Sommaire

Présidence de Mme Pascale Gruny

Secrétaires :

Mme Marie Mercier, M. Jean-Claude Tissot.

1. Procès-verbal

2. Décès d’anciens sénateurs

3. Règles sanitaires

4. Modifications de l’ordre du jour

5. Candidature à une commission

6. Crise du logement que connaît notre pays et manque d’ambition de la politique de la ville. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville

Débat interactif

M. Éric Gold ; Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville.

Mme Viviane Artigalas ; Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville ; Mme Viviane Artigalas ; Mme Nadia Hai, ministre déléguée ; Mme Viviane Artigalas.

M. Frédéric Marchand ; Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville.

M. Dany Wattebled ; Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville ; M. Dany Wattebled.

Mme Marta de Cidrac ; Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville ; Mme Marta de Cidrac ; Mme Nadia Hai, ministre déléguée ; Mme Marta de Cidrac.

Mme Sophie Taillé-Polian ; Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville ; Mme Sophie Taillé-Polian ; Mme Nadia Hai, ministre déléguée ; Mme Sophie Taillé-Polian.

Mme Marie-Noëlle Lienemann ; Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville ; Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Anne-Catherine Loisier ; Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville.

M. Denis Bouad ; Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville ; M. Denis Bouad.

M. Sébastien Meurant ; Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville ; M. Sébastien Meurant.

M. Jean-Michel Arnaud ; Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville ; M. Jean-Michel Arnaud.

M. Serge Mérillou ; Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville : M. Serge Mérillou.

M. Édouard Courtial : Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville : M. Édouard Courtial.

M. Laurent Burgoa : Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville : M. Laurent Burgoa.

Mme Laurence Garnier : Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville : Mme Laurence Garnier.

M. Cyril Pellevat : Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville : M. Cyril Pellevat.

Conclusion du débat

M. Jean-Baptiste Blanc, pour le groupe Les Républicains

Suspension et reprise de la séance

7. Trois ans après la loi « asile et immigration », quel est le niveau réel de maîtrise de l’immigration par les pouvoirs publics ? – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. Roger Karoutchi, pour le groupe Les Républicains

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté

Débat interactif

M. Stéphane Ravier ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.

M. Jean-Yves Leconte ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Jean-Yves Leconte.

M. Ludovic Haye ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.

M. Franck Menonville ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.

M. Stéphane Le Rudulier ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.

M. Guy Benarroche ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.

Mme Éliane Assassi ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.

M. Vincent Capo-Canellas ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Vincent Capo-Canellas.

M. Bernard Fialaire ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.

M. Jean-Pierre Sueur ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Jean-Pierre Sueur.

M. Sébastien Meurant ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.

M. Arnaud de Belenet ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.

M. Jérôme Durain ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.

M. Henri Leroy ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Henri Leroy.

Mme Catherine Belrhiti ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; Mme Catherine Belrhiti.

M. Édouard Courtial ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.

M. Bruno Belin ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Bruno Belin.

Conclusion du débat

Mme Valérie Boyer, pour le groupe Les Républicains

Suspension et reprise de la séance

8. Candidatures à une commission mixte paritaire

9. Meilleure prise en compte de la qualité de la vie étudiante. – Adoption d’une proposition de résolution

Discussion générale :

M. Laurent Lafon, auteur de la proposition de résolution

M. Yan Chantrel

M. Xavier Iacovelli

Mme Vanina Paoli-Gagin

Mme Laure Darcos

Mme Monique de Marco

M. Pierre Ouzoulias

M. Pierre-Antoine Levi

M. Bernard Fialaire

Mme Esther Benbassa

M. Hussein Bourgi

Mme Céline Boulay-Espéronnier

Mme Béatrice Gosselin

Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation

Clôture de la discussion générale.

Texte de la proposition de résolution

Vote sur l’ensemble

Adoption de la proposition de résolution.

Suspension et reprise de la séance

10. Développement de l’agrivoltaïsme en France. – Adoption d’une proposition de résolution

Discussion générale :

M. Jean-François Longeot, coauteur de la proposition de résolution

Mme Marie Evrard

M. Pierre Médevielle

M. Guillaume Chevrollier

M. Daniel Salmon

M. Fabien Gay

M. Jean-Pierre Moga

M. Henri Cabanel

M. Jean-Claude Tissot

M. Daniel Gremillet

M. Christian Redon-Sarrazy

M. Jean-Claude Anglars

M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation

Clôture de la discussion générale.

Texte de la proposition de résolution

Vote sur l’ensemble

Adoption de la proposition de résolution.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre

11. Politique mise en place par le Gouvernement pour conforter la souveraineté maritime française sur les océans et garantir nos intérêts économiques et stratégiques. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. Alain Cadec, pour le groupe Les Républicains

M. Joël Guerriau

Mme Agnès Canayer

M. Jacques Fernique

M. Pierre Laurent

M. Olivier Cigolotti

M. André Guiol

Mme Martine Filleul

Mme Nadège Havet

M. Pascal Allizard

Mme Hélène Conway-Mouret

M. Didier Mandelli

Mme Annick Girardin, ministre de la mer

12. Ordre du jour

Nomination d’un membre d’une commission

Nomination de membres d’une commission mixte paritaire

compte rendu intégral

Présidence de Mme Pascale Gruny

vice-président

Secrétaires :

Mme Marie Mercier,

M. Jean-Claude Tissot.

Mme le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 16 décembre 2021 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Décès d’anciens sénateurs

Mme le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues Stéphane Bonduel, qui fut sénateur de la Charente-Maritime de 1980 à 1989, et Louis-Ferdinand de Rocca Serra, qui fut sénateur de Corse-du-Sud de 1994 à 2001.

3

Règles sanitaires

Mme le président. Mes chers collègues, au vu de l’évolution de la situation sanitaire et après concertation du président du Sénat avec les questeurs, les présidents de groupe et les présidents de commission et de délégation, il a été décidé de ne pas rétablir de système de jauge pour la séance publique et pour les réunions de commission et de délégation.

En revanche, les commissions et les délégations ont de nouveau la possibilité d’organiser leurs réunions plénières selon un schéma mixte : le présentiel en principe, mais la faculté de participer à distance, sans toutefois la possibilité de voter pour ceux de nos collègues utilisant la visioconférence.

Sur la proposition de M. le président du Sénat, nous pourrions également suspendre l’application de l’article 23 bis de notre règlement, relatif aux présences en séance publique et en commission, jusqu’à la suspension de nos travaux, à la fin du mois de février prochain. Aucune retenue ne serait donc effectuée en application de cet article au terme de la période de référence de quatre mois initialement retenue.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

Je vous rappelle enfin que le port du masque est obligatoire dans l’hémicycle, y compris pour les orateurs s’exprimant à la tribune. J’invite par ailleurs chacune et chacun à veiller au respect des gestes barrières, en précisant que le masque doit couvrir à la fois la bouche et le nez.

4

Modifications de l’ordre du jour

Mme le président. Mes chers collègues, par lettre en date du 23 décembre 2021, le Gouvernement a retiré de l’ordre du jour du jeudi 6 janvier la séance de questions orales et a sollicité du Sénat l’inscription, le jeudi 6 janvier, l’après-midi et le soir, du projet de loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire, et le vendredi 7 janvier, l’après-midi et le soir, sous réserve de leur dépôt, des conclusions de l’éventuelle commission mixte paritaire sur ce texte.

Le texte n’ayant pas été transmis cette nuit par l’Assemblée nationale, son inscription à l’ordre du jour sera soumise ultérieurement au Sénat.

Par ailleurs, en raison de la demande du Gouvernement, il était envisagé de soumettre au Sénat les modifications suivantes : d’une part, l’avancement à la reprise de ce soir du débat sur la politique mise en place par le Gouvernement pour conforter la souveraineté maritime française sur les océans, initialement prévu le jeudi 6 janvier après-midi, avec un délai d’inscription de parole aujourd’hui à seize heures, d’autre part, l’avancement au jeudi 6 janvier, à dix heures trente, du débat sur le thème « Le partage du travail : un outil pour le plein emploi ? », ainsi que du débat sur la sûreté des installations nucléaires, initialement prévus l’après-midi.

Après consultation des groupes politiques, nous pourrions procéder à ces modifications de notre ordre du jour.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

Enfin, le Gouvernement a demandé dans sa lettre d’ordre du jour l’inscription d’une séance de questions orales le mardi 25 janvier au matin, en remplacement de celle de ce jeudi.

Acte est donné de cette demande.

5

Candidature à une commission

Mme le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission des affaires économiques a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

Mes chers collègues, avant de passer à l’ordre du jour, je tiens à vous présenter mes vœux de bonne année et, surtout, de bonne santé. J’y associe bien sûr vos familles, vos collaborateurs et tous ceux qui travaillent à nos côtés.

6

Crise du logement que connaît notre pays et manque d’ambition de la politique de la ville

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, à la demande du groupe Les Républicains, sur la crise du logement que connaît notre pays et le manque d’ambition de la politique de la ville.

Je vous rappelle que la conférence des présidents a décidé d’expérimenter une proposition du groupe de travail sur la modernisation des méthodes de travail du Sénat.

En application de cette proposition, le groupe Les Républicains disposera d’un temps de présentation de huit minutes, le Gouvernement lui répondant pour une durée équivalente.

Lors du débat interactif, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à une réplique pendant une minute ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Le groupe auteur de la demande de débat disposera de cinq minutes pour le conclure.

Dans le débat, la parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il y a cinq ans, le candidat Emmanuel Macron promettait un choc d’offre afin de faire baisser les prix du logement. Il promettait également de construire 60 000 logements étudiants et de répondre aux besoins des ménages aux revenus les plus modestes.

Aujourd’hui, à l’approche d’échéances essentielles pour notre pays, il est temps de faire le bilan du quinquennat en matière de logement et de politique de la ville.

Force est de constater que le choc d’offre a laissé place à l’aggravation de la crise du logement, l’espoir pour les plus modestes à un horizon bouché et l’effacement des ghettos à la persistance des barrières à l’intégration.

Face à ce bilan, que nous dénonçons, le groupe Les Républicains veut formuler de véritables propositions alternatives pour notre pays et pour tous les Français.

En effet, cinq ans après ces promesses, comment ne pas être frappé par l’inquiétude des Français ? Les prix des logements s’envolent, au point de devenir inaccessibles pour nombre de nos concitoyens. Il en est de même des prix de l’énergie, qui pèsent lourdement sur le pouvoir d’achat.

Dès lors, malgré les discours officiels, les Français ont le sentiment de se précariser et même d’être déclassés.

Le logement, symbole de sécurité pour chaque famille, est au cœur de leurs préoccupations. Sortir du logement social, devenir propriétaire, acheter une maison avec jardin comme l’ont fait leurs parents avant eux sont autant de projets qui deviennent des chimères. La ministre du logement affirmait récemment que posséder une maison individuelle avec jardin était un rêve dépassé et un non-sens écologique : ce n’est pas en tenant de tels propos que l’on pourra aider nos concitoyens.

M. Laurent Burgoa. Très bien !

Mme Dominique Estrosi Sassone. Si le décalage est si grand entre les promesses et la réalité vécue par les Français, c’est bien à cause d’un quinquennat qui, en adoptant une vision technocratique, a délibérément fait du logement des plus modestes un poste d’économies budgétaires.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Je pense notamment aux mesures de réduction des aides personnalisées au logement (APL). À ce titre, je le rappelle, ce sont environ 10 milliards d’euros qui manquent.

Les bailleurs sociaux ont également vu leurs moyens d’action amputés du fait de la réduction de loyer de solidarité (RLS), qui pèse 1,3 milliard d’euros chaque année. Action Logement a été menacé de démembrement et ponctionné de plus de 2 milliards d’euros.

Malgré la prolongation de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, la loi SRU, et l’affichage de tardives ambitions en matière de logement social, la réalité des faits passés et la vision macroéconomique de l’exécutif ne peuvent que confirmer nos inquiétudes.

En effet, ce que nous constatons, c’est la volonté persistante de remettre en cause le modèle français du logement social et de prolonger la rupture qui s’est produite en 2018 : « la mutation majeure du logement social solide vers le logement abordable liquide », c’est-à-dire un logement social réservé aux populations les plus fragiles et financé, soit par les ventes de logements, soit par le marché, tandis que ses ressources propres – livret A et 1 % logement – seraient partiellement réduites ou réallouées. La dépense nationale pour le logement, supposée inflationniste, continuerait quant à elle de baisser.

En matière de construction, il est grand temps de mesurer la gravité de la situation. Selon l’institut Montaigne, on constaterait un déficit de 170 000 logements au cours des quatre dernières années. Au mieux, 30 000 logements étudiants seront construits sur les 60 000 promis.

Certes, la crise sanitaire a eu un impact, de même que les élections municipales, mais ces éléments conjoncturels ne dédouanent en aucun cas le Gouvernement de sa responsabilité. Les données publiées par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) au début du mois de décembre dernier montrent, au cours des cinq dernières années, un recul de la construction inédit depuis 1986.

Madame la ministre, en matière de politique de la ville, c’est bien le manque d’ambition qu’il nous faut déplorer.

Le rapport Borloo proposait une vision de société ; il a été rejeté.

Par deux fois, les maires des quartiers prioritaires ont dû lancer un appel au secours au Président de la République pour ne pas être oubliés.

En outre, si l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) a été relancée, si le nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) a plus que doublé, ce sont Action Logement et les bailleurs sociaux qui l’ont financé. L’État a apporté moins de 80 millions d’euros, alors même que 200 millions d’euros avaient été promis sur le quinquennat.

Face à ces résultats qui désespèrent les Français, je tiens à le réaffirmer : une autre politique était et est toujours possible.

Le plan de relance a été une occasion manquée de relancer la construction. Pour ce qui concerne le logement social, il était possible de redonner de l’oxygène aux bailleurs, par exemple en rétablissant le taux de TVA à 5,5 % pour toutes leurs constructions, à tout le moins pour les opérations de rénovation. C’est d’ailleurs ce que j’avais proposé lors de l’examen du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dit Climat et résilience.

Ce taux réduit, c’est environ 5 000 euros de moins par logement neuf. Un tel effort serait suffisant pour provoquer un effet de masse, dès lors que l’on veut construire ou rénover plus de 200 000 logements par an.

C’était aussi le bon moment pour s’attaquer au statut du bailleur privé. À force de considérer l’investisseur immobilier comme un rentier improductif et non comme un entrepreneur en logement, on a obéré durablement le logement locatif. Dans le cadre de l’examen du projet de loi Climat et résilience, j’avais également proposé de rehausser le déficit foncier : cela aurait été un premier pas en ce sens.

Pour l’avenir, nous voulons défendre une vision juste et ambitieuse en matière de logement.

Tout d’abord, il faut simplifier drastiquement et sécuriser l’acte de construire. Il faut aller plus vite. La multiplication des normes pèse sur le coût de la construction. C’est en écoutant les acteurs de terrain que nous parviendrons à cette simplification.

Ensuite, et surtout, il faut rétablir la fluidité du parcours résidentiel. Les Français ne souhaitent pas rester locataires toute leur vie, dans le parc privé ou dans le parc social. L’accession à la propriété est une aspiration légitime, qui doit être soutenue. C’est un aspect central de l’ascenseur social. Il faut lever les obstacles qui l’empêchent. Valérie Pécresse a récemment souligné l’injustice des primes d’assurance emprunteur pour les personnes séropositives ou celles qui ont été atteintes d’un cancer.

M. Laurent Burgoa. Très bien !

Mme Dominique Estrosi Sassone. En parallèle, il faut s’attaquer résolument aux ghettos urbains. On le sait : la loi SRU a été efficace pour produire du logement social, mais pas du tout pour développer la mixité sociale. C’est pourquoi, dans le cadre du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit 3DS, nous avons proposé de plafonner le pourcentage des logements les plus sociaux pour mettre fin à la concentration de la pauvreté et ouvrir les villes concernées à une plus grande diversité. Nous le savons bien : c’est cette concentration qui fait le lit de toutes les difficultés.

Il nous faut aussi revenir à un modèle du logement social ouvert aux classes moyennes : c’était bel et bien le cas par le passé. Ces Français ont le droit d’habiter près de leur lieu de travail. Demain, ils seront autant d’exemples pour l’intégration.

Il nous faut enfin, comme l’a proposé l’institut Montaigne, créer une ANRU des habitants à côté de celle des bâtiments, pour accompagner les populations de ces quartiers, souvent animées d’un véritable esprit d’entreprise, vers la réussite économique et l’intégration dans la République.

Mes chers collègues, l’inaccessibilité du logement est un facteur majeur de précarisation et de blocage de l’ascenseur social. Chaque Français a pour aspiration d’offrir un toit à sa famille. Ayons l’ambition de proposer et de mettre en œuvre les réformes nécessaires pour répondre à ce besoin essentiel, pour en faire un facteur d’intégration et, au-delà, de bien vivre ensemble ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens avant tout à vous souhaiter une excellente année 2022. Je ne doute pas que chacun d’entre nous trouvera en soi l’apaisement et le sens des responsabilités qu’exige la situation de notre pays.

Je vous prie d’excuser ma collègue Emmanuelle Wargon, ministre chargée du logement, qui n’a pu se joindre à nous pour ce débat. Je lui souhaite un prompt rétablissement.

Nous conduisons d’importantes réformes en faveur du logement, secteur qui, en matière d’offre, se trouve face à un paradoxe : alors que la demande est toujours forte dans les grandes villes, la construction de nouveaux logements ne suit pas. Or ne pas répondre à ce besoin, c’est organiser l’éviction des plus pauvres en périphérie, éloigner de son lieu de travail une partie de la population active et accroître le recours aux transports individuels. Cette situation a encore été accentuée par la crise sanitaire que nous traversons.

Le Gouvernement s’est pleinement mobilisé afin d’accompagner le secteur. À la fin de l’année 2021, le rythme de construction d’avant la crise sanitaire a d’ailleurs été retrouvé. C’est bien l’offre qui fait défaut, la demande étant soutenue par des taux d’intérêt bas et par la prolongation de mesures comme le prêt à taux zéro (PTZ) ou le dispositif Pinel.

En conséquence, nous devons aller plus loin pour rattraper le retard accumulé.

Le Gouvernement a engagé un plan d’action concret de relance de la construction : nous avons signé un protocole ambitieux visant à assurer la construction de 250 000 logements sociaux en deux ans avec l’Union sociale pour l’habitat (USH) et les principaux financeurs, à savoir la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et Action Logement.

Nous avons porté le fonds pour le recyclage des friches à 650 millions d’euros afin de faciliter la mobilisation de foncier déjà artificialisé, et nous le pérennisons pour l’avenir.

Toutefois, comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, la délivrance des permis de construire est une compétence des collectivités territoriales. Afin de les mobiliser davantage, nous avons demandé à François Rebsamen de présider une commission pluraliste pour la relance durable de la construction de logements, instance qui a rendu ses conclusions à l’automne dernier. À cette occasion, la ministre Emmanuelle Wargon a tenu à saluer les sénateurs Estrosi Sassone, Marchand, Lienemann et Martin, qui ont représenté la Haute Assemblée au sein de cette commission.

Les recommandations émises sont très claires : État, collectivités, promoteurs, bailleurs sociaux, mais aussi citoyens, nous devons tous réhabiliter l’acte de construire.

Le Gouvernement a repris plusieurs propositions de cette commission, comme la signature, dans les territoires tendus, de contrats de relance du logement : au total, 175 millions d’euros du plan France Relance sont mobilisés à cette fin. Ils constituent le volet « logement » des contrats de relance et de transition écologique (CRTE).

De plus, la loi de finances pour 2022 prévoit la compensation intégrale de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pendant dix ans pour les logements sociaux agréés en 2021, et ce jusqu’à la fin du mandat municipal en cours.

En parallèle, afin de mieux mobiliser le parc existant, nous avons rendu le dispositif « Louer abordable » plus attractif, à l’occasion de la loi de finances pour 2022.

Ces efforts pour la construction et la mobilisation du parc existant se doublent d’un soutien à la production équilibrée de logements sociaux dans les territoires. Ainsi, ce gouvernement a engagé la pérennisation de la loi SRU avec le projet de loi 3DS, adopté en première lecture au Sénat. Nous saluons le travail accompli en ce sens par Dominique Estrosi Sassone et Valérie Létard.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Cet exemple le confirme une nouvelle fois : le Gouvernement est pleinement mobilisé en faveur du logement abordable.

En cohérence, nous agissons de manière déterminée dans les territoires fragilisés de la politique de ville.

Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez assurés que n’avons pas perdu une once de notre ambition pour la réussite des habitants de ces territoires.

Il me paraît bon de le rappeler : dès 2017, le Président de la République a décidé, non seulement de doubler l’enveloppe de l’ANRU, la portant de 5 milliards d’euros à 10 milliards d’euros, mais aussi de sanctuariser la dotation politique de la ville (DPV) et d’augmenter les crédits de la politique de la ville : au titre du programme 147, ce sont plus de 131 millions d’euros supplémentaires qui ont été votés par la majorité présidentielle.

Le Gouvernement s’est aussi engagé à ce que la relance passe par tous les territoires. Ainsi, le Premier ministre a assuré que plus de un milliard d’euros du plan de relance irait aux quartiers prioritaires. Cet engagement a été tenu et même dépassé : nous sommes aujourd’hui à plus de 1,2 milliard d’euros engagés.

Ce sont là autant d’actions menées et renforcées, à la suite de la crise sanitaire, pour remettre les territoires au cœur de notre pacte républicain.

À l’issue du comité interministériel des villes du 29 janvier 2021, nous avons tenu à aller plus loin pour l’attractivité des quartiers et l’émancipation de chaque habitant qui y vit.

Ce faisant, ne vous en déplaise, madame Estrosi Sassone, nous mettons en œuvre une grande partie du rapport Borloo. (Mme Dominique Estrosi Sassone manifeste sa circonspection.)

Oui, nous agissons pour le cadre de vie. À cet égard, je me dois d’évoquer le renouvellement urbain.

En 2017, l’ANRU était à l’arrêt : ce n’est pas nous qui le disons, ce sont les collectivités. Notre gouvernement a relancé le NPNRU pour qu’il puisse entrer en phase opérationnelle. Aujourd’hui, l’ANRU se voit confier 12 milliards d’euros pour mener des projets de transformation dans 450 quartiers. Au total, plus de 3 millions d’habitants seront concernés.

Plus de 10 milliards d’euros sont d’ores et déjà engagés, que ce soit en Seine-Saint-Denis, à Marseille, dans les Hautes-Pyrénées ou encore dans les Yvelines, département qui m’est cher, comme il l’est au président Larcher. Cet effort a permis de débloquer des dossiers ankylosés depuis de trop nombreuses années.

Nous agissons aussi pour la tranquillité des habitants. C’est l’une des principales préoccupations de nos concitoyens et c’est aussi la nôtre.

Nous agissons pour réaffirmer l’autorité en créant 1 200 postes de policiers et de gendarmes dans 62 quartiers de reconquête républicaine et en augmentant les moyens accordés à la justice, notamment en renforçant la justice de proximité pour traiter la délinquance, la criminalité et les différentes formes de séparatisme qui rongent le quotidien des habitants.

En même temps, nous travaillons à la prévention du passage à l’acte en créant 45 bataillons de la prévention. Ces structures regroupent 600 éducateurs et médiateurs formés pour aller vers les jeunes et remobiliser ceux qui sont les plus éloignés de ce qui fonde notre pacte républicain, à savoir la citoyenneté, l’emploi et l’école. Nous voulons assécher ce qui peut constituer un vivier de recrutement chez les trafiquants et les séparatistes en tout genre.

Vous avez évoqué le phénomène de ghettoïsation : je me réjouis que certains candidats à la présidence de la République commencent à s’intéresser à ce sujet… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Cathy Apourceau-Poly. Vous n’avez pas de leçons à donner !

Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Dans son discours des Mureaux, le chef de l’État a déjà évoqué les phénomènes de ghettoïsation et de séparatisme social, qui se multiplient depuis quatre décennies, de manière plus ou moins volontaire.

En la matière, nous agissons avec détermination. (Mme Sophie Primas fait semblant de jouer de la flûte.) Outre les mesures que je viens d’évoquer, nous investissons le secteur de l’éducation – Jean-Michel Blanquer s’y consacre. Je pense non seulement à la création des cités éducatives, mais aussi au dédoublement des classes.

Trop longtemps, dans ces territoires, l’accompagnement social a été la règle et le développement économique, l’exception. Or ce dernier est un levier incontournable pour l’attractivité des territoires, les emplois et la qualité de vie.

Je pourrais vous parler encore longtemps des autres actions que nous mettons en place, comme les maisons France Services, le dispositif Nature en ville ou les quartiers productifs, mais le temps m’est compté. Cela étant, je ne doute pas que nous reviendrons au cours du débat sur ces initiatives fondamentales.

Notre ambition reste intacte pour nos quartiers, afin que ceux-ci puissent participer à la transformation de notre pays, qu’ils en bénéficient et qu’ils fassent partie de cette France de 2030 que nous sommes en train de construire avec le Président de la République, Emmanuel Macron ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Sophie Primas. Avec qui ?

Débat interactif

Mme le président. Dans le débat interactif, la parole est à M. Éric Gold. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Éric Gold. Madame la ministre, votre collègue chargée du logement a fait couler beaucoup d’encre il y a quelques mois en affirmant : « Le modèle du pavillon avec jardin n’est pas soutenable et nous mène dans une impasse. »

L’habitat individuel étant plébiscité par plus de 80 % des Français, cette phrase a pu choquer certains.

Toutefois, la crise écologique et la crise que connaît notre pays en matière de logement nous poussent à nous interroger sur les modèles qui régissent notre conception de l’habitat.

Sur les 37 millions de logements existants, 55 % sont des logements individuels. Or nos collectivités territoriales se trouvent confrontées à un double impératif : concilier le besoin croissant de logements et la préservation de l’environnement, notamment en respectant l’objectif de « zéro artificialisation nette » des sols.

Dans certains territoires, cette équation se solde par des prix de l’immobilier qui flambent et qui représentent une charge intolérable pour les ménages. Les 10 % des foyers les plus modestes consacrent près de la moitié de leur budget au logement. Dans les villes, les entreprises peinent à recruter les travailleurs clés qui font tourner l’économie, mais ne peuvent plus habiter sur place.

Aussi, certaines collectivités font le choix de construire la ville sur la ville, c’est-à-dire de construire sans s’étaler. À Clermont-Ferrand, chef-lieu de mon département, cette solution se traduit par la clause dite canopée, qui permet de déroger à la règle des vingt-huit mètres de hauteur maximum dans certaines zones, notamment les friches : les réhabilitations mises en œuvre permettent d’accroître les zones végétalisées et, ainsi, d’améliorer le cadre de vie des habitants.

Toutefois, la maison individuelle représente encore 40 % des logements autorisés, et une large majorité des permis de construire se situent dans les couronnes des pôles urbains. Dans le même temps, les centres-bourgs des petites villes se vident de leurs habitants et, dans les campagnes,…

Mme le président. Il faut conclure, cher collègue.

M. Éric Gold. … on constate un quasi-gel des permis de construire.

Ma question est la suivante : quelles sont les intentions du Gouvernement pour répondre à la crise du logement, c’est-à-dire construire plus, mais surtout construire mieux, tout en restant à l’écoute des attentes des Français quant à leur parcours résidentiel ?

Mme le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que vous avez deux minutes maximum pour poser votre question. Je vous remercie par avance de respecter ce temps de parole, car d’autres débats suivent : l’ordre du jour de nos travaux est très contraint.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Monsieur le sénateur Éric Gold, oui, les Français plébiscitent encore la maison individuelle et il ne s’agit en aucun cas de remettre en cause cette aspiration, qui est avant tout celle du confort et de la qualité de vie.

Néanmoins, il faut regarder la réalité en face – c’était, selon moi, le sens des propos de ma collègue Emmanuelle Wargon – et s’interroger sur le modèle du pavillon de banlieue, développé dans les années 1960 et 1970, qui va de pair avec la désertification des centres-villes.

En parallèle, la disparition des commerces de proximité et l’éloignement des services nourrissent un sentiment d’exclusion chez certains habitants de ces lotissements. À cet égard, leurs attentes se sont fortement exprimées sur les ronds-points lors du mouvement des « gilets jaunes ». (M. Jean-Claude Anglars manifeste son désaccord.)

Enfin, reconnaissons-le, les espaces naturels disparaissent à grande vitesse : toutes les cinq minutes, nous bétonnons en France l’équivalent d’un terrain de football.

Il ne s’agit donc pas d’être pour ou contre la maison individuelle ; ce qu’il faut déterminer, c’est où et comment l’on construit. Ainsi, nous agissons concrètement pour construire plus et, surtout, pour construire mieux.

Nous favorisons la construction dans les espaces déjà artificialisés, avec la pérennisation du fonds pour le recyclage des friches. Les deux premiers appels à projets permettront la construction de 2 millions de mètres carrés dédiés à l’habitation, soit environ 70 000 logements.

Nous encourageons une densité acceptable grâce à l’aide à la relance de la construction durable dans plus de 1 300 communes.

Nous favorisons la mixité des matériaux, les constructions en bois et la qualité de vie dans les logements, notamment avec la nouvelle réglementation environnementale, dite RE2020.

Nous accompagnons davantage le logement intermédiaire et institutionnel et nous agissons pour rénover l’existant. En effet, nous pouvons aussi répondre à la demande en utilisant le parc déjà construit : c’est tout le sens de notre politique de rénovation énergétique des bâtiments.

D’ailleurs, les Français sont au rendez-vous : au titre du dispositif MaPrimeRénov’, 700 000 à 800 000 demandes ont été déposées en 2021, alors que nous attendions 500 000 dossiers. Ces chiffres montrent l’engouement qu’inspire cette mesure gouvernementale. Ce succès incontestable permet la rénovation de tous les logements, qu’il s’agisse des maisons individuelles ou des copropriétés occupées par les propriétaires. (M. François Patriat applaudit.)

Mme le président. Madame la ministre, je vous prie également de respecter votre temps de parole, notamment par égard pour vos collègues qui prendront part aux débats suivants.

La parole est à Mme Viviane Artigalas. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Viviane Artigalas. Il y a trois ans, le Président de la République annonçait à Tourcoing son ambition de changer le visage de nos quartiers d’ici à la fin du quinquennat.

Or cette ambition n’a jamais vu le jour, d’abord en raison d’un désengagement manifeste de l’État envers une politique pourtant essentielle pour la cohésion nationale.

Il suffit de rappeler que l’initiative Cœur de quartier, annoncée au mois de juillet 2018 n’a jamais vu le jour alors qu’elle était censée répondre au rapport Borloo. Mieux : interrogé par des maires à ce sujet cet automne, le Premier ministre n’en avait jamais entendu parler !

Seules des mesures éparses ont pu être engagées, très souvent sur l’initiative des villes et sans accompagnement de l’État. Le système des appels à projets pèche par son manque d’efficacité. La méconnaissance des procédures et les retards dans la constitution des dossiers entraînent une précarité des financements et des inégalités entre les communes. C’est souvent « premier arrivé, premier servi » !

Madame la ministre, nous ne pouvons que constater l’absence totale d’une vision gouvernementale de la politique de la ville. La sanctuarisation des crédits fait chaque année l’objet d’angoisses de la part des élus et des acteurs de la rénovation urbaine, comme d’âpres négociations au Parlement.

Certes, les crédits du plan de relance sont arrivés dans ces territoires, mais de façon très inégale et toujours précaire. Quel avenir pour des dispositifs efficaces comme Quartiers d’été et Vacances apprenantes ? Quel avenir pour les postes créés, par exemple pour la mise en place des bataillons de la prévention ?

Madame la ministre, malgré le plan de relance et le budget 2022, les maires dénoncent une non-assistance à territoires en danger et un décrochage de la République. Qu’avez-vous à répondre à cela ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Madame la sénatrice Viviane Artigalas, j’ai beaucoup de choses à répondre à cela. Il ne m’est donné que deux minutes, mais nous aurons l’occasion de poursuivre nos échanges et je le ferai toujours avec un immense plaisir.

Sur la question de l’engagement de l’État, du Président de la République et du Gouvernement dans les quartiers, je ne peux que vous contredire. En effet, nous avons mobilisé 131 millions d’euros supplémentaires pour mettre fin à dix années d’hémorragie dans les budgets de la politique de la ville – dix années ! Nous y avons mis fin en augmentant ces budgets de 131 millions d’euros.

De même, les 3,3 milliards d’euros annoncés par le Premier ministre lors d’un comité interministériel des villes sont-ils le signe d’un désengagement de l’État ? Je ne le crois pas !

Ce ne sont pas des milliards d’euros lancés en l’air. Ils correspondent à 78 propositions directes et concrètes dirigées vers nos territoires.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes en lien avec les élus. Je le suis tout autant que vous, au sein du ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Que nous disent les élus ? Ils nous disent que nous avons inventé des dispositifs qu’ils attendaient depuis longtemps (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.) :…

M. Laurent Burgoa. Ce n’est pas vrai !

Mme Nadia Hai, ministre déléguée. … les cités éducatives, les cités de l’emploi, Action cœur de ville, Cœur de quartier. Vous avez évoqué cette dernière initiative, mais elle porte un autre nom, celui de Quartiers productifs.

Nous avons également mis en œuvre les tiers-lieux, les maisons France Services. Oui, madame la sénatrice, le visage de nos quartiers change, et il change avec les élus locaux !

Ce à quoi nous travaillons avec eux, ce sont non seulement des dispositifs, mais aussi une nouvelle manière de faire, une nouvelle forme de contractualisation qui permet à l’action de l’État de gagner en agilité et en efficacité, en lien avec les collectivités locales.

Ne vous en déplaise : oui, l’État est engagé ; oui, le Président de la République a respecté sa promesse d’engagement en faveur des quartiers. Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez assurés que nous continuerons ce travail, je l’espère avec vous, en tout cas aux côtés des élus locaux. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.

Mme Viviane Artigalas. Madame la ministre, c’est étonnant, car vous semblez croire ce que vous dites. Les informations qui nous parviennent des quartiers font pourtant état d’une tout autre réalité.

Dans de nombreux quartiers, les maires nous parlent de situations catastrophiques dues à la crise et aux difficultés qu’ils rencontrent. Or vous n’avez pas de stratégie globale pour y répondre. Les dispositifs que vous mettez en œuvre ne sont pas pérennes : ils ne restent pas et bénéficient de peu de financements.

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Vous avez raison de le souligner, la question de la non-pérennité des dispositifs se pose. La commission sur la nouvelle génération des contrats de ville, que j’ai installée voilà quelques semaines et au sein de laquelle siègent d’ailleurs certains sénateurs, vise précisément à réfléchir à la pérennisation de ces dispositifs qui sont, rappelons-le et reconnaissons-le tous, plébiscités par les élus locaux.

Oui, nous réfléchissons à leur pérennisation. Nous aurions pu remettre à plus tard et nous désengager de cette responsabilité en la laissant au nouvel exécutif qui se mettra en place en 2022, mais nous avons pris nos responsabilités : nous avons ouvert une concertation à grande échelle impliquant les associations d’élus et les associations présentes sur le terrain, pour pérenniser ces dispositifs et réfléchir à la meilleure façon d’intervenir dans nos quartiers, particulièrement dans les territoires les plus fragiles.

Mme le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas.

Mme Viviane Artigalas. Je suis d’accord avec vous sur le fait que les budgets ont augmenté, mais je rappelle tout de même que l’État ne finance toujours pas l’Agence nationale pour la rénovation urbaine à la hauteur de ses engagements.

Sur cinq ans, on comptabilise 80 millions d’euros versés, contre 200 millions d’euros annoncés. Peu de financements sont en outre assurés en 2022, comme je l’ai déjà dit.

Vous avez déployé des dispositifs de droit commun sous forme d’appels à projets, alors que les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) auraient besoin de plus de crédits territorialisés en fonction de leurs besoins spécifiques et de plus de concertation.

Vous avez mentionné les bataillons de la prévention. Vous semblez oublier que l’éducation spécialisée était une compétence des départements.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Elle l’est toujours !

Mme Viviane Artigalas. Dans les Yvelines, vous avez mis en place des postes, alors que le département en avait déjà créé, sans aucune concertation avec ses élus !

Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Ce n’est pas vrai !

Mme Viviane Artigalas. Votre bilan n’est pas bon, madame la ministre. Vous n’avez aucune ambition pour la politique de la ville. Les dernières réponses non pérennes apportées en la matière n’y changeront rien. (M. François Patriat proteste.)

Mme le président. La parole est à M. Frédéric Marchand.

M. Frédéric Marchand. Madame la ministre, jusqu’à la fin de l’année 2017, j’étais maire d’une commune de plus de 18 000 habitants, Hellemmes, en périphérie immédiate de la ville de Lille, commune qui compte deux quartiers inscrits en géographie prioritaire de la politique de la ville.

Comme nombre de mes collègues, j’ai été régulièrement confronté à une équation impossible à résoudre – elle n’est d’ailleurs toujours pas résolue –, celle du nombre de demandes de logements face au taux de vacance dans le patrimoine locatif, notamment dans celui des bailleurs sociaux.

La construction de logements est bien évidemment une réponse à ce problème. La commission pour la relance durable de la construction de logements, sous la présidence de M. François Rebsamen, a remis les deux tomes de son rapport, lequel formule nombre de propositions visant à simplifier l’acte de construire et à accélérer les procédures d’urbanisme.

Il me semble cependant qu’une partie de la réponse aurait pu et pourrait encore être apportée si un véritable travail d’inventaire était effectué et si des moyens étaient mis en place pour régler, ou tenter de régler, le sujet de la concordance entre typologie du logement et composition de la cellule familiale.

Pour préparer ce débat, je me suis rapproché d’un bailleur social nordiste, aujourd’hui propriétaire de près de 73 000 logements et qui loge 171 000 personnes – soit un ratio de 2,1 personnes par logement, ce qui est fort peu au regard de la typologie des logements proposés.

Combien d’exemples avons-nous dans nos communes et dans nos QPV de logements de type 4 ou 5, hier encore occupés par une famille de quatre ou cinq, voire six personnes, et qui, au fil des années, ont vu leurs occupants partir en raison des aléas de la vie, pour ne plus compter finalement qu’un seul occupant ? Dans le même temps, combien de familles voyons-nous passer dans nos permanences à la recherche d’un logement abordable ?

Nous, bailleurs sociaux et élus, sommes totalement démunis face à ces situations. Nous pouvons seulement inciter les occupants à changer de logement pour une typologie plus adaptée, mais chacun sait bien qu’il est plus que difficile de quitter son logement, voire son quartier, dans lequel toute une vie a pu s’écrire.

Madame la ministre, vous savez comme moi que les bailleurs sociaux ont bien des missions à remplir, notamment pour faire du vivre ensemble une réalité dans nos QPV, et que la question de l’adéquation du logement avec le nombre d’occupants ne peut être résolue faute de moyens et de dispositifs financiers, ces derniers restant à imaginer.

Madame la ministre, ma question est simple : pouvez-vous me dire si cette piste est aujourd’hui à l’agenda ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Monsieur le sénateur Frédéric Marchand, vous avez raison : améliorer la fluidité et la mobilité au sein du parc social et optimiser l’occupation sont autant de moyens d’améliorer également l’accès au logement social pour les demandeurs.

La loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite ÉLAN, comporte plusieurs avancées visant à favoriser davantage la mobilité au sein du parc social.

Tout d’abord, elle a généralisé la gestion en flux des contingents de réservataires dans le parc social pour les bailleurs. Cette disposition vise à améliorer l’adéquation entre l’offre et la demande et à élargir la palette de choix pour les ménages, en fonction de leurs besoins.

Cette loi a également instauré dans les territoires tendus une révision régulière, tous les trois ans, de certaines situations, en particulier des situations de sous-occupation dans le parc social, par la commission d’attribution des logements et d’examen de l’occupation des logements, la Caleol. Cet examen cible notamment les situations de sous-occupation, sur la base de l’avis émis par la commission. Le bailleur procède ensuite, avec le locataire, à un examen de sa situation et des possibilités d’évolution de son parcours résidentiel.

Toutefois, la situation de nos QPV mérite une attention particulière, vous l’avez souligné, monsieur le sénateur. Il est important de maintenir dans ces parcs sociaux des occupants historiques aux revenus plus élevés que ceux des nouveaux entrants, afin de favoriser le vivre ensemble. C’est pourquoi les dispositions législatives qui suppriment le bénéfice du maintien dans les lieux pour les locataires en situation de sous-occupation dans les zones tendues ne s’appliquent pas dans les QPV.

L’enjeu est plutôt de stabiliser l’occupation et de redonner de l’attractivité à ces quartiers et au patrimoine social, en le réhabilitant. Cela permettra aussi de répondre au nombre parfois important de refus dont font l’objet les propositions de logement dans certains QPV.

Afin de faciliter la mobilité dans le parc social, nous continuons à encourager les bonnes pratiques et les démarches proactives. Je pense à des actions à l’initiative des organismes de logement social ou de réservataires, par exemple dans le cadre de démarches interbailleurs, à l’instar de la bourse Échanger Habiter en Île-de-France.

Vous le voyez, monsieur le sénateur : le Gouvernement est pleinement disposé à étudier toutes les solutions possibles afin de rendre toujours plus adéquate l’offre de logement.

Mme le président. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled. Madame la ministre, en économie, il est une loi intangible : la rareté crée la valeur. Quand il y a abondance, les prix baissent ; quand il y a carence, les prix augmentent.

Le foncier n’échappe pas cette règle. Cependant, il se distingue par une spécificité notable : ce sont les pouvoirs publics qui décident de sa disponibilité sur le marché.

En l’occurrence, la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, que le Parlement a adoptée l’été dernier, a changé la donne.

À travers l’objectif affiché de « zéro artificialisation nette » des sols en 2050, le Gouvernement a organisé la rareté chronique du foncier. En effet, la stratégie que le Gouvernement a adoptée restreindra drastiquement les surfaces constructibles. Mécaniquement, il est facile d’anticiper une hausse spectaculaire des prix dans les prochaines années.

Cette donnée est évidemment clé pour rebâtir une politique du logement ambitieuse.

Comment faciliter l’accès au logement, que ce soit par l’offre de logements sociaux ou par l’accès à la propriété, dès lors qu’une pénurie s’annonce sur la première des matières, à savoir le foncier disponible ?

Il faut ajouter à cela toutes les contraintes légales qui s’accumulent pour les constructeurs. Je pense évidemment aux obligations environnementales, notamment à la loi sur l’eau et les milieux aquatiques qui complique les initiatives de nos entrepreneurs.

Il faut également ajouter à cela l’augmentation des coûts liée à la réglementation thermique 2020, à laquelle les entrepreneurs peinent encore à s’adapter. Dans le même temps, la main-d’œuvre demeure très chère et les prix des matériaux s’envolent.

Madame la ministre, comment le Gouvernement compte-t-il enrayer cette mécanique implacable du renchérissement ? Comment garantir aux Français des logements abordables ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Monsieur le sénateur Dany Wattebled, comme je le soulignais précédemment, notre politique du logement repose sur un double impératif : l’accès de tous les Français au logement abordable et la transition écologique du parc.

Nous avons choisi de cibler de front ces deux objectifs, car il est essentiel de réduire le rythme auquel nous bétonnons nos sols tout en construisant mieux, là où se trouve le besoin de logements.

Je rappelle que l’objectif « zéro artificialisation nette » doit être atteint en 2050, de façon progressive, et non pas dès à présent. La loi Climat et résilience, qui fixe la trajectoire de réduction du rythme d’artificialisation des sols, permet, en l’état, d’avoir 140 000 hectares constructibles pour les dix prochaines années sur le territoire national. Cela est très important, vous en conviendrez.

Vous mentionnez également les coûts supplémentaires qu’induirait la nouvelle réglementation environnementale 2020 et le temps d’adaptation nécessaire pour les entrepreneurs.

Je rappelle que cette réglementation a fait l’objet d’une concertation intense avec l’ensemble des professionnels. Les coûts induits sont très faibles : environ 3 % pour le jalon 2022. Ils sont en outre à mettre en regard des économies générées sur les factures d’énergie des ménages.

Enfin, l’accès au logement abordable est une priorité du Gouvernement. Nous avons pris plusieurs mesures historiques afin d’accompagner le secteur du logement, à court terme face à la crise sanitaire, mais aussi à moyen terme, comme je l’ai évoqué au début de ce débat. Je ne les détaillerai pas de nouveau.

En définitive, nous luttons contre l’étalement urbain, la disparition des terres agricoles, des forêts et des espaces naturels. En même temps, nous favorisons l’accès de tous à un logement de qualité et abordable.

