M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord remercier le groupe Les Républicains d’avoir souhaité provoquer ce débat devant la Haute Assemblée. Il est pour nous l’occasion d’échanger et de revenir sur la détermination du Gouvernement à agir pour renforcer l’espace de liberté et de sécurité que doit constituer l’Union européenne.

Chacun le constate, la réponse à apporter aux flux migratoires récents, actuels et à venir, est une préoccupation majeure de nos concitoyens. Notre politique européenne commune en matière d’asile et d’immigration doit être revue en profondeur pour mieux répondre aux flux migratoires vers l’Europe et aux situations de crise comme celles que nous avons connues en 2015 et 2016.

Comment faire ? La France appelle depuis longtemps de ses vœux une réforme ambitieuse pour deux raisons principales.

D’une part, parce que notre espace de libre circulation – une des conquêtes les plus précieuses de la construction européenne – appelle des règles communes : on ne peut avoir une frontière extérieure commune, un espace sans frontières intérieures et se satisfaire de la disparité actuelle des pratiques des États membres.

D’autre part, parce que notre environnement est de plus en plus difficile. Les migrations internationales apparaissent comme un phénomène incontournable qui doit être régulé. Nous devons aussi avoir à l’esprit que les flux migratoires alimentent des filières criminelles très prospères qui se nourrissent de la misère humaine.

Enfin, ces flux sont désormais souvent utilisés contre nous par certains États, avec beaucoup de cynisme – nous l’avons vu l’été dernier avec la Biélorussie. Ne croyons pas, cependant, que l’Europe soit restée passive depuis 2015 : je pense, en particulier, au règlement Frontex de 2019, qui nous a permis de doter l’agence de moyens considérables. Nous en déjà débattu ici même.

C’est d’ailleurs pour faire face à ces défis que la Commission européenne a proposé, le 23 septembre 2020, un pacte européen sur les migrations et l’asile. Le Gouvernement est convaincu que cette proposition ambitieuse contient les outils qui vont nous permettre de mettre en place une politique migratoire européenne ambitieuse et cohérente.

Par rapport au paquet Asile de 2016, dont la négociation avait fini par s’enliser, je relève une différence majeure : le pacte embrasse l’ensemble du champ migratoire. Autrement dit, il ne s’agit pas seulement de réformer le régime européen de l’asile, mais de couvrir l’ensemble des instruments dont nous disposons ou d’en développer de nouveaux.

Le pacte contient d’abord une refonte du régime européen de l’asile. Je distingue ici trois sujets.

Premièrement, nous ne pouvons laisser les États membres dits « de première entrée » subir seuls les conséquences de la géographie : ils gardent notre frontière extérieure pour le compte de tous les autres. Cette réalité implique une politique de solidarité que la France soutient. Nous en avons montré l’exemple avec des pays comme la Grèce ou l’Italie.

Deuxièmement, la disparité actuelle des pratiques n’est pas viable, qu’il s’agisse des conditions matérielles d’accueil des demandeurs d’asile, des délais d’instruction des demandes ou même des taux de protection par nationalité. Il nous faut harmoniser tout cela.

Troisièmement, les États membres, et notamment ceux qui, comme la France, sont les principaux destinataires des flux secondaires, doivent avoir la garantie que les migrants arrivant en Europe sont dûment enregistrés dans les systèmes d’information européens et qu’ils peuvent être éloignés rapidement lorsqu’ils sont manifestement inéligibles à l’asile. À défaut, ils alimentent pendant des années des flux secondaires à travers l’Europe.

Ce dernier point renvoie au deuxième aspect majeur du pacte, à savoir la protection de la frontière extérieure. Pour répondre au terrorisme islamiste, qui a frappé notre pays en 2015, nous avons procédé au rétablissement des contrôles aux frontières intérieures, comme le permet le code Schengen. Or, pour conserver l’esprit de Schengen, le Gouvernement juge essentiel le règlement dit « filtrage », qui fait partie du pacte et qui instaurera à la frontière extérieure des obligations de contrôle beaucoup plus strictes.

Le contrôle rigoureux de la frontière extérieure nous semble en effet être l’une des conditions de la solidarité à l’égard des États « de première entrée ».

