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Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

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Élection d’un juge suppléant à la cour de justice de la république

Mme le président. Voici le résultat du scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République :

Nombre de votants : 210

Nombre de suffrages exprimés : 179

Majorité absolue des suffrages exprimés : 90

Bulletins blancs : 28

Bulletins nuls : 3

M. Arnaud de Belenet a obtenu 179 voix.

M. Arnaud de Belenet ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, il est proclamé juge suppléant à la Cour de justice de la République. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et Les Républicains.)

M. Arnaud de Belenet, juge suppléant à la Cour de justice de la République, va être appelé à prêter, devant le Sénat, le serment prévu par l’article 2 de la loi organique du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.

Je vais donner lecture de la formule du serment, telle qu’elle figure dans la loi organique.

Je prie M. Arnaud de Belenet, juge suppléant, de bien vouloir se lever et de répondre, en levant la main droite, par les mots : « Je le jure. », après la lecture de la formule du serment.

Voici la formule du serment : « Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes, et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. »

(M. Arnaud de Belenet, juge suppléant, se lève et dit, en levant la main droite : « Je le jure. »)

Mme le président. Acte est donné par le Sénat du serment qui vient d’être prêté devant lui. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et SER.)

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Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des enfants
Discussion générale (suite)

Protection des enfants

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la protection des enfants (projet n° 764 [2020-2021], texte de la commission n° 75, rapport n° 74).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection des enfants
Article 1er

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de lenfance et des familles. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs : « On est de son enfance comme on est d’un pays. » Ces mots d’Antoine de Saint-Exupéry résonnent en chacun de nous : l’enfance est ce pays qui nous a vus naître et grandir, qui nous forge et nous construit, cette terre empreinte de nos joies et de nos souffrances, qui ne nous quittera plus jamais totalement et sera le compagnon de nos vieux jours. Elle est ce « sol sur lequel nous marcherons toute notre vie », nous dit la poète Lya Luft.

Mais ces mots ne révèlent-ils pas autre chose, ne laissent-ils pas entendre, aussi, qu’un pays se définit par le sort qu’il réserve à son enfance, à ses enfants ?

Le texte que nous examinons aujourd’hui n’aborde pas toutes les facettes de l’enfance dans notre pays : il se concentre sur l’enfance protégée, sur ce que l’on appelle communément la protection de l’enfance, dont l’incarnation institutionnelle est l’aide sociale à l’enfance (ASE). Ce texte est important pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, il s’inscrit dans l’histoire de la construction progressive d’un système de protection institutionnelle des enfants, entamée avec la loi du 24 juillet 1889 sur les enfants maltraités ou moralement abandonnés.

Depuis, et ce jusqu’aux lois de 2007 et de 2016 respectivement portées par le ministre Philippe Bas et la sénatrice Michèle Meunier – Mme Laurence Rossignol était alors au Gouvernement –, notre système de protection de l’enfance s’est progressivement renforcé. Il épouse autant qu’il traduit la perception que la société a de la famille, des liens qui régissent cette dernière, de la place et du statut que l’enfant occupe en son sein, et donc en réalité au sein de la société tout entière.

D’abord objet d’attention, l’enfant a progressivement conquis son autonomie pour sortir de son statut d’adulte en devenir au sein d’une famille, laquelle a évolué en même temps que la société autour d’elle. Le texte qui vous est aujourd’hui soumis revendique sa filiation avec les dernières lois de protection de l’enfance que ce siècle a connues. Nous entendons creuser encore plus profond le sillon tracé par elles et faire de l’enfant un sujet de droit.

Ce texte est important ensuite parce qu’il s’inscrit dans une dynamique encore plus contemporaine, engagée en 2019, lors de la création, pour la première fois dans l’histoire, d’un ministère consacré à la protection de l’enfance.

Cette dynamique traduit un renouvellement massif de l’investissement de la puissance publique dans la protection de l’enfance. Cet investissement doit être partagé entre les différents acteurs, départements et État, chacun devant prendre ses responsabilités, tout simplement parce que la vie d’un enfant protégé, comme celle de tout enfant, n’a pas à pâtir des subtilités de notre organisation administrative et politique.