Mme le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour la réplique.

M. Dany Wattebled. Madame la ministre, vos réponses me conviennent à moitié. Je vous donne rendez-vous dans quelques années : nous verrons le nombre de logements construits. Je pense que le logement fera l’objet d’une véritable inflation. Nous le constatons d’ailleurs déjà aujourd’hui.

Mme le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marta de Cidrac. Madame la ministre, la crise du logement est une crise tout aussi quantitative que qualitative.

Il y a six mois, vous avez lancé « Mieux habiter demain en ville », dont l’un des axes de travail était consacré à la qualité du logement.

À cette occasion, les résultats de l’enquête Qualitel ont été publiés. Cette enquête pointe une baisse des hauteurs sous plafond, le manque de rangements et le manque d’espaces extérieurs.

Une table ronde sur la qualité du logement a donné lieu à la présentation d’un référentiel, qui met en avant un critère essentiel : une surface minimale par type de logement. Ce référentiel souligne également les questions de volume, d’accès à un espace extérieur et de qualité de ventilation – preuve que la qualité du logement est un sujet multifactoriel.

Au-delà de la qualité du neuf, l’amélioration de l’existant reste un véritable problème. Plusieurs mesures ont été prises, mais il manque un mouvement global allant au-delà des efforts individuels. Récemment, plusieurs instances ont fait des propositions pour mutualiser les efforts de rénovation à l’échelle des copropriétés, voire des quartiers, afin de diminuer les coûts et de massifier les gains des rénovations – propositions que vous regardez, je l’espère, avec intérêt.

Aussi, madame la ministre, quelles suites comptez-vous donner au référentiel du logement de qualité ? Comment faciliter les dynamiques collectives de rénovation de l’existant ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Madame la sénatrice Marta de Cidrac, vous l’avez justement rappelé, la crise sanitaire a renforcé la dimension essentielle du logement pour l’ensemble de nos concitoyens.

Se sentir bien chez soi, alors que l’on est amené à y passer de plus en plus de temps, à y travailler, à y vivre différemment, doit être un enjeu majeur pour nos politiques publiques.

C’est pour cela que la ministre Emmanuelle Wargon a confié à François Leclercq et Laurent Girometti la mission de construire un référentiel de la qualité d’usage du logement, mue par la conviction que nous devions nous intéresser à la vie dans les logements, mais qu’il fallait le faire de façon différente, sans imposer de nouvelles normes réglementaires.

L’État a choisi d’accompagner concrètement cette démarche. Certains critères du référentiel seront ainsi utilisés pour le paramétrage du dispositif Pinel à compter de 2023, notamment la présence systématique d’un espace extérieur ou la double exposition à partir du T3.

Les critères de qualité doivent également trouver une traduction opérationnelle dans nos projets.

La qualité du logement, c’est aussi l’affaire des maires. Le ministère du logement est ainsi plutôt favorable aux chartes locales de qualité mises en œuvre par certaines collectivités, à condition de construire plus, de construire mieux, et non de construire moins.

Nous voyons beaucoup d’exemples vertueux dans certaines villes, comme la charte récemment signée par la ville de Nice. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Il est nécessaire d’engager un travail de fond sur ces solutions locales, afin d’identifier les bonnes pratiques, mais aussi de pointer leurs écueils. Le référentiel sur la qualité d’usage du logement pose aussi les bases de ce travail.

Vous le voyez, madame la sénatrice, le Gouvernement soutient l’amélioration de la qualité des logements, car il s’agit de l’un des leviers à actionner pour relancer la construction et rendre l’habitat collectif désirable.

Le Gouvernement s’attache particulièrement à créer les conditions nécessaires pour que ce logement durable, de qualité, soit construit en quantité suffisante.

Mme le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour la réplique.

Mme Marta de Cidrac. Madame la ministre, ma question portait essentiellement sur l’habitat existant, c’est-à-dire les logements qui existent déjà, et sur les efforts prévus pour l’améliorer.

À travers la table ronde que j’ai citée tout à l’heure et l’étude Qualitel, plusieurs sujets sont clairement pointés du doigt. Au-delà des rapports annoncés – vous avez évoqué une nouvelle commission, qui donnera lieu à des conclusions et des rapports nouveaux –, je souhaite savoir quelles actions vous comptez entreprendre, là, maintenant, tout de suite, pour y répondre.

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Pour ne pas vous laisser sans réponse, madame la sénatrice, je précise qu’Emmanuelle Wargon a lancé un certain nombre de travaux et de rapports qui seront rendus dans les semaines à venir. Je ne doute pas que ce sujet sera abordé avec elle.

En attendant, s’agissant de ce que nous faisons pour le parc existant, j’ai mentionné plusieurs mesures dans mon propos liminaire ainsi que dans certaines de mes précédentes réponses. Nous y travaillons également dans le cadre du plan de relance, à travers les investissements destinés à l’entretien du parc existant.

Mme le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac.

Mme Marta de Cidrac. Je lirai avec beaucoup d’attention le rapport dont vous parlez, madame la ministre, mais, là encore, il s’agit d’un rapport. J’espère vraiment qu’à un moment donné nous nous attellerons aux actions, sur ce sujet qui concerne énormément de Français.

Nous sommes en période de pandémie. Tout le monde parle du télétravail ; or nous savons que nous ne sommes pas égaux en la matière, notamment dans cette conjoncture sanitaire particulière. Nous comptons sur vous malgré tout !

Mme le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.

Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la ministre, je tiens à revenir sur l’utilisation du plan de relance pour les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Il n’aura pas fallu moins qu’un appel très solennel de nombreux maires pour qu’une petite partie du plan de relance soit fléchée vers ces quartiers. Il aura aussi fallu, d’ailleurs, dès le début du quinquennat, en 2017, un appel de maires sur l’initiative du maire de Grigny dénonçant la fin des contrats aidés, qui a fait beaucoup de mal dans les QPV.

À l’adresse du 14 novembre 2020 lancée par des maires de villes en situation difficile, demandant qu’une partie du plan de relance leur soit destinée, une réponse positive a été apportée par le Premier ministre. Des crédits leur ont donc été alloués.

Cependant, si l’on regarde la nature de ces crédits, l’on s’aperçoit que, si un milliard d’euros a bien été mobilisé, il est venu financer un certain nombre de projets qui répondaient à toutes les autres ambitions du plan de relance.

L’objectif de réhabilitation des quartiers prioritaires de la politique de la ville ne figure d’ailleurs pas parmi les grands objectifs affichés dans le tableau de bord du plan de relance figurant sur le site du Gouvernement. Il n’est pas question non plus de leur faire reprendre le train de la République, comme certains voudraient le faire – je précise qu’ils sont à mon sens pleinement au cœur de la République.

L’objectif de réhabilitation des quartiers prioritaires n’est donc pas clair et net : il n’existe pas en tant que tel. C’est au fur et à mesure des financements des différents autres projets que ce milliard d’euros a été déployé.

Il n’existe donc pas d’ambition en la matière. Ce financement est simplement l’occasion de soutenir d’autres projets, sous prétexte de financer la politique de la ville.

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Madame la sénatrice Taillé-Polian, vous évoquez le plan de relance et la promesse tenue par le Premier ministre, lors du comité interministériel des villes, de flécher un milliard d’euros de ce plan vers les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

De quoi parlons-nous lorsque nous parlons de quartiers prioritaires ? Nous parlons de 1 514 quartiers, de 859 communes, à qui nous dédions ce milliard d’euros tiré du plan de relance.

Si nous ne l’avons pas fait, c’est parce que nous savions pertinemment que ces quartiers bénéficieraient de bien plus. Cela s’est d’ailleurs confirmé, puisque plus de 1,2 milliard d’euros ont déjà été engagés, alors que le plan de relance n’est pas terminé.

De plus, quand vous parlez de l’investissement dans les quartiers, vous semblez oublier toute la politique qui est menée parallèlement. La politique du Gouvernement en faveur des quartiers ne se limite absolument pas au plan de relance !

Quand vous parlez de la réhabilitation des quartiers, vous occultez totalement la réhabilitation prévue par l’ANRU, que nous avons portée à 12 milliards d’euros, contre 5 milliards d’euros accordés en 2014 par le précédent gouvernement. (Mmes Sophie Taillé-Polian et Marie-Noëlle Lienemann protestent.)

C’est bien la preuve que le Gouvernement agit pour la réhabilitation des quartiers.

Quand vous parlez du plan de relance, vous omettez également toutes les actions déployées en matière de prévention et d’éducation. Les cités éducatives représentent ainsi 200 millions d’euros investis dans le champ de l’éducation dans ces 1 514 quartiers.

Lorsqu’il est question des investissements et de l’engagement de l’État et du Gouvernement dans les quartiers prioritaires, il convient donc de cibler le sujet et de ne surtout pas occulter toute la politique gouvernementale menée en la matière – je vous en saurai gré.

Mme le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour la réplique.

Mme Sophie Taillé-Polian. Dans le Val-de-Marne, quatre des crédits déployés sont destinés à la réhabilitation de friches. Or, qu’elles aient été là ou ailleurs, la situation aurait été la même ! Des friches, il y en a plein le Val-de-Marne !

Ce n’est pas une politique dédiée aux quartiers prioritaires de la politique de la ville : c’est une politique qui vise d’autres objectifs.

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Madame la sénatrice, vous parlez du Val-de-Marne, qui est un département que je connais bien. Lorsqu’il en est question, nous devons parler de Villeneuve-Saint-Georges et de Champigny-sur-Marne.

S’agissant des engagements de l’État dans ce département, soyez sûre que nous sommes, nous, au rendez-vous dans ces quartiers prioritaires. (Mme Sophie Taillé-Polian fait non de la tête.)

Je me demande si la présidente de la région Île-de-France est autant au rendez-vous dans ces quartiers et ces territoires que, nous, nous le sommes ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Ne nous demandez pas de nous substituer à la compétence de la présidente de la région Île-de-France. L’État intervient aux côtés des élus. C’est ce que nous faisons dans le Val-de-Marne et sur le territoire national.

Mme le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.

Mme Sophie Taillé-Polian. Je ne dirai certainement pas que Mme la présidente de la région Île-de-France tient ses promesses et fait ce qu’elle devrait faire pour les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Cependant, vous ne pouvez pas utiliser cet argument pour justifier votre absence de politique !

Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Ce n’est pas ce que je dis !

Mme Sophie Taillé-Polian. Aujourd’hui, et depuis bientôt cinq ans, des associations sont en grande souffrance du fait de la fin des contrats aidés.

Votre politique dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, comme dans toute la France, d’ailleurs, conduit à une intensification de la pauvreté. Or où sont logés la plupart des gens en situation difficile dans notre pays, sinon dans les QPV ?

Vous avez diminué le montant de leurs aides personnalisées au logement, vous venez de baisser le montant de l’assurance chômage et de rendre son accès plus difficile pour les précaires. Or où sont-ils, les précaires ?

Face à tout cela, vous venez aujourd’hui nous expliquer que tout va bien dans les quartiers et faire la promotion de votre action, comme si tout allait bien. Eh bien, je vous le dis, madame la ministre : cela ne va pas, cela ne va pas du tout, et votre gouvernement n’est pas à la hauteur ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le pouvoir d’achat de nos concitoyens a été plombé par la hausse des dépenses de logement. Celles-ci représentaient 24,3 % du budget des ménages en 2018 ; elles en représentent plus de 29 % cette année.

Lorsque le Gouvernement affirme que le pouvoir d’achat s’est amélioré, il ne compte pas la hausse des dépenses contraintes, en particulier la hausse démesurée des dépenses de logement.

Les loyers ont augmenté plus que l’inflation et plus que le niveau de l’évolution des revenus. En vingt ans, les prix de l’immobilier ont augmenté de 153 %, soit cinq fois plus que l’inflation. Le prix du foncier a augmenté pour sa part de 200 % – c’est-à-dire une rente !

M. Macron voulait s’attaquer à la rente. Pourquoi ne s’est-il pas attaqué à la rente foncière, qui prend de la valeur sans que les gens fournissent des efforts ?

Le Gouvernement n’a rien fait pour réduire ces divergences dangereuses entre l’évolution des prix du logement et les revenus. Au contraire, il les a laissées s’accroître. Pis encore, il a baissé la part des APL dans le budget de l’État.

Face à cette réalité, que propose le Gouvernement pour résoudre ce drame qui concerne le pouvoir d’achat et la difficulté d’accéder à un logement ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Madame la sénatrice Lienemann, le logement constitue en effet l’une des dépenses essentielles des ménages ; je crois que nous le savons tous. Le Gouvernement est pleinement engagé afin de permettre à chacun l’accès à un logement digne et abordable.

Pour le parc existant, nous avons proposé l’expérimentation de l’encadrement des loyers en zone tendue, grâce à la loi ÉLAN. Plusieurs collectivités ont d’ores et déjà souhaité s’en saisir : Paris, Lyon, Lille, Villeurbanne, les établissements publics territoriaux Plaine Commune ou Est Ensemble, en Seine-Saint-Denis, Montpellier, Bordeaux.

Le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit 3DS, prévoit d’allonger la durée de l’expérimentation afin de permettre à de nouveaux territoires éligibles d’y candidater.

Afin de permettre aux ménages d’accéder à un logement à loyer maîtrisé et de contrebalancer les effets du marché, nous avons également rendu plus attractif le dispositif « Louer abordable » dans le cadre de la loi de finances pour 2022.

Vous n’avez eu ni le temps ni l’occasion d’en discuter, puisque vous avez rejeté en bloc ce texte au moment de son examen.

Mme Sophie Primas. Et on ne le regrette pas !

Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Vous avez également soulevé la question de la maîtrise du prix du foncier. Nous avons pris plusieurs mesures pour libérer le foncier et faciliter sa maîtrise : l’abattement de plus-value pour les terrains cédés pour du logement social ou encore le déploiement des établissements publics fonciers, qui couvrent actuellement 80 % du territoire et apportent un appui précieux aux collectivités souhaitant s’engager dans une politique de maîtrise foncière et de régulation des coûts.

À cela s’ajoute enfin le développement du bail réel solidaire (BRS) porté par les offices fonciers solidaires (OFS), que nous renforçons encore dans le projet de loi 3DS. En distinguant la propriété foncière et la propriété bâtie, en encadrant les prix de cession des logements, le BRS propose aussi une réponse innovante et adaptée.

En près de cinq ans, 71 OFS ont été agréés et une trentaine devraient l’être à court terme. Plus de 500 logements ont été déjà commercialisés en BRS, et ce parc dépassera probablement les 10 000 unités en 2024.

Vous le voyez, madame la sénatrice, le Gouvernement agit concrètement pour assurer à chacun un logement abordable.

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour la réplique.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. L’encadrement expérimental des loyers n’a pas été introduit par la loi ÉLAN, il a été généralisé par la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite ALUR.

Il faut revenir à cette généralisation et ne plus en rester à l’expérimentation. Même l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, considère qu’il est essentiel d’encadrer les loyers.

S’agissant du foncier, vous citez certaines mesures. Ceux qui me connaissent savent combien je défends les OFS et les BRS – dispositifs inscrits également dans la loi ALUR.

Toutes ces mesures ne sont que des pansements ridicules au regard de l’ampleur de l’évolution des prix du marché. Il faut désormais des politiques d’encadrement et des politiques fiscales contre les plus-values abusives. (Mme Marie-Arlette Carlotti applaudit.)

Mme le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.

Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la ministre, alors que rien ne le laissait prévoir dans son programme, le Président de la République a appliqué des coupes budgétaires dans le secteur du logement, se concentrant particulièrement sur le logement social et sur l’accession sociale à la propriété.

Ce décalage entre la stratégie affichée et les mesures engagées a déstabilisé durablement le secteur. Ainsi, dès 2018, ces réductions ont eu pour conséquence de dégrader l’accès des plus modestes au logement.

Les chiffres en attestent. Force est ainsi de constater, madame la ministre, qu’entre 2018 et 2020 le nombre de permis de construire a baissé continuellement. On compte 170 000 logements en moins en quatre ans, alors qu’en 2020 le nombre de mises en chantier a accusé un repli de 7 % par rapport à 2019.

Ce ralentissement s’explique par les différentes restrictions successives qu’ont connues les acteurs de ce secteur : prélèvements sur les budgets d’investissement des organismes HLM, suppression de l’aide aux maires bâtisseurs ainsi que de l’aide à l’accession, restriction du prêt à taux zéro (PTZ), tensions économiques générées par la crise sanitaire et les élections municipales.

Ce phénomène est aussi dû à la méthode mise en œuvre : les bailleurs sociaux n’ayant pas été consultés préalablement, ils n’ont pas pu s’adapter et anticiper. Ils ont donc subi ces restrictions budgétaires qui ont largement affecté leurs capacités d’investissement et de production.

L’insuffisance des logements est particulièrement préoccupante dans les outre-mer, notamment à La Réunion où, comme le souligne Nassimah Dindar, 33 000 familles ayant droit à un logement social ne peuvent aujourd’hui y accéder en raison de la pénurie.

Les excès de prix des loyers des logements sociaux y sont encore plus évidents, ceux-ci étant 5 % plus élevés qu’en métropole.

Madame la ministre, au regard de ces constats, envisagez-vous une relance par la réduction des coûts du logement ? À l’heure de la mise en œuvre de la nouvelle réglementation environnementale pour les bâtiments, la RE2020, que répondez-vous à ceux qui réclament une meilleure maîtrise de l’inflation réglementaire, laquelle accroît les coûts et les difficultés à construire ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Madame la sénatrice, au cours de ces douze derniers mois, la construction de 470 000 logements a été autorisée, contre 456 100 en moyenne entre 2010 et 2019. Où se situe donc la baisse de logements autorisés, selon vous ?

Vous avez appelé l’attention du Gouvernement sur la situation du logement dans les outre-mer, particulièrement sur la question de l’accès au logement social à La Réunion.

Permettez-moi de rappeler que le plan Logement outre-mer 2019-2022 y a été décliné après concertation avec plus de 250 participants. Ce plan a un objectif moyen annuel de production de 2 000 à 2 500 logements locatifs sociaux, de réhabilitation de 700 logements du même type, ainsi que d’amélioration de 400 logements privés indignes ou insalubres, afin de répondre aux objectifs de croissance démographique d’ici à 2035.

Vous abordez également la question de l’inflation réglementaire. La RE2020 n’est pas applicable à La Réunion : elle ne concerne que la France métropolitaine. Les règles de construction sont adaptées dans les territoires d’outre-mer pour faire face à leurs problématiques propres.

À La Réunion, une réflexion a été engagée avec les acteurs de la filière de la construction sur la maîtrise des coûts sans renoncer à la qualité des logements. Il s’agit de trouver des solutions et des réponses locales, avec les acteurs de terrain.

Au-delà de la question de la relance du logement social et de la maîtrise des coûts, laquelle passe non pas par une qualité moindre, mais par une incitation plus importante des élus à délivrer des permis de construire, les contrats de relance du logement ont été mis en place sur les crédits du plan France Relance. C’est la raison pour laquelle, s’agissant des agréments délivrés à compter de 2021 et jusqu’à la fin du mandat municipal en cours, les collectivités locales toucheront une compensation intégrale de l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB).

Mme Sophie Primas. C’est la moindre des choses, non ? Ce n’est pas une victoire !

Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Nous aurions pu ne pas le faire !

Mme le président. La parole est à M. Denis Bouad. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Denis Bouad. Peu avant les fêtes, Mme la ministre chargée du logement est venue dans le Gard pour signer le nouveau programme de renouvellement urbain des communes de Nîmes et d’Alès. Ces dossiers me semblent démontrer notre capacité à développer des projets ambitieux dans le cadre de démarches partenariales associant l’État, les collectivités locales et les bailleurs sociaux.

Pour autant, bien que décisifs, ces projets ne suffisent pas à masquer la défaillance des politiques de logement social et la réalité des chiffres. Dans le Gard, avant même la crise sanitaire, la production de logements sociaux a ainsi été divisée par deux entre 2018 et 2019.

Madame la ministre, je ne reviendrai pas sur la baisse surprise des aides personnalisées au logement (APL) dès 2017, mais il est clair qu’en matière de logement votre gouvernement a fait de véritables choix politiques.

Aujourd’hui, nous approchons de la fin du quinquennat, nous disposons donc du recul et des éléments chiffrés nécessaires pour juger des choix qui ont été opérés et analyser les résultats qu’ils ont produits.

Alors que le Président de la République affirmait sa volonté de créer un choc de l’offre, on a vu se multiplier les dispositifs donnant des signaux totalement inverses : fragilisation des organismes HLM au travers de la réduction de loyer de solidarité (RLS), relèvement du taux de TVA pour les logements sociaux, restriction du champ d’application des prêts à taux zéro, suppression de l’APL accession, etc.

Selon la Fondation Abbé Pierre, au cours des cinq dernières années, plus de 10 milliards d’euros d’économies ont été réalisés au détriment du logement des Français les plus modestes.

Aussi ma question est-elle simple, madame la ministre : comment expliquer un tel décalage entre l’objectif affiché et les dispositions prises ? Comment revendiquer un choc de l’offre visant à tasser les prix et, « en même temps », ponctionner de la sorte la capacité d’investissement des bailleurs sociaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Monsieur le sénateur Denis Bouad, votre question porte sur le financement du logement social. Durant ce quinquennat, nous avons procédé à une réforme structurelle du secteur via le regroupement des bailleurs, ce qui permet de renforcer leurs capacités financières, notamment grâce à une mutualisation accrue des ressources.

En parallèle, des mesures de soutien massif ont été prises dans le cadre du pacte conclu en 2019 avec le secteur, comprenant notamment le gel, puis la révision de la formule de calcul du livret A et un soutien accru de la banque des territoires et d’Action Logement.

Vous avez dressé la liste de tout ce que le Gouvernement n’a pas fait, mais vous oubliez tout ce qu’il a fait ! Je peux vous assurer qu’il est très attentif à la situation du logement social face à cette crise sanitaire.

Nous avons choisi de faire de 2021 et 2022 des années de mobilisation sans précédent pour le logement social, avec par exemple une mobilisation historique de plus de 1,5 milliard d’euros d’aides à la pierre. Chacun reconnaît qu’il n’y a jamais eu autant de subventions disponibles. (Mme Marie-Noëlle Lienemann sexclame.)

Le Gouvernement a aussi pris ses responsabilités en se chargeant de financer l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et en compensant celle-ci aux collectivités locales pendant dix ans pour tous les logements sociaux agréés entre 2021 et 2026.

Au total, les études perspectives de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) démontrent que la situation financière du secteur est très solide : elle est comparable à celle de 2014. Ce quinquennat n’aura donc pas du tout sonné le glas des bailleurs sociaux.

Enfin, une clause de revoyure du financement du secteur HLM est prévue cette année, afin d’aborder notamment la question du devenir de la RLS et des financements d’Action Logement. (Mme Marie-Noëlle Lienemann sexclame.)

Mme le président. La parole est à M. Denis Bouad, pour la réplique.

M. Denis Bouad. Madame la ministre, n’ayant qu’une poignée de secondes pour vous répondre, je dirai que vous ne m’avez pas du tout convaincu. (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Sébastien Meurant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Sébastien Meurant. Madame la ministre, « décevante et coûteuse », voilà comment la Cour des comptes, qualifie la politique du logement en France. Pourtant, 37 milliards d’euros, c’est beaucoup d’argent ! Depuis plusieurs années, nous entendons la même musique : le gentil Gouvernement d’un côté, prêt à construire des logements abordables, et, de l’autre, les vilains élus locaux qui ne font rien pour aider.

Regardons la réalité en face : quelle est votre stratégie de production de logements et d’aménagement du territoire ? Ces deux éléments sont en effet intimement liés : comment répondre au vieillissement de la population, aux séparations, aux divorces et aux coûts toujours plus élevés des logements ?

Comment imaginer produire les 125 000 logements, que Mme Wargon disait vouloir construire à la fin du mois de décembre dernier, avec une pression normative toujours plus contraignante, donc coûteuse, des prix du foncier toujours plus élevés et des injonctions contradictoires des différents ministères ?

Vous aviez tout pour réussir : les Français aiment la pierre et les taux sont incroyablement bas. Pourtant, fiscalité confiscatoire, plafonnement des loyers, protection insuffisante des propriétaires font que les petits investisseurs renoncent à louer ou à contribuer à la production de logements. À cela s’ajoutent une rentabilité quasi nulle, sinon négative, et les lenteurs de la justice. En conséquence, 3,1 millions de logements sont vacants, selon l’Insee, ce qui représente une hausse sans précédent sous ce mandat.

Emmanuel Macron faisait part, dès 2017, de son intention de lutter contre la « rente immobilière », considérant même que l’immobilier ne créait pas d’emplois. Vous avez cassé la confiance d’une part des Français et des élus locaux par les menaces permanentes que vous faites planer au-dessus de leur tête.

S’agissant du logement social, quelques solutions de bon sens pourraient être appliquées rapidement. Il faudrait ainsi considérer le secteur en fonction non pas de son financement public, mais bien du revenu des locataires, raisonner en flux de production plutôt qu’en stock pour l’application de l’article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) et penser la production de logements à l’échelle intercommunale. Il s’agirait également de rendre aux élus locaux le pouvoir de peuplement des logements.

Qu’avez-vous fait pour rétablir la relation de confiance avec les Français et les élus locaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Monsieur le sénateur, je ne peux pas vous laisser dire que le Gouvernement n’a pas eu de stratégie globale en matière de logement. Nous en débattons depuis maintenant presque une heure. Notre politique du logement repose sur un double impératif : l’accès de tous les Français au logement abordable et la transition écologique du parc.

Nous avons d’abord renforcé le soutien au logement social et à l’accès à un logement abordable. Nous avons amélioré le bail réel solidaire, lequel permet l’accès à la propriété sans avoir à acheter le foncier, notamment en lui appliquant la TVA à 5,5 %. Nous prolongeons également le prêt à taux zéro jusqu’à la fin 2023. Nous avons enfin revu et rendu plus attractif le dispositif « Louer abordable ».

Ce gouvernement est celui qui agit le plus en faveur de la construction et de l’aménagement durables, ainsi que de la rénovation énergétique de nos bâtiments. Cela passe notamment par des mesures en faveur de la construction dense, avec la relance de la construction durable, avec le fonds pour le recyclage des friches, auquel le plan de relance consacre 650 millions d’euros et qui sera pérennisé, comme s’y est engagé le Gouvernement. Nous favorisons également la construction bas-carbone avec la RE2020.

Nous avons créé l’aide MaPrimeRénov’. Plus de 700 000 dossiers ont été déposés ; l’objectif de 500 000 est donc dépassé, ce qu’il faut saluer. Cela permettra à mon sens d’atteindre l’objectif ambitieux que nous nous fixons en matière de rénovation des passoires thermiques.

La stratégie du Gouvernement est donc claire. Elle porte sur la construction comme sur la rénovation.

Mme le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour la réplique.

M. Sébastien Meurant. Madame la ministre, vous évoquez de nombreuses mesures, mais je vous parlais de stratégie globale et d’aménagement du territoire. Le compte n’y est pas, les résultats ne sont pas là. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud.

M. Jean-Michel Arnaud. Madame la ministre, notre pays connaît une crise du logement qui tend à se généraliser à tous les territoires, y compris les plus touristiques, à l’instar de mon département des Hautes-Alpes.

Le marché de l’immobilier y demeure dynamique, mais des difficultés apparaissent pour loger la population locale ou héberger certains publics, à commencer par les saisonniers. Dans les territoires de montagne, le marché de l’immobilier est principalement alimenté par les ventes et achats de résidences secondaires, qui, dans certaines communes, représentent plus de 50 % du parc immobilier.

Cette situation a pour conséquence une pression à la hausse sur les prix, qui rend plus difficilement accessible la location ou l’achat de biens par et pour les populations locales.

La construction de logements sociaux est également particulièrement complexe à réaliser : les communes n’ont pas la capacité de se constituer un parc de logements à vocation sociale, alors que les bailleurs sociaux ne souhaitent pas toujours investir dans des territoires à vocation essentiellement touristique. De surcroît, le zonage ne favorise parfois pas la transformation de logements vacants en logement social.

Madame la ministre, quelles sont les intentions du Gouvernement en zone touristique pour lutter contre les « lits froids » ? Quelles incitations, quelle fiscalité proposez-vous aux propriétaires ?

En outre, le Gouvernement a intégré dans la loi de finances pour 2022 une mesure faisant évoluer le dispositif « Louer abordable » avec l’objectif de massifier le conventionnement de loyer social en zone tendue. Si ce mécanisme a du sens, le taux de décote est trop important, particulièrement pour les logements conventionnés situés en zone C.

À titre d’illustration, vingt et une des vingt-deux communes touristiques des Hautes-Alpes se trouvent dans le zonage C, ce qui rend difficile, pour les propriétaires, la rénovation de leur logement. Aussi, madame la ministre, quelles sont les dispositions que vous comptez prendre pour faire face à cette situation et permettre de transformer des logements vacants en logements sociaux et en logements d’habitation pérenne ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Monsieur le sénateur Arnaud, le plan Avenir montagnes a été lancé par le Premier ministre pour redynamiser le tourisme de montagne très affecté par la crise sanitaire et par le changement climatique. Tout le Gouvernement est mobilisé sur cette question très sensible : Jean-Baptiste Lemoyne, Joël Giraud, mais aussi Emmanuelle Wargon, destinatrice de votre question.

L’idée est de favoriser le tourisme à la montagne durant les quatre saisons, plutôt que de le centrer uniquement sur les sports d’hiver. En effet, la question des « lits froids », ces hébergements touristiques qui ne sont utilisés que quelques semaines par an, est très problématique.

C’est la raison pour laquelle l’un des objectifs du plan Avenir montagnes vise précisément à favoriser leur utilisation tout au long de l’année et d’en faire ainsi des « lits chauds » afin de lutter contre la vacance.

Concernant la réforme du dispositif « Louer abordable » intégrée dans la loi de finances pour 2022, son objectif est clair : il s’agit d’inciter les propriétaires à louer leurs biens à loyer maîtrisé. Cela permet de créer du logement abordable dans le parc privé existant. C’est donc un outil précieux dans la lutte contre les vacances de logement.

Grâce à ce dispositif, les loyers seront fixés sur la base des loyers de marché obtenus grâce à la cartographie réalisée par le ministère du logement. L’avantage fiscal permet de rendre le dispositif « Louer abordable » toujours plus incitatif autant pour un conventionnement social que pour un conventionnement intermédiaire.

La réduction sur les revenus fonciers sera remplacée par une réduction d’impôt proportionnelle aux loyers perçus par les bailleurs, ce qui permettra de toucher davantage de propriétaires.

Enfin, les nouvelles conventions du dispositif « Louer abordable » pourront être signées à partir du 1er avril prochain pour des baux conclus à compter du 1er janvier. La phase transitoire permettra à l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) de traiter les stocks de demandes au titre du dispositif en vigueur jusqu’à la fin de 2021.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour la réplique.

M. Jean-Michel Arnaud. Madame la ministre, je vous remercie de ces précisions.

À ce jour, dans les stations de sports d’hiver, on construit du logement neuf, parce que l’on est dans l’incapacité de restructurer et de rénover le parc existant, par défaut de mécanisme d’incitation fiscale à destination des propriétaires vieillissants. C’est cela, la réalité.

Mme le président. La parole est à M. Serge Mérillou.

M. Serge Mérillou. Madame la ministre, la crise du logement concerne aussi le monde rural. La loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, entend intensifier la lutte contre l’artificialisation des sols. Elle fixe des objectifs ambitieux : zéro artificialisation nette en 2050 et division par deux du rythme de consommation des espaces naturels par rapport à la dernière décennie.

Madame la ministre, sur ces travées, personne ne nie l’urgence de préserver la biodiversité ni celle de changer nos politiques de logement pour limiter l’imperméabilisation des sols. Cependant, ne confondons pas vitesse et précipitation. De tels choix doivent être réfléchis et les élus doivent être écoutés.

Partout, dans les territoires ruraux, les élus sont inquiets et demandent l’application différenciée de ces objectifs. Une même politique ne peut être appliquée partout de la même façon, au risque de pénaliser les zones rurales. En effet, comment réduire de 50 % les surfaces constructibles, quand on n’a pas, ou peu, construit ces dix dernières années ? Comment maintenir des écoles ouvertes avec l’interdiction de construire pour accueillir de nouvelles familles ?

La ruralité connaît un regain d’attractivité avec la crise sanitaire. Ainsi, la baisse de la construction, les exigences réglementaires déjà très dures dans le cadre des plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi) et la limite de fait du nombre de terrains constructibles, le tout couplé à l’explosion de la demande, accentueront la crise du logement.

Maintenant que le constat est dressé, madame la ministre, comptez-vous écouter les élus et mettre en place une application différenciée permettant de prendre en contre les particularités rurales ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Sylvie Vermeillet applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Monsieur le sénateur Serge Mérillou, je tiens à vous assurer que le Gouvernement est très à l’écoute des élus locaux. Il promeut d’ailleurs, dans toutes les politiques, un développement équilibré des territoires, urbains comme ruraux, qui doit être concilié avec nos impératifs de transition écologique.

Les communes rurales représentent environ 14 % de la consommation d’espace pour 4 % de l’augmentation du nombre de ménages. Elles font donc face à des enjeux majeurs d’aménagement du territoire et ont tout intérêt à se doter d’un document d’urbanisme afin d’être pleinement maîtres de leur aménagement et de délivrer leurs permis de construire.

Ces communes disposent de plusieurs outils incitatifs en faveur de la construction de logements.

Mme Frédérique Puissat. C’est hors sol !

Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Ainsi, les dispositifs de soutien à la construction de logements locatifs sociaux concernent tous les territoires. (Mme Sophie Primas sexclame.) Le programme « Louer abordable » pour le parc existant, tel qu’il a été redéfini dans la loi de finances pour 2022, est également ouvert en zone rurale. Les systèmes d’accession sociale à la propriété en bail réel solidaire ou prêt social location-accession (PSLA) sont ouverts en zone rurale comme ailleurs. Enfin, le prêt à taux zéro est également accessible en zone détendue.

Restent trois points essentiels concernant la lutte contre l’artificialisation des sols.

Premièrement, l’objectif « zéro artificialisation nette » est fixé dans la loi à 2050. Deuxièmement, la loi Climat et résilience prévoit précisément que la division progressive du rythme de l’artificialisation des sols soit territorialisée et adaptée aux réalités locales. Troisièmement, nous avons bien entendu les inquiétudes des territoires ruraux, en particulier s’agissant de la dynamique démographique, car ceux-ci pourraient être pénalisés dans leur capacité à se développer. C’est pourquoi les préfets de département accompagneront les communes rurales qui le souhaitent dans l’expression de leur besoin de consommation d’espace.

Mme Sophie Primas. Ce ne sont pas les préfets, mais les directions départementales des territoires (DDT) !

Mme le président. La parole est à M. Serge Mérillou, pour la réplique.

M. Serge Mérillou. Comme beaucoup de sénateurs, j’ai participé hier soir à une réunion des maires, en présence de M. le préfet. Les élus ruraux demandent à conserver quelques terrains à bâtir, pour développer leurs communes. Dans les communes rurales, le risque, c’est la friche, pas l’artificialisation. Faites confiance aux élus locaux : ils ne sont pas irresponsables ! Pris entre l’étau des bureaux d’études et de la réglementation, ils connaissent une situation très compliquée. (Applaudissements sur les travées du groupe SER – M. Pierre Louault applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Édouard Courtial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Édouard Courtial. Madame la ministre, si, comme son titre l’indique, le débat qui nous occupe aujourd’hui a la ville pour point d’entrée principale, permettez-moi de prendre le contre-pied et d’évoquer la question du logement dans les campagnes. Nos territoires ruraux ont en effet, eux aussi, des défis à relever dans ce domaine.

Des urbains à la recherche de plus d’espace et d’un cadre de vie différent s’y installent, à la faveur du développement du télétravail et à condition de disposer d’un accès à internet fiable.

Conjuguée à la pénurie de l’offre, cette augmentation de la demande accentue une tension déjà présente. Mon département, l’Oise, connaît, en outre, une croissance démographique plus importante qu’à l’échelle nationale.

La situation des jeunes, qui souhaitent accéder à la propriété, mais aussi celle des plus fragiles, est particulièrement préoccupante, alors que le pouvoir d’achat de ces publics est souvent plus faible que dans les zones urbaines. Or, quoi que l’on ait pu entendre, la maison individuelle reste dans nos territoires, en dehors de la capitale et de sa proche banlieue, la norme et un objectif à mon sens légitime.

Des dispositifs bienvenus ont été mis en place pour la rénovation dans l’ancien ou pour les centres-bourgs, ces villes dont les centres se sont vidés ces quarante dernières années. Dans certaines d’entre elles, la douceur de vivre a endormi l’acuité visuelle et l’indolence a trop fait oublier l’essentiel : il n’y a pas d’immobilier sans vie.

La politique en la matière reste pourtant encore trop concentrée sur la ville. Il vous faut regarder plus loin, car on ne parviendra jamais à loger tous les ménages dans les métropoles de notre pays, à plus forte raison alors que les aspirations de nos compatriotes évoluent vers un certain retour à la nature.

Les deux facettes territoriales de la France méritent, l’une comme l’autre, tous les égards pour le logement. Il vous faut retrouver un équilibre pour donner à chacune d’entre elles les mêmes chances.

Ainsi, madame la ministre, comptez-vous aller dans ce sens ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Monsieur le sénateur Courtial, vous appelez l’attention du Gouvernement sur la question du logement dans les territoires ruraux. Sachez que nous y sommes très attachés. C’est pourquoi nous agissons en la matière.

L’une des clés de l’aménagement en zone rurale et de la construction de logements est, pour les communes, de se doter de documents d’urbanisme afin de maîtriser l’urbanisation sur leur territoire et de délivrer des permis de construire. La très grande majorité de nos communes, y compris rurales, sont compétentes en la matière et ont élaboré un document d’urbanisme.

Sur 34 968 communes, un peu moins de 10 000 sont soumises au règlement national d’urbanisme (RNU), soit 26 %, et seulement 4 852 n’ont aucun document d’urbanisme en cours d’élaboration.

En effet, quand une commune est soumise au RNU, c’est le préfet qui instruit et délivre les permis de construire, mais uniquement en zone urbanisée. Pour toutes les communes dotées d’un document d’urbanisme, les permis de construire sont à la main du maire.

Enfin, on compte 2 500 communes de moins de 170 habitants qui sont tout de même parvenues à se doter d’un document d’urbanisme.

Ces chiffres révèlent plusieurs vérités : seules 14 % des communes n’ont aucun document d’urbanisme ; avoir une population faible n’est pas un frein pour se doter d’un tel outil ; il est faux de penser que les communes rurales n’ont pas de solution à leur disposition pour construire des logements. Les documents d’urbanisme sont la clé et peuvent prendre la forme d’une simple carte communale.

Par ailleurs, ces communes disposent de plusieurs outils incitatifs en faveur de la construction de logements que j’ai eu l’occasion de rappeler à plusieurs reprises.

Mme le président. La parole est à M. Édouard Courtial, pour la réplique.

M. Édouard Courtial. Madame la ministre, j’ai bien entendu toutes les descriptions techniques dont vous avez fait état, mais je n’ai pas senti la volonté du Gouvernement.

Je suis sans voix, mais je vais essayer de trouver des mots : bonne année aux demandeurs de logements en zone rurale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Denis Bouad applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Laurent Burgoa. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Burgoa. Madame la ministre, dans le Gard, en plus des feux de forêt, nous sommes très concernés par les risques d’inondations et, par voie de conséquence, par la carte des aléas climatiques et par le plan de prévention des risques d’inondation (PPRI).

Nous sommes aussi dans un beau département, qu’il convient de protéger ; le réseau Natura 2000 nous oblige.

Enfin, comme nous sommes dans un département agréable, le télétravail s’y est largement développé au cours de ces deux dernières années. Nos terrains sont de plus en plus prisés et leurs prix augmentent !

Pourtant, les communes gardoises ont les mêmes obligations que celles d’autres départements et je suis attristé de constater que les propositions de Dominique Estrosi Sassone, votées par le Sénat lors de l’examen du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit 3DS, aient été retirées du texte par votre majorité à l’Assemblée nationale, visiblement toujours aussi hors sol – voire hors hémicycle, comme c’était le cas hier soir ! (Mme Sophie Primas sexclame.)

Madame la ministre, les problématiques que rencontrent ces communes ne sont pas de gauche ou de droite : elles sont factuelles et il faudra leur apporter une réponse.

En somme, ne pensez-vous pas qu’il serait tout de même utile, afin de vous éviter de vous prononcer sur chaque commune de France, de faire enfin confiance, au moins, à vos préfets afin d’adapter nos ambitions à la réalité des territoires ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Monsieur le sénateur Burgoa, vous nous interrogez, en quelque sorte, sur le dispositif issu de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU).

En effet, la majorité des communes soumises aux obligations SRU sont de bonne foi et font des efforts pour atteindre leurs objectifs de logements sociaux. Nous sommes en lien direct avec les élus locaux et nous le constatons.

Actuellement, sur les 2 000 communes soumises à la loi SRU, environ 1 000 sont encore en déficit, 500 n’ont pas rempli leurs objectifs triennaux 2017-2019 et seulement 280 sont carencées. Cela démontre donc cette bonne foi des élus.

C’est précisément en tenant compte de ce bilan et de l’impératif de continuer à construire des logements sociaux dans les territoires qui en manquent, tout en prenant en compte les contraintes locales, que le Gouvernement a proposé la pérennisation et l’adaptation du dispositif SRU dans le projet de loi 3DS. Il a ainsi supprimé la date butoir de 2025 et fixé un taux de rattrapage par période triennale de 33 % du déficit, ce qui est réaliste et atteignable. Enfin, il a créé des contrats de mixité sociale (CMS) signés par le préfet, la commune et l’intercommunalité, afin de déterminer les moyens et les modalités de déploiement de la trajectoire de rattrapage de la commune.

Ces contrats peuvent prévoir, durant deux périodes triennales au maximum, un taux dérogatoire de rattrapage du déficit limite limitée à 25 %, pour tenir compte des spécificités et des contraintes locales que vous avez évoquées. (Mme Sophie Primas sexclame.)

L’examen parlementaire a permis de procéder à un certain nombre d’ajustements, en particulier de recourir à un CMS fixant un taux de rattrapage dérogatoire sans limite de durée pour les communes ayant une part importante de leur territoire grevée d’inconstructibilité, ainsi que pour les communes de moins de 5 000 habitants.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous agissons en responsabilité en tenant compte des spécificités des territoires, tout en répondant à l’impératif de construction de logements.

Mme le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour la réplique.

M. Laurent Burgoa. Madame la ministre, je vous ai écoutée avec attention, mais vous ne m’avez pas du tout convaincu.

M. Roger Karoutchi. Allons bon… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Burgoa. Les maires de nos départements respectifs nous disent tous la même chose : ils ont la volonté de produire du logement social, mais leur problème, c’est le foncier. Aidez-les à faire du foncier !

Il y a en outre quelques aberrations. Un exemple gardois : le maire de Saint-Hilaire-de-Brethmas produit du logement social, mais l’État attaque le permis de construire devant le tribunal administratif, alors que la commune est carencée. Voilà qui est extraordinaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Très bien !

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Garnier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Laurence Garnier. Madame la ministre, chaque année, 17 000 personnes s’installent en Loire-Atlantique. Ce département français est ainsi le troisième en termes de dynamisme démographique.

C’est aussi le deuxième département français en termes de surface de marais – nous avons notamment l’estuaire de la Loire, le lac de Grand-Lieu et les marais de Brière.

La loi relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite Littoral, s’applique à l’ouest du département, tout comme s’applique la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU, autour des agglomérations de Nantes et de Saint-Nazaire. La conséquence en est simple : le coût du foncier augmente. J’en donnerai trois exemples.

Dans la commune du Bignon, située dans le vignoble nantais, le prix du foncier a augmenté de 67 % en quatre ans.

À Saint-Père-en-Retz, dans le pays de Retz, le prix des terrains a été multiplié par trois ces deux dernières années.

Sur le littoral, dans la commune de la presqu’île guérandaise de Mesquer, une maison achetée 1,2 million d’euros l’année dernière a été revendue 2,3 millions d’euros cette année !

Bien sûr, le « zéro artificialisation nette » (ZAN) vient ajouter de la contrainte à la contrainte. Tous les maires partagent cet objectif, mais ils font face à des injonctions contradictoires qui deviennent impossibles à tenir. Ils voient arriver dans leur commune des ménages aux revenus confortables, tandis que les jeunes quittent leur territoire.

