M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1962, quatorze ans après son indépendance, un premier coup d’État a stoppé l’élan démocratique en Birmanie.

En 2011, brève respiration : la junte laisse en apparence le pouvoir à la société civile. Mais, en réalité, de nombreux postes restent à la main des militaires selon la Constitution.

En 2015, malgré la nouvelle victoire du parti d’Aung San Suu Kyi, cette dernière ne peut pas présider elle-même la Birmanie, car elle en est empêchée par la junte. En dépit de ses efforts, et pour reprendre les mots de l’ambassadeur Christian Lechervy, auditionné par le Sénat le 10 février 2021, « jamais la cohabitation civilo-militaire n’a été harmonieuse durant ces cinq années d’existence ».

Voyant s’approcher le seuil des 75 % de l’Assemblée contrôlés par l’opposition, la junte procède à un coup d’État le 1er février 2021.

Plusieurs centaines de milliers de personnes ont manifesté à Rangoon, à Mandalay et dans plusieurs autres villes. La loi martiale y a été décrétée. Une résistance s’est organisée autour du Gouvernement d’unité nationale, né d’une initiative parlementaire de députés déchus et de plusieurs ethnies minoritaires, avec à sa tête Aung San Suu Kyi et le président de la République Win Myint, toujours emprisonnés.

La proposition de résolution que nous discutons aujourd’hui invite le Gouvernement, premièrement, à travailler avec ses partenaires européens afin d’obtenir une condamnation générale vigoureuse du coup d’État du 1er février 2021 et des violences qui l’ont suivi ; deuxièmement, à appeler au respect de la démocratie et au rétablissement de la paix ; troisièmement, à reconnaître le Gouvernement d’unité nationale de Birmanie pour l’aider à rétablir la paix.

Or, entre le moment du dépôt de cette proposition de résolution et aujourd’hui, de larges changements ont eu lieu, qui demandent de prendre quelques précautions.

D’abord, nous pouvons nous féliciter que la France et ses partenaires européens aient réagi rapidement en appelant à soutenir les actions pacifiques en faveur de la démocratie. Jean-Yves Le Drian a condamné avec la plus grande fermeté ces événements, y compris au Sénat le 3 février dernier.

En raison des blocages russes et chinois, aucune déclaration commune n’a pu être arrêtée en février par le Conseil de sécurité des Nations unies. Le 10 mars, il a toutefois fermement condamné les violences. Puis, le 18 juin, l’Assemblée générale a adopté une résolution condamnant le coup d’État.

Par ailleurs, les 22 mars, 19 avril et 21 juin, l’Union européenne a imposé des restrictions individuelles aux trente plus hauts responsables et entreprises de la junte, en les interdisant de territoire et en gelant leurs avoirs financiers. Les deux premiers points de la proposition de résolution ont donc déjà trouvé une réponse.

Ensuite, le niveau de tensions a augmenté d’un cran : dans ses plus récentes déclarations, le Gouvernement d’union nationale qui était jusqu’alors pacifique appelle désormais à une « guerre défensive », c’est-à-dire à une lutte armée contre les forces de la junte. Cet appel a été critiqué, notamment par le Royaume-Uni, qui a condamné, par un communiqué, « une démarche de nature à éloigner encore davantage l’ouverture de l’indispensable dialogue entre les deux parties ». Le 30 juin, la commission des affaires étrangères du Sénat a auditionné des membres du Gouvernement et du Parlement birman en exil.

Soutenir les actions du Gouvernement d’unité nationale aujourd’hui ne reviendrait-il pas à verser de l’huile sur le feu et à cautionner un conflit armé dans lequel nous ne sommes pas engagés directement, alors même qu’il va contribuer à ralentir le processus de stabilisation et à amplifier la crise humanitaire ?

Car, enfin, la détresse humaine découlant de cette situation s’est aggravée. Le groupe RDPI tient à réaffirmer tout son soutien à la population birmane, et s’alarme de ces terribles réalités : 25 % de la population et 34 % des enfants birmans vivent en dessous du seuil de pauvreté, d’après le rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et de l’Unicef de juillet 2020, tandis que 240 000 personnes se trouvaient déjà dans des camps de réfugiés à la suite de combats dans l’État d’Arakan. À la fin du mois de septembre 2021, le bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a affirmé que 3 millions de personnes en Birmanie sont dans une situation de détresse absolue.

