M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 8 ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le sénateur Sueur, je suis ravi que nous soyons d’accord, mais ce n’est pas la première fois.

M. Jean-Pierre Sueur. Et ce ne sera pas la dernière, j’espère !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Vous avez anticipé mon propos : je l’espère aussi.

Je vous rappelle que j’ai pris à bras-le-corps la proposition de loi de Mme Billon, que nous avons adhéré à la loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, portée par M. le président de la commission des lois du Sénat. Je vous ai même reçu à la Chancellerie et j’ai pris en compte un certain nombre de vos amendements.

Loin de moi l’idée de prétendre avoir été à l’origine de l’amendement que vous présentez ! Je vous en concède bien volontiers la paternité. Cependant, depuis les premiers débats qui se sont tenus dans cette assemblée sur le sujet, je ne suis pas resté « les deux pieds dans le même sabot », si vous me permettez l’expression.

J’ai consulté des experts psychiatres, des représentants des cultes, des magistrats, des universitaires et des avocats. À l’issue de ces consultations, il m’est apparu que cet amendement était justifié et que l’on pouvait envisager de modifier la rédaction du texte en ce sens. Je me suis également inspiré des travaux de la mission d’information menée par Naïma Moutchou et Antoine Savignat.

Nos positions convergent. Je vous propose donc de retirer votre amendement au profit de celui du Gouvernement.

Enfin, nous restons très attachés au principe de la liberté du juge. Je ne veux pas que nous ouvrions la voie, quand bien même l’ouverture serait étroite, à ce que l’avis des experts devienne le guide absolu du juge, qui perdrait alors sa liberté juridictionnelle. Au-delà des enjeux de ce texte, la question est de principe. Il ne suffit pas que le psychiatre dise pour que le juge suive. Je tiens à la disposition du Sénat un certain nombre d’exemples, attestant que les experts ont pu se tromper par le passé, mais vous les connaissez parfaitement.

Veillons donc à ce que le juge conserve sa liberté par rapport aux travaux des experts, tous infiniment respectables, mais qui restent susceptibles de diverger dans leurs conclusions. Il faut laisser au juge la plus grande ouverture possible dans les possibilités qui s’offrent à lui, sans rien imposer.

Quant à la lippe pendante, même si vous me dites qu’elle n’existe plus, je vous affirme que je l’ai déjà vue et que nous risquons de la voir encore.

Telles sont les raisons pour lesquelles je suis totalement opposé à cet amendement. L’impératif m’est interdit lorsque je m’adresse à vous au sujet d’un vote ; cependant, je vous supplie de bien peser l’enjeu qu’il y aurait à imposer au juge un travail d’expertise, quelle qu’elle soit. Dans ce champ, les petits abandons en entraînent parfois de gros.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 86.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 8.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er (précédemment réservé)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure
Article additionnel après l'article 1er bis (précédemment réservé) - Amendement n° 2 rectifié bis

Article 1er bis (précédemment réservé)

(Non modifié)

Le titre II du livre II du code pénal est ainsi modifié :

1° Avant le dernier alinéa de l’article 221-4, il est inséré un 11° ainsi rédigé :

« 11° Par une personne agissant en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise manifeste de produits stupéfiants. » ;

2° Après le 10° de l’article 222-3, il est inséré un 11° ainsi rédigé :

« 11° Par une personne agissant en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise manifeste de produits stupéfiants. » ;

3° Après le 10° de l’article 222-8, il est inséré un 11° ainsi rédigé :

« 11° Par une personne agissant en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise manifeste de produits stupéfiants. » ;

4° Après le 10° de l’article 222-10, il est inséré un 11° ainsi rédigé :

« 11° Par une personne agissant en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise manifeste de produits stupéfiants. » – (Adopté.)

Article 1er bis (précédemment réservé)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure
Article 2 (précédemment réservé)

Article additionnel après l’article 1er bis (précédemment réservé)

M. le président. L’amendement n° 2 rectifié bis, présenté par Mmes V. Boyer et Billon, MM. Genet, Belin et Grand, Mme Borchio Fontimp, MM. D. Laurent et Lefèvre, Mmes Garnier, Imbert et Lassarade, MM. Reichardt, Savary, Regnard et Pellevat, Mme Belrhiti, M. Calvet, Mmes Demas et Chauvin, M. Daubresse, Mmes Noël et L. Darcos, MM. Charon, Sido et Tabarot, Mme F. Gerbaud et M. B. Fournier, est ainsi libellé :