Madame la ministre, ma question est simple : pourquoi avoir voulu imposer par le haut ce zéro artificialisation nette ? Comment entendez-vous faire appliquer cette loi de la même manière dans un département qui perd des habitants et dans un département qui en gagne 17 000 chaque année ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Madame la sénatrice Garnier, ayant déjà répondu sur la question du foncier, je reviendrai sur celle de l’artificialisation des sols.

Permettez-moi de vous redonner quelques chiffres : aujourd’hui, 3,5 millions d’hectares sont artificialisés en France. Ramené à la population, c’est 15 % de plus qu’en Allemagne et 57 % de plus qu’au Royaume-Uni ou en Espagne.

M. Laurent Burgoa. Et alors ? Ce ne sont pas les mêmes territoires !

Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Quelque 5 % des communes sont responsables de 39,7 % de la consommation d’espace.

Face à ce constat, la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, a fixé un objectif ambitieux : réduire de moitié le rythme auquel nous consommons des espaces naturels et agricoles afin d’atteindre le zéro artificialisation nette, non pas dès aujourd’hui, madame la sénatrice, mais en 2050.

Soyez assurée que le Gouvernement est extrêmement attaché au respect des prérogatives de chacun, notamment des élus locaux – je l’ai rappelé en réponse à une autre question.

Le mécanisme que nous avons fixé pour les dix prochaines années est pragmatique, puisqu’il permet de réduire de moitié la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers tout en laissant aux collectivités le temps de s’adapter à la nouvelle nomenclature des surfaces artificialisées.

Par ailleurs, les territoires n’ayant pas les mêmes besoins – vous êtes bien placée pour le savoir, madame la sénatrice –, nous avons inscrit dans la loi la prise en compte des efforts déjà réalisés par les territoires.

Enfin, pour répondre aux inquiétudes des associations de collectivités, nous avons introduit dans le projet de loi 3DS un allongement du délai pour décliner l’objectif dans les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), portant celui-ci à trente mois au total. Les schémas de cohérence territoriale (SCoT) disposeront pour leur part de quatorze mois pour faire des propositions sans pour autant revenir sur le calendrier global de lutte contre l’artificialisation des sols.

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Garnier, pour la réplique.

Mme Laurence Garnier. Madame la ministre, vous évoquez le projet de loi 3DS, qui vise à décentraliser et à simplifier. Avec le ZAN, vous faites tout le contraire : vous recentralisez et vous complexifiez. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Très bien !

Mme le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Madame la ministre, mes collègues ayant déjà largement abordé la situation du logement en France, j’aborderai la question sous un angle un peu plus spécifique, celui du logement dans les territoires frontaliers.

En effet, ces territoires se trouvent dans des situations critiques en matière de logement en raison de leur proximité avec des pays plus riches, où les salaires sont plus élevés. C’est en particulier le cas des départements qui se trouvent à côté de la Suisse et du Luxembourg.

Cette proximité entraîne une hausse des loyers très importante. De ce fait, les personnes qui ne travaillent pas dans un pays frontalier rencontrent de très grandes difficultés à trouver des logements à des prix abordables.

Cette hausse des prix des logements entraîne des difficultés de recrutement pour les entreprises, mais aussi et surtout dans les services publics. En effet, les fonctionnaires ne souhaitent plus s’installer dans ces régions, car ils savent qu’ils ne pourront pas y vivre dignement du fait des loyers exorbitants.

Tous les professionnels sont touchés : saisonniers, agents administratifs, personnels de santé, policiers et j’en passe. La situation commence à devenir critique et il est de notre devoir de trouver des solutions.

Sur le principe, je suis favorable à la mise en place d’une prime de vie chère – nous en avons discuté avec Olivier Dussopt. Toutefois, il est clair que l’effet d’une telle mesure ne sera pas suffisant. J’estime que des solutions axées directement sur le logement auront des effets plus bénéfiques.

À l’occasion de son déplacement, à Noël, nous avons évoqué avec Amélie de Montchalin la possibilité que des collectivités prennent la main sur leur destin et aménagent, construisent et louent des logements sur du foncier qui leur appartient pour la durée de l’engagement.

Par ailleurs, le dispositif prévu par la loi relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, dit Pinel, ayant pris fin au 1er janvier, il peut être envisagé de mettre en place un dispositif similaire prévoyant des crédits d’impôt en contrepartie d’un engagement à louer à prix modéré dans les zones frontalières où la situation du logement est tendue.

De plus, il est urgent de réviser le classement en zone tendue, car plusieurs villes frontalières dans lesquelles les prix ont explosé ne bénéficient pas de ce classement.

Enfin, compte tenu du caractère critique de la situation, il pourrait être opportun de mettre en place des loyers de référence, comme cela se pratique à Lille et à Paris. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Monsieur le sénateur Pellevat, permettez-moi de corriger votre propos sur un point. Vous avez indiqué que nous avions mis fin au dispositif Pinel ; nous l’avons au contraire prolongé jusqu’en 2024. Il me paraît utile de le préciser.

Je rappelle également que des mécanismes d’incitation fiscale pour la location à prix modéré existent d’ores et déjà : le dispositif Pinel pour les logements neufs dans les zones tendues, et le dispositif « Louer abordable » pour les logements déjà existants.

Ce dernier dispositif a été largement révisé dans le cadre de la loi de finances pour 2022, précisément pour le rendre plus attractif. Ainsi, comme je l’indiquais précédemment, les plafonds de loyers seront fixés à l’échelle de la commune pour assurer une bonne adéquation avec les marchés locaux et une égalité de traitement de l’ensemble des propriétaires. De plus, ce dispositif a été transformé en une réduction d’impôt dont le taux est directement lié à l’effort de loyer consenti par le propriétaire.

Concernant l’éligibilité au dispositif Pinel et le zonage, vous avez cité l’exemple de la Haute-Savoie, mais de nombreuses communes de ce département sont d’ores et déjà éligibles au dispositif Pinel. De plus, à l’occasion du congrès des maires de Haute-Savoie, le Premier ministre a annoncé une révision du zonage ABC spécifique à ce département, encore une fois afin de tenir compte des particularités locales. Le ministère du logement travaille en lien avec Bercy et le préfet pour définir la liste des communes qui seront retenues.

J’en viens au logement des fonctionnaires. Aujourd’hui, selon le droit en vigueur, 5 % des logements locatifs sociaux agréés sont réservés par l’État et les ministères peuvent acquérir des droits de réservation supplémentaires.

Enfin, par le projet de loi 3DS, le Gouvernement souhaite renforcer l’accès au logement social des travailleurs dits essentiels.

Mme le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour la réplique.

M. Cyril Pellevat. Je vous remercie de votre réponse madame la ministre.

Vous avez cité tout un tas de dispositifs, mais aujourd’hui, ils ne suffisent pas. Il faudra donc introduire des dispositifs spécifiques dans le cadre du projet 3DS. Comme je l’ai indiqué précédemment, certaines collectivités de Haute-Savoie disposent de foncier et sont prêtes à mettre la main à la poche. Toutefois, cela suppose d’imaginer un modèle économique différent, fondé sur les besoins des collectivités.

Conclusion du débat

Mme le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Baptiste Blanc, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, un chiffre donnera la mesure de la crise du logement que connaît notre pays : selon l’OCDE, l’acquisition d’un logement de 100 mètres carrés par un ménage français nécessite aujourd’hui treize années de revenu disponible, contre huit en 2000. Nos voisins, l’Allemagne et l’Italie par exemple, n’ont pas connu un tel renchérissement du coût du logement.

Il ne s’agit pas seulement d’une question de superficie, mais aussi, plus généralement, de perte de qualité des logements, comme l’a montré le rapport remis par la mission Girometti-Leclercq au mois de septembre dernier.

Dans le même temps, les inégalités entre les territoires persistent. Jean-Louis Borloo l’a souligné dans un rapport qui a connu un retentissement important, mais qui n’a guère été pris en compte par ce gouvernement, qui l’avait pourtant commandé : sur les 1 500 quartiers classés quartiers prioritaires de la politique de la ville, 216 connaissent des difficultés urbaines, 60 sont en risque de fracture et 15 en risque de rupture, de sorte que 10 millions de nos concitoyens se considèrent comme relégués.

La difficulté de nos concitoyens à trouver un logement se répercute jusqu’à l’hébergement d’urgence : 200 000 personnes sont hébergées dans des structures d’urgence, plus de 70 000 l’étant dans des hôtels.

L’ensemble de la chaîne de la politique du logement paraît bloqué : on construit moins de 350 000 logements par an et de l’ordre de 100 000 logements sociaux, alors qu’environ 2,2 millions de ménages sont en demande de logement, soit une augmentation de 20 % en huit ans.

Le Gouvernement a annoncé l’agrément de 250 000 logements sociaux en deux ans, mais cet objectif ne sera clairement pas atteint, et le déficit de l’année 2020 ne sera probablement pas rattrapé.

Un élément parmi d’autres : la hausse annoncée du taux du livret A au 1er février 2022 renchérit mécaniquement le coût des prêts accordés par la Caisse des dépôts et consignations aux bailleurs sociaux et pèsera nécessairement sur le modèle de financement des projets sans pour autant rendre le livret A véritablement intéressant pour les épargnants modestes en raison du niveau de l’inflation.

Loin du choc d’offre annoncé, la politique du logement semble s’être concentrée sur la promotion de la rénovation des logements, qui est, elle, en forte croissance. Si cette politique doit être approuvée dans ses objectifs, car elle est indispensable pour atteindre les objectifs climatiques, elle ne répond pas au besoin fondamental de logement qui est de plus en plus difficile à satisfaire dans notre pays.

Or les cinq années passées ont surtout été marquées par la recherche d’économies : la contribution de l’État au financement des APL est passée de 15,5 milliards d’euros en 2007 à 13 milliards d’euros en 2022, tandis que le cofinancement assuré par les employeurs demeurait stable.

Les APL consacrées à l’accession à la propriété ont été supprimées, alors qu’elles jouaient un rôle important dans l’acquisition de logement par des ménages modestes. Les locataires ont vu leurs APL diminuer de 5 euros en 2017, tandis que les bailleurs ont, pour leur part, été contraints de rogner sur les frais d’entretien ou d’investissement du fait de la mise en place de la réduction de loyer de solidarité (RLS).

Cette année, c’est le versement contemporain des aides qui, après plusieurs années de retard et quelques dysfonctionnements, a été mis en place. L’État s’est ainsi désengagé en partie du soutien au logement des Français modestes, de même qu’il a cessé ses contributions budgétaires au financement des logements sociaux au travers du Fonds national des aides à la pierre (FNAP).

L’État se repose donc sur les bailleurs sociaux et sur des acteurs tiers, notamment Action Logement qui a régulièrement été appelé à contribuer au financement des principaux dispositifs de la politique du logement et de la ville. Or les marges financières de cet organisme sont désormais largement entamées, et la question du financement des aides à la pierre doit, par exemple, être posée, si Action Logement n’apporte plus 350 millions d’euros au FNAP à partir de 2023.

Tout en réduisant les financements, l’État accroît les contraintes pesant sur l’ensemble des acteurs : le coût de l’ensemble des réglementations, notamment thermiques, est de plus en plus élevé pour les acteurs du bâtiment, qui sont également soumis à la hausse des coûts de l’énergie et à une crise d’approvisionnement de certains matériaux.

En outre, nous l’avons évoqué, un nouvel enjeu s’impose, celui de la lutte contre l’artificialisation des sols. La loi Climat et résilience fixe une nouvelle norme allant plus loin encore que les recommandations de la Convention citoyenne pour le climat.

Les collectivités locales sont soumises à des injonctions difficiles à concilier : accroître la production de logements de qualité pour la population, notamment afin de remplir les critères de la loi SRU, et favoriser le développement économique local, mais sans utiliser plus de terrain qu’aujourd’hui.

Cependant, contrairement à la rénovation énergétique, la lutte contre l’artificialisation ne s’accompagne que d’un faible soutien : l’action de l’État passe essentiellement par la fixation de normes que d’autres, au premier rang desquels les collectivités, devront appliquer.

Comme l’a démontré le succès du fonds pour le recyclage des friches qui a dû être doublé, les besoins sont importants et les collectivités ne manquent pas de projets. Toutefois, ce fonds n’épuise pas le sujet, tant s’en faut. L’État doit mieux accompagner les collectivités face à ces défis, par exemple pour la révision de leurs documents d’urbanisme.

Trois grands axes devront donc être posés : la production de logements nouveaux, l’amélioration de la performance énergétique du stock de logements et l’annulation progressive de toute artificialisation nouvelle des sols. Ces trois objectifs sont dispersés au travers d’un ensemble de mesures de toute nature reposant à la fois sur l’État, les collectivités et les acteurs privés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la crise du logement que connaît notre pays et le manque d’ambition de la politique de la ville.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quatorze, est reprise à seize heures seize.)

Mme le président. La séance est reprise.

7

Trois ans après la loi « asile et immigration », quel est le niveau réel de maîtrise de l’immigration par les pouvoirs publics ?

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « Trois ans après la loi “Asile et immigration”, quel est le niveau réel de maîtrise de l’immigration par les pouvoirs publics ? »

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Roger Karoutchi, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la ministre, trois ans après, quel intérêt a la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, dite Collomb ou Asile et immigration ? Quasiment aucun.

Nous avions indiqué au cours des débats sur ce texte que, s’il était sympathique et fixait des objectifs positifs, il ne mettait pas en place les éléments concrets pour changer de politique. À l’usage, madame la ministre, et même en tenant compte de la pandémie que nous connaissons depuis deux ans, je constate que nous avions raison.

Alors que le Sénat avait considérablement modifié le texte, le Gouvernement a préféré suivre l’Assemblée nationale qui a voté un texte quasiment vide. J’en donnerai deux exemples.

Le premier exemple a trait au droit d’asile.

Il y a quelques années, en tant que rapporteur spécial de la commission des finances de la mission « Immigration, asile et intégration » – depuis, Sébastien Meurant m’a succédé –, je soulignais que, tant que nous ne nous déciderions pas à admettre que certains des pays dont les ressortissants demandent l’asile ne sont pas des pays en guerre, que des persécutions n’y sont pas perpétrées ou que des difficultés réelles n’y sont pas constatées, nous permettions en fait que le droit d’asile soit détourné à des fins d’immigration économique. Malheureusement, cela n’a pas changé.

Aujourd’hui encore, le plus grand contingent de demandeurs d’asile est constitué de ressortissants d’Afghanistan. C’est un pays en guerre, où les talibans viennent de reprendre le pouvoir. Il n’y a donc rien à dire, aucun état d’âme à avoir, et loin de moi l’idée de critiquer le fait que le Gouvernement ait évacué 4 000 Afghans. Dans les pays en guerre et en difficulté, il est normal et légitime que la France accorde l’asile et garantisse ce droit comme elle le fait depuis des siècles, bien avant la Révolution française, puisque c’était déjà un droit sous la monarchie.

En revanche, la Côte d’Ivoire ou même le Bangladesh et la Guinée, dont les ressortissants constituent, à égalité, le deuxième plus grand contingent de demandeurs d’asiles, sont certes des pays qui connaissent de graves difficultés économiques, mais leur régime politique n’est pas une dictature et les droits de l’homme en tant que tels n’y sont pas foulés aux pieds – nous disposons de suffisamment d’informations à ce sujet.

Je dénonce cette situation depuis sept ou huit ans, madame la ministre. Je ne dis pas que vous en êtes responsable, ni même ce gouvernement : la responsabilité incombe aux différents gouvernements qui se sont succédé ces dernières années. Selon le droit français, les demandeurs d’asile qui sont déboutés par l’Office national de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), puis éventuellement par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), doivent être raccompagnés à la frontière ou réexpédiés vers leur pays d’origine. Or, dans la pratique, ce gouvernement pas plus que les précédents ne s’est mis en situation de le faire.

M. Roger Karoutchi. Ces dernières années, entre 100 000 et 120 000 demandes d’asile par an sont déposées. Après l’instruction de ces dossiers par l’Ofpra et un éventuel recours devant la CNDA, environ 40 000 personnes se voient accorder le statut de réfugié – et il est légitime de les protéger. Toutefois, alors que, chaque année, 70 000 à 80 000 personnes sont déboutées du droit d’asile et devraient en conséquence quitter le territoire français, madame la ministre, nous ne raccompagnons pas plus de 15 000 à 20 000 personnes – et encore, les bonnes années –, sachant que ce nombre inclut les immigrés clandestins qui ne sont pas forcément des demandeurs d’asile.

Concrètement, cela signifie que nous fabriquons nous-mêmes tous les ans entre 50 000 et 70 000 sans-papiers. Nous sommes la première entreprise du monde à fabriquer des gens en situation illégale !

Il y a ensuite une pression pour les régulariser. Comment faire ? Faut-il régulariser des personnes qui sont sur notre territoire depuis trois ou cinq ans ? Faut-il accroître le nombre de personnes qui sont en situation illégale ?

Je le répète, madame la ministre : vous n’êtes pas personnellement responsable de cette situation, pas plus que ce gouvernement. Toutefois, en 2018, nous espérions que la loi Collomb permettrait de prendre des mesures. Tel n’a pas été le cas. De ce fait, le droit d’asile continue de connaître un détournement économique et la création de sans-papiers se poursuit. Cela pose un véritable problème d’équilibre.

Le second exemple porte sur l’immigration.

En 2020, nous avons accordé environ 220 000 titres de séjour ; cela correspond à l’immigration régulière, officielle. En revanche, nous n’avons pas réglé le problème du regroupement familial, au sujet duquel vous nous opposez systématiquement l’existence de règles européennes.

Ce gouvernement et le gouvernement précédent ont assoupli les règles d’acquisition de la nationalité. Or, si elle peut être légitime dans bien des cas, l’intégration dans la nationalité revient à créer un droit au regroupement familial pour les personnes qui en bénéficient. À combien de regroupements familiaux donnent lieu 100 000 créations de nationalité ?

La loi Collomb n’a rien fait à ce sujet, de même qu’elle n’a pas bougé les lignes sur tout ce qui concerne les centres de rétention administrative. Au fond, elle n’a permis aucune évolution en matière d’asile et d’immigration. Ce n’est pas votre faute, madame la ministre : ce sont les règles qui ont été mises en place. Qui plus est, vous ne disposez pas à l’Assemblée nationale de la majorité qui vous permettrait de traduire dans la loi ce que vous espérez ou ce que vous souhaitez. Peut-être aussi les membres du Gouvernement ne sont-ils pas unanimes dans leur manière d’appréhender les sujets relatifs à l’immigration et au droit d’asile.

Par ailleurs, madame la ministre, très souvent, le Gouvernement se retranche derrière les règles européennes. Or tout ne dépend pas de l’Union européenne. Il est par exemple problématique que l’Agence française de développement (AFD) finance, subventionne et aide des États qui refusent de réintégrer les personnes que nous souhaitons expulser. Comment accepter que de l’argent public soit donné à des États qui, en parallèle, n’acceptent pas une convention avec la France sur la réintégration ?

Alors que l’Allemagne pose comme condition des centaines d’heures d’apprentissage de la langue et un examen final, la France continue de ne conditionner le contrat d’intégration républicaine (CIR) à aucun examen ou contrôle de la connaissance de la langue française, pas même de niveau A1, permettant d’évaluer les candidats : il suffit d’être présent à 80 % des heures d’apprentissage. Résultat : nous accordons des contrats d’intégration républicaine à des gens qui ne parlent pas français, ce qui est un autre vrai sujet.

La conclusion est simple, madame la ministre : il y a les règles européennes, et j’espère que l’on va se décider à les changer, et il y a tout ce qui dépend de la France. En la matière, beaucoup de discours, beaucoup d’intentions, mais peu de réalisations. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis honorée de représenter devant vous le Gouvernement pour ce débat consacré au bilan de la loi de 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. Permettez-moi tout d’abord de vous souhaiter à toutes et à tous une très bonne année.

Il me semble important, dans le cadre de ce propos liminaire, de revenir sur le contexte migratoire dans lequel ce texte important a été déposé par le Gouvernement et adopté par le Parlement. Ce contexte est bien sûr celui de l’après-crise migratoire de 2015-2016, dont chacun se souvient.

La France restait alors exposée à une forte pression migratoire à ses frontières nationales, comme en témoigne le nombre des non-admissions d’étrangers en situation irrégulière à nos frontières – 63 732 en 2016 et 85 408 en 2017. Par ailleurs, elle connaissait une forte exposition aux mouvements dits secondaires, puisqu’en 2017 la France a reçu environ 121 200 demandes d’asile, dont 36 % de demandeurs d’asile dits Dublin, c’est-à-dire ayant déposé une première demande dans un autre pays de l’Union européenne.

Dans ce contexte, le projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie se fixait trois objectifs : premièrement, la réduction des délais d’instruction des demandes d’asile, deuxièmement, le renforcement de la lutte contre l’immigration irrégulière, troisièmement, l’amélioration de l’accueil des étrangers admis au séjour pour leurs compétences.

Le débat au Parlement a permis d’enrichir le projet du Gouvernement dans le parfait respect de notre Constitution, puisque, fait inédit pour une loi relative à la question de l’immigration, le texte a été validé dans toutes ses dispositions par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 6 septembre 2018. (M. Stéphane Ravier sesclaffe.) Il a donc pu entrer en vigueur de manière progressive entre le 11 septembre 2018 et le 1er mars 2019, le temps de prendre les quarante mesures réglementaires requises pour son application effective.

J’en viens à présent à l’atteinte des objectifs fixés par la loi, puisque c’est le sujet qui nous réunit aujourd’hui.

En matière d’asile, l’objectif principal était de pouvoir traiter la demande dans un délai de 6 mois, recours contentieux compris. Nous progressons dans cette voie. Le délai moyen d’enregistrement en préfecture est maîtrisé depuis fin 2020, puisqu’il est de 2,7 jours, et ce grâce au travail de renforcement des guichets uniques pour demandeurs d’asile, qui regroupent les effectifs des préfectures et les effectifs de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).

Malheureusement, le quasi-arrêt de l’activité de l’Ofpra et de la CNDA pendant le premier confinement nous a peu à peu éloignés de cet objectif de six mois. À la fin du mois d’août 2021, le délai moyen de traitement se stabilise autour de quatorze mois, avec, pour l’Ofpra, un délai moyen de 7,9 mois et, pour la CNDA, un délai moyen de 5,4 mois.

Je souligne toutefois que la productivité mensuelle de l’Ofpra a progressé d’environ 25 % grâce à l’effet combiné des mesures d’organisation et des renforts en effectifs. En effet, nous avons souhaité financer plus de 200 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires à l’Ofpra pour atteindre le nombre d’environ 12 000 décisions mensuelles au mois de septembre 2021.

L’Ofpra a donc adopté plus de 127 000 décisions cette année. Cela correspond à un pic d’activité jamais atteint, qui en fait le premier office de protection au sein de l’Union européenne en termes de niveau d’activité devant l’Allemagne. Je salue d’ailleurs le travail délicat et parfois éprouvant mené par les agents de l’Ofpra.

La baisse du « stock de dossiers » en cours d’instruction témoigne elle aussi de cette activité soutenue, puisque ce stock est passé de près de 88 000 dossiers au mois d’octobre 2020 à 50 000 au mois de novembre 2021. Une telle activité nous permettra d’atteindre l’objectif que nous nous sommes fixé, à savoir l’instruction des dossiers de demande d’asile en deux mois par l’Ofpra.

La loi de 2018 prévoyait également le principe de l’orientation directive des demandeurs d’asile, laquelle a été mise en œuvre via le schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés (Snadar) 2021-2023. Entré en vigueur le 1er janvier 2021, il prévoit de rééquilibrer la prise en charge des demandeurs d’asile sur le territoire en desserrant la capacité d’accueil francilienne au profit de régions qui sont moins tendues à cet égard.

Piloté par la direction générale des étrangers en France (DGEF) et mis en œuvre par l’OFII, le schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés permet d’orienter chaque mois 1 600 demandeurs d’asile depuis l’Île-de-France vers les autres régions. Au 1er novembre 2021, 16 000 demandeurs d’asile ont ainsi été dirigés vers d’autres régions.

Ce dispositif s’appuie sur le renforcement de la capacité du parc d’hébergement dédié aux demandeurs d’asile. Grâce à la création de près de 4 700 places en 2021, le dispositif comporte environ 103 000 places au 31 décembre 2021.

Enfin, la loi nous donne les moyens d’agir plus efficacement sur la question du maintien des déboutés issus des pays d’origine dits sûrs, d’une part, en prenant l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) dès que la décision négative de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a été prononcée, puisque le recours contre celle-ci n’est plus automatiquement suspensif, d’autre part, en procédant au retrait des conditions matérielles d’accueil.

J’en viens à l’objectif de régulation et de lutte contre l’immigration irrégulière. La loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, dite Asile et immigration, dote l’administration de nouveaux instruments pour une meilleure exécution des mesures d’éloignement prononcées par les préfets : en matière de suivi des étrangers, ces derniers peuvent fixer le domicile d’un étranger faisant l’objet d’une OQTF. De plus, la durée maximale de la retenue administrative est portée à vingt-quatre heures et celle de la rétention est portée à quatre-vingt-dix jours.

Toutes ces mesures ont renforcé l’efficacité des éloignements forcés, dont le nombre s’est élevé à presque 19 000 en 2019. Toutefois, la crise sanitaire et la fermeture des frontières qui en a découlé ont interrompu cette dynamique. Les éloignements ont ainsi diminué de 51,8 % en 2020. En 2021, ils restent affectés par les mesures sanitaires, mais aussi – il faut bien le reconnaître – par la posture diplomatique de certains pays d’origine.

C’est pourquoi, comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a pris la décision de faire pression sur ces pays, en abaissant drastiquement la délivrance des laissez-passer consulaires de 50 % à l’encontre de l’Algérie et du Maroc, et de 30 % à l’encontre de la Tunisie.

Nous avons par ailleurs décidé de cibler, de manière prioritaire, les profils d’étrangers à l’origine de graves troubles à l’ordre public. Une opération d’éloignement, s’appuyant sur la coordination des préfets de zone, a ainsi été lancée au mois de juin 2021 pour parvenir à l’éloignement de 1 100 étrangers en situation irrégulière présentant une menace pour l’ordre public. Cet objectif a d’ores et déjà été dépassé puisque 1 238 personnes ont ainsi été éloignées à la fin de l’année dernière. Cette opération sera reconduite en 2022 pour protéger la sécurité des Français.

Sur la question des mineurs non accompagnés (MNA), la loi du 10 septembre 2018 prévoit la création du fichier de renseignement du traitement automatisé de l’appui à l’évaluation de la minorité, ou fichier AEM. Depuis le 1er mars 2019, les préfectures, notamment lors de la phase d’évaluation du MNA, peuvent ainsi apporter leur concours aux conseils départementaux chargés, comme chacun sait, de la protection de l’enfance.

Le recours au traitement via le fichier AEM n’étant pas obligatoire à ce jour, celui-ci a été utilisé au 1er juillet 2021 par 78 collectivités. Pour favoriser le déploiement de l’outil sur l’ensemble du territoire national, un mécanisme d’incitation financière est opérant depuis le 1er janvier 2021

À la fin du mois d’août 2021, sur 19 441 dossiers enregistrés, 95 % des personnes déclarées comme MNA sont des hommes. Les majeurs représentent plus de 50 % des décisions prises par les présidents de conseils départementaux. La répartition par nationalité et stable : Guinéens, Ivoiriens et Maliens comptent pour 57,8 % des personnes enregistrées.

Enfin, l’ambition de la loi de 2018 est d’attirer davantage d’étrangers très qualifiés et de mieux les accueillir. À cette fin, la loi a ouvert de nouveaux cas de délivrance du passeport talent. Je pense aux entreprises innovantes souhaitant recruter des étrangers non diplômés en France : la loi a ainsi assuré la transposition de la directive concernant les étudiants et les chercheurs,…

Mme le président. Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. … qui facilite la circulation ces derniers dans l’Union européenne.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je détaillerai d’autres points dans mes réponses à vos questions. Tels sont en tout cas les premiers éléments du bilan de cette loi, trois ans après son entrée en vigueur. (M. François Patriat applaudit.)

Débat interactif

Mme le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Madame la ministre, mes chers collègues, je vous demande de respecter scrupuleusement ces indications, car l’ordre du jour est chargé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. « Nous allons renforcer les contrôles, traquer les fraudeurs et punir les coupables », déclarait voilà quelques jours un membre du Gouvernement. Je me suis dit : enfin, nous allons rétablir nos frontières ! Enfin, nous allons punir ces millions de fraudeurs à la carte Vitale et aux prestations sociales ! (Mme Éliane Assassi sexclame.) Enfin, nous allons expulser les clandestins et les criminels étrangers de manière définitive !

Hélas, vous parliez non pas des étrangers, mais des Français, ces Gaulois réfractaires non vaccinés. Contre eux, vous êtes prêts à violer tous les principes de notre État de droit. Nous n’oublierons pas !

Nous n’oublierons pas que l’État de droit devient accessoire, quand il s’agit de protéger des vies humaines, puisque c’est ainsi que vous justifiez vos mesures liberticides.

Nous saurons nous en rappeler quand nous abrogerons le regroupement familial : si l’on peut suspendre la liberté de circuler pour les Français, il n’y aura donc aucun problème à le faire pour les étrangers !

Nous saurons nous en rappeler quand nous équiperons les immigrés d’une application de tracking afin de pouvoir vérifier qu’ils quittent bien le territoire à l’expiration de leur titre de séjour.

Madame la ministre, votre loi de 2018 n’a rien changé : le nombre de titres de séjour a explosé en 2019, avec 277 000 délivrances, dont 14 % seulement concernait une immigration de travail. Cette immigration économique est non pas une chance, mais un fardeau. Du point de vue sécuritaire et identitaire, elle est un fléau.

N’oublions pas les clandestins. Dans cet hémicycle, M. Darmanin a déclaré qu’en 2020 vous aviez relogé 14 400 clandestins partout sur notre territoire, pour un montant de 20 millions d’euros, avouant ainsi que, plutôt que de les faire repartir chez eux, vous préfériez les répartir chez nous.

Il a même estimé qu’il y allait de « l’honneur de la France ». Alors que 115 000 demandes d’asile ont été rejetées en 2019, seules 19 000 expulsions forcées ont eu lieu. Cela fait donc 95 000 clandestins supplémentaires sur notre sol, soit l’équivalent d’une ville comme Tourcoing.

Madame la ministre, ma question est la suivante : puisque accueillir et entretenir des clandestins est un « honneur » pour M. Darmanin,…

Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Stéphane Ravier. … pourquoi ne serait-ce pas à la ville de Tourcoing d’être pleinement honorée en accueillant tous ceux que vous aurez refusé d’expulser ?

Mme le président. Monsieur Ravier, vous avez dépassé votre temps de parole. Si chacun agit ainsi, nos débats seront décalés. Je le répète : merci à chacun de respecter son temps de parole de deux minutes.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, il ne me semblait pas que le débat portait sur le passe vaccinal, à moins que je ne me sois trompée d’assemblée. Je ne répondrai donc pas sur ce point.

Contrairement à vos propos et comme je l’ai déjà évoqué, la loi a permis d’obtenir des résultats, notamment sur la question des éloignements forcés. Je viens de vous communiquer les chiffres, qui sont en augmentation : ainsi, en 2019, 19 000 éloignements forcés ont été décidés.

Je tiens à préciser que le Gouvernement ne considère pas les étrangers pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils font. Certaines personnes n’ont pas vocation à être accueillies en France : celles qui sont coupables de troubles à l’ordre public doivent évidemment être raccompagnées. Toutefois, d’autres ont droit à l’asile, à l’image de celles qui viennent d’Afghanistan, et nous devons les accueillir.

Enfin, je rappelle que des étrangers ont fortement contribué au maintien de notre pays, notamment lors du premier confinement. Nous avons naturalisé ces travailleurs étrangers qui ont permis au pays de se tenir debout.

Il ne faut pas tout confondre ! Toutes les situations ne se valent pas et ne se ressemblent pas. (M. Bernard Buis applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. L’asile est un droit, l’immigration une politique. Madame la ministre, je vous parlerai de cette politique.

En France, la proportion d’immigrés dans notre population se situe dans la moyenne de l’Union européenne : hormis l’Italie, tous nos voisins proches connaissent des proportions d’immigrés bien supérieures.

Alors que la population de la France représente 13 % de celle de l’Union européenne, la France délivre chaque année 8 % de premiers titres de séjour, contre 17 % pour l’Allemagne et 20 % pour la Pologne.

Toutes les économies innovantes, à part la Chine et le Japon, ont une proportion d’immigrés bien supérieure à celle de la France.

Non, mes chers collègues, nous n’avons pas un problème majeur de contrôle. En revanche, nous avons un problème d’intégration, qui représente un défi moins important pour nous que pour nos voisins. Pourtant, nous faisons moins bien !

Madame la ministre, de ce point de vue, la loi Collomb n’a rien changé. Pourquoi ne voulez-vous pas aller plus loin ?

Par ailleurs, pourquoi ne dénoncez-vous pas les propositions folles et démagogiques émanant de la droite de cet hémicycle sur les quotas ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Valérie Boyer. C’est bon…

M. Jean-Yves Leconte. En matière de quotas, 30 % sont des titres de séjour « étudiant », tandis que plus de 36 % relèvent de l’immigration familiale, en particulier des conjoints de Français. En France, le taux d’immigration pour l’emploi s’élève à seulement 12 %, l’un des taux les plus bas de l’Union européenne, alors que de nombreux postes sont à pourvoir.

Madame la ministre, pourquoi ne dénoncez-vous pas les propositions relatives aux quotas, totalement irresponsables, dans la mesure où nous n’avons pas de marge de manœuvre, puisque nous délivrons peu de titres de séjour tous les ans ? (M. Stéphane Ravier proteste.)

M. Roger Karoutchi. Pourtant, 220 000 titres de séjour par an, ce n’est pas mal !

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, c’est la première fois que l’on me dit que l’on ne m’entend pas assez ! (Sourires.)

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je vous remercie d’acquiescer, monsieur le sénateur ! (Nouveaux sourires.)

Au contraire, j’ai l’impression de donner de la voix et de faire de la politique. J’entends d’ailleurs poursuivre ainsi.

Je me suis notamment insurgée à de nombreuses reprises contre les propositions dites d’immigration zéro, qui me semblent assez déconnectées des réalités.

Sur la question des quotas, notre action parle pour nous. À l’automne 2019, lors de son discours au Parlement, le Premier ministre a évoqué la possibilité de définir des objectifs chiffrés en matière d’immigration professionnelle, ce qui s’est traduit par les décisions prises par le Gouvernement lors du comité interministériel sur l’immigration et l’intégration le 6 novembre 2019.

Nous voulons répondre aux besoins, notamment en matière de ressources humaines. Comme j’ai commencé à l’évoquer dans mon propos liminaire, nous avons continué à développer une politique d’attractivité visant à attirer des profils de pointe pour les secteurs innovants, tels que les chercheurs et les profils qualifiés, grâce aux passeports talents. Depuis leur création en 2016, la dynamique se confirme : en 2020, 31 000 titres de séjour passeports talents ont été délivrés.

Nous avons ainsi des objectifs chiffrés. Telle est l’action menée par le Gouvernement. (M. François Patriat applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.

M. Jean-Yves Leconte. Nous n’avons pas de marge de manœuvre, sauf à changer nos règles et à refuser d’accueillir plus d’étudiants et de conjoints de Français. Il faut le savoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à M. Ludovic Haye. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Ludovic Haye. Madame la ministre, la question de la maîtrise de l’immigration par les pouvoirs publics, sujet de notre débat, en implique une autre : celle de la maîtrise des délais, notamment ceux qui sont relatifs au traitement des demandes d’asile.

Madame la ministre, comme vous venez de le rappeler, la loi Asile et immigration avait pour objectif ambitieux de réduire à six mois les délais d’instruction des demandes d’asile par l’Ofpra, qui, en 2018, au moment de l’examen de ce texte, s’élevaient encore en moyenne à onze mois.

À cette fin, la loi a doté les acteurs de nouveaux outils, s’agissant notamment des modalités de convocation et d’entretien, ou encore de déclenchement de la procédure accélérée, afin que la question de la régularité du séjour soit tranchée avec diligence. Il est important de rappeler que ces dispositions ont été validées par le Conseil constitutionnel.

Madame la ministre, quel bilan peut-on dresser de ces dispositions relatives à la réduction des délais de traitement des demandes d’asile par l’Ofpra ? (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, toute personne sollicitant le statut de réfugié doit obtenir une réponse la plus rapide possible, que celle-ci soit positive ou négative.

C’est la raison pour laquelle, dès le mois de juillet 2017, le Gouvernement s’était fixé comme objectif de notifier la décision définitive dans un délai moyen de six mois. La loi de 2018 vise à répondre à cet objectif, notamment grâce aux 200 ETP supplémentaires alloués à l’Ofpra. Ces personnes ont été recrutées, formées et sont actuellement en poste.

Certes, la crise sanitaire de 2020 a conduit à un allongement conjoncturel et temporaire des délais de traitement des demandes à l’Ofpra, mais la situation a connu une amélioration sensible depuis la fin de l’année : le niveau d’activité a progressé d’environ 25 % et l’Office a adopté en 2021 plus de 130 000 décisions. Ce record, qui n’avait jamais été atteint, fait de l’Ofpra le premier organisme de protection au sein de l’Union européenne, du point de vue de l’activité, devant l’Allemagne. L’âge moyen des dossiers en stock est de l’ordre de six mois. La cible d’un traitement moyen des dossiers en deux mois est désormais réaliste et devrait être atteinte en 2022. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme le président. La parole est à M. Franck Menonville.

M. Franck Menonville. Madame la ministre, depuis 2008, le nombre des demandeurs d’asile en France n’a cessé d’augmenter, sauf en 2020 en raison de la crise sanitaire. D’ailleurs, selon le directeur général de l’Ofpra, cette baisse est conjoncturelle, et non pas structurelle.

En d’autres termes, la tendance devrait repartir à la hausse en 2021 et en 2022, et pour cause : le droit d’asile est massivement détourné par des migrants qui désirent s’établir en France. Or force est de constater que la majorité d’entre eux ne relèvent pas du droit d’asile. Les protections offertes par cette procédure, que nous devons garantir, mais aussi encadrer, en font un canal privilégié d’immigration.

Ce dévoiement du droit d’asile était déjà à l’origine de la loi Asile et immigration, en 2018. Or, comme l’a rappelé M. Karoutchi, nous ne parvenons pas à faire exécuter les décisions de reconduite à la frontière pour les personnes déboutées de ce droit.

Bien que la crise sanitaire brouille assez largement les chiffres, tant sur les flux entrants que sur l’exécution des OQTF, nous devons nous résoudre à constater que l’objectif affiché par la loi n’a pas été atteint. L’enjeu qui nous poussait à légiférer en 2018 demeure intact : comment améliorer la procédure pour garantir et consolider le droit d’asile, tout en renforçant la maîtrise nécessaire des flux migratoires ?

Le 3 juin dernier, le Danemark a adopté une loi permettant de transférer les demandeurs d’asile à des pays tiers, afin de traiter les requêtes et de garantir la protection due par ce statut. Madame la ministre, quel est votre avis à ce sujet, alors que la France vient de prendre la présidence du Conseil de l’Union européenne ?

Il me semble aujourd’hui opportun d’organiser un débat parlementaire annuel…

Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Franck Menonville. … pour établir un bilan et fixer les objectifs de la politique migratoire française. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Sébastien Meurant applaudit également.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, au regard du droit européen, le Danemark est membre de l’espace Schengen, mais ne participe pas au régime d’asile européen en raison de l’application de son option de retrait aux mesures relatives à la justice et aux affaires intérieures de l’Union européenne. Il applique néanmoins les règlements Dublin III et Eurodac.

Toutefois, la loi danoise ne pourrait respecter les engagements européens et internationaux du Danemark qu’à condition que les accords conclus avec les pays tiers concernés comportent des garanties solides, notamment en matière de respect des droits fondamentaux.

Dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, le Président de la République a annoncé son souhait de faire avancer le pacte migratoire. Cela permettra, d’une part, de mieux harmoniser les règles en matière d’asile entre les pays européens, en particulier pour mieux réguler les flux secondaires dont la France est l’un des pays de destination, d’autre part, de mettre en place les contrôles renforcés aux frontières extérieures de l’Union européenne.

Mme le président. La parole est à M Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Le Rudulier. Madame la ministre, la loi Asile et immigration correspond à la vingt-huitième loi depuis 1980 sur le sujet ô combien sensible de l’immigration !

M. Stéphane Le Rudulier. Certes, il est d’une évidence implacable que ce défi de civilisation ne peut pas être relevé en quelques semaines, simplement par l’adoption d’une loi. Néanmoins, la question de l’effectivité de la loi Asile et immigration par rapport aux objectifs initiaux affichés se pose très sérieusement.

Le taux d’exécution des OQTF est ainsi passé de 22,3 % en 2012 à 5,6 % durant les premiers mois de 2021, soit le taux le plus bas de l’histoire ! Ce taux d’exécution interroge sur la crédibilité de nos institutions et révèle un certain manque de volonté politique du Gouvernement, malgré sa communication abondante dans ce domaine.

En parallèle, selon les chiffres du ministère de l’intérieur, trois quarts des requérants ont été déboutés sur les 93 000 demandes déposées en 2020. Ce chiffre, couplé au taux d’exécution des OQTF, laisse imaginer le nombre de personnes demeurant illégalement sur notre territoire.

Madame la ministre, face à cette triste réalité, ne serait-il pas temps de traiter les demandes d’asile à l’extérieur des frontières européennes, par exemple dans les ambassades et les consulats des États membres de l’Union européenne situés dans les pays d’origine ? Cela permettrait un traitement local plus rapide des demandes d’asile légitimes au bénéfice des demandeurs se trouvant parfois dans des situations dramatiques et dont l’accueil et la protection honorent la France.

Madame la ministre, est-ce une mesure que le Gouvernement auquel vous appartenez compte proposer à l’échelon européen afin de renforcer notre réponse en matière d’asile et notre arsenal en matière migratoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, un dispositif de traitement des demandes d’asile dans les pays tiers à l’Union européenne soulève à ce stade de très – trop ! – nombreuses interrogations.

Celui-ci serait peu opérationnel, parce qu’il impliquerait un accord des pays tiers concernés pour traiter les demandes sur leur propre sol. Cela semble aujourd’hui très improbable. Rappelons que l’écrasante majorité des 82 millions de personnes déplacées recensées en 2021 par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés se situe en dehors du territoire de l’Union européenne, notamment au Proche-Orient ou en Afrique.

Il nous semble par ailleurs assez peu réaliste de penser que cela puisse mettre fin à la migration de demandeurs d’asile vers le territoire européen. Du point de vue juridique, si ce dispositif devait remplacer le système actuel de demandes d’asile sur le sol français, il entrerait en contradiction avec un certain nombre de principes fondamentaux inscrits dans notre Constitution, ainsi qu’avec nos engagements européens.

En revanche, il est vrai que la recherche d’un système de l’asile plus efficace justifie de consolider le dispositif de recueil des demandes d’asile à la frontière extérieure de l’Union européenne. Cette orientation, figurant au cœur du pacte sur la migration et l’asile proposé par la Commission européenne, est soutenue par la France.

Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Madame la ministre, la maîtrise de l’immigration, source inépuisable d’exploitation politicienne à l’approche des élections, répond à une volonté de perpétuer une perception déformée et anxieuse d’une immigration que certains considèrent par principe comme la cause ou l’accélérateur des problèmes de notre société.

Or l’immigration est un phénomène naturel, lié à des contextes climatique, socio-économique, humanitaire et géopolitique.

La question devrait être la suivante : comment recevoir en France des immigrés de façon humaine et acceptable socialement afin de permettre une intégration réussie, à l’image de celles et de ceux ayant contribué à la richesse de notre pays ?

La maîtrise de l’immigration doit s’entendre, non pas comme une limitation quantitative dont je peine à voir, à moins de tomber dans l’arbitraire, quels pourraient être les critères concrets et légaux, mais comme l’accompagnement de ce phénomène naturel.

La Cour nationale du droit d’asile (CNDA) est confrontée à une hausse très importante des dossiers à traiter. Pourtant, les dispositions de la dernière loi de finances ne prévoient aucune création d’emploi de magistrat ou d’agent pour l’année 2022.

