Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Et du centre !

M. Christian Redon-Sarrazy. Nous espérons que les débats à venir – ils seront, je n’en doute pas, riches, passionnés, et probablement longs – corrigeront en partie ces égarements. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis. (M. Frédéric Marchand applaudit.)

M. Bernard Buis. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre agriculture voit-elle enfin le bout du tunnel ? Elle vit en tous cas un tournant, et ce tournant est un tournant politique. Le texte que nous examinons s’inscrit dans cette prise de conscience de la nécessité d’une reconquête de la souveraineté alimentaire française.

Depuis 2017 – notre ministre peut en témoigner –, nous nous attaquons aux causes profondes des dysfonctionnements du modèle agricole. Cela prend du temps et exige des ajustements, mais, au bout du compte, notre modèle est en train de se renforcer.

Je fais ainsi référence aux États généraux de l’alimentation et aux deux lois qui en sont issues, visant à refonder totalement les négociations commerciales au profit de nos agriculteurs.

Mais penser à l’agriculture, c’est penser aussi à anticiper et à susciter de nouvelles vocations, car le constat est alarmant : un agriculteur européen sur deux a aujourd’hui plus de 55 ans, et partira donc à la retraite ces prochains mois. Le renouvellement des générations est par conséquent un impératif.

Le foncier agricole doit donc être plus accessible. La lutte contre l’artificialisation des sols est un premier combat à mener et, à cet égard, une série de mesures ont été votées lors de l’examen du projet de loi Climat et résilience.

Mais ce qui nous réunit cet après-midi, c’est la volonté d’agir contre la concentration des terres. Et il y a urgence ! Le nombre d’exploitations ne cesse de baisser. Quelques chiffres assez parlants peuvent l’attester : en 1955, il y avait 2,3 millions d’exploitations agricoles ; en 2016, il n’en restait que 440 000. C’est le résultat d’une politique agricole de cogestion, de concentration, d’industrialisation des terres et de nos produits. Cette politique a donné des résultats, mais elle n’est plus adaptée à la nécessité d’une agriculture pragmatique, protectrice et ambitieuse.

Fruit de travaux intenses menés par l’auteur de la proposition de loi, M. Jean-Bernard Sempastous, le présent texte a pour objet de remobiliser le foncier de façon à soutenir l’installation des agriculteurs et de garantir ainsi le renouvellement des générations.

Pour ce faire, il est prévu d’appliquer des mesures visant à répondre à l’enjeu des concentrations de terres, lesquelles ne font pas toujours l’objet d’une régulation – je pense notamment aux concentrations sociétaires.

L’auteur de la proposition de loi s’est donc entretenu, des mois durant, avec les organisations interprofessionnelles, afin d’aboutir à un dispositif qui puisse satisfaire l’ensemble des parties.

L’idée est de donner aux Safer les outils qui leur permettront de contrôler les cessions de parts de sociétés et d’agir pour favoriser l’installation de nouveaux exploitants. Ainsi, toute cession au profit d’un acquéreur détenant des terres agricoles au-delà d’un certain seuil sera contrôlée. Ce sera ensuite aux préfets d’autoriser ou non la transaction.

Mais notre commission des affaires économiques a considéré, dans sa majorité, que les pouvoirs des Safer étaient excessivement étendus. De fait, une série d’amendements adoptés la semaine dernière ont visé à amoindrir leurs compétences – je fais référence aux mesures compensatoires. Or, si l’on note, ici où là, des dérives, celles-ci restent maîtrisées et sanctionnées.

Je rappelle que les Safer sont des opérateurs utiles pour nos agriculteurs, qu’elles ne seront jamais décisionnaires et que seul le préfet autorisera ou refusera la cession de parts. C’est en ce sens que nous déposerons des amendements de rétablissement, et nous espérons que la majorité sénatoriale comprendra notre message.

Globalement, nous nous entendons tous pour agir : nous souhaitons tous attirer les jeunes générations autour de l’objectif consistant à reconstruire un maillage d’activités et de liens sociaux qui redonne vie à nos territoires.

Nous tenons donc à ce que les projets fonciers agricoles à dimension biologique ou écologique puissent être facilités – tel sera l’objet d’un autre amendement de rétablissement présenté par notre groupe, visant les projets à haute valeur sociétale, sociale et écologique.

