M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une fois encore, le Conseil européen sera sur le front de la pandémie, même si les perspectives sont plus heureuses qu’auparavant, en tout cas, nous l’espérons. L’Union européenne connaît globalement une amélioration continue de sa situation sanitaire, ce qui permet à nos concitoyens de renouer progressivement avec une vie normale.

La stratégie européenne de lutte contre la propagation du Covid, critiquée à ses balbutiements, a finalement produit ses effets. Disons-le, lors de la gestion de cette crise, l’Europe a marqué des points. Pour s’en convaincre, il suffit de constater le désastre chez nos amis britanniques, désormais isolés.

Ces points nous invitent à concrétiser rapidement l’Europe de la santé, car je rappelle que celle-ci n’existe pas formellement dans les traités. À l’évidence, ce chantier apparaît aujourd’hui comme une nécessité. Le groupe du RDSE y est en tout cas très favorable et attentif à ses progrès. Nous attendons par exemple la mise en œuvre rapide du règlement visant à renforcer l’Agence européenne des médicaments, afin d’éviter les pénuries comme celles que nous avons connues au cours de ces derniers mois.

En attendant, la situation sanitaire reste fragile. Nous devons donc rester vigilants à plusieurs égards.

Tout d’abord, si l’accès des Européens aux vaccins n’est plus un problème en termes d’approvisionnement, que répondez-vous, monsieur le secrétaire d’État, à la demande de transparence formulée par le Parlement européen sur le processus d’acquisition des vaccins et les montants déboursés par la Commission dans le cadre des contrats d’achat anticipé ?

Par ailleurs, on voit bien qu’il faut encore batailler pour amplifier la couverture vaccinale, en particulier celle des personnes fragiles et des plus de 80 ans ; ils sont 500 000 en France à ne pas avoir reçu une seule injection.

Le 13 septembre dernier, un communiqué de la présidence slovène du Conseil évoquait la nécessité de s’attaquer « urgemment à l’hésitation et à la désinformation concernant les vaccins ». Dans ces conditions, la troisième dose ou dose de rappel des vaccins représente une nouvelle étape à ne pas rater. Comment l’Union européenne peut-elle jouer un rôle de facilitateur ?

De plus, conformément aux préconisations du Conseil européen des 24 et 25 juin dernier, il ne faut pas non plus relâcher les efforts fournis par l’Union européenne dans le cadre du dispositif Covax, afin d’accroître l’offre mondiale de vaccins pour les pays en développement.

Je pense en particulier à l’Afrique, continent aux portes de l’Europe, avec lequel nous échangeons beaucoup et qui a véritablement besoin de l’aide internationale. Monsieur le secrétaire d’État, où en sommes-nous de la distribution des vaccins ? Est-elle la plus large possible ?

Le partage des vaccins dans le monde reste un défi qu’il faut relever rapidement, d’autant plus que, indépendamment des enjeux humanitaires, le retard des pays pauvres en matière de vaccination contre la covid entraîne des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement partout dans le monde, ce qui n’est pas sans freiner la reprise économique mondiale dont ces pays ont aussi besoin pour se relever. Le Fonds monétaire international vient de le rappeler.

Mes chers collègues, comme vous le savez, cette évolution sanitaire à deux vitesses induit également des pressions inflationnistes. J’en viens ainsi à la question du prix de l’énergie, qui sera inscrite à l’ordre du jour du prochain Conseil européen. Le prix du gaz a augmenté de 130 % en un an. Cette évolution accapare le débat public depuis plusieurs semaines, compte tenu de ses effets sociaux, économiques et environnementaux.

Si les États membres doivent prendre des mesures nationales pour aider les ménages modestes, il est clair que, dans ce domaine aussi, la coordination européenne a du sens, comme l’a d’ailleurs souligné le commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, mais il va falloir s’entendre, car tous les États membres ne souhaitent pas la même chose.

Je note que Kadri Simson, bien consciente des divergences, a surtout annoncé ce matin la possibilité pour les Européens de prendre des mesures temporaires : oui, il faut mettre en place des baisses de taxes ; oui, il faut pratiquer la tolérance zéro à l’égard des spéculateurs. Cependant, à plus long terme, quid de l’idée de « réserves stratégiques de gaz » avancée par l’Espagne ?