Comment le Gouvernement justifie-t-il ce manque de moyens ? La maîtrise de l’immigration passe aussi et surtout par les moyens accordés aux juridictions traitant les demandes d’asile afin de leur permettre de travailler dans des conditions correctes.

C’est ainsi que je perçois la maîtrise de l’immigration. Nos devoirs envers les demandeurs d’asile impliquent de prendre en compte leur demande, et non de les refouler de manière illégale à la frontière comme cela se fait par exemple à Montgenèvre. Nous devons respecter tous les immigrés, qui sont des êtres humains : l’État doit arrêter les actions portant atteinte à leur dignité, telles que la destruction de leurs tentes ou l’interdiction faite aux associations de mener leurs actions.

Ce gouvernement, à l’image de certains partis et hommes politiques de droite, n’est pas insensible à l’idée de mener seulement une politique du chiffre. Aussi, je souhaite connaître sa position sur la limitation de l’immigration. Compte-t-il créer des quotas arbitraires selon les pays ou des quotas annuels ? Souhaite-t-il instaurer une immigration choisie en fonction des compétences, de la politique étrangère de la France ou d’autres critères bien moins catholiques ? (M. Roger Karoutchi ironise.)

Que faire après avoir reçu et mal traité ces nouveaux arrivants ? Comment les accueillir afin, au moins, de ne pas compromettre leur chance – réelle – de s’intégrer dans notre pays et en Europe…

Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Guy Benarroche. … et de favoriser l’adoption consentie de nos règles et, bien au-delà, de nos valeurs et de nos principes ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, il est faux de soutenir que le Gouvernement et les services de l’État empêchent les associations de travailler.

Au contraire, certaines associations, en tant qu’opératrices de l’État, sont très largement financées par le budget de l’État – et c’est bien normal. Lors d’un récent déplacement à Calais, j’ai vu le travail de ces associations de terrain qui distribuent des repas, mettent à l’abri les migrants, s’occupent de leur relogement et les protègent des passeurs et de leurs fausses promesses.

Je m’inscris en faux contre les propos que vous avez tenus sur les tentes des migrants : jamais des policiers et des gendarmes ne sont venus les lacérer ! (M. Guy Benarroche, Mmes Esther Benbassa et Éliane Assassi sexclament.)

Nous nous sommes exprimés à plusieurs reprises à ce sujet. Au contraire, vous pourrez même retrouver une consigne écrite et directe du ministère de l’intérieur interdisant cette pratique afin de préserver la dignité de chacun, les personnes exilées ou les migrants. (M. Guy Benarroche sexclame.)

Par ailleurs, j’ai indiqué à plusieurs reprises que nous avions augmenté les moyens de l’Ofpra, en créant notamment 200 ETP supplémentaires, afin que les délais de traitement des dossiers puissent être réduits.

M. Guy Benarroche. Et la CNDA ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Monsieur le sénateur, vous savez très bien que la CNDA relève du ministère de la justice et que ses moyens sont administrés par le Conseil d’État.

En tout état de cause, la CNDA constitue un acteur essentiel de la chaîne de l’asile. Le renforcement de ses moyens et de sa capacité décisionnelle est déterminant pour que l’objectif d’un délai moyen de procédure soit ramené à 6 mois. Je laisse le soin au garde des sceaux de présenter les évolutions importantes de cet organisme.

Enfin, monsieur le sénateur, en tant que ministre chargée de la laïcité, je ne parlerai pas de critères « catholiques »… (M. Roger Karoutchi samuse.)

Mme le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la ministre, ce débat, inscrit à l’ordre du jour de nos travaux par nos collègues du groupe Les Républicains, semble montrer une certaine déception sur le niveau réel de l’immigration qui se cacherait derrière une apparente « maîtrise ».

Rappelons tout de même que les dispositions de la loi Asile et immigration portent atteinte globalement aux droits des étrangers et des demandeurs d’asile. De nombreuses organisations, des syndicats, des associations, des personnalités publiques et politiques l’ont dénoncé avec nous.

Pour ma part, je me concentrerai sur le niveau réel d’atteintes portées à nos valeurs fondamentales depuis trois ans, qu’il s’agisse du respect du droit d’asile ou, tout simplement et plus généralement, du respect de la dignité de la personne humaine.

Plusieurs exemples récents sont révélateurs en la matière. Je pense à la mise en place et au renforcement du fichier AEM via le projet de loi relatif à la protection des enfants, qui, en réalité, fait le tri entre les enfants à protéger et ceux qu’il faut encore davantage fragiliser, tels que les mineurs non accompagnés. Les présidents des conseils départementaux sont aujourd’hui contraints d’utiliser ces fichiers et de solliciter le concours du préfet. Cette logique répressive et de défiance grandissante à l’égard de ces enfants en grande précarité et vulnérabilité doit être définitivement renversée. Elle doit cesser.

Le sujet des centres de rétention administrative (CRA) mérite lui aussi une attention particulière. Dès le début de la crise sanitaire, la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, la Défenseure des droits, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté et la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) ont appelé à libérer tous les migrants en rétention administrative le temps de la pandémie. Au contraire, environ 28 000 personnes y ont été enfermées en 2020, et guère moins depuis, malgré la situation sanitaire. Certaines d’entre elles souffrent de pathologies lourdes, mettant en lumière l’absence d’accès effectif aux soins en rétention.

Ma question est simple : madame la ministre, comment comptez-vous…

Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Éliane Assassi. … mettre fin au maintien de ces personnes en rétention ?

Mme le président. Je l’ai déjà rappelé à plusieurs reprises : chacun doit respecter son temps de parole.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice, je souhaite tout d’abord réagir à la première partie de votre interpellation.

Le Gouvernement estime qu’il est important de passer des droits formels aux droits réels et d’appliquer réellement les dispositions votées par le Parlement en 2018. Cela vaut non seulement pour la maîtrise de l’immigration – pour reprendre les termes que vous avez utilisés –, donc pour les éloignements, y compris les éloignements forcés, mais également pour le volet relatif à l’intégration, dont il a déjà été question.

Nous faisons en sorte que tout se passe dans le respect de la dignité des personnes. Nous considérons que les droits humains constituent un principe fondamental et indiscutable, même lorsque des personnes sont placées dans des CRA et même lorsque des procédures d’éloignement forcées sont engagées. À chaque fois, la dignité des personnes est respectée.

Durant la pandémie, la volonté du Gouvernement a toujours été de prendre en charge les personnes en parcours d’immigration, quelle que soit leur situation, et de leur apporter de la considération.

Mme le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.

M. Vincent Capo-Canellas. Madame la ministre, la semaine dernière, la ville de Calais a été une nouvelle fois le théâtre de violences impliquant des migrants en situation irrégulière.

Cette énième flambée de violence est particulière. Cette fois en effet, il s’agissait non pas d’une rixe entre migrants – dérive à laquelle les Calaisiens sont malheureusement confrontés quasi quotidiennement –, mais de violences visant un couple de Calaisiens pris à partie par un groupe de migrants érythréens. Par représailles, le frère de la victime aurait foncé à plusieurs reprises avec son véhicule sur des migrants et roulé sur l’un d’entre eux. Le pronostic vital de ce dernier est engagé.

Avant cet événement dramatique, l’évacuation d’un camp, dimanche dernier, avait été précédée d’affrontements entre des migrants et des membres des forces de l’ordre. Des policiers avaient alors été blessés.

Sans qu’il faille établir un lien entre ces deux événements, l’on constate que ce territoire est en proie à une situation qui, malheureusement, s’enlise chaque jour un peu plus dans la violence et la misère. Bien sûr, chacun le déplore.

Force est de constater que la loi Asile et immigration ne semble pas avoir permis de sortir de l’impasse dans laquelle se trouvent les Calaisiens depuis des années. Indépendamment, là encore, des gouvernements successifs, c’est une réalité qui s’impose à nous.

Rappelons que la fermeture du centre de Sangatte date du mois de décembre 2002 – voilà dix-neuf ans maintenant – et le démantèlement de la première jungle de Calais de 2009. La situation est extrêmement difficile et confine à une forme d’impuissance. Madame la ministre, que proposez-vous aujourd’hui pour en sortir durablement ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. En effet, la situation à Calais est particulièrement difficile et, comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur Capo-Canellas, elle est de longue date.

Le ministre de l’intérieur et moi-même avons effectué plusieurs déplacements sur place. J’y suis allée encore récemment.

Je veux d’abord rendre hommage aux services de l’État qui se mobilisent sur le terrain, en étroite collaboration, pour ne pas dire main dans la main, avec les associations. Ils font en sorte d’améliorer la situation des riverains et habitants de Calais, mais aussi celle des personnes exilées.

Je veux aussi rendre hommage à Natacha Bouchart, la maire de Calais, qui mène avec toute son équipe municipale une action courageuse et résolue dans un contexte difficile.

Vous avez rappelé, à raison, que des forces de sécurité intérieure se sont retrouvées prises à partie et, parfois, agressées, y compris très violemment. J’adresse à cet égard un message de soutien aux cinq CRS ayant subi des agressions physiques alors qu’ils se trouvaient en opération, certains avec des blessures importantes.

Je tiens à souligner, aussi, à quel point nous avons besoin de la coopération avec le Royaume-Uni pour trouver des solutions à Calais. Pour y être allée et avoir parlé les yeux dans les yeux avec les migrants qui sont sur place autour des braseros, je peux assurer que ceux-ci n’ont qu’une envie : rejoindre le Royaume-Uni, y compris au péril de leur vie. C’est la réalité ! Ces personnes sont déterminées ; elles n’ont pas envie de rester en France et sont prêtes à risquer leur vie pour prendre la mer et rejoindre ce pays.

C’est pourquoi une véritable coopération avec le Royaume-Uni est absolument nécessaire pour nous. Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, s’emploie à l’obtenir. C’est le travail minutieux, difficile et délicat que nous continuons de mener, pour Calais et pour les autres zones concernées de notre territoire.

Mme le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour la réplique.

M. Vincent Capo-Canellas. Madame la ministre, je vous remercie d’avoir témoigné votre soutien aux forces de l’ordre et à l’ensemble des élus – à commencer par Natacha Bouchart – qui sont mobilisés aux côtés de l’État. Cela étant, nous souhaitons vraiment des avancées dans la coopération avec la Grande-Bretagne.

Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.

M. Bernard Fialaire. Voilà trois ans, la loi Asile et immigration était promulguée. Vingt-huitième loi sur l’immigration et l’asile depuis 1980, elle n’est pas la première à avoir tenté d’assurer un accueil des migrants dans la dignité.

Cependant, des campements de fortune continuent de s’établir sur notre territoire. Ils ne peuvent évidemment pas garantir à leurs occupants les conditions de sécurité et de salubrité les plus élémentaires. On l’a vu dans mon département, à Lyon, dans les quartiers des pentes de la Croix-Rousse ou encore de la Confluence : on peine à trouver à chacun des solutions d’hébergement de long terme, certains migrants se tournant alors vers des squats.

La question de la répartition des arrivants sur le territoire est au centre de cette problématique. Lyon, en particulier, constitue une terre d’accueil significative. Ainsi, 28 % des demandes d’asile effectuées en région Auvergne-Rhône-Alpes sont déposées à Lyon. D’ailleurs, la région est la deuxième la plus sollicitée en termes de nombre de demandes.

Deuxième plus sollicitée, elle n’est cependant que la quatrième au classement du nombre de centres d’accueil et d’orientation après l’Occitanie, le Grand Est et la Nouvelle-Aquitaine. En effet, la question de l’orientation des migrants est indissociable de celle du caractère suffisant des infrastructures d’accueil.

La loi Asile et immigration, en son article 13, traitait pourtant de ces questions, avec le schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés. Elle prévoit que celui-ci fixe la part des demandeurs d’asile accueillis dans chaque région, ainsi que la répartition des lieux d’hébergement qui leur sont destinés.

Madame la ministre, face aux conditions d’accueil insatisfaisantes dont nous sommes témoins, ne faut-il pas revoir les dispositions de la loi concernant l’hébergement ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Les modalités concrètes d’accueil des demandeurs d’asile en France demeurent un défi important, c’est vrai. Toutefois, des progrès sensibles ont été réalisés, notamment grâce à la mise en œuvre des dispositions votées par le Parlement dans la loi de 2018.

Les capacités au sein du dispositif national d’accueil, par exemple, ont été considérablement renforcées. En 2020, 4 500 nouvelles places ont été financées ; elles sont aujourd’hui ouvertes en quasi-totalité. Par ailleurs, on compte 400 places supplémentaires dédiées aux réfugiés vulnérables en Île-de-France et 6 000 nouvelles places pour les demandeurs d’asile et les réfugiés.

La région Auvergne-Rhône-Alpes a été l’une des mieux dotées, compte tenu des besoins importants que vous avez à juste titre rappelés, monsieur le sénateur. Pour 2021, elle s’est vue doter de 550 nouvelles places d’accueil et bénéficiera de nouveau de dotations en 2022.

Permettez-moi, à ce titre, de souligner un point : si l’État finance des places, l’un des défis auxquels nous sommes souvent confrontés consiste à convaincre, sur place, les élus locaux de l’opportunité de ces projets. Pour cela, le soutien des parlementaires est bien évidemment fondamental.

Par ailleurs, les dispositions de la loi de 2018 prévoyant un nouveau dispositif d’orientation des demandeurs d’asile depuis les régions les plus tendues, en particulier l’Île-de-France, sont effectives depuis le début de l’année 2021, comme je le précisais dans mon propos liminaire. En un an, ce dispositif a permis d’orienter plus de 15 000 demandeurs d’asile vers un hébergement en région et, ainsi, de prévenir que ces personnes ne se retrouvent à la rue.

Je reconnais que beaucoup reste à faire, mais des progrès sensibles peuvent déjà être constatés. Il ne faut pas les ignorer.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Comme vous le savez, madame la ministre, depuis le début du mois d’octobre dernier, les avocats plaidant auprès de la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, sont en grève afin de dénoncer l’augmentation du nombre de décisions rendues par ordonnance, c’est-à-dire sans que le demandeur soit entendu lors d’une audience.

Les agents de la CNDA, ainsi que les avocats, ont dénoncé à cette occasion une « politique du chiffre ». Ils ont aussi fait état d’une « utilisation massive et injustifiée » du recours aux ordonnances.

Il est bien sûr nécessaire – je sais que c’est une préoccupation du Gouvernement, et elle est légitime – que les délais d’examen des demandes soient réduits. Pour autant, il n’est pas justifié que des personnes en situation très difficile, venant de pays étrangers, qu’ils soient sûrs ou non, ayant subi des persécutions, notamment dans les pays dits non sûrs, ne puissent faire valoir leurs droits oralement, s’expliquer, défendre elles-mêmes leur cause ou que leur avocat le fasse avant qu’une décision ne soit prise.

Ma question est donc simple, madame la ministre : quelles dispositions pensez-vous prendre à cet égard, afin de favoriser des délais les plus courts possible – bien sûr –, mais dans le respect des droits des demandeurs d’asile à être entendus avant qu’une décision ne leur soit signifiée ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Au mois de juillet 2017, le Gouvernement s’est fixé pour objectif la notification d’une décision définitive dans un délai moyen de six mois, soit trois jours pour le traitement en préfecture, deux mois pour l’examen à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et quatre mois pour celui à la CNDA. La loi du 10 septembre 2018 répond à cet objectif, de même, d’ailleurs, que les 200 équivalents temps plein supplémentaires alloués à l’Ofpra, que déjà évoqués.

Le délai moyen sur le segment du traitement en préfecture est maîtrisé. À la fin de l’année 2020, il s’établit à moins de trois jours, grâce au travail de renforcement des guichets uniques de l’asile en préfecture, regroupant des effectifs de préfecture et des effectifs de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).

Si la crise sanitaire a conduit, en 2020, à un allongement conjoncturel des délais de traitement des demandes, la situation a connu une amélioration sensible depuis la fin de l’année. Je n’insiste pas sur ce point, mais le niveau d’activité a progressé d’environ 25 % et l’Ofpra a pu prendre plus de 130 000 décisions.

Pour répondre au point particulier que vous soulevez s’agissant de la CNDA, monsieur le sénateur, le délai moyen de traitement devant la cour est actuellement de l’ordre de cinq mois. Comme vous le savez, la CNDA, est une juridiction. À ce titre, elle est indépendante du Gouvernement. Cela vaut notamment pour les procédés qu’elle décide de mettre en place.

Dans ces conditions, le Gouvernement estime que les cibles qu’il a fixées pourraient être atteintes dans le courant de l’année 2022, en particulier au niveau des guichets uniques pour demandeur d’asile (GUDA) et de l’Ofpra, ceux-ci relevant, contrairement à ceux de la CNDA, d’un pilotage du ministère de l’intérieur.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour la réplique.

M. Jean-Pierre Sueur. Réduire les délais, évidemment !

Permettre aux personnes de s’exprimer, évidemment !

Mme le président. La parole est à M. Sébastien Meurant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Sébastien Meurant. Voilà trois ans, nous débattions de la loi Asile et immigration et le gouvernement claironnait qu’elle serait, à la fois, humaine et efficace. Trois ans après, où en sommes-nous ?

Nous qui sommes au contact de la réalité constatons chaque jour les ravages de l’ensauvagement, notamment lié à l’immigration.

Il est vrai qu’en ce domaine M. Darmanin avait de prestigieux prédécesseurs… Je me souviens, ici même, de M. Manuel Valls défendant solennellement que l’on trie parmi les réfugiés. Les morts du Bataclan ont payé cet angélisme !

Au terme de ce quinquennat, je souhaite savoir comment le ministre de l’intérieur juge la situation actuelle de la politique migratoire, de la lutte contre l’immigration clandestine, de l’immigration légale et de l’intégration.

Je constate que l’immigration clandestine n’a jamais autant prospéré. Le ministre lui-même parle de 600 000 à 700 000 clandestins présents sur notre sol. Pourtant, M. Emmanuel Macron, au début de son quinquennat, promettait d’expulser 100 % des clandestins. Paroles, paroles…

Quant à l’immigration légale, elle est largement liée au regroupement familial, donc non choisie. Or le regroupement familial a été adopté sous réserve que l’immigré ait les moyens de faire vivre sa famille. Quand on sait que le taux de chômage des immigrés extra-européens atteint 24 %, on peut douter que cette immigration légale soit conforme à l’intention du législateur !

De plus, combien d’immigrés légaux viennent grossir les rangs de l’immigration clandestine après l’expiration de leur visa ? Nous délivrons 3,5 millions de visas à l’année !

En d’autres termes, que fait-on pour que l’immigration légale soit réellement une immigration choisie ?

En cinq ans, nous avons entendu beaucoup de discours, mais les problèmes ont empiré. Je ne rappellerai pas ici les propos du ministre de l’intérieur de l’époque… Quand saurons-nous enfin ne serait-ce que le coût de l’immigration ? Trouvez-vous raisonnable, madame la ministre, alors que les Français ont des difficultés à se loger et à se soigner, d’accueillir près de 450 000 personnes tous les ans ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Meurant, vous me pardonnerez d’indiquer que vous n’êtes ni plus ni moins au contact de la réalité que moi ou n’importe quel autre ministre, y compris le ministre de l’intérieur. (M. Sébastien Meurant sexclame.) C’est un fait !

L’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) est en augmentation. Vous faites mention de propos tenus par d’anciens ministres de précédents quinquennats. On peut échanger des citations, mais on peut aussi partager les chiffres, notamment indiquer qu’entre 2007 et 2011 le nombre d’éloignements avoisinait 12 000, alors que nous en comptabilisons 19 000 simplement sur l’année 2019, avant le début de la crise sanitaire.

Vous avez tenu un certain nombre de propos qui, pardon de le dire, me semblent assez caricaturaux.

M. Stéphane Ravier. Ce sont les chiffres !

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Le ministre de l’intérieur et moi-même signons très régulièrement des retraits ou des refus de titres de séjour de personnes ayant causé de troubles à l’ordre public, ne respectant pas les valeurs de la République ou ayant été condamnées pour des violences, notamment des violences sexistes et sexuelles. C’est une avancée que j’avais obtenue auprès du Premier ministre Édouard Philippe lors de notre avant-dernier comité interministériel sur l’immigration et l’intégration.

Des actions très concrètes sont donc menées par le ministère de l’intérieur.

Comme je l’ai indiqué précédemment, nous ne considérons pas que tout comportement d’une personne en provenance de l’étranger serait, par nature, mauvais, mais nous ne considérons pas non plus qu’il serait, par nature, bon. Nous regardons ce que font les gens, ce qu’ils veulent faire en France, non pas ce qu’ils sont ni d’où ils viennent.

Si, parmi eux, se trouvent des personnes demandant l’asile et ayant le droit d’obtenir le statut de réfugié, c’est bien évidemment l’honneur de la France que de le leur accorder. Si, parmi eux, se trouvent des personnes relevant de l’immigration dite économique au titre des passeports talents que nous avons mis en place pour attirer des étudiants de haut niveau, des chercheurs, des professionnels de métiers de pointe et d’innovation, nous sommes très heureux de les accueillir.

De la même manière, nous prenons nos responsabilités pour expulser les personnes qui n’ont rien à faire sur le sol français, quelles qu’en soient les raisons.

Mme le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Arnaud de Belenet. Une loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie… Comme c’est souvent le cas, l’intitulé de la loi du 10 septembre 2018 pourrait donner l’impression que, ça y est, le Parlement a adopté la réforme permettant de régler les questions liées tant à l’immigration qu’à l’intégration. À tort…

Trois ans après, ce texte n’a pas atteint ses objectifs – disons, pas encore.

Sans trop vouloir réduire le champ de notre débat, un sujet que nous avons à traiter en la matière est, bien évidemment, l’éloignement de tous les étrangers sans droit ni titre présents sur le territoire national.

Le texte de 2018 visait à raccourcir les délais de traitement des demandes, notamment d’asile, objectif que nous avons naturellement toujours partagé. Néanmoins, s’assurer de l’exécution des obligations de quitter le territoire français, les fameuses OQTF, c’est mieux !

Après s’être élevé jusqu’à 22 % en 2012, le taux d’exécution des OQTF a connu une forte baisse, ne dépassant plus 15 % depuis 2016 et se situant même en dessous de 13 % en 2018, comme en 2019.

Son niveau a atteint des planchers très bas avec la crise du covid. Ce n’est pas un reproche fait à la ministre présente dans cet hémicycle, mais cela interroge néanmoins sur la crédibilité du discours de la France.

Au-delà des améliorations techniques prévues par le texte de 2018, le cœur du problème reste aujourd’hui celui-là. C’est d’ailleurs une question au moins autant de volonté politique que d’innovation législative.

Éloigner les étrangers sans droit ni titre, notamment les déboutés du droit d’asile, cela coûte cher et, dans les faits, c’est compliqué. Je fais référence, bien sûr, à l’épineuse question des laissez-passer.

Madame la ministre, en ce début d’année, pouvez-vous nous communiquer le taux d’exécution des OQTF pour 2021 ? Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour l’avenir ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. L’efficacité des services en matière d’éloignement peut s’exprimer en taux, certes, mais elle peut aussi s’exprimer en chiffre brut !

La politique d’éloignement a vu son efficacité croître depuis 2017, notamment grâce aux effets de la loi du 10 septembre 2018. Cette dernière a notamment permis de porter la durée de rétention à quatre-vingt-dix jours. Elle a autorisé les préfets à prononcer des mesures d’assignation à résidence. Les éloignements contraints atteignent ainsi un niveau inédit en 2019, avec 20 994 mesures exécutées, soit une augmentation de 34 % par rapport au niveau de l’année 2016, pour ne prendre que cet exemple.

Cette dynamique, chacun le sait, a été interrompue par la crise sanitaire et la fermeture des frontières, ayant entraîné une baisse considérable des éloignements en 2020. Elle reste affectée, en 2021, par les mesures sanitaires et, comme je l’ai déjà souligné, par la posture diplomatique de certains pays d’origine.

Les éloignements ciblés se sont poursuivis depuis le mois de juillet 2020 sur les profils d’étrangers à l’origine de troubles à l’ordre public, c’est-à-dire essentiellement sortant de prison, radicalisés, représentant une menace.

Les moyens de notre dispositif d’éloignement ont été accrus. Le nombre de places de rétention sera porté en métropole à 2 200 à l’horizon de 2024, notamment grâce à l’ouverture de trois nouveaux centres de rétention administrative (CRA) à Lyon, Olivet et Bordeaux. C’est une augmentation de 50 % des places en locaux de rétention administrative.

Par ailleurs, le développement des retours volontaires d’étrangers en situation irrégulière s’appuiera sur la création de 1 100 places de dispositifs de préparation au retour (DPAR), sur les années 2021 et 2022. Ces places seront financées dans le cadre du plan France Relance.

Enfin, la fermeté du ministre de l’intérieur, qui a sensiblement réduit la délivrance des visas au profit des pays les plus récalcitrants à délivrer des laissez-passer consulaires, est une preuve supplémentaire de l’engagement ferme et concret du Gouvernement pour obtenir une meilleure exécution des OQTF. (M. François Patriat applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. Jérôme Durain.

M. Jérôme Durain. Je tiens d’abord à remercier le groupe Les Républicains d’avoir retenu un tel thème pour le débat de ce jour.

Au cours des dernières semaines, le débat public a permis de rappeler que la France était un pays plutôt dans la norme s’agissant de l’accueil d’étrangers. Voilà quelques dizaines d’années, elle accueillait bien plus que les pays comparables en Europe ; c’est moins le cas depuis plusieurs années.

Ainsi, d’après Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’augmentation moyenne de la proportion des personnes nées à l’étranger est passée de 11,6 % en 2010 à 13,1 % en 2020, soit 1,5 point d’augmentation. Au sein de l’OCDE, la moyenne s’est établie à 2,2 points sur la décennie. La plupart des voisins de la France ont ainsi connu une hausse supérieure à la sienne. Parmi eux, citons le Royaume-Uni – 2,9 points –, l’Allemagne – 3,3 points – ou encore la Belgique – 4 points.

On peut alors imaginer que c’est le taux d’exécution des OQTF qui préoccupe certains d’entre vous, mes chers collègues. Cela n’est d’ailleurs pas la première fois que l’on se focalise plus que de raison sur ce sujet, qui se révèle souvent périlleux. M. Macron, lui-même, a dans Valeurs actuelles, au mois d’octobre 2019, affirmé son engagement de faire procéder à 100 % des OQTF d’ici à la fin de son mandat.

Il est évidemment difficile d’accepter que des décisions de l’administration française ne soient pas appliquées. On connaît un obstacle évident à cette bonne application : la France est tributaire des laissez-passer délivrés par les pays tiers. Il y a cependant un autre obstacle, qui se situe sur notre territoire : il se trouve que l’on délivre des OQTF à des personnes n’ayant pas lieu d’être éloignées !

C’est le cas de nombreux jeunes majeurs étrangers passés pas l’aide sociale à l’enfance, formés par la France, intégrés et à qui on délivre des OQTF sans raison valable et sous des prétextes fallacieux. Il en découle que l’on gonfle artificiellement le nombre des OQTF.

Par conséquent, avant de débattre de taux, de chiffres, de statistiques, regardons déjà ceux à qui l’on impose ces OQTF. Certains, parce qu’ils causent des troubles à l’ordre public, doivent être éloignés, mais ils n’ont rien à voir avec ces étrangers intégrés, notamment les jeunes majeurs, que l’on s’acharne à vouloir éloigner sans raison légitime.

Plutôt que de se fixer pour objectif 100 % d’OQTF exécutées, il faudrait se fixer pour objectif 100 % d’OQTF justifiées. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, je viens d’apporter un certain nombre d’éléments chiffrés sur les OQTF. Permettez-moi de ne pas les reprendre.

Sur la question particulière des jeunes, en particulier l’enjeu que constitue la sécurisation du droit au séjour des mineurs non accompagnés (MNA) et l’action menée par le ministère de l’intérieur dans ce domaine – qui concourt à cette finalité –, le dispositif normatif actuel prévoit plusieurs voies d’admission au séjour pour les MNA devenus majeurs.

Il y a, d’abord, la voie de plein droit pour les mineurs isolés pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, au plus tard à l’âge de 16 ans. Cette voie a fait ses preuves.

Il y a, ensuite, une voie d’admission exceptionnelle au séjour pour ceux qui sont pris en charge entre 16 et 18 ans, et qui justifient d’au moins six mois de formation professionnelle sous certaines conditions. C’est exactement la situation que vous avez décrite, monsieur le sénateur.

La circulaire du 28 novembre 2012, dite circulaire Valls, sur l’admission exceptionnelle au séjour permet par ailleurs de traiter certaines situations particulières n’entrant pas dans ce cadre, notamment le cas des mineurs isolés qui poursuivent des études avec assiduité et sérieux.

Une autre circulaire du 21 septembre 2020 prévoit un examen anticipé du droit au séjour, justement pour éviter les ruptures brutales de droit pour les mineurs isolés placés à l’aide sociale à l’enfance au moment de leur majorité.

Toutefois, lors de l’examen du droit au séjour, des difficultés se concentrent parfois sur l’authentification de l’identité et de la nationalité. En 2019, les services de la police aux frontières ont ainsi détecté 1 139 documents présumés faux dans ce cadre. (M. François Patriat applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. Henri Leroy. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Henri Leroy. En 2018, la loi Asile et immigration était présentée devant notre hémicycle comme une loi de fermeté. Trois ans après, mes chers collègues, le bilan que nous pouvons en faire est accablant.

Madame la ministre, je tiens à partager avec vous trois constats, montrant à quel point la situation est grave.

D’abord, vous avez délivré plus de 275 000 titres de séjour en 2019. C’est 20 % de plus en trois ans.

Je rappellerai que vous avez même étendu la réunification familiale aux frères et sœurs des réfugiés mineurs.

Par ailleurs, 31 188 admissions exceptionnelles au séjour ont été enregistrées en 2019, soit 63 % de plus que sous le mandat de Nicolas Sarkozy.

Enfin, sur les trois dernières années, près de 10 % à peine des obligations de quitter le territoire français prononcées ont été appliquées.

Vous l’avez compris, mes chers collègues, la loi Asile et immigration est passée à côté de ses promesses. Non seulement la situation ne s’est pas améliorée, mais elle s’est fortement détériorée.

Mon collègue Sébastien Meurant propose depuis de longs mois la création d’une mission d’information sur le coût de l’immigration. Ma question est simple, madame la ministre : à combien estimez-vous le coût global réel de l’immigration pour la France ? Allez-vous enfin lever ce tabou ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Guy Benarroche sexclame.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. En matière de politique d’immigration et d’intégration, le budget de l’État fait l’objet chaque année d’un document de politique transversale, qui est adossé au projet de loi de finances. Ce sont dix-neuf programmes, répartis au sein de treize missions du budget général de l’État, qui participent à cette politique, pour un montant global d’environ 6,6 milliards d’euros pour l’année 2021.

Cette somme englobe, à la fois, des dépenses engagées directement au titre de la politique publique d’immigration, d’asile et d’intégration des primo-arrivants, les coûts engagés par les forces de sécurité pour lutter contre l’immigration irrégulière, mais aussi les dépenses supportées par les ministères de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche ou des solidarités et de la santé, par exemple au titre de l’aide médicale d’État (AME) – c’est bien normal !

Une approche plus globale suppose de mettre en rapport les coûts et les contributions de l’immigration pour les finances publiques. La dernière étude de l’OCDE, publiée au mois de novembre 2021, indique qu’en moyenne, dans les vingt-cinq pays pour lesquels des données sont disponibles, la contribution des personnes immigrées au cours de la période allant de 2006 à 2018, notamment sous la forme d’impôts ou de cotisations, a été bien supérieure aux dépenses publiques consacrées à leur protection sociale, leur santé ou leur éducation.

M. Stéphane Ravier. On peut en faire venir 10 millions de plus, alors !

Mme le président. La parole est à M. Henri Leroy, pour la réplique.

M. Henri Leroy. Madame la ministre, à quatre mois de la fin de ce quinquennat, il n’y a plus rien à attendre de votre gouvernement. Ce que vous n’avez pas fait en cinq ans, vous ne le ferez jamais, car vous êtes complaisants et laxistes vis-à-vis d’une immigration que vous voyez, à tort, comme une chance pour la France.

Sachez, madame la ministre, que l’immigration illégale et incontrôlée est vécue comme un fardeau de plus en plus pesant par nombre de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Belrhiti. La réalité des chiffres de l’immigration est sujette à de nombreux fantasmes, et pour cause : il semble très difficile au Gouvernement de communiquer des statistiques fiables à la population.

Je tiens donc à vous interroger, madame la ministre, sur le chiffrage du nombre d’immigrés en situation irrégulière en France.

Si le caractère irrégulier du séjour de ces personnes rend complexe l’établissement d’une estimation précise, l’État dispose pourtant d’indices pour y parvenir : recoupement des fichiers des titres de séjour, de l’aide médicale d’État ou de la caisse d’allocations familiales.

Pourtant, tout se passe comme si personne ne voulait savoir, de peur que cette réalité ne soit gênante pour les pouvoirs publics.

Mme Catherine Belrhiti. En 2018, le rapport d’information de l’Assemblée nationale sur l’évaluation de l’action de l’État dans l’exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis mettait en exergue l’impossibilité pour les administrations d’estimer correctement le nombre d’habitants dans ce département. Celui-ci pourrait ainsi compter 150 000 à 400 000 étrangers en situation irrégulière, en plus des 1,6 million d’habitants officiels.

Dans son livre publié en 2020, Patrick Stefanini, ancien secrétaire général du ministère de l’immigration, estimait à 900 000 le nombre d’étrangers qui séjournaient illégalement sur le territoire.

Malgré l’aveuglement de certains démographes sur cette question, ce chiffre est objectivement inquiétant : la France accueille de plus en plus de ressortissants étrangers en dehors de tout canal officiel, alors que nos capacités d’accueil sont de plus en plus saturées et que nos dépenses sociales explosent.

Madame la ministre, le Gouvernement doit disposer de données fiables pour bien gouverner et maîtriser l’immigration. Que les Français y aient accès est aussi une exigence démocratique.

Pouvez-vous nous dire si l’État a fait des progrès dans ce domaine et, surtout, quelle est l’ampleur réelle de l’immigration irrégulière ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Il n’existe pas actuellement d’outil fiable de comptabilisation des personnes se maintenant indûment sur le territoire sans droit au séjour.

Le nombre de bénéficiaires de l’aide médicale d’État permet une première approche, puisque ce dispositif offre à certains étrangers en situation irrégulière un accès aux soins sous condition de résidence stable, c’est-à-dire avec trois mois de résidence ininterrompue en France. Au 30 septembre 2020, d’après les derniers chiffres dont nous disposons, il y aurait environ 368 890 personnes bénéficiaires de l’AME.

À compter de 2022, la mise en place du système européen d’entrée et de sortie devrait permettre d’enregistrer des données relatives aux entrées et aux sorties des ressortissants de pays tiers qui franchissent les frontières extérieures à l’Union européenne. En l’état, l’activité d’interpellations aux frontières nous donne seulement une indication de la pression migratoire à nos frontières.

Mme le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour la réplique.

Mme Catherine Belrhiti. Madame la ministre, nous comprenons de votre réponse que, sur ce point précis, l’État est toujours dans le flou.

Lors d’une séance de question d’actualité au Gouvernement en date du 6 octobre dernier, je vous suggérais la mise en place d’un système européen de hot spots, afin de gérer les demandes d’asile directement dans les pays de départ. Ce système permettrait justement de limiter le nombre d’illégaux et de mesurer plus précisément la réalité de l’immigration. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Édouard Courtial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Édouard Courtial. L’article 51 de la loi du 10 septembre 2018 permet la création d’un fichier national biométrique des personnes se déclarant mineurs étrangers isolés ou non accompagnés. Cette disposition, introduite par le Sénat, était très attendue, notamment par les conseils départementaux, qui assurent la prise en charge de ces publics, tant les fraudes et les difficultés sont nombreuses.

En tant qu’ancien président du conseil départemental de l’Oise, avec, à mes côtés, Jérôme Bascher comme vice-président, j’ai pu prendre toute la mesure de ces difficultés et de la responsabilité qui en découle, notamment lorsque l’on se retrouve avec un mineur de l’Oise à accueillir et que toutes les places d’accueil sont prises.

Or, trois ans plus tard, force est de constater que les problèmes demeurent, voire s’aggravent. Je n’ai d’ailleurs pas manqué d’interroger le Gouvernement à plusieurs reprises à ce sujet, en particulier après des actes de violences répétées commises par ces personnes autour des gares de mon département. Voilà quelques jours, une bagarre au couteau a éclaté entre deux MNA devant le foyer qui les hébergeait à Beauvais.

Je rappelle que la politique migratoire relève de l’État, et non des collectivités territoriales. Pourtant, celles-ci continuent d’en assumer les conséquences, y compris financières, avec un impact lourd sur leur budget.

Des ajustements législatifs inscrits dans le projet de loi relatif à la protection des enfants sont en cours d’adoption, prévoyant notamment une répartition plus juste des mineurs non accompagnés sur le territoire et la généralisation du recours au fichier national d’appui à l’évaluation de la minorité.

Nous pouvons regretter le temps perdu, mais aussi l’impossibilité d’aller plus loin. Nous aurions pu, par exemple, renverser la présomption de majorité ou encore interdire le regroupement familial d’un MNA pour ne pas créer un appel d’air. Ce sont autant de propositions que j’ai regroupées dans un texte déposé sur le bureau du Sénat. Je vous invite, une nouvelle fois, à vous en saisir, sans ignorer les objections juridiques qu’elles soulèvent.

Madame la ministre, allez-vous faire de la gestion des MNA une priorité au sein de votre politique migratoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Le traitement biométrique dénommé « appui à l’évaluation de la minorité » (AEM) a été mis en place à la fois pour mieux garantir la protection de l’enfance et pour lutter contre l’entrée et le séjour irrégulier d’étrangers en France, dans un contexte d’augmentation du nombre de mineurs non accompagnés.

Ce fichier national permettra non seulement de lutter contre le nomadisme entre départements, mais aussi d’éviter les détournements du dispositif de protection de l’enfance par des majeurs.

Au 1er septembre 2021, quatre-vingt-trois collectivités, quatre-vingt-deux départements et la métropole de Lyon ont signé une convention avec le préfet territorialement compétent pour l’utilisation de ce fichier, ce qui a permis d’introduire plus de 20 000 dossiers dans cet outil.

Treize départements ont décidé de ne pas recourir à ce traitement malgré la création d’un mécanisme d’incitation financière opérationnel depuis le 1er janvier 2021. Or la pleine efficacité du dispositif est conditionnée à sa mise en œuvre sur l’ensemble du territoire métropolitain.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a proposé de rendre obligatoire l’utilisation du fichier AEM sur tout le territoire, disposition insérée dans le projet de loi relatif à la protection des enfants, adopté au Sénat le 15 décembre dernier.

Mme le président. La parole est à M. Bruno Belin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Belin. Madame la ministre, on a beaucoup parlé d’immigration cet après-midi. Je souhaite que l’on aborde enfin l’asile.

Au mois d’août 2021, la prise de Kaboul par les talibans a laissé le monde ébahi. La France a alors pris des engagements qui l’honorent ; je pense notamment à la promesse d’accueillir 2 500 réfugiés afghans. Pour autant, l’Allemagne a pris un engagement dix fois supérieur au nôtre et le reste de nos partenaires européens se sont engagés à en accueillir deux fois plus que nous.

Madame la ministre, sur la question de l’accueil de réfugiés afghans, où en sommes-nous ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur nos liens avec l’Afghanistan. La France a répondu présent dès le mois d’avril dernier. Nous avons ainsi rapatrié sur notre territoire les personnels ayant travaillé pour nous, soit avec l’armée française, soit avec les services diplomatiques français, et ce bien avant la prise de Kaboul par les talibans.

Par la suite, la France a continué à se mobiliser. Je veux saluer notamment les membres du RAID, pour recherche assistance intervention dissuasion, les membres des forces de l’ordre, de la sécurité intérieure, ainsi que les militaires, mais aussi les services diplomatiques qui, jusqu’à la dernière minute, ont travaillé à Kaboul.

Depuis le mois de mai dernier, la France a accueilli près de 4 000 Afghans ayant travaillé avec nos armées ou les services diplomatiques, ou ayant particulièrement été menacés en raison de leur engagement. C’est là le sens premier et la définition de l’asile, c’est-à-dire l’accueil de personnes qui, en raison de leur engagement, sont particulièrement menacées dans leur pays d’origine. Nous avons donc vocation à les accueillir en France.

À la fin du mois de décembre dernier, 2 375 demandes d’asile ont été enregistrées, notamment par des personnes venant d’Afghanistan. D’ores et déjà, près de 1 400 décisions de protection ont été prises par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’Ofpra.

Par ailleurs, les services de l’État ont signé des contrats territoriaux d’accueil et d’intégration (CTAI) avec un certain nombre de collectivités pour qu’elles puissent s’engager dans l’intégration de ces personnes venant d’Afghanistan.

Mme le président. La parole est à M. Bruno Belin, pour la réplique.

M. Bruno Belin. Madame la ministre, je vous remercie de ces éléments de réponse. La situation en Afghanistan est apocalyptique : les femmes, les jeunes filles et les enfants vivent sous la pression des terroristes. Ils risquent tous les jours de mourir. Par ailleurs, la famine menace, ce qui aggravera la situation des populations.

La situation des femmes nous préoccupe particulièrement, comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises dans le cadre de la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, présidée par Annick Billon.

Madame la ministre, je forme devant vous le vœu que notre assemblée, au travers de la délégation des droits des femmes, organise une mission d’observation pour sensibiliser à la situation en Afghanistan. Nous ne pourrons pas dire que nous n’étions pas au courant ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. Joël Bigot applaudit également.)

Conclusion du débat

Mme le président. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme Valérie Boyer, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Valérie Boyer, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en 1991, l’ancien Président Valéry Giscard d’Estaing s’interrogeait : « Immigration ou invasion ? »

Trente et un ans après, certains pourraient se poser la même question.

Aussi, mes chers collègues, je crois que nous avons le devoir d’avoir un débat serein sur cette question et je remercie le président notre groupe, Bruno Retailleau, de l’avoir inscrit à l’ordre du jour de nos travaux. Je remercie également Roger Karoutchi d’avoir introduit ce débat.

Plus de trois ans après la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, force est de constater que ces problématiques demeurent plus que jamais d’actualité.

Certes, on nous dira que les moyens de l’Ofpra et de la Cour nationale du droit d’asile sont en hausse, que la police aux frontières a été mobilisée de manière accrue aux frontières ou que le nombre de places en centre de rétention administrative augmente. C’est éminemment nécessaire, mais cela ne suffit pas, loin de là.

Les chiffres sont en effet têtus et révèlent le manque de maîtrise des pouvoirs publics sur les flux et les dépenses.

Notre collègue Sébastien Meurant l’a bien illustré dans son rapport pour avis du projet de loi de finances pour 2022. Il rappelle que le financement de l’allocation pour demandeur d’asile, l’ADA, était en hausse, à environ 467 millions d’euros, mais que ce financement initial avait été quasi systématiquement dépassé lors de l’exécution des budgets précédents. On ne peut donc guère parler de « maîtrise » quand les dépenses excèdent systématiquement les prévisions et qu’une infime fraction seulement de certaines décisions essentielles à l’effectivité de la politique en question fait l’objet d’une exécution !

Cela ne se résume pas à de l’arithmétique. La situation sur le terrain demeure dégradée. Les évacuations de campements sauvages émaillent l’actualité ; notre ancien collègue de Seine-Saint-Denis, Philippe Dallier, s’en faisait encore l’écho dans une question d’actualité au Gouvernement il y a un peu plus d’un an. Catherine Belrhiti a également souligné cette situation.

Pendant ce temps, les événements sur les bords de la Manche, à la frontière de la Pologne et en Méditerranée nous rappellent que les flux migratoires se poursuivent et qu’une gestion réaliste et digne de leur accueil s’impose. La baisse temporaire de certains indicateurs pendant la durée de la crise sanitaire ne doit pas nous le faire oublier.

Face à ce constat, nous ne pouvons plus nous permettre d’hésiter davantage.

En raison des évolutions démographiques, géopolitiques et environnementales, la pression migratoire aux frontières de l’Europe ne devrait cesser de croître au cours des prochaines années.

Nous le savons, la population africaine devrait doubler d’ici à 2050. Cela impose de renouveler notre droit en profondeur.

Or, jusqu’alors, le Gouvernement a manqué d’ambition et n’a pas agi suffisamment. Le Président Macron a estimé tour à tour que l’on ne pouvait pas parler de crise migratoire et que l’immigration constituait une chance. Son discours a, par la suite, changé, mais les actes ne sont toujours pas là !