C’est à cette aune qu’il faut juger l’ambition de ce texte, qui ne présente qu’une facette de cette politique ambitieuse : en trois ans, pour renforcer cette politique sociale départementale, l’État a investi plus de 600 millions d’euros en contractualisant avec les départements. L’État a également investi massivement dans la pédopsychiatrie pour rattraper vingt ans d’abandon de cette discipline, des enfants et des professionnels qui s’en occupent. L’État a mobilisé, de façon prioritaire pour les enfants sortants de l’aide sociale à l’enfance, l’ensemble des dispositifs de droit commun afin de les accompagner progressivement vers l’autonomie.

En définitive, ce texte est la facette législative d’une politique qui se déploie depuis trois ans, dont les effets commencent à se faire sentir sur le quotidien des enfants dans les territoires.

Ainsi, parce qu’il s’inscrit dans une histoire qui épouse le regard que la société porte sur l’enfant et parce qu’il propose une organisation des pouvoirs publics destinée à mieux protéger cet enfant, ce texte finit de dessiner une vision politique de la protection de l’enfance dans notre pays.

Cette vision part de l’enfant et de ses besoins fondamentaux, et non des structures, de notre organisation ou des compétences des uns ou des autres. Elle reconnaît le besoin de protection de l’enfant en tant qu’être intrinsèquement fragile, en tant que sujet de droit, afin de garantir son développement et son épanouissement.

Cette protection n’est pas forcément institutionnelle, mais quand elle l’est, elle doit être sans faille. Elle doit garantir à l’enfant sa sécurité affective, physique et matérielle, ce « méta-besoin » sans lequel rien d’autre ne peut se construire, sans lequel aucun autre besoin ne peut être satisfait, sans lequel son accès à l’autonomie pleine et entière n’est pas possible, sans lequel ce sol sur lequel on marche toute sa vie demeura friable.

Toutefois, cette protection ne peut pas être exclusivement institutionnelle. Méfions-nous au contraire d’une approche trop mécaniquement et systématiquement institutionnelle, qui ne donnerait aux enfants que la perspective d’être protégés par des murs.

Ce ne sont pas les murs qui protègent : parfois même, c’est quand les murs sont trop épais ou trop hauts que le danger rôde et revient. Ce sont non pas les murs qui vous protègent, mais les gens qui vous entourent et qui prennent soin de vous, les liens qui vous sécurisent sur le plan physique et affectif.

Ce lien peut avoir le visage d’un travailleur social, celui d’un assistant familial, ou encore la figure du juge des enfants, dans son office si singulier, mais le lien premier de l’enfant, avant qu’il ne faille le renouer parce qu’il a été rompu ou s’est distendu, c’est celui qui l’unit à ses parents et à sa famille.

Il y a plus encore. Entre les parents et l’institution, il y a la famille, où des liens d’attachement peuvent aussi parfois se nouer pour l’enfant. La famille peut donc constituer une ressource protectrice que l’on peut mobiliser pour lui.

La vision politique de la protection de l’enfance que je porte depuis trois ans consiste ainsi à renforcer, à mobiliser davantage et à sécuriser les trois cercles de protection entourant l’enfant, à sortir d’une approche parfois encore trop institutionnelle dans notre pays, comme cela a pu être le cas pour d’autres fragilités, comme le handicap ou la dépendance.

Le premier cercle de protection de l’enfant, c’est sa famille.

La famille, c’est la première membrane de protection de l’enfant, dès le projet parental, quand celui-ci existe, durant toute la grossesse de la mère, puis pendant les 1 000 premiers jours de la vie de l’enfant, et bien au-delà évidemment. La famille, c’est le lieu premier et naturel du développement émotionnel, cognitif et physique de l’enfant, le lieu de son épanouissement.

La famille est la cellule sécurisante pour l’enfant, mais elle peut aussi être le lieu de la brutalité et de l’exil pour l’enfant victime de violence.

La famille, c’est aussi parfois le lieu où de jeunes parents reproduisent les carences affectives et éducatives qu’eux-mêmes ont souvent vécues dans leur propre enfance. Ce cercle vicieux, cette spirale reproductive n’est plus supportable.

