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Dossier législatif : proposition de loi portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires
Motion d'ordre

Accès au foncier agricole

Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires (proposition n° 641 [2020-2021], texte de la commission n° 72, rapport n° 71).

Motion d’ordre

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires
Demande de priorité

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, 200 amendements ont été déposés sur le texte que nous examinons aujourd’hui, dont près de 140 sont en discussion commune à l’article 1er. Une telle situation est de nature à compromettre la lisibilité et la clarté des débats, qui sont pourtant des exigences démocratiques que nous partageons tous ici.

Certains amendements visent à modifier un grand nombre d’alinéas, sur des sujets très différents, et sont donc incompatibles avec d’autres amendements, de telle sorte que, sans examen séparé, nous prenons le risque de nous perdre dans de très longues – trop longues – discussions communes.

Afin de faciliter le bon déroulement des débats, j’ai proposé ce matin en commission des affaires économiques qu’une demande d’examen séparé de quatre amendements soit formulée en séance. La commission a voté ce matin en faveur de cette demande, sans aucune opposition.

En application de l’article 46 bis, alinéa 2, du règlement du Sénat, la commission des affaires économiques demande donc l’examen séparé, à l’article 1er, de l’amendement n° 19 rectifié bis de Mme Chantal Deseyne, afin qu’il soit discuté avec l’amendement n° 96, ainsi que des amendements nos 177, 59 rectifié et 169.

Mme la présidente. Je suis saisie par la commission d’une demande d’examen séparé des amendements nos 19 rectifié bis, 177, 59 rectifié et 169, à l’article 1er.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

Demande de priorité

Motion d'ordre
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Discussion générale

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, je demande l’examen par priorité, avant l’amendement n° 143 rectifié, des amendements nos 177, 59 rectifié et 169.

Mme la présidente. Je suis donc saisie d’une demande de priorité de la commission sur les amendements nos 177, 59 rectifié et 169 afin qu’ils soient présentés avant l’amendement n° 143 rectifié.

Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, de notre règlement, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la priorité est de droit, sauf opposition du Gouvernement.

Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?

M. Julien Denormandie, ministre de lagriculture et de lalimentation. Favorable, madame la présidente.

Demande de priorité
Dossier législatif : proposition de loi portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires
Article 1er (début)

Mme la présidente. La priorité est donc ordonnée.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis d’être devant vous aujourd’hui pour l’examen de la proposition de loi portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires.

Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, la politique foncière, qui détermine l’accès au foncier, est probablement la politique la plus structurante pour définir le modèle agricole que nous chérissons. Si nous pouvons être fiers du modèle agricole français aujourd’hui, c’est aussi parce que nos aînés ont su développer des outils de politique foncière particulièrement forts et audacieux.

En miroir de la politique agricole commune (PAC), cette politique constitue le deuxième pilier du développement agricole qu’Edgard Pisani et ses successeurs ont su construire, en amont d’un troisième pilier que nous sommes en train d’édifier autour de la revue des régimes assurantiels et de couverture des risques climatiques, dont j’aurai l’honneur de discuter avec vous dans cet hémicycle dans le courant du mois de janvier prochain.

En créant le régime de l’autorisation d’exploiter, en dotant les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) du droit de préemption ou encore en prenant des dispositions fortes sur le fermage, il s’est agi, en parallèle du développement et de la modernisation de l’agriculture, de conserver un modèle agricole de taille humaine, capable de fournir des produits de qualité et de maintenir des hommes et des femmes dans nos territoires, donc permettant le renouvellement des générations.

Ce résultat est le fruit d’une politique forte de la part de l’État et des collectivités territoriales. Aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons être à la hauteur de cet héritage et affirmer cette vision.

Vous le savez, le Gouvernement s’était engagé à proposer une grande loi foncière. Lors des Terres de Jim, rendez-vous annuel des jeunes agriculteurs, le Président de la République a d’ailleurs rappelé l’engagement qu’il avait pris à cet égard. L’incroyable densité de l’agenda législatif, du fait de la crise de la covid-19, a jusqu’à présent empêché l’adoption de cette grande loi foncière, mais il faudra s’y atteler dès que possible.

