Mme Jasmin, MM. Gillé, Raynal, Mérillou, Lurel, Temal, Tissot, Jacquin, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 46

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le d de l’article 18-2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique est complété par les mots : « , dans leurs relations avec le ministre et les services ministériels chargés des cultes ».

La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.

Mme Hélène Conway-Mouret. Le chapitre Ier du titre II du présent projet de loi ayant trait à la transparence des cultes, cet amendement prévoit de réintroduire les associations cultuelles dans le champ du répertoire numérique qui assure l’information des citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les pouvoirs publics, créé par la loi du 11 octobre 2013 précitée.

La montée en puissance de l’exigence de transparence de la vie publique s’est notamment manifestée par la mise en place de diverses mesures de lutte contre les conflits d’intérêts.

À l’instar de la quasi-totalité des corps intermédiaires assurant une fonction sociale ou morale, les associations cultuelles ont donc été considérées comme pouvant avoir le statut de représentant d’intérêts, à l’exception cependant des rapports qu’elles entretiennent avec le ministère de l’intérieur.

Cette obligation déclarative a cependant été supprimée par l’article 65 de la loi du 18 août 2018, de telle sorte que ces dernières ne sont désormais soumises à aucune obligation déclarative.

Les auditions actuellement menées à l’Assemblée nationale par la mission de suivi et d’adaptation de la loi Sapin 2 attestent du désir de tous les acteurs judiciaires, administratifs et politiques de renforcer le contrôle des interlocuteurs ordinaires de l’administration, lorsque ces échanges peuvent avoir pour objet de modifier une disposition de nature normative. Dans ce contexte, l’exception dont bénéficient les associations cultuelles devient délicate à défendre.

Par ailleurs, en l’absence de définition légale d’une association cultuelle, la rédaction actuelle de l’article 18, alinéa 2, conduit à priver la loi d’une partie de son objet.

Il apparaît difficile de continuer à justifier une telle exemption à l’heure où le Gouvernement désire justement s’assurer d’un meilleur contrôle de l’action de ces associations.

Mieux encore, dans un contexte où les obligations déclaratives sont renforcées pour tous, maintenir les seules associations cultuelles en dehors de celles-ci créerait un régime dérogatoire lourd de conséquences juridiques, qui risquerait de laisser demain aux seuls juges la charge d’en apprécier la légalité, si ce n’est la constitutionnalité, au regard du principe d’égalité devant la loi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Ces amendements tendent à inclure les associations cultuelles dans le répertoire numérique des représentants d’intérêts.

Le Sénat a rejeté à plusieurs reprises une telle proposition pour lui préférer l’exclusion totale des associations cultuelles d’un tel registre, et ce pour plusieurs raisons.

D’une part, la soumission des représentants des cultes à de telles obligations semble difficilement compatible avec le respect de la liberté de conscience et le libre exercice des cultes, garantis par l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905.

D’autre part, un risque d’inégalité de traitement entre les cultes ne peut être exclu, leurs disparités d’organisation se traduisant paradoxalement par davantage d’exigences à l’égard des cultes les plus structurés.

Enfin, l’amendement n° 453 rectifié bis tend à une exclusion partielle du répertoire numérique des représentants d’intérêts pour les seules relations entretenues avec le ministère de l’intérieur : une telle disposition ne refléterait pas la réalité des relations que ces associations entretiennent traditionnellement avec d’autres représentants de l’État, notamment dans le domaine de la culture ou de la fiscalité, ou encore avec les élus locaux.

Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Je me permets d’insister, monsieur le ministre. Jusqu’à présent, du 11 octobre 2013 au 10 août 2018, les associations cultuelles étaient soumises à cette déclaration, comme toutes les associations.

Il ne s’agit donc pas d’organiser un nouveau régime, mais de revenir au régime antérieur, auquel la loi de 2018 a dérogé pour les associations cultuelles.

Je prends un exemple au hasard, monsieur le ministre (Sourires.) : l’association Millî Görüs peut contacter tous les groupes politiques du Sénat sans avoir besoin de déclaration, ce qui ne sera pas le cas de la Conférence des présidents d’université…

Expliquez-moi la logique, alors que cette loi vise précisément à encadrer l’activité des associations culturelles à vocation cultuelle ? Il ne me semble absolument pas cohérent avec l’esprit de ce texte de dispenser ces associations de déclaration dans leur relation avec la représentation nationale.

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour explication de vote.

Mme Hélène Conway-Mouret. J’irai dans le sens de mon collègue Pierre Ouzoulias, même si notre amendement est un peu moins restrictif que le sien.

Pour vous répondre, madame la rapporteure, si nous avons exclu le ministère de l’intérieur, c’est parce qu’il est en charge des cultes.