Enfin, le pacte traite la dimension extérieure des migrations, composante essentielle d’une politique migratoire efficace. Là encore, nous avons bien progressé. Je rappelle, par exemple, que l’Union européenne, notamment sous l’impulsion de la France, a adopté en 2019 un règlement instituant, à l’échelon européen, un mécanisme dit «visa-réadmission» : il s’agit de restreindre l’accès aux visas dans les pays qui ne coopèrent pas suffisamment avec nous en matière de réadmission. Vous le savez, c’est un sujet d’actualité.

D’une manière générale, la France estime que l’Union européenne doit mener un dialogue plus exigeant et mutuellement bénéfique avec les pays d’origine et de transit. Le Conseil européen a adopté en juin dernier des orientations ambitieuses en ce domaine. Dans ce dialogue, nous croyons que toutes les questions doivent être abordées : la coopération en matière de réadmission, mais aussi la gestion concertée des flux migratoires, le soutien opérationnel et financier à ces pays, la lutte contre les trafics d’êtres humains et les réseaux de passeurs ou encore le développement économique.

Nous sommes à quelques semaines seulement de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Les objectifs du Gouvernement sont de construire une Europe plus solidaire et plus souveraine. Le pacte sur les migrations et l’asile, dans un domaine important pour les Européens, y contribue.

La France assurera avec détermination, pendant les six mois de sa présidence, la conduite des négociations européennes. Le pacte peut être une étape dans la construction d’un espace de libre circulation plus sûr et dans la mise en place de partenariats féconds avec les pays d’origine et de transit des migrations. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique, en application du nouveau règlement sur les temps de parole. Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat que vous nous proposez est truqué.

À quelques mois de l’élection présidentielle, la droite veut nous refaire le coup de Sarkozy en 2007 : montrer les muscles et parler fort contre l’immigration. Mais on connaît le truc : vous nous aviez promis le Kärcher et on a eu Kouchner ! (Mme Éliane Assassi sexclame.)

D’ailleurs, vu le nombre de sénateurs Les Républicains présents dans l’hémicycle aujourd’hui, il semble que la droite elle-même n’y croit plus !

Je vais tout de même vous rappeler l’origine de ce fameux pacte : réguler les 5 millions de clandestins – soit l’équivalent de la population du Danemark – entrés en Europe lors de la crise de 2014, déclenchée par votre grande amie Angela Merkel lorsqu’elle a laissé entrer de soi-disant réfugiés syriens, qui se sont révélés, pour certains, de vrais terroristes, le 13 novembre 2015, ou de vrais violeurs, le 31 décembre suivant, à Cologne.

Je ne suis pas opposé à un pacte en soi, mais celui que j’appelle de mes vœux pourrait s’intituler « pacte européen de l’inversion des flux migratoires ». Il consisterait à vider les prisons, les banlieues, les mosquées de tous les étrangers qui détestent la France, de tous ceux qui agressent, tuent, violent ou font pire encore, à retirer la nationalité aux binationaux qui commettent un crime, à rétablir la double peine. Croyez-moi, tous nos problèmes financiers liés à l’insécurité seront alors en grande partie résolus. On aura bien un petit pic d’émissions de CO2 à cause des charters, mais, pour chaque personne expulsée, je m’engage à ce que nous replantions un arbre dans les banlieues, redevenues françaises.

Nous avons déjà un haut-commissariat à la relance ; dans quelques mois, j’espère que nous aurons un haut-commissariat à la « remigration ». Il ne faut pas les répartir ; ils doivent repartir !

Madame la ministre, ne pensez-vous pas que le temps soit venu de tirer les enseignements de quarante ans de folle politique d’immigration. Loin d’être une richesse pour notre pays, l’immigration est en train de le ruiner ; loin d’être une chance, elle est un véritable fléau pour les Français.

Le seul pacte que nous devons appliquer de toute urgence est celui du grand rapatriement des étrangers vers leur pays d’origine.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Ravier, je suis quelque peu embêtée pour répondre : votre interpellation s’adressait manifestement au groupe Les Républicains, puis à Angela Merkel. Or, à ce stade, je ne suis porte-parole ni du groupe Les Républicains ni d’Angela Merkel. (Sourires sur les travées du groupe RDPI.)