La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui permet néanmoins de poser la première pierre de cette revue des lois foncières et de lancer la dynamique.

Le premier enjeu de cette proposition de loi est donc de moderniser et d’adapter nos outils de régulation foncière. Il ne s’agit en aucun cas de s’opposer à la forme sociétaire, mais nous savons tous qu’il y a un trou dans la raquette concernant le contrôle de la transmission des parts sociétaires.

Le deuxième enjeu est le défi de la transmission. Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, près d’un agriculteur sur deux atteindra l’âge de la retraite au cours des cinq à sept prochaines années. Je sais que nos jeunes agriculteurs et leurs représentants nous regardent attentivement aujourd’hui et je connais les immenses espoirs qu’ils fondent dans le nouveau dispositif que nous allons collégialement créer.

Le texte qui nous réunit cet après-midi vise à envoyer un signal d’espoir à notre jeunesse en faveur de l’installation sous toutes ses formes. Soyons ambitieux ; nous le devons à celles et à ceux qui attendent un tel signal avec impatience. Ce texte contribue à répondre à cette problématique. À cet égard, je tiens à remercier le député Jean-Bernard Sempastous de son initiative législative.

L’absence de régulation des cessions de parts de sociétés agricoles peut en effet limiter notre capacité à favoriser l’installation de jeunes agriculteurs. Sur le fondement de ce constat, la proposition de loi consacre un nouveau régime d’autorisation s’appliquant aux opérations de prise de contrôle des sociétés détenant ou exploitant du foncier. Il s’agit d’une procédure spécifiquement adaptée aux contraintes du marché sociétaire, complémentaire du contrôle des structures et de l’action des Safer.

Le texte qui vous est soumis, mesdames, messieurs les sénateurs, est le produit de riches débats, d’abord à l’Assemblée nationale, puis en commission des affaires économiques au Sénat. Je salue d’ailleurs les travaux de cette commission et votre volonté, monsieur le rapporteur Rietmann, de vous engager pleinement dans ce texte et de chercher à l’améliorer.

Cela étant, nous devons aujourd’hui adopter des dispositions qui ne vident pas le texte de sa pertinence et ne rendent pas le dispositif inopérant dans les faits. De ce point de vue, permettez-moi de partager avec vous mes inquiétudes au regard de certaines évolutions du texte adoptées en commission au Sénat.

Il me semble en particulier indispensable et prioritaire de conserver le caractère opérationnel de la procédure. Nous le devons au monde agricole et je sais que nous ferons collectivement tous les efforts nécessaires pour parvenir à un texte précis et calibré sur ce point.

Les Safer doivent rester, en tant qu’elles proposent des analyses et des solutions de compensation, au centre du dispositif. J’assume pleinement cette volonté. Elles sont depuis soixante ans les structures consacrées à la dévolution du foncier sous toutes ses formes.

J’ai noté que vous aviez beaucoup échangé sur le rôle des Safer lors de l’examen du texte en commission. Le choix qui a été fait de confier l’instruction des dossiers aux Safer est celui de la simplicité et de l’efficacité. Je pense que la proposition de loi telle qu’elle résultait des travaux de l’Assemblée nationale parvenait en la matière à un point d’équilibre : garantir le rôle premier de l’autorité administrative, seule compétente pour prendre les décisions, tout en s’appuyant sur les compétences et l’expertise des Safer dans l’instruction des dossiers.

Nous le verrons lors de l’examen de vos amendements, plusieurs acteurs alertent sur le rôle jugé trop prépondérant des Safer dans la nouvelle procédure. Je partage votre souhait de veiller à ce que notre niveau d’exigence envers elles soit à la hauteur des responsabilités que le législateur pourrait leur confier – rien de plus normal.

Ainsi inscrirons-nous dans les décrets d’application de la loi des mesures visant à améliorer le fonctionnement des Safer et surtout à assurer la transparence des procédures.