Doit-on aussi modifier les règles du marché européen de l’énergie, comme le souhaite la France ? Est-il en effet normal que le prix de l’énergie soit le même pour tous, qu’un pays fasse ou non des efforts pour décarboner son économie ? L’alignement des prix énergétiques sur celui du gaz pose un réel problème.

Quoi qu’il en soit, tout cela ne résoudra pas la dépendance de l’Union européenne, qui importe 90 % de son gaz et 97 % du pétrole. Dans ces conditions, on ne peut, comme la commissaire, que demander aux États membres d’accélérer la transition vers des énergies propres.

Sans transition – si je puis dire ! (Sourires.) –, j’évoquerai en quelques mots le chantier de la transition numérique, qui figure également à l’agenda du Conseil européen.

Je soulignerai simplement un grand principe : il nous faut absolument défendre la souveraineté de l’Union européenne en matière numérique. On ne doit pas laisser des acteurs étrangers accaparer toute la chaîne de valeur en la matière. Ce n’est pas seulement une affaire de monopole technologique, c’est aussi notre liberté de choix qui est en question, car le numérique comporte un enjeu fort de protection des données, pour ne parler que de cet aspect.

La maîtrise de notre destin numérique est aussi un gage d’indépendance pour la protection et la diffusion de nos valeurs. J’en profite pour saluer l’avancée majeure que constitue la taxation minimale de 15 % des multinationales, qui cible bien évidemment les Gafam. C’est une question d’équité fiscale et un bel exemple de coopération mondiale. Je sais combien l’Union européenne, en particulier la France, a poussé ce dossier au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Tels sont, mes chers collègues, les quelques points que je souhaitais aborder. Ces chantiers invitent à plus de coordination et nécessitent une vision prospective si l’on souhaite que l’Europe fasse de la prévention pour éviter de se trouver au pied du mur en période de crise. (M. André Gattolin applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Victorin Lurel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous le mesurons tous ici, le prochain Conseil européen représente, à n’en pas douter, un enjeu politique et stratégique majeur pour la France et pour l’Europe.

Puisque ce Conseil mettra à son ordre du jour les relations extérieures de l’Union européenne et que le Président de la République semble faire de cette thématique un axe fort, j’interviens, au nom de mon groupe, sur les enjeux diplomatiques et militaires de cet agenda.

Face à un multilatéralisme effrité et à cette nouvelle bipolarisation du monde entre la Chine et les États-Unis, quels seront demain la place et le rôle de l’Union européenne ? De quels instruments de souveraineté et de projection se dotera-t-elle ?

Longtemps alignée, parce qu’elle était historiquement alliée et militairement protégée par l’alliance nord-atlantique, l’Union européenne reste un nain politique et diplomatique. Elle est, de fait, désarmée face à la montée aux extrêmes de la rivalité sino-américaine et risque aujourd’hui d’être marginalisée.

Ainsi, alors que le monde change et que l’échiquier géopolitique et stratégique se déplace vers le Pacifique et l’Extrême-Orient, l’Union, du fait de ses divisions et, disons-le, de son attentisme naïf, s’est progressivement neutralisée. Jamais l’Europe n’a véritablement tiré les conséquences de la constante historique de l’unilatéralisme américain, russe ou chinois dans tous les domaines.

Souvent observatrice, elle reste impuissante lorsque ses propres États membres deviennent les victimes directes de l’activisme décomplexé des autres puissances mondiales. Et avec le camouflet infligé par la nouvelle alliance Aukus, la France en sait quelque chose ! Elle en a en tout cas pris davantage conscience.

Le temps de l’idéalisme est donc définitivement révolu. Le XXIe siècle sera asiatique. Puisque la France est, depuis la rétrocession de Hong Kong, le seul État européen présent dans le Pacifique, elle doit être un moteur pour impulser un changement de paradigme sur le continent.

Cette situation de fait est manifestement subie. La France est, disons-le, opportunément active, mais décidément bien seule.

L’enjeu de la future présidence française est donc bien là : comment contrecarrer les ambitions de l’anglosphère, qui tente de régenter la nouvelle bipolarité sino-américaine ? Comment relancer l’idée d’une autonomie stratégique européenne alliée, mais pas alignée ? Comment permettre à l’Union de saisir l’instant pour s’imposer en tant que puissance sur la scène internationale ?

Naturellement, si nous partageons dans les grandes lignes cette ambition et cette volonté françaises, nous n’ignorons pas que celles-ci se heurtent à plusieurs obstacles qu’il faudra surmonter.