Ces situations exigent que nous adoptions enfin une politique permettant de repérer les fragilités plus tôt, afin de mieux accompagner les parents connaissant ces difficultés et de renforcer les liens entre parents et enfants, lesquels constituent l’enveloppe protectrice de l’enfant. Bien qu’investis de l’autorité parentale, tous les parents ne disposent pas forcément de compétences parentales innées, mais en chacun peuvent sommeiller des ressources que nous nous devons d’identifier, de stimuler et d’étayer pour que l’enfant puisse en bénéficier.

C’est tout le sens de la politique de prévention primaire que nous menons au cours des 1 000 premiers jours de l’enfant en rendant obligatoire l’entretien prénatal précoce, en créant des parcours pour les couples en fragilité, en luttant contre la dépression post-partum ou en investissant dans la psychiatrie périnatale. À cet effet, l’État a investi 100 millions d’euros dans les centres de protection maternelle et infantile (PMI) au cours des trois dernières années.

C’est tout le sens également de notre politique de prévention secondaire. La création de centres parentaux pour l’accueil de femmes enceintes et des enfants de moins de 3 ans accompagnés de leurs parents a déjà été prévue dans la loi de 2016. Nous créons aujourd’hui vingt centres supplémentaires grâce à la contractualisation avec les départements.

Un certain nombre de dispositions fortifient l’étayage parental, qu’elles visent le renforcement des mesures de l’action éducative en milieu ouvert (AEMO), qu’elles facilitent le prononcé de mesures judiciaires d’aide à la gestion du budget familial ou encore la médiation familiale.

Il n’est pas question de revenir à une vision trop familialiste ou parentaliste de la protection de l’enfance. C’est bien l’intérêt supérieur de l’enfant qui constitue la boussole unique guidant chacune des décisions prises en responsabilité par le juge, par le travailleur social, par le personnel de santé, dont la main ne doit pas trembler lorsque la sécurité de l’enfant est en danger.

Il n’y a pas de protection efficace sans prévention. Aussi nous devons tout faire pour repérer précocement les familles et les accompagner de manière intensive, avant que leur situation ne se dégrade.

Le deuxième cercle de protection de l’enfant est constitué de celles et ceux avec qui l’enfant a noué des liens d’attachement suffisamment forts pour qu’ils puissent compléter, voire se substituer de façon temporaire ou pérenne à ceux que les parents ne peuvent pas ou ne veulent plus entretenir.

J’ai eu l’occasion de le souligner lors de nos débats sur la loi relative à la bioéthique : un enfant se développe et se construit au moyen de multiples liens d’attachement, qui ne se limitent pas à ceux qu’il entretient avec sa mère et son père, mais qui peuvent s’élargir à ceux qu’il a noués avec un grand-père, une tante, un cousin, un parrain ou un voisin.

Le deuxième cercle de protection, qui joue un rôle fondamental, même en cas de présence parentale, est insuffisamment mobilisé dans notre pays, par comparaison avec l’Allemagne par exemple. On fait famille bien au-delà du lien biologique. Ce deuxième cercle a d’autant plus de sens et de nécessité pour un enfant qu’il souffre de carence ou d’absence parentale.

Entre la cellule familiale protectrice et la protection institutionnelle existent un espace et des liens qui peuvent servir de repères et de refuge pour l’enfant en souffrance ou en danger, qui peuvent lui offrir la sécurité et la stabilité nécessaires à son développement et à son épanouissement.

Dans ce sens, la loi de 2016 facilitait déjà la procédure de déclaration judiciaire de délaissement parental afin de favoriser l’adoption simple et de permettre la création de nouveaux liens d’attachement plus solides, sans que la filiation avec les parents biologiques soit définitivement rompue.

Dans le même objectif, la proposition de loi visant à réformer l’adoption de la députée Mme Monique Limon – je salue d’ailleurs Corinne Imbert – facilite l’adoption par les familles d’accueil en les dispensant de la procédure classique, quand la tata est devenue famille à part entière.

Alors que la stratégie de prévention et de protection de l’enfance prévoit déjà le financement par l’État de 10 000 parrains dans les départements, alors que l’Assemblée nationale a introduit le parrainage dans le code de l’action sociale et des familles pour la première fois, le Gouvernement vous proposera d’aller plus loin encore en prévoyant que devra être systématiquement proposé à chaque enfant un parrain d’une part, un mentor d’autre part, afin de démultiplier encore les liens d’attachement.