Mes chers collègues, certes, nous le voyons, des divergences de points de vue se font jour, notamment sur les manières d’aboutir, mais nous partageons tous une même ambition : faciliter l’acquisition de nos terres agricoles. Dès lors, continuons à travailler ensemble et trouvons des portes de sortie dans l’intérêt de notre agriculture !

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. Franck Menonville. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en février 2020, notre groupe avait organisé dans ce même hémicycle un débat intitulé : « Foncier agricole : les outils de régulations sont-ils toujours pertinents ? » Nous avions conclu notre débat sur la nécessité absolue d’apporter des ajustements législatifs à notre système régulant le foncier agricole.

Le texte proposé par notre collègue député Jean-Bernard Sempastous, dont je salue le travail, tend à répondre à l’urgence de la situation.

Urgence, en effet, car de nombreux départs en retraite vont intervenir dans les prochaines années : près d’un agriculteur sur deux fera valoir ses droits à la retraite au cours des dix prochaines années. Nous avons la chance, dans notre pays, d’avoir des jeunes motivés, désireux de s’installer. Il faut donc les aider et faciliter la transmission à leur profit.

Urgence, encore, car il faut surmonter les difficultés actuelles pour accéder au foncier, qui est pourtant le support indispensable de tous les projets agricoles.

Les outils de régulation existants ont été mis en place dans les années 1960. Force est de constater qu’ils ne sont plus adaptés pour faire face aux nouvelles manières d’accéder au foncier.

Une grande loi foncière est attendue, et même annoncée, depuis des années. Beaucoup l’appellent de leurs vœux. Il faut néanmoins admettre que nous n’en avons pas tous la même définition. Sur un dossier aussi sensible, un consensus n’est ni naturel ni évident.

La proposition de loi que nous examinons cet après-midi instaure une nouvelle procédure de contrôle des cessions de parts de société en agriculture. Le champ de ce texte est certes très circonscrit ; il a toutefois le mérite de cibler les pans qui sont aujourd’hui les moins bien régulés.

En effet, actuellement, seule l’acquisition directe de terres agricoles par des exploitants ou des sociétés est très encadrée et soumise au droit de préemption des Safer.

Nous avons, au cours de cette discussion, à dessiner une ligne de crête, à tracer le chemin qui permettra d’encourager la liberté d’entreprendre et de garantir à la fois le droit de propriété, moteur de nos sociétés occidentales, et la nécessaire régulation contre les excès parfois engendrés par le développement de nouvelles formes sociétaires.

Nous devons donner à nos agriculteurs la possibilité de s’associer, de s’agrandir, afin d’atteindre des tailles porteuses d’avenir et de compétitivité économique, mais aussi faciliter la transmission et le renouvellement des générations.

La commission a instauré la territorialisation du contrôle en confiant au préfet de département la décision d’autoriser ou de refuser une prise de participation sociétaire ; on rapproche ainsi la décision des territoires. Au regard de la diversité des exploitations, l’échelon départemental sera parfaitement adapté.

Par ailleurs, le texte renforce le rôle des Safer en leur octroyant davantage de missions. Elles devront assurer la transparence du marché sociétaire sous le contrôle et la tutelle de l’État – il faut le rappeler.

En mettant en place un système de contrôle flexible et adapté aux réalités de terrain, ce texte contribue à faciliter l’accès au foncier, que ce soit en propriété ou en location, et à encourager le renouvellement des générations, concourant ainsi à garantir notre souveraineté alimentaire.

Néanmoins, nous devons garder à l’esprit que d’autres sujets non présents dans ce texte, d’une importance fondamentale, devront également être traités, par exemple le statut de l’exploitant ou l’évolution des modes d’exploitation et ses conséquences sur les relations entre propriétaires et exploitants.

Pour conclure, mes chers collègues, je veux dire l’importance du présent débat : il touche à l’avenir de notre agriculture et à la dynamique de nos territoires ruraux. Aussi, j’espère que nous parviendrons à un consensus. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Gremillet. Madame la présidente, mes chers collègues, nous avions reçu des engagements, monsieur le ministre, nous avions entendu des paroles, en particulier de la part de votre prédécesseur, qui nous avaient fait espérer une grande loi foncière permettant enfin à l’agriculture française de se projeter dans l’avenir. Aujourd’hui, je suis très déçu : c’est du bricolage de dernière minute, en urgence, qui nous est proposé.

