M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les lois RCT, NOTRe et Maptam ont conduit les gouvernements de droite et de gauche à une erreur de jugement considérable depuis plus de dix ans. Le grand bazar administratif ainsi créé éloigne les centres de décision du terrain et, donc, des Français.

Nos compatriotes ne savent plus à quelle porte taper, ils n’ont plus de réponse à leurs interrogations. Perdus dans ce dédale administratif, ils en oublient aussi le chemin qui mène aux urnes. Vos réformes, mes chers collègues, ne sont pas étrangères à l’abstention massive.

Le texte que nous allons examiner lors des prochaines semaines était censé être le grand acte de décentralisation, déconcentration, différenciation et décomplexification. À cette loi dite 4D, j’en ajouterai un cinquième, le D de « déception », car son contenu est finalement sans ambition.

Il est assez paradoxal pour le Gouvernement de vouloir faire de la Nation une start-up sans remettre en cause la suradministration, semblable en de nombreux points à celle de la fin de l’Ancien Régime, lorsque l’on critiquait l’enchevêtrement des bailliages, des sénéchaussées, des provinces, des gouvernements, des généralités… Pour exemple, un Marseillais a huit niveaux d’administration au-dessus de la tête : la mairie de secteur, la mairie centrale, le conseil de territoire, la métropole, le département, la région, l’État et, bien évidemment, l’Europe. Cet entassement de strates est une source de confusion, un frein à la démocratie, un accélérateur de dépenses publiques et de clientélisme.

Au lieu de donner un coup d’arrêt à cette situation et de mettre en œuvre une réforme organique, ce texte partiel va grossir la tour de Babel administrative de dispositions nouvelles sans cohérence ni sans plus de simplicité, alors qu’il eut fallu, au contraire, simplifier radicalement.

Nos communes sont la cellule de base de notre corps national. La majorité d’entre elles sont rurales et leurs conseillers municipaux en grande partie bénévoles. En cette période de politique bashing, il n’est pas inutile de le rappeler. Ces élus sont au contact des réalités et, donc, des besoins, servant l’intérêt général dans des conditions chaque jour plus difficiles en raison justement des contraintes imposées par des intercommunalités et des monstropoles toujours plus avides de prérogatives et de pouvoirs, sans qu’elles aient d’ailleurs la capacité de les assumer.

L’impératif premier d’une loi de décentralisation doit être le principe de subsidiarité : la responsabilité de l’action publique doit revenir à l’échelon le plus proche des sujets concernés, mais c’est l’inverse qui se produit !

À force d’imposer la rationalisation administrative et l’idéologie du déracinement permanent, on fait table rase des communes et des départements, ces collectivités locales connues et reconnues pour leurs compétences et leur réactivité au profit de structures informes, aussi désincarnées qu’inefficaces.

La coopération intercommunale pourrait être mise en œuvre par les conseils départementaux avec un maillage cantonal, plutôt qu’imposée par un EPCI.

Si les métropoles sont des réalités économiques, la légitimité de l’administration métropolitaine doit être remise en cause. Cela équivaudrait à supprimer une strate administrative et conférerait de l’envergure au mandat départemental.

En pleine crise institutionnelle et démocratique, nous avons l’opportunité de pousser jusqu’au bout la logique de la différenciation en redéfinissant des régions à taille humaine et dont la réalité géographique et historique serait cohérente.

Le triptyque État-département-commune est l’aboutissement de cette décentralisation-différenciation. C’est autour de ce triptyque que je vous invite, mes chers collègues, à orienter nos travaux.

M. le président. La parole est à M. Alain Marc. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. François Calvet applaudit également.)

M. Alain Marc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le fameux millefeuille territorial a déjà été suffisamment éprouvé par les coups que le quinquennat précédent lui a infligés.

Votre expérience au sein de la Haute Assemblée et les consultations que vous avez menées, madame la ministre, vous ont permis de constater que les élus ne voulaient pas d’un grand chambardement, mais souhaitaient plus de facilités pour exercer leur action publique.

Il n’empêche que la situation sur le terrain n’est pas évidente. Par nature, l’exercice des mandats locaux est difficile. Les élus sont au contact de nos concitoyens, de leurs difficultés et de leurs insatisfactions. Mais d’expertises techniques en rescrits, menacés par le risque pénal, ils sont sur un chemin de crête qui s’apparente de plus en plus, hélas, à un chemin de croix.