L’article 1er du projet de loi peut faire évoluer notre système vers une institutionnalisation moins marquée, moins systématique, alors même que dans d’autres champs de la protection a lieu un vaste mouvement d’inclusion et de retour à domicile, marqué par une plus grande écoute des personnes, de leurs besoins, de leurs envies.

Cet article, qui prévoit le recours aux tiers dignes de confiance, a été utilement enrichi par les députés, qui ont proposé des mesures d’accompagnement complémentaires et la nomination d’un référent au sein des services de l’aide sociale à l’enfance.

Parfois, ces deux premiers cercles de protection ne suffisent plus pour répondre à l’intérêt supérieur de l’enfant et lui garantir la sécurité affective et matérielle nécessaire à son épanouissement.

Se met alors en place, par voie administrative ou judiciaire – les deux voies étant parfois complémentaires –, tout notre système de protection institutionnelle : c’est le troisième cercle de protection de l’enfant.

L’aide sociale à l’enfance protège chaque année 340 000 enfants, dont la moitié d’entre eux environ lui sont confiés. L’ASE, ce sont 100 000 travailleurs sociaux et 40 000 assistants familiaux engagés, l’ensemble des professionnels médicaux et paramédicaux, 486 juges des enfants et des centaines de greffiers qui les accompagnent.

Je tiens ici à saluer l’investissement sans relâche de ces professionnels, leur engagement qui rarement faiblit. Je connais aussi les difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice quotidien de leur mission, ainsi que l’absence de reconnaissance dont ils souffrent parfois.

C’est ce qui nous conduit à proposer dans ce texte, mais aussi par voie réglementaire, un ensemble de dispositions destinées à améliorer le statut des assistants familiaux. C’est ce qui conduit également le Gouvernement à organiser à la mi-janvier une conférence sur les métiers du social et du médico-social, pour répondre plus largement aux attentes des travailleurs sociaux.

Ainsi, quand l’institution recouvre les enfants de son voile protecteur, elle ne peut qu’être bienveillante, sécurisante, rassurante et enveloppante. Elle doit leur permettre de mener la vie d’un enfant comme les autres, ni plus ni moins, ce qui est à la fois très simple et extrêmement compliqué : partir à l’étranger avec les copains de sa classe, ne plus être séparé de ses frères et sœurs et vivre à leurs côtés, par exemple.

Cette institution ne peut pas laisser la moindre place à une quelconque forme de violence de la part des adultes. Elle doit aussi parfois veiller à protéger les enfants des autres enfants et parfois même les enfants contre eux-mêmes. Pis, on ne peut tolérer que l’institution engendre elle-même de la maltraitance et de la violence, en imposant par exemple de multiples ruptures à des enfants déjà marqués par une séparation souvent traumatisante dans leur jeune existence.

Si notre système protège chaque jour 340 000 enfants, chacun de nous sait que cet impératif de sécurité affective et physique n’est pas satisfait pour tous les enfants confiés. Il s’agit là d’une faillite collective alors que nous avons le devoir de protéger ces enfants.

C’est la raison pour laquelle, depuis trois ans, j’ai fait du contrôle des antécédents judiciaires de toutes les personnes travaillant au contact d’enfants une priorité, qu’elles interviennent dans une crèche, un club de sport ou un établissement de la protection de l’enfance, tout en ayant le souci de garantir l’effectivité de cette mesure. Ce texte va encore étendre ce contrôle, mais aussi permettre de mettre en œuvre, pour la première fois, une base nationale des agréments délivrés aux assistants familiaux.

Ce texte va également responsabiliser les départements, les associations et l’État, chacun à son niveau, afin que la sécurité physique des enfants soit garantie, notamment en instituant un référent extérieur auquel les enfants pourront s’adresser en cas de violence subie ou constatée.

En parallèle, dans la continuité des travaux déjà effectués par le Conseil national de la protection de l’enfance, nous travaillons avec les acteurs sur la fixation de normes et de taux d’encadrement afin que les décrets puissent être publiés avant la fin du quinquennat.

Ce texte interdit par ailleurs le placement d’enfants dans des hôtels qui, par principe, ne constituent pas des lieux sécurisants pour eux. C’est en 2013 que l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) a évoqué pour la première fois ce sujet. Depuis, tout le monde avait plus ou moins conscience de ce problème et espérait probablement qu’il se résorbe de lui-même. L’Assemblée nationale a adopté le principe de cette interdiction, en encadrant strictement les exceptions : le rapporteur Bernard Bonne vous proposera un dispositif sensiblement différent, auquel adhère le Gouvernement.