En outre, je rappelle ici que les décisions seront et resteront du ressort de l’autorité administrative, qui dispose des moyens de contrôle des propositions à toutes les étapes de la vie d’un dossier.

En résumé, mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen de cette proposition de loi constitue selon moi une étape décisive et nécessaire, destinée à bâtir pour l’avenir une agriculture forte, d’excellence, une agriculture des territoires, pourvoyeuse d’emplois et permettant le renouvellement des générations. Certes, ce texte n’épuisera pas tous les sujets, nous en sommes bien conscients, mais il est absolument nécessaire.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les matières dont nous allons traiter cet après-midi. Fidèle à mon habitude, je suis animé par l’envie de débattre et d’échanger afin d’améliorer le texte, dans le souci de l’intérêt général et de l’avenir de nos agriculteurs comme de notre agriculture. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Pierre Louault. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Pierre Louault et Franck Menonville applaudissent également.)

M. Olivier Rietmann, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires.

Le foncier agricole se situe au carrefour de plusieurs politiques publiques : la terre, monsieur le ministre, mes chers collègues, est la raison d’être et l’outil de travail de nos exploitants agricoles ; elle est l’avenir ; elle est le support de l’installation de jeunes agriculteurs ; elle est surtout une véritable ressource naturelle, socle de biodiversité et garante de notre souveraineté alimentaire.

Le législateur n’a pas attendu 2021 pour se pencher sur le foncier agricole, mais, comme pour tout pan de la législation, il nous revient, à nous, parlementaires, de prendre à échéances régulières un peu de recul sur le modèle français et d’examiner ce qui fonctionne et ce qui doit être complété ou renforcé pour nous adapter aux temps que nous vivons. Le recours croissant à des sociétés dans le secteur agricole est l’une de ces évolutions récentes qui appellent à réviser notre droit. C’est pourquoi cette proposition de loi est la bienvenue.

En revanche, son intitulé ne manque pas de nous interpeller. Il y est question « d’urgence » : est-il plus urgent aujourd’hui de légiférer que lorsque le Sénat avait examiné, en 2017, la proposition de loi du député Dominique Potier relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle ?

S’il y a urgence, monsieur le ministre, qu’attend donc le Gouvernement pour nous présenter, comme s’y était engagé le Président de la République voilà cinq ans, une loi foncière ambitieuse et cohérente ? En lieu et place de cette loi, nous examinons aujourd’hui un texte dont le champ est très limité et dont on nous dit qu’il doit être adopté au plus vite, car l’urgence le justifie,…

M. Laurent Burgoa. C’est faux !

M. Olivier Rietmann, rapporteur. … alors que nous ne disposons ni d’étude d’impact ni du temps suffisant pour effectuer un travail parlementaire approfondi.

Si cette proposition de loi revêt un caractère politique – cela ne nous a pas échappé –, elle soulève néanmoins, je l’ai dit, un enjeu important : celui de la régulation des sociétés qui détiennent ou exploitent du foncier agricole.

Nous sommes ici face à une double spécificité française.

La première tient au grand nombre de sociétés agricoles. Environ 36 % de nos exploitations sont constituées sous forme sociétaire, contre 5 % en moyenne dans les autres États de l’Union européenne. Les transactions sociétaires sont aussi et surtout les plus significatives : elles représentent environ 7 % des transactions et près de 20 % de la valeur du marché foncier agricole. Quant aux échanges de lots, ils concernent des surfaces généralement comprises entre 30 et 90 hectares, environ dix fois supérieures à celles qui sont échangées directement entre personnes physiques.

La seconde spécificité tient à l’impératif de renouvellement des générations. Alors que près d’un tiers de nos agriculteurs partiront à la retraite dans les dix prochaines années, l’accès au foncier agricole demeure l’un des principaux freins à l’installation d’agriculteurs.

L’enjeu est de taille, mais la situation actuelle empêche d’y répondre de manière satisfaisante.

Tout d’abord, les outils de régulation existants ne permettent d’appréhender que partiellement et de façon imparfaite les transactions sociétaires sur le marché foncier agricole. Il est aisé de contourner les dispositifs de contrôle en vigueur.