Le premier obstacle est, à mon sens, le calendrier politique dans lequel s’inscrira la présidence française de l’Union.

En Allemagne, tout d’abord, nul ne sait pour l’heure quand et avec qui se formera le nouveau gouvernement fédéral. D’ici là et du fait des incertitudes sur le positionnement de ce nouveau gouvernement, comment la France compte-t-elle préparer sa présidence avec son principal partenaire européen ? Surtout, comment compte-t-elle affirmer les objectifs qu’elle s’est fixés ?

En France, ensuite, les échéances électorales conduiront irrémédiablement à un raccourcissement de la présidence active et effective de l’Union : comment le Président de la République entend-il assurer une continuité dans l’action pendant les six mois de sa présidence ?

Le second obstacle est la divergence manifeste d’intérêts et de volonté au sein même de l’Union européenne. Au-delà des traités, il n’y a, en pratique, aucune unité de vue, d’intention ou d’action en Europe, ni aucune vision commune.

Depuis de nombreuses années, et j’allais même dire depuis le début de l’aventure européenne, nous vivons un décalage entre le réalisme allemand, mâtiné de mercantilisme, et l’idéalisme fédéral français poussant à une véritable autonomie stratégique européenne. Nous vivons aussi un décalage entre certains pays européens capables d’agir et de se projeter militairement et ceux qui défendent et réclament le bouclier que leur offre l’OTAN, sans même parler des pays qui font de la neutralité l’essence même de leur stratégie diplomatique.

La France, quant à elle, irrite plus qu’elle ne rassemble, navigant entre l’affirmation verbale de principes universels, la conduite d’opérations militaires solitaires dans sa zone historique d’influence et la critique ouverte de l’existence même de l’OTAN.

Pour faire de ces crises des opportunités, pour clarifier sa stratégie et redéfinir nos ambitions communes, la France devra profiter de sa présidence pour mener une bataille de reconquête de la confiance auprès de ses partenaires européens.

Ce prochain conseil européen doit en être la première étape. Pour convaincre ses partenaires de définir une politique étrangère et de défense réaliste, imaginative et de confiance, la présidence française devra mener plusieurs chantiers complémentaires.

Premièrement, elle devra développer une politique européenne de soutien à l’industrie de défense. La création du Fonds européen de défense est une première pierre, qu’il faudra cependant rapidement redimensionner.

Deuxièmement, il faudra s’assurer que le projet de boussole stratégique visant à définir une vision stratégique de l’Union européenne sur le long terme ne soit ni sous-dimensionné dans ses ambitions, ni subordonné aux stratégies de l’OTAN, ni irréaliste en matière opérationnelle.

Troisièmement, il faudra très vite renforcer l’Initiative européenne d’intervention, qui trouve sa première traduction au Sahel – c’est l’opération Takuba –, afin de développer des coopérations permanentes, opérationnelles et pragmatiques, à même d’assurer la sécurité de l’Europe.

Quatrièmement, il faudra élargir les partenariats autour des projets futuristes structurants tels que le Système de combat aérien du futur (SCAF) ou le Système principal de combat terrestre (MGCS) et surmonter les craintes de pillage relatives aux échanges ou aux coopérations en matière de technologie militaire, en particulier sur les droits de propriété intellectuelle.

Cinquièmement, comme le dit le nouveau chef d’état-major des armées, il faudra que l’Europe s’accorde sur une politique de lutte efficace contre les menaces hybrides en organisant à l’échelle du continent, voire de la planète, une lutte informatique d’influence. C’est cela « gagner la guerre avant la guerre » !

Dotés de cette capacité de surveillance et de vigilance permanentes, nous aurions été, à n’en pas douter, informés en amont des tractations des Five Eyes sur la résiliation du contrat des sous-marins australiens.

Enfin, je pense que la France pourrait aussi utilement contribuer à repenser nos relations stratégiques, d’abord en arrimant l’Europe à la stratégie indo-pacifique. Cela peut notamment passer par un rapprochement avec le Quad, le dialogue quadrilatéral pour la sécurité – le Japon, les États-Unis, l’Australie et l’Inde – ou encore avec l’Asean, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est.

Ensuite, la présidence française devra contribuer à apaiser nos relations avec la Russie et conduire une politique commerciale lucide, mais ambitieuse, avec la Chine.