Pourquoi suis-je aussi dur, monsieur le ministre ? Parce qu’on n’a pas le courage de poser, au préalable, les questions réellement fondamentales : qu’est-ce qu’un agriculteur, une agricultrice aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’une exploitation agricole ?

Nous allons légiférer pour un nombre très limité de situations particulières sans aborder l’essentiel : comment organiser la production compte tenu de la diversité territoriale de notre agriculture ?

L’espace agricole, qui n’est pas extensible, est soumis à des décisions telles que l’objectif de zéro artificialisation nette des sols, la réforme de la PAC, qui aura des conséquences importantes sur notre territoire, ou les orientations qui se dessinent à l’occasion de la COP26, tandis que la forêt ne cesse de croître année après année.

Et puis, monsieur le ministre, mes chers collègues, une question de fond nous intéresse tous : comment allons-nous garantir la sécurité et la souveraineté alimentaires de notre pays et de nos concitoyens, dans l’Hexagone et outre-mer, en tenant compte d’un contexte qui est aussi européen ?

De cette même terre, nous voulons tirer de l’énergie, selon des méthodes qui consomment de la surface agricole – pensons à la méthanisation, mais aussi à l’éolien qui, nécessitant des chemins d’accès, fait disparaître des hectares de surface agricole.

M. Daniel Gremillet. Par ailleurs, cette question a été précédemment évoquée, l’expression d’exigences sociétales et environnementales a pour effet de soustraire encore des surfaces à cet espace agricole.

Il était nécessaire de se projeter dans les formes de l’agriculture de demain, d’imaginer ce que seront à l’avenir l’entreprise et l’exploitation agricoles, d’étudier les conditions dans lesquelles elles pourront satisfaire le marché national et répondre aux exigences de notre société, dans un contexte européen.

Effectivement, les modalités d’installation des agriculteurs obéissent désormais à des règles très particulières. De fait, le monde a changé : hier, tous les jeunes qui s’installaient le faisaient grâce au sacrifice de leur famille, de leurs frères et sœurs ; c’est ainsi qu’est née l’agriculture française. Aujourd’hui, cette situation se faisant de plus en plus rare dans nos territoires, il nous faut assurer la réussite de cette entrée dans la profession agricole du « hors cadre familial ».

On l’a dit : 50 % des agriculteurs, au bas mot, ont plus de cinquante ans. Quand j’étais jeune exploitant, c’était déjà le cas ! Sauf qu’à l’époque les besoins d’évolution et d’agrandissement étaient réels. Aujourd’hui, nous avons plus besoin de voisins et de bras que d’hectares supplémentaires !

Pour conclure, je veux souligner la qualité du travail de notre rapporteur. Grâce à un remarquable travail d’écoute, vous avez réintroduit de la proximité – c’était nécessaire s’agissant d’un dossier comme celui du foncier – dans un texte qui, je le répète, s’apparente à du bricolage.

En particulier, vous avez préservé l’essentiel, à savoir le travail de ces femmes et de ces hommes, notamment en étendant l’exonération des cessions intrafamiliales jusqu’au quatrième degré inclus.

Notre groupe, dans sa globalité, votera ce texte à l’issue d’un débat d’amendements qui s’annonce très riche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Je constate que tous les orateurs dépassent leur temps de parole… Soit ; mais je ne tolérerai aucun dépassement du dépassement ! (Sourires.)

La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la régulation de l’accès à la terre agricole est cruciale pour le renouvellement des générations, donc pour le développement d’une agriculture à taille humaine, pourvoyeuse de valeur ajoutée et d’emplois.

Il y a là un enjeu essentiel pour la vitalité de nos territoires et pour la sécurisation d’une alimentation locale diversifiée et de qualité. Un accès partagé à la terre est aussi un levier de promotion d’une agriculture respectueuse de l’environnement puisque, bien souvent, on observe une corrélation entre la taille d’exploitation et la qualité de la biodiversité.

