Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous apercevons enfin la lumière au bout du tunnel dans lequel la covid-19 a enfermé l’Union européenne depuis déjà quinze mois. Même si la vigilance reste de mise à l’égard des variants, l’épidémie reflue et la vaccination accélère enfin. Ainsi, à ce jour, près de la moitié des adultes européens ont reçu au moins une dose de vaccin.

La liberté de circulation est en voie de rétablissement, grâce au certificat vert, créé par un règlement européen qui devrait être opérationnel d’ici à trois semaines. Toutefois, le retour à la normale ne sera possible qu’à la condition de rendre disponibles les vaccins aux quatre coins de la planète. L’Union exporte déjà la moitié de sa production de vaccins ; elle est aussi le plus important bailleur de fonds de Covax, l’initiative mondiale visant à garantir un accès équitable aux vaccins.

Vendredi, la Commission a aussi proposé d’utiliser les flexibilités de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce pour faciliter l’accès des pays vulnérables aux vaccins. Plutôt qu’une levée pure et simple des brevets, la Commission européenne propose ainsi de recourir aux licences obligatoires, mais aussi de faciliter la production de vaccins dans les pays en développement, en leur donnant accès aux ingrédients utiles, et de réduire les entraves aux exportations de vaccins.

Cette proposition sera discutée demain à l’Organisation mondiale du commerce. C’est à nos yeux une stratégie équilibrée, misant sur le multilatéralisme et garantissant une juste rémunération pour l’innovation. Sur ce sujet, le Président de la République a beaucoup tergiversé, se rangeant derrière l’Inde, l’Afrique du Sud et les États-Unis, pour finalement indiquer qu’il se déterminerait à la fin de l’année. Pourtant, le Conseil européen se tient dans quinze jours. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer quelle sera finalement sa position ?

La seconde dimension du retour à la normale est la relance. Sur ce front aussi, nous avons matière à nous réjouir : un grand pas a été franchi avec la ratification par tous les États membres de la décision « ressources propres », qui ouvre la voie à l’emprunt mutualisé sur lequel repose le plan de relance européen. Parallèlement, il est désormais acquis que les règles budgétaires du pacte de stabilité et de croissance resteront suspendues en 2022. C’est une bonne nouvelle.

Enfin, le Parquet européen a commencé ses activités le 1er juin à Luxembourg, ce qui contribuera à assurer le bon usage des milliards d’euros que mobilise l’Union européenne pour la relance.

Je dois toutefois avouer quelques motifs d’inquiétude.

Le premier concerne les délais de mise en œuvre du plan de relance. Notre pays a présenté son plan national de relance et de résilience dans les délais, avant la fin du mois d’avril. Pouvez-vous nous indiquer où en sont vos échanges avec la Commission sur ce sujet ? Surtout, pouvons-nous compter sur les premiers versements de l’Union – tant promis – dès le mois de juillet, comme annoncé initialement ?

Mon second motif d’inquiétude porte sur la conditionnalité liée au respect de l’État de droit.

Lors du Conseil européen de décembre dernier, les dirigeants européens sont convenus de conditionner le versement des fonds européens au respect de l’État de droit. Le mécanisme alambiqué mis en place a depuis lors été contesté par la Hongrie et la Pologne, qui ont demandé son annulation à la Cour de justice de l’Union européenne. Dans l’attente de sa décision, et malgré la pression du Parlement européen, la Commission européenne n’a toujours pas présenté les lignes directrices de la mise en œuvre de ce mécanisme, si bien que celui-ci ne peut être activé, alors même que la dérive de certains États membres se poursuit, voire s’accélère. Il y a trois jours, la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe déplorait notamment une « détérioration notable de la liberté d’expression et de la liberté des médias [en Slovénie] ».

La France fera-t-elle part au Conseil européen de sa préoccupation à cet égard ? Soulignera-t-elle, notamment, la nécessité d’une réaction rapide de la Slovénie, alors même que ce pays s’apprête à présider le Conseil de l’Union européenne dès le 1er juillet pour les six prochains mois ?