J’évoquais à l’instant les ruptures encore trop nombreuses que vivent un certain nombre d’enfants au sein de notre système institutionnel de protection de l’enfance. Il en est une qui, lorsqu’elle se produit, est particulièrement dramatique pour l’enfant, parce qu’elle met à bas tout l’investissement consenti auparavant : c’est la rupture que connaissent certains jeunes en sortant du dispositif de l’aide sociale à l’enfance.

Depuis 2018, année du lancement de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, et plus encore depuis deux ans et demi, nous faisons tout pour que ces ruptures n’aient plus lieu, en mobilisant de façon prioritaire l’ensemble des dispositifs de droit commun pour les jeunes qui quittent l’aide sociale à l’enfance : accompagnement, bourse étudiante, logement étudiant, logement social.

L’Assemblée nationale a encore renforcé l’accompagnement des jeunes majeurs, en votant par exemple l’accès automatique à la garantie jeunes pour ces jeunes. En commission, le rapporteur Bonne a formellement consacré un droit au retour pour tout jeune de l’aide sociale à l’enfance qui rencontrerait des difficultés qu’il n’avait peut-être pas anticipées.

Je vous propose aujourd’hui d’aller plus loin encore, avec un objectif simple : en finir avec le couperet des 18 ans, qui fait trop souvent office d’épée de Damoclès pour les jeunes protégés. Il faut, d’une part, systématiser l’accompagnement des jeunes de l’aide sociale à l’enfance de 18 à 21 ans ; d’autre part, rendre obligatoire la mise en place pour chaque jeune d’un projet pour l’autonomie, qui prolonge et complète le projet pour l’enfant, qui soit adapté à la situation, aux besoins et aux envies de chacun.

Ce projet pour l’autonomie reposera sur trois volets.

Le premier volet prévoit un accompagnement humain, éducatif et social, lequel sera modulé en fonction des besoins du jeune.

Le deuxième concernera l’hébergement, qui pourra prendre des formes diverses : logement étudiant, place en logement semi-autonome ou dans un foyer de jeunes travailleurs ou solvabilisation de cette place.

Enfin, le troisième est un volet d’accompagnement vers l’emploi ou dans les études. Les jeunes pourront ainsi bénéficier d’un contrat de professionnalisation en alternance ou d’un contrat d’apprentissage, accéder à une école de la deuxième chance, mais également, de façon automatique, au contrat d’engagement jeune bonifié pour ceux qui ne sont ni en emploi ni en formation. Enfin, ceux qui suivent des études supérieures accéderont à l’échelon 7 des bourses étudiantes, dont le montant s’élève à près de 600 euros.

Sur chacun de ces volets, l’État comme les départements se doivent d’être au rendez-vous de leurs compétences et de leurs responsabilités. L’État sera aux côtés des départements puisque, dès l’adoption de la loi, État et départements travailleront ensemble sur les détails précis de l’accompagnement financier de ces derniers. J’aurai l’occasion d’y revenir lors de la discussion des articles.

L’État et tous les acteurs qui entourent le jeune prennent leurs responsabilités pour mettre un point final aux sorties sèches de l’aide sociale à l’enfance. Les inégalités de destin que vivent ces enfants ne sont pas une fatalité.

Ce texte constitue donc une étape supplémentaire dans le processus entamé il y a trois ans par une large concertation avec l’ensemble des acteurs – départements, associations d’anciens enfants protégés, ministères.

Ce projet de loi résulte aussi d’un formidable travail de coconstruction avec le Parlement – vos débats en commission en ont à nouveau donné l’exemple. À cet égard, je tiens à saluer sincèrement le travail remarquable du rapporteur Bernard Bonne et de l’ensemble des sénatrices et sénateurs ayant contribué à ce texte, notamment sur la question de la gouvernance locale, qui va constituer, j’en suis convaincu, un apport majeur du Sénat.