Ensuite, si des mécanismes de régulation visant à lutter contre l’accaparement des terres agricoles ont déjà été proposés, ils ont régulièrement été censurés par le Conseil constitutionnel, soit parce qu’il s’agissait de cavaliers législatifs soit parce qu’ils portaient atteinte à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété.

J’ai tenu compte, dans mes travaux, de cet historique législatif. L’équilibre entre libertés constitutionnelles et régulation du marché foncier n’est pas toujours facile à trouver.

Ce texte prévoit ni plus ni moins de créer un troisième volet de régulation du foncier agricole, en complément de l’action des Safer et du contrôle des structures.

Dans cette nouvelle procédure de contrôle, le préfet devrait autoriser individuellement chaque transaction sociétaire susceptible de conduire à une concentration excessive. Cette proposition structurante dépasse de loin la seule rustine d’urgence ! Il n’est donc guère étonnant que, en dépit des concertations qui ont présidé à son élaboration, ce texte ait suscité une forte polarisation, comme je l’ai constaté en tant que rapporteur.

Dans ce contexte, j’ai souhaité aborder l’examen de cette proposition de loi dans un esprit de mesure, d’équilibre et de concertation avec mes collègues. Le texte que je défends, s’il ne modifie pas les grandes lignes du dispositif de contrôle initialement proposé, apporte tout de même les garanties, les garde-fous et les ajustements nécessaires pour le rendre plus légitime, plus opérationnel et plus acceptable.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Olivier Rietmann, rapporteur. Premièrement, j’ai souhaité recentrer le dispositif sur l’objectif annoncé de lutte contre l’accaparement et la concentration excessive des terres agricoles.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Olivier Rietmann, rapporteur. Le dispositif proposé n’a pas vocation à contrôler toutes les transactions sociétaires sur le marché foncier agricole. Il est en effet indispensable de préserver une certaine fluidité sur ce marché. Économiquement, la concentration n’est pas toujours une mauvaise chose, et le recours à des formes sociétaires présente certains avantages.

En revanche, ce qui n’est pas souhaitable, c’est la constitution d’exploitations agricoles de taille disproportionnée, ou encore la spéculation foncière. C’est dans pareils cas que nous pouvons parler d’accaparement des terres et de concentration excessive. C’est cela, et seulement cela, qui doit être combattu par le biais de cette proposition de loi.

Dans cette perspective, j’ai notamment souhaité relever le seuil plancher de l’agrandissement significatif, car des exploitations agricoles dont la surface correspond à la moyenne régionale ne sauraient être regardées comme excessives.

J’ai également insisté sur la nécessité de préserver la fluidité des transactions qui interviennent dans un cadre conjugal et familial, car nous partageons toutes et tous la volonté de permettre à nos exploitations familiales de se transmettre et de se maintenir.

Il m’a également semblé important d’assouplir le dispositif prévu pour les reprises d’exploitation par des associés, actionnaires ou salariés qui travaillent depuis plusieurs années au développement de l’entreprise.

Deuxièmement, j’ai souhaité territorialiser davantage le dispositif de contrôle pour rapprocher la décision administrative des territoires et des agriculteurs, en privilégiant une décision du préfet de département plutôt que du préfet de région.

M. Olivier Rietmann, rapporteur. Si le seuil d’agrandissement demeure fixé par le préfet de région, j’ai souhaité maintenir la possibilité pour ce dernier de fixer ce seuil à un échelon infrarégional.

Troisièmement, j’ai été guidé par le souci d’éviter de placer les acteurs dans des situations délicates, voire risquées. En effet, je suis convaincu de la nécessité de prévoir des garde-fous supplémentaires afin de protéger les Safer d’éventuels conflits d’intérêts, d’asseoir la légitimité de leur intervention et de garantir la transparence de la procédure, sans remettre en cause leur compétence et leur capacité à instruire les dossiers.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Olivier Rietmann, rapporteur. À cet égard, quoique j’eusse initialement préféré, comme plusieurs d’entre vous, une instruction par les services de l’État et la commission départementale d’orientation de l’agriculture (CDOA), le rôle des Safer dans l’instruction des dossiers me semble finalement incontournable. Tous les auditionnés s’accordent à dire, en effet, que les services préfectoraux n’ont plus les moyens d’instruire seuls et que les Safer disposent d’une expertise essentielle.