Après l’article 1er bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’avant-dernier alinéa de l’article 222-14 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L’impact de ces violences sur la victime est pris en compte pour l’application des articles 122-1, 122-2 et 122-5 lorsque sa responsabilité pénale est engagée. »

La parole est à Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Cet amendement, très attendu par des professionnels du droit et par des associations, a été voté en mai dernier, par le Sénat, lors de l’examen de la proposition de loi relative aux causes de l’irresponsabilité pénale et aux conditions de réalisation de l’expertise en matière pénale. J’avais accepté – bien volontiers – de le retravailler, à l’époque, pour satisfaire la commission et il avait reçu un avis favorable, avant d’être voté avec le soutien de sénateurs issus de toutes les travées, dont la présidente de la délégation aux droits des femmes, qui en est la première cosignataire.

L’actualité judiciaire nous a donné raison, puisque Valérie Bacot, qui avait été condamnée à quatre ans de prison dont un an ferme, est sortie libre le vendredi 25 juin 2021. Le premier expert psychiatre du procès a expliqué que cette affaire résultait d’une « faille de la société » : « Notre rôle de société, c’est d’empêcher cela. Le libre arbitre de Valérie Bacot est réduit à néant. Dans sa pensée, elle n’est pas seule, son mari est toujours présent. L’emprise est permanente, l’injonction persiste. »

La victime ne peut plus prendre de décision raisonnable, car seules les personnes qui n’ont pas connu la violence conjugale répétitive sur plusieurs années peuvent le faire. Que ce soit sous la forme d’insultes, de critiques incessantes, de remarques désobligeantes, de comportements de mépris, d’avilissement ou d’asservissement de l’autre, de violences physiques et sexuelles, toutes ces attaques touchent à l’intégrité psychique de la victime, qui devient alors prisonnière de la situation qu’elle subit. Il s’agit en réalité d’actes de torture mentale.

De par ses agissements, le conjoint violent porte atteinte au principe du respect de la dignité de la personne humaine. Rares sont les cas dans lesquels la victime de violences conjugales arrive à se défaire de l’emprise que son bourreau exerce sur elle. En effet, ces victimes ne portent que trop rarement plainte.

Cet état de soumission et de danger de mort permanent, vécu pendant des années, peut entraîner un comportement extrême. La plupart du temps, cet enfer conjugal trouve une issue dans le suicide de la victime. Dans des cas très rares, la victime se retourne contre le conjoint, car elle n’a pas d’autre solution que de le tuer pour ne pas mourir, selon le principe du « c’est elle ou moi ».

Le Sénat avait fait preuve de courage et je sais que ceux qui soutiennent les victimes de violences conjugales n’en attendaient pas moins de nous. En effet, tant de victimes sont dans cette situation !

Le Sénat, dans sa grande sagesse, ne peut pas se dédire sur une telle question,…

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Valérie Boyer. Mes chers collègues, je vous demande de faire preuve de discernement en votant cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement. Elle a estimé que la prise en compte de ces éléments était normale et découlait de la procédure devant la cour d’assises, même s’il est vrai que nous avions adopté cet amendement lors de l’examen d’un texte précédent.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

En réalité, dans une telle logique, une femme battue qui tue l’auteur des violences qu’elle subit serait pénalement irresponsable, même lorsque les conditions du trouble mental, de la contrainte ou de la légitime défense ne seraient pas remplies.

Je ne peux pas cautionner un tel message et nous devons tout faire pour que ces victimes déposent plainte et pour qu’elles soient protégées comme il se doit. Nous ne devons pas pour autant les inciter à faire justice elles-mêmes.

Ce sont là, brièvement exposés, des principes qui demeurent intangibles.

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour explication de vote.

Mme Valérie Boyer. Il y a cinq mois, nous avions voté ce texte, à l’issue de son examen. Quel message adresserons-nous aux victimes si nous rejetons aujourd’hui ce que nous avons voté hier, alors même que l’actualité juridique nous a donné raison ?

Le tribunal a reconnu pour la première fois le syndrome de la femme battue ou de la personne battue, à l’occasion de l’affaire que j’ai citée. Si l’auteure du meurtre a été condamnée, sa peine a été atténuée. Or les avocates se sont appuyées sur nos débats dans leurs plaidoiries et de nombreux Français ont salué la prise de position du Sénat.