Ce processus a aussi pleinement associé les enfants eux-mêmes et je conclurai sur ce point. Dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance présentée en octobre 2019, j’avais souhaité accorder une place importante à la question de la parole des enfants protégés, afin que ceux-ci puissent être pleinement acteurs de leur parcours et être associés à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques publiques qui les concernent.

Il est temps que le champ de la protection de l’enfance accorde davantage aux enfants les moyens d’agir et de garantir leurs droits. Trop souvent, les enfants protégés manquent d’espaces pour s’exprimer sur leur quotidien, sur les aspects positifs et négatifs de l’environnement dans lequel ils évoluent. Il faut pourtant leur donner la parole pour qu’ils puissent partager leur vision, leur vécu, les réalités très quotidiennes du dispositif de l’aide sociale à l’enfance, telles qu’ils les vivent.

C’est pourquoi j’avais confié la rédaction d’un rapport à Gautier Arnaud-Melchiorre, qu’il a très joliment intitulé À (h)auteur denfants. Je tiens ici à saluer son travail et son engagement : il est allé à la rencontre de 1 500 enfants confiés aujourd’hui à l’aide sociale à l’enfance. Plusieurs de ses propositions seront reprises par des sénateurs ou par le Gouvernement, à commencer par l’audition systématique de l’enfant par le juge, que je vous proposerai d’adopter à l’article 7 bis du projet de loi.

Le résultat de ces travaux d’enfants ou d’anciens enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance montre d’ailleurs parfaitement que la protection de l’enfance est une question très complexe, qui autorise difficilement les raisonnements simplistes ou les solutions toutes faites. Ce n’est pas ce qui est blanc ou noir qui pose question ; ce sont souvent les nombreuses nuances de gris qui soulèvent le plus de difficultés, interrogent nos pratiques et nous mettent au défi.

Méfions-nous d’ailleurs des discours exclusivement négatifs. Racontons aussi les belles histoires de la protection de l’enfance, parce qu’elles sont valorisantes pour l’ensemble des enfants et pour les professionnels qui sont à leurs côtés.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. Nous avons la même boussole que les professionnels, qui, à leur place, dans leur rôle, protègent les enfants au quotidien : cette boussole, c’est bien évidemment l’intérêt supérieur de l’enfant.

Notre responsabilité commune est de les aider et de les guider dans cette tâche, avec l’humilité de ceux qui n’expérimentent pas dans leur quotidien, dans leur conscience et leur chair, la complexité que peut constituer le fait de décider pour un enfant et pour son avenir, pour lui et avec lui.

Je suis convaincu qu’avec ce projet de loi, nous œuvrons tous ensemble en ce sens. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, UC et Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bernard Bonne, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la hausse constante du nombre de mesures d’aide sociale à l’enfance montre l’attention croissante que la société porte à la protection des enfants, dans le contexte d’une libération de la parole et d’une meilleure prise en compte des phénomènes de maltraitance.

En 2018, les départements ont ainsi mis en place 355 000 mesures d’aide sociale à l’enfance, pour une dépense de 8,3 milliards d’euros.

D’importants progrès ont été réalisés pour améliorer la protection des enfants en danger, en particulier grâce aux lois du 5 mars 2007 et du 14 mars 2016. Ces avancées connaissent toutefois une application bien trop inégale selon les territoires.

La déjudiciarisation de la protection de l’enfance n’a pas eu lieu, 80 % des placements étant encore ordonnés par le juge. Le projet pour l’enfant n’est pas systématiquement mis en œuvre et les observatoires départementaux de la protection de l’enfance (ODPE) ont des moyens très variables selon les territoires.

Si le département est chef de file, la protection de l’enfance fait intervenir de nombreux acteurs, en particulier l’autorité judiciaire et les services de l’État. Or ces acteurs sont insuffisamment coordonnés et fonctionnent encore trop en silos, tant à l’échelon national qu’à l’échelon local : nous manquons d’outils efficaces de pilotage et d’évaluation.

Le bon fonctionnement de la protection de l’enfance repose ainsi sur la volonté de chaque département et de ses partenaires. De nombreux professionnels et élus se mobilisent, dans des conditions souvent difficiles, pour assurer une prise en charge de qualité des enfants en danger.

Pour autant, force est de constater que cette politique publique manque d’efficience, que les prises en charge des mineurs protégés sont plus ou moins satisfaisantes et que l’accent n’est pas assez mis sur la prévention des carences éducatives.