Nous avons conscience que le droit international ne reconnaît que les États, et non les gouvernements, et nous avons vu les limites morales de ce soutien inconditionnel au Gouvernement d’unité nationale. Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI opte pour l’abstention, mais laisse chacun de ses membres voter selon leur appréciation personnelle.

Néanmoins, monsieur le ministre, plusieurs leviers d’action demeurent utilisables.

D’abord, en plus de la pression sur les intérêts financiers de la junte, est-il prévu à moyen terme d’agir sur la préférence tarifaire en retirant le pays du programme « Tout sauf les armes », comme cela a été fait pour le Cambodge ?

Ensuite, où en est la revue de l’aide au développement pour éviter son détournement par la junte ?

Enfin, quel tournant le dialogue diplomatique avec les autres États membres de la communauté internationale va-t-il prendre, notamment concernant l’embargo sur les armes ?

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la courte parenthèse démocratique birmane s’est refermée le 1er février dernier. Quelques années seulement après le début de la transition, l’armée est revenue au pouvoir, et Aung San Suu Kyi est retournée en résidence surveillée.

L’armée n’a pas supporté de voir son rôle politique marginalisé par le résultat des élections de novembre 2020, s’emparant du pouvoir par la force, ouvrant le feu sur le peuple qu’elle a pour mission de protéger. Après deux mois de manifestations réprimées à balles réelles, on dénombrait près d’un millier de morts et plusieurs milliers de personnes en détention arbitraire.

Le Président de la République a immédiatement condamné ce coup d’État, appelant à mettre un terme à la répression. L’Union européenne s’est insurgée avec la plus grande fermeté contre ce coup d’État militaire.

La situation est d’autant plus dramatique que ce putsch intervient dans le contexte de la pandémie. Difficile à gérer en temps de paix, la situation devient catastrophique lorsque l’État est désorganisé.

La campagne de test, de contact tracing et de traitement s’est brutalement arrêtée. Les Nations unies estiment que seulement 40 % des capacités médicales du pays sont encore fonctionnelles. Mauvais augure s’il en est, la junte a commencé récemment la construction de dix crématoriums.

Cette prise de pouvoir est une catastrophe pour la population et sa santé, mais aussi pour son économie. Elle déstabilise une économie déjà fragile. Près de la moitié des habitants sont susceptibles de se trouver sous le seuil de pauvreté d’après les Nations unies.

La situation nécessiterait l’envoi d’aide humanitaire, mais, même si cette dernière parvenait jusqu’au territoire birman, rien ne garantit qu’elle bénéficierait effectivement au peuple.

Cette situation constitue également un défi à la stabilité de la région. La Chine possède de nombreux intérêts en Birmanie, et son influence y est considérable. Pékin entretenait de bonnes relations avec le gouvernement précédent, ce qui ne l’a pas empêché de qualifier le coup d’État de simple « remaniement ministériel ».

Le tracé des nouvelles routes de la soie emprunte le territoire birman. C’est dire à quel point la stabilité de ce pays, mais non la démocratie, importe à la Chine – ce n’est pas Pascal Allizard qui dira le contraire !

La junte précédente a pu faire face aux sanctions occidentales principalement grâce au commerce avec son grand voisin. Tant qu’elle pourra assurer une relative stabilité dans le pays, la junte actuelle ne sera pas inquiétée par la Chine.

La légitimité de la junte reste cependant très contestée, tout d’abord démocratiquement par le Gouvernement d’unité nationale, constitué de parlementaires élus lors des dernières élections, mais forcés à l’exil.

Elle l’est également par les armes, au travers d’une lutte engagée par des mouvements de guérilla. Même ceux qui avaient conclu un cessez-le-feu ont repris le combat dès le mois de mars ; certains se sont emparés de bases militaires et de commissariats de police.

Ces mouvements sont structurés autour de milices ethniques. La Birmanie compte, à côté de l’ethnie majoritaire birmane, plus d’une centaine de minorités, dont l’incorporation dans une seule et même nation reste inachevée.

La voie démocratique permettait à chacun de s’exprimer et d’espérer peser sur la politique du pays. Le retour de la junte, c’est le retour de la force, le retour des affrontements.

Face à cette triple urgence – humanitaire, économique et démocratique –, nous ne sommes pas démunis : sans avoir le poids de la Chine, nous pouvons et nous devons appeler à la reconnaissance du gouvernement d’unité nationale. Ce gouvernement inclusif est en effet le plus à même de garantir la stabilité d’un pays marqué par les conflits ethniques, que seule la transition démocratique avait permis d’apaiser.