Même si je respecte les convictions de chacun d’entre vous, nous devons faire preuve de cohérence. En reconnaissant le syndrome de la femme battue, les psychiatres confirment l’altération du jugement.

Certains d’entre vous considèrent la mesure que nous proposons comme un permis de tuer. Ce n’est absolument pas le cas. À suivre un tel raisonnement, nous pourrions envisager toutes les irresponsabilités pénales comme des permis de tuer.

Mes chers collègues, le code pénal prévoit que n’est pas pénalement responsable la personne qui est atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. La notion de permis de tuer est donc tout à fait inadéquate.

En réalité, certaines personnes, femmes ou hommes, voient leur jugement altéré à la suite de violences inqualifiables et répétées. Cela relève d’un phénomène d’emprise.

Je vous propose donc de préciser dans la loi que l’impact des violences conjugales devra être pris en compte. Certains d’entre vous me répondront, à tort, que c’est déjà le cas. Inscrivons donc ce principe, noir sur blanc, symboliquement, dans la loi. Il y va de notre responsabilité au nom des victimes, car c’est bien de cela qu’il s’agit.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez dit qu’on ne jugeait pas les fous. Doit-on juger, sans rien prévoir dans la loi, des personnes dont le jugement est altéré en raison des coups qu’elles ont reçus de manière répétée ? Même si elles ne sont pas irresponsables, ces personnes restent des victimes. Le droit doit tenir compte du syndrome de la femme battue.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Il est absolument faux de dire que les juridictions ne prennent pas en compte la situation des femmes, auteures de violences sur leur conjoint, lorsqu’elles ont été elles-mêmes victimes de violences. Je ne sais pas à quelle affaire vous pouvez faire référence, car rien de tel ne se passe dans les tribunaux. Même si vous avez cité une affaire récente.

Quel juge et quels jurés pourraient rester insensibles à la situation d’une femme qui tuerait son conjoint parce que, pendant vingt ans, elle a été elle-même victime de violences au quotidien ? Ce que vous dites est faux et le message que vous véhiculez ne recouvre pas la réalité.

Les juridictions sont évidemment sensibles à ce genre de circonstances. J’en veux pour preuve que les juges doivent mettre en évidence la personnalité de l’auteur, dans un processus de décision qui prend en compte un principe de « personnalisation ».

La différence apparaît clairement, dans un curriculum vitae, entre une femme qui serait l’auteure d’un crime crapuleux et celle qui aurait commis un meurtre parce qu’elle n’en peut plus, qu’elle est à bout, qu’on la frappe et qu’on l’injurie régulièrement.

Non, on ne peut pas se référer à tel ou tel procès pour dire que la situation a changé. C’est tout à fait faux. Prévoir qu’une femme battue pourra bénéficier de la mesure que vous proposez au motif qu’elle est battue, ce serait envoyer un bien mauvais message. Les juges ont parfaitement conscience de ce que peut être la vie des êtres et ils la prennent en considération, ce qui est tout à leur honneur.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié bis.

(Lamendement nest pas adopté.)

Article additionnel après l'article 1er bis (précédemment réservé) - Amendement n° 2 rectifié bis
Dossier législatif : projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure
Article 3 (précédemment réservé) (Texte non modifié par la commission)

Article 2 (précédemment réservé)

Le code pénal est ainsi modifié :

1° Après la section 1 du chapitre Ier du titre II du livre II, est insérée une section 1 bis ainsi rédigée :

« Section 1 bis

« De latteinte à la vie résultant dune intoxication volontaire

« Art. 221-5-6. – Est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende le fait pour une personne d’avoir consommé volontairement, de façon illicite ou manifestement excessive, des substances psychoactives en ayant connaissance du fait que cette consommation est susceptible de la conduire à mettre délibérément autrui en danger, lorsque cette consommation a entraîné un trouble psychique ou neuropsychique temporaire sous l’empire duquel elle a commis un homicide volontaire dont elle est déclarée pénalement irresponsable en application du premier alinéa de l’article 122-1.