Je ne m’étendrai pas sur le volet extérieur de l’ordre du jour du Conseil européen. La question migratoire et celle des relations extérieures de l’Union européenne avec la Turquie et la Russie seront notamment abordées. Vous avez en outre déjà largement évoqué le sujet de la Biélorussie, monsieur le secrétaire d’État. Permettez-moi toutefois de citer un sujet de relations extérieures que le Conseil européen ne saurait négliger : notre relation avec le Royaume-Uni, évoquée par Pascal Allizard.

Lors du Conseil extraordinaire du 24 mai dernier, les dirigeants européens se sont penchés sur le sujet. Ils ont rappelé que l’accord de commerce et de coopération conclu entre l’Union européenne et le Royaume-Uni était entré en vigueur le 1er mai dernier et que, avec l’accord de retrait et ses protocoles conclus en octobre 2019, il constituait le cadre de la nouvelle relation euro-britannique. Les dirigeants européens ont appelé la Commission à poursuivre ses efforts « pour assurer la mise en œuvre intégrale [de ces deux] accords, notamment dans les domaines des droits des citoyens de l’Union européenne, de la pêche et de l’égalité des conditions de concurrence, en faisant pleinement usage des instruments prévus par les accords […] et en dialoguant de manière permanente avec le Conseil ».

Monsieur le secrétaire d’État, vous connaissez ma sensibilité sur ce dossier – vous l’avez d’ailleurs évoquée. Notre commission vous entendra, ainsi que Mme Girardin, dans quelques jours sur le sujet de la pêche. Pouvez-vous toutefois d’ores et déjà nous indiquer si nous pourrons compter sur la mobilisation et la détermination du Gouvernement, dans les jours et les semaines à venir, pour régler ces questions qui devraient déjà l’être ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville.

M. Franck Menonville. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de notre dernier débat préalable, j’ouvrais mon propos en évoquant les tensions entre la Commission européenne et l’entreprise AstraZeneca. Depuis lors, la politique vaccinale européenne s’est beaucoup accélérée et l’horizon se dégage. L’Union européenne prend aujourd’hui toute sa part en matière de solidarité internationale. Cette bataille contre le virus – faut-il le rappeler ? – se gagnera à l’échelle planétaire. Le volet industriel, piloté par le commissaire Thierry Breton, s’est également accéléré ; il faut le saluer.

Après l’ouverture de la vaccination à tous les adultes en France et la gestion de la question cruciale de la distribution et des livraisons, c’est désormais la gestion des variants qui doit nous mobiliser. Là aussi, l’Union paraît se préparer à une réaction rapide. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous le confirmer ?

Les frontières de l’Union européenne commencent à se rouvrir, particulièrement avec la saison estivale qui débute. Qu’en est-il donc du certificat vert numérique, dont la mise en œuvre est prévue au 1er juillet prochain ?

Le second volet de la crise que nous traversons – cela a été rappelé – est évidemment économique. Cette fois, la question est à l’ordre du jour du Conseil européen.

Le plan de relance européen a enfin été ratifié par tous les États membres. Nous en espérons les versements dès juillet prochain. Est-ce réaliste ?

Je tiens également à souligner l’avancée historique conclue ce week-end par le G7 Finances dans le combat contre l’évasion et l’optimisation fiscales. En instaurant un taux mondial d’imposition d’au moins 15 % des multinationales, le G7 a fait preuve de direction collective et d’un souci de justice pour les classes moyennes. C’est une avancée considérable sur laquelle l’Europe doit capitaliser pour poursuivre la convergence fiscale et sociale, mais aussi aider à libérer nos énergies et notre capacité à entreprendre.

Cette crise nous a aussi conduits à nous interroger plus particulièrement sur nos dépendances. Le redressement économique doit passer par plus de souveraineté. C’est d’autant plus vrai pour le secteur de l’alimentation. La PAC en est bien sûr le cœur.

La défense des grands équilibres est primordiale. L’échec dans la recherche d’un accord lors du dernier trilogue laisse la place à une situation qui nous préoccupe. Nous avons besoin d’un accord sur la PAC, et rapidement. La limite, que la présidence portugaise a souhaité fixer à fin juin, approche à grands pas.

Le Conseil des ministres s’est prononcé en faveur d’un assouplissement des textes relatifs à la dimension environnementale de la PAC. Cette position me semble satisfaisante et représentative de la vision stratégique des États, notamment concernant les écorégimes. J’estime qu’un maintien de ces derniers à 25 % serait souhaitable.

