compte rendu intégral

Présidence de M. Roger Karoutchi

vice-président

Secrétaires :

Mme Jacqueline Eustache-Brinio,

Mme Martine Filleul.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraites agricoles les plus faibles
Discussion générale (suite)

Revalorisation des pensions de retraites agricoles les plus faibles

Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraites agricoles les plus faibles
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du communiste républicain citoyen et écologiste, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles les plus faibles (proposition n° 702 [2020-2021], texte de la commission n° 250, rapport n° 249).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat auprès de la ministre du travail, de lemploi et de linsertion, chargé des retraites et de la santé au travail. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis ce matin pour examiner la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles les plus faibles.

Ce texte témoigne de la priorité qu’accordent le Gouvernement et le Parlement aux petites retraites. Il résulte de l’engagement constant du président André Chassaigne, auquel j’adresse un salut républicain.

Permettez-moi de remercier le groupe communiste républicain citoyen et écologiste de l’avoir inscrit à son ordre du jour réservé et de saluer chaleureusement mon collègue Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation, que je sais également investi sur cette question.

Ce texte est aussi et surtout le reflet d’un véritable consensus républicain en faveur de la revalorisation des retraites agricoles. Ce consensus s’était clairement manifesté à l’occasion de l’examen de la première proposition de loi – celle qui a été adoptée à l’été 2020 –, qui a porté la garantie de pension des chefs d’exploitation à 85 % du SMIC net agricole ; ce consensus s’est de nouveau traduit par l’adoption, à l’unanimité, de la présente proposition de loi par l’Assemblée nationale.

Venons-en désormais au contenu de cette proposition de loi. Le texte adopté le 17 juin dernier est très équilibré. Il répond à trois principes que j’estime fondamentaux pour faire prévaloir la justice et la pérennité de notre système de retraite, à savoir l’équité, la contributivité et la responsabilité.

En application, d’abord, du principe d’équité, l’article 1er tel qu’il a été réécrit sur proposition du Gouvernement tend à créer, dans le régime de base des non-salariés agricoles, un minimum de pension unifié, sans distinction de l’activité professionnelle – exploitant agricole ou conjoint collaborateur. Je rappelle que tel est déjà le cas pour le minimum de pension des salariés.

Le deuxième principe respecté dans ce texte est celui de la contributivité. Il est justifié, et même légitime, qu’un exploitant agricole qui a davantage cotisé que son conjoint collaborateur perçoive une retraite complémentaire supérieure et puisse, d’ailleurs, en faire bénéficier son conjoint ou sa conjointe, par un niveau de vie commun plus élevé. C’est la raison pour laquelle nous ne souhaitons pas, madame la rapporteure, le rétablissement de l’article 2.

Dans un système par répartition fondé, par nature, sur une logique assurantielle, la faiblesse des cotisations de certaines professions se traduit mécaniquement par une pension insuffisante. C’est pourquoi l’article 3 est essentiel à mes yeux. En limitant la durée du statut de conjoint collaborateur à cinq ans, on incite au travail sous des formes rémunératrices – conjoint associé ou salarié – et donc davantage créatrices de droits sociaux.

Sans ignorer la communauté de vie des conjoints, cette approche est très importante pour reconnaître le travail de chacun à sa juste valeur. Elle se déploiera progressivement et sera dupliquée pour les artisans et commerçants après la promulgation de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.

Le troisième principe est, enfin, celui de la responsabilité. En matière de retraite comme ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, les droits gratuits n’existent pas. Il existe toujours un financeur. Lorsque ce dernier prend la forme de la solidarité nationale, cela implique, bien entendu, un prélèvement acquitté par le contribuable.

La gratuité n’est donc qu’une apparence. Elle est légitime, dans une certaine mesure, pour tenir compte des aléas de la vie auxquels nous pouvons, toutes et tous, à un moment donné, être exposés. Elle ne saurait toutefois constituer le principe général régissant le financement des droits à retraite.