M. Roger Karoutchi. On répondra !

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Au-delà de cette petite boutade, monsieur le sénateur, chacun aura pu constater l’outrance de vos propos. Le Gouvernement ne souhaite pas renvoyer l’ensemble des étrangers ou des immigrés, ni leurs descendants. Bien au contraire, nous ne regardons pas les gens à raison de leur origine, mais pour ce qu’ils font.

M. Stéphane Ravier. C’est ce que j’ai dit !

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. À cet égard, je veux saluer ici l’engagement des 12 012 personnes de nationalité étrangère que nous avons naturalisées, parce qu’elles ont travaillé en première ligne durant la crise du covid. Ces personnes – nourrices, agents de sécurité, médecins, cardiologues, anesthésistes, aides à domicile… – se sont mobilisées et ont tenu le pays pendant qu’une grande partie de nos concitoyens étaient confinés chez eux. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)

Ces personnes se sont engagées dans des démarches pour adhérer aux valeurs de la République. Nous avons accéléré leur procédure de naturalisation : c’est l’honneur de la France et je ne voudrais pour rien au monde renvoyer ces personnes chez elles.

Nous voulons exécuter les obligations de quitter le territoire français (OQTF) lorsqu’elles sont décidées, renvoyer les personnes radicalisées et les personnes condamnées pour des faits de violences sexistes et sexuelles, entre autres infractions, mais nous sommes attachés à la richesse de la France, qui s’est également construite par l’immigration. (Applaudissements sur les travées du RDPI. – M. Pierre Louault applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, face aux enjeux de droit d’asile et d’immigration, il y a trois enseignements nouveaux depuis 2015.

D’abord, les évolutions des politiques européennes dans l’espace Schengen ont progressivement permis de faire face à la situation que nous avons vécue en 2015. Ensuite, les solutions passent par l’instauration d’une solidarité forte entre les États membres de l’Union européenne. Enfin, les gesticulations nationales conduisent à des transferts de problèmes d’un voisin à un autre, aggravent la situation humanitaire, et portent atteinte à la libre circulation dans l’espace Schengen : elles ne sont donc pas la solution.

Pourtant, madame la ministre, un ancien responsable européen, Michel Barnier, a évoqué un « bouclier constitutionnel » pour éviter finalement de respecter le droit européen sur ce sujet. D’autres gouvernements, actuellement, se livrent à des actions en violation flagrante du droit européen et des droits humains. Je pense en particulier à la Pologne, qui fait face à une attaque hybride d’un État passeur, mais qui n’en doit pas moins respecter le droit européen.

Cette évolution est très préoccupante, madame la ministre. Ma question est simple : à quoi cela sert-il de négocier un nouveau pacte européen qui s’appuie sur des convergences fortes entre les États membres si, à l’avance, un nombre important d’États annoncent qu’ils ne le respecteront pas, et qu’il n’y a pas de clause claire obligeant chaque État à respecter les obligations qu’il prendra ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Jean-Yves Leconte, je vais répondre à votre question, dont je comprends évidemment le sens. Le pacte proposé en 2020 prend précisément acte du fait que les règles existantes n’ont pas été efficaces. Je vous rejoins donc sur le constat que vous posez.

Ce pacte propose justement de repartir sur de nouvelles bases par rapport au paquet Asile de 2016. Nous partageons avec nos voisins européens un espace de libre circulation. Cela implique de se doter de règles communes : les deux nous semblent étroitement liés. Cela implique aussi de définir des solutions ensemble, car nous appelons de nos vœux la construction d’une Europe qui puisse protéger avec des règles communes.

Nous ne pouvons pas nous satisfaire, dans notre espace de circulation, de la disparité actuelle des pratiques en matière d’asile, de contrôle de la frontière extérieure ou encore d’éloignement des étrangers en situation irrégulière.

Le pacte permet d’aborder la question des règles à poser pour l’ensemble du champ migratoire. C’est la grande différence par rapport au paquet Asile de 2016, qui avait fini par s’enliser, comme chacun s’en souvient.