L’avenir de l’Europe se joue également au niveau de ses frontières. Mercredi dernier, la Commission européenne a exposé des propositions de réforme de l’espace Schengen, avec comme priorité le renforcement des contrôles aux frontières attendu par de nombreux citoyens, l’objectif étant d’éviter que les États membres établissent des restrictions à leurs propres frontières.

À ce sujet, l’inefficacité de l’agence Frontex, de plus en plus critiquée, pose question. Quelles sont les positions de la France sur ces sujets, en particulier sur la révision des règles de l’espace Schengen ? Comment pouvons-nous mettre ces réflexions en lien avec la réforme de l’asile au niveau européen ?

La Commission européenne a profité de ces annonces pour inviter le Conseil européen à se positionner sur l’intégration dans l’espace Schengen de trois États membres : la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie. Quelle est la position de la France sur ce sujet ?

Reste la politique migratoire, qui demeure très complexe à dessiner à vingt-sept. Une nouvelle fois, nous avons assisté il y a quelques semaines à de terribles images, entre arrivées illégales et expulsions. L’Union ne peut plus sous-traiter sa politique migratoire à ses voisins. Bien loin de nous renforcer, cela nous fragilise – nous l’avons vécu récemment avec la Turquie.

Ce Conseil européen marque le retour des discussions sur notre relation avec la Turquie. Nos rapports sont instables, et nous ne pouvons considérer son dirigeant actuel comme un allié. À l’heure où un accord politique a été trouvé sur l’aide financière dans le cadre de l’instrument d’aide à la préadhésion dont la Turquie va bénéficier, nous devons nous interroger sur notre avenir commun. Or, à ce stade, l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne n’est ni souhaitable ni envisageable. Comme je l’ai déjà indiqué, la situation de ce pays au sein de l’OTAN interroge.

Enfin, le dernier volet de ce Conseil, et non des moindres, est notre stratégie face à la Russie. Nous devons mener une réflexion commune afin de définir notre position.

De manière plus large, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, avait indiqué lors de sa prise de fonction qu’elle souhaitait une Commission géopolitique. Force est de constater que, depuis, les crises politiques s’enchaînent et montrent la difficulté de répondre d’une seule voix. Pourtant, l’Europe doit absolument renforcer son poids politique et diplomatique dans le monde. Il y va de l’équilibre de ce monde. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, peut-on se laisser entraîner par la petite musique française dans la belle symphonie européenne du monde d’après qui commence ? Si oui, ce serait fait : l’Europe aurait carrément changé de logiciel !

L’Europe de la jungle concurrentielle, des contraintes du pacte de stabilité et de croissance, celle de l’obsession austéritaire, c’était avant ! Cap à présent sur le pacte Vert et la neutralité carbone, sur l’Europe sociale pour concrétiser la tenue des objectifs de Porto, sur les investissements dans les transitions d’avenir, avec l’élan de la relance, les promesses des ressources propres et de l’ajustement carbone aux frontières ! Cap sur la justice fiscale, avec le dispositif européen imposant la transparence aux multinationales et, surtout, avec l’avancée historique que constituerait la fixation, par le G7, d’un taux minimal d’imposition des sociétés au plan mondial à 15 % !

Monsieur le secrétaire d’État, comme on aimerait que se déroule aussi bien ce beau tapis vert de l’avenir européen et comme on voudrait que notre gouvernement joue véritablement un rôle moteur pour toutes ces belles avancées. Comme vous l’aurez compris, nous n’en sommes pas tout à fait convaincus.

Je concentrerai mon propos sur les deux enjeux que constituent la question fiscale et la question climatique en lien avec le pacte Vert.

Le tour des parlements nationaux de la décision sur les ressources propres – cela a été dit – a enfin été bouclé, débloquant ainsi la relance. Ces ressources propres doivent maintenant être mises en place progressivement. Mais avance-t-on vraiment au rythme programmé ? Déjà, la proposition législative qui devait être présentée en juin serait repoussée.