Je prendrai un exemple, dont je viens de prendre connaissance par SMS. Un maire aveyronnais vient d’être condamné à six mois de prison avec sursis pour un accident mortel survenu lors d’une fête : un jeune est décédé après être passé au-dessus d’un mur, en dehors du périmètre de cette fête. Cet élu fait bien sûr appel.

Certains de mes collègues regrettent que le projet de loi que vous soumettez à notre examen ne soit pas plus ambitieux. Je comprends ces regrets, mais je veux rappeler que, en deux ans, nous avons déjà voté la loi Engagement et proximité et la loi Accélération et simplification de l’action publique, et ce alors que les élus ont eu une crise sanitaire historique à gérer. Je veux aussi rappeler que, en France, la technocratie enveloppe d’obstacles toutes les meilleures volontés. L’ultime version de l’attestation de déplacement dérogatoire rappellera à ceux qui pourraient l’avoir oublié toute l’étendue du génie administratif français.

Il convient, autant que faire se peut, de préserver nos collectivités territoriales d’un mal qui n’épargne aucun domaine dans notre pays : l’inflation normative. Nous devons nous attacher à ne voter que des dispositions utiles et intelligibles.

Certes, le contexte des élections départementales et régionales n’a pas permis d’associer nos élus dans les meilleures conditions, mais la commission des lois, dont je salue le travail, s’est employée à enrichir au mieux ce projet de loi dans un délai très réduit. Nous nous félicitons ainsi de l’adoption de plusieurs dispositions visant à accroître la liberté des collectivités territoriales. C’est notamment le cas de celle qui permet le transfert de compétences à la carte entre les communes et les EPCI, ou encore de celle qui supprime le caractère obligatoire du transfert de la compétence « eau et assainissement ». Je rappelle que cette dernière disposition répond au souhait de très nombreux élus.

Notre groupe partage de nombreux objectifs de la commission. Nous doutons cependant que la simplification du droit puisse être réalisée par la création de nouvelles dispositions, quand bien même il s’agirait de dérogations.

Il est devenu indispensable d’éclaircir la mangrove normative si nous voulons qu’élus et administrés puissent s’y retrouver. Pour cela, nous vous proposerons, mes chers collègues, de voter des amendements visant à remettre les choses dans l’ordre et à apporter davantage de clarté et de simplicité.

Les premiers d’entre eux ont pour objet de donner son plein effet au principe « silence gardé vaut acceptation ». Ce principe, qui replace l’administration au service des élus et des citoyens, existe déjà dans notre droit, mais les exceptions ont détrôné la règle. Son application est trop souvent neutralisée par une liste de dérogations qui est le fruit de l’administration et sur laquelle le Parlement n’a pas de contrôle. Ces amendements, portés par notre collègue Dany Wattebled, reprennent ceux qui avaient été adoptés par le Sénat lors de l’examen de la loi Accélération et simplification de l’action publique.

Dans le même objectif, nous soutiendrons le rétablissement de l’article 35 portant l’expérimentation d’une recentralisation du RSA. Les finances de nombreux départements sont grevées par la charge que représente cette allocation. Nous estimons qu’il faut permettre aux départements qui le souhaitent de solliciter une recentralisation.

L’ensemble de ces amendements a le même objectif : redonner des marges de manœuvre aux élus locaux. Nous savons tous ici que nos concitoyens se tournent en priorité vers les élus les plus proches d’eux, au premier rang desquels se trouvent les maires. Ce sont les élus locaux qui connaissent le mieux les spécificités de leur territoire et les attentes de leurs administrés. Il faut leur donner les moyens de résoudre les difficultés qui se posent à eux.

Au fil des fusions, nous avons tous pu constater que la mise en place de collectivités de grande taille ne permettait pas toujours l’organisation la plus efficiente. Les grandes régions n’ont pas permis d’atteindre les économies escomptées et ont parfois même entraîné d’absurdes dépenses supplémentaires.