Pour nous, il ne s’agit donc pas simplement de réformer le régime européen de l’asile. Il s’agit de couvrir l’ensemble des instruments, dans tous les États européens, y compris celui du contrôle de la frontière extérieure. Nous continuerons à faire valoir les intérêts de la France et cette position dans cette négociation.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.

M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, pensez-vous que, par exemple, les gesticulations auxquelles nous nous livrons à la frontière franco-espagnole pour repousser le problème en Espagne sont vraiment des actes qui nous permettent d’être crédibles quand on aborde cette négociation ?

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Madame la ministre, la question migratoire fait aujourd’hui partie du quotidien de l’Union européenne. Plusieurs de ses États membres, dont la France, se situent en première ligne de ces flux, et payent le tribut d’une politique de migration et d’asile européenne largement insuffisante au regard des enjeux qui restent devant nous.

Afin de poursuivre et même d’accélérer les efforts mis en œuvre depuis 2016, la Commission européenne a présenté voilà un an son pacte européen pour l’asile et les migrations, qui vise à proposer un système global de gestion des flux migratoires aux frontières de l’Union européenne, articulé autour de trois axes : le renforcement des frontières extérieures ; un partage plus équitable des responsabilités et de la solidarité ; le renforcement de la coopération avec les pays tiers. Ce pacte s’est révélé relativement ambitieux.

Toutefois, son adoption est aujourd’hui au point mort. Les négociations n’ont pas été engagées et chacun semble préférer se renvoyer la balle, quitte à rester au statu quo faute d’accord. Le Parlement européen lui-même a accueilli froidement ce texte, notamment en raison du maintien du principe de responsabilité de l’État membre de première entrée, qui a montré toutes ses limites lors des vagues migratoires successives, laissant les pays concernés livrés à leur sort.

Dans moins de trois mois, la France sera amenée à jouer un rôle moteur au sein de l’Union européenne, en assurant la présidence du Conseil de l’Union européenne. Dans ce cadre, madame la ministre, sera-t-elle en mesure de débloquer les négociations pour l’adoption du pacte européen pour l’asile et les migrations ? De quelle solution alternative disposons-nous si le blocage venait à perdurer ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice Patricia Schillinger, le pacte migratoire se compose de plusieurs instruments législatifs, dont la négociation a déjà atteint un certain degré de maturité lors du premier cycle des trois premières années de négociation : sur les items du règlement Réinstallation et Eurodac, et sur les directives Accueil et Qualification.

Toutefois, vous avez parfaitement raison de souligner que des points de blocage substantiels demeurent encore dans ces échanges. Ainsi, les États membres de première entrée, notamment Chypre, l’Espagne, la Grèce, l’Italie et Malte, demandent de la part de leurs partenaires davantage de garanties en matière de solidarité. Ils se montrent particulièrement réticents à mettre en place des procédures frontalières obligatoires sur leur sol.

À l’inverse, des États comme la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie, la Tchéquie, marquent leurs réserves sur le volet solidarité du pacte. Ils plaident pour une plus grande flexibilité, pour ne pas être contraints de procéder eux-mêmes à des relocalisations.

Les États membres de destination que sont l’Allemagne, la Belgique, la Finlande, l’Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Irlande et la Suède ont des positions nuancées et constructives dans la négociation.

Comme eux, je le crois, les autorités françaises sont attachées aux quatre volets principaux du pacte que sont la solidarité, la responsabilité, les procédures frontalières et la dimension externe. Il a été adopté une position qui me semble équilibrée pour parvenir à dépasser les défaillances actuelles du régime d’asile européen commun (RAEC) en vue d’une adoption plus rapide du pacte.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.

M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la ministre, je salue le choix de nos collègues d’avoir mis ce débat à l’ordre du jour. Nous traversons, et nous allons traverser des tensions démographiques, géopolitiques, climatiques, qui entraîneront des mouvements de population plus importants que ce que nous connaissons actuellement. Face à ces phénomènes, l’Union européenne doit être un espace de protection, de liberté et de stabilité.