J’ai souhaité garantir le caractère opérationnel du dispositif de contrôle proposé, mais je reste vigilant, monsieur le ministre : je veillerai à ce qu’un souci exclusif des moyens de l’État ne conduise pas à une forme de délaissement des missions étatiques à des organismes tiers.

Dans cette perspective d’encadrement, la commission des affaires économiques a supprimé la possibilité pour les Safer d’intervenir commercialement et directement sur les dossiers qu’elles auront instruits. Il s’agit selon moi du principal problème du dispositif initial : une même entité ne saurait être à la fois instructrice d’une demande d’autorisation, intéressée financièrement à la mise en œuvre d’opérations commerciales sur ces mêmes dossiers, et exemptée elle-même de tout contrôle.

De manière complémentaire, j’ai souhaité encadrer davantage les mesures compensatoires qui peuvent être demandées par le préfet à des sociétés en contrepartie de l’obtention de l’autorisation administrative.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le rapporteur.

M. Olivier Rietmann, rapporteur. J’y arrive !

Il ne s’agit en aucun cas d’un affaiblissement du dispositif, mais plutôt d’une mesure de bon sens. J’insiste sur ce point, car il est essentiel : toutes ces mesures adoptées en commission des affaires économiques visent à renforcer le dispositif en clarifiant les rôles de chacun des acteurs concernés.

Enfin, j’ai souhaité ajouter l’obligation d’une évaluation complète et précise à trois ans du dispositif de contrôle proposé. Les résultats de cette étude tiendront lieu de clause de revoyure, permettant d’opérer d’éventuels ajustements – pourquoi pas, nous l’espérons, dans le cadre d’une grande loi foncière.

Voilà donc les positions que je défends au nom de notre commission ; elles se résument en quatre points : recentrer, territorialiser, encadrer et évaluer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Franck Menonville et Pierre Louault applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy.

M. Christian Redon-Sarrazy. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires n’a malheureusement pas réussi à pallier la défection du Gouvernement : celui-ci n’aura jamais proposé de grande loi foncière agricole au cours des cinq dernières années, et ce en dépit de la recommandation de la Cour des comptes, des préconisations de la mission d’information commune de l’Assemblée nationale sur le foncier agricole et du caractère essentiel de ce sujet pour la préservation de notre modèle d’agriculture.

Nos terres agricoles représentent en effet une ressource particulière, soumise à des tensions et à des convoitises multiples : artificialisation, concentration excessive des exploitations et accaparement par des capitaux aujourd’hui essentiellement français, mais déjà un peu étrangers et risquant de le devenir majoritairement demain.

Or, bien que notre pays ait été pionnier en matière de régulation de l’accès au foncier agricole, via la création d’outils comme les Safer et le contrôle des structures, il existe une différence de traitement entre, d’un côté, les exploitants agricoles installés à titre individuel et, de l’autre, le format sociétaire, parfois utilisé pour échapper à toutes les contraintes.

Cette inégalité s’avère problématique, puisque le contrôle des structures porte exclusivement sur le droit d’exploiter et non sur la prise de participation financière dans une société.

S’agissant de contrôler les cessions de titres sociaux portant sur des sociétés et d’agir pour l’installation et la consolidation des exploitations existantes, la présente proposition de loi partait d’une bonne intention.

Mais ses auteurs optent pour un parti pris qui ne peut nous convenir : au lieu de créer un système identique s’appliquant à tous les agriculteurs et à toutes les structures sans distinction, on construit un système parallèle au système actuel, propre au régime sociétaire. Or, au vu des très nombreuses dérogations prévues dans le texte de la commission des affaires économiques, donc des possibilités de détournement qui vont en découler, nous estimons que cette proposition de loi ne permettra pas de lutter efficacement contre les concentrations excessives.