Vous avez manqué d’ambition sur les expulsions.

Vous n’avez pas souhaité revenir sur le délit de séjour illégal.

En 2018, vous avez étendu le regroupement familial – réunification familiale aux frères et sœurs de réfugiés mineurs, augmentant l’arrivée d’étrangers par ce biais, comme l’a rappelé notre collègue Henri Leroy.

Vous n’avez pas fait grand-chose pour les mariages de complaisance.

Vous avez laissé exploser le nombre des MNA, comme vient de le souligner Édouard Courtial.

Vous n’avez rien fait non plus en matière d’intégration, puisque le Conseil constitutionnel a censuré la proposition du Sénat, qui aurait garanti la possibilité de refuser le renouvellement des titres de séjour aux personnes qui refusent nos valeurs.

Vous avez refusé le contrôle aux frontières, sauf au début de la crise sanitaire où vous avez retrouvé la notion de frontières. Fallait-il en arriver là ?

Vous avez refusé de conditionner l’aide publique au développement à la délivrance des laissez-passer consulaires.

Vous avez refusé la proposition du Sénat concernant la révocation du statut de réfugié pour les personnes condamnées pour apologie du terrorisme.

Vous avez refusé le renforcement des peines complémentaires d’interdiction du territoire pour les étrangers en situation irrégulière qui commettent certains crimes et délits graves.

Vous avez refusé d’aggraver les peines pour les trafiquants d’êtres humains.

Vous avez refusé que tout rejet définitif d’une demande d’asile vaille obligation définitive de quitter le territoire français.

Vous avez refusé d’inscrire les demandes d’asile dans les pays d’origine, comme l’a rappelé Stéphane Le Rudulier.

La réalité est que vous êtes liés à des textes supranationaux qui vous empêchent de lutter contre l’immigration de masse. Je pense à la Convention européenne des droits de l’homme. Je pense aussi à l’accord franco-algérien de 1968 ; d’ailleurs les premières démarches – espérons-le enfin sérieuses – pour les laissez-passer consulaires démarrent à moins de cent jours de la fin du mandat présidentiel !

Nous pourrions aussi évoquer le pacte de Marrakech.

Au moment où la France assure la présidence du Conseil de l’Union européenne, pourquoi ne pas renégocier ou suspendre l’application de certaines directives de l’Union européenne ?

Le débat que nous avons eu cet après-midi est, hélas, bien fidèle aux précédents. Le résultat, c’est 2 millions d’étrangers en plus durant votre quinquennat, ce qui fait souffrir les migrants mal accueillis et mal intégrés, mais aussi des Français qui se sentent dépossédés et malheureux de cette situation.

Vous êtes forts dans les mots et faibles dans les actes. C’est pourquoi la question de l’immigration restera probablement l’un des plus gros échecs de votre quinquennat ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Trois ans après la loi “Asile et immigration”, quel est le niveau réel de maîtrise de l’immigration par les pouvoirs publics ? »

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq.)

Mme le président. La séance est reprise.

8

Candidatures à une commission mixte paritaire

Mme le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée l’élaborer un texte sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

9

 
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour une meilleure prise en compte de la qualité de la vie étudiante, pour renforcer l'accompagnement des étudiants à toutes les étapes de leur parcours et pour dynamiser l'ancrage territorial de l'enseignement supérieur
Discussion générale (suite)

Meilleure prise en compte de la qualité de la vie étudiante

Adoption d’une proposition de résolution

Mme le président. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de résolution pour une meilleure prise en compte de la qualité de la vie étudiante, pour renforcer l’accompagnement des étudiants à toutes les étapes de leur parcours et pour dynamiser l’ancrage territorial de l’enseignement supérieur, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Laurent Lafon et plusieurs de ses collègues (proposition n° 6).

Dans la discussion générale, la parole est M. Laurent Lafon, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Laure Darcos applaudit également.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour une meilleure prise en compte de la qualité de la vie étudiante, pour renforcer l'accompagnement des étudiants à toutes les étapes de leur parcours et pour dynamiser l'ancrage territorial de l'enseignement supérieur
Discussion générale (fin)

M. Laurent Lafon, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, sur l’initiative du groupe Union Centriste, le Sénat a créé une mission d’information sur les conditions de la vie étudiante.

J’avais formulé cette demande au mois de décembre 2019, soit quelques semaines avant la crise de la covid. En effet, comme certains observateurs de la vie étudiante, nous étions préoccupés par la précarisation qui touchait depuis plusieurs mois un nombre grandissant d’étudiants.

Pour des questions de calendrier, cette mission d’information s’est déroulée au premier semestre de 2021, alors que la crise sanitaire avait entretemps durement touché notre pays, singulièrement le milieu étudiant.

La crise de la covid n’a pas créé le mal-être de certains étudiants. Elle l’a amplifié, elle l’a surtout rendu public. L’opinion a alors découvert que la période des études supérieures était pour certains un chemin semé d’embûches : difficulté de boucler les fins de mois, conditions de logement dégradées et coûteuses, accès aux soins compliqué, alimentation insuffisante, etc. Autant de difficultés qui peuvent affecter les étudiants.

Pour certains, la réussite des études devient un défi dès lors que le milieu familial n’est pas en mesure d’apporter l’aide nécessaire. Notre modèle républicain d’égalité des chances est pour ceux-là fortement altéré.

Les images révélées par la crise sanitaire d’étudiants faisant la queue aux Restos du Cœur pour se nourrir ou isolés dans des chambres d’étudiants trop petites sont le résultat en fait d’un triple manquement.

Tout d’abord, l’augmentation continue du nombre d’étudiants non anticipée depuis plusieurs années principalement à l’université, entre 20 000 et 35 000 étudiants supplémentaires chaque année, s’est faite au détriment d’un accueil qualitatif des étudiants.

Ensuite, les politiques d’accompagnement à la réussite étudiante n’ont pas été prioritaires et n’ont pas fait l’objet d’efforts budgétaires suffisants pour apporter des solutions satisfaisantes aux situations de détresse.

Enfin, la population étudiante est peu connue et ses difficultés sont insuffisamment analysées. Malgré le travail de qualité de l’Observatoire national de la vie étudiante, la connaissance que nous avons d’elles est insuffisante à l’échelon national comme au sein de chaque établissement universitaire. Quel est le nombre d’étudiants dans la précarité : 10 %, 15 %, 20 %, plus ? Personne ne le sait.

Pourtant, comment ne pas penser que les difficultés de revenu, de logement, de santé sont l’une des causes majeures de l’échec élevé en première année de licence ?

C’est dans ce contexte et avec ces questions que la mission d’information a mené son travail pendant plus de quatre mois sous la présidence de Pierre Ouzoulias, que je tiens à remercier non seulement de sa connaissance du secteur, mais aussi du souci qu’il a eu de favoriser un climat de travail consensuel, qui a permis un vote à l’unanimité du rapport d’information et des propositions qui fondent cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Quelles sont ces propositions ? Faute de temps, je ne peux toutes les présenter, mais je m’arrêterai quelques instants sur les principales. Elles s’articulent autour de quatre axes : privilégier l’ancrage territorial de l’enseignement supérieur, tirer les conséquences de la crise pour améliorer la condition étudiante, mieux accompagner les étudiants dans leur parcours, lutter contre la précarité financière.

Premièrement, il s’agit de privilégier l’ancrage territorial de l’enseignement supérieur.

Pendant la crise sanitaire, nous avons tous constaté l’engagement des collectivités territoriales auprès des étudiants. Nous savons également l’importance de l’ancrage local des établissements d’enseignement supérieur au travers des relations qu’ils entretiennent avec les collectivités territoriales, les entreprises et le milieu associatif. Ces relations concourent, entre autres, à favoriser l’accès des étudiants aux stages et à renforcer l’attractivité de nos territoires.

Il nous semble donc nécessaire d’intégrer les problématiques d’enseignement supérieur et de leur localisation dans le cadre des politiques d’aménagement de nos territoires.

Développer une offre de proximité est un levier d’amélioration de la qualité de vie des étudiants. Nous préconisons une conception territorialisée et diversifiée des cycles universitaires permettant, par exemple, de réaliser un premier cycle dans un établissement de proximité, de taille restreinte, qui favorise un accompagnement personnalisé et évite l’éloignement familial. En quelque sorte, il s’agit de mettre fin au phénomène de métropolisation qui a poussé depuis des années à investir massivement dans de grands centres universitaires.

L’ancrage territorial passe également par une offre de logements étudiants adaptée. On le sait, le logement constitue un problème majeur pour un grand nombre d’étudiants. Aujourd’hui, en France, il manque près de 250 000 logements étudiants.

Si de multiples plans pour accélérer la construction ont été mis en place, ils ne l’ont pas toujours été de manière efficace et n’ont pas atteint leur cible. Le dernier plan en date en est une nouvelle preuve : 60 000 logements devaient être construits d’ici à 2022 ; moins de 24 000 l’ont été à la fin de l’année 2020, ce qui laisse à penser que l’objectif ne sera pas atteint.

Nous proposons donc d’intégrer pleinement les collectivités dans les politiques de construction des logements étudiants en territorialisant et contractualisant les objectifs avec elles. En effet, la prise en compte des spécificités de nos territoires est nécessaire, tout comme la participation de nos collectivités pour proposer une offre pertinente.

Au-delà de l’importance du maillage et des politiques territoriales, la crise sanitaire a révélé la nécessité de renforcer l’offre de santé sur les campus universitaires.

Deuxièmement, il s’agit de tirer les conséquences de la crise sanitaire en matière d’offre de santé.

Actuellement, l’offre de santé sur les campus repose essentiellement sur les actions de services de médecine préventive et de promotion de la santé, dont le champ d’action est très limité et dont les moyens demeurent insuffisants.

À titre d’exemple, il y avait au début de la crise un équivalent temps plein, ou ETP, d’infirmière pour 10 000 étudiants, un ETP de médecin pour 16 000 étudiants et un ETP de psychologue pour 30 000 étudiants. Le taux de couverture est donc faible, alors que seulement un étudiant sur quatre déclare consulter un service médical durant son parcours universitaire.

La crise sanitaire a mis en lumière l’insuffisance et les limites de ce système et a contribué à l’émergence de nouveaux besoins, notamment en matière d’accompagnement psychologique et de prise en charge des frais de santé.

Du point de vue de la prévention psychologique, par exemple, il existe seulement dix-huit bureaux d’aide psychologique universitaire (BAPU) en France et certaines agglomérations comme Bordeaux ou Lyon n’en disposent pas.

Nous appelons donc à dynamiser sensiblement l’offre de services de santé universitaires par un renforcement des réseaux avec les médecines de ville ou hospitalière, à renforcer l’accompagnement psychologique des étudiants en prolongeant l’accès gratuit aux soins psychologiques et à résoudre les difficultés d’affiliation qui compromettent la protection sociale de certains étudiants ultramarins.

Troisièmement, la crise sanitaire a mis en évidence la nécessité de garantir un meilleur accompagnement des étudiants. En la matière, elle a montré le rôle clé des établissements universitaires, notamment en matière alimentaire.

Je vous rappelle qu’un quart des étudiants dont les difficultés financières se sont aggravées pendant le premier confinement ont déclaré ne pas toujours avoir pu manger à leur faim pour des raisons financières.

En conséquence, nous invitons à prolonger le dispositif du repas à un euro dans les restaurants universitaires pour les étudiants boursiers et à faire en sorte que les étudiants aient accès, dans tous les territoires, à une offre de restauration adaptée par des partenariats avec les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires, les Crous.

Au-delà des aides et du soutien financier, il convient de repenser notre rapport à l’emploi étudiant. Même s’il renvoie à une grande diversité de situations, il concourt nécessairement à l’amélioration de la condition de vie étudiante.

L’exercice d’une activité peut néanmoins devenir un problème si elle entre en concurrence avec les études. Il est donc nécessaire d’identifier les étudiants pour lesquels la charge de travail liée à cet emploi est susceptible de nuire à la réussite universitaire et de leur offrir un accompagnement personnalisé.

Nous plaidons donc pour le développement d’activités salariées qui puissent se concilier avec les études, notamment au sein même des établissements universitaires, et pour la création d’un statut d’étudiant.

Quatrièmement, il s’agit de lutter contre la précarité financière des étudiants. Il importe donc de poser la question de leurs besoins financiers.

Ces deux dernières années ont aggravé les difficultés financières des étudiants et une grande partie d’entre eux déclaraient ne pas avoir assez d’argent pour couvrir leurs besoins.

Je tiens tout d’abord à saluer le travail et l’implication exceptionnels des associations étudiantes durant la crise sanitaire. Elles méritent d’être soutenues.

Actuellement, le soutien financier repose essentiellement sur les aides publiques, qui sont constituées pour l’essentiel des bourses et des aides au logement.

J’appelle particulièrement votre attention sur la question des bourses. Il y a en effet beaucoup à dire sur les échelons et les effets de seuils. De plus, les bourses ne prennent pas en compte la notion de pouvoir d’achat et la réalité des dépenses liées à la vie étudiante. En fonction de l’implantation géographique ou encore du coût du logement, l’impact sur le pouvoir d’achat n’est pas le même.

Nous recommandons donc d’instaurer le calcul d’un « reste à charge » après la prise en compte des dépenses obligatoires pour mieux cibler les étudiants qui ont besoin d’une aide supplémentaire.

Nous ne pouvons que regretter que la réforme des bourses pourtant annoncée par le Président de la République n’ait toujours pas été réalisée. Elle semble avoir été abandonnée, n’étant semble-t-il pas jugée prioritaire par Bercy. Quel message, alors que l’État a pourtant trouvé ces derniers mois l’argent nécessaire pour lutter contre les effets de la crise sanitaire !

Je terminerai en soulignant deux autres propositions complémentaires à la réforme des bourses : d’une part, la mise en place d’un dispositif de guichet unique en matière d’aides sociales, d’autre part, l’élaboration et la généralisation d’outils au sein des établissements universitaires pour cibler et assurer l’accompagnement des étudiants ayant un besoin spécifique.

Voilà quelques-unes des propositions que nous avons formulées.

Mme le président. Veuillez conclure, cher collègue.

M. Laurent Lafon. Elles sont des réponses concrètes aux difficultés rencontrées par les étudiants. L’actualité récente montre que la crise sanitaire n’est pas terminée.

Mme le président. Il faut conclure !

M. Laurent Lafon. Les causes structurelles de la précarité étudiante n’ont pas non plus disparu. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes SER et Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme le président. Je rappelle que chacun doit respecter son temps de parole. Je couperai les micros en cas de dépassement.

La parole est à M. Yan Chantrel.

M. Yan Chantrel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution qui nous est soumise aujourd’hui, résultat des travaux de la mission d’information sur les conditions de vie étudiante en France, fait un constat clair et incontestable : la pandémie, qui nous touche tous depuis deux ans, a frappé de plein fouet notre jeunesse.

Ce constat, nous le partageons entièrement. C’est la raison pour laquelle notre groupe votera cette proposition de résolution.

Au-delà des formules consensuelles de ce texte, qui ont permis de rassembler des signatures émanant de toutes les travées de notre assemblée, il me paraît indispensable de dire qu’il y a aujourd’hui urgence à agir pour remédier aux maux qui touchent les étudiants de France !

Dans le cadre d’une étude récente menée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et l’université de Bordeaux, 37 % des étudiants interrogés déclaraient des troubles dépressifs et 27 % d’entre eux des symptômes d’anxiété, sans compter ceux qui souffrent d’isolement. Un étudiant sur six rapportait même des pensées suicidaires !

Aujourd’hui encore, alors que les partiels du mois de janvier se profilent, les incertitudes pesant sur l’organisation des examens et les constants changements de règles sanitaires décidés par le Gouvernement ajoutent du stress à leur angoisse. Partout sur le territoire, on arrive à saturation pour ce qui est de répondre aux demandes des étudiants en matière de consultations psychologiques.

Cette détresse de notre jeunesse, nous en sommes tous témoins. Qui n’a pas une fille, un neveu, une proche, confronté à des difficultés psychologiques ou financières pendant ses études ?

Face à cette réalité, l’aveuglement et le déni du Gouvernement constituent une violence supplémentaire infligée à la jeunesse de France.

Dans leur rapport annuel 2020-2021, les Restos du Cœur nous alertent : la moitié des personnes accueillies ont moins de 25 ans et, au sein des « nouveaux publics » qui viennent chercher une aide alimentaire depuis le début de la pandémie, les étudiants, notamment ceux qui ont perdu leur job pendant la crise, forment un lourd contingent.

Nous avons tous été saisis d’effroi devant ces files interminables d’étudiants attendant de recevoir une aide alimentaire partout en France, l’année dernière. Beaucoup de jeunes se retrouvent aujourd’hui encore sans filet de sécurité durant leurs études.

Face à la détresse de cette jeunesse que nous voyons s’enfoncer dans la précarité, nous ne pouvons rester les bras ballants en déplorant de voir une génération sacrifiée. C’est la raison pour laquelle nous défendons, comme nous l’avions fait en 2021 à l’Assemblée nationale, l’instauration d’un « minimum jeunesse », qui passerait notamment par l’extension du RSA au moins de 25 ans. Ce revenu de base pour les jeunes est une proposition de bon sens, d’ailleurs soutenue par deux tiers des Français, qui permettrait de répondre immédiatement à l’urgence sociale concernant notre jeunesse.

Ne nous y trompons pas, en effet : si la crise liée à la pandémie a amplifié les difficultés rencontrées par les étudiants, elle n’a fait que mettre en exergue les problèmes structurels auxquels l’université française doit faire face depuis beaucoup trop longtemps. La précarisation des étudiants de France, c’est aussi le résultat de son sous-financement.

Les moyens alloués à nos universités ne sont pas à la hauteur de la tâche qui leur incombe ! Le Conseil d’analyse économique pointait récemment que le niveau de dépense publique par étudiant est en baisse depuis plusieurs années. Par ailleurs, tandis que les effectifs étudiants ont augmenté de 20 % à l’université ces dix dernières années, le nombre d’enseignants a quant à lui diminué de 2 %.

À cette situation s’ajoutent de très fortes disparités entre cursus : 11 000 euros par étudiant pour un cycle de licence en lettres et sciences humaines, contre 60 000 euros pour un cursus en école d’ingénieurs ; une moyenne de 9 enseignants-chercheurs pour 100 étudiants en école d’ingénieurs, contre 3,5 en licence de sciences humaines.

Si, en France, nos étudiants souffrent plus que dans de nombreux autres pays – je peux en témoigner en tant que parlementaire des Français de l’étranger –, c’est aussi en raison de cette exception française d’un système à deux vitesses, grandes écoles et universités, qui favorise les premières au détriment des secondes.

Outre qu’il engendre entre-soi et reproduction sociale, ce système favorise une sous-dotation endémique de l’université. Est ainsi créée une concurrence déloyale au profit des plus nantis, ce qui aboutit à un manque de reconnaissance des formations universitaires, terreau rendu fertile pour nourrir la détresse des étudiants les plus vulnérables.

N’oublions jamais que prendre soin de notre jeunesse, c’est prendre soin de l’avenir de notre pays. C’est aussi se donner les moyens d’affronter les défis climatiques, économiques et démocratiques qui sont devant nous.

C’est pourquoi il est grand temps d’investir dans la formation de notre jeunesse et de lui garantir les conditions d’une vie digne. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la crise sanitaire qui frappe notre pays et le monde depuis maintenant deux ans aura bouleversé nos vies à bien des égards. Elle aura aussi été un électrochoc pour les 2,8 millions d’étudiants en France, un révélateur de la précarité dans laquelle un grand nombre d’entre eux se trouvent.

Elle aura ainsi mis en lumière un malaise certain auquel il nous faut répondre.

Comment ne pas comprendre ce malaise, lorsque l’on voit ces étudiants faire la queue pour recevoir une aide alimentaire ?

Comment ne pas comprendre ce malaise, lorsque l’on entend les témoignages d’étudiants déprimés, isolés, alors même que l’on a coutume de dire que les années d’études supérieures sont les plus belles de nos vies, puisqu’elles sont l’occasion de gagner en autonomie, en connaissances et en responsabilité ?

Ce moment crucial nécessite que les étudiants, pour pouvoir s’épanouir pleinement et se former, disposent de conditions d’existence décentes. Il nécessite également un suivi efficace et individualisé permettant aux étudiants de s’adapter à leur nouvel environnement, suivi que les « visios » ne peuvent malheureusement pas remplacer.

Face à ce malaise qui s’exprime, le Sénat a décidé, au mois de mars 2021, de créer une mission d’information sur les conditions de la vie étudiante en France. Celle-ci a avant tout permis d’écouter les principaux concernés, en premier lieu les associations d’étudiants, afin de mieux comprendre cette réalité. Elle a également apporté, grâce aux nombreux échanges et déplacements effectués durant près de quatre mois, des pistes de réflexion intéressantes pour répondre aux difficultés que rencontrent les étudiants dans leur quotidien.

Le rapport d’information issu de nos travaux verse donc au débat un certain nombre de propositions sur des thématiques diverses.

Je pense à la crise du logement et aux 250 000 logements étudiants qui manquent pour répondre à la demande. Nous proposons notamment de relancer la dynamique de création de logements étudiants sur l’ensemble du territoire en prenant en compte les perspectives d’évolution de la démographie étudiante et le prix local de l’immobilier.

Je pense à l’accès aux soins, à la santé psychologique et à l’alimentation, quand nous savons que près d’un étudiant sur deux déclare sauter des repas pendant une semaine de cours.

La santé mentale des étudiants, en particulier durant cette période de crise sanitaire, doit également être au cœur de nos préoccupations.

Je pense à l’encadrement de l’enseignement à distance, celui-ci ayant parfois montré ses limites pour un certain nombre d’étudiants qui ne disposaient pas d’outils numériques ni même d’un logement adéquat pour étudier dans les meilleures conditions.

L’accès aux stages, qui occupent désormais une place centrale dans de nombreux cursus, reste une source de préoccupation pour les étudiants, en particulier pour ceux qui n’ont pas la chance d’avoir un réseau à leur disposition.

Il s’agit pourtant d’un enjeu majeur, puisque les stages conditionnent souvent l’obtention du diplôme et favorisent une insertion plus rapide sur le marché du travail.

À cet égard, le Gouvernement a apporté des réponses concrètes via le plan « 1 jeune, 1 solution », doté de 9 milliards d’euros, qui comprend un volet spécifique destiné aux offres de stages.

Je pense, enfin, à l’emploi étudiant, puisque quatre étudiants sur dix travaillent en plus de leurs études pour payer leur loyer, rembourser leur prêt étudiant ou tout simplement vivre dans des conditions dignes.

Je veux ici saluer le travail de cette mission d’information et l’esprit de consensus de son président, Pierre Ouzoulias, et de son rapporteur, Laurent Lafon, auteur de cette proposition de résolution.

Nos travaux démontrent l’intérêt du Sénat pour ces problématiques majeures et notre volonté commune d’y apporter des solutions.

Le Gouvernement et la majorité présidentielle sont pleinement conscients des difficultés que rencontrent les étudiants, en particulier durant la crise sanitaire.

C’est pourquoi un certain nombre de dispositifs ont été mis en place pour accompagner les étudiants, notamment d’un point de vue financier et sanitaire.

Ainsi, le dispositif des « chèques psy » a permis aux étudiants qui en avaient besoin d’aller consulter un psychologue sans avoir à avancer de frais. La mission d’information a d’ailleurs salué ce dispositif et en propose la prolongation.

Les repas à un euro pour tous les étudiants, boursiers ou non, furent l’un des outils de lutte contre la précarité alimentaire, que la crise a amplifiée. Le gel des loyers dans les résidences universitaires et le gel des droits d’inscription ont également participé à cette lutte contre la précarité étudiante.

Le renforcement du dispositif des prêts étudiants garantis par l’État à hauteur de 20 000 euros permet aux étudiants d’emprunter pour financer leurs études, sans apport personnel.

La revalorisation des bourses sur critères sociaux est enfin un outil de justice sociale, puisqu’elle permet à des milliers d’étudiants de poursuivre leur cursus dans les meilleures conditions.

En tout état de cause, le groupe RDPI soutiendra cette proposition de résolution, qui pose des principes et des recommandations que ses membres partagent pleinement.

Son adoption permettra d’envoyer un message fort à l’ensemble des acteurs du monde étudiant et aux étudiants eux-mêmes. Elle témoignera en outre de la prise en compte des difficultés rencontrées par les étudiants et du malaise exprimé par nombre d’entre eux durant la crise sanitaire, et de notre volonté de les accompagner davantage.

Notre ambition commune consiste à faire en sorte que la « génération covid » et les générations futures puissent s’épanouir dans leurs études, se former et s’insérer durablement sur le marché de l’emploi.

Nous voterons donc avec enthousiasme cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC. – Mme Monique de Marco, MM. Hussein Bourgi et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, prendre soin de nos jeunes, c’est préparer notre avenir. C’est une évidence pour tous les parents ; ce devrait l’être pour tous les pays. Investir dans la jeunesse, c’est miser sur l’avenir en stimulant l’excellence qui nous permettra de tenir notre rang.

C’est particulièrement vrai pour les étudiants, qui se forment pour participer à un projet de société. Cette période d’études joue un rôle charnière entre deux moments de la vie ; elle cristallise, pour beaucoup, le passage effectif à l’âge adulte.

Or, depuis le début de la pandémie, voilà près de deux ans maintenant, beaucoup de nos jeunes ont l’impression d’être passés à côté de leur vie étudiante, si l’on peut dire, comme si le virus leur avait volé ces années qu’on leur promettait si heureuses et si intenses. Ils éprouvent le sentiment d’avoir joué de malchance. Nous connaissons tous des jeunes qui nous ont fait part de cette immense déception.

C’est pourquoi je tiens à saluer l’initiative de cette proposition de résolution. Elle a, à mes yeux, l’immense mérite de poser une question fondamentale pour nos travaux : celle de la qualité de vie des étudiants. Indirectement, comme je l’ai dit d’emblée, c’est de l’avenir de notre pays qu’il est en fait question.

Je tiens aussi à souligner le calendrier retenu pour l’examen de ce texte. J’y vois trois éléments importants.

Le premier élément de calendrier, c’est bien évidemment la crise sanitaire, qui dure depuis bientôt deux ans. Nombre de nos jeunes considèrent déjà – à juste titre, selon moi – que cette période de leur vie a été gâchée par le virus.

Pour une large part, le mal est fait, car on ne récupère pas ces années-là. Comme c’est le cas pour tous les autres sujets, cette crise extraordinaire doit nous donner l’occasion de réfléchir aux moyens d’améliorer la situation ordinaire.

Possibilité nous est ainsi donnée de poser un diagnostic lucide sur ce qui constitue la qualité de vie des étudiants.

De façon évidente, la crise nous a rappelé que les études ne se résumaient pas à l’absorption de contenus pédagogiques.

Tâchons donc, à l’avenir, de nous souvenir que le contact humain avec les professeurs, la convivialité et les échanges intellectuels avec les camarades, la fréquentation des locaux de son école ou de son université, voire le fait d’habiter sur un campus, de vivre là où se crée et se transmet le savoir, d’y faire du sport, activité bien mise à mal par la pandémie, sont autant d’éléments déterminants pour la qualité de vie des étudiants.

Il y a donc une dimension spatiale, physique, des études, qui les ancre dans un territoire, dans une géographie donnée. J’insiste sur ce point, car cette dimension me paraît essentielle aux travaux du Sénat, chambre des territoires. Eh oui, mes chers collègues, on n’est pas étudiant dans le métavers !

Nous sommes tous ici attachés à la dynamisation de nos territoires. Or nous savons aussi l’effet d’entraînement que les lieux de formation, d’études et de recherche ont sur les bassins d’activité.

Ces lieux stimulent bien sûr des activités directes, logement, restauration, transports, culture, voire tourisme.

Plus structurellement, développer des lieux d’études sur un territoire, c’est catalyser une dynamique d’activité ; c’est miser sur une formation, une industrie, un environnement ; c’est accroître l’innovation et l’encadrement au sein même des entreprises locales ; c’est stimuler, demain, un rayonnement de la souveraineté intellectuelle et économique de notre pays.

En d’autres termes, travailler à améliorer la qualité de vie des étudiants, ce n’est pas du tout offrir un confort superflu : c’est investir pour œuvrer, de façon concrète et opérationnelle, au redressement, à l’indépendance et au rayonnement de notre pays.

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

Mme Vanina Paoli-Gagin. C’est pourquoi je soutiens plusieurs des recommandations contenues dans cette proposition de résolution.

Je pense notamment au dispositif, déjà évoqué, de guichet unique en matière d’aides sociales, qui doit simplifier la vie des étudiants et faciliter leurs projets d’études et de mobilité.

Je pense également à la prolongation du dispositif des repas à un euro, lancé par le Gouvernement, qui répond concrètement aux problèmes des étudiants précaires.

Je songe enfin à la facilitation du cumul entre études et jobs étudiants, qui contribue aussi à la formation professionnelle.

Le deuxième élément de calendrier qui me paraît important, c’est bien évidemment la proximité des prochaines échéances électorales, qui structure largement notre débat public.

Dans ce contexte, toute initiative plaçant la qualité de la vie de nos étudiants au cœur des débats est utile. Bien sûr, chacun promouvra des propositions différentes, suivant sa sensibilité politique, mais je crois que nous pouvons tous ici nous accorder sur l’enjeu vital que représente ce sujet pour notre pays.

Le troisième et dernier élément de calendrier découle du deuxième : la prochaine rentrée universitaire se fera au cours d’un nouveau quinquennat. Si nous espérons tous qu’elle ne sera pas placée sous le signe de la crise sanitaire, elle sera en tout cas gonflée de nouveaux espoirs, pour certains, de nouvelles craintes, pour d’autres. Ce sera l’occasion de définir de grandes priorités d’action.

En tout état de cause, particulièrement en cette année 2022, année européenne de la jeunesse…

Mme le président. Ma chère collègue, je dois vous interrompre, car votre temps de parole est épuisé.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Notre groupe votera en faveur de cette proposition de résolution. (M. Pierre Ouzoulias applaudit.)

Mme le président. La parole est à Mme Laure Darcos.

Mme Laure Darcos. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, tout au long du premier semestre de l’année 2021, notre mission d’information a procédé à une étude approfondie des conditions de la vie étudiante à partir de témoignages d’experts, de représentants d’associations étudiantes et d’acteurs de l’enseignement supérieur. J’ai été très heureuse d’y participer.

L’analyse du parcours des étudiants réalisée par notre mission s’est voulue linéaire, s’attachant à relever les obstacles rencontrés par nos jeunes, de leur entrée dans l’enseignement supérieur jusqu’à la préparation de leur insertion professionnelle.

L’entrée dans l’enseignement supérieur constitue non seulement une forme de rite initiatique, mais aussi une rupture très marquée dans la vie sociale de la plupart de nos jeunes.

La première rupture est familiale, puisque l’étudiant quitte un environnement affectif connu et protecteur pour un parcours d’études souvent solitaire dans une ville éloignée de celle où il a vécu.

La perte de repères induite par cet éloignement géographique et affectif peut être profondément déstabilisante pour ceux qui ont une capacité moindre à s’adapter au changement.

La seconde rupture est liée à la nature de la formation choisie. Si un grand nombre d’étudiants font le choix éclairé de la formation dans laquelle ils s’engagent, combien la choisissent par défaut ou par méconnaissance de leurs idéaux professionnels, avec le risque avéré d’un échec, dont ils auront parfois du mal à se remettre ?

Pour traiter ces deux problématiques, la mission d’information plaide pour un ancrage renforcé de l’enseignement supérieur dans les territoires.

Le choix du campus est fondamental dans le premier cycle d’enseignement supérieur. Pour l’étudiant, la possibilité d’intégrer une formation dans un campus à taille humaine proche de son domicile familial est l’une des conditions de sa réussite académique.

À cet égard, l’institut national universitaire d’Albi, dont les formations se répartissent sur quatre sites – Albi, Rodez, Castres et Figeac –, pourrait être érigé en exemple.

De taille réduite, il accueille 4 000 étudiants qui, pour 80 % d’entre eux, ont choisi le critère de la proximité géographique de la résidence familiale comme déterminant leur choix de formation.

L’implantation de l’université d’accueil dans un environnement familier facilite la transition vers l’enseignement supérieur, voire la conditionne, comme certains experts nous l’ont indiqué. Les étudiants conservent intacts leurs liens familiaux, amicaux ou associatifs. Ils bénéficient aussi d’un accompagnement beaucoup plus aisé et précis que celui dont ils pourraient bénéficier dans des structures universitaires de plus grande taille.

C’est pourquoi notre mission d’information préconise de développer un maillage de petites villes universitaires, privilégiant des complémentarités territoriales, à l’image de ce que proposent en Europe l’Italie ou l’Allemagne.

La qualité de vie et la réussite des étudiants tiennent par ailleurs beaucoup à l’ancrage territorial des établissements d’enseignement supérieur et à l’engagement des collectivités locales, comme notre mission d’information a pu le constater.

Certaines collectivités s’impliquent d’ailleurs directement dans le développement d’une offre locale de formation supérieure. C’est notamment le cas dans le domaine de la santé, avec des formations destinées à pallier le manque de professionnels maîtrisant telle ou telle compétence précise.

D’autres s’engagent pour créer les campus de demain, des campus pensés comme des lieux de vie ouverts sur la ville et intégrés à la cité. Il est loin le temps des campus anonymes, désertés par leurs étudiants une fois les enseignements dispensés.

Le campus de demain doit offrir des équipements à usage partagé et être un lieu de vie sociale, culturelle et sportive, parfaitement inséré dans le tissu urbain grâce à un effort accru en matière de transports en commun.

Les questions d’aménagement du territoire y sont prégnantes, de même que les préoccupations environnementales, d’accessibilité et de logement, comme c’est le cas pour un campus que je connais particulièrement bien, celui de l’université Paris-Saclay.

J’ajoute que le lien avec le tissu et les acteurs socio-économiques doit être fort.

Pour certaines universités, ce lien est même fondamental et la recherche d’adéquation entre les formations proposées et l’emploi local, destinée à favoriser l’employabilité des étudiants, est une démarche systématisée.

Notre mission d’information a constaté que la capacité des établissements à garantir une certaine adéquation entre les parcours de formation et les offres d’emploi, en travaillant avec les acteurs socio-économiques locaux, constituait un facteur très net de différenciation entre universités.

Concernant l’université Paris-Saclay, l’interaction entre la recherche et le tissu économique crée les conditions de l’excellence scientifique et de la vitalité entrepreneuriale. Nos étudiants y trouvent un environnement de travail et une qualité de vie particulièrement propices à leur épanouissement et à leur accomplissement personnel et professionnel.

Bien entendu, ce modèle ne peut être dupliqué en tout point du territoire, mais il illustre bien la nécessité d’inscrire l’enseignement supérieur au cœur des politiques d’aménagement du territoire en s’appuyant sur l’échelon local, comme le recommande notre mission d’information.

Le choix de la proximité pour l’accès à l’enseignement supérieur et l’ancrage territorial des établissements sont parmi les pistes de réflexion les plus crédibles, là où il s’agit d’améliorer les conditions de la vie étudiante en France.

Gageons que les travaux et les propositions du Sénat en la matière seront suivis attentivement. Le groupe Les Républicains votera en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – MM. Hussein Bourgi et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les étudiants font partie des victimes indirectes, oubliées de la crise sanitaire. Nous savons que cette crise n’a fait que décupler leurs problèmes, tant du point de vue sanitaire et alimentaire qu’en matière d’accès au logement.

Au Sénat, nous avons été plusieurs à interpeller le Gouvernement lors des questions d’actualité et à l’occasion de débats. Les réponses apportées n’ont pas toujours été à la hauteur des attentes.

Je tiens à remercier Laurent Lafon et Pierre Ouzoulias, ainsi que les membres de la mission d’information sur les conditions de la vie étudiante, de leur investissement sur ce sujet essentiel pour l’avenir de la jeunesse de notre pays.

Cette proposition de résolution vient conclure notre travail. Elle présente avec acuité les problèmes auxquels sont confrontés les étudiants de notre pays. La fin du confinement et la reprise économique n’ont pas permis à ceux-ci de sortir des difficultés financières et la demande d’aide alimentaire n’a malheureusement pas baissé.

Les distributions de vivres se multiplient dans les universités. Les Restos du Cœur ont dû ouvrir un centre dédié à l’université d’Évry. En Gironde, c’est l’équivalent de 220 000 repas qui ont été servis en 2021. Beaucoup d’associations, de mairies, de départements, de régions agissent en lien avec le centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) et les universités pour aider les étudiants en difficulté.

Les besoins ne s’arrêtent pas à l’aide alimentaire.

La difficulté à se loger s’accroît d’année en année. Il n’y a pas suffisamment de logements étudiants et les prix du parc locatif privé sont souvent bien trop élevés. La FAGE, la Fédération des associations générales étudiantes, a relevé une augmentation de plus de 5,5 % du montant des loyers à la rentrée 2021 par rapport à 2020.

Là encore, nous pouvons compter sur des associations et sur les syndicats étudiants, qui mettent en place des réseaux d’entraide et trouvent, dans la mesure du possible, des logements d’urgence aux étudiants. Reste que de trop nombreux jeunes sont contraints d’abandonner leurs études ou de choisir des filières par défaut, faute de pouvoir se loger et financer leurs études.

Les Crous et les universités jouent également un rôle important pour aider les étudiants en difficulté, par le biais d’aides ponctuelles d’urgence, qui sont autant de pansements sur une jambe de bois…

Cette situation d’urgence a bien trop duré ! Nous le savons tous : il faut une vraie réforme du système d’aide aux étudiants.

Tous les acteurs du secteur le disent, la majorité des étudiants qui demandent actuellement des aides ne sont pas boursiers. Madame la ministre, votre gouvernement avait pourtant promis à plusieurs reprises la refonte du système de bourse. Les étudiantes et les étudiants l’attendent toujours.

Vous avez jugé cette réforme « trop complexe ». Ne pensez-vous pas qu’il est « complexe » pour les étudiants de dépendre de l’aide alimentaire et qu’il s’agit d’une situation infamante pour un pays comme la France ? Les étudiants ne devraient-ils pas n’avoir à se préoccuper que de la réussite de leurs études ?

Il faut ajouter à ce triste constat les difficultés d’accès à la santé et le besoin d’accompagnement psychologique, qui s’est fortement accru lors de la crise sanitaire.

Nous, membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, soutenons évidemment les préconisations de cette proposition de résolution. Cependant, nos attentes pour les étudiants vont plus loin.

Nous souhaitons la réforme du système de bourse via la création d’une allocation d’autonomie pour tous les étudiants ; l’augmentation significative du nombre de logements étudiants à loyer modéré et la revalorisation des aides au logement ; le rétablissement du ticket à un euro dans les restaurants universitaires pour tous les étudiants, les investissements nécessaires étant de surcroît réalisés au sein des Crous afin que ceux-ci puissent gérer correctement l’augmentation du nombre d’usagers.

Nous souhaitons aussi le recrutement plus massif d’assistantes sociales et de psychologues au sein des Crous et des universités, ainsi qu’une revalorisation de leurs salaires ; la mise en place d’un accompagnement personnalisé des étudiants via l’embauche pérenne de personnels qualifiés susceptibles de les suivre dans leur parcours universitaire ; une véritable politique d’aménagement du territoire, enfin, au service du développement de petites structures de proximité qui auront des effets positifs sur la vitalité des territoires et amélioreront la qualité de vie des étudiants.

Ces mesures ne sont pas « complexes ». Il s’agit non de dépenses inutiles, mais bien d’investissements nécessaires pour l’avenir de notre jeunesse ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution porte dans l’hémicycle l’essentiel des conclusions du rapport de la mission d’information sur les conditions de la vie étudiante, dont le président de la commission de la culture, Laurent Lafon, était le rapporteur, rapport qui a été voté à l’unanimité au mois de juillet 2021.

Elle est symboliquement cosignée par tous les membres du bureau de la mission d’information, donc par tous les groupes politiques du Sénat. Ainsi démontrons-nous sa continuité avec ce travail collectif et exprimons-nous notre accord avec son bilan et ses préconisations. Je remercie Laurent Lafon et le groupe Union Centriste de nous permettre d’en discuter en l’inscrivant à l’ordre du jour des travaux du Sénat.

Nul ne peut plus ignorer la profonde dégradation des conditions de vie des étudiants, tant notre pays a été heurté et meurtri par les images de ces jeunes réduits à trouver leur pitance auprès des banques alimentaires. La crise sanitaire n’a été que le point ultime d’une lente déliquescence de leurs moyens de se nourrir, de se loger, de se soigner et, en définitive, d’étudier.

En effet, les politiques publiques mises en œuvre depuis au moins deux décennies avaient oublié l’essentiel, que rappelle justement et très simplement cette proposition de résolution : il n’est pas possible d’apprendre le ventre vide, d’apprendre dans la promiscuité d’un logement trop petit, d’apprendre avec une vue mal corrigée, d’apprendre avec un mal de dents non soigné, d’apprendre avec la peur de perdre son emploi précaire quand il apporte tout le revenu.

Les étudiants ne sont pas des cerveaux dans lesquels des connaissances sont déversées et que l’on stimule en donnant l’illusion qu’ils participent à une compétition internationale dont les règles les ignorent. Le classement de Shanghai est moins efficace que les Restos du Cœur pour secourir les étudiants ! Notre proposition de résolution relève une évidence coupablement négligée : l’accompagnement personnalisé des étudiants dans toutes leurs activités matérielles est une condition essentielle de leur réussite académique.

Notre mission d’information a eu la surprise de constater, à cet égard, que ce sont souvent les petits établissements, éloignés des grandes métropoles, qui ont réussi à proposer aux étudiants les dispositifs d’accompagnement les plus efficaces. Ce résultat est obtenu par la mobilisation exceptionnelle de toutes leurs équipes au service de la réussite des étudiants.

Je prends à mon tour, après Laure Darcos, l’exemple de l’institut national universitaire Champollion d’Albi. Son succès est double. Il offre un cursus universitaire à des jeunes issus de la ruralité qui n’auraient eu ni les moyens financiers ni même la volonté de s’inscrire dans une université de taille supérieure et il parvient à les conduire jusqu’à la fin de la licence par un suivi individuel de grande qualité. Son taux de réussite est ainsi l’un des meilleurs de France. Ce travail profite aux étudiants, mais aussi à leurs territoires.

Il est donc regrettable que cette excellence républicaine, qui vise la promotion des individus et des collectivités dans lesquelles ils vivent, ne soit pas mieux aidée et valorisée. A contrario, cet exemple vertueux démontre que l’échec en licence n’est pas une fatalité et qu’il est possible de le résorber par des politiques volontaristes adaptées à chaque situation.

Affirmons-le avec force : il y a une solution budgétaire, donc politique, au problème de la réussite estudiantine. L’origine des difficultés profondes dont souffrent les universités est unanimement reconnue : c’est le sous-investissement chronique. Le Conseil d’analyse économique, organisme placé auprès du Premier ministre, et la Cour des comptes viennent très récemment de l’analyser sans contredit.

Je ne retiens que deux chiffres, déjà cités, de ces bilans affligeants. La dépense intérieure par étudiant baisse inexorablement depuis plus de dix ans et, durant la même période, les effectifs étudiants ont augmenté de 20 %, quand le nombre d’enseignants diminuait de 2 %.

Le Conseil d’analyse économique considère que cette dépression budgétaire a des conséquences économiques néfastes sur le marché du travail, la productivité et l’innovation, mais aussi sur la cohésion sociale, car l’université est incapable de corriger les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur. Il estime qu’il faudrait consacrer entre 5 milliards et 8 milliards d’euros supplémentaires par an pour remettre à flot le système universitaire.

C’est beaucoup d’argent, mais finalement bien peu pour donner à notre jeunesse des raisons d’espérer dans son avenir et à notre pays une voie pour surmonter les épreuves à venir par l’investissement dans la connaissance et l’engagement républicain renouvelé en faveur de l’émancipation humaine. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – MM. Laurent Lafon et Claude Kern applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pierre-Antoine Levi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen de la présente résolution conclut un travail de fond mené par la mission d’information « Conditions de la vie étudiante en France ». Il nous donne l’occasion de poser un diagnostic sur la vie étudiante grâce à une réflexion dépassant le simple cadre des problématiques liées au quotidien de l’étudiant et à son accompagnement matériel, ou à son parcours d’études.

Si la crise sanitaire que nous vivons a mis en lumière la précarité d’une part croissante de nos étudiants, les difficultés structurelles préexistaient. Ces dernières ne disparaîtront pas avec la fin de la pandémie.