Nous devons avancer, évidemment, sur les mécanismes de coordination entre États lors des crises migratoires, mais je vous le dis comme je le pense : je ne crois pas à une solidarité et à une juste répartition des efforts inscrites dans un pacte. Ces principes voleront en éclats à la première crise, tant ces sujets relèvent de la souveraineté nationale, des gouvernements en place et de la situation politique du pays concerné. Il n’est que de voir ce qui s’est passé lors de la crise syrienne.

Cependant, nous devons travailler à un cadre commun d’harmonisation du droit d’asile à l’échelle européenne. En ce qui concerne les frontières nationales, avec Schengen, nos frontières ne sont plus avec l’Allemagne et la Belgique, mais aux portes de l’Estonie, de la Grèce, ou à la pointe de l’Italie.

Pour porter une vraie politique d’immigration, il faut s’en donner les moyens. Pour être plus précis, pourriez-vous, madame la ministre, revenir sur les avancées concrètes que nous avons actées avec nos voisins européens pour le renforcement de l’agence Frontex aux frontières de l’Union européenne ? Comme l’ont dit beaucoup de nos collègues, nous comptons beaucoup sur la présidence française sur un sujet si important. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question. Le renforcement de Frontex est largement entamé. Nous en avions d’ailleurs débattu ici.

Depuis sa création en 2004, l’agence a vu ses moyens et ses compétences se renforcer considérablement, notamment avec le règlement européen du 14 septembre 2016, puis avec l’adoption du dernier règlement en date, le 13 novembre 2019. Ce dernier texte, relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, a pour objectif de maintenir la sécurité des frontières extérieures de l’Union européenne, mais aussi de permettre à Frontex de passer d’un rôle réactif à un rôle proactif, en prévoyant, par exemple, des déploiements à long terme, plutôt que de toujours réagir à des situations d’urgence. Il s’agit de renforcer la résilience des autorités nationales.

Dans le sens de votre question, monsieur le sénateur, sachez qu’une nouvelle structure organisationnelle de l’agence a été adoptée le 9 décembre 2020. Trois postes de directeur exécutif adjoint sont créés. Ceux-ci se partagent la supervision avec les directeurs exécutifs des neuf divisions de l’agence. Cette réorganisation s’accompagne d’une augmentation considérable des moyens humains. Le point central est la création d’un corps de garde-frontières et de garde-côtes européens de 10 000 agents, répartis en quatre catégories. Frontex comptera 6 500 personnes en 2022, et, à plus long terme, 8 000 en 2024, 9 000 en 2026 et 10 000 – c’est l’objectif – en 2027.

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. C’est une évidence, madame la ministre, la réponse aux mouvements migratoires est un enjeu majeur pour l’Union européenne. Les États membres de l’Union font en effet face à une crise migratoire larvée, dont le paroxysme a été atteint entre 2015 et 2016, avec, notamment, la crise syrienne et ses conséquences sur les arrivées incontrôlées sur le continent. Cette crise a agi comme un révélateur de nos impuissances. Une approche globale est donc indispensable pour surmonter nos divisions internes et être en mesure de proposer une réponse commune aux personnes qui affluent vers nos frontières extérieures.

Ce défi est d’autant plus stratégique que l’Europe est encore l’une des premières destinations des flux migratoires dans le monde. Le 23 septembre dernier, la Commission a proposé une version revisitée et révisée de son pacte européen pour l’asile et les migrations. Cette version vise à surmonter les blocages ayant fait échouer les conclusions du paquet Asile présenté en 2016.

Certes, ce pacte européen assume une approche globale, opportune et bienvenue. Il est en effet nécessaire d’apporter de la cohérence aux efforts déployés pour le contrôle aux frontières, la migration et l’asile, ainsi que de rétablir une confiance mutuelle, qui a tant fait défaut ces dernières années au sein de l’Union européenne.

Je note donc un changement de ton et de perspectives. Il était temps, car l’irénisme et le déni de réalité qui ont accompagné le laisser-aller et le laisser-faire ayant dominé à Bruxelles sur ces questions ont fait beaucoup de mal. Les objectifs affichés du nouveau pacte, tels que la nécessité de renforcer les partenariats et la coopération des pays tiers, se veulent rassurants, mais ce n’est pas la première fois que l’objectif de renforcer les frontières extérieures est affiché.