Si la régulation du foncier agricole doit permettre la nécessaire transition agroécologique, l’existence de failles législatives et l’arrivée de fonds spéculatifs dans le secteur agricole se traduisent par des accaparements de terres néfastes pour notre agriculture et pour notre société.

Vous l’aurez compris, le groupe écologiste estime qu’il est essentiel de s’emparer du sujet qui nous occupe aujourd’hui ; nous abordons néanmoins les débats avec beaucoup d’inquiétude.

Tout d’abord, le texte dont nous discutons n’est pas la grande loi foncière qui était promise par le Gouvernement. Nous aurions souhaité aborder le travail à façon, source de concentration de terres. De même, l’accaparement par des investisseurs étrangers via des montages sociétaires n’est pas traité.

Ensuite, bien que cette proposition de loi soit présentée comme une avancée dans un contexte d’urgence, non seulement elle ne va pas assez loin, mais elle pourrait s’avérer contre-productive, en particulier dans sa rédaction issue des travaux de la commission.

Si nous partageons le constat qu’il est urgent de réguler les transferts de foncier qui sont réalisés via les parts de sociétés – de tels transferts ont représenté 616 000 hectares en 2019 –, les modalités proposées dans ce texte ne sont pas à la hauteur de l’enjeu.

Il est certes prévu de contrôler ces opérations, qui prospèrent aujourd’hui dans un angle mort de la réglementation, mais, si l’on tient compte d’un seuil de déclenchement du contrôle très élevé, d’exemptions diverses et de mesures compensatoires qui sont une caution donnée aux grands agrandissements, cette proposition de loi ne permet pas une véritable régulation.

Pis, en légitimant un contrôle plus faible des agrandissements réalisés via des parts de sociétés, elle acte un « deux poids, deux mesures » entre personnes morales et personnes physiques. Elle risque ainsi de décrédibiliser toute volonté régulatrice en créant un système peu efficace et encore trop facilement contournable.

La commission a poussé plus loin encore cette logique en rehaussant le seuil de contrôle, sujet dont nous pourrons à peine débattre aujourd’hui en raison des irrecevabilités de l’article 40 de la Constitution – cela, d’ailleurs, pose véritablement question.

Elle a de surcroît entériné un recul quant aux outils actuels de régulation, en réduisant le champ d’intervention des Safer pendant neuf ans pour les biens passés par le régime d’autorisation créé par le texte.

Nous nous opposons aussi à la suppression de l’article 5, qui représentait selon nous une véritable avancée permettant de lutter contre les agrandissements excessifs.

Nous sommes ici en désaccord profond avec la commission, qui considère la concentration des terres comme bénéfique, car nécessaire à la compétitivité, ainsi qu’il est écrit dans le rapport. Selon nous, la course à l’agrandissement des fermes est synonyme de perte d’emplois, de valeur ajoutée et de biodiversité ; elle est source de difficultés pour de nombreux porteurs de projets, dont certains sont contraints de renoncer, faute d’accès au foncier.

La terre est un bien commun, il est important de le rappeler, base de notre système nourricier. C’est pour cette raison que nous souhaitons construire un système transparent et juste permettant une régulation foncière accordée à nos objectifs en matière d’installation et de consolidation des exploitations.

On a beaucoup parlé de liberté : c’est ici la liberté d’entreprendre du plus grand nombre que nous souhaitons défendre et, à travers elle, la transition agroécologique. Nous nous opposerons – hélas ! – à ce texte nécessaire, mais largement insuffisant.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, parce que la terre est la ressource du vivant, la question de la régulation et de l’interventionnisme public dans la gestion du foncier agricole est déterminante.

La question foncière est au cœur du renouvellement générationnel en agriculture, alors que 37 % des paysans vont quitter leurs terres dans la décennie qui vient. Elle doit donc être intégrée à la préparation de la relève, via par exemple les aides à l’installation des jeunes agriculteurs.

La question foncière est aussi au cœur des problématiques environnementales et de préservation de la qualité des sols et de l’eau.

Elle est au cœur d’un modèle d’agriculture de taille humaine, de proximité, que nous souhaitons préserver et développer.