Si nous ne souhaitons pas que le financement de ces droits nouveaux repose sur le coût du travail via une hausse des cotisations, il nous faudra, à terme, repenser le financement de notre protection sociale pour en assurer la pérennité. Mais je crois que ce n’est pas là le débat du jour…

Mme Céline Brulin. Pas du tout !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire dÉtat. C’est dans le respect de ces trois principes d’équité, de contributivité et de responsabilité que le Gouvernement a défendu plusieurs amendements, dont tient compte désormais le texte adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale et sur lesquels vos travaux en commission des affaires sociales ne sont pas revenus. Je m’en réjouis, madame la présidente de la commission.

Mesdames, messieurs les sénateurs, au moment d’ouvrir nos débats, j’apporterai quelques précisions sur la mise en œuvre opérationnelle de ces mesures.

L’examen de ce texte met à l’épreuve la capacité opérationnelle de la Mutualité sociale agricole (MSA) à effectuer les versements des pensions au titre du mois de janvier 2022. Nous avons évoqué ce sujet lors de mon audition par la commission des affaires sociales.

Une fois que la loi sera promulguée, sous réserve de l’adoption conforme du texte par votre assemblée, nous devrons rapidement publier les textes d’application et engager un lourd travail technique.

L’ensemble des services sont déjà mobilisés pour assurer la bonne mise en œuvre de la loi « Chassaigne 1 » et permettre le versement de l’indemnité inflation aux retraités éligibles d’ici à la fin du mois de février.

Ces services seront également à pied d’œuvre pour déployer rapidement les dispositions de cette loi dès leur adoption et je les en remercie par avance. J’assurerai personnellement un suivi rapproché de ce travail, pour que les revalorisations se traduisent au plus vite.

Je vous l’indique clairement : les droits ouverts le seront bien au titre des périodes courant à partir du 1er janvier prochain.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne saurais conclure mon propos sans faire référence à l’entrée en vigueur de la première loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles les plus faibles, celles des chefs d’exploitation.

Coïncidence heureuse du calendrier, c’est aujourd’hui qu’intervient de la manière la plus concrète possible la revalorisation à 85 % du SMIC net agricole, prévue par la loi adoptée en juillet 2020. Ces effets commencent à être visibles, depuis ce matin, sur les comptes en banque des retraités bénéficiaires. Ce sont ainsi plus de 200 000 agriculteurs qui bénéficient d’une hausse de pension de 102 euros par mois en moyenne.

J’irai demain en Haute-Saône, à la rencontre d’agriculteurs retraités qui bénéficient de cette revalorisation, car nous devons collectivement partager cette avancée résultant d’une volonté transpartisane.

Dans un pays où nous sommes tous fils, petits-fils ou arrière-petits-fils d’agriculteur, comme le rappelle souvent André Chassaigne, cette première proposition de loi représente une avancée majeure pour la reconnaissance à l’endroit de celles et ceux qui n’ont jamais cessé de nous nourrir.

Si le texte qui vous est présenté est adopté en l’état, une revalorisation tout aussi importante sera alors possible pour les conjoints collaborateurs. Ces conjoints collaborateurs, pour la plupart – disons-le – conjointes collaboratrices, sont souvent les épouses des bénéficiaires de la première loi.

Les différentes mesures envisagées permettront non seulement de se prémunir à l’avenir contre les petites pensions, mais aussi de revaloriser les pensions de plus de 200 000 personnes actuellement retraitées. Pour les femmes qui ont été conjointes collaboratrices toute leur vie, le gain moyen sera de 100 euros par mois.

La question des petites retraites ne se réduit pas, toutefois, au seul secteur agricole, mais touche l’ensemble des métiers, comme l’a montré récemment le rapport des députés Nicolas Turquois et Lionel Causse, que je salue.

Les petites pensions résultent en effet avant tout de carrières discontinues marquées par de faibles cotisations, une trajectoire de vie partagée en particulier par les femmes salariées à temps partiel.