La taxation des entreprises a certes été spectaculairement relancée par le Président américain, qui a donné l’impulsion qu’on attendait – comme d’ailleurs il l’avait fait, à sa manière, sur les vaccins. Quelle leçon pour notre Europe, trop souvent poussive ! Le Président Biden avait d’ailleurs proposé 21 % de taxation au minimum. Qui a freiné, qui a réduit cette ambition, qui a proposé 12,5 %, pour finalement arriver à 15 % ? Non, notre pays ne passe pas pour moteur face à cette opportunité au niveau mondial de s’attaquer au règne du moins-disant fiscal ! D’un côté, Bruno Le Maire déclare que « l’Europe ne peut pas accepter des modèles économiques fondés sur le dumping fiscal », mais, de l’autre, il pose des actes qui sapent un peu l’ambition d’agir au bon niveau.

S’agissant de l’ajustement carbone aux frontières et de la taxe sur les transactions financières, la contribution française sera-t-elle du même ordre, avec un tel écart entre les discours et les actes ? L’ajustement carbone aux frontières n’est-il pas en passe d’être fragilisé, dénaturé, si la ligne française de maintien des quotas gratuits à nos industries les plus polluantes l’emporte ?

La future directive en faveur d’un reporting public et obligatoire des multinationales s’avérerait extrêmement efficace, puisqu’elle permettrait de vérifier que les impôts sont bien payés là où ils doivent l’être ; elle permettrait d’identifier les lacunes du système, de disposer des données pour agir afin de garantir la justice fiscale et de mettre fin à la concurrence déloyale fondée sur l’abus du système.

Nous ne voulons pas que soit réduite cette ambition. C’est pourquoi, comme je l’ai déjà indiqué, nous n’acceptons pas le principe de la clause de sauvegarde portée par le Gouvernement. Permettre aux multinationales de garder secrètes pendant cinq ou six ans des informations comptables basiques sous prétexte d’un possible préjudice à leur position commerciale affaiblirait considérablement l’exigence de transparence. Nous attendons des dirigeants européens qu’ils assurent un dispositif robuste pour s’attaquer avec sérieux au fléau de l’évasion fiscale.

Sur le pacte Vert et l’enjeu climatique, nous attendons le paquet législatif européen et le détail du partage de l’effort pour concrétiser la trajectoire d’une baisse de 55 % des émissions pour 2030 et la neutralité carbone d’ici à trente ans. Ce sera la contribution européenne au rendez-vous de Glasgow. Elle crédibilisera l’accord de Paris, de façon à peser, pour entraîner, si possible dans une même dynamique, les autres grands destructeurs du climat.

Où en est le pays garant des accords de Paris ? Tient-il pleinement son rôle leader exemplaire ? Le paquet législatif européen devra être au niveau, mais notre propre loi Climat ne peut être autant en deçà. Nos efforts nationaux de transition doivent être inscrits concrètement dans l’objectif européen de baisse de 55 %. Notre Sénat va, je le souhaite, afficher cette exigence. Il est nécessaire que notre gouvernement, par son action européenne sur l’enjeu climatique comme sur les défis fiscaux, se reprenne.

Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, adoncques, le compte à rebours est commencé : dans six mois et pour six mois, la France occupera la présidence du Conseil de l’Union européenne, un moment qui est devenu rare au fil des élargissements successifs. Ainsi la dernière présidence française remonte-t-elle à plus de treize ans.

À chaque fois, c’est un moment important, chargé de grands desseins pour le pays concerné et pour l’exécutif qui est à sa tête. En France, c’est même une occasion devenue unique, car la limitation de l’exercice présidentiel à deux quinquennats rend arithmétiquement impossible pour notre chef de l’État de présider deux fois ledit Conseil.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. C’est très bien ainsi !

M. André Gattolin. Angela Merkel, qui quittera prochainement ses fonctions, est d’ailleurs le seul dirigeant européen, depuis le grand élargissement de 2004, à avoir présidé par deux fois cette instance. Seul M. Viktor Orban, s’il était réélu une nouvelle fois en 2022, pourrait espérer égaler cet exploit. Brrr… Entre nous, je ne suis pas sûr qu’il s’agisse là d’une perspective très réjouissante pour l’avenir de l’Europe.