Des sanctions économiques ont été prises ; d’autres doivent venir les renforcer. Nous devons toutefois continuer de nous assurer qu’elles pénalisent les responsables de la junte en épargnant le peuple.

Le groupe Les Indépendants, qui compte des signataires de la proposition de résolution, est convaincu que la reconnaissance du gouvernement d’unité nationale est une étape incontournable dans la résolution de la crise birmane. Nous voterons donc en faveur de cet excellent texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que présidente déléguée pour la Birmanie du groupe interparlementaire d’amitié France-Asie du Sud-Est, depuis mon entrée au Sénat, en 2004, je tiens à saluer la démarche de mon collègue Pascal Allizard. En effet, depuis le coup d’État du 1er février dernier, je demandais l’autorisation de déposer une proposition de résolution au Sénat et cela m’était refusé. Je félicite donc mon collègue pour ses qualités de persuasion ayant abouti à ce que le groupe Les Républicains accepte le dépôt de cette proposition de résolution et son inscription à notre ordre du jour.

Déposer et débattre d’une proposition de résolution relative à la Birmanie est un exercice de diplomatie parlementaire quelque peu difficile, mais c’était indispensable au regard de la situation dramatique dans ce pays, sur laquelle je ne reviendrai pas, ayant déjà beaucoup parlé et écrit à ce sujet. Les orateurs précédents viennent de surcroît d’en parler longuement et très bien également.

Cet exercice exige de la responsabilité et de la sincérité. Mes années passées à travailler sur ce pays, depuis bien avant mon arrivée au Sénat, à maintenir des contacts avec les Birmans et nos services sur place, ainsi qu’avec les organisations non gouvernementales (ONG), au fil des crises et des basculements du régime, m’ont convaincue qu’il fallait absolument avoir une approche globale de la situation, incluant tous les acteurs susceptibles d’œuvrer pour le rétablissement de la paix.

La toute première des priorités est, bien sûr, l’arrêt des exactions à l’encontre de la population.

En juin dernier, mon homologue de l’Assemblée nationale, Alain David, et moi-même avons publié une tribune dans le journal Le Monde, dans laquelle nous demandions déjà la reconnaissance du gouvernement d’unité nationale et l’affectation des dividendes de Total et du secteur gazier à un compte bloqué. Deux mois plus tôt, après avoir fait un point de situation, je vous interrogeais, monsieur le ministre, lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement. Malgré votre réponse, dont je vous remercie encore, nombre de mes interrogations restent en suspens.

Pour moi, l’examen de cette proposition de résolution constitue donc autant un appel renouvelé à notre diplomatie que l’occasion d’un point d’étape sur les actions menées. Il s’agit d’être le plus efficace possible, et ce à tous les niveaux.

Monsieur le ministre, pourriez-vous tout d’abord nous indiquer où nous en sommes des négociations à l’échelon de l’Union européenne ? Quelle est la position dominante chez nos voisins sur ce dossier et, surtout, quel est leur niveau d’implication ? Une crise en chassant vite une autre, je crains que les priorités dans les agendas diplomatiques ne divergent largement…

Pouvez-vous également dresser un bilan du troisième train de sanctions, décidé avant l’été dernier ? Ces sanctions sont indispensables, mais, aujourd’hui, elles semblent nettement insuffisantes pour arrêter l’effusion de sang. Elles affectent durement la population civile et deviennent parfois contre-productives. Nous ne pouvons nous en contenter.

En 2007, déjà, j’interrogeais une secrétaire d’État chargée des droits de l’homme sur les revenus de la junte et leurs dépôts dans des places fiscales hors d’atteinte. Hélas, peu a été fait depuis lors.

Par ailleurs, je le disais en mars dernier, rien n’évoluera sans une réponse régionale, et la neutralité affichée des pays de l’Asean ne saurait être un prétexte à l’inaction. Par conséquent, quels retours pouvez-vous nous faire des négociations engagées dans les enceintes asiatiques et, en premier lieu, au sein de l’Asean ? Comment mieux utiliser nos leviers d’influence auprès de cette organisation, et, surtout, des deux grands voisins – la Chine et l’Inde –, ainsi qu’au sein des Nations unies ?

N’oublions pas non plus que le pays est un point d’accès au golfe du Bengale et à la mer d’Andaman, ce qui, à l’heure de la maritimisation du monde, doit être pris en compte.