Permettre à chacun, indépendamment de son activité, de percevoir une pension totale de 1 000 euros pour une carrière complète est d’ailleurs l’un des objectifs qui ont été clairement rappelés par le Président de la République, lors de son allocution du 9 novembre dernier.

Soyons donc fiers, madame la rapporteure, madame la présidente de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, de l’avancée significative que nous pourrons accomplir aujourd’hui – je l’espère – par votre vote, sans perdre de vue l’ambition plus large d’un travail rémunérateur et créateur de droits pour toutes et pour tous.

C’est ce que les Françaises et les Français attendent pour valoriser leur activité et préparer une retraite digne. C’est ce sur quoi nous pouvons tous nous retrouver aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme la rapporteure de la commission des affaires sociales applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a un an et demi, notre assemblée adoptait la proposition de loi Chassaigne, devenue la loi du 3 juillet 2020, qui a permis, depuis le mois dernier, de porter la pension de retraite des exploitants agricoles à 85 % du SMIC pour une carrière complète, soit 1 035 euros par mois.

Je tiens d’abord et avant tout à saluer la détermination et la persévérance d’André Chassaigne, qui n’a jamais ménagé ses efforts pour sortir de la misère ceux que la vie n’a pas épargnés. Au nom du groupe CRCE, mais aussi – je crois pouvoir le dire – en notre nom à tous, je lui adresse des remerciements appuyés.

En cette fin d’année 2021, nous examinons, bien tardivement, une nouvelle proposition de loi Chassaigne, dont le Gouvernement n’a pas souhaité demander l’inscription à l’ordre du jour avant que le groupe CRCE ne l’inscrive dans son ordre du jour réservé.

Il ne nous est donc malheureusement pas possible, à moins de faire obstacle à la revalorisation des pensions dès le 1er janvier 2022, de poursuivre plus longtemps la navette afin d’améliorer la qualité rédactionnelle du texte ou de revenir sur les dispositions essentielles supprimées par l’Assemblée nationale.

Comme le souhaitent les organisations syndicales du secteur agricole, je vous propose donc de nous contenter des mesures ayant fait consensus à l’Assemblée nationale, qui constituent déjà une avancée. Le groupe CRCE ne manquera pas de proposer d’y revenir à l’avenir.

Dans le monde agricole, nombre de conjoints et de membres de la famille apportent, sous diverses formes, leur concours à la gestion des exploitations, sans percevoir de rémunération en contrepartie.

Jusqu’en 1999, le conjoint d’un exploitant agricole qui n’était pas déjà affilié à un régime de retraite au titre de son activité professionnelle était, sauf preuve contraire, présumé participer à la mise en valeur de l’exploitation. Cette présomption emportait de manière subie l’application du statut de conjoint participant aux travaux. Les garanties de protection sociale prévues par ce statut étaient, en outre, particulièrement limitées, notamment en matière d’assurance vieillesse.

En effet, au-delà de la pension de retraite forfaitaire, le conjoint participant aux travaux ne percevait une pension de retraite proportionnelle que si le ménage avait opté pour un partage à parts égales des points de retraite acquis par le chef d’exploitation.

C’est la raison pour laquelle la loi d’orientation agricole de 1999 a créé le statut de conjoint collaborateur. Ce statut revêt un caractère optionnel et permet aux conjoints concernés, à 78 % des femmes, de bénéficier d’une couverture sociale multirisque, incluant une pension de retraite proportionnelle de droit, en contrepartie du versement, par le chef d’exploitation, de faibles montants de cotisations sociales.

Le statut de conjoint participant aux travaux a, quant à lui, disparu en 2009. Les autres membres de la famille âgés de plus de 16 ans vivant sur l’exploitation ou l’entreprise et y exerçant une activité non salariée peuvent exercer en qualité d’aide familial et bénéficient des mêmes garanties.

Les statuts de conjoint collaborateur et d’aide familial contribuent ainsi à la reconnaissance du travail, souvent vital pour l’exploitation, réalisé par leurs bénéficiaires, tout en leur donnant accès à une protection sociale, certes très limitée, mais complète.