M. Alain Marc. En misant sur la proximité, en faisant confiance aux territoires et en jugulant l’inflation normative, nous pourrions faire mentir Pierre Daninos, qui considérait que, « de tous les pays du monde, la France est peut-être celui où il est le plus simple d’avoir une vie compliquée et le plus compliqué d’avoir une vie simple ». (Sourires et applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Stéphane Ravier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, l’organisation territoriale est au cœur des débats depuis de nombreuses années. Cette question est si essentielle que je me permettrai de déplorer le calendrier qui a été choisi pour en débattre : dans la foulée de la loi Climat et alors même que les élections locales se déroulaient.

Outre la question de l’agenda, notre déception vient du fait que ce texte est très hétéroclite. Renfloué d’un volet sur le logement social initialement prévu dans la loi dite Séparatisme, il n’en reste pas moins un véhicule législatif qui porte a minima sur les enjeux auxquels sont confrontés nos territoires, en n’y apportant que des réponses parcellaires. Le grand soir promis lors du tour de France présidentiel après la crise des « gilets jaunes » n’est pas au rendez-vous : pas de consécration d’une nouvelle décentralisation, pas de mise en œuvre d’une différenciation efficace, une certaine reconcentration du rôle du préfet au niveau local et un oubli, celui de développer la démocratie et la participation citoyenne.

La crise des « gilets jaunes » et la crise sanitaire ont constitué un rappel de l’attachement des Français à un échelon local plus souple et plus agile pour répondre à leurs attentes. Mais, entre l’affichage d’une ambition forte en faveur d’un pouvoir réglementaire local étendu et adapté et sa transcription dans le texte, l’écart est immense, et personne n’y trouve son compte.

Ce texte, si disparate dans ses mesures, a donc servi de trame succincte, et le Sénat et ses rapporteurs l’ont réécrit à leur guise en réintroduisant des propositions retoquées lors de lois précédentes, comme le transfert à la carte des compétences des communes vers les EPCI justifié par la création d’un « intérêt communautaire », sésame supposé de la naissance de projets territoriaux partagés.

Si je salue le souhait de permettre une différenciation plus effective et un renforcement du pouvoir réglementaire local, je désapprouve les possibilités offertes par la nouvelle rédaction du texte de modifier, sous couvert de simplification, la portée des réglementations, notamment en matière d’aide sociale et de procédure d’urbanisme. La simplification ne doit pas être synonyme de moins-disance. Avec mon groupe, nous porterons des amendements qui vont dans le sens d’un plus grand équilibre, par exemple pour que le Ceser ne devienne pas une chambre partisane nommée et dépendante d’une majorité politique régionale, quelle qu’elle soit.

Je m’attarderai sur la vision limitée qu’a une majorité de notre assemblée de la démocratie participative. L’idée de limiter le droit de pétition et de rendre optionnelle son inscription à l’ordre du jour d’un conseil municipal est un couteau planté dans le dos de notre pacte républicain. Les élus sont certes responsables devant leurs électeurs au travers des élections, mais empêcher une expression libre, vivante, démocratique sur un sujet porté par ces derniers au travers d’une pétition, alors que notre devoir est de tout faire pour permettre à notre démocratie de sortir de la crise actuelle, est une faute.

Que dire du titre II sur la transition écologique ?

Après le fiasco de la modification de l’article 1er de la Constitution lundi dernier et les débats souvent d’une autre époque lors de l’examen de la loi Climat, dire que ce titre ne permet pas de répondre aux défis auxquels nous devons faire face est un euphémisme bienveillant.

Le transfert hypothétique des routes nationales aux départements et aux régions et celui des petites lignes ferroviaires pointent une autre lacune de ce texte de loi : ces transferts de compétences se font dans un certain flou s’agissant du financement à long terme. Ce manque de transparence sur le financement et sur les transferts de personnels induits par cette remodélisation fonde une critique largement partagée portant sur l’ensemble de ce texte.

Quant à la remise sous coupe préfectorale, c’est-à-dire sous celle du ministère de l’intérieur, de l’Ademe – une agence qui a fait ses preuves dans le domaine de l’environnement –, elle laisse encore perplexes les intéressés et tous ceux qui ont bénéficié de son soutien.

Ni le Gouvernement ni la majorité n’ont à cœur de combattre l’assignation à résidence des populations précaires qu’ils dénoncent pourtant souvent.