Mon avant-dernier point concerne notre action d’urgence, notamment humanitaire. Alors que le Parlement a adopté, en juillet 2021, une loi relative à la politique d’aide au développement – la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales –, engageant une réorganisation entre les opérateurs, je souhaite connaître les modalités d’action de l’Agence française de développement (AFD) dans le pays et le bilan à long terme des investissements en faveur du développement, si possible avant même la constitution de la commission d’évaluation de l’aide publique au développement. Il nous faut absolument une mobilisation plus large, économique, bien sûr, mais aussi humanitaire et culturelle.

Avant de conclure, je souhaite aborder la situation des responsables politiques. Depuis des années, j’ai ce dossier à cœur et la remise du prix Nobel de la paix à Aung San Suu Kyi restera pour moi un moment d’immense espoir. Cette dernière est assignée à résidence et réduite au silence, en attendant son procès pour des motifs fallacieux, qui vont de la corruption à l’importation de talkies-walkies, en passant par le trouble à l’ordre public et le non-respect du protocole sanitaire. Les inquiétudes sur son avenir sont très fortes et sa famille est toujours sans nouvelles. Monsieur le ministre, auriez-vous, par bonheur, quelques éléments à nous donner quant à ses conditions de détention ? À travers elle, je pense également à la relève politique de ce pays.

Il importera que, par différents leviers, la France maintienne ses relations et ses actions dans ce pays, afin que la Birmanie ne sombre pas définitivement dans les ténèbres. Nous ne pouvons pas abandonner ce pays. Le peuple birman, si assoiffé de démocratie, si courageux, compte sur nous. Il se bat seul et son courage force l’admiration.

Pour enrayer cette guerre civile, qui est déjà enclenchée et ne cesse de s’amplifier, il est indispensable que les Nations unies établissent un embargo total sur les armes lourdes, fournies essentiellement par la Russie et par la Chine, que soit renforcé le dialogue avec les EAO (Armed Ethnic Organisations), les groupements ethniques armés, et avec le CDM, le mouvement populaire de désobéissance civile, et, bien entendu, que soit reconnu le gouvernement d’unité nationale. Ce serait pour la Birmanie un immense espoir, de nature à décourager un peu plus l’armée, cette sinistre tatmadaw, qui semble aujourd’hui tétanisée face aux désertions et aux attaques de ces Birmans, si courageux et prêts à sacrifier leur vie pour leur liberté.

Je vous le disais ici même, en mars dernier, la France a une responsabilité historique : elle se doit d’encourager le valeureux peuple birman en lutte contre une dictature mafieuse ; elle se doit de montrer au monde qu’elle reste fidèle à ses valeurs de liberté et de droits de l’homme, en entraînant les autres pays à faire de même. En réponse à cela, vous nous aviez parlé, monsieur le ministre, de la détermination de la France à trouver une solution. Vous avez déjà bien agi. Aidez-nous, car, aujourd’hui, nous sommes tous Birmans. (MM. Yves Bouloux et Yves Détraigne applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution d’initiative transpartisane dont nous débattons aujourd’hui doit faire l’objet d’un soutien unanime de la Haute Assemblée.

Depuis le coup d’État du 1er février dernier, le peuple birman, dans toute sa diversité, a subi une répression d’une violence inouïe. Des millions de personnes sont descendues dans les rues pour s’opposer à la prise de pouvoir de la junte, malgré les menaces de l’armée.

Le résultat, huit mois plus tard, est dramatique : plus d’un millier de personnes sont déjà mortes sous le feu de l’armée birmane et, au mois de juillet 2021, plus de 250 000 personnes avaient été déplacées. La Birmanie compte ainsi presque 700 000 déplacés internes aujourd’hui, alors qu’elle est déjà minée par les conflits interethniques et par les ravages de la pandémie. Pour compléter ce sinistre tableau, les ONG font état d’arrestations arbitraires par la junte, de disparitions forcées, d’actes de torture et de viols. Ces actes pourraient constituer, au regard du droit international, des crimes contre l’humanité.

C’est ce régime brutal et méprisant le droit international qui tentait d’obtenir, encore le mois dernier, un siège à l’Assemblée générale des Nations unies. Cela lui a été refusé, grâce à un accord durement négocié avec la Chine. C’est une bien maigre victoire, car, si la junte est en manque de légitimité internationale aujourd’hui, cela ne l’empêchera pas de se maintenir au pouvoir par la violence.