Néanmoins, ces statuts produisent aujourd’hui des effets contraires à la noble ambition qui a présidé à leur création et sont devenus de véritables « trappes à faibles pensions ».

En effet, afin de ne pas faire peser une charge excessive sur les chefs d’exploitation, qui en sont redevables, les cotisations versées au titre de l’activité des conjoints collaborateurs et des aides familiaux sont fixées forfaitairement sur des assiettes extrêmement faibles, tandis que les cotisations personnelles des chefs d’exploitation sont proportionnelles à leurs revenus professionnels, avec des assiettes minimales plus élevées.

Ce différentiel de cotisations n’est pas sans conséquence sur le niveau des pensions servies et, notamment, sur l’accès aux minima de pension du régime des non-salariés agricoles.

En effet, les femmes monopensionnées ayant effectué une carrière complète sous le statut de conjoint collaborateur perçoivent en moyenne une pension de droit direct de 570 euros par mois. Notons toutefois que les polypensionnées justifiant d’une carrière complète parviennent à atteindre 1 017 euros par mois.

Le statut de conjoint collaborateur est, d’ailleurs, en déclin : il ne concerne plus que 22 800 personnes à ce jour, soit deux fois moins qu’il y a dix ans et quatre fois moins qu’il y a trente ans.

Les pensions servies aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux retraités sont d’autant plus faibles que ces assurés n’ont pas accès aux mêmes minima de pension que les chefs d’exploitation. Tandis que le montant du minimum de pension de base pour une carrière complète, la pension majorée de référence (PMR), diffère selon le statut professionnel de l’assuré, les conjoints collaborateurs et les aides familiaux n’ont pas accès à la garantie de pension à 85 % du SMIC, dont bénéficient les chefs d’exploitation via le complément différentiel de points de retraite complémentaire (CDRCO).

Cette différence de traitement, qui se fonde sur le différentiel de cotisations, n’est plus justifiée aujourd’hui, au regard de l’impératif de lutte contre la pauvreté.

Par ailleurs, je tiens à souligner que le minimum contributif (MICO) servi par le régime général aux assurés ayant cotisé sur de faibles salaires durant leur carrière, qui constitue le pendant des minima de pension des régimes agricoles, ne varie pas selon la rémunération antérieure.

De plus, le non-recours à l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) constitue un problème persistant. Aucune estimation précise n’a pu m’être fournie, mais les travaux conduits par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), la Cour des comptes et l’Assemblée nationale laissent penser que ce dernier concernerait de 30 % à 50 % des bénéficiaires potentiels, proportion qui pourrait se révéler plus élevée encore dans le monde agricole.

En effet, les modalités d’attribution et de récupération sur succession de cette allocation, qui s’élevait à 907 euros par mois en 2021, semblent encore largement méconnues. Nombre d’agriculteurs ignorent en effet que l’ASPA n’est récupérée que si l’actif net successoral excède 39 000 euros dans l’Hexagone et 100 000 euros dans les outre-mer, que le capital d’exploitation agricole et les bâtiments indissociables en sont exclus et que le montant des sommes pouvant faire l’objet d’un recouvrement est plafonné annuellement.

La proposition de loi qui vous est présentée ce matin apporte des solutions concrètes à ces enjeux majeurs. L’ensemble des mesures qu’elle prévoit concerneraient, en 2022, quelque 214 000 pensionnés, dont 67 % de femmes. Son adoption permettrait d’accroître de 100 euros en moyenne par mois la pension des 70 000 femmes ayant accompli toute leur carrière en qualité de conjoint collaborateur.

Elle tend en effet à relever la pension majorée de référence des conjoints collaborateurs et des aides familiaux au niveau de celle des chefs d’exploitation, soit à 699 euros contre 555 euros aujourd’hui. Cette seule mesure, qui concernerait autant le stock de retraités que le flux de nouveaux pensionnés, bénéficierait à 175 000 personnes, dont le gain moyen s’élèverait à 62 euros par mois et, notamment, à 75 euros par mois pour les femmes.