Pour conclure, permettez-moi d’évoquer rapidement l’actualité récente, la Pologne refusant la primauté du droit européen. S’il est peu probable que la Commission engage la procédure de l’article 7 du traité pour manquement à l’État de droit, quelles actions, voire quelles sanctions la France compte-t-elle demander face à cette nouvelle transgression polonaise ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une nouvelle fois depuis le début de la pandémie de covid-19, le Conseil européen sera amené à faire le point sur la situation épidémiologique et les efforts mis en œuvre pour lutter contre le virus.

L’Union européenne a indéniablement déjà fait énormément dans la lutte contre la covid-19, alors même que la santé n’est pas l’une de ses compétences principales. Qu’il s’agisse de la recherche, de l’accès aux vaccins, de la mise en place du certificat covid numérique ou du plan de relance, l’Union a activé les nombreux leviers dont elle disposait pour limiter l’épidémie et lutter contre ses effets sur l’économie.

Malgré les débuts balbutiants de la campagne de vaccination, plus de 70 % de la population européenne est désormais vaccinée, et le nombre de cas quotidiens reste relativement stable. Il semblerait toutefois qu’une telle couverture vaccinale ne permette toujours pas d’obtenir une immunité collective puisqu’il reste possible d’attraper la covid en ayant été vacciné. Les efforts en matière de vaccination ne doivent donc pas être relâchés. À cet égard, il est également essentiel de continuer à abonder Covax, afin que les pays en développement aient accès à la vaccination.

À cet égard, je m’interroge sur l’opportunité de donner accès à une troisième dose aux citoyens européens, alors que le taux de couverture vaccinale de certains autres pays n’atteint même pas 10 %. La mondialisation a considérablement accru les déplacements entre ces pays et l’Union européenne. Ne risque-t-on pas, en privilégiant une troisième dose pour les Européens, laquelle n’est pas utile selon certaines études, d’entrer dans un cercle vicieux ?

Le semblant d’amélioration en Europe ne prendrait-il pas fin si un nouveau variant résistant aux vaccins apparaissait à l’étranger, faute d’un taux de vaccination satisfaisant dans les pays pauvres ?

Loin de moi l’idée de me prétendre expert en la matière – il y en a déjà plus qu’assez en France ! (Sourires.) –, mais il me semblerait opportun de rechercher le consensus des scientifiques avant de prendre une décision sur l’opportunité d’une troisième dose. Je suis donc curieux, monsieur le secrétaire d’État, de connaître la position que compte tenir la France sur ce sujet lors du prochain Conseil européen.

Je pense par ailleurs que la coordination et la coopération internationales restent améliorables, même en dehors de la problématique des vaccins.

Prenons l’exemple de la recherche transfrontière des cas contacts. Une solution a été trouvée par la Commission européenne pour connecter les diverses applications des États membres visant à identifier les personnes cas contacts. C’est une très bonne chose, mais tous les États membres n’ont pas mobilisé cet outil, me semble-t-il.

En outre, qu’en est-il des pays frontaliers qui ne font pas partie de l’Union européenne, comme la Suisse ? Ces pays ont-ils été associés à cette initiative ? Une évaluation de l’efficacité de cette mise en commun a-t-elle été effectuée ? Avez-vous des réponses à fournir à ces questions, monsieur le secrétaire d’État ? Si tel n’est pas le cas, elles méritent d’être abordées lors du prochain Conseil européen. Des améliorations semblent dans tous les cas largement possibles.

En matière de protocoles sanitaires, la coordination doit aussi être plus importante, tout particulièrement dans les stations de ski à l’approche de l’hiver. Alors que certains pays avaient décidé de les fermer l’hiver dernier et que d’autres les avaient maintenues ouvertes – sans clusters ! –, les dissonances sont cette année de retour s’agissant de la mise en œuvre du passe sanitaire.

Si les trois quarts des États membres décident d’imposer le passe, mais pas les autres, l’affluence touristique risque d’être plus importante chez ces derniers. Ces pays pourraient compter plus de clusters et risquent, in fine, une fermeture totale, à l’instar de ce qui s’est passé l’hiver dernier.

Dans le cas contraire, si la majorité des pays décident de ne pas imposer le passe, le petit nombre de pays qui ne le demanderait pas risque de connaître une très mauvaise saison, ce qui aura des répercussions économiques négatives.