La question est donc la suivante : quelles perspectives pouvons-nous offrir à nos jeunes pour améliorer leurs conditions de vie et d’études, particulièrement dans le contexte sanitaire actuel, mais également à plus long terme ?

La mission d’information a formulé plus d’une cinquantaine de recommandations pour améliorer la condition étudiante. Devant l’augmentation régulière du nombre d’étudiants au cours de la période récente, et face à un système qui est, à certains égards, à bout de souffle, il est urgent d’agir de manière globale.

Comme vous l’avez vous-même déclaré, madame la ministre, avec la pandémie, la vie étudiante est sortie de la périphérie des politiques publiques.

La première question déterminante est celle du logement. Elle peut conditionner les choix d’orientation du futur étudiant lorsque l’établissement visé implique de quitter le domicile familial. Les conditions dans lesquelles l’étudiant est logé ont aussi des conséquences sur son parcours et sa réussite dans l’enseignement supérieur.

Or le constat est sans appel : l’offre de logements en résidences étudiantes, qui s’élève aujourd’hui à 350 000 places, est structurellement insuffisante par rapport à la population étudiante, estimée à 2,7 millions en 2019. Même si ces résidences n’ont pas vocation à accueillir tous les étudiants, les capacités demeurent vraiment insuffisantes.

En 2018, le Gouvernement a annoncé un plan visant à construire 60 000 logements étudiants à l’échéance de 2022, ce que nous avions salué à l’époque. Mais les objectifs de ce plan ne sont pas atteints. En 2020, seulement 23 378 logements avaient été construits. La réticence de certaines municipalités et la frilosité des bailleurs étaient les arguments avancés pour expliquer ce retard.

Une réflexion pour territorialiser les objectifs de construction de logements étudiants en fonction du nombre d’étudiants et des perspectives d’évolution de cette population doit être amorcée. Il est également nécessaire de faire auprès des collectivités locales la promotion de l’intérêt de la construction de logements étudiants, qui seront un levier d’attractivité et de développement de leurs territoires.

Avec le logement, les dépenses d’alimentation constituent la principale charge des étudiants. En fonction de leurs moyens financiers et des charges fixes auxquelles ils ne peuvent se soustraire, les achats de nourriture, essentiels par définition, deviennent une variable d’ajustement : cela les conduit souvent à s’alimenter insuffisamment ou avec de la nourriture de mauvaise qualité, ou bien à ne rien manger du tout !

Les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire que nous vivons n’arrangent pas la situation, qui perdure donc.

Les associations comme les Restos du Cœur alertent sur le sujet depuis 2019 déjà, les moins de 25 ans représentant parfois 50 % de leurs bénéficiaires. Le 1er décembre dernier, les associations d’aide alimentaire étudiantes tiraient de nouveau la sonnette d’alarme sur l’extrême gravité de la situation en formulant le constat suivant : « Les étudiants ont faim. » Dans les files d’attente des épiceries solidaires, les témoignages ressemblent beaucoup à ceux de l’automne 2020.

Malgré des efforts importants, un décalage persiste entre l’offre de restauration universitaire et la demande des étudiants. Les principales raisons de ce décalage sont connues, et sont régulièrement pointées du doigt : l’éloignement de certains sites ou filières d’enseignement par rapport à l’implantation des structures de restauration ; les délais d’attente dans certains restaurants universitaires ; les contraintes liées à l’emploi du temps des étudiants ; ou encore la faible amplitude horaire d’une grande partie des restaurants universitaires, peu adaptée aux besoins des étudiants. Un dispositif tel que le ticket restaurant étudiant aurait pu atténuer ces disparités.

Là encore, c’est par une logique d’approche territoriale qu’il faut raisonner, en favorisant les partenariats entre les réseaux des œuvres universitaires et scolaires et les acteurs publics et économiques locaux : le but est de permettre à chaque étudiant d’avoir accès à une offre de restauration à tarif social.

Il me paraît important d’évoquer les aides publiques auxquelles peuvent être éligibles nos étudiants. Elles interviennent souvent en complément d’autres ressources, et peuvent représenter, pour un boursier, jusqu’à la moitié de ses ressources.

Trois écueils doivent être évités s’agissant de ces aides.

Le premier tient à leur complexité et à leur manque de lisibilité, ce qui les rend « particulièrement difficiles à appréhender pour un public encore jeune et peu habitué aux démarches administratives ».

Le deuxième porte sur « la segmentation et l’insuffisante accessibilité de l’information ».

Le troisième concerne les lacunes en termes de prise en charge. Certains profils d’étudiants ne peuvent bénéficier de ces aides, en particulier ceux issus des classes moyennes, qui sont victimes des effets de seuil.

Ainsi, je ne peux que souscrire aux recommandations formulées par la mission d’information, à savoir l’expertise du phénomène de non-recours des étudiants aux droits sociaux, l’amélioration de l’accès des étudiants à l’information au moyen d’un portail unique recensant toutes les aides publiques susceptibles d’être attribuées par les différents acteurs et l’évolution vers un dispositif de « guichet unique » en matière d’aides directes.

Enfin, il est urgent de revoir notre système de bourses sur critères sociaux, notamment en simplifiant l’architecture des échelons pour atténuer les effets de seuil.

Madame la ministre, mes chers collègues, il est nécessaire d’aller vers un ancrage territorial de l’enseignement supérieur, qui doit être inscrit au cœur des politiques d’aménagement du territoire, en s’appuyant sur l’échelon régional. Les étudiants sont un facteur de dynamisme et de transformation, et une richesse pour nos territoires.

Pour conclure, je souhaite remercier mes collègues membres de la mission d’information « Conditions de la vie étudiante en France » pour leur travail de fond, et plus particulièrement son président Pierre Ouzoulias et son rapporteur Laurent Lafon.

Le groupe Union Centriste votera avec enthousiasme en faveur de l’adoption de cette résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’augmentation continue du nombre d’étudiants, associée à une situation sanitaire exceptionnelle, a révélé l’urgence d’une nouvelle réflexion sur la vie étudiante. Cette réflexion a été menée au sein de la mission d’information « Conditions de la vie étudiante en France », présidée par notre collègue Pierre Ouzoulias. Le rapport d’information fait au nom de la mission par Laurent Lafon et la proposition de résolution dont nous discutons aujourd’hui, que le groupe RDSE soutiendra, constituent les étapes suivantes.

Je ferai néanmoins quelques remarques.

J’évoquerai tout d’abord l’accompagnement des étudiants dans leur parcours. Les situations des étudiants qui arrivent dans l’enseignement supérieur sont très hétérogènes. Dans le cadre de la délégation à la prospective, nous avions entendu M. Olivier Babeau : il préconise une période de propédeutique – pourquoi pas une année ? – afin de permettre aux étudiants de combler leurs lacunes et de renforcer leur autonomie dans le supérieur. Il s’agirait de concevoir un dispositif qui ne léserait pas les étudiants faisant le choix de cette remise à niveau, comme c’est parfois le cas actuellement.

Ainsi, en médecine, des étudiants n’ont pu trouver de places en première année à la suite de cette année blanche, car ils n’étaient plus prioritaires par rapport aux néo-bacheliers : cette démarche vertueuse s’est donc avérée préjudiciable.

Je voudrais ensuite aborder la question des dispositifs de tutorat. Il existe un grand nombre de structures payantes, des « officines privées » parfois très coûteuses, aidant les étudiants à préparer les travaux dirigés et les examens en parallèle de leurs cours. Un système de tutorat interpromotion permettrait aux étudiants d’améliorer leurs chances de réussite et à leur famille de réaliser des économies. Ce dispositif existe déjà dans certains établissements : il serait bon de le généraliser, ce qui permettrait également de renforcer les liens sociaux entre étudiants, liens qui ont été grandement affectés par la généralisation des cours à distance. Il convient donc de s’interroger sur la gratification des tuteurs sous forme de bourses ou de points de bonification.

J’aimerais également insister sur le temps de l’inscription dans l’enseignement supérieur. Trop souvent négligé, il constitue pourtant un moment décisif : il faut le mettre à profit pour communiquer aux étudiants toutes les informations utiles sur les aspects de la vie quotidienne dans leur futur établissement, sur les possibilités offertes par la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC) – nous avons constaté que ces informations étaient insuffisantes –, et surtout profiter de ce rendez-vous pour effectuer un bilan de santé. Une partie du soutien psychologique pourrait être assurée par les tuteurs et les pairs : nous devons encourager ces modes d’accompagnement.

La CVEC constitue un élément important de la qualité de la vie étudiante. Céline Boulay-Espéronnier et moi-même avons remis un rapport d’information sur le sujet : nous y proposons de lancer une consultation de l’ensemble des acteurs de la vie étudiante afin de préciser le périmètre d’affectation de la contribution. Il s’agit aussi de décider s’il faut pérenniser, ou non, le financement par la CVEC de dispositifs exceptionnels mis en place pendant la crise, notamment l’octroi d’aides financières.

Je voudrais aussi évoquer la question de l’ancrage territorial de l’enseignement supérieur dans les grandes villes universitaires et dans les plus petites collectivités territoriales. Ces dernières peuvent offrir une bonne qualité de vie aux étudiants : l’hébergement y est plus aisément accessible que dans les grandes villes. De même, l’accueil de doctorants, par exemple, a des retombées très positives permettant de dynamiser certaines filières territoriales.

Je terminerai mon propos en citant les campus connectés, qui constituent une véritable opportunité pour les personnes vivant loin des établissements supérieurs. Ils recréent du lien social par l’enseignement à distance. Ce dispositif fonctionne bien, et l’offre de formation gagnerait à être développée sur l’ensemble du territoire.

Alors que certaines universités ont choisi de faire cette rentrée en distanciel, restons attentifs à ce que les étudiants traversent cette période d’incertitude dans les meilleures conditions possible. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa. (Mme Monique de Marco applaudit.)

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les études de l’Observatoire de la vie étudiante prouvent que les conditions de vie et d’apprentissage ne cessent de se dégrader. Le Gouvernement ne semble toujours pas mesurer la gravité des faits, alors que 21 % des étudiants vivent sous le seuil de pauvreté et que 13 % d’entre eux ont déjà eu des pensées suicidaires.

Beaucoup essayent, tant bien que mal, d’allier emploi alimentaire et études. Certains revoient leurs objectifs d’études à la baisse, parfois même abandonnent l’université. J’ai une pensée émue pour cet étudiant de 22 ans qui, dans l’impossibilité de faire face à ses multiples difficultés, avait tenté de mettre fin à ses jours en s’immolant par le feu en novembre 2019.

Qu’a donc fait le président Emmanuel Macron pour améliorer les conditions de vie et d’apprentissage de la population estudiantine ? Presque rien.

Alors que le candidat promettait en 2017 la construction de 60 000 logements universitaires, seuls 16 300 ont été livrés en 2021. C’est pourtant ce poste de dépense qui pèse le plus dans le budget des étudiants. Il est même parfois insurmontable. Pour pallier cette difficulté, une revalorisation des aides au logement était nécessaire. Emmanuel Macron a précisément fait l’inverse, en baissant de 5 euros les APL.

Alors que la crise sanitaire exacerbe les difficultés, les étudiants attendaient un geste politique fort du Gouvernement. La mise en place des repas à 1 euro et des aides financières exceptionnelles, souvent excluantes et inadaptées, ne permet pas de répondre à un problème qui est en réalité structurel. Les universités se transforment en centres d’aide sociale face à l’inefficacité de l’action gouvernementale.

Centraliser les dispositifs d’aide afin de les rendre accessibles est un objectif primordial : il faut pour cela octroyer des moyens supplémentaires aux Crous, afin qu’ils soient chargés de cette tâche. L’instauration d’un revenu de base, gage d’autonomie et de réussite scolaire, est également une priorité absolue face à un système de bourses devenu obsolète.

Je doute que le gouvernement en place nourrisse réellement cette ambition de réforme. Je voterai toutefois pour ce texte, qui contient des propositions destinées à améliorer les conditions de vie des étudiants : il s’agit d’un objectif indispensable en cette période de pandémie, laquelle a largement contribué à la paupérisation d’un grand nombre d’étudiantes et d’étudiants.

Mme le président. La parole est à M. Hussein Bourgi.

M. Hussein Bourgi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution fait suite aux travaux que nous avons menés dans le cadre de la mission d’information sénatoriale « Conditions de la vie étudiante en France ». Le président Laurent Lafon et le groupe Union Centriste nous donnent l’occasion d’y revenir aujourd’hui, et je les en remercie.

Notre pays compte 3 millions d’étudiants : ce chiffre a plus que doublé depuis les années 1980. Il prouve que la France a relevé le défi de la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur. Mais cette bonne nouvelle doit être relativisée par le taux d’échec en première année et en premier cycle, les mauvaises orientations, les réorientations, et surtout par la précarité que subissent de nombreux jeunes durant leur cursus.

Ce constat doit nous amener à nous interroger sur l’insuffisance des moyens mobilisés au service de cette jeunesse, mais également sur la pertinence des schémas dans lesquels la politique d’enseignement supérieur s’inscrit et se déploie.

Il faudrait évaluer nos politiques publiques en direction des étudiants pour les adapter, les rénover et les réformer. Madame la ministre, il serait peut-être pertinent, après l’ère et l’essor des grands pôles d’excellence situés dans les métropoles, de réfléchir à la place et au rôle que pourraient jouer les petites et moyennes villes dans l’accueil de formations supérieures innovantes. Vous le savez, ces villes jouent déjà un rôle dans l’équilibre du territoire : elles constituent une armature territoriale précieuse pour notre pays. Elles offrent également des conditions d’hébergement intéressantes, puisque les loyers y sont plus accessibles que dans les grandes villes françaises.

Mais il ne suffit pas de créer un premier cycle d’études dans une petite ou moyenne ville pour considérer que l’État a rempli sa mission. Il faut également des enseignements de qualité, des enseignants de renommée nationale, mais aussi tous les services et les équipements que le réseau des Crous déploie avec une efficacité remarquable. Je pense bien sûr aux restaurants universitaires, et à l’offre sociale, sportive et culturelle.

Cette proposition de résolution est un plaidoyer en faveur de la coexistence d’une offre diversifiée : comme mes collègues du groupe socialiste, j’ai la conviction que les pôles d’excellence universitaire dans les métropoles, qui répondent aux critères des classements internationaux, peuvent et doivent coexister avec des structures de proximité qui soient également attractives et performantes.

Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur le logement étudiant, qui est un vrai défi pour beaucoup de jeunes.

Accéder à un logement de qualité à un loyer abordable est une gageure pour de nombreux Français. Pour les étudiants, cela ressemble à un véritable parcours du combattant. J’ai la chance de venir d’un territoire où le Crous – celui de Montpellier – est particulièrement dynamique en matière de rénovation et de construction de logements. Je veux rendre hommage à ses directeurs successifs Philippe Prost et Pierre Richter.

Ce résultat est la conséquence d’un travail partenarial engagé depuis quinze ans avec les collectivités locales : la région Occitanie, la métropole de Montpellier, les communes et les bailleurs sociaux.

Il est également le fruit de la volonté des élus locaux. Je pense en particulier à Georges Frêche : lorsqu’il a été élu à la présidence de la région Languedoc-Roussillon en 2004, des objectifs chiffrés ont été fixés, des moyens alloués et des financements mobilisés. Aujourd’hui, les objectifs sont atteints. La présidente du Centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous), Mme Dominique Marchand, peut en attester.

Fort de cette expérience, je vous propose de tendre vers la territorialisation des objectifs de construction de logements. Cela passe par leur inscription systématique dans les contrats de plan État-région (CPER), qui lient l’État et les régions.

Enfin, je souhaite évoquer la question de la santé. Le covid-19 et le premier confinement ont révélé la fragilité psychologique de beaucoup d’étudiants.

Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Hussein Bourgi. Les trois quarts d’entre eux évoquaient cette réalité dans une enquête rendue publique en juin 2021. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme le président. Mon cher collègue, vous avez épuisé votre temps de parole.

La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Céline Boulay-Espéronnier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si les étudiants sont très majoritairement épargnés par les formes graves de contamination au covid-19, ils n’en demeurent pas moins les victimes collatérales d’une crise sanitaire inédite. Parfois reclus loin de leurs proches lors des confinements successifs, souvent privés des emplois étudiants indispensables à leur subsistance dans le cadre de leurs études, ces derniers ont payé un lourd tribut au coronavirus.

Toutefois, si la pandémie a contribué à l’aggravation des symptômes du mal-être étudiant, celui-ci n’a rien de nouveau. Au contraire, la situation sanitaire a permis de mettre en lumière le caractère structurel des difficultés rencontrées par les étudiants et les défaillances profondes des politiques étatiques déployées à leur égard.

Certes, des mesures conjoncturelles pour leur venir en aide ont été lancées dans le contexte de la pandémie, à l’image des repas à 1 euro dans les restaurants universitaires, ou encore du « chèque psy », mais ces mesures ponctuelles et très circonscrites, pour louables qu’elles soient, ne sont pas à la hauteur des problématiques auxquelles est confrontée notre jeunesse.

C’est la raison pour laquelle je salue cette proposition de résolution, qui vient compléter les réflexions déjà menées par la mission d’information sénatoriale sur les conditions de vie étudiante.

Lors de nos travaux, nous avions été attristés de découvrir le nombre d’étudiants concernés par des situations de grande précarité et incapables de subvenir à leurs besoins élémentaires. Face à l’allongement des files d’étudiants aux portes des associations de distribution alimentaire, dont il faut ici saluer le travail indispensable, il apparaît primordial de prolonger de toute urgence le dispositif du repas à 1 euro dans les Crous pour les boursiers afin que chacun de ces jeunes puisse manger à sa faim.

Mais répondre à l’urgence ne suffit pas. Pour résorber les inégalités, il faut aller plus loin ! C’est pourquoi je me réjouis de la proposition de créer un nouveau statut d’étudiant salarié dans les établissements universitaires eux-mêmes, afin que les étudiants les plus fragiles ne soient plus contraints de choisir entre leur dignité et leur réussite universitaire.

Par ailleurs, la lutte contre les inégalités entre les étudiants doit commencer dès l’entrée à l’université. Je considère qu’une diversification des critères d’entrée est indispensable, comme c’est le cas dans d’autres pays européens. Au Royaume-Uni, par exemple, la sélection se fait notamment sur le personal statement, qui est un véritable dossier de motivation dans lequel la motivation et les expériences sont valorisées, c’est-à-dire le mérite personnel de l’élève.

Au-delà de la question des inégalités, en tant que rapporteure de la mission d’information sur la contribution de vie étudiante et de campus aux côtés de notre collègue Bernard Fialaire, j’ai eu l’occasion de mesurer l’importance de la lisibilité et du traçage de l’utilisation des aides publiques pour les étudiants.

Notamment destinée à favoriser l’accueil culturel et sportif des étudiants, la CVEC pourrait, et devrait, contribuer à renforcer le financement des associations étudiantes fragilisées par la crise sanitaire. Parce qu’elles sont les piliers de la sociabilité estudiantine et des vecteurs de mixité sociale, il est souhaitable que les rôles et prérogatives de ces associations soient renforcés au sein des universités.

Je souhaiterais enfin dire un mot de l’adaptation numérique intervenue dans les universités à la faveur de la crise sanitaire. Si la diversification des outils digitaux permet désormais d’assumer une dématérialisation des enseignements, cette possibilité doit être développée, mais elle doit demeurer une exception.

Espaces de vie en commun, d’émulation et de bouillonnement intellectuel, les universités et les établissements d’enseignement supérieur doivent demeurer les épicentres de la vie étudiante. Il est donc vital de donner la priorité, chaque fois que cela est possible, au présentiel sur le distanciel, afin d’éviter une dégradation dans l’accompagnement, la formation, mais aussi le bien-être psychologique des étudiants, alors même que les mesures de confinement nous ont permis de mesurer les conséquences psychologiques délétères de l’isolement sur la santé mentale de nombreux jeunes.

Mes chers collègues, il est plus que temps que les étudiants soient considérés pour ce qu’ils sont : les futurs fleurons de la France. C’est à nous de créer les conditions de leur réussite et de la réalisation de leurs rêves, car c’est ainsi que la France connaîtra des lendemains qui chantent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER. – MM. Laurent Lafon et Gérard Lahellec applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Béatrice Gosselin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le confinement mis en œuvre au printemps 2020 par le Gouvernement pour faire face à la pandémie de covid-19 a profondément bouleversé les habitudes et conditions de vie de la population française.

Si la pandémie a creusé certaines inégalités en dégradant en premier lieu la situation des jeunes et des travailleurs précaires, elle a aussi aggravé la précarité étudiante et en a fait un enjeu central du débat public.

Mais la crise sanitaire que nous continuons à traverser a surtout été un révélateur et un amplificateur de difficultés déjà existantes de la vie étudiante, qu’il s’agisse de la santé, du logement ou de l’alimentation. Si la précarité étudiante n’est pas née avec le confinement, elle s’est en revanche fortement aggravée avec lui.

Parmi de nombreux points, je voudrais ici évoquer la problématique spécifique de la santé mentale de nos étudiants.

Leur situation a connu une évolution assez singulière. L’état de la pandémie à la rentrée permettait d’envisager des enseignements sur site, mais la hausse du taux de circulation du virus a nécessité la mise en place de nouveaux confinements, avec une fermeture des établissements d’enseignement supérieur et une généralisation de l’enseignement à distance. Quand d’autres secteurs connaissaient un retour relatif à la normale, les conditions d’enseignement uniquement en distanciel et l’isolement qui en résulte ont eu des incidences sur le ressenti et le bien-être de nos étudiants, altérant parfois leur santé mentale.

Comme le montre l’enquête sur les effets de la crise sanitaire sur l’année universitaire 2020-2021 réalisée par l’Observatoire de la vie étudiante et publiée en novembre dernier, une importante partie des étudiants a rencontré des difficultés d’ordre psychologique, en nette hausse par rapport aux années précédentes.

S’il est vrai qu’une plus grande attention accordée à la santé mentale dans le débat public peut favoriser les déclarations des étudiants sur le sujet et donc rendre visible une détresse jusqu’alors ignorée, il n’en reste pas moins que ces résultats démontrent une dégradation effective de la santé mentale de nos étudiants.

Les conditions singulières de cette dernière année, pendant laquelle les étudiants se sont vu imposer davantage de restrictions que le reste de la population, ont accentué cette tendance.

Quatre catégories d’étudiants apparaissent particulièrement fragiles : les étudiants en difficulté financière, les étudiants étrangers, les étudiants les plus âgés et les étudiantes.

Ces fragilités se traduisent par un recours accru à des structures dédiées ou à des professionnels de santé pour des problèmes émotifs, nerveux, psychologiques ou de comportement au cours des douze mois. On regrettera que le dispositif spécifique du « chèque psy », mis en place en février 2021, ne soit que très peu utilisé par les étudiants.

Un mot également sur nos étudiants ultramarins présents dans l’Hexagone. L’éloignement géographique et la confrontation, dès leur arrivée en métropole pour leurs études, à un univers très différent de celui de leur territoire nécessitent que leur soit apporté un accompagnement attentif et spécifique. Confinés loin de leurs familles, les étudiants ultramarins ont été particulièrement touchés par la pandémie. Aux difficultés psychologiques liées à la solitude s’est ajouté, comme pour de nombreux autres étudiants, le découragement lié aux cours en visioconférence et à des équipements informatiques souvent insuffisants, ce qui a débouché sur une perte de motivation importante et sur une tentation répandue de décrochage.

Mes chers collègues, la santé mentale des étudiants est devenue un enjeu social crucial quand on sait que 75 % des troubles psychiatriques et psychologiques débutent avant l’âge de 24 ans. Les études correspondent à une période de changement dans la vie de l’individu et les étudiants sont souvent soumis à plusieurs formes de pressions, qu’elles concernent la réussite scolaire, les difficultés financières ou l’intégration sociale. Il est donc primordial de tirer les enseignements de la crise sanitaire sur leur santé.

Dynamiser l’offre de services de santé universitaires, mais aussi mieux accompagner psychologiquement nos étudiants avec la prolongation de l’accès gratuit, sur prescription médicale, aux aides psychologiques me paraît donc essentiel, pour que leur souffrance psychologique cesse enfin d’être une fatalité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Laurent Lafon et Mme Angèle Préville applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Frédérique Vidal, ministre de lenseignement supérieur, de la recherche et de linnovation. Madame la présidente, monsieur le président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, et auteur de la proposition de résolution, cher Laurent Lafon, monsieur le président de la mission d’information, cher Pierre Ouzoulias, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de vous adresser mes vœux les plus sincères pour 2022 et de remercier le Sénat d’avoir décidé de s’emparer de la question de la qualité de la vie étudiante et d’avoir organisé ce débat en séance publique.

Il est évidemment dommage que le programme 231 n’ait pas pu être examiné dans cet hémicycle lors de la discussion budgétaire – je sais que je ne suis pas la seule à le penser ici. Je salue le travail nourri réalisé par le président Lafon, le sénateur Ouzoulias et l’ensemble des sénatrices et sénateurs qui ont participé à la mission d’information « Conditions de la vie étudiante en France », un sujet qui est l’un des fils rouges de mon action depuis bientôt cinq ans.

Depuis 2017, je n’ai eu de cesse de rappeler que la vie étudiante est un facteur déterminant de la réussite des étudiants. En effet, mon action s’est toujours portée vers une approche globale des étudiants.

Aussi, je me réjouis de constater que nous convergeons, puisque l’essentiel des sujets mis en avant dans votre proposition de résolution a d’ores et déjà été pris en compte par le Gouvernement.

Comme je l’avais annoncé le 9 juillet dernier, la rentrée 2021 s’est déroulée en présentiel. Cette reprise a été un véritable succès collectif, que nous devons non seulement aux équipes des établissements d’enseignement supérieur et des Crous, mais surtout aux étudiants qui ont adhéré massivement à la vaccination. Nous retrouvons encore aujourd’hui à l’heure du rappel vaccinal cette adhésion à la vaccination, car les 18-25 ans constituent aujourd’hui la population la plus dynamique pour l’accès à la troisième dose.

Cette rentrée en présence était particulièrement attendue et demandée, notamment dans le texte de cette proposition de résolution, car jamais le tout numérique en solitaire n’a formé ni ne formera un projet pédagogique.

En revanche, pour paraphraser le titre d’un rapport d’information de la sénatrice Catherine Morin-Desailly ayant fait date il y a quelques années, apprendre avec et par le numérique est un impératif pour moderniser notre offre de formation, penser autrement la pédagogie et apporter à chacun une formation qui corresponde à son projet personnel, à son territoire de vie.

À cette fin, nous avons consacré 160 millions d’euros pour engager ce travail de modernisation de l’offre de formation et surtout pour apprécier tout le potentiel du numérique dans la construction des formations. Telle est notamment toute l’ambition des dix-sept projets d’établissement retenus dans le cadre de l’appel « Démonstrateurs numériques dans l’enseignement supérieur », comme le Premier ministre et moi l’avons annoncé récemment.

Garantir une rentrée et une année universitaire en présence, c’est aussi établir des protocoles sanitaires robustes, au bénéfice tant des personnels que des étudiants. Nous y avons travaillé de manière constante depuis près de deux ans. Parce que nous disposons d’un protocole éprouvé pour l’organisation des concours et des examens nationaux depuis mai 2020, alors qu’aucun vaccin n’était disponible, et parce que nous actualisons régulièrement ce protocole avec l’ensemble des établissements, nous avons pu et nous pouvons aujourd’hui maintenir les examens en présentiel.

Je veux également souligner l’immense sens des responsabilités dont ont fait preuve autant les étudiants que les chefs d’établissements et les directeurs de Crous. Au cours du premier trimestre de l’année universitaire, nous avons dénombré une soixantaine de clusters pour 2,7 millions d’étudiants et 300 000 agents, ce qui est bien différent des chiffres que nous avons pu connaître. Les événements festifs, culturels et sportifs ont pu être organisés en début d’année, dans le respect des protocoles et avec l’application du passe sanitaire.

Au-delà des enjeux strictement sanitaires, la crise a accentué les difficultés sociales que peuvent rencontrer certains étudiants.

Pour y faire face, nous avons relevé d’un montant supérieur à l’inflation les bourses sur critères sociaux, et cela trois années de suite, après des années de stagnation.

Nous avons mis en place deux aides exceptionnelles, une première de 200 euros et une seconde ouverte à tous les étudiants boursiers à hauteur de 150 euros.

Les fonds d’aides des Crous ont été doublés et leur octroi a été simplifié. Par ailleurs les étudiants boursiers et ceux qui, sans être boursiers, bénéficient d’une aide au logement ont pu toucher l’indemnité inflation de 100 euros annoncée par le Premier ministre. Les étudiants boursiers ont d’ailleurs été les premiers, au début du mois de décembre, à voir cette aide versée sur leur compte.

Le produit de la CVEC, 150 millions d’euros par an en moyenne, a été fortement mis à contribution dans les universités pour accompagner socialement les étudiants au moyen de distributions de cartes d’achats ou de fournitures informatiques, mais aussi pour créer des centres de santé.

Avec le soutien et le financement du Gouvernement, les organisations et les associations étudiantes ont joué un rôle indispensable auprès des étudiants qui en avaient le plus besoin. Je songe aux épiceries sociales et solidaires, aux actions menées au sein des résidences universitaires lors des confinements ou encore aux actions en faveur de la santé mentale avec des projets visant à « aller vers », à repérer et à orienter.

Enfin, nous pouvons nous réjouir de disposer dans notre pays d’un réseau des œuvres étudiantes, les Crous, qui maille l’ensemble des territoires en lien avec les établissements et les collectivités territoriales.

C’est aussi ce gouvernement qui a décidé de mettre en place le ticket de restaurant universitaire à 1 euro pour les étudiants boursiers et ceux qui en ont le plus besoin. À ce jour, près de 16 millions de repas à 1 euro ont été distribués. Vous le constatez, voici là encore une recommandation de votre résolution que le Gouvernement a d’ores et déjà mise en œuvre.

Par ailleurs, pour permettre au plus grand nombre d’étudiants d’accéder à ces repas, nous poursuivons la montée en charge des conventionnements entre les Crous et les restaurants administratifs sur tout le territoire.

Parce que le projet d’émancipation pour la jeunesse que défend ce Gouvernement est un projet global, j’ai voulu que nous prenions aussi des mesures pour lutter contre la précarité menstruelle, contre le mal-être des étudiants. Depuis février dernier, des distributeurs de protections périodiques gratuites ont été mis en place. De même, nous avons instauré la gratuité de la contraception jusqu’à 25 ans.

S’agissant du bien être psychologique, nous savons que la crise a renforcé le mal-être de certains, mais le Gouvernement y a répondu massivement. En moins de six semaines, nous avons mis en place la plateforme « Santé Psy » qui fédère près de 1 800 psychologues en France, pour permettre à tous les étudiants de bénéficier d’un parcours de soins pris en charge jusqu’à huit séances. Grâce à cette plateforme, 18 000 étudiants ont bénéficié de près de 120 000 séances. Cela vient en complément de l’action menée par les services de santé universitaire, où j’ai voulu que nous doublions le nombre de psychologues.

Au-delà des dispositifs d’aide, c’est également en soutenant comme jamais la reprise économique et le développement des emplois étudiants que le Gouvernement a travaillé à soutenir les étudiants.

Au cœur de France Relance, le plan Jeunes annoncé en juillet 2020 par le Premier ministre représente plus de 6 milliards d’euros consacrés à la jeunesse. Nous avons créé et pérennisé 20 000 emplois de tuteurs et ainsi financé autant d’emplois étudiants, pour 3,6 millions d’heures tutorées chaque semestre. Nous avons créé 1 400 emplois de référents dans les cités universitaires, au plus près des étudiants. Avec la plateforme « 1 jeune, 1 solution », plus de 15 000 jobs étudiants adaptés aux études ont été créés sur les campus, et plus de 10 000 stages supplémentaires ont été ouverts, notamment dans la fonction publique, sans compter l’impact de la reprise économique, associé au plus faible taux de chômage observé chez les jeunes depuis des décennies.

Ces réponses à la crise n’ont en réalité fait que renforcer l’engagement constant du Gouvernement en faveur des étudiants depuis 2017 pour associer l’amélioration des conditions d’études et la réussite académique.

Le plan Étudiants doté de 1 milliard d’euros que j’ai présenté en octobre 2017 exprimait déjà cette ambition. Nous avons ouvert l’affiliation automatique de tous les étudiants au régime général de la sécurité sociale, ce qui représente pour eux une économie de 217 euros par an.

Sous le précédent quinquennat, la sénatrice Procaccia avait très justement formulé le problème, mais rien n’avait été fait. Le plan Étudiants a aussi permis la création du droit à l’année de césure, la création de licences modulaires fondées sur des blocs de compétences pour mieux articuler l’offre d’enseignement aux réalités territoriales de l’emploi, ou encore la création des bachelors universitaires de technologies en trois ans entièrement tournés vers l’insertion professionnelle, et la possibilité pour les collectivités d’être maintenant partie prenante des contrats d’établissement.

Intervenue par vagues successives depuis plusieurs dizaines d’années, la massification ne pouvait constituer une fin en soi si elle impliquait de renoncer dans le même temps à massifier la réussite, et donc à réellement démocratiser l’enseignement supérieur de notre pays.

C’était tout l’enjeu de Parcoursup et tout l’objet des « oui si », ces parcours de remédiation et d’accompagnement vers la réussite qui ont été mis en place dans les universités. Force est de constater que ce diagnostic était le bon : en quatre ans, les taux de réussite entre la L1 et la L2 ont progressé de plus de 4 points, alors que depuis vingt ans l’échec en licence semblait devenu une fatalité.

Je n’ai pas peur de dire que nous avons travaillé, depuis 2017, à une véritable politique de territorialisation de l’enseignement supérieur, pour permettre à chacun de pouvoir étudier près de chez soi s’il le souhaite, ou de choisir son lieu d’étude.

Nous avons mis fin aux barrières de la mobilité académique, au bénéfice des étudiants ultramarins, des lycéens de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), et nous l’avons fait ensemble, monsieur le président Lafon, pour les étudiants franciliens dans le cadre de la mission que le Premier ministre vous avait confiée sur ma proposition.

Nous avons également créé des ponts vers l’enseignement supérieur dans tous les territoires. Ce sont 89 campus connectés et 60 campus « cœurs de territoires », dont 66 % sont situés en zone rurale, qui permettent à chacun d’accéder à l’enseignement supérieur dans un cadre tutoré, en lien avec un établissement d’enseignement supérieur, sur le modèle des meilleures pratiques internationales, notamment celles du Canada. Et cela marche : le taux de réussite est de 70 % dans ces lieux. (M. René-Paul Savary sexclame.)

Territorialiser l’enseignement supérieur était aussi au cœur de la réforme des études en santé. Nous avons créé 434 licences « accès santé », qui permettent, dans tous les territoires, d’accéder aux études de santé. Nous avons relevé les capacités d’accueil, supprimé le numerus clausus. Plus récemment, le Premier ministre a annoncé la création de huit nouveaux sites pour l’enseignement de l’odontologie.

Promouvoir l’enseignement supérieur dans tous les territoires, c’est aussi faire confiance aux modèles en devenir. Il y a quelques semaines, je me suis rendue à Mayotte et à cette occasion, le Gouvernement a annoncé la transformation prochaine du Centre universitaire de formation et de recherche (CUFR) en institut universitaire, sur le modèle de l’institut national universitaire Champollion d’Albi que, monsieur le président Lafon, vous avez eu l’occasion de visiter avec le sénateur Ouzoulias.

Voilà en quelques mots, mesdames, messieurs les sénateurs, les observations du Gouvernement sur cette proposition de résolution déjà très largement appliquée et mise en œuvre par mon ministère.

Lors de l’examen en commission du budget du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, le sénateur Brisson exprimait à regret ne pas percevoir de vision politique dans le programme 231, mais je constate au travers du texte de cette résolution que le Sénat, au-delà des désaccords et des divergences politiques, donne parfois quitus au Gouvernement de son travail et de ce qui a été réalisé.

Naturellement, il reste beaucoup à faire afin de répondre à la demande croissante de formation supérieure, et cela tout au long de la vie. Nous avons déjà travaillé à engager la fin du sous-financement de nos universités et de nos établissements d’enseignement supérieur. Comme chacun le sait, plus de 1 milliard d’euros de moyens supplémentaires pérennes ont été consolidés chaque année dans le budget des universités.

La programmation de la recherche, France Relance et France 2030 viendront prolonger ce qui avait été engagé dès 2017 dans le plan Étudiants. Le Président de la République, comme l’ensemble du Gouvernement et comme vous – j’en suis sincèrement ravie, croyez-le –, pense fermement que l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation dessinent l’avenir de ce pays, à travers sa jeunesse, dans l’ensemble des territoires. Sachez que vous pourrez toujours compter sur moi pour défendre cette vision.

Mme le président. La discussion générale est close.

Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

proposition de résolution pour une meilleure prise en compte de la qualité de la vie étudiante, pour renforcer l’accompagnement des étudiants à toutes les étapes de leur parcours et pour dynamiser l’ancrage territorial de l’enseignement supérieur

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu le chapitre XVI du Règlement du Sénat,

Vu le code de l’éducation,

Vu les enquêtes de l’Observatoire de la vie étudiante,

Vu le rapport d’information n° 742 (2020-2021) de M. Laurent Lafon, fait au nom de la mission d’information sur les conditions de la vie étudiante en France, déposé le 6 juillet 2021,

Considérant l’importance de la qualité de vie étudiante (logement, santé, organisation des campus…) dans la réussite universitaire, indépendamment des aspects académiques du parcours étudiant ;

Considérant qu’au cours des dernières décennies, l’augmentation sensible et régulière des effectifs d’étudiants a conduit à privilégier les aspects quantitatifs de leur intégration dans l’enseignement supérieur aux dépens de la qualité de vie étudiante et convaincu qu’un effort exigeant dans ce domaine s’impose de manière urgente, a fortiori dans le contexte issu de la crise sanitaire ;

Considérant que de nombreux étudiants ont besoin d’un accompagnement personnalisé, à toutes les étapes de leur parcours et dans toutes leurs démarches, et que le manque d’un tel suivi, gage de réussite dans le domaine académique mais aussi de sérénité dans leur vie quotidienne, affecte leur parcours et compromet leur réussite universitaire ;

Considérant que la pandémie a amplifié les difficultés budgétaires des étudiants confrontés à la perte des emplois salariés indispensables au financement de leurs études et que de nombreux étudiants ont été contraints de recourir aux distributions d’aide alimentaire pour faire face à leurs besoins élémentaires ;

Considérant qu’indépendamment de la crise sanitaire, les difficultés d’accès au logement, en raison d’une offre insuffisante de logements financièrement accessibles à des étudiants, plus particulièrement dans les grandes métropoles, constituent un vecteur d’inégalités car ils contraignent les choix d’orientation de certains jeunes ;

Considérant l’intérêt que présentent les campus de taille réduite, notamment en premier cycle, parallèlement aux universités des grandes métropoles, en termes de qualité de vie et de coût de la vie étudiante ;

Convaincu que ces établissements de proximité offrent des possibilités en termes d’accompagnement individualisé qu’il est nettement plus difficile de mettre en place dans les grandes universités ;

Considérant que, outre la précarité alimentaire, les conséquences préoccupantes de la crise sanitaire pour les étudiants se sont concentrées sur l’isolement social ayant résulté de la généralisation de l’enseignement à distance, sur une santé psychologique altérée et sur un accès très dégradé aux stages et aux mobilités internationales, qui a inspiré, chez de nombreux étudiants, une inquiétude très compréhensible sur leurs perspectives d’intégration professionnelle ;

Considérant qu’une part non négligeable des étudiants est confrontée à des difficultés en termes d’accès aux soins, que l’offre de santé disponible sur les campus est inégale, que la crise sanitaire a révélé l’ampleur de la détresse psychologique de nombreux étudiants, imposant un effort décisif dans ce domaine essentiel de leur santé et, enfin, que l’accès de certains étudiants ultramarins à la protection sociale se heurte à des difficultés inacceptables en termes d’affiliation à la sécurité sociale ;

Considérant que si l’enseignement à distance a permis une certaine continuité pendant les confinements successifs et présente des avantages indéniables en termes de souplesse et de flexibilité, il a bouleversé la vie étudiante en vidant les amphithéâtres, en limitant la vie sociale des étudiants et en transformant leurs conditions d’études ; que si le numérique constitue désormais une dimension incontournable de l’enseignement supérieur, la crise a montré qu’il peut aussi constituer un vecteur d’inégalités en fonction de la qualité de l’équipement informatique de chacun et de difficultés de connexion persistantes dans certains territoires et que, de surcroît, il n’est pas synonyme de qualité systématique des apprentissages ;

Considérant que la part du numérique dans l’enseignement supérieur doit être envisagée en fonction des points de vigilance mis en lumière par la crise sanitaire, qu’il s’agisse des disciplines auxquelles l’enseignement à distance est plus ou moins adapté, des difficultés imputables à la fracture numérique ou des défaillances liées à une appropriation inégale, par les enseignants, des pratiques pédagogiques qu’implique le digital ;

Considérant que les stages occupent une place décisive dans de nombreux cursus et conditionnent l’obtention de nombreux diplômes, que l’expérience acquise à cette occasion constitue un atout en termes d’insertion professionnelle mais que l’accès aux stages reste très problématique pour de nombreux étudiants, indépendamment de la crise sanitaire ;

Convaincu que l’intégration des établissements d’enseignement supérieur dans leur environnement territorial et économique exerce des effets positifs sur la vitalité des territoires et améliore la qualité de vie étudiante et que des relations étroites entre les universités et les acteurs socio-économiques de proximité favorisent l’intégration professionnelle des étudiants en facilitant notamment l’accès aux stages ;

Considérant que l’engagement associatif constitue non seulement une étape importante du parcours citoyen des étudiants, mais contribue aussi à l’enrichissement de leurs compétences ;

Inquiet des conséquences de la crise sanitaire, notamment sur le plan financier, pour les associations étudiantes et soucieux de préserver dans la durée le dynamisme du milieu associatif étudiant ;

Considérant qu’en dépit d’une augmentation sensible du nombre d’étudiants en situation de handicap au cours de la période récente, l’accueil de ces étudiants demeure inégal selon les filières et les établissements et que la connaissance de la situation de ces étudiants et de leurs besoins reste perfectible ;

Considérant que, selon l’Observatoire de la vie étudiante, un quart environ des étudiants déclarent actuellement connaître des difficultés financières ;

Considérant que ces difficultés sont susceptibles d’affecter les chances de réussite des étudiants contraints d’exercer une activité salariée dans des proportions telles que leur emploi devient concurrent de leurs études ;

Considérant que les aides publiques destinées aux étudiants, malgré les budgets très significatifs qui leur sont consacrés, sont caractérisées par une insuffisante lisibilité qui, conjuguée à leur morcellement, nuisent à leur accessibilité et à leur efficacité ;

Considérant que le dispositif des bourses sur critères sociaux pâtit d’effets de seuils défavorables aux jeunes issus des classes moyennes et que les critères d’éligibilité à ce dispositif devraient être définis par le code de l’éducation ;

Alerté sur les difficultés auxquelles se heurtent les étudiants originaires des territoires éloignés des grandes métropoles dans leur parcours universitaire, notamment pour l’accès aux études longues et aux filières sélectives ;

Inquiet de la prévalence préoccupante des violences sexuelles et de la banalisation de comportements sexistes qui n’ont pas leur place dans l’enseignement supérieur ;

Certain que le bilan de la pandémie pour le monde étudiant nécessitera une attention renouvelée et un effort soutenu dans les années à venir en termes de qualité de vie étudiante et d’accompagnement vers la réussite ;

Appelle à un effort renouvelé pour améliorer les conditions de vie des étudiants ;

Plaide pour l’intégration systématique des questions d’enseignement supérieur au cœur des politiques d’aménagement du territoire et pour le maintien d’une offre diversifiée d’établissements d’enseignement supérieur, associant petites structures de proximité et grandes universités répondant aux critères des classements internationaux ;

Recommande de soutenir la création de logements étudiants, en territorialisant les objectifs de construction selon les perspectives d’évolution de la démographie étudiante et du marché local de l’immobilier ; de promouvoir auprès des collectivités territoriales l’intérêt de la construction de logements étudiants en termes d’attractivité des territoires ;

Recommande de dynamiser sensiblement l’offre de services de santé universitaires ainsi que l’accompagnement psychologique des étudiants, de prolonger l’accès gratuit, sur prescription médicale, aux soins psychologiques après la crise sanitaire et de résoudre les difficultés d’affiliation qui compromet la protection sociale de certains étudiants ultramarins ;

Appelle à améliorer l’accompagnement des étudiants en situation de handicap à toutes les étapes du parcours et à un effort renforcé en matière d’accessibilité des contenus pédagogiques, de sorte que les jeunes adultes en situation de handicap puissent effectuer les études de leur choix dans les meilleures conditions ;

Recommande la mise en place d’actions de sensibilisation des étudiants et de tous les acteurs de la vie universitaire à la lutte contre les violences sexuelles et les comportements sexistes et plaide pour la création de structures dédiées au signalement de ces violences et comportements ainsi qu’à l’accompagnement des victimes dans tous les établissements d’enseignement supérieur ;

Est favorable au renforcement du soutien financier des associations étudiantes fragilisées par la crise sanitaire et appelle, indépendamment de la pandémie, à encourager durablement l’engagement associatif étudiant par une meilleure reconnaissance, dans le cursus académique, des compétences acquises par les étudiants dans le cadre de leur engagement associatif ;

Plaide pour l’élaboration et la généralisation d’outils permettant de cibler les étudiants ayant besoin d’un soutien financier spécifique et d’un dispositif d’accompagnement personnalisé des étudiants dont les difficultés financières pourrait compromettre la réussite universitaire ;

Appelle à la mise en place d’un dispositif de guichet unique en matière d’aides sociales, à une refonte globale du système des bourses sur critères sociaux ainsi qu’à une amélioration de la cohérence du socle juridique de celles-ci ;

Recommande de prolonger le dispositif du repas à un euro dans les restaurants universitaires pour les étudiants boursiers et de faire en sorte que les étudiants aient accès, dans tous les territoires, à une offre de restauration adaptée ;

Plaide pour le développement d’activités salariées qui puissent se concilier avec les études notamment dans les établissements universitaires eux-mêmes et pour la création d’un statut d’étudiant salarié compatible avec les exigences de la réussite universitaire ;

Exprime la conviction que le développement du numérique doit aller de pair avec une réflexion ambitieuse sur l’organisation des enseignements, afin de permettre une articulation aussi harmonieuse que possible des séquences à distance et en présentiel ; que l’enseignement à distance doit rester optionnel, sous réserve des contraintes de sécurité sanitaire ; qu’il est primordial d’éviter que les progrès du numérique se fassent aux dépens de l’accompagnement des étudiants et de la qualité des apprentissages, qui implique des échanges réguliers entre enseignants et étudiants ; qu’il est urgent de généraliser la formation et l’accompagnement des enseignants dans l’élaboration de leurs cours en ligne et de leurs supports pédagogiques ;

Souhaite qu’après deux années préoccupantes en termes de réussite académique, l’année universitaire 2021-2022 privilégie les enseignements en présentiel et soit l’occasion d’identifier les étudiants dont le parcours a été compromis par la crise sanitaire afin que ces étudiants bénéficient d’un suivi adapté pour corriger les conséquences de la pandémie sur leurs perspectives de réussite ;

Salue, enfin, l’action de tous les acteurs – collectivités territoriales, associations, personnels de santé, acteurs de l’enseignement supérieur, entreprises, personnels des Crous… – qui se sont engagés aux côtés des étudiants pendant la crise et appelle à la poursuite de leur mobilisation dans les années à venir.