De plus, lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a pris l’engagement d’aligner le montant de la nouvelle pension majorée de référence unique sur celui du MICO majoré, soit 705 euros par mois. J’espère que cet engagement sera confirmé.

Enfin, le seuil d’écrêtement de la pension majorée de référence, c’est-à-dire le niveau global de pension au-delà duquel la majoration servie est réduite à due concurrence du dépassement, serait fixé au niveau de l’ASPA et passerait donc de 875 euros à 907 euros par mois. Cette mesure bénéficierait à 43 000 personnes.

Les autres dispositions du texte revêtent également un caractère essentiel. Il s’agit, d’abord, du renforcement de l’information des assurés au sujet des conditions d’attribution et de récupération sur succession de l’ASPA, qui interviendrait non seulement au moment de la liquidation de la pension, mais également l’année précédant l’âge d’éligibilité à l’ASPA, fixé à 65 ans.

Ensuite, la possibilité d’exercer sous le statut de conjoint collaborateur serait limitée à cinq ans, comme c’est le cas pour les aides familiaux depuis 2005, de façon à orienter les intéressés vers une activité rémunératrice leur permettant de bénéficier d’une meilleure couverture sociale.

Mes chers collègues, j’attire votre attention sur le financement de cette proposition de loi. André Chassaigne proposait la création d’une taxe additionnelle à la taxe sur les transactions financières au taux de 0,1 %, qui aurait permis de dégager 450 millions d’euros de recettes. Cette proposition a été rejetée par l’Assemblée nationale avec, évidemment, l’aval du Gouvernement. Or le coût de la revalorisation des pensions devrait entraîner, en 2022, un déficit de l’ordre de 94 millions d’euros.

Malgré les lacunes importantes du texte issu de l’Assemblée nationale, l’ensemble des acteurs du monde agricole estiment nécessaire de permettre, sans plus tarder, la mise en œuvre des mesures ayant fait consensus dès le 1er janvier prochain. La commission partage pleinement cette opinion.

Aussi vous propose-t-elle d’adopter cette proposition de loi sans modification. En votant en faveur de ce texte, nous rendrons à nos agriculteurs l’hommage qu’ils méritent. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST, RDSE et UC. – M. Daniel Gremillet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 1er novembre 2021 est entrée en vigueur la loi « Chassaigne 1 », qui porte la pension de retraite des chefs d’exploitation de 75 % à 85 % du SMIC.

Grâce à la mobilisation des organisations syndicales et à la pugnacité de notre collègue député communiste André Chassaigne, 230 000 actuels et futurs retraités agricoles ont vu leur retraite passer de 914 euros à 1 036 euros net par mois, soit une augmentation d’environ 122 euros net par mois depuis le 1er novembre 2021, pour une carrière agricole complète.

Notre groupe a contribué à la mise en place de cette revalorisation, en faisant inscrire ce texte à l’ordre du jour du Sénat afin de permettre l’adoption définitive de la loi.

La même logique sous-tend l’inscription de cette proposition de loi à notre ordre du jour réservé. En effet, lors de la discussion de la première proposition de loi, l’angle mort des conjoints collaborateurs des exploitants agricoles avait été largement relevé. Notre collègue André Chassaigne a donc remis l’ouvrage sur le métier pour y remédier.

Le 17 juin dernier, après avoir travaillé, là encore, avec les organisations syndicales agricoles, l’Assemblée nationale a adopté, à l’unanimité et avec le soutien du Gouvernement, la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles les plus faibles, désormais appelée loi « Chassaigne 2 ».

Si la situation de nos agriculteurs demeure difficile face aux lois du marché et à des distributeurs qui ne leur permettent toujours pas de vivre dignement de leur travail, celle des conjoints agricoles et des aides familiaux est encore plus précaire.

En effet, le régime des non-salariés agricoles opère une distinction entre les exploitants, qui bénéficient d’une pension minimale de 700 euros pour une carrière complète et les conjoints collaborateurs et aides familiaux, dont la pension s’élève seulement à 555,50 euros.