Je reviendrai sur trois points en particulier qui nous posent question : le seuil surfacique de déclenchement du contrôle prévu par l’article 1er ; la latitude laissée aux Safer, extrêmement contraintes dans le texte de la commission ; la question du contrôle des opérations familiales qui, sans remettre en cause l’agriculture familiale, doit faire l’objet d’une vigilance relative si l’on veut éviter la concentration excessive des terres agricoles.

Face à la volonté délibérée de la commission d’assouplir le texte pour le libéraliser davantage grâce à une augmentation significative du seuil d’agrandissement et à une multiplication des dérogations au dispositif de contrôle, nous avons donc défendu les propositions suivantes.

Dès l’article 1er, le seuil surfacique de déclenchement du contrôle a cristallisé les débats. Pour mémoire, la taille moyenne des surfaces exploitées est passée de 28 hectares en 1988 à 62 hectares en 2016, étant entendu que les exploitations sociétaires utilisent en moyenne trois fois plus de surface qu’une exploitation individuelle. Nous pensons donc que l’objectif général du nouveau chapitre consacré au contrôle des sociétés dans le code rural et de la pêche maritime doit s’apprécier dès le premier hectare.

Pour lutter contre le risque de dérives et de détournements offert par les multiples dérogations, nous proposons un seuil de contrôle commun, donc un dispositif équitable et simple, ce qui est souhaité par une grande partie de la profession.

Nous avons par ailleurs cherché à abaisser le seuil d’agrandissement significatif permettant le déclenchement du contrôle. La commission, quant à elle, a encore augmenté ce seuil, désormais compris entre deux et quatre fois la surface agricole utile régionale moyenne (Saurm) fixée dans le schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA), ce qui nous paraît totalement déconnecté de l’objectif de lutte contre la concentration excessive des terres.

Nous avons également limité les exemptions concernant les cessions réalisées à titre gratuit aux seules opérations effectuées en deçà du second degré de parenté ; à cet égard, nous pensons qu’il faut supprimer la simple condition de maintien de l’usage et de la vocation agricoles. Faute d’une véritable définition de ce que l’on entend par actif agricole – et il faudra bien un jour, monsieur le ministre, apporter une réponse à cette question –, participer à la vie de l’exploitation nous paraît la moindre des choses pour bénéficier de l’exemption, et cela doit redevenir une obligation !

Encore n’évoquerons-nous pas ici le travail délégué et toutes les conséquences délétères qu’il engendre, pour ce qui est en particulier du renouvellement générationnel et du risque d’une agriculture sans agriculteurs.

Je voudrais rappeler quelques chiffres éloquents, qui donnent un aperçu du chemin inquiétant que prend notre agriculture : entre 2010 et 2016, le nombre d’exploitations agricoles individuelles a diminué de 19 %, quand celui des exploitations sociétaires n’a cessé de croître, tout comme l’agrandissement des exploitations.

Or ce texte, tel qu’il est issu des travaux de la commission, représente un pas supplémentaire vers le capitalisme agricole et la libéralisation à outrance de notre agriculture, à l’opposé des attentes d’une majorité de notre population, laquelle aspire aujourd’hui à une agriculture à taille humaine, respectueuse des sols et pourvoyeuse de productions saines.

Nous défendons un modèle agricole qui saura préserver nos terres de l’accaparement et prémunir l’agriculture familiale contre le risque de disparition, un modèle respectueux des besoins de nos concitoyens, pivot de la vitalité de nos territoires. Nous souhaitons, à ce propos, rétablir la dérogation, supprimée en commission des affaires économiques du Sénat, bénéficiant aux sociétés foncières agricoles d’utilité sociale.

Nos propositions, qui tendaient vers davantage d’équité, d’équilibre et de contrôle réfléchi, n’ont pourtant pas, pour l’instant, été entendues par la majorité sénatoriale de droite.