Tout comme pour les éoliennes, la théorie du « pas chez moi » revient de plus belle : comment justifier auprès de nos concitoyens la possibilité pour les communes de comptabiliser des casernes militaires comme logements sociaux ?

Autre exemple de cette lutte contre les précaires plus que contre la précarité : le renforcement du contrôle des allocataires du RSA, la suppression de l’élargissement de la recentralisation du RSA, ou le refus de pérenniser l’encadrement des loyers.

Mes chers collègues, outre que nous restons sur notre faim, dans l’attente d’un big-bang territorial ou même d’un acte III de la décentralisation, nous regrettons l’extrême timidité du Gouvernement.

Quoique plus légitime à porter un véritable projet d’organisation, en s’appuyant sur ses travaux et sa proximité avec les territoires, je regrette que la majorité sénatoriale ait également choisi de se contenter de reprendre la vision partielle et partiale de ses propositions antérieures, sans aucune ouverture ou compromis.

Madame notre rapportrice, je vous cite : « S’il n’y a pas tout, il vaut mieux qu’il n’y ait rien. » Vous l’avez dit ce matin en commission des lois.

À l’image des dispositions sur la métropole Aix-Marseille-Provence, ce texte part d’un constat sans appel et partagé par tous, mais n’y répond que très partiellement, voire témoigne d’une ambition trop partisane.

Cette non-loi fourre-tout proposée par le Gouvernement est devenue un texte sans vision réelle structurante qui ne résoudra aucun problème d’organisation et de coordination des communes, des métropoles et des régions. Quant aux citoyens, toujours trop absents, ils continueront à ne pas pouvoir participer suffisamment et à ne pas pouvoir comprendre comment les choses marchent. C’est pourquoi, fervent défenseur d’une décentralisation à la hauteur des spécificités locales et d’une différenciation synonyme d’efficacité et non de compétition et d’inégalités, le groupe GEST a déposé près de 200 amendements afin d’améliorer ce texte, que nous ne voterons pas en l’état. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à M. François Patriat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. François Patriat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me bornerai à quelques propos généraux.

Je veux d’abord saluer votre engagement, madame la ministre, et l’immense travail qui a été réalisé pendant des mois de concertation avec l’ensemble des élus locaux et des associations d’élus. Les sénateurs du groupe RDPI ont également pris part à ce travail d’écoute et de coconstruction, traduisant une profonde considération pour les acteurs de terrain.

Ce texte de clarification et d’amélioration vient compléter les trois actes de décentralisation que nous avons connus depuis les lois Defferre, que j’ai eu l’opportunité de voter en 1981 à l’Assemblée nationale.

Depuis plus de quarante ans, notre pays a vu son millefeuille territorial étoffé, complexifié, peut-être même asphyxié au fil des réformes menées. Mon expérience de président de la région Bourgogne, pendant deux mandats, m’a permis d’en mesurer l’ampleur.

Vous l’avez dit, madame la ministre, le texte 3DS qui nous est présenté aujourd’hui n’a pas vocation à provoquer un énième bouleversement territorial. Il répond avant tout aux attentes légitimes des citoyens, des élus et des territoires posées à l’occasion du grand débat national. Qu’en avons-nous retenu ?

Tout d’abord, nos concitoyens attendent davantage de services publics de proximité.

Ensuite, nos collectivités territoriales souhaitent une meilleure prise en compte des particularités locales, pour une organisation territoriale moins rigide.

Enfin, nos élus locaux méritent d’être confortés et soutenus dans leur mission quotidienne. C’est ce que nous avons mis en œuvre ici même avec la loi Engagement et proximité, votée en 2019 sous l’impulsion du ministre M. Lecornu.

C’est l’un des principaux enjeux du texte, mes chers collègues : trouver un équilibre entre ce qui existe et ce qui peut être amélioré, en répondant aux différentes formes d’attente qui ont été exprimées, notamment pendant la crise sanitaire, sans remettre en cause les grands équilibres existants et surtout sans creuser d’écart abyssal entre les collectivités et les administrés.