Au-delà des enjeux de politique interne immanquablement associés à chaque présidence tournante, ceux de nature proprement européenne sont de loin les plus importants, car ils portent ni plus ni moins sur la capacité de notre Union à répondre aux défis auxquels nous sommes collectivement confrontés. Or ces défis partagés – vous le savez, monsieur le secrétaire d’État – ne sont ni minces ni en nombre réduit. Quand on considère le temps que prennent les négociations pour trouver des accords à vingt-sept et le temps législatif nécessaire à la mise en œuvre des décisions prises, les six petits mois d’une présidence paraissent à la fois des plus succincts et d’une intensité presque angoissante. Aussi, le succès d’une présidence de ce type, outre son devoir de réagir avec dextérité à une éventuelle crise imprévue, repose sur sa préparation en amont, sur sa capacité à faire aboutir des initiatives engagées par les présidences antérieures et, enfin, sur sa faculté à proposer et à articuler des réponses nouvelles à des questions d’ampleur jusque-là peu ou insuffisamment traitées à l’échelon européen.

Pour en venir, après tous ces prolégomènes, à l’ordre du jour proprement dit du prochain Conseil européen, je dirai que les sujets mis en discussion illustrent, pour une fois, assez bien plusieurs des enjeux qui comptent parmi les plus structurants de l’Union aujourd’hui. Évidemment, on y parlera covid-19, notamment sous l’angle des campagnes de vaccination, de la question des nouveaux variants et du rétablissement de la libre circulation au sein de l’UE. La relance économique et l’état d’avancement du plan européen seront également à l’ordre du jour.

Les deux sujets – pandémie et relance de l’économie – sont assez étroitement liés. Sans qu’on puisse encore présager aujourd’hui une issue heureuse à très court terme, qui se traduirait par une pandémie durablement jugulée et par une reprise forte des économies européennes, ces dernières semaines ont tout de même apporté un lot appréciable de bonnes nouvelles.

Sous l’effet notamment de l’amplification des campagnes nationales de vaccination, la pandémie semble enfin régresser assez significativement dans toute l’Europe. L’adoption du pass sanitaire européen devrait rapidement permettre une large réouverture des frontières intraeuropéennes, facilitant notamment la reprise de l’industrie du tourisme, déterminante pour l’économie globale de nombreux États membres.

La ratification, au cours des deux dernières semaines, par des États membres qui ne l’avaient pas encore fait, du plan de relance européen ouvre enfin la voie à sa mise en œuvre officielle. Plusieurs pays, dont le nôtre, connaissent déjà un frémissement qui devrait s’amplifier au cours du second semestre de cette année.

À ces avancées indiscutables de l’Union, j’ajouterai volontiers la décision historique, prise la semaine passée par le G7, d’établir enfin une fiscalité minimale à l’encontre des grandes multinationales, ainsi qu’une meilleure répartition de la valeur entre les territoires qui sont à l’origine de la création de celle-ci. La mise en œuvre de cette décision reste encore à discuter, mais elle constituerait une réponse importante à la question du remboursement de la dette publique souscrite pour faire face à cette crise sans précédent depuis quatre-vingts ans.

Si l’Union et ses États membres ont à présent quelques bonnes raisons de renouer avec l’optimisme, il n’en demeure pas moins que des incertitudes continuent de peser et que certains points d’ombre pourraient entacher une très attendue sortie de crise.

Concernant le plan de relance européen et les plans nationaux qui lui sont adjoints, bien que d’une envergure sans précédent, ceux-ci ont été conçus au second semestre de 2020, à un moment où l’on pensait voir la pandémie refluer et la reprise très vite s’engager. Les prévisions de croissance de la Commission à l’époque n’envisageaient-elles pas un rebond de 6 % à 7 % de la croissance en 2021 ?

Avec les vagues successives de covid-19 qui se sont développées depuis et les incertitudes que font peser les nouveaux variants, pensez-vous, monsieur le secrétaire d’État, que les plans de relance conçus l’an passé sont encore à la hauteur des enjeux ? Devons-nous dès à présent envisager la préparation d’un second plan, et comment pourrions-nous le financer ? Les réticences déjà exprimées l’an passé par certains États ne risquent-elles pas de faire échouer, cette fois-ci, une telle initiative ?