Certes, son autorité est contestée sur des pans entiers du territoire, mais les groupes armés locaux qui se sont formés pour la combattre ne constituent pas un front uni et n’ont pas les moyens de reconquérir le pays.

Ne nous laissons pas tromper par les apparences de gouvernement civil dont la junte essaie de se parer ni par ses promesses d’élections d’ici à 2023. Ce pouvoir tyrannique n’offre aucune garantie de stabilité à moyen terme ; il offre plutôt la promesse d’un conflit interne, dont les civils seront les premières victimes.

Mes chers collègues, nous ne pouvons pas être optimistes. Les perspectives de retour à la paix semblent lointaines. En effet, le 7 septembre dernier, le président intérimaire du gouvernement d’unité nationale appelait à un soulèvement populaire contre l’armée birmane. Comment pourrait-il en être autrement ?

Le gouvernement d’unité nationale représente tout simplement la seule perspective d’un retour à l’État de droit pour le peuple birman. Formé au mois d’avril par le Comité représentant l’Assemblée de l’Union, comité issu des élections de novembre 2020, ce gouvernement est porteur d’une légitimité politique indéniable. Au-delà de cette légitimité tirée des urnes, nous tenons à saluer sa diversité ethnique ; la représentation des minorités et le dialogue interethnique seront une condition sine qua non pour présenter une solution de substitution crédible à la junte et construire une paix durable dans cette société si fracturée.

Nous nous en réjouissons d’autant plus que cela constitue une amélioration notable par rapport au gouvernement de Mme Aung San Suu Kyi, qui, rappelons-le, avait défendu la persécution de la population rohingya. À ce jour, ce gouvernement d’unité nationale a démontré à maintes reprises sa volonté et sa capacité de participer aux discussions multilatérales dans les instances internationales. Notre commission des affaires étrangères a même rencontré à distance certains de ses membres.

Néanmoins, ce gouvernement a aussi cruellement besoin du soutien de la communauté internationale. Nous avons, certes, condamné la junte à de multiples reprises et à de nombreuses tribunes, et nous l’avons soumise, avec l’Union européenne, à des sanctions économiques. Toutefois, l’opposition à un régime sur lequel nous avons peu de prises et le soutien informel à ce gouvernement d’unité nationale fantôme ne sont plus à la hauteur de la situation.

C’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera évidemment pour la présente proposition de résolution. La France doit travailler avec ses partenaires européens pour appeler à une réaction internationale plus forte contre le coup d’État et contre les violences qui l’ont suivi. Elle doit également demander la libération des prisonniers politiques et la fin de l’état d’urgence.

Enfin, et surtout, nous avons le devoir de soutenir un gouvernement qui a démontré son attachement aux principes démocratiques, à la représentativité de la mosaïque ethnique qui compose la Birmanie et à un dialogue ouvert avec la communauté internationale. Ce sont non seulement les Birmanes et les Birmans que nous défendons en votant pour ce texte, mais également nos valeurs.

Pour conclure, j’ajoute que nombreux sont les pays à travers le monde, notamment en Afrique, dans lesquels la France et l’Union européenne devraient soutenir les transitions démocratiques, sans faire le tri en fonction de leurs intérêts militaires et économiques.

M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.

Mme Michelle Gréaume. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le 1er février dernier, la Birmanie est, une nouvelle fois, dans une situation de chaos. Ce quatrième coup d’État en à peine soixante-cinq ans et la répression que subissent les opposants ont déjà fait plus d’un millier de victimes civiles et plus de quatre mille prisonniers. En parallèle, écoles, hôpitaux et postes de police ont été vidés, la junte militaire décidant de purger les fonctionnaires qui refusaient cette prise de pouvoir illégitime. Quelque 300 000 travailleurs ont été licenciés de façon arbitraire et 25 millions de personnes vivent en situation de pauvreté.

Face à cette situation, que faire ?

En premier lieu, il me semble essentiel que nous arrivions à une condamnation la plus large possible du coup d’État. C’est ce qui est proposé au travers de cette proposition de résolution, que notre groupe votera.

Malheureusement, les derniers mois ont été une nouvelle fois marqués par des désaccords internationaux profonds. Le blocage, par la Russie et la Chine, d’une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies nous a fait perdre un temps précieux. Si la déclaration du Conseil de sécurité du 4 février allait dans le bon sens, en appelant à l’abandon des violences, au maintien des institutions démocratiques et au respect des libertés fondamentales, elle ne suffisait malheureusement pas. Il aura ainsi fallu attendre le 18 juin pour que les Nations unies condamnent officiellement le coup d’État.