En plus de répondre aux attentes pragmatiques qui ont été exprimées, le projet de loi 3DS marque un tournant dans les relations entre l’État et les collectivités. Il tend vers une relation basée sur davantage de contractualisation que la tutelle verticale de l’État, laquelle implique que toutes les décisions soient prises unilatéralement et sans concertation. Il prévoit des outils concrets afin de permettre aux élus locaux et aux collectivités territoriales d’exercer les missions qui sont les leurs avec plus de risques, de responsabilités et de singularités.

Au cours de nos séances de travail, nous débattrons de plus de 90 articles qui concernent tous les champs de l’action politique locale en France hexagonale et en outre-mer : la transition écologique, le logement, l’urbanisme, la santé, la cohésion sociale, l’éducation, la culture et le fonctionnement des institutions. Nous les examinerons en suivant quatre principes : la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et la simplification de l’action publique. Nous devons également aborder l’examen de ce projet de loi avec responsabilité envers nos concitoyens.

Tout comme les rapporteurs, offrons encore plus d’ambition au texte sans bouleverser les équilibres acquis et rassurons nos concitoyens, en leur rappelant le travail colossal qui est abattu chaque jour par les élus locaux, dans les mairies, les intercommunalités, les départements et les régions.

Avec l’ensemble des sénateurs du groupe RDPI, nous mettrons toute notre énergie au service des élus et des collectivités, à l’image de notre mobilisation lors de la loi Engagement et proximité, et nous proposerons un certain nombre d’évolutions législatives, notamment sur la santé, le logement et l’urbanisme. C’est la raison pour laquelle nous espérons des débats constructifs, bienveillants et à la hauteur de la tâche qui nous incombe en tant que représentants de la chambre des territoires. En une phrase : enrichir ce texte, oui, le dénaturer et le rendre illisible, non ! Évitons la surenchère et la démagogie !

Nous soutiendrons ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

(M. Pierre Laurent remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, l’abstention record lors des dernières élections départementales et régionales doit nous interroger. D’abord, sur l’offre politique que nous proposons, qui, manifestement, intéresse de moins en moins nos concitoyens ; ensuite, sur le rôle des différents échelons de nos collectivités territoriales, d’une part, et sur la représentation de l’État, d’autre part.

Ce tiraillement entre pouvoir local et pouvoir national, entre centralisme et fédéralisme, a toujours existé en France, avec un penchant historique pour un centralisme hérité de l’Ancien Régime, puis de la Révolution française. Le législateur, notamment depuis 1958, a cherché à corriger ses excès, ceux d’une politique descendante, déconnectée des territoires, mais l’impression pour beaucoup reste la même : trop de décisions dépendent encore de considérations parisiennes. Cette crise de la covid-19 nous l’a trop souvent rappelé.

Aussi, l’annonce de ce projet de loi 3D, puis 4D, puis finalement 3DS, a suscité chez les élus locaux beaucoup d’espoir, non pas celui de bouleverser l’équilibre institutionnel – les lois NOTRe et Maptam ayant fait suffisamment de dégâts –, mais bien celui de simplifier, de fluidifier les relations, les compétences et l’exercice du pouvoir au sein de nos collectivités locales et de leurs groupements. Nous héritons à l’arrivée d’un texte complexe, dont on a des difficultés à en comprendre le but et l’objectif si ce n’est qu’il ajoute encore plus de confusion chez les élus locaux et les citoyens.

Concernant la différenciation, nous sommes confrontés à un principe que l’on appréhende mal. Si l’idée, que nous comprenons tous, est bien de prévoir dans certains cas une application différente de la loi selon les spécificités locales, ce à quoi nous aspirons tous, le texte initial peinait à l’exprimer clairement : les apports de la commission des lois ont été précieux en ce sens.

Ce texte vient à la fois consacrer un principe et, en même temps, en prévoir une application très limitée. Dans la version initiale du texte, quatre articles seulement y étaient consacrés. Il faut reconnaître qu’il y avait de quoi rester sur notre faim !

La logique aurait également voulu qu’en parallèle soit consacré un véritable pouvoir réglementaire local, mais, une fois de plus, on fait face à de menues mesures : on met en œuvre ce pouvoir seulement pour déterminer le nombre d’élus dans les CCAS, pour fixer le délai de publication de la liste des terrains qui n’ont pas fait l’objet d’une mise en défens ou encore pour la facturation de la redevance d’occupation pour travaux. Je ne dis pas que cela ne constitue pas une avancée, mais c’est, hélas, trop maigre. Là encore, nous saluons les apports de la commission, qui a essayé de revoir l’ambition à la hausse, notamment en faveur des conseils départementaux.