Les jeunes sortant de l’ASE rencontrent d’importantes difficultés d’insertion sociale et professionnelle, 70 % d’entre eux n’ayant aucun diplôme, ce qui témoigne d’une forme d’échec de la protection de l’enfance eu égard aux moyens qui lui sont consacrés.

Je salue la mobilisation du Gouvernement, en particulier celle d’Adrien Taquet, qui, depuis 2019, s’est fixé pour objectif de résoudre ces difficultés, notamment par le biais de la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance.

Les principes sont posés par les lois de 2007 et de 2016 ; il s’agit non pas de les réinventer, mais de les appliquer. Dans cette logique, le projet de loi ne porte pas de réforme en profondeur de la protection de l’enfance, mais entend ajuster les modalités d’accompagnement des mineurs, mieux prévenir les risques de maltraitance et unifier la gouvernance nationale.

La commission partage ces objectifs. Nous avons travaillé dans la perspective d’apporter d’utiles compléments aux travaux déjà menés tant par le Gouvernement que par nos collègues députés.

Nous devons apporter des outils concrets complémentaires à ceux qui existent déjà, afin de coordonner et d’harmoniser les prises en charge, de faciliter les diverses modalités d’accompagnement des enfants et d’améliorer la gouvernance, en particulier à l’échelon local.

En ce qui concerne l’accompagnement et l’accueil des mineurs et des jeunes majeurs protégés, la commission a soutenu les mesures favorisant l’accueil des enfants par un tiers digne de confiance et leur accompagnement par des parrains ou marraines.

La commission a ensuite approuvé et enrichi l’article 3 bis D, qui prévoit des mesures de lutte contre les sorties sèches. Le texte prévoit que la garantie jeunes sera systématiquement proposée aux jeunes de l’ASE éligibles. De même, les jeunes majeurs de moins de 21 ans en difficulté d’insertion sociale devront être pris en charge temporairement par l’ASE. La commission a consacré un droit au retour en s’assurant que l’accompagnement des jeunes majeurs sera possible, y compris s’ils ne bénéficient plus d’une prise en charge.

L’accompagnement des jeunes majeurs représente une charge nouvelle pour les départements, alors que le Gouvernement est resté évasif sur la compensation de cette charge par l’État. Aucun crédit n’a été budgétisé dans le projet de loi de finances pour 2022. Si les arbitrages précis sur les modalités de calcul ne sont encore pas rendus, des engagements en faveur d’une réelle compensation financière sont attendus.

La commission a complété le texte pour mieux encadrer les types de structures accueillant les mineurs et renforcer la lutte contre les maltraitances ou les situations d’enfance en danger.

Alors que l’accueil de mineurs à l’hôtel ne constitue en aucun cas une solution, entre 7 500 et 10 000 mineurs protégés y sont hébergés aujourd’hui. Face à cette situation inacceptable, la commission a renforcé les dispositions de l’article 3 afin d’interdire totalement l’accueil à l’hôtel dans un délai de deux ans.

La commission a supprimé la création d’un droit de visite des parlementaires dans les établissements de l’ASE, car ce ne sont pas des lieux de privation de liberté. Cette mesure est contre-productive, tant pour la protection des enfants que pour les prérogatives du Parlement.

Nous avons précisé le contenu de l’article 4 afin que les contrôles des antécédents judiciaires du personnel et des bénévoles exerçant dans le secteur social s’appuient sur le bulletin n° 2 du casier judiciaire et sur le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais).

Le référentiel national d’évaluation des informations préoccupantes prévu à l’article 6 permettra d’harmoniser les pratiques et de se conformer aux meilleurs standards scientifiques. La commission a également inscrit le principe de la communication aux personnes ayant transmis une information préoccupante des suites données à cette information, dans le respect de l’intérêt de l’enfant et du secret professionnel.

Afin d’améliorer la procédure d’assistance éducative, la commission a approuvé la possibilité de renvoyer une affaire particulièrement complexe devant une formation collégiale, ainsi que celle donnée au juge de désigner un avocat pour l’enfant, en ajoutant que cette désignation pourra être demandée par le président du département.

Nous aurons d’ailleurs l’occasion, lors de nos débats, de discuter des modalités de représentation et de prise en compte de la parole de l’enfant.