Au 1er janvier 2020, 97 % des retraités relevant du statut de conjoint collaborateur et les deux tiers des retraités aides familiaux étaient des femmes. Ces femmes touchent une pension moyenne de 604 euros par mois si elles ont validé au moins 150 trimestres et de seulement 307 euros par mois quand elles n’ont pas atteint cette durée d’assurance.

Cette proposition de loi tend donc à aligner les pensions de référence des aides familiaux et des conjoints collaborateurs sur celles des exploitants agricoles.

Le rapport d’information du 14 octobre 2021, fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur la situation des femmes dans les territoires ruraux, soulignait déjà les inégalités des retraites agricoles, qui sont 2,5 fois plus faibles que la moyenne pour les femmes.

Il ne faut pas oublier non plus les 5 000 à 6 000 femmes qui travaillent dans l’exploitation agricole de leur conjoint sans aucun statut.

Nous regrettons que les députés La République en Marche aient supprimé du texte la création d’une taxe de 0,1 % sur les transactions financières visant à financer les pensions de retraite agricoles, tout comme nous regrettons qu’ils aient supprimé l’alignement des règles de cumul et de majoration des pensions.

Néanmoins, cette proposition de loi représente un véritable progrès pour les 214 000 conjoints d’exploitants agricoles et aides familiaux, particulièrement les femmes, qui vont percevoir, grâce à l’adoption de ce texte, 100 euros net supplémentaires par mois.

Au nom de mon groupe et, plus largement, de l’ensemble de mes collègues, je ne peux d’ailleurs que me féliciter, monsieur le secrétaire d’État, que nous soyons tous, Gouvernement compris, dans de très bonnes dispositions au moment de discuter et d’adopter – je n’en doute pas – cette proposition de loi. Tel n’avait pas été le cas, lors de la discussion en première lecture de la première proposition de loi, quand le Gouvernement avait tout tenté pour empêcher son adoption.

Pour l’ensemble de ces raisons, j’invite l’ensemble des groupes du Sénat, au-delà des sensibilités politiques, à soutenir cette proposition de loi qui va dans le sens de la justice sociale et d’une reconnaissance du monde agricole dans son ensemble. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST et RDSE. – MM. Daniel Chasseing et Alain Duffourg applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub.

Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je dois vous faire un aveu : lorsque je suis arrivée au Sénat en 2017, je me suis promis de ne pas déposer de proposition de loi. J’ai tendance à trouver, en effet, que les lois sont trop nombreuses et trop bavardes. Longtemps, je m’en suis tenue à ce principe.

Et puis, un jour, alors que je suis dans la rue, une amie à la retraite, femme de paysan, me téléphone. Soudain, elle fond en larmes : « Il faut faire quelque chose, avec 500 euros par mois, je n’y arrive plus ! »

Dès cet instant, tout s’est arrêté. J’étais entièrement concentrée sur cette détresse sincère et humaine, qui m’arrivait d’un petit village de la Nièvre, de la part d’une femme dont je sais qu’elle a travaillé dur, toute sa vie, aux côtés de son époux. J’ai donc déposé une proposition de loi.

C’était sans savoir que des collègues députés étaient engagés dans la même démarche. J’ai lu dans un journal qu’André Chassaigne, qualifié à juste titre d’« infatigable chantre du monde rural », avait eu le même déclic que moi, quelque temps avant, un jour où un agriculteur lui avait fait un discours sur les retraites agricoles.

Mes chers collègues, chacun de vous, dans son cercle amical, local, professionnel, a certainement eu ce déclic. Comment est-il possible qu’après une vie professionnelle physique, continue, éreintante, des femmes et des hommes puissent se retrouver avec d’aussi minuscules retraites ? Que peut-on faire pour eux ?

Certes, nombre de calculs démontrent la fragilité d’un système de cotisations peu contributif, et, dans le cas particulier des femmes, la fréquence des parcours discontinus. C’est bien la raison pour laquelle il faut agir !