Vote sur l’ensemble

Mme le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explications de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

(La proposition de résolution est adoptée.)

Mme le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à dix-neuf heures vingt.)

Mme le président. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour une meilleure prise en compte de la qualité de la vie étudiante, pour renforcer l'accompagnement des étudiants à toutes les étapes de leur parcours et pour dynamiser l'ancrage territorial de l'enseignement supérieur
 

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Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, tendant au développement de l'agrivoltaïsme en France
Discussion générale (suite)

Développement de l’agrivoltaïsme en France

Adoption d’une proposition de résolution

Mme le président. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de résolution tendant au développement de l’agrivoltaïsme en France, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Jean-François Longeot, Jean-Pierre Moga et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 30 rectifié).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-François Longeot, coauteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, tendant au développement de l'agrivoltaïsme en France
Discussion générale (fin)

M. Jean-François Longeot, coauteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis très heureux que notre Haute Assemblée puisse aujourd’hui se pencher sur cette proposition de résolution, rédigée avec mon collègue Jean-Pierre Moga.

Notre ambition est d’identifier les freins au développement de l’agrivoltaïsme en France. Une première question se pose : qu’y a-t-il derrière ce terme ?

Nous considérons que l’agrivoltaïsme peut participer à relever les nombreux défis qui se présentent à l’agriculture française : la défense de notre souveraineté alimentaire, le maintien et la reconquête de la biodiversité, mais également la production d’énergies renouvelables.

En effet, le secteur agricole assure aujourd’hui près de 20 % de la production française d’énergies renouvelables, et 13 % de la production photovoltaïque nationale. Parmi les 437 000 exploitations agricoles françaises, près de 50 000 sont déjà impliquées dans la production d’énergies renouvelables. Le nombre d’exploitations agricoles engagées dans la production d’énergie décarbonée pourrait d’ailleurs tripler d’ici à 2030.

Toutefois, il existe un risque : celui des conflits d’usage et du « grignotage » du foncier agricole.

Produire de l’énergie sur une parcelle agricole ne doit pas remettre en question la vocation première des terres fertiles, celle de nourrir. Il nous faut prendre ce risque de conflit d’usage au sérieux afin de protéger les terres agricoles de l’artificialisation des sols. Notre proposition de résolution s’inscrit dans cet engagement, alors que notre pays a déjà perdu le quart de sa surface agricole au cours des cinquante dernières années.

Nous estimons que l’agrivoltaïsme peut et doit permettre de surmonter un tel risque, en associant les deux productions sans consommer de terres agricoles, dans un objectif de coproduction, de non-artificialisation des sols et d’écologie territoriale concrète.

L’agriculture bénéficiera de nombreuses synergies résultant de cette association entre agriculture et énergie, car s’il y a bien une compatibilité entre les deux productions, l’ambition de l’agrivoltaïsme tel que nous le concevons dans ce texte est d’optimiser avant tout la production agricole, afin d’améliorer le rendement des cultures, d’apporter un complément de revenus aux agriculteurs et d’adapter notre agriculture au changement climatique.

L’agrivoltaïsme permet ainsi plusieurs atténuations : celle du stress hydrique, avec une réduction de l’évapotranspiration l’été et une baisse de 12 % à 37 % de la consommation d’eau ; celle du stress lumineux, avec une meilleure photosynthèse ; et enfin, celle du stress thermique lors d’épisodes de fortes chaleurs, en réduisant les brûlures sur les feuilles, fruits et branches, ou lors d’épisodes de gelées printanières, avec un écart de température moyen de 2 degrés déterminant pour les cultures.

En résumé, la production agricole peut être améliorée par cette double production et les synergies constatées.

Une seconde question se pose : quelles sont les ambitions de cette proposition de résolution pour la filière agrivoltaïque ?

Au cours de nos échanges avec les acteurs de la filière, nous avons identifié trois freins, tant législatifs que réglementaires, qui entravent le bon développement de cette association agricole vertueuse.

Premièrement, nous avons constaté l’absence criante de définition de l’agrivoltaïsme.

En raison de technologies diverses et de besoins hétérogènes, force est de constater que l’agrivoltaïsme ne dispose d’aucun référentiel commun et souffre d’un manque de définition. Cela a conduit à des divergences d’appréciation des services instructeurs, en raison de la crainte légitime d’un dévoiement du terme au profit de « structures alibis » sans véritable projet agricole.

Nous nous sommes ainsi rendu compte que le point de départ de toute réflexion dans le domaine consistait à se mettre d’accord sur la signification de ce terme et sur l’exigence qui devait lui être associée.

Nous sommes enfin d’avis qu’une définition claire et rigoureuse permettra de soutenir le déploiement des projets les plus ambitieux, d’accompagner les agriculteurs et d’engendrer un cercle vertueux avec des conséquences en cascade, notamment sur les appels d’offres – j’y reviendrai –, car il est inacceptable que des projets sans aucune vision agricole se revendiquent de l’agrivoltaïsme.

Deuxièmement, nous estimons que l’agrivoltaïsme manque de leviers pour se développer.

Parmi les incitations, les principales concernent les tarifs d’achat de l’énergie déterminés par la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Celle-ci met en œuvre des dispositifs de soutien aux énergies renouvelables en instruisant des appels d’offres, actuellement décomposés entre le photovoltaïque au sol, pour une enveloppe de 10 gigawatts sur la période 2021-2026, le photovoltaïque sur bâtiments, pour une enveloppe de 5,5 gigawatts, et le photovoltaïque innovant, pour une enveloppe de seulement 0,7 gigawatt.

Si l’agrivoltaïsme s’inscrit assurément dans cette troisième catégorie, force est de constater que les volumes prévus sont trop faibles, et que cette famille manque de lisibilité, puisqu’elle est insuffisamment orientée vers les installations agricoles, d’une part, et vers les installations innovantes, d’autre part.

Un troisième frein réside dans le manque de financements.

L’excellent rapport de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) intitulé Lagriculture face au défi de la production dénergie le résume avec pertinence : les investissements sont élevés pour les exploitants agricoles, avec une rentabilité économique inégale et incertaine, qui ne se confirme qu’après plusieurs années. Ces coûts microéconomiques sont paralysants et constituent un frein à l’essor des énergies renouvelables dans le secteur agricole.

Dès lors, partant de ces constats, les auteurs du présent texte formulent quatre propositions.

La première consiste à inscrire une définition de l’agrivoltaïsme au sein du code de l’énergie. Nous la voulons claire, ambitieuse, et reprenant la définition des appels d’offres de la CRE reconnaissant « des installations permettant de coupler sur une même parcelle agricole une production électrique d’origine photovoltaïque secondaire à une production agricole principale en permettant une synergie de fonctionnement ».

La deuxième proposition, qui découle de la première, consiste à distinguer les projets agrivoltaïques des appels d’offres « solaire innovant » de la CRE, afin de créer une catégorie spécifique au sein des appels d’offres. Cela permettra de séparer ces projets, assurément agricoles, des autres et d’accompagner le déploiement de solutions innovantes, en réservant à celles-ci un appel d’offres spécifique. Cela représenterait une visibilité accrue pour la filière, grâce à l’inscription dans le marbre d’une définition de l’agrivoltaïsme. Les panneaux posés sur les hangars agricoles ne seraient pas concernés par cette nouvelle famille d’appels d’offres.

La troisième proposition consiste à rendre éligibles les exploitations agricoles pratiquant l’agrivoltaïsme aux financements européens de la politique agricole commune (PAC). En effet, un arrêté du 9 octobre 2015 limite les « activités non agricoles » sur les surfaces agricoles, empêchant dès lors l’agrivoltaïsme de bénéficier des aides de la PAC. Nous estimons que cela est regrettable, d’une part, parce que l’agrivoltaïsme permet de verdir concrètement la PAC et, d’autre part, parce que cette pratique crée directement de la valeur dans les territoires ruraux.

Enfin, la quatrième et dernière proposition porte sur les pratiques de compensation agricole collective. Nous estimons que ces pratiques, qu’il s’agisse d’aides à l’installation de jeunes agriculteurs, d’aides à la prévention et au redressement d’exploitations agricoles en difficulté ou encore d’aides à l’acquisition de matériel agricole, sont vertueuses en ce qu’elles permettent à l’énergie photovoltaïque de soutenir l’agriculture. Elles sont également symptomatiques de l’état d’esprit d’une filière dont le projet est assurément agricole. Or il subsiste de trop grandes divergences entre les territoires et des complexités trop importantes dans la mise en œuvre, ce qui empêche ces pratiques de monter en puissance.

En somme, avec cette proposition de résolution, nous souhaitons démontrer que la production d’énergie constitue une activité stratégique pour l’agriculture, tout comme l’agriculture représente un secteur stratégique pour le développement des énergies renouvelables en France.

Cette coproduction est vertueuse en raison de nombreuses synergies agroéconomiques, démontrées notamment par les études de l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement).

Alors qu’un rapport doit être prochainement publié par l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, dite Agence de la transition écologique) et que des annonces doivent être formulées par le Gouvernement sur cette question, le Sénat démontrerait, en adoptant cette proposition de résolution, son soutien à l’agriculture et à l’émergence d’une nouvelle figure au sein du monde agricole : celle de l’« énergiculteur ». (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à Mme Marie Evrard.

Mme Marie Evrard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui est présentée par ses auteurs comme ayant pour objectif de reconnaître l’agrivoltaïsme, « qui devient et se constitue comme une filière en soi, faisant émerger une nouvelle figure au sein du monde agricole : les énergiculteurs ».

Si l’on en croit cette proposition de résolution, des obstacles persistants freineraient le développement de cette filière. C’est, en effet, une filière en devenir, qui doit encore se structurer, mais c’est aussi une filière qui, malgré sa fraîcheur, se porte bien. Je vais tenter de vous le démontrer en me fondant sur les faits, c’est-à-dire sur des projets mis en œuvre dans mon territoire.

Le département dont je suis élue, l’Yonne, voit, comme beaucoup d’autres, se multiplier depuis quelques années les projets agrivoltaïques. Ces projets sont portés par des collectifs d’agriculteurs et soutenus par des sociétés privées. Ils sont également accompagnés, de manière plus ou moins volontariste, par les communes.

Cette filière s’inscrit donc dans nos priorités nationales, qui sont décrites dans la programmation pluriannuelle de l’énergie, adoptée par décret le 21 avril 2020 en vertu de la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat.

À l’échelon régional, le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) de Bourgogne-Franche-Comté fixe à 3 800 mégawatts la puissance des installations photovoltaïques qui devront être installées d’ici à 2030.

Dans ce contexte, la municipalité de Joux-la-Ville, située à 16 kilomètres au nord d’Avallon, est engagée avec détermination dans le développement des énergies renouvelables. Elle a ainsi décidé d’aller plus loin, en travaillant avec un collectif d’exploitants agricoles et la société Innergex, sur un projet photovoltaïque innovant. Sur son invitation, j’ai participé, le 2 décembre dernier, à une réunion de présentation du projet intitulé Grenier des essences, devant occuper une surface d’environ 100 hectares avec une puissance installée de 90 mégawatts.

Conformément aux délibérations du conseil municipal de Joux-la-Ville, la création d’un fonds de reconversion agricole est prévue. Ce fonds, abondé par le développeur privé, sera consacré à la mise en place de nouvelles pratiques agricoles. En effet, la municipalité a souhaité qu’un hectare de panneaux installés se traduise par un hectare de « cultures nouvelles ». Des réflexions sont ainsi en cours à propos d’un projet collectif de production, de transformation et de commercialisation de plantes aromatiques et médicinales. D’autres types de diversification sont également en projet : truffières, apiculture, agroforesterie ou encore élevage d’ovins.

Vous le voyez donc de manière concrète, avec cet exemple icaunais, le développement de la filière agrivoltaïque est en bonne voie et les financements ne manquent pas pour ces projets : comme me l’a précisé un autre développeur privé à Avallon, aucune subvention publique n’est demandée.

À cet égard, je souhaite évoquer les aides de la PAC, mentionnées dans cette proposition de résolution. Vous n’êtes pas sans le savoir, mes chers collègues, les règles d’éligibilité en la matière sont strictes et fixées à l’échelon communautaire. Pour rendre éligibles les surfaces sur lesquelles sont associées des activités agricoles et des activités photovoltaïques, il faudrait réaliser un travail ubuesque, en excluant des surfaces aidées la surface des panneaux.

Par ailleurs, l’éligibilité aux aides de la politique agricole commune paraît secondaire. En effet, le chiffre d’affaires par hectare d’une surface d’agrivoltaïsme représente un ordre de grandeur bien supérieur au montant des aides à l’hectare de la PAC. Faire bénéficier les projets photovoltaïques de ces aides aurait même l’effet inverse à l’objectif visé : il serait mal compris que les bénéfices de l’agriculteur ne proviennent que de l’énergie photovoltaïque et non plus de sa production agricole. Enfin, il est nécessaire d’éviter tout dévoiement de cette pratique.

Sur ce sujet, sans doute sera-t-il nécessaire de développer un modèle d’agrivoltaïsme plus vertueux, grâce à des panneaux intelligents qui s’orientent en fonction de la position du soleil.

Enfin, les auteurs de la proposition de résolution proposent d’insérer dans le code de l’énergie une définition de l’agrivoltaïsme. L’Ademe propose une définition pertinente, selon laquelle une installation photovoltaïque peut être qualifiée d’agrivoltaïque lorsque ses modules photovoltaïques sont situés sur une même surface de parcelle qu’une production agricole et qu’ils influencent celle-ci en apportant directement un des services listés ci-après : adaptation au changement climatique, accès à une protection contre les aléas climatiques et de prédation ou encore amélioration du bien-être animal et de l’agronomie, sans induire de dégradation importante de la production agricole ni des revenus issus de cette dernière.

Ces remarques ainsi faites, il nous paraît utile de prendre date sur ce sujet par l’intermédiaire de la présente proposition de résolution. Nous devons prendre dès maintenant des dispositions réglementaires, afin de fixer un cadre clair pour nos territoires ruraux.

Mme le président. La parole est à M. Pierre Médevielle. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pierre Médevielle. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agriculture est un secteur confronté à des problématiques diverses et, pour certaines, délicates à concilier entre elles. Ainsi, cette proposition de résolution l’indique, nous allons devoir accroître de 56 % notre production d’ici à 2050 pour assurer notre alimentation. Or les terres sont de moins en moins nombreuses et l’artificialisation abusive des sols est un défi majeur auquel nous devons répondre d’urgence.

Parallèlement, il est crucial de poursuivre l’effort de développement des énergies renouvelables, notamment solaires, pour atteindre un mix énergétique permettant notre indépendance et la neutralité carbone.

L’agrivoltaïsme s’inscrit dans cette double problématique, à la fois agricole et énergétique. C’est un secteur complexe, parce qu’il se situe à la confluence de ces domaines, dont les priorités ne sont pas toujours identiques.

Pourtant, l’agrivoltaïsme apporte à ces problématiques une réponse couplée, en recourant à des bâtiments ou à des surfaces agricoles pour associer vertueusement des cellules photovoltaïques à des activités d’élevage ou de culture. La production d’énergies renouvelables sur une exploitation agricole va dans le sens de la transition écologique et de l’écologie pragmatique de progrès que défend le groupe Les Indépendants. Elle facilite la production d’une énergie verte, qui peut bénéficier tant à l’exploitant qu’au réseau pour lequel l’énergie sera rachetée.

En introduisant la notion d’agrivoltaïsme, cette proposition de résolution met en lumière la possibilité, pour les agriculteurs, de valoriser leur production agricole grâce à la production énergétique. Ces installations permettent à ces derniers de contenir leurs coûts de production, en créant et en revendant de l’énergie, mais également d’optimiser leurs cultures. Ce faisant, elles contribuent aussi aux objectifs nationaux de zéro artificialisation des sols à l’horizon de 2030 et de capacités solaires installées supplémentaires.

J’ai pu le constater dans mon territoire, des exemples concrets ont déjà vu le jour. La société GreenYellow a signé, en juillet 2020, un accord de coopération avec ArcelorMittal Projects Exosun, pour la réalisation d’une première centrale sur grande culture en Haute-Garonne. Les travaux ont commencé et cette centrale offrira bientôt une production de 2 637 mégawattheures par an, ce qui équivaut à la consommation de 735 foyers. Bien sûr, les retours d’expérience seront cruciaux. On comprend tout l’intérêt, dans des zones comme le Sud-Ouest, de l’installation de panneaux verticaux, notamment sur les cultures de céréales, dont les rendements sont très mauvais par rapport à ceux de la Beauce. Cela permettrait d’éviter dans la période de maturation de la plante – mai et juin – un ensoleillement excessif et l’évaporation de l’eau et conduirait à une meilleure maturation du grain, donc à des rendements supérieurs.

Le développement de l’agrivoltaïsme ne va cependant pas de soi. La première priorité est de s’entendre sur une définition légale de cette activité, à inscrire dans le code de l’énergie. Cette étape est essentielle pour pouvoir reconnaître ce secteur et encourager l’émergence d’une filière en France.

L’intérêt premier que je vois à la définition contenue dans cette proposition de résolution est d’insister sur l’importance d’établir et de conserver une hiérarchie entre les activités agricole et énergétique. La crise sanitaire nous a rappelé la nécessité de maintenir notre souveraineté alimentaire. La France doit rester indépendante et capable de produire ce qu’elle consomme. Sur la parcelle, l’agriculture doit être l’activité principale et la production d’énergie l’activité secondaire. L’objectif est l’optimisation de la production agricole et non la production énergétique. Ce n’est que dans ce cadre clair que les dérives seront évitées.

De la définition de l’agrivoltaïsme découlent les questions de financement et d’investissement spécifique. La Commission de régulation de l’énergie aura un rôle à jouer via des appels d’offres particuliers, qui restent pour l’instant marginaux. L’agrivoltaïsme n’étant pas compatible avec tous les territoires, toutes les cultures ou tous les élevages, il sera fondamental que ces appels d’offres prennent en compte les impacts fonciers potentiels et encouragent les technologies les plus vertueuses. La possibilité d’un financement par le biais de la PAC doit aussi être explorée.

Enfin, comme avec toutes les activités de production d’énergies renouvelables, nous allons nous trouver confrontés au problème du stockage. Certaines solutions existantes paraissent parfaitement adaptées aux projets d’agrivoltaïsme. Je pense notamment au power to gas, qui permet de produire de l’hydrogène et de le stocker.

Qu’en est-il, dans la même optique, des contrats de rachat et d’injection dans le réseau de l’électricité ? Il faudra bien sûr un engagement minimal dans les contrats de rachat de l’électricité produite, sans cela, les agriculteurs, ou les « énergiculteurs », comme les qualifie cette proposition de résolution, ne pourront pas établir de prévisions cohérentes et fiables.

On le voit, l’agrivoltaïsme est un espoir nouveau qui doit devenir une solution réelle.

Mme le président. Il faut conclure, cher collègue.

M. Pierre Médevielle. Par conséquent, le groupe Les Indépendants soutient pleinement l’essor de l’agrivoltaïsme, parce qu’il croit en cette solution d’avenir innovante. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Daniel Gremillet applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord saluer l’initiative de cette proposition de résolution, qui vise à allier l’agriculture et la transition énergétique, prise par Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, et plusieurs de ses collègues.

Ce débat permet de rappeler l’importance de l’agriculture pour la production alimentaire ainsi que son rôle dans la transition énergétique, pour décarboner notre économie.

Aujourd’hui, l’agriculture contribue à hauteur d’un cinquième à la production d’énergies renouvelables en France, lesquelles représentent 20 % du mix énergétique. Le secteur agricole, grâce à la biomasse, à la méthanisation, au photovoltaïque et à l’éolien, dispose des atouts nécessaires pour apporter une contribution capitale. À titre d’exemple, en Mayenne – terre d’élevage par excellence –, le potentiel de méthanisation permettrait d’assurer l’autonomie énergétique du département.

Pour atteindre les objectifs fixés par la programmation pluriannuelle de l’énergie, la France doit accélérer le déploiement des installations solaires et mener de front la transition énergétique et la défense de sa souveraineté alimentaire.

L’agrivoltaïsme consiste en l’installation de panneaux solaires sur – et non à la place – des cultures agricoles. Cette pratique permet de protéger les cultures tout en produisant de l’énergie renouvelable.

Le développement de l’agrivoltaïsme est une solution pour préserver les surfaces agricoles tout en atteignant les objectifs de la transition énergétique. C’est indispensable, car nos agriculteurs, déjà touchés régulièrement par des prix de vente trop faibles et les effets du dérèglement climatique, doivent aussi affronter un défi propre à ce siècle, celui de la pénurie des terres agricoles. J’ajoute qu’il faut être très attentif à ce que la diversification des revenus des agriculteurs n’empiète pas sur la production alimentaire.

Cette proposition de résolution « esquisse des solutions pour lever ces freins afin de donner un soutien aux projets d’agrivoltaïsme qui pourraient faire de notre pays un modèle en la matière ».

Les freins identifiés sont au nombre de trois : le manque de définition, le manque de leviers et le manque de financement.

Comme l’écrivent les auteurs de la proposition de résolution dans leur exposé des motifs, les « projets agrivoltaïques ne sont pas éligibles aux aides de la politique agricole commune […] en raison de l’aspect innovant de cette double culture. Or, eu égard à ses nombreux avantages agricoles, à la création de valeur dans les territoires ruraux ainsi [qu’à] sa participation [à] la production d’énergie renouvelable, elle est pleinement légitime à en bénéficier ».

La PAC doit donc évoluer. Profitons, monsieur le ministre, de la présidence française du conseil de l’Union européenne pour mettre ce thème en débat. Nous avons, en Europe, une agriculture qui supporte les normes les plus exigeantes, donc tout ce que nous ferons contre notre agriculture, nous le ferons aussi contre l’écologie, qui est une des priorités du XXIe siècle.

Il me semble également indispensable de mettre en place des évaluations environnementales allégées ou simplifiées pour permettre le développement des petits parcs d’agrivoltaïsme et de diminuer le coût du raccordement de ces parcs. C’est une véritable revendication des différents porteurs de projet sur le terrain.

J’ajoute que le monde agricole a besoin de plus de formation, de conseil et d’accompagnement, afin de mieux préparer les agriculteurs à opérer cette transition agroécologique.

Il faut aussi encourager les complémentarités entre l’agriculture et le solaire photovoltaïque.

La crise sanitaire a montré que l’agriculture française était résiliente et qu’elle assumait ses responsabilités. Elle peut produire une alimentation saine pour tous et pour tous les budgets. Faisons-lui confiance et maintenons la diversité de nos agricultures sur le territoire national.

Il faut accompagner l’ensemble des agricultures pour que l’engagement contre le dérèglement climatique soit un facteur de progrès et d’innovation.

Cette proposition de résolution ne remet aucunement en cause l’agriculture, la production alimentaire, comme activité principale de l’exploitation. Cette philosophie, qui fonde la réflexion des auteurs de la proposition de résolution, le groupe Les Républicains y attache une importance capitale. C’est la raison pour laquelle il votera pour ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme le président. La parole est à M. Daniel Salmon. (M. Jacques Fernique applaudit.)

M. Daniel Salmon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la nécessaire transition énergétique et l’obligation d’atteindre les objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie en matière de déploiement des énergies renouvelables nous obligent à développer rapidement et radicalement, dans nos territoires, ces sources d’énergie sûres et propres, dont le photovoltaïque, une énergie verte pleine d’atouts.

Pour le photovoltaïque, l’objectif est, rappelons-le, de faire passer la puissance installée de 10 gigawatts à 20,6 gigawatts en 2023 puis à 35,6 gigawatts en 2028. Le chantier est énorme…

Pour parvenir à cet essor massif, nous devons nous en donner les moyens et toutes les possibilités de déploiement doivent être étudiées. En ce sens, l’agrivoltaïsme peut jouer un rôle pivot dans cette production énergétique, en conjuguant production agricole et production électrique, tout en préservant, bien sûr, le principe fort de non-artificialisation des sols et de maintien des surfaces agricoles.

Cela constitue une condition indispensable, dans la mesure où, chaque année, on perd 33 000 hectares agricoles par le boisement naturel et 56 000 hectares par l’urbanisation ; le texte de cette résolution le souligne justement.

L’agrivoltaïsme est, comme la méthanisation, à la croisée de l’énergie, de l’agriculture et de l’acceptabilité sociale liée à la préservation de l’environnement. Si nous manquons encore de recul et de retours d’expérience sur cette filière, il est clair que celle-ci semble disposer, de prime abord, d’un certain nombre d’atouts : outre la ressource d’énergie verte, nous pouvons citer le soutien économique apporté aux exploitations et la protection contre les aléas liés au dérèglement climatique.

C’est pourquoi nous rejoignons les auteurs de cette proposition de résolution sur les principales recommandations formulées pour favoriser son déploiement.

Toutefois, pour nous, écologistes, plusieurs principes doivent primer.

Tout d’abord, nous soutenons un agrivoltaïsme contrôlé et dont les pratiques sont encadrées. Nous souhaitons la mise en place d’un cadre juridique clair, pour que les projets réellement vertueux et efficaces voient le jour, afin de nous prémunir ainsi des effets indésirables d’un développement non maîtrisé, à l’instar du déploiement de certaines unités de méthanisation. Certains types d’installations agrivoltaïques ont déjà démontré leur inefficacité, comme les panneaux solaires installés sur les toits de serres maraîchères, qui ne permettent pas une vraie production agricole.

Autre principe majeur : les cultures alimentaires doivent bien évidemment toujours prévaloir par rapport à la production d’énergie, un des principaux enjeux de l’agriculture pour les années à venir étant notre souveraineté alimentaire.

Troisième point essentiel : les installations photovoltaïques doivent d’abord s’implanter sur des espaces déjà artificialisés ou, en complément avec l’agrivoltaïsme, sur des terres peu fertiles, en déprise agricole, qui pourraient être remobilisées. Les commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) réalisent, tous les cinq ans, un inventaire des friches agricoles, un travail important et utile pour identifier les terres où l’agrivoltaïsme peut être vertueux.

Enfin, nous entendons qu’il existe un risque de spéculation foncière quant à la transmission des fermes. En effet, l’agrivoltaïsme peut inciter des agriculteurs retraités à ne pas vendre leurs exploitations pour conserver cette activité. C’est pourquoi la rémunération de l’agriculteur ne doit pas devenir une rente découplée de l’activité agricole.

Oui, l’agrivoltaïsme peut être une possibilité de développement dans les territoires agricoles en déprise, mais des garde-fous sont nécessaires pour limiter l’envolée des prix du foncier, pour interdire l’installation sur des terres productives, pour ne pas remettre en cause la pérennité du métier d’agriculteur. De plus, les installations ne doivent pas entraîner une diminution de la production agricole, elles doivent au contraire la conforter. La question de l’implantation des panneaux – écartement et hauteur – est à cet égard essentielle.

Quant aux préconisations formulées dans cette proposition de résolution, permettez-moi d’y revenir quelques instants.

La nécessité de définir l’agrivoltaïsme est tout à fait justifiée : les enjeux de biodiversité et de non-artificialisation des terres doivent être des objectifs centraux.

Il nous paraît pertinent de sortir les projets agrivoltaïques des appels d’offres « solaire innovant » de la CRE, afin de créer une catégorie spécifique d’appels d’offres.

En revanche, l’idée d’une éligibilité des projets agrivoltaïques aux aides de la PAC nous inspire une forme de circonspection, pour ne pas parler d’opposition. La question de la compatibilité avec le droit européen se pose. Sur ce point, nous sommes preneurs des éléments que vous pourrez nous apporter, monsieur le ministre.

Je conclus en rappelant que les retours d’expérience sur ces projets sont assez faibles. Il nous paraît donc judicieux de prendre davantage de recul afin d’avoir une base plus solide de bonnes pratiques et de données exploitables et de légiférer en conséquence, à l’issue d’une période exploratoire.

Ces enjeux soulignent également un peu plus la nécessité d’une planification, par un service public, des énergies renouvelables, afin d’éviter des déploiements anarchiques, guidés uniquement par le profit et donc mal acceptés par nos concitoyens.

Néanmoins, malgré toutes les réserves soulignées et après avoir appelé votre attention sur les nécessaires garde-fous, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera pour cette proposition de résolution. (M. Jacques Fernique applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens, dans un premier temps, à remercier les auteurs de cette proposition de résolution sur le développement de l’agrivoltaïsme. En effet, ce sujet soulève de multiples questions, dont nous avons eu l’occasion de débattre au cours des derniers mois : revenu des agriculteurs, préservation du foncier agricole, développement des énergies renouvelables et évolution de notre mix énergétique, un des outils permettant d’atténuer les effets du changement climatique.

En ce sens, ce sujet n’est pas anodin, car il soulève de nombreuses interrogations liées à la question de la multifonctionnalité de l’agriculture et de la vocation des agriculteurs à fournir à la société des biens autres qu’alimentaires.

En effet, agriculture et énergie sont fortement liées.

D’une part, l’agriculture est un secteur clef dans la transition énergétique et climatique. Si elle est fortement émettrice de gaz à effet de serre, environ 20 % de la production d’énergies renouvelables française en est issue. À cet égard, l’énergie en agriculture ne peut plus être considérée comme un enjeu secondaire.

D’autre part, les agriculteurs sont les premiers touchés par le changement climatique, par la perte de biodiversité et par l’appauvrissement des sols. Je le répète, ce qui est essentiel dans l’agrivoltaïsme, c’est l’agriculture et non la production d’énergie, qui doit dépendre, selon nous, d’un grand service public national.

Néanmoins, comme la petite hydroélectricité, dont nous avons débattu grâce à une initiative de notre collègue Daniel Gremillet, cette pratique peut avoir, si elle est maîtrisée, quelques vertus. L’agrivoltaïsme peut en effet être un outil agricole ayant pour but premier de protéger les cultures – par exemple des températures extérieures, trop fraîches ou trop élevées, ou de la grêle – ou encore de permettre de réduire la consommation d’eau.

Toutefois, si le secteur agricole a toute sa place dans la production d’énergie, il n’en demeure pas moins qu’il faut veiller à ne pas engendrer des conflits d’usage de la terre et une concurrence entre production alimentaire et production non alimentaire.

Cela peut être le cas pour le photovoltaïque sur les terres agricoles, présenté à la fois comme une énergie renouvelable rentable, comme un complément de revenu pour les agriculteurs et comme une activité compatible avec l’activité agricole, et qui a connu une progression rapide au cours des dernières années, mais qui suscite également de nombreuses résistances.

En effet, alors que 18 % des ménages agricoles vivent sous le seuil de pauvreté et qu’un tiers seulement de leurs revenus est issu de l’agriculture, l’énergie solaire a des airs de nouvel « or vert » pour les agriculteurs, qui ont de plus en plus de mal à vivre de leur activité.

Or le risque est grand de voir se développer des fermes photovoltaïques qui stériliseraient les surfaces agricoles et entraîneraient un renchérissement du foncier agricole, de nombreux exploitants accueillant sur leurs terrains des dispositifs photovoltaïques en contrepartie d’un loyer généreux.

Pour autant, toutes les formes de production solaire ne sont pas à exclure. Ainsi, pour l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’agrivoltaïsme est une façon d’éviter les conflits d’usage et il s’intègre dans le système agricole et alimentaire dans son ensemble.

C’est pourquoi il est indispensable, comme le soulignent les auteurs de cette proposition de résolution, de donner une définition précise de l’agrivoltaïsme, afin de le distinguer du photovoltaïque au sol.

De même, il est indispensable de rappeler que la production alimentaire doit rester la priorité et que le développement du photovoltaïque doit se faire au service de la production agricole. C’est le cas du photovoltaïque innovant.

C’est pourquoi il convient de mieux cibler les aides en faveur de ce mode de production énergétique plus respectueux de la priorité agricole, tout en encadrant strictement les surfaces de production solaire et les loyers proposés aux agriculteurs, afin que la part du revenu tiré de la production énergétique ne soit pas disproportionnée par rapport à celle du revenu tiré de la production agricole.

La question du revenu paysan ne se résoudra pas par la multiplication des revenus complémentaires, voire de substitution. Comme vous le savez, monsieur le ministre, ce débat continuera de nous animer.

Cette proposition de résolution est un premier pas que nous saluons. Malgré les questionnements que je viens d’évoquer, nous la voterons avec plaisir. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Pierre Moga. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, défense de notre souveraineté alimentaire, réforme de l’assurance récolte, préservation de la biodiversité ou encore non-artificialisation des sols : l’agriculture se trouve assurément au cœur de la transition écologique.

Elle est à la croisée des enjeux climatiques et énergétiques. Elle jouera un rôle de plus en plus important dans la production d’énergies renouvelables, comme l’a pertinemment souligné l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques dans son rapport relatif à la production d’énergie dans l’agriculture. D’ici à 2050, la production d’énergies renouvelables du secteur agricole sera multipliée par trois.

Toutefois, l’essor des énergies renouvelables dans l’agriculture ne doit pas se faire au détriment de la production alimentaire. Toute ambiguïté doit être levée : il s’agit, avec ce texte, de mettre la production d’énergie au service de la production agricole, et non de faire l’inverse.

C’est dans l’objectif de se prémunir contre tout conflit d’usage que les auteurs de la présente proposition de résolution estiment que l’agrivoltaïsme doit être soutenu et développé dans notre pays.

En effet, en conciliant cette double production agricole et photovoltaïque sur une même parcelle et en visant des synergies permettant d’améliorer la production agricole, l’agrivoltaïsme constitue une ressource incontournable pour la réussite des immenses et nombreuses transitions qui s’imposent à notre monde agricole.

Ne nous trompons pas, l’objectif premier de l’agrivoltaïsme est agricole. L’association des deux productions apporte plusieurs services à l’agriculture : des services écologiques, tout d’abord, en préservant la biodiversité ; des services agroéconomiques, ensuite, en réduisant à la fois le stress hydrique, avec une diminution de la consommation d’eau de 12 % à 37 % en fonction des cultures, et le stress thermique, en favorisant une meilleure photosynthèse, et en permettant une protection accrue contre les épisodes météorologiques.

J’aimerais insister sur ce dernier point, qui me semble très concret. L’année 2021 a été marquée par une vague historique de gel tardif, en avril dernier, qui a ravagé de nombreuses productions et causé plus de 2 milliards d’euros de pertes. Certains viticulteurs ou pruniculteurs du Lot-et-Garonne ont même tout perdu.

Si l’agrivoltaïsme ne peut contrer ces épisodes de gelées printanières, il peut en atténuer les effets. En cela, il est très complémentaire de la réforme de l’assurance récolte que nous examinerons prochainement.

Ainsi, l’orientation des panneaux solaires situés au-dessus d’une exploitation peut atténuer les conséquences des épisodes non seulement de chaleur, en réduisant l’exposition au soleil et les brûlures des feuilles, fruits et plantes, mais aussi de gel, avec l’utilisation de filets de protection, ou encore de froid, avec un écart moyen de température de 2 degrés, ce qui est suffisant pour sauver des récoltes lors de petites gelées printanières, ou de pluie, avec des systèmes de récupération des eaux.

L’agrivoltaïsme permet ainsi d’optimiser la production agricole, d’améliorer sa compétitivité, de la rendre plus résiliente. Il permet surtout de garantir la vocation agricole des sols concernés.

Nous comprenons les réticences de certains services instructeurs ou de divers représentants du monde agricole, qui craignent que le dévoiement de cette pratique n’entraîne un nouveau recul de l’activité agricole.

Ce n’est ni le positionnement ni la philosophie des auteurs de la présente proposition de résolution, qui cherchent, au contraire, à enclencher une dynamique vertueuse permettant de concilier deux productions essentielles, d’apporter un complément de revenus aux agriculteurs et, in fine, de créer de la valeur économique, énergétique et écologique dans les territoires ruraux.

Nos échanges avec les acteurs de la filière nous ont permis d’identifier trois principaux freins au développement de l’agrivoltaïsme et de formuler quatre propositions. Notre collègue Jean-François Longeot, avec lequel j’ai préparé cette proposition de résolution, a très bien souligné quels étaient ces freins : manque de définition permettant de différencier les projets sérieux des projets alibis ; manque de leviers permettant d’accélérer la dynamique de déploiement de l’agrivoltaïsme en France via les appels d’offres de la CRE ; enfin, manque de financements et incompatibilité des structures agrivoltaïques avec les financements européens de la PAC.

Je ne reviendrai pas sur le détail de nos propositions, parfaitement exposées par Jean-François Longeot. Je souhaiterais seulement évoquer la question des compensations collectives.

Depuis 2014, les projets de travaux d’ouvrages et d’aménagements susceptibles d’avoir des incidences sur la consommation de foncier agricole font l’objet d’une étude préalable définissant des mesures de compensation collective agricole.

Ces mesures sont de plusieurs natures : d’une part, elles visent à reconstituer du potentiel agricole via la réhabilitation des friches ou la remise à disposition de parcelles non agricoles ; d’autre part, elles tendent à mettre en place un projet local de développement agricole au moyen d’aides à l’installation de jeunes agriculteurs ou à l’acquisition de matériel agricole.

Dès lors, monsieur le ministre, le Gouvernement souhaite-t-il s’emparer de cette proposition de résolution pour favoriser le développement de l’agrivoltaïsme en France ? Qu’en est-il des annonces attendues sur cette question depuis plusieurs mois ?

Le groupe Union Centriste soutiendra bien évidemment cette proposition de résolution. Il se félicite de ce que le Sénat soit la première institution à formuler des propositions concrètes sur ce sujet d’avenir. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. Henri Cabanel.

M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ces derniers mois, les tensions d’approvisionnement sur le marché de l’énergie ont mis en lumière l’urgence d’agir en matière de transition énergétique.

En 2021, de nouvelles capacités de 290 gigawatts ont été installées dans le monde. Toutefois, selon l’Agence internationale de l’énergie, il faudrait encore doubler cet effort pour respecter la trajectoire fixée dans l’accord de Paris. La France reste en retard sur ses engagements nationaux et internationaux.

La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) fixe un objectif de 35,1 à 44 gigawatts de capacité photovoltaïque installée en 2028. Le respect de cette trajectoire suppose de tripler, voire de quadrupler, la superficie consacrée à l’implantation de ces projets.

Bien que la production énergétique ne soit pas la première cause de l’artificialisation des sols dans notre pays, l’essor de ce secteur ne doit pas se faire au détriment des sols naturels et de la production alimentaire, laquelle doit rester prioritaire en zone agricole, comme le souligne d’emblée la première phrase de l’exposé des motifs de la présente proposition de résolution.

Les contestations qui émergent autour des projets d’installation d’énergies renouvelables ne frappent pas uniquement les éoliennes ou les méthaniseurs. Les conflits d’usage s’amplifient sur le terrain en ce qui concerne le photovoltaïque, en particulier les centrales au sol, qui accaparent les terres agricoles, ce qui soulève des inquiétudes légitimes.

Afin d’assurer la compatibilité de la filière avec nos objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols, renforcés par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience, la proposition de résolution évoque l’agrivoltaïsme, qui permettrait, selon ses auteurs, de coupler la production d’énergie photovoltaïque secondaire à une production agricole principale à raison d’une synergie de fonctionnement entre les deux systèmes. La production agricole serait même optimisée grâce à l’installation d’ombrières pilotables avec un recours possible à l’intelligence artificielle.

Outre sa faible emprise au sol, l’agrivoltaïsme permettrait d’apporter un complément de revenu aux agriculteurs.

Sur le papier, cette solution apparaît très intéressante. Dans les faits, on ne peut faire l’impasse sur les risques de détournement des terres de leur vocation agricole et d’accaparement par des exploitations toujours plus importantes.

Cela ne doit pas être minimisé : dans certains territoires, on a assisté au développement de serres dotées de panneaux avec une activité agricole réduite ou inexistante. Il est donc indispensable de renforcer le contrôle a priori et a posteriori de ces projets afin de vérifier qu’ils correspondent bien à la définition de l’agrivoltaïsme que les pouvoirs publics voudraient promouvoir. La création d’un label « agroénergie », comme le préconisait, en 2020, le rapport de notre ancien collègue Roland Courteau et du député Jean-Luc Fugit, au nom de l’Opecst, pourrait constituer une piste afin de faire le tri entre les projets.

La production d’énergie photovoltaïque doit demeurer secondaire. Ce qui ne doit être qu’un complément d’activité et de revenu ne doit pas devenir plus rentable que l’exploitation agricole, ce qui risquerait d’entraîner une augmentation du prix du foncier agricole et de favoriser une spéculation alors que les rémunérations actuelles ne permettent pas à la profession de vivre décemment. Les loyers versés par les énergéticiens dépassent souvent trois à quatre fois les prix des fermages.

Oui à la diversification des revenus des agriculteurs ; non à leur remplacement par des rémunérations provenant d’activités annexes. Aussi faudrait-il instaurer un seuil correspondant à un pourcentage du chiffre d’affaires.

Il faut certes une définition, comme le proposent les auteurs de la proposition de résolution, mais aussi un encadrement. Or la proposition de résolution demande au Gouvernement de « lever les freins législatifs et réglementaires », sans préciser les points de blocage qu’elle voudrait voir disparaître.

Si je ne suis pas opposé à l’agrivoltaïsme en soi, je ne souhaite pas sa généralisation. Le soutien public doit aller en priorité à la profession agricole, à la préservation des superficies exploitées et aux innovations dont l’activité agricole pourrait bénéficier. À cet égard, les aides publiques doivent donc être conditionnées et correctement calibrées.