Actuellement, la France dit qu’elle n’imposera pas le passe, l’Espagne également. En revanche, l’Autriche et l’Italie l’appliqueront et la Suisse réfléchit à le faire. Ces divergences de position ne sont pas une bonne chose. Si chaque pays est bien évidemment souverain, il est nécessaire de rechercher au maximum une coordination sur cette question entre les États membres. Chacun en sortirait gagnant.

À titre d’exemple, en tant que président du groupe d’études Développement économique de la montagne du Sénat, j’ai discuté hier avec des acteurs de la montagne. Je leur ai demandé s’il serait bien d’avoir une coordination européenne, tous m’ont dit oui, mais ils savent que rien ne sera fait avant 2030. Et c’est là un exemple parmi tant d’autres.

Plus globalement, la recherche d’un accord international visant à améliorer la préparation et la réaction aux pandémies, sur l’initiative de l’Organisation mondiale de la santé, mais à laquelle le président du Conseil européen est associé, me semble être un excellent moyen de pallier le manque de coordination à l’échelon européen comme à l’échelon international. Seules des réponses coordonnées nous permettront de venir à bout de la pandémie et des difficultés qu’elle entraîne.

Nous connaissons cependant les écueils liés à l’utilisation d’un outil de droit international qui n’a que rarement force obligatoire ou qui fait souvent l’objet de dérogation. Il faudra donc être exigeant quant au contenu et à la portée de cet instrument international pour qu’il ait un réel effet.

Monsieur le secrétaire d’État, dans quel état d’esprit la France compte-t-elle s’engager dans les négociations relatives à ce traité ? Connaissez-vous celui des autres membres du Conseil européen ? Les échanges sur ce sujet lors d’un Conseil laissent-ils entrevoir une réelle ambition, ou devons-nous nous attendre à un énième accord dénué de réels effets ?

Enfin, j’aborderai un dernier sujet, qui, s’il n’a pas à proprement parler trait à l’épidémie, a émergé à la suite de celle-ci : la question du télétravail des frontaliers.

J’avais déposé une proposition de résolution européenne visant à augmenter le taux de télétravail autorisé pour les frontaliers, qui est limité en raison de considérations fiscales et des règles de sécurité sociale européennes. Cette proposition a été adoptée à l’unanimité par la commission des affaires européennes et elle est donc devenue une résolution du Sénat au mois de juillet dernier.

Si Bercy m’a déjà signifié son intérêt pour cette proposition, je n’ai toujours pas de retour de votre part, monsieur le secrétaire d’État, ni de vos services sur la position que compte adopter l’Union européenne sur ce sujet. Je pense qu’il serait opportun de sonder les États membres sur leur position lors du prochain Conseil européen, ainsi que sur la manière de mettre en œuvre les mesures proposées.

En effet, il existe actuellement deux possibilités.

D’une part, il est possible d’intégrer cette proposition aux négociations déjà en cours sur les règlements de coordination de sécurité sociale. Celles-ci sont cependant déjà difficiles, et cette option risque de complexifier encore davantage le processus si des désaccords se font ressentir sur le sujet.

D’autre part, il est possible d’intégrer la question à d’autres initiatives européennes, notamment dans le cadre des travaux préparatoires qui sont en cours sur une prochaine initiative de la Commission sur la facilitation du recours au télétravail et le droit à la déconnexion. Cette solution n’est cependant pas non plus idéale, puisqu’une nouvelle modification des règlements de sécurité sociale serait dans tous les cas nécessaire.

Monsieur le secrétaire d’État, avez-vous une idée de la position des autres membres du Conseil européen sur ce sujet ? Si cette question a déjà été abordée, quelle voie semblent-ils vouloir privilégier ? Si tel n’est pas le cas, comptez-vous la mettre sur la table ?

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question de l’Ukraine a déjà été évoquée, notamment par le président Rapin, à propos de l’énergie.

L’Ukraine est un pays ami et voisin, qui entretient avec l’Europe des relations très fortes. Mme Ursula von der Leyen vient d’ailleurs d’y effectuer une visite avec Charles Michel.

Ce pays, nul ne le conteste, a fait l’objet d’une agression territoriale. Nous avons beaucoup et souvent discuté de cette question dans cette maison, où nous reconnaissons évidemment l’intégrité territoriale de l’Ukraine. De même, nous avons légitimé des mesures en faveur de la souveraineté et de la sécurité nationale de ce pays. Mais voilà, l’Ukraine demandant aujourd’hui de l’aide à l’Europe, elle doit donc en respecter les valeurs.