Le dossier des retraites agricoles en général est en chantier depuis des années. Tout d’abord, la revalorisation de la retraite des chefs d’exploitation, qui atteint enfin 85 % du SMIC ces jours-ci, après un cheminement complexe et tortueux et grâce à la ténacité de notre collègue André Chassaigne.

Les conjoints collaborateurs et aides familiaux étaient, jusqu’à maintenant, les grands absents de cette revalorisation tant attendue. Pourtant, il y avait là une urgence humaine et sociale.

On ne pouvait pas, décemment, attendre une réforme globale des retraites. On ne pouvait pas accepter que la retraite des chefs d’exploitation augmente enfin quelque peu et que les conjoints, qui sont essentiellement des conjointes et qui ont en général partagé le même quotidien, restent des oubliées, silencieuses et invisibles.

Dans le prolongement des avancées au bénéfice des chefs d’exploitation, nos collègues André Chassaigne – encore lui ! – et Jacqueline Dubois, contraints à la fois par la complexité de la construction en trois niveaux de la retraite du conjoint collaborateur et par le principe d’équité par rapport à d’autres retraités, ont réussi un exercice de haute voltige.

En alignant le montant de la pension majorée de référence des conjoints sur celui de la PMR des chefs d’exploitation et en relevant son seuil d’écrêtement, on obtient une augmentation d’environ 100 euros par mois.

Je suis extrêmement heureuse et fière de présenter aujourd’hui cette disposition, qui constitue une avancée significative à laquelle je suis très attachée. Sans réserve, le groupe centriste la votera conforme.

J’ajoute que, plus que jamais, le moment est bien choisi. Non pas à cause des échéances électorales – si c’est ce que vous avez pu imaginer –, mais à cause de la relance.

Car, voyez-vous, quand on perçoit 500 euros par mois, chaque euro de plus ne part pas chez Amazon ou dans de lointains placements. Chaque euro de plus va chez le boulanger du village, chez le livreur de fioul ou chez le garagiste local. Ces euros-là diffuseront dans le tissu fragile de nos petits commerces et artisans ruraux. Ces euros-là constituent notre relance de proximité, celle qui ne peut pas s’échapper et qui sera à 100 % utile, de même que, dans nos communes rurales, un euro de subvention est un euro investi.

Alors, 160 millions d’euros – peut-être même moins ! – et tous ces mois de bataille pour les arracher sont assez dérisoires à côté des milliards que l’on a vu défiler ! Mais c’est un autre débat…

Il faudra aller plus loin et cette proposition de loi doit également être un appel.

Un appel pour que plus jamais les cotisants et cotisantes agricoles ne se retrouvent, par défaut de cotisations, dans des situations insupportables et indignes. La retraite ne doit plus jamais être une variable d’ajustement.

Un appel pour que chacun et chacune se pose, en toute connaissance de cause, la question de son statut dans la durée.

Un appel à lutter contre le non-recours à l’ASPA et contre le non-recours aux droits de manière générale.

Que nous ayons été plusieurs à défendre ce sujet est une excellente nouvelle ; c’est la preuve qu’il y a là un dossier de première importance.

Oui, monsieur le secrétaire d’État, le sujet des petites retraites doit être traité dans sa globalité, mais aujourd’hui, un grand pas est fait. Je vous remercie très sincèrement pour votre engagement sur ce dossier et je remercie les services qui seront fortement sollicités pour la mise en œuvre rapide de ce texte.

Je me permets de compléter votre propos, monsieur le secrétaire d’État : nous sommes tous fils, petit-fils ou arrière-petits-fils d’agriculteur, nous sommes aussi parfois femmes d’agriculteur et je vous remercie de vous en être souvenu.

Pour conclure, je citerai Paulo Coelho : « Personne ne peut revenir en arrière, mais tout le monde peut aller de l’avant. » (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, RDSE, SER et CRCE. – M. Bruno Belin applaudit également.)