Pour ce qui est du deuxième « D », celui de décentralisation, la portée des mesures proposées est faible. On y retrouve pêle-mêle une clarification des compétences en matière de transition énergétique, à l’article 5, et diverses dispositions concernant les transports, notamment la possibilité de transfert d’une partie des routes nationales vers les départements et les métropoles.

Pour revenir sur cet article 5, je rappellerai que les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. Je crains bien que, là, ce soit le cas. Le Conseil d’État a d’ailleurs proposé de supprimer cet article, considérant, d’une part, qu’il est sans portée juridique sur la répartition des compétences entre les collectivités territoriales et, d’autre part, qu’il tend à altérer la lisibilité de la répartition des compétences entre ces collectivités.

Sur le transfert des routes, on retrouve en fond la même musique jouée lors des lois NOTRe et Maptam : le renforcement du couple EPCI-région. Si nous pouvons nous interroger quant à la réalité du réseau transféré, de son financement ou de l’éclatement de cette compétence, nous sommes d’autant plus inquiets que cela risque de s’effectuer au détriment de l’échelon communal, mais, surtout, du département. Le groupe du RDSE s’était battu à l’époque pour le maintien de l’échelon départemental : comptez sur nous pour vous rappeler son utilité et la proximité qu’il apporte au quotidien, notamment dans les territoires ruraux. À ce titre, nous proposerons plusieurs amendements visant à renforcer l’action des conseils départementaux, en les associant davantage aux ORT, en prévoyant qu’ils puissent verser des aides de proximité en faveur de l’activité économique ou encore en leur donnant un rôle plus important dans la lutte contre l’illectronisme.

Parmi les éclaircies dans cette partie relative à la décentralisation, on trouve les mesures relatives à la loi SRU et à la facilitation de l’acquisition des biens sans maître. À ce titre, je salue l’adoption par la commission de l’amendement du président Requier allant en ce sens.

Actualité oblige, nous retrouvons également des mesures d’ordre sanitaire, notamment sur la gouvernance des ARS afin d’y renforcer le poids des élus locaux. Nous y sommes favorables, mais nous nous interrogeons sur le véritable levier politique que cette mesure pourrait représenter et la place que la parole des élus pourrait y prendre.

Concernant la déconcentration, je le répète, là encore, le contenu est décevant avec seulement cinq articles sur ce sujet dans le projet de loi initial. Nous serons particulièrement vigilants sur la transition des MSAP en espaces France Services, avec les risques de non-homologation qui peuvent parfois exister.

Le rôle du préfet est, lui, à réhabiliter. Localement, c’est le trio préfet-maire-président du département qui a été privilégié durant cette crise, et il a fait preuve de toute son efficacité.

La partie simplification est sûrement celle qui résume le mieux l’esprit confus de ce texte, où l’on évoque tour à tour la CNIL, la coopération territoriale transfrontalière, les expérimentations en matière de relance économique, ou encore la transparence dans les EPL.

Pour conclure, je regrette que le Gouvernement n’ait pas donné aux collectivités les moyens de leurs ambitions, à savoir davantage d’autonomie fiscale. En effet, il n’y a pas de pouvoir local sans pouvoir fiscal. L’idée n’est pas de remettre en cause la péréquation, ciment de la solidarité nationale, mais bien de permettre, dans chaque territoire, une véritable politique différenciée selon les besoins. Je prendrai l’exemple de la Gemapi, pour laquelle les moyens sont aujourd’hui insuffisants, de nombreuses collectivités se trouvant dos au mur pour faire face à leurs besoins d’investissement. La taxe Gemapi connaît une application très irrégulière selon la proximité de la menace climatique. Nous sommes confrontés à une véritable inégalité territoriale, avec des élus à qui l’on répond : « Aide-toi, le ciel t’aidera ! »

Voilà les quelques éléments auxquels le groupe du RDSE restera attentif. Il réserve son vote, qui dépendra du sort des amendements qu’il a proposés. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)