De la même manière, l’Union européenne a imposé des sanctions économiques, mais seront-elles suffisantes ?

Nous pouvons en effet nous interroger sur la pertinence de la décision consistant à ne pas intégrer certains secteurs essentiels dans le champ des sanctions, tout comme nous devons garder en mémoire la stratégie de la junte, dans les années 1990 et 2000, qui avait creusé les immenses besoins de la population civile. Cette stratégie était d’autant plus cynique que, pour reprendre les termes du chercheur David Camroux, « en 1939, la Birmanie était le plus grand exportateur de riz au monde, aussi riche que la Thaïlande. Ses hôpitaux, ses médecins étaient les plus réputés du sous-continent. Aujourd’hui, la Thaïlande est cinq fois plus riche. Les Birmans avaient les meilleures universités de l’Asie du Sud-Est. Mais soixante ans de régime militaire ont tout ruiné. On a sacrifié deux générations de jeunes ! ».

Il convient également de rester attentif à la façon dont agiront l’Union européenne ainsi que les alliés chinois, thaïlandais et vietnamiens de la Birmanie, à l’égard de leur commerce préférentiel avec ce pays.

En deuxième lieu, tous les moyens doivent être mis en œuvre pour éviter de soutenir, même indirectement, la junte militaire. Ce n’est qu’un premier pas, mais la résolution du 18 juin dernier appelle les Nations unies à empêcher l’afflux d’armes en Birmanie. Espérons que cela se révèle plus efficace que le précédent appel concernant la Libye…

Surtout, je m’interroge sur le rôle joué par certains grands groupes, notamment états-uniens et français. Si l’enquête parue dans Le Monde en mai dernier était vraie, ne serait-ce que partiellement, nous serions face à un véritable scandale.

Ainsi, le géant pétrolier français, qui exploite depuis 1998 le gisement gazier de Yadana, serait au cœur d’un système grâce auquel des centaines de millions de dollars seraient détournés de l’État birman vers le géant gazier birman, contrôlé par l’armée. Or Total et ce groupe, la Myanma Oil and Gas Enterprise (MOGE), sont propriétaires, conjointement avec une entreprise thaïlandaise, de la pipeline et de l’exploitation de ce gisement.

La décision de Total, prise sous la pression de nombreuses ONG, de suspendre ses versements aux actionnaires de l’entreprise birmane n’est qu’une micro-réponse à un gigantesque problème. Comme le relevait John Sifton, qui travaille au sein d’une ONG, cette mesure isolée est « insignifiante d’un point de vue économique et elle n’entraînera pas de changement de comportement de la junte ». Dit autrement, le groupe français continue d’alimenter économiquement le régime issu du coup d’État.

En troisième et dernier lieu, il est d’ores et déjà nécessaire de penser à l’avenir. On le voit bien, malgré ce qui ressemblait à un accord des deux grandes forces politiques birmanes en faveur de la libéralisation du pays, cette dernière restait fragile. La Birmanie, avant même le 1er février 2021, était un pays fortement divisé et en proie aux conflits internes, non seulement politiquement, comme je l’évoquais, mais aussi entre ses différents groupes de population. Nous devons espérer un retour des instances démocratiques légitimement élues, mais ce simple retour ne saurait suffire. Malgré le dialogue interethnique engagé au printemps 2016, on ne peut pas effacer des décennies de tensions entre les différentes communautés. Les massacres et la déportation de presque 700 000 Rohingyas, perpétrés par des militaires et des séparatistes bouddhistes, des exactions que le parti au pouvoir n’a pas empêchées, rappellent que nous n’aurons jamais de stabilité birmane sans pacification des relations.

La Birmanie, et en premier lieu certaines de ses minorités, paie encore aujourd’hui le tribut de décennies de stratégie cynique des Britanniques, lorsque ceux-ci occupaient le pays.

La France devra soutenir dès que possible, entre autres initiatives, celle de la procureure de la Cour pénale internationale destinée à établir clairement les responsabilités dans les exactions de 2017. Un dialogue interethnique, sous l’égide de l’ONU, pourrait s’avérer une piste sérieuse pour résoudre ce conflit.

Toutefois, tout cela ne peut être que corrélé à un retour des instances légitimement élues en novembre 2020 et aujourd’hui condamnées au silence ou à la clandestinité.