Depuis des mois, monsieur le secrétaire d’État, de très nombreux médias ont été fermés, notamment des chaînes de télévision, comme 112, ZIK, News One, Shari, plus récemment encore la chaîne Strana, dont le rédacteur en chef, qui est en exil politique en Autriche, est présent dans nos tribunes.

L’accélération de ces mesures nous inquiète, car la liberté de la presse est l’une des valeurs fondamentales de l’Ukraine. Le fait que M. Medvedtchouk, le responsable de l’opposition, soit en résidence surveillée sans jugement, sans procédure judiciaire, nous interpelle également.

Toutes ces mesures mettent en péril la libre circulation de l’information et la libre concurrence des médias. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) est d’ailleurs intervenue le 25 août 2021 et a fait une déclaration rappelant à l’Ukraine ses obligations, tout comme Reporters sans frontières (RSF) en septembre dernier.

Il est fondamental que l’Ukraine, membre du Conseil de l’Europe et de l’OSCE, respecte ses obligations. Les inquiétudes sont réelles, monsieur le secrétaire d’État. Quelles mesures pourriez-vous prendre pour faire respecter la liberté de la presse ?

Je souhaite conclure mon propos sur un sujet qui nous préoccupe vraiment : la stabilité et la paix en Ukraine. J’ai parlé, au début de mon intervention, de l’agression dont l’Ukraine a été l’objet et de son intégrité territoriale. Vous savez mieux que moi que les accords au format Normandie et, notamment, la formule Steinmeier exigent l’adoption par l’Ukraine d’une loi organisant des élections, notamment dans le Donbass. Or le président bloque ce texte. L’Ukraine ne met donc pas en œuvre ces accords de Normandie et impute le blocage à son voisin russe.

Je crois qu’il faut faire le point aujourd’hui sur ces accords de Normandie et sur la mise en œuvre de cette formule Steinmeier, à laquelle nous sommes tous attachés. Le président Larcher avait d’ailleurs beaucoup travaillé sur ce sujet, comme vous-même et comme nous tous : nous n’avons pas besoin d’avoir un pays en guerre aux frontières de l’Europe dans les conditions actuelles…

Je crois donc que l’Ukraine, dont le président est d’ailleurs empêtré dans les Pandora Papers, dont nous avons beaucoup discuté et dont j’aurais sûrement parlé à mon tour s’il n’y avait pas tant d’autres questions qui me tiennent à cœur, est un sujet très important, pour la stabilité de l’Europe et pour l’approvisionnement énergétique.

Nous ne pouvons pas laisser ce pays dans l’état dans lequel il se trouve aujourd’hui, fragilisé, alors que les accords de paix ne sont pas en place. La communauté internationale a beaucoup travaillé à la paix en Ukraine. Il est très important que le Conseil européen revienne sur ce sujet, pour que les dispositifs qui ont été prévus par la communauté internationale soient mis en œuvre.

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les vingt-sept chefs d’État ou de gouvernements européens ont rendez-vous à Bruxelles les 21 et 22 octobre, pour un Conseil européen principalement consacré à la réaction de l’Union européenne à la pandémie de covid-19.

La crise sanitaire a montré l’utilité d’une réponse européenne coordonnée. Par exemple, les contrats d’achats anticipés conclus par la Commission européenne ont permis d’éviter une concurrence entre États membres pour l’acquisition de vaccins.

Toutefois, cette crise a aussi révélé au grand jour les failles de l’Union européenne, plus frileuse et plus lente à réagir que d’autres régions du monde. Nous devons en tirer les enseignements en dotant notre continent d’un véritable bouclier sanitaire, pour lui permettre de faire face à toute nouvelle crise éventuelle.

L’une des réponses à ce défi majeur pourrait être la création de l’HERA (Health Emergency Response Authority), future Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire. Cette initiative va dans le bon sens, car elle permettra à l’Union de disposer d’un organisme comparable à la Barda (Biomedical Advanced Research and Development Authority) américaine, dotée de moyens considérables et chargée de coordonner la recherche et l’industrie en cas de crise sanitaire.

Avec cette nouvelle autorité européenne, opérationnelle dès 2022, la Commission pourra centraliser et coordonner l’action de l’Union en cas de crise sanitaire, en stimulant la recherche et en développant les capacités de production de contre-mesures médicales.