« Si l’infraction prévue au premier alinéa du présent article a été commise par une personne qui a été précédemment déclarée pénalement irresponsable d’un homicide volontaire en application du premier alinéa de l’article 122-1 en raison d’une abolition de son discernement ou du contrôle de ses actes résultant d’un trouble psychique ou neuropsychique temporaire provoqué par la même consommation volontaire de substances psychoactives, la peine est portée à quinze ans de réclusion criminelle. » ;

2° Au premier alinéa de l’article 221-9 et à l’article 221-9-1, la référence : « par la section 1 » est remplacée par les références : « aux sections 1 et 1 bis » ;

3° À l’article 221-11, la référence : « à la section 1 » est remplacée par les références : « aux sections 1 et 1 bis » ;

4° Après la section 1 du chapitre II du titre II du livre II, est insérée une section 1 bis ainsi rédigée :

« Section 1 bis

« De latteinte à lintégrité de la personne résultant dune intoxication volontaire

« Art. 222-18-4. – Est puni des peines suivantes le fait pour une personne d’avoir consommé volontairement, de façon illicite ou manifestement excessive, des substances psychoactives en ayant connaissance du fait que cette consommation est susceptible de la conduire à mettre délibérément autrui en danger, lorsque cette consommation a entraîné un trouble psychique ou neuropsychique temporaire sous l’empire duquel elle a commis des tortures, actes de barbarie ou violences dont elle est déclarée pénalement irresponsable en application du premier alinéa de l’article 122-1 :

« 1° Sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende, si les tortures, actes de barbarie ou violences ont entraîné la mort ;

« 2° Cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, si les tortures, actes de barbarie ou violences ont entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ;

« 3° Deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, si les tortures, actes de barbarie ou violences ont entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours.

« Si l’infraction prévue au premier alinéa du présent article a été commise par une personne qui a été précédemment déclarée pénalement irresponsable d’un homicide volontaire en application du premier alinéa de l’article 122-1 en raison d’une abolition de son discernement ou du contrôle de ses actes résultant d’un trouble psychique ou neuropsychique temporaire provoqué par la même consommation volontaire de substances psychoactives, les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende dans le cas prévu au 1° du présent article, à sept ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende dans le cas prévu au 2° et à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende dans le cas prévu au 3°. » ;

5° Au premier alinéa de l’article 222-45, après la référence : « 1, », est insérée la référence : « 1 bis, » ;

5° bis (nouveau) Au premier alinéa de l’article 222-48-1, les références : « aux articles 222-23 » sont remplacées par les références : « aux articles 222-18-4 et 222-23 » ;

6° Le paragraphe 1 de la section 3 du chapitre II du titre II du livre II est complété par un article 222-26-2 ainsi rédigé :

« Art. 222-26-2. – Est puni des peines suivantes le fait pour une personne d’avoir consommé volontairement, de façon illicite ou manifestement excessive, des substances psychoactives en ayant connaissance du fait que cette consommation est susceptible de la conduire à mettre délibérément autrui en danger, lorsque cette consommation a entraîné un trouble psychique ou neuropsychique temporaire sous l’empire duquel elle a commis un viol dont elle est déclarée pénalement irresponsable en application du premier alinéa de l’article 122-1 :

« 1° Dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende, si le viol a été commis avec des tortures ou des actes de barbarie ou s’il a entraîné la mort ;

« 2° Sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende dans les autres cas.

« Si l’infraction mentionnée au premier alinéa du présent article a été commise par une personne qui a été précédemment déclarée pénalement irresponsable d’un homicide volontaire en application du premier alinéa de l’article 122-1 en raison d’une abolition de son discernement ou du contrôle de ses actes résultant d’un trouble psychique ou neuropsychique provoqué par la même consommation volontaire de substances psychoactives, la peine prévue au 1° du présent article est portée à quinze ans de réclusion criminelle et celle prévue au 2° est portée à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 euros d’amende. » ;

7° (Supprimé)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L’amendement n° 9 est présenté par M. Sueur, Mme de La Gontrie, MM. Kanner, Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Jacquin et Antiste, Mme Conconne et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 38 est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

L’amendement n° 72 est présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, M. Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l’amendement n° 9.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous sommes très clairs : il fallait modifier l’article 1er et adopter une nouvelle rédaction. Dans la mesure où ni la nôtre – qui avait bien sûr notre préférence – ni celle du Gouvernement n’ont été adoptées, nous nous rallions à celle de la commission.

En revanche, nous nous opposons fermement à l’article 2, car nous considérons que l’article 1er suffit à changer la législation comme il le faut. L’article 2 ne fait qu’introduire de la confusion et de l’ambiguïté tout en présentant des difficultés d’adaptation.