Le texte consacre plusieurs dispositions aux assistants familiaux, dont le déclin démographique pose des difficultés majeures. La commission a soutenu la sécurisation de leur rémunération au niveau du SMIC dès le premier enfant accueilli et le maintien de la rémunération en cas de suspension de l’agrément. Nous avons également complété ces dispositions afin de renforcer la place des assistants familiaux dans l’élaboration et le suivi du projet pour l’enfant.

La commission a adopté l’article 11 permettant à l’assistant familial de travailler au-delà de la limite d’âge pour prolonger l’accompagnement d’un enfant.

L’article 10 prévoit la création d’une base nationale répertoriant les agréments des assistants familiaux afin que chaque département puisse avoir connaissance des retraits ou des suspensions d’agrément sur l’ensemble du territoire. Saisissant l’opportunité que constitue la création de cet outil, la commission a ajouté à cette base les agréments des assistants maternels.

La commission a modifié l’article 12, qui instaure des priorités pluriannuelles d’action en matière de protection maternelle et infantile en renforçant le rôle des départements dans la définition de ces priorités. Nous avons également maintenu les normes minimales d’activité des PMI et d’effectifs de professionnels de santé s’imposant aux départements, aux côtés des nouveaux objectifs nationaux de santé publique que le texte institue. Il s’agit d’éviter de passer à une logique de résultats sans une garantie minimale sur les moyens accordés à la PMI.

En matière de gouvernance, l’article 13 prévoit de regrouper les instances nationales œuvrant dans le champ de la protection de l’enfance au sein d’un seul groupement d’intérêt public (GIP), qui aura pour mission d’élaborer des référentiels et de diffuser de bonnes pratiques. Cette réforme devrait permettre de mieux coordonner les acteurs nationaux et d’améliorer la connaissance et l’harmonisation des pratiques professionnelles. Il conviendra toutefois que les acteurs concernés travaillent réellement ensemble en ayant les moyens de le faire, sans quoi ce GIP restera une coquille vide sans réelle valeur ajoutée.

La commission a supprimé la mission confiée aux ODPE d’organiser une gouvernance territoriale renforcée, car il n’est pas opportun d’assigner une telle mission à des observatoires qui disposent de moyens très variables.

Pour améliorer la gouvernance territoriale, nous avons introduit l’expérimentation, dans les départements volontaires, d’un comité départemental pour la protection de l’enfance, coprésidé par le président du département et le préfet. Cette instance permettra de réunir l’ensemble des acteurs locaux de la protection de l’enfance pour coordonner leurs actions, définir des orientations communes et traiter de situations individuelles complexes. Elle contribuera ainsi à une meilleure articulation des acteurs intervenant auprès des enfants, afin de leur garantir une prise en charge transversale et sans rupture de parcours.

En ce qui concerne les mineurs non accompagnés (MNA), nous avons regretté que le texte n’organise pas le transfert à l’État de l’exercice et du financement de la compétence de mise à l’abri, d’évaluation de la minorité et d’isolement des personnes se déclarant MNA.

La commission a toutefois soutenu les dispositions de l’article 14, qui prévoit une répartition plus juste des MNA sur le territoire. Elle a complété l’article 14 bis afin d’étendre l’interdiction faite aux départements de procéder à des réévaluations de la minorité à tous les MNA reconnus comme tels par l’autorité judiciaire. L’article 15, qui prévoit la généralisation du recours au fichier national d’appui à l’évaluation de la minorité a également été adopté.

Mes chers collègues, je vous propose donc d’adopter ce projet de loi tel qu’il résulte des travaux de la commission des affaires sociales, texte que nos débats devraient permettre de compléter.

Ce texte comporte des mesures utiles pour faciliter et harmoniser les pratiques professionnelles sur le terrain, afin de mieux prévenir les situations de danger et de protéger les enfants.

Ces mesures auront toutefois un coût pour les collectivités. Si l’on veut s’assurer de leur mise en œuvre effective, il conviendra que l’État accompagne financièrement les départements. C’est la condition d’une véritable application de la loi et d’une protection efficace des enfants sur tout le territoire de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions. – Mmes Élisabeth Doineau et Colette Mélot ainsi que M. François Patriat applaudissent également.)