Ce n’est pas un hasard si ce sujet complexe a fait l’objet de nombreux rapports ces dernières années et devient peu à peu une préoccupation citoyenne.

Au-delà de la question de l’artificialisation, c’est aujourd’hui la concentration foncière qui est en jeu du fait de la fragilisation des outils de contrôle de la propriété et de l’usage des espaces agricoles.

En effet, la question foncière n’est plus essentiellement l’affaire des agriculteurs ; elle devient celle d’investisseurs capitalistes et de spéculateurs financiers dont les stratégies de maîtrise du foncier agricole sont totalement étrangères aux objectifs de la politique foncière mise en place au milieu du XXe siècle.

M. Laurent Duplomb. Vive l’URSS !

M. Laurent Burgoa. Vous voulez les kolkhozes ? (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Fabien Gay. Nous pourrons parler des kolkhozes, mon cher collègue, même si je n’en ai jamais été un grand partisan… Je veux bien avoir un grand débat avec vous, sur cette question et sur bien d’autres !

Cette proposition de loi soulève donc une question essentielle : comment répondre à l’essor d’une agriculture de firmes et d’une financiarisation des terres qui se font au détriment du modèle agricole ?

L’accaparement des terres agricoles entraîne en effet la concentration d’une ressource essentielle dans les mains de quelques-uns, au détriment des paysans privés de terre, des jeunes agriculteurs, mais aussi de l’ensemble de nos concitoyens, tant cette question a partie liée avec l’exigence d’une alimentation saine et de qualité.

Mon sentiment est que, malgré tout, nous pouvons nous accorder sur deux points.

Aujourd’hui, la législation foncière est opaque et incapable de maîtriser la marchandisation de la terre. En outre, l’usage partagé de cette ressource ne peut pas être régulé par les seules lois du marché.

Mais la solution proposée ne nous convainc pas. Loin de renforcer les outils de régulation existants, le texte instaure un nouveau régime de contrôle du phénomène sociétaire qui risque de fragiliser encore davantage les formes de contrôle existantes, voire d’accélérer un mouvement de financiarisation qu’il faudrait au contraire combattre.

La proposition de loi a un champ trop limité, le déclenchement du contrôle étant doublement conditionné : il faut que la cession de parts conduise à la prise de contrôle d’une société à hauteur de 40 % des droits de vote et que la surface totale détenue après l’acquisition de la société dépasse un seuil d’agrandissement significatif fixé par le préfet de région. Or ces deux seuils, ainsi que les différentes exemptions prévues par le texte, limiteront fortement les opérations soumises au contrôle. Pis, le texte permet de dépasser le seuil d’agrandissement en contrepartie de mesures compensatoires.

Dès lors, on peut se demander si cette nouvelle procédure de contrôle n’aura pas un effet contraire à celui qui est recherché, certains se servant de ce nouvel outil pour constituer des sociétés qui permettront de contourner le contrôle des structures.

Nous regrettons enfin qu’en lieu et place d’une grande loi foncière nous débattions d’une proposition de loi enserrée dans le temps de l’initiative parlementaire. L’accumulation de petites réformes nuit à la cohérence et à la clarté et témoigne d’un manque de vision globale concernant une thématique pourtant fondamentale.

En ce sens, ce texte est une occasion manquée. Il ne répondra malheureusement pas aux objectifs de relocalisation alimentaire, de protection de l’environnement, de défense des droits à la terre et à l’installation.

La terre n’est pas un bien comme les autres et il faudra beaucoup plus d’ambition pour la préserver et l’arracher au phénomène de financiarisation, qui nuit à la souveraineté alimentaire et à la biodiversité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Françoise Férat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux à cet instant adresser mes félicitations à M. le rapporteur pour sa patience et sa volonté de trouver des solutions et de parvenir à une rédaction équilibrée. (Marques dassentiment sur les travées du groupe Les Républicains.)

Malgré notre déception de ne pas avoir à légiférer sur la grande loi promise, nous sommes nombreux à soutenir l’ambition des auteurs de ce texte.

Ainsi, mercredi 20 octobre, la commission des affaires économiques a-t-elle approuvé la proposition de loi portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires.