En effet, il substitue à la notion de substances consommées dans l’intention de commettre un délit celle d’une consommation qui conduit à commettre un délit ou un crime. Une distinction est donc établie entre la consommation de substances psychoactives et les actes que l’individu accomplit sous leur emprise, tout en souffrant d’une pathologie ou de troubles psychiatriques qui peuvent éventuellement préexister.

Dans cette logique, l’article 122-1 du code pénal continue de s’appliquer, c’est-à-dire que l’on déclare l’irresponsabilité pénale en raison d’une abolition du discernement, mais il reste à établir que l’auteur des faits ne s’est pas volontairement placé dans cette situation, avant de les commettre.

Tout d’abord, ce dispositif risque d’être difficile à appliquer, car les victimes et les parties civiles auront du mal à faire valoir qu’un tel délit a été commis.

Ensuite, cet article porte sur des cas très marginaux, selon l’étude d’impact et l’avis du Conseil d’État. Il s’appliquerait donc très rarement.

Son adoption conduirait néanmoins à pénaliser et à condamner des personnes dont on considère aujourd’hui qu’elles souffraient d’une abolition totale de leur discernement au moment des faits.

On modifierait ainsi la structure du droit en matière d’abolition du discernement, sans toutefois l’assumer pleinement.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 38.

Mme Éliane Assassi. Cet article introduit dans le code pénal deux nouvelles infractions intentionnelles : l’atteinte à la vie, résultant d’une intoxication volontaire, et l’atteinte à l’intégrité de la personne, résultant d’une intoxication volontaire.

De nombreuses questions se posent, lorsque l’on considère les effets et les réactions multiples que provoque la prise de substances toxiques. La perte d’ancrage avec le réel constitue l’une des caractéristiques constantes des différents états que traversent ceux qui ingèrent de tels produits. Or cette conséquence entre en contradiction avec la notion de responsabilisation.

De leur propre aveu, les magistrats et les experts judiciaires redoutent que la caractérisation des nouvelles infractions ne soit une véritable usine à gaz.

Dans cet amendement, nous réaffirmons notre attachement au principe selon lequel l’abolition du discernement au moment de l’acte est exclusive de l’intention, au sens du droit pénal. Toute exception à ce principe remet en cause l’édifice pénal.

Nous partageons à cet égard les conclusions des travaux de la mission sur la responsabilité pénale, présidée par Dominique Raimbourg et Philippe Houillon, que l’ancienne garde des sceaux avait mise en place. Dans le rapport commandé en février 2020, elle établit en effet l’inopportunité d’une réforme dans ce domaine.

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 72.

M. Guy Benarroche. M. Sueur et Mme Assassi ont parfaitement bien développé leurs arguments. Selon nous, l’article 2 fragilise également le système du droit pénal, tout comme l’article 1er qui a été voté, alors que nous nous y opposions.

En réalité, il présuppose que la personne mise en cause a connaissance des effets biologiques de certains produits, alors que cela n’est possible que pour les seuls experts. L’application d’une telle mesure serait rendue aléatoire par des obstacles pratiques. Comment caractériser la prise « manifestement excessive » de substances psychoactives ? Comment établir qu’une personne qui consomme de tels produits est consciente qu’ils peuvent la conduire à attenter à la vie ou à l’intégrité d’autrui ? Il faut pour cela considérer que celui qui est mis en cause connaît parfaitement les effets biologiques des produits qu’il ingère.

Pour prendre un exemple, un individu qui boit deux verres d’alcool n’en sentira pas forcément les effets. En revanche, s’il a été privé de sommeil ou s’il est dans un certain état de fatigue, les conséquences pourront être plus graves, même avec un seul verre. Pour juger si la consommation est « manifestement excessive », il faut une connaissance fine des réactions de l’individu à l’alcool.

La suppression de l’article est conforme aux recommandations de la mission sur la responsabilité pénale, présidée par Dominique Raimbourg et Philippe Houillon, dans le rapport qui a été remis au garde des sceaux, le 23 avril 2021. Elle s’inscrit également dans la lignée des travaux que nous avons menés au printemps dernier et qui préconisaient de laisser en l’état l’article 122-1 du code pénal. C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de cet article.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Dans la mesure où l’article 2 a été introduit par le Gouvernement, je laisserai M. le garde des sceaux développer plus avant les arguments qui le justifient.

Sur quel cas porte cet article ? Il vise un individu qui prend des substances dites psychoactives, dont il ne peut ignorer les effets, notamment le risque de mettre en danger la vie d’autrui, et qui commet des violences sous l’effet de ces substances, pouvant aller jusqu’à l’homicide. Imaginez par exemple quelqu’un qui boit deux bouteilles de whisky, il prend sa voiture et il écrase un passant.