Les migrations sont également à l’ordre du jour de ce Conseil, ce qui m’amène à faire un lien avec le point concernant la pandémie de covid-19. La vaccination constitue un enjeu colossal pour les pays en développement, particulièrement pour l’Afrique. Si nous échouons à nous montrer à la hauteur des besoins de nos partenaires africains, ne risquons-nous pas de nous trouver face à une vague renforcée de migration à destination de notre continent ?

Tout le monde s’accorde à dire aujourd’hui que les politiques de régulation des migrations de l’Union ne sont plus adaptées aux enjeux actuels et que le règlement Dublin II est une source de tensions dangereuses entre les États membres. Monsieur le secrétaire d’État, pensez-vous que nous serons en mesure de nous accorder sur une réforme de l’espace Schengen avant que l’Union européenne ne soit frappée par une nouvelle crise migratoire d’ampleur ?

Enfin – et ce n’est pas la moindre des ombres qui pèsent sur notre continent –, l’Union est aujourd’hui confrontée à quelques voisins au comportement des plus agressifs et inquiétants : Russie, Turquie, Biélorussie. À cette liste, on pourrait aisément ajouter la Chine, qui se comporte chaque jour davantage en rivale systémique plutôt qu’en partenaire de confiance.

Pour le coup, il faut saluer le fait que l’ordre du jour du prochain Conseil européen ne soit cette fois-ci ni à rebours ni hors sol. Il devrait être l’occasion d’un passage en revue approfondi de nos relations avec la Fédération de Russie ; c’est une bonne chose. On le sait, cet important voisin procédera en septembre prochain à des élections législatives dont on peut malheureusement penser qu’elles ne seront ni libres ni équitables. On sait aussi que nos approches entre États membres à son endroit sont loin de converger.

Là encore, monsieur le secrétaire d’État, pensez-vous que nous serons en mesure d’accorder nos violons lors de ce Conseil européen ou faudra-t-il attendre l’issue des élections fédérales en Allemagne, et les longues négociations de construction d’une coalition gouvernementale qui suivront, pour harmoniser nos positions ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Alain Richard. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, depuis quelques semaines, un peu partout en Europe, les États membres sont entrés dans une nouvelle ère, celle du possible retour à une vie normale. Un temps critiquée pour son démarrage plutôt lent, il faut aujourd’hui reconnaître que la stratégie européenne de vaccination ne fonctionne pas si mal.

Nous devons néanmoins rester vigilants au regard de la situation mondiale. Il suffit d’observer les difficultés sanitaires en Asie, une région auréolée, hier, pour sa gestion de la pandémie. Une fois de plus, l’ampleur de cette pandémie invite à l’humilité et à une certaine retenue dans la critique des politiques publiques en la matière.

Dans ces conditions, comment aborder l’avenir ? La Commission européenne a proposé de réviser la recommandation encadrant les restrictions de déplacements non essentiels dans l’Union européenne. C’est une bonne chose ; on ne peut que partager cette orientation, qui s’inscrit dans la logique de l’accord interinstitutionnel trouvé sur le certificat covid numérique de l’Union européenne. Le groupe du RDSE a déjà eu l’occasion d’affirmer son soutien à ce certificat, sous réserve que celui-ci ne constitue ni un outil discriminatoire ni un billet pour la captation des données personnelles.

Notre salut dépend aussi de la situation vaccinale sur les autres continents. La pandémie ne sera terminée qu’après la vaccination d’au moins 70 % de la population mondiale. Il faut souligner l’effort de solidarité qu’a consenti l’Europe, dont près de 40 % de la production de doses a été exportée pour contribuer à la lutte contre la pandémie.

Je citerai toutefois un autre chiffre : seuls 2,1 % des Africains ont reçu au moins une dose. À l’évidence, c’est bien trop peu. À moins que la levée des brevets apparaisse comme l’alternative au partage des doses ? On entend bien souvent au sein du Gouvernement que cette question ne serait pas taboue, mais cette sémantique n’est pas tout à fait une approbation claire. Monsieur le secrétaire d’État, qu’en est-il exactement de la position française ?

Vendredi dernier, la Commission européenne semble avoir fait un petit pas en proposant d’utiliser les flexibilités de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, les fameuses licences obligatoires. L’Europe apparaît toutefois de plus en plus isolée face à la demande de levée pure et simple des brevets.