Nous en avons d’abord accepté les grandes lignes, car elle répond au besoin de régulation du foncier agricole, qui, rappelons-le, est rongé depuis des décennies au profit de zones commerciales, de lotissements ou d’aménagements de transport.

Ses auteurs tentent par ailleurs de répondre à d’autres objectifs, que l’on retrouve notamment à l’article 1er : favoriser l’installation des jeunes, lutter contre les concentrations excessives et encadrer l’accaparement des terres.

S’y exprime le souhait de maintenir le modèle agricole français, qui est majoritairement de type familial, des chefs d’exploitation dirigeant les fermes tout en participant à leur mise en valeur.

Aujourd’hui, de plus en plus de terres sont acquises et transmises par le biais de sociétés. Toutefois, les opérations réalisées échappent en grande partie à la régulation. Ce texte s’avérait donc nécessaire.

Espérons seulement que les outils juridiques seront suffisants et que certains grands groupes financiers ne trouveront pas de failles permettant de contourner le dispositif. Le Sénat, comme vous l’avez proposé, monsieur le rapporteur, pourrait s’autosaisir dans quelques années pour l’analyser et en faire le bilan.

Lorsque cette proposition de loi a été adoptée par l’Assemblée nationale, le 26 mai dernier, elle nous était annoncée comme parfaite, ne nécessitant aucun aménagement, car elle ferait l’unanimité. C’est dans cet état d’esprit que nous avions entamé nos travaux voilà quelques mois.

Mais le Sénat, après avoir confronté ses analyses à la réalité des auditions de terrain menées dans nos différents départements, a vite compris que l’unanimité autorevendiquée était friable et que des évolutions devaient intervenir.

Défendant une posture « de mesure et d’équilibre », notre assemblée a calibré ce texte afin de le recentrer sur ses objectifs et d’y apporter les garde-fous nécessaires : en assurant la territorialisation de la procédure de contrôle, pour rapprocher la décision du terrain et la faire redescendre au niveau du préfet de département ; en relevant le seuil de surface considérée comme excessive afin de focaliser le dispositif sur les objectifs annoncés de lutte contre l’accaparement foncier et la concentration excessive ; en prévoyant une évaluation qualitative et quantitative du dispositif sous trois ans, afin, le cas échéant, de faire évoluer la procédure et d’organiser une remontée d’informations précieuses sur les dynamiques du marché foncier agricole ; en protégeant le patrimoine familial par l’extension de l’exonération des cessions intrafamiliales jusqu’au quatrième degré inclus et par la suppression de l’obligation d’être exploitant.

Par ailleurs, il a été demandé aux Safer si leurs comités techniques avaient les moyens suffisants pour instruire les demandes d’autorisation préalable. Sans ambiguïté, elles se sont voulues rassurantes.

Placés sous le contrôle du conseil d’administration et des commissaires du Gouvernement, les comités techniques constituent la cheville ouvrière de l’action foncière menée par les Safer pour apporter au plus près des territoires la réponse la plus adaptée aux enjeux identifiés localement et couvrir l’ensemble des missions de service public.

Ils ont la capacité et la volonté de participer à l’instruction de nouveaux dossiers en la matière, et sont déterminés à le faire. Ils pourront s’appuyer, comme c’est déjà le cas aujourd’hui, sur l’expérience et les compétences techniques acquises par les collaborateurs des Safer et par l’ensemble du réseau national.

Je regrette néanmoins que le Gouvernement n’ait pas donné au Parlement le temps de travailler sur une grande loi foncière.

Monsieur le ministre, je me souviens de la déclaration de votre prédécesseur, M. Didier Guillaume, qui, dans cet hémicycle, le 6 février 2020 – j’y étais –, défendait le principe d’une grande loi foncière à l’occasion d’un débat demandé par le groupe Les Indépendants.

Cette déclaration faisait écho au projet de loi foncière annoncé en 2019 par le Président de la République, lors de l’ouverture du salon international de l’agriculture. Dans cette grande loi, nous aurions abordé l’artificialisation des sols, le statut du fermage, la transmission des exploitations familiales, la fiscalité associée, etc.

Manifestement, le travail du ministère n’est pas allé jusqu’au bout !

Parce que ce texte a été rééquilibré par le Sénat, le groupe Union Centriste le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)