Dans ces conditions, il est possible que l’irresponsabilité pénale soit constatée, car l’alcool, en l’occurrence, a pour effet d’abolir totalement le discernement de la personne qui l’a consommé. Sous réserve que l’on puisse prouver l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction – je souscris à ce qu’ont dit les auteurs des amendements –, c’est-à-dire qu’il soit établi que l’individu qui a consommé des substances psychoactives avait connaissance qu’elles risquaient de lui faire mettre en danger la vie d’autrui, l’acte lui-même ne sera pas jugé, car l’irresponsabilité pénale sera constatée.

En revanche, la prise des substances sera incriminée et pourra donner lieu à condamnation.

Tel est le sens, brièvement résumé, de cet article que la commission a adopté. Dans ces conditions, j’émets un avis défavorable sur les amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Mme le rapporteur vient de défendre excellemment cet article 2, qui distingue, d’un côté, celui dont le discernement est aboli en raison, par exemple, d’une pathologie mentale, de l’autre, celui qui se retrouve incapable de discernement, en raison d’un comportement positif qu’il a lui-même généré.

Dans le premier cas, il n’y a rien à dire, car on ne juge pas les fous dans notre pays, comme on le faisait au Moyen Âge. Ce serait une régression sociétale considérable que d’envisager un autre principe et personne ne souhaite franchir cette ligne rouge. Le second cas est exceptionnellement rare, puisqu’il n’y a eu que deux occurrences depuis quarante ans.

Cependant, l’émotion que l’affaire Halimi a suscitée justifiait que nous intervenions, non pas pour légiférer sans méthode, mais dans le cadre des règles du droit, car c’est la société qui fait évoluer le droit et pas l’inverse.

Il fallait aussi répondre à l’appel lancé par l’avocate générale près la Cour de cassation, lorsqu’elle dit en substance que la Cour ne peut pas aller là où le législateur ne lui permet pas d’aller. Il s’agissait de combler un « trou dans la raquette » – pardonnez-moi cette expression, que je déteste.

Telles sont les raisons qui ont présidé à l’élaboration de ce texte. J’ai procédé à une très large consultation, pour m’assurer que nous ne franchissions pas de lignes interdites en proposant ce dispositif.

Je remercie la commission des lois du Sénat de son soutien. Il serait inéquitable d’appliquer les mêmes critères pour examiner la situation d’une personne malade mentale, responsable de rien, et celle d’un individu qui se met de lui-même dans une situation où sa raison peut chanceler et son discernement le quitter. Dans ce dernier cas, l’individu exerce véritablement sa responsabilité.

La prise de stupéfiants est punie d’un an d’emprisonnement. En l’état actuel de la législation, aucun procureur n’oserait organiser un procès. Imaginez que l’on convoque les victimes d’un homicide à une audience correctionnelle qui se conclurait par une peine d’un an de prison ! Le condamné pourrait se tourner vers elles en disant : « Même pas mal ! » C’est totalement inconcevable.

Voilà pourquoi nous avons voulu créer une infraction claire, nette et précise, pour établir une responsabilité dans ce type de cas.

En outre, l’article 2 permet la constitution de partie civile des victimes du crime, même si celui-ci ne pourra pas être jugé du fait du constat de l’irresponsabilité.

Ce texte équilibré comble un vide juridique. Monsieur le sénateur Sueur, même si un seul cas se présente tous les quarante ans – vous avez raison de le préciser – nous ne pouvions pas rester les bras ballants face au constat jurisprudentiel.

Il en est de même pour le texte sur la procréation médicalement assistée (PMA) qui peut ne concerner qu’un seul cas par an. Il fallait pourtant légiférer. Je reconnais que la comparaison est forcée.

Nous sommes au rendez-vous de nos obligations. C’est la raison pour laquelle je suis totalement opposé aux amendements que vous avez présentés. (Mme Éliane Assassi exprime son doute.)

Madame Assassi, vous manifestez votre scepticisme, mais vous savez bien que je ne pouvais pas être d’accord avec vous, car il y va de l’architecture même du texte. Un individu qui tue quelqu’un sous l’effet de produits stupéfiants ne peut pas s’en sortir au motif qu’il a consommé ces substances. Ce ne serait ni équitable ni juste. Voilà ce à quoi nous avons voulu remédier.