Ce nouveau paquet introduit par ailleurs un nouveau critère de la définition de l’État membre responsable d’une demande d’asile. Le principe de pays « de première entrée » n’est pas abrogé, mais il vient désormais en dernière position. La modification des critères de définition de l’État responsable d’une demande d’asile revient, de facto, à faire du regroupement familial le critère numéro un, ce qui ne laisse pas de nous inquiéter.

Quels mécanismes allez-vous proposer afin de veiller à ce que la France ne se trouve pas confrontée à un nombre disproportionné de demandes d’asile au regard du nombre total de demandes déposées dans l’Union européenne ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, je veux d’abord souligner la nécessité de rechercher un équilibre entre les États membres. Ce principe guide les discussions qui ont eu lieu jusqu’à présent et guidera notamment l’engagement de la présidence française de l’Union européenne.

C’est exactement pour faire face aux défis que vous avez mentionnés que la Commission européenne a proposé ce pacte européen sur les migrations et l’asile. Pour répondre plus particulièrement à votre question, le Gouvernement est convaincu que ce sont justement les outils contenus dans ce pacte européen qui vont nous permettre de reprendre la main sur notre politique migratoire, laquelle doit être à la fois européenne, ambitieuse et, surtout, efficace.

C’est grâce à nos règles de responsabilité, qui seront contenues dans ce pacte, auquel, je l’espère, les États adhéreront, que la France devrait recevoir moins de demandes d’asile, mécaniquement. Surtout, elle devrait recevoir des demandes mieux ciblées, de personnes francophones, de personnes ayant, par exemple, vécu en France, ou ayant des liens forts et profonds avec notre pays.

J’y insiste, le pacte embrasse vraiment l’ensemble du champ migratoire. Pour nous, il s’agit non pas simplement de réformer le droit d’asile, mais de couvrir vraiment tous les instruments, qui se répondront entre eux, en Ping-Pong, tout aussi mécaniquement.

Enfin, monsieur le sénateur, je suis sensible à deux mots que vous avez employés, et qui guident les actions de la France : la cohérence et la confiance. C’est la recherche de cohérence européenne qui guide la position de la France et qui doit présider à nos discussions avec les autres États. Et c’est la confiance mutuelle que nous recherchons avec les autres États, quel que soit leur rôle, comme je le rappelais dans la réponse précédente.

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Le pacte européen pour l’asile et les migrations ne présente pas à ce jour de contours bien novateurs, et semble une reprise à peine ripolinée de l’approche par les hot spots développée en 2016 par la Commission européenne. Celle-ci prévoyait aussi un programme de relocalisations, mais il n’a jamais été respecté, alors qu’il était modeste. La France, qui s’était engagée à accueillir près de 10 000 personnes, n’en avait accueilli que 600 fin mai 2021, rejoignant ainsi la queue de peloton, à côté de l’Autriche et de la Pologne. Et nous ne voyons guère ce qui changera avec ce nouveau pacte, sinon la menace de faire porter une partie des coûts de la politique de non-accueil sur les pays européens récalcitrants au devoir d’asile et de solidarité.

Ce pacte, en vérité, n’est pas cadré pour l’accueil, car, pour assumer cette exigence, nul besoin de nouveau pacte. La France pourrait, par exemple, activer la directive de 2001 sur la protection temporaire, qui permet déjà aux pays européens, en cas de situation d’urgence humanitaire ou d’afflux massif de réfugiés, de mettre en place un système de solidarité, d’accueil et de relocalisation des personnes.

Madame la ministre, pourquoi la France n’a-t-elle jamais proposé l’activation de cette directive auprès de l’Europe, ni en février 2020, lorsque la Turquie, par chantage, expulsait des migrants syriens vers la Grèce, ni récemment, à Kaboul, lorsque des milliers d’Afghans étaient livrés aux talibans ? Plutôt que de refaire un pacte, qu’attendent l’Europe et la France pour activer les textes existants ?