Mes chers collègues, bien que la situation sanitaire ne soit pas stabilisée, il faut préparer le monde d’après, celui du retour à une croissance économique durable. Dans cette perspective, notre pays pourra abonder son plan national pour la reprise et la résilience grâce aux fonds européens qui seront très vite débloqués.

Monsieur le secrétaire d’État, vous le savez, la Commission veillera à ce que la France engage un certain nombre de réformes structurelles. Quelles sont les réformes qui entreraient dans le champ des exigences européennes ? Dans notre plan national, il est par exemple question d’encourager la solidarité entre les générations. La réforme des retraites pourrait-elle faire partie des projets à court terme ? Cette réforme semble revenir dans le débat public. Est-ce vraiment le moment, alors que la cohésion nationale doit être préservée à tout prix ?

La Commission exige également que nos politiques investissent six domaines d’action, dont celui de la transition écologique. Je m’inquiète toutefois d’une petite contradiction : alors qu’il est, à juste titre, exigé de verdir notre économie, dans le même temps, certaines mesures de la PAC vont à l’encontre d’un développement durable. Je citerai un seul exemple : les aides au maintien du secteur de production biologique sont menacées, alors que l’objectif de 15 % de surfaces cultivées en bio ne sera probablement pas atteint l’année prochaine. J’ai eu l’occasion de le rappeler la semaine dernière lors du débat sur le pacte Vert : le verdissement de l’agriculture est non négociable.

Dans ce monde d’après, le nécessaire retour à une plus grande autonomie industrielle au sein de l’Union européenne alimente également les discussions. Le groupe du RDSE partage fortement cet objectif. Dans cette perspective, comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, la France a souvent défendu la lutte anti-dumping. L’instauration d’un taux mondial d’imposition minimum des sociétés est donc une bonne nouvelle, mais le taux de 15 % sera-t-il suffisant pour instaurer une concurrence plus équitable ? Probablement pas !

Enfin, le débat sur le remboursement de la dette commence à émerger chez les partisans de l’orthodoxie budgétaire. Le pacte de stabilité et de croissance est suspendu, et c’est une bonne chose que son rétablissement ne soit pas prévu au moins avant 2023. Il faudra de toute façon rediscuter des règles au regard des lignes que la pandémie a permis de franchir dans le domaine budgétaire.

À mon sens, la question serait plutôt : ne faudrait-il pas un second plan de relance, comme le défend le commissaire à l’économie Paolo Gentiloni ? Le Président de la République a évoqué la possibilité de défendre un nouveau plan d’investissements massifs. Vous-même, monsieur le secrétaire d’État, avez suggéré la création d’une capacité d’investissement commune. Comment ce plan s’articulerait-il avec la nouvelle stratégie industrielle que propose la Commission ?

Par ailleurs, l’Europe ne devrait-elle pas profiter de l’élan impulsé en matière économique pour relancer l’Union pour la Méditerranée ? L’intégration régionale que promeut cet accord est trop lente, alors que les pays d’Afrique du Nord rencontrent de véritables difficultés économiques. L’Europe a tout intérêt à soigner cette zone au regard des défis migratoires qu’elle impose aux frontières extérieures de l’Europe. Nous l’avons encore tristement constaté récemment, avec les images bouleversantes de Ceuta.

Si le Maroc et la Turquie ont les mains libres pour exercer sans état d’âme un chantage migratoire, n’est-ce pas aussi parce que l’Europe n’a pas suffisamment consolidé sa politique migratoire ? La politique européenne d’externalisation, qui revient à déléguer le contrôle de ses frontières, trouve ici ses limites. L’augmentation des moyens de Frontex n’est pas non plus une réponse suffisante, d’autant que la Cour des comptes européenne vient de dresser un tableau sévère du fonctionnement de l’agence.

Il faudra rapidement trouver des mécanismes permanents et solidaires de régulation conformes à la tradition d’accueil de l’Union européenne, ce que le pacte sur les migrations en discussion ne promet pas complètement.

M. le ministre des affaires étrangères a évoqué ici, il y a quelques semaines, lors de l’examen du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, la « diplomatie des valeurs » menée par la France. On ne peut qu’encourager notre pays à exercer une telle diplomatie pour peser dans le sens d’un monde plus solidaire à tous les niveaux : sanitaire, économique et humanitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)