Se pose néanmoins la question de la complémentarité de cette nouvelle autorité avec l’Agence européenne des médicaments et le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, dont la Commission entend renforcer les compétences. Une clarification semble nécessaire pour écarter tout risque de doublons.

Il conviendra également de préciser le rôle des États membres dans le choix des projets de recherche à soutenir financièrement et dans la réorganisation de la production européenne en cas de crise.

La Commission, par le biais de l’HERA, aurait la charge de décider des mesures opérationnelles. Or l’action de l’Union ne peut qu’être complémentaire de celles des États membres, qui devront nécessairement être associés.

L’autre actualité du moment porte sur la stratégie de renforcement de l’espace Schengen, qui prévoit notamment, à la fin de l’année, une initiative législative pour mettre en place un cadre de préparation aux crises.

La pandémie de covid-19 a illustré, au moins dans un premier temps, l’absence de coordination entre les États membres dans la gestion de leurs frontières intérieures.

Il faut donc saluer l’objectif de la Commission de revenir au fonctionnement normal de l’espace Schengen en mettant en œuvre des outils qui pourront rétablir la confiance entre États membres et refaire des contrôles aux frontières intérieures une décision de dernier recours.

L’ouverture de « voies vertes » pour garantir le transit des biens essentiels, les lignes directrices pour assurer la libre circulation des travailleurs, ou encore celles sur l’aide d’urgence en matière de soins transfrontaliers, sont des initiatives positives. Le marché intérieur doit continuer à fonctionner, même en cas de fermeture des frontières.

La coopération transfrontière et la mobilité des professionnels de santé sont également essentielles. Pouvez-vous nous dire, monsieur le secrétaire d’État, quelles initiatives ont été prises en la matière ?

Le Conseil européen abordera également la question de la hausse des prix de l’énergie, à la demande de la présidente de la Commission.

Alors que la flambée actuelle des prix a déjà conduit certains États membres à prendre des mesures nationales pour en atténuer l’impact sur les consommateurs, plusieurs pays appellent l’Union européenne à agir pour apporter une réponse commune.

C’est le cas de l’Espagne, qui plaide pour une réserve stratégique de gaz, ou celui, plus contestable, de la Pologne, qui cherche à remettre en cause la réforme de la directive ETS (European Trading Scheme) sur les bâtiments et le secteur routier. Sur ce dernier point, la vigilance doit être de mise : il serait incompréhensible que les crédits ETS consacrés à la transition vers une énergie propre soient dépensés pour prolonger la durée de vie des centrales à charbon polonaises jusqu’en 2030, sans garanties environnementales.

À l’inverse, nous attendons de la France qu’elle se mobilise pour inclure l’énergie nucléaire, faible émettrice de gaz à effet de serre, dans la taxonomie verte, dont l’objectif est justement d’orienter les financements vers des activités climato-compatibles.

Je voudrais enfin évoquer le Brexit, qui n’est pas à l’ordre du jour du Conseil européen, mais dont l’actualité préoccupante exige un positionnement de la France et de l’Union.

Je pense à la hausse des tensions sur la pêche, aux menaces, formulées lors du congrès du parti conservateur à Manchester, de suspendre unilatéralement le protocole nord- irlandais, ou encore à la question migratoire, avec ce chantage inacceptable au financement auquel se livre le Gouvernement britannique.

Sur le Brexit, l’Union européenne doit sommer son voisin britannique de dire clairement s’il s’engage ou non à respecter les deux traités qu’il a signés à la fin de 2019, l’un sur la paix en Irlande et l’autre sur la pêche. À défaut, l’Union européenne devra prendre ses responsabilités et utiliser les leviers prévus, à savoir la suspension partielle ou totale de l’application de ces traités.

En conclusion, ce Conseil européen aura à traiter de sujets intéressant au premier chef nos concitoyens, qui attendent aujourd’hui des réponses concrètes, efficaces et rapides.

La France prendra le 1er janvier prochain pour six mois la présidence du Conseil de l’Union européenne. Espérons qu’elle saura prendre ces sujets cruciaux à bras-le-corps pour être à la hauteur des enjeux, comme elle l’avait été en 2008 lors de la précédente présidence, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy.

Après avoir promis un grand soir européen dans son discours de la Sorbonne au début de son mandat, le Président de la République n’a pas le droit de décevoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)