J’ai beaucoup de mal à comprendre les raisons d’une telle dérogation. Les représentants des cultes sont des influenceurs d’opinions, et ils seraient les seuls à pouvoir prendre rendez-vous sans être répertoriés comme toutes les autres associations ?

Dans l’intérêt même de ces associations cultuelles, il me semble utile de les réintroduire dans le champ des obligations déclaratives de l’article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013, dont elles ont été soustraites en 2018.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Nous ne créons rien dans ce texte, ma chère collègue. Nous ne souhaitons pas toucher au droit existant.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 567 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 453 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 46 - Amendement n° 453 rectifié bis
Dossier législatif : projet de loi confortant le respect des principes de la République
Article 47 (Texte non modifié par la commission)

Article 46 bis (nouveau)

Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :

1° Au deuxième alinéa de l’article L. 132-5, les mots : « et à la prévention de la récidive » sont remplacés par les mots : « , à la prévention de la récidive et aux actions de prévention de la radicalisation » ;

2° À la deuxième phrase du deuxième alinéa de l’article L. 132-13, les mots : « et à la prévention de la récidive » sont remplacés par les mots : « , à la prévention de la récidive et aux actions de prévention de la radicalisation ». – (Adopté.)

TITRE IV

Dispositions relatives à l’outre-mer

Article 46 bis (nouveau)
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Article 48

Article 47

(Non modifié)

I. – L’article 43 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État est ainsi rédigé :

« Art. 43. – La présente loi est applicable en Guadeloupe, en Martinique, à La Réunion, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.

« Pour l’application de la présente loi à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin :

« 1° Les références à la commune, à la collectivité territoriale et au département sont remplacées par la référence à la collectivité ;

« 2° Les références au représentant de l’État dans le département et au préfet de département sont remplacées par la référence au représentant de l’État dans la collectivité ;

« 3° Les références au conseil de préfecture et au conseil municipal sont remplacées par la référence au conseil territorial ;

« 4° La référence au maire est remplacée par la référence au président du conseil territorial. »

II. – La loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes est complétée par un article 7 ainsi rédigé :

« Art. 7. – La présente loi est applicable en Guadeloupe, en Martinique, à La Réunion, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.

« Pour l’application de la présente loi à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin :

« 1° Les références à la commune et au département sont remplacées par la référence à la collectivité ;

« 2° La référence au préfet de département est remplacée par la référence au représentant de l’État dans la collectivité ;

« 3° La référence au maire est remplacée par la référence au président du conseil territorial. »

III. – Le décret du 6 février 1911 modifié déterminant les conditions d’application à la Martinique, à la Guadeloupe et à La Réunion des lois sur la séparation des Églises et de l’État et l’exercice public des cultes est abrogé.

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, sur l’article.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen des dispositions relatives à l’outre-mer ira sûrement très vite, mais je me permets d’attirer votre attention sur les équilibres cultuels et religieux existant dans nos collectivités ultramarines, qui, au fil des siècles, ont vivement contribué à la construction de nos territoires.

Aujourd’hui, l’application du principe de laïcité dans les territoires ultramarins, bien que non homogène, ne semble pas poser de problème particulier.

Des cas spécifiques existent. Ainsi, à Wallis-et-Futuna, l’enseignement primaire est totalement concédé au diocèse catholique du territoire. À Saint-Pierre-et-Miquelon, les édifices du culte appartiennent aux communes, alors que l’évêché demeure la propriété de la mission catholique. À La Réunion, où coexistent plusieurs communautés religieuses ou encore à Mayotte, où une grande majorité de la population est de confession musulmane, les pratiques cultuelles et les croyances ne viennent pas remettre en cause les principes de la République. Je n’insisterai pas sur le cas de la Guyane, qui sera évoqué tout à l’heure, me semble-t-il.

Cette application variable résulte de la diversité du religieux ultramarin et de l’histoire spécifique de ces territoires, du statut juridique de chacun lors de l’extension ou non de la loi du 9 décembre 1905 aux anciennes colonies françaises, mais aussi des changements législatifs survenus depuis lors.

Les tentations d’homogénéiser avec l’Hexagone sont grandes, mais il faut faire extrêmement attention à ne pas bouleverser les équilibres sociaux existants. (M. Loïc Hervé applaudit.)

M. le président. L’amendement n° 568 rectifié, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéas 2 et 9

Après les mots :

en Guadeloupe,

insérer les mots :

en Guyane,

La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. En Guyane, depuis l’ordonnance royale de 1828, la religion catholique est la seule religion de l’État en Guyane. Ainsi, les ministres du culte sont payés par la collectivité de Guyane. En vertu de ce statut, aujourd’hui archaïque, l’État fixe également le montant du casuel.

Le législateur avait prévu l’application de la loi de 1905 à la Guyane par un décret. Ce décret a été pris en 1907 pour la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, sauf pour la Guyane. Cette non-application est une décision arbitraire de l’exécutif qui n’a pas souhaité aller jusqu’au bout de l’intention du législateur de 1905.

Au moment de la départementalisation de la Guyane, l’application de la loi de 1905 à la Guyane a été une nouvelle fois repoussée par une nouvelle décision arbitraire de l’exécutif pour les mêmes raisons.

Depuis lors, la situation a changé. L’Église catholique et la collectivité de Guyane sont convenues à très court terme de l’abandon de ce régime dérogatoire. Seuls les quelques prêtres toujours en exercice – ils sont moins d’une dizaine – sont encore payés par la collectivité. Ils le seront jusqu’à leur retraite, après quoi ce système s’éteindra.

Le présent amendement vise à accompagner par le droit la procédure en cours d’abandon d’un système que tout le monde juge archaïque.

C’est une nécessité morale, car les autres cultes n’ont aucun droit en Guyane, alors qu’ils sont aujourd’hui majoritaires.

Enfin, l’État a besoin des dispositions sur la police des cultes de la loi de 1905 pour organiser et contrôler les cultes en Guyane. En 2000, la mission interministérielle de lutte contre les sectes considérait que certaines communautés religieuses étaient « patrimonialement mieux dotées et probablement plus discrètement ingérantes qu’ailleurs ».

Le présent texte vise à mieux contrôler l’activité de certaines Églises. Or la frontière de la Guyane avec le Brésil est poreuse, ce qui rend possible l’installation de nombreuses Églises.

Il me paraît nécessaire que la loi de 1905 prévale en Guyane, d’une part pour que toutes les religions soient reconnues, et d’autre part pour que le droit s’y applique normalement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Cet amendement tend à prévoir l’application de la loi 1905 en Guyane. La commission des lois partage les propos de notre collègue Thani Mohamed Soilihi : nous estimons que les équilibres qui prévalent dans les territoires d’outre-mer sont le fruit des histoires particulières de ces derniers, et qu’il convient d’en tenir compte.

Si toutefois un débat devait être ouvert, ce texte ne nous paraît pas le véhicule législatif adéquat pour le trancher. Il nous semble qu’il faudrait au préalable réunir autour de la table les Guyanais, le Gouvernement et les élus.

Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. La ligne du Gouvernement est claire : en Alsace-Moselle comme dans les territoires ultramarins – en Guyane, mais aussi dans l’océan Indien ou dans le Pacifique – nous ne souhaitons pas remettre en cause les équilibres hérités de l’histoire de la République. Nous sommes donc défavorables à toute modification de ces droits locaux, que nous respectons. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.

M. Pierre Ouzoulias. Lors des débats de l’Assemblée nationale constituante, le 14 mars 1946, l’ancien président du Sénat, Gaston Monnerville, alors député, déclarait : « Représentant de la Guyane à l’Assemblée nationale, je vote les lois proposées pour la métropole ou pour l’Afrique du Nord. Je contribue avec vous tous à l’administration de la communauté française, et bien des lois que je vote ici ne sont pas appliquées dans mon pays, qui reste soumis au régime des décrets. C’est une inconséquence qu’il faut dénoncer et que trop de gens ne connaissent pas. Disons-le ! C’est une absurdité qui ne peut pas durer, n’est-il pas vrai ? et qu’en tout cas un régime vraiment démocratique ne peut laisser subsister. […] Après la fraternité et la liberté, nous venons vous demander l’égalité devant la loi, l’égalité des droits. Nous vous demandons de compléter l’œuvre commencée avant vous et avant nous et de nous donner l’égalité dans la famille française. Ainsi, sera réalisée une œuvre démocratique indispensable. »

Chers collègues, soixante-quinze ans après l’adjuration du président Monnerville, votez pour que la Guyane accède enfin à l’égalité des droits et rejoigne ainsi complètement la nation française, pour que vive la République !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le ministre, je comprends que vous n’ayez pas souhaité remettre en cause l’ensemble de ces équilibres fragiles à l’occasion de l’examen de ce projet de loi. Toutefois, il me semble qu’un peu de pragmatisme n’aurait pas nui.

En effet, si l’on connaît l’attachement d’un certain nombre de territoires à leur statut particulier, il se trouve que d’autres, en particulier la Guyane, évoluent. Dans ce contexte, il serait bon de permettre aux collectivités locales dont le régime est aujourd’hui dérogatoire à la loi de la République, pour des raisons historiques, de rejoindre, si elles le souhaitent, le régime de droit commun.

Sans aller jusqu’à l’amendement de nos collègues, il me paraîtrait pragmatique et acceptable par tous de donner à ces collectivités locales la possibilité de choisir, sans y être forcées, d’opter pour le régime de droit commun.