J’estime qu’une prise de recul est indispensable afin d’évaluer les conséquences des mesures proposées dans ce texte, et ce d’autant plus que la justice administrative a évolué favorablement sur ces projets photovoltaïques ces dernières années.

Aussi, il est préférable de favoriser le photovoltaïsme sur les toits des bâtiments, quels qu’ils soient, plutôt qu’au sol. Ne faisons pas reposer la responsabilité de la production énergétique sur les terres agricoles dont 88 hectares disparaissent chaque jour en France. Mobilisons davantage les gisements photovoltaïques potentiels sur les friches ou les zones déjà artificialisées.

Cette idée semble avancer. Pour autant, mon groupe votera majoritairement ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier les auteurs de cette proposition de résolution. Ce débat nous permet de commencer l’année en mettant en lumière la part croissante de la production d’énergie dans nos exploitations agricoles et les enjeux qui y sont associés.

L’actualité de ces derniers mois, particulièrement marquée par les questions énergétiques, nous incite plus que jamais à accélérer la transition énergétique.

Le monde agricole contribue d’ores et déjà de manière significative à la décarbonation de notre mix énergétique. Comme le rappellent les auteurs de cette proposition de résolution, 50 000 exploitations agricoles participent à la production d’environ 20 % de nos énergies renouvelables. En ce qui concerne le photovoltaïque, l’Ademe estime que 15 % du parc sont aujourd’hui situés en terres agricoles.

Ce défi de premier plan ne doit pas nous faire perdre de vue un autre enjeu majeur, celui de la préservation de la vocation nourricière des terres agricoles.

L’exposé des motifs de cette proposition de loi rappelle à juste titre, dès sa première ligne, que « l’agriculture a pour mission principale la production alimentaire ». Dans leur rapport d’information, présenté en 2020 au nom de l’Opecst, nos collègues Roland Courteau et Jean-Luc Fugit soulignaient aussi que la première fonction de l’agriculture était de produire notre alimentation et que « l’énergie ne peut pas entrer en compétition avec cette dernière ».

Aussi, en tant que législateurs, nous devons veiller à protéger à tout prix l’agriculture nourricière de cette compétition, qui ne peut que tourner à son désavantage et dont on constate déjà les premiers effets délétères.

Face à l’insuffisance des revenus issus de l’agriculture, de plus en plus d’exploitants se tournent vers la production d’énergie, plus rémunératrice. La tentation est grande, quand on sait que le loyer versé pour une installation solaire peut être dix fois plus élevé que ce que rapporte la terre à un exploitant.

Cette mise en concurrence participe, en outre, d’une spéculation sur le prix du foncier agricole et accentue les difficultés d’installation, dans un contexte de doublement du prix des terres agricoles en vingt ans et de raréfaction des terres disponibles.

Face à ces constats que je crois largement partagés dans cet hémicycle, cette proposition de résolution présente l’intérêt de mettre en avant des solutions concrètes pour tenter de concilier développement des énergies renouvelables et préservation de notre agriculture, grâce au soutien à l’agrivoltaïsme.

Le texte propose tout d’abord d’inscrire la définition de ce nouvel objet dans la loi en reprenant la définition retenue par la Commission de la régulation de l’énergie ou par l’Ademe.

Il s’agit en effet d’un préalable fondamental, car ce néologisme peut sembler désigner toute installation de production électrique photovoltaïque dans une exploitation agricole. La jurisprudence, qui repose sur un arrêt du Conseil d’État de 2019, autorise ainsi les projets photovoltaïques sur des terres agricoles tant qu’il existe une production agricole, qu’elle soit principale ou accessoire. L’état actuel du droit est donc peu protecteur pour notre agriculture.

À ce stade, mes chers collègues, je voulais vous demander si la définition retenue dans l’exposé des motifs était volontairement tronquée ou s’il s’agissait d’une omission. Selon la définition en vigueur à la CRE, la synergie de fonctionnement entre production agricole et production électrique doit être « démontrable ». Or ce terme est absent de votre texte.

Il s’agit pourtant d’un critère important pour éviter certaines dérives. Je pense, en particulier, aux contrôles effectués par la direction départementale des territoires (DDT) des Pyrénées-Orientales en 2018 : sur les soixante serres concernées, « les deux tiers ne présentaient soit aucune activité agricole, soit une activité réduite ».

Dans cette proposition de résolution, vous citez les bénéfices de l’agrivoltaïsme pour la production agricole, comme la protection face aux épisodes météorologiques, la réduction du stress hydrique, la résilience face au changement climatique… Ce sont des effets très positifs, mais qui n’existent que pour certains types d’installations, particulièrement innovantes, notamment pour la vigne et les vergers.

Or, à l’heure actuelle, comme le rappelle l’excellent article de Libération du 5 décembre dernier, les projets d’agrivoltaïsme « les plus répandus » correspondent à l’installation de panneaux dans des pâturages. On est loin des persiennes pilotées par intelligence artificielle qui permettent d’installer des filets anti-grêle.

Aussi, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est tout à fait disposé à soutenir le développement de l’agrivoltaïsme, dès lors qu’il s’agit bien de techniques ayant d’abord pour but d’améliorer la production agricole et non de l’utiliser comme un alibi au profit d’une production plus rentable.

S’il était possible d’amender une proposition de résolution, nous vous aurions proposé de reprendre un certain nombre de recommandations permettant d’introduire des garde-fous afin de prévenir toute dérive irréversible sur notre modèle agricole.

Pour que ces pratiques innovantes et porteuses d’espoir puissent réellement prospérer, nous devons tout d’abord nous assurer qu’elles ne soient pas « étouffées » par des pratiques moins vertueuses. Aussi, nous aurions pu vous proposer de mettre en place un moratoire sur les projets de centrales photovoltaïques sur des terres agricoles ou naturelles.

Autre sujet d’inquiétude, qui tempère les bonnes intentions du texte, les auteurs terminent leur exposé des motifs en résumant l’enjeu de ce texte à l’émergence d’une nouvelle profession agricole : les « énergiculteurs ». Nous croyons, au contraire, qu’il est plus que jamais nécessaire de défendre les agriculteurs, de leur permettre de vivre de leur travail et non de baisser les bras en actant que seule cette hybridation des métiers peut représenter l’avenir du monde agricole.

C’est pourquoi, tout en saluant la démarche de nos collègues qui permet d’ouvrir ce débat, nous nous abstiendrons sur cette proposition de résolution.

Mme le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Gremillet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer les auteurs de cette proposition de résolution, Jean-François Longeot et Jean-Pierre Moga.

Il s’agit d’un sujet important. L’atteinte de la neutralité carbone à l’horizon 2050 nécessite de développer les sources d’énergie décarbonées. Or, comme cela a très justement été rappelé dans un récent rapport du Centre commun de recherche de la Commission européenne, l’empreinte au sol des énergies renouvelables, comme le solaire ou l’éolien, est très supérieure à celle de l’énergie nucléaire… (M. Daniel Salmon marque son désaccord.) L’essor des énergies renouvelables est donc porteur de conflits d’usages, ce qui pose la question de l’utilisation du foncier disponible et de la conciliation entre les activités économiques dans nos territoires ruraux.

Le Sénat est très soucieux d’un développement harmonieux des énergies renouvelables : dans la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, dite loi Énergie-climat, notre commission des affaires économiques a fait adopter le principe d’un équilibre entre la valorisation énergétique de la biomasse et les activités économiques, telles que l’agriculture et la sylviculture, mais aussi les bénéfices environnementaux, comme la capacité à produire et la qualité des sols.

La mission sénatoriale d’information sur la méthanisation, confiée à nos collègues Daniel Salmon et Pierre Cuypers, a préconisé de soumettre les projets de méthanisation à l’avis préalable des maires.

Dans la loi Climat et résilience de 2021, la commission des affaires économiques a prévu l’association préalable des communes littorales aux projets de parcs éoliens en mer et l’information des maires de toute réorganisation des concessions hydroélectriques.

C’est donc avec un grand intérêt que j’accueille cette proposition de résolution, dont je remercie chaleureusement les auteurs. Elle vise à promouvoir l’agrivoltaïsme en lui offrant un cadre juridique et en l’intégrant aux appels d’offres de la Commission de régulation de l’énergie et aux fonds de la politique agricole commune.

Je souscris pleinement à l’objectif de cette proposition de résolution. L’agrivoltaïsme est bénéfique à nos agriculteurs, qui doivent disposer de toutes les facilités administratives et financières nécessaires. Au-delà de ce texte, je souhaite exposer ma vision de l’agrivoltaïsme.

En premier lieu, il me paraît essentiel que les activités énergétiques exercées par nos agriculteurs soient accessoires et non principales, facultatives et non obligatoires. En clair, il ne faudrait pas que nos agriculteurs se tournent vers l’énergie, faute de rentabilité suffisante en agriculture.

En deuxième lieu, il me semble important que les installations énergétiques respectent des normes rigoureuses sur le plan de l’urbanisme, du patrimoine ou des paysages. Nous sommes très soucieux de l’essor du photovoltaïque, que nous avons promu en zone littorale dans la loi Énergie-climat de 2019, et en zones non artificialisées dans la loi Climat et résilience de 2021. Pour autant, cet essor doit être maîtrisé, territorialisé, qualitatif, respectueux des pouvoirs des maires et des plans des collectivités.

Veillons à ne pas reproduire, pour le photovoltaïque de demain, les mêmes erreurs que pour les éoliennes d’hier.

En troisième lieu, il me semble crucial que le développement de l’agrivoltaïsme s’accompagne d’une simplification des normes.

Donner un cadre à l’agrivoltaïsme est utile. À cet égard, je salue les initiatives de droit souple conduites en ce sens : la CRE l’a intégré à ses délibérations ; certains acteurs économiques ont promu de bonnes pratiques en la matière, à l’instar de la charte adoptée par Chambres d’agriculture-France, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et EDF.

Intégrer l’agrivoltaïsme aux appels d’offres ou aux fonds est aussi utile. Pour réussir, cette intégration doit naturellement respecter une neutralité non seulement entre les différentes technologies de production d’énergie solaire, mais aussi entre les procédés de valorisation énergétique existant en l’agriculture – je pense notamment au biogaz, aux biocarburants, au bois-énergie, à la cogénération, au réemploi de la chaleur ou du carbone.

Enfin, il me paraît fondamental de prendre en compte l’impact environnemental de tout projet énergétique, y compris d’agrivoltaïsme, pour lutter contre le dumping environnemental et relocaliser les chaînes de valeur des énergies renouvelables, en France et en Europe.

Oui, monsieur le ministre, je pense que nous avons une carte à jouer en agriculture avec les toitures, les serres, les ombrières et toutes les installations de protection du maraîchage, de l’arboriculture ou les bâtiments d’élevage.

Nous sommes tous très attachés à ce bilan carbone, puisque nous l’avons appliqué aux projets attribués en guichets ouverts dans la loi Énergie-climat de 2019, et par appels d’offres dans la loi Climat et résilience de 2021. Soyons attentifs à sa réelle et complète application.

Notre groupe votera bien évidemment cette proposition de résolution tendant au développement de l’agrivoltaïsme en France, dont je remercie encore une fois les auteurs. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Christian Redon-Sarrazy. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est difficile de s’opposer à une nécessité qui aura force de loi dans les années à venir : l’agriculture devra participer à la transition énergétique de la France et, pour ce faire, nos exploitations agricoles devront contribuer à la production d’énergies renouvelables.

Les auteurs de cette proposition de résolution, que je remercie, nous permettent d’examiner aujourd’hui le développement de l’agrivoltaïsme, lequel pourrait permettre une synthèse entre production agricole et production d’énergie photovoltaïque en fournissant notamment une source de revenus complémentaires aux agriculteurs. C’est également la position des chambres d’agriculture et de commerce.

Néanmoins, le développement de l’agrivoltaïsme doit s’accompagner de garanties afin d’éviter tout risque d’anarchie et d’accaparement du foncier, déjà soumis à une pression constante depuis vingt ans, au nom d’un potentiel gain financier. Or il nous semble que cette proposition de résolution omet de préciser nombre de ces risques.

Je pense tout d’abord au risque majeur de détournement de l’orientation du foncier agricole, dont la fonction première est la production alimentaire. Comme nous avons eu l’occasion de le souligner lors de l’examen de la loi portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires, les inquiétudes concernant les investisseurs extérieurs, dont les objectifs ne relèvent pas toujours de la production animale ou végétale, sont réelles et ont été rappelées à maintes reprises par de nombreux experts.

Outre l’abandon de la vocation première de ces terres, ces installations renforçaient de fait la spéculation sur le prix du foncier agricole. L’éligibilité des surfaces aux financements de la PAC, suggérée à tort par les auteurs de la proposition de résolution ne ferait qu’amplifier le phénomène.

Autre risque lié au développement de l’agrivoltaïsme : une plus grande artificialisation des sols, alors même que la lutte contre cette dérive est une priorité environnementale pour notre pays.

Ce risque est naturellement lié à celui du détournement de l’usage des terres agricoles au profit exclusif du développement des énergies renouvelables. Il pose surtout la question du renouvellement des générations : comment un jeune agriculteur pourrait-il accéder au foncier si son prix est inabordable ? Et comment être sûr que l’agriculteur, au moment de sa cessation d’activité, transmettra à un jeune ses installations agrivoltaïques et qu’il ne conservera pas cette rente pour compléter une retraite souvent bien faible ?

Cette possibilité peut avoir de graves conséquences sur l’aménagement du territoire. Elle constitue également un problème majeur pour les territoires ruraux, qui se retrouveront dotés d’espaces artificialisés sans activité et sans main-d’œuvre, l’installation photovoltaïque, une fois réalisée, ne nécessitant que très peu d’investissement humain.

Le caractère irréversible de ces installations, finalement plutôt industrielles, sur des terrains « déconstruits », qui ne pourront retourner à leur vocation d’origine, doit également nous alerter et susciter de grandes précautions.

Notre pays doit encourager le développement des énergies renouvelables. C’est une priorité indubitable. Toutefois, l’enfer est pavé de bonnes intentions. À l’instar du foncier agricole, l’agrivoltaïsme doit donc être encadré et contrôlé.

La profession agricole elle-même est divisée sur le sujet : la FNSEA, en partenariat avec l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) et EDF Renouvelables, a proposé une charte des bonnes pratiques pour développer et mieux encadrer les projets photovoltaïques au sol. On peut douter néanmoins de son efficacité, une charte n’ayant aucun caractère contraignant.

Pour sa part, la Confédération paysanne appelle, dans certains territoires, à un moratoire sur le développement de l’agrivoltaïsme, ce qui rejoint notre position : plein de potentialités, le sujet est également porteur de risques majeurs, qui nécessitent de trouver une position d’équilibre.

Combiner développement durable et maintien d’une agriculture vivace est possible, encore faut-il en débattre de manière transparente et réfléchie.

Encore une fois, notre agriculture de fermes ne doit pas devenir une agriculture de firmes ni céder aux sirènes d’un capitalisme « court-termiste » aux conséquences désastreuses pour notre souveraineté alimentaire et notre avenir.

Diversifier les revenus des agriculteurs est un objectif louable. Si les projets agrivoltaïques en font des « énergiculteurs », on s’engage très clairement sur une pente dangereuse. À cet égard, si les sénateurs socialistes ne s’opposent pas au développement de l’agrivoltaïsme, ils œuvreront à sa mise en place d’une manière raisonnée et équilibrée.

Pour ces raisons, nous abstiendrons sur cette proposition de résolution en souhaitant qu’un futur texte de loi nous permette véritablement d’exposer nos propositions.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Claude Anglars. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à féliciter nos collègues Jean-François Longeot et Jean-Pierre Moga d’avoir porté devant le Sénat ce sujet majeur pour le monde agricole, a fortiori dans le contexte actuel de fortes tensions.

L’agrivoltaïsme, qui désigne des installations permettant de coupler une production photovoltaïque secondaire à une production agricole principale tout en favorisant une synergie entre les deux productions, répond à des enjeux d’avenir pour l’agriculture et les agriculteurs.

Un rapport du Sénat soulignait déjà, en 2020, que l’agrivoltaïsme constituait une voie « très prometteuse en conciliant production agricole et production d’énergie renouvelable ». En 2022, cette conclusion est toujours valable ; elle est même renforcée par les transformations récentes du secteur agricole.

En ce sens, l’agrivoltaïsme est un défi pour le présent et l’avenir du secteur agricole. Il faut l’encourager par des politiques publiques claires. Cette clarté doit être celle de la loi, mais aussi celle de sa mise en œuvre.

La résolution atteint son objectif en posant les fondements nécessaires à une reconnaissance effective de « ce qui devient et se constitue comme une filière en soi ».

J’insiste sur la qualité de cette proposition de résolution, d’autant que, au sujet du photovoltaïque, la position du Gouvernement est à géométrie variable.

Ainsi, en 2020, la ministre de la transition écologique a voulu limiter les bénéfices de certaines installations en révisant les contrats photovoltaïques conclus en application des arrêtés tarifaires de 2006 et 2010. Certains acteurs de ces contrats s’en sont trouvés pénalisés.

En 2021, la même ministre a considérablement facilité l’obtention d’un tarif d’achat, en multipliant par cinq la taille des projets photovoltaïques sur bâtiments ne nécessitant pas d’appel d’offres. Notre collègue Christine Lavarde a noté à ce propos, dans un de ses rapports, que le Gouvernement avançait dans l’obscurité et avec précipitation.

Ces revirements du Gouvernement fragilisent le photovoltaïque en France, ce qui est regrettable. Au contraire, tel qu’il est défini dans le présent texte, l’agrivoltaïsme contient les éléments à même de développer une activité permettant un complément de revenus non négligeable.

Je tiens à le rappeler à mon tour : l’agrivoltaïsme est aussi complexe que porteur d’avenir.

Premièrement, il est bien sûr nécessaire d’anticiper la montée en puissance du réseau de collecte, de transport et de distribution de l’énergie électrique pour suivre le développement des unités de production locales. En Aveyron, deuxième département de France pour la production d’énergies renouvelables, nous avons ainsi constaté un allongement des délais, représentant parfois plusieurs années, pour la création et le déploiement des infrastructures d’Enedis et de Réseau de transport d’électricité (RTE). C’est pourquoi les besoins de recalibrage des postes sources et d’adaptation des réseaux doivent faire l’objet d’une attention particulière pour une politique d’aménagement globale.

Deuxièmement – les précédents orateurs l’ont déjà dit –, il est vital que l’agrivoltaïsme ne soit pas dévoyé. La production d’énergie ne doit pas être privilégiée au détriment des besoins agricoles. Le risque est réel, au regard de la programmation pluriannuelle de l’énergie, qui prévoit de doubler les capacités de production d’énergie solaire d’ici à la fin de l’année 2023. L’installation de nouveaux dispositifs photovoltaïques, qu’exige un tel objectif, risque de porter atteinte au foncier agricole.

Troisièmement – j’en suis persuadé –, l’agrivoltaïsme permet au contraire une optimisation de la production en apportant divers services à l’agriculture. En un mot, la production d’énergie doit être au service de l’agriculture et non l’inverse. L’électricité n’est pas une production agricole comme une autre.

Pour conclure, je soutiens, comme les autres membres de mon groupe, cette proposition de résolution qui permet de développer le mix énergétique de la France,…

Mme le président. Cher collègue, votre temps de parole est écoulé !

M. Jean-Claude Anglars. … que nous appelons tous de nos vœux ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme le président. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de lagriculture et de lalimentation. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, à mon tour, je tiens à remercier les élus du groupe Union Centriste d’avoir inscrit cette proposition de résolution à l’ordre du jour du Sénat. Je salue plus particulièrement Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, et Jean-Pierre Moga.

En effet, l’examen du présent texte me donne l’occasion de m’exprimer sur cette question importante : le développement des énergies renouvelables et leur possible synergie avec l’activité agricole.

Cette question est importante, car – nous sommes tous d’accord sur ce point – il nous faut développer les énergies renouvelables et notamment le photovoltaïsme. Elle est même essentielle, car en aucun cas le photovoltaïsme ne saurait prospérer au détriment de notre souveraineté agricole, dans une logique de concurrence opposant diverses utilisations des terres.

Or, cette concurrence, nous l’observons aujourd’hui. Dans l’ensemble des territoires, nos agriculteurs sont démarchés par des énergéticiens, qui cherchent à racheter leurs terres pour y implanter des centrales photovoltaïques. Cette situation n’est pas acceptable.

Nous devons concilier la production d’énergies renouvelables avec la production alimentaire et la souveraineté agroalimentaire de notre pays, laquelle impose de préserver notre patrimoine foncier affecté à l’agriculture et les activités agricoles.

Cet enjeu est d’autant plus grand que notre pays s’est doté d’une stratégie ambitieuse, que vous avez votée, de développement de la production d’électricité d’origine renouvelable en France métropolitaine continentale à partir d’énergie solaire photovoltaïque, plusieurs orateurs l’ont rappelé.

L’agrivoltaïsme peut constituer une menace s’il n’est pas précisément encadré – j’insiste sur ce point –, s’il donne lieu, comme plusieurs d’entre vous l’ont également souligné, à un développement anarchique.

Je pense bien sûr aux projets alibis. Celles et ceux qui se sont penchés sur le sujet ont tous en tête la question des serres alibis.

Je pense aussi au renchérissement du coût du foncier. Je le rappelle à mon tour : avec un chiffre d’affaires de l’ordre de 60 000 euros par hectare, certaines sociétés spécialisées dans les fermes photovoltaïques offrent des loyers dix ou vingt fois supérieurs à un fermage habituel.

En conséquence, en ouvrant trop largement le foncier agricole au photovoltaïque, on s’expose à un risque : augmenter très significativement le prix du foncier agricole, nuire à la compétitivité de notre agriculture, menacer notre capacité même d’exploiter ces terres agricoles et, partant, mettre en péril notre souveraineté agroalimentaire.

Inversement, nous pouvons tous considérer l’agrivoltaïsme comme une chance à saisir. L’Ademe l’a d’ailleurs souligné dans une récente étude.

Je pense par exemple aux pratiques culturales : cette production d’énergie permet de protéger des cultures contre tel ou tel aléa météorologique, par un couvert assurant un ombrage et régulant ainsi l’exposition au soleil.

Les fermes d’agrivoltaïsme permettent également de réintroduire un certain nombre de cultures dans les territoires. Il s’agit, à mon sens, d’une perspective très intéressante.

Évidemment, l’agrivoltaïsme peut aussi améliorer les revenus de nos agriculteurs.

Dans ce contexte marqué à la fois par les menaces et par les opportunités, la question fondamentale – et je remercie de nouveau M. le président Longeot de la poser dans le présent texte – est donc la suivante : comment faire du développement de l’agrivoltaïsme et du photovoltaïsme une chance pour l’agriculture, et non une activité concurrente de celle-ci ?

À cet égard, l’usage du terme d’agrivoltaïsme doit devenir systématique : ce n’est pas encore le cas aujourd’hui. Dans sa sémantique même, il montre bien que ce photovoltaïsme doit être en synergie – j’insiste sur ce mot – avec les activités agricoles. C’est absolument essentiel.

Dès lors, comment faire ? C’est tout l’objet des quatre volets de cette proposition de résolution, en écho desquels je soumets à votre attention quatre grands principes.

Premièrement – plusieurs d’entre vous l’ont déjà souligné –, la priorité doit rester de développer ces systèmes photovoltaïques sur les toitures, les surfaces déjà artificialisées et les friches. C’est l’évidence même, mais cela va mieux en le disant.

M. Daniel Gremillet. C’est essentiel !

M. Julien Denormandie, ministre. Si les appels d’offres sont assortis de critères précis afin que les projets photovoltaïques au sol soient orientés hors des terrains agricoles, par exemple vers des friches industrielles, c’est très bien.

Deuxièmement, nous devons encadrer – j’emploie ce terme à dessein – l’implantation de panneaux solaires photovoltaïques lorsqu’elle est prévue sur des terrains agricoles. Cet encadrement est absolument essentiel. D’ailleurs, à la demande du Président de la République, le Gouvernement travaille depuis plusieurs mois à l’élaboration d’une doctrine nationale en ce sens.

Le principe est simple : il faut fixer un cadre de nature à assurer la synergie que j’évoquais précédemment entre les activités photovoltaïques et agricoles. En aucun cas il ne faut aboutir à une compétition entre les premières et les secondes. Ainsi, dans le cadre des appels d’offres Innovation, que plusieurs orateurs ont mentionnés, seuls sont soutenus les projets dont on peut dire avec certitude qu’ils sont principalement consacrés à la production agricole.

Nous mettons d’ores et déjà cette logique en œuvre, conformément à ce que nous a demandé le Président de la République. Mais, aujourd’hui – vous l’avez également souligné –, il apparaît que de plus en plus de projets se développent en dehors de ces appels d’offres, parfois même sans soutien public. Nous devons donc aller plus loin en fixant un cadre réglementaire dépassant les critères définis au titre des appels d’offres, même si, comme plusieurs d’entre vous l’ont rappelé, ces critères sont indispensables.

Quand on creuse cette question, comme vous l’avez fait, on aboutit au constat suivant : les projets photovoltaïques au sol sont soumis à un certain nombre d’autorisations, notamment en matière d’urbanisme, et relèvent de la réglementation associée. Or, à l’heure actuelle, la réglementation encadrant leur implantation sur des terrains agricoles fait appel à des notions encore mal définies.

Ainsi, le droit de l’urbanisme indique sans plus de précisions que le projet doit être « nécessaire » à l’activité agricole ou « compatible » avec elle. Ces dispositions donnent lieu à des interprétations très différentes selon les territoires et à une jurisprudence qui peut se révéler extrêmement fluctuante, notamment quant au caractère significatif de l’activité développée.

En tout état de cause, la réglementation en matière d’urbanisme n’adopte pas du tout l’approche que j’évoquais tout à l’heure : celle de la synergie.

J’approuve donc l’objet de votre proposition de résolution : fixer un cadre national harmonisé allant au-delà des définitions retenues dans le cadre des appels d’offres, afin d’orienter les projets de centrales au sol dans le sens de l’agrivoltaïsme. À cette fin, il faut assurer une clarification traduisant bel et bien la notion de synergie, en lieu et place des termes flous encore parfois employés.

Ce besoin de clarification est d’ailleurs exprimé avec force par les professionnels eux-mêmes : vous l’avez dit à de multiples reprises. Il implique la modification du cadre réglementaire relatif aux règles d’urbanisme, pour préciser les exigences de synergie entre les activités agricoles et les activités énergétiques.

Plus précisément, il faut définir les critères permettant d’apprécier la manière dont le projet conforte une activité agricole pérenne. Ce dernier ne doit en aucun cas être conçu pour se substituer à elle.

Ces dispositions doivent garantir le maintien de l’activité agricole dans le temps : il serait trop facile de mettre en avant l’intérêt agricole de tel projet pendant quelques mois, puis de le laisser s’estomper progressivement.

Troisièmement, il faut donc assurer le suivi dans le temps de la préservation de la viabilité de l’activité agricole. En ce sens, nous devons définir dès à présent les mécanismes de contrôle et les sanctions possibles en cas de non-respect des conditions édictées. C’est un sujet d’importance, pour donner du poids aux mesures prises lors de la revue de ce pan du droit de l’urbanisme et, ainsi, garantir la préservation de notre patrimoine foncier agricole.

Quatrièmement et enfin, ce vaste chantier doit être mené en concertation avec les professionnels du monde agricole : à l’évidence, c’est avec eux qu’il faut travailler.

Il est indispensable d’identifier ce qui constitue une véritable synergie avec l’activité agricole, sur la base de critères précis. D’ailleurs, le Gouvernement s’y emploie actuellement ; nous avons déjà mené trois réunions de concertation avec les organisations professionnelles, en septembre, novembre et décembre, afin de leur présenter diverses orientations et de recueillir leurs avis et préoccupations. Ce faisant, nous cherchons à définir un cadre réglementaire vertueux.

Au terme de cette concertation approfondie, il est par exemple proposé qu’un projet solaire photovoltaïque sur terrain agricole ne soit autorisé qu’à certaines conditions précisément définies.

Tout d’abord, l’impact doit être considéré comme acceptable sur les sols, ce qui signifie a minima la présence d’un couvert végétal pérenne pendant toute la durée de l’exploitation, l’exclusion de fondations en béton et la réversibilité du projet, enjeu qui nous renvoie aux nombreux débats que suscitent aujourd’hui d’autres énergies renouvelables.

Ensuite, l’exercice d’une activité agricole significative doit être assuré. En vertu de la synergie précédemment évoquée, la production d’énergie doit être au service de l’activité agricole. Elle ne saurait s’y substituer. Ainsi, là où une situation de déprise agricole aura été identifiée, l’on pourra imposer le retour d’une activité relevant de l’agriculture, le photovoltaïque devenant alors un vecteur d’augmentation des revenus globaux de l’exploitation sans diminution de la part agricole de ces revenus.

En outre, il est important que les critères ainsi définis soient respectés tout au long de la vie du projet : non seulement il faut s’en assurer lors de l’installation, mais le producteur d’énergie doit le garantir dans le temps.

Enfin, les projets seront obligatoirement soumis à l’avis préalable de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Ils ne devront pas donner lieu à défrichement.

Le Gouvernement est désormais fort de ces principes. À présent, il doit les inscrire dans des textes réglementaires, puis, dans ce cadre sécurisé, ouvrir les appels d’offres qui auront été modifiés ou définis en conséquence.

Mesdames, messieurs les sénateurs, en résumé, nous devons à la fois traiter cet enjeu de définition dans les appels d’offres, préciser le cadre réglementaire, notamment en matière d’urbanisme, et énoncer ces principes en restant fidèles à notre logique : celle de la synergie.

L’agrivoltaïsme doit être au service du monde agricole et non se développer contre lui. Nous devons en tirer tous les bénéfices en écartant toutes les menaces qu’il peut représenter. Il nous faut donc être proactifs en agissant avec raison, dans un cadre extrêmement précis.

Cette proposition de résolution me permet aussi de souligner le rôle des agriculteurs dans la lutte contre le réchauffement climatique : nous ne le rappelons pas suffisamment.

À ce titre, nous pourrions également évoquer des enjeux comme la méthanisation, les biocarburants et le carbone. Il y a quelque temps, j’ai eu l’occasion d’écrire dans une tribune que les agriculteurs sont les soldats du climat. Le présent texte le prouve une nouvelle fois.

Je remercie de nouveau le président Longeot et, plus largement, les élus du groupe Union Centriste d’avoir appelé sur ce sujet l’attention de la Haute Assemblée ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La discussion générale est close.

Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

proposition de résolution tendant au développement de l’agrivoltaïsme en france

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu le code de l’énergie et notamment la section 1 du chapitre Ier du titre IV du livre Ier ainsi que la section 3 du chapitre Ier du titre Ier du livre III,

Vu le code de l’environnement et notamment le chapitre II du titre Ier du livre V,

Vu le code de l’urbanisme et notamment ses articles L. 110, L. 111-4 et L. 151-11,

Vu le code général des collectivités territoriales et notamment son article L. 4251-1,

Vu le code rural et de la pêche maritime et notamment son article L. 311-1,

Vu la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (dite « Loi Grenelle ») et notamment son article 88 permettant à toute personne morale, y compris les sociétés ou les groupements à vocation agricoles que sont les exploitations agricoles à responsabilité limitée (EARL), les groupements agricoles d’exploitation en commun (GAEC), les groupements fonciers agricoles (GFA) et les groupements fonciers ruraux (GFR), d’exploiter une installation de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil,

Vu la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche et notamment son article 94 instaurant l’obligation, pour les projets d’intérêt collectif, de justifier de leur compatibilité avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière sur le terrain sur lequel ils sont implantés,

Vu l’article L. 112-1-3 du code rural et de la pêche maritime, créé par la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, relatif à l’obligation de produire une étude préalable pour le maître d’ouvrage d’un projet de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements susceptible d’avoir des conséquences négatives importantes sur l’économie agricole,

Vu la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte et notamment son article 1er fixant pour objectif une augmentation de la part des énergies renouvelables afin de les porter à 23 % de la consommation finale brute d’énergie en 2020 et à 32 % de cette consommation en 2030,

Vu la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat et notamment ses articles 45 et 47,

Vu la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets et notamment ses articles 101, 191, 192 et 194 tendant à lutter contre l’artificialisation des sols,

Vu la circulaire du 18 décembre 2009 du ministre chargé de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer relative au développement et au contrôle des centrales photovoltaïques au sol,

Vu l’arrêté du 9 octobre 2015 du ministre chargé de l’agriculture relatif aux modalités d’application concernant le système intégré de gestion et de contrôle, l’admissibilité des surfaces au régime de paiement de base et l’agriculteur actif dans le cadre de la politique agricole commune à compter de la campagne 2015,

Vu les décisions du Conseil d’État n° 395464 du 8 février 2017 et n° 418739 du 31 juillet 2019 dites « Société Photosol »,

Vu la décision n° 16BX02223 de la Cour administrative d’appel de Bordeaux du 15 mars 2018,

Vu la décision n° 17MA04500 de la Cour administrative d’appel de Marseille du 11 décembre 2018,

Vu le règlement (CE) n° 834/2007 du 28 juin 2007 du Conseil relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques et abrogeant le règlement (CEE) n° 2092/91,

Vu le rapport n° 646 (2019 – 2020) du 16 juillet 2020 de MM. Roland Courteau, sénateur et Jean-Luc Fugit, député, fait au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques relatif à l’agriculture face au défi de la production d’énergie et sa proposition 16,

Vu le plan d’action national en faveur des énergies renouvelables pour la période 2009-2020 pris en application de l’article 4 de la directive 2009/28/CE de l’Union européenne du 23 avril 2009 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/CE et 2003/30/CE,

Vu la délibération n° 2021-169 de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) du 17 juin 2021 portant avis relatif aux sept projets de cahiers des charges d’appels d’offres pour le soutien à la production d’électricité d’origine renouvelable pour la période 2021/2026 et partageant le constat que les appels d’offres constituent un moyen efficace d’atteindre les objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie à moindre coût pour les finances publiques,

Considérant que l’agriculture devra produire 56 % de plus d’ici 2050 sur des terres toujours moins nombreuses ;

Considérant que l’essor des énergies renouvelables – particulièrement du solaire – et le maintien de la vocation agricole des terres pourraient conduire à un conflit d’usage ;

Constatant que la France a perdu le quart de sa surface agricole au cours des cinquante dernières années tandis que, chaque année, 33 000 hectares sont perdus par boisement naturel et 56 000 par urbanisation ;

Constatant que près de 50 000 exploitations agricoles participent à la production de 20 % de notre énergie renouvelable dont 13 % pour le solaire ;

Relevant que la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour une croissance verte prévoit de porter la capacité installée d’énergies renouvelables de 48,6 GW en 2017 à 73,5 GW en 2023 ;

Relevant que la production d’énergies renouvelables du secteur agricole est amenée à être multipliée par trois d’ici 2050 ;

Considérant que l’agrivoltaïsme permet non seulement de maintenir mais également d’améliorer la production agricole tout en produisant de l’énergie photovoltaïque ;

Considérant que l’agrivoltaïsme a des vertus agroéconomiques et une fonction de régulation agroclimatique via les différents services apportés à l’agriculture, notamment une réduction des stress hydrique, lumineux et thermique ;

Observant que l’agrivoltaïsme souffre d’un manque de définition, de leviers via les appels d’offre de la CRE et de financements via les fonds européens de la politique agricole commune (PAC) notamment ;

Invite le Gouvernement à lever les freins législatifs et réglementaires au développement de l’agrivoltaïsme et à donner un nouvel essor à cette filière ;

Souhaite inscrire une définition de l’agrivoltaïsme au sein du code de l’énergie et en tirer les conséquences législatives ;

Estime qu’il est nécessaire de sortir les projets agrivoltaïques des appels d’offres « solaire innovant » de la CRE afin de créer une famille dédiée au sein des appels d’offres ;

Propose de modifier le point IV de l’article 8 de l’arrêté du 9 octobre 2015 du ministre chargé de l’agriculture précité afin que les projets agrivoltaïques puissent bénéficier des financements européens de la PAC ;

Estime qu’il est nécessaire d’envisager un cadre réglementaire uniforme favorisant les pratiques de compensation agricole.

Vote sur l’ensemble

Mme le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

(La proposition de résolution est adoptée.)

Mme le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures vingt.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures quarante-cinq, est reprise à vingt-deux heures vingt, sous la présidence de Mme Nathalie Delattre.)

PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, tendant au développement de l'agrivoltaïsme en France
 

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Politique mise en place par le Gouvernement pour conforter la souveraineté maritime française sur les océans et garantir nos intérêts économiques et stratégiques

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la politique mise en place par le Gouvernement pour conforter la souveraineté maritime française sur les océans et garantir nos intérêts économiques et stratégiques.

Dans le débat, la parole est à M. Alain Cadec, pour le groupe auteur de la demande.

M. Alain Cadec, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en préambule, je tiens à remercier mon groupe de l’inscription de ce débat à l’ordre du jour, car les enjeux qu’il recouvre sont essentiels pour l’avenir de la France.

Ces enjeux sont globalement bien connus et bien compris de toutes les parties prenantes et de tous les acteurs politiques. Il s’agit du maintien de notre souveraineté territoriale et de nos droits exclusifs dans les zones concernées ainsi que de notre capacité à assurer une surveillance appropriée de ces espaces.

Nous devons non seulement empêcher les violations de notre domaine maritime et y prévenir les activités illicites, mais aussi être en mesure d’exploiter durablement toutes ses potentialités économiques, qu’il s’agisse des ressources halieutiques, énergétiques et minérales ou des multiples autres activités qui ont pour cadre le milieu marin.

Les défis considérables qui correspondent à ces enjeux sont de nature éminemment géopolitique. Il y va, ni plus ni moins, du rôle et de la place de la France dans le monde – celle qu’elle occupe actuellement, bien sûr, et celle qu’elle aspire à occuper dans les décennies qui viennent.

Pour y faire face, nous devons disposer d’une véritable vision stratégique, à moyen et long termes, et d’une approche holistique des problématiques très variées que recouvre une politique maritime digne de ce nom. Madame la ministre, c’est tout le sens du ministère de la mer, que vous dirigez.

Ce ministère est chargé de cette belle mission sans pour autant en maîtriser directement tous les aspects et tous les leviers. Ce n’est pas une critique personnelle, bien entendu. Tous les gouvernements successifs ont été confrontés à la même difficulté s’agissant de la politique maritime de notre pays : comment assurer la cohérence de l’action publique compte tenu de la grande diversité des décideurs politiques, des niveaux d’intervention, des administrations et des parties prenantes concernées ? Comment obtenir la mobilisation de moyens financiers, humains et logistiques suffisants au service de cette politique, compte tenu de l’ampleur considérable des besoins ?

Un cadre, qui n’est sans doute pas parfait, mais qui a le mérite d’exister, a été défini en février 2017, à savoir la stratégie nationale pour la mer et le littoral, qui retient quatre grands objectifs : le développement de l’économie bleue durable ; le bon état écologique du milieu marin ; la préservation d’un littoral attractif ; et enfin le rayonnement de la France.

Depuis l’adoption de cette stratégie, un quinquennat s’est écoulé : où en est-on aujourd’hui, qu’il s’agisse de sa mise en œuvre effective, des succès remportés, des difficultés rencontrées ou encore des nouveaux défis identifiés ?

Pour ma part, à l’occasion de ce débat, j’insisterai sur deux points qui me semblent particulièrement préoccupants.

Mon premier sujet d’inquiétude est le maintien, voire la défense, de notre souveraineté et de nos droits exclusifs sur les espaces qui constituent le domaine maritime de la France.

Le défi est évidemment très grand, compte tenu de l’immensité de ces espaces : ils représentent près de 11 millions de kilomètres carrés au total – je ne vous apprendrai rien en rappelant qu’ils constituent le deuxième domaine maritime mondial –, dont 97 % sont liés à nos départements et collectivités d’outre-mer ainsi qu’aux Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).

Or, dans certaines des régions concernées, le contexte géopolitique est devenu particulièrement tendu. Je pense notamment au bassin indo-pacifique, où la Chine a accru ses capacités militaires de manière spectaculaire et où elle hésite de moins en moins à affirmer ses prétentions hégémoniques, comme le soulignent, dans leur rapport, nos collègues Pascal Allizard et Gisèle Jourda.

Le dernier référendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, prévu depuis 1998, s’est tenu alors que la Chine laisse planer de telles menaces et que, par un véritable coup de théâtre, la France vient de se voir exclue de l’alliance constituée par les États-Unis avec l’Australie et le Royaume-Uni.

Il s’agit certes d’une coïncidence malheureuse. Mais, selon moi, en gérant ces dossiers et en communiquant comme il l’a fait, le Gouvernement n’a pas envoyé les bons messages à nos partenaires et concurrents. Il n’a pas suffisamment exprimé la détermination de la France à rester un acteur majeur dans l’Indo-Pacifique. Au contraire, le sentiment qui prévaut est que, sur le dossier du référendum, la France a été passive, pour ne pas dire absente, et que, sur le dossier des sous-marins, elle s’est tout simplement fait rouler dans la farine.

De manière plus générale, notre marine nationale est placée face à cette question : comment assurer une surveillance efficace de toutes les composantes de notre domaine maritime, non seulement pour décourager les tentatives d’intimidation militaire et de prise de possession territoriale voire, le cas échéant, y répondre, mais aussi pour lutter contre la piraterie, notamment dans l’océan Indien, et pour détecter et sanctionner toutes les activités illicites, à commencer par la pêche illégale ?

Madame la ministre, notre marine nationale est un légitime objet de fierté pour les Français, de même, d’ailleurs, que notre administration maritime. Néanmoins, pouvez-vous nous assurer qu’elle dispose de moyens suffisants pour accomplir toutes ses missions et se développer comme il se doit dans les années à venir ?

La question de l’intégrité de notre domaine maritime comporte aussi des aspects juridiques et diplomatiques.

Pour empêcher des revendications intempestives de la part de pays riverains, la France doit poursuivre ses efforts de délimitation territoriale dans toutes les zones où cette délimitation n’est pas encore fermement établie.

Elle doit aussi éviter de donner à certains de ces pays, au travers d’accords internationaux, un accès trop généreux à des eaux sur lesquelles ils pourraient être tentés ensuite de revendiquer des droits.

Je salue au passage la vigilance et l’action de notre collègue Philippe Folliot : concernant l’atoll de Clipperton et l’île de Tromelin, il a alerté sur une certaine négligence de la France dans la protection de ses intérêts.

Mon second sujet d’inquiétude est la capacité de la France à exploiter au mieux toutes les ressources et potentialités économiques offertes par son domaine maritime.

Comme vous le savez, mon mandat précédent au Parlement européen m’a conduit à me consacrer particulièrement à la politique de la pêche.

Au sujet de ce seul secteur, bien des choses pourraient être dites : ainsi, on laisse la politique commune de la pêche (PCP) évoluer vers toujours plus de contraintes et de restrictions pour nos pêcheurs sans se préoccuper des conditions dans lesquelles sont pêchés les millions de tonnes de produits de la mer importés chaque année dans l’Union européenne.

Petit aparté : s’agissant des retombées très négatives du Brexit sur la pêche française, le Gouvernement a, me semble-t-il, manqué de fermeté face à la passivité de la Commission européenne dont le rôle est de faire appliquer l’accord et non de céder aux injonctions des Britanniques.

Toutefois, le problème est évidemment plus large et s’étend également aux ressources énergétiques et aux matières premières, sans compter tous les secteurs de services et les industries d’aval, le tout représentant un ensemble d’activités économiques liées à la mer très important, sur le plan tant du PIB que des emplois associés.

Nombre des activités en question doivent être soutenues et développées, notamment celles relatives aux ressources minérales présentes dans les fonds marins – sulfures et nodules polymétalliques, encroûtements cobaltifères –, qui représentent un immense potentiel dans un contexte global de raréfaction et de renchérissement des matières premières, mais dont la plupart des gisements doivent encore être localisés et sont d’accès difficile.

Une course est déjà bien engagée entre les grandes puissances maritimes pour l’accaparement de ces ressources. Il importe, madame la ministre, que la France ne prenne pas de retard en la matière.

Cet exemple doit aussi nous rappeler l’importance de la science et de la recherche fondamentale et appliquée, pour une meilleure connaissance des fonds et du milieu marins.

C’est l’occasion de saluer l’action de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), qui incarne l’excellence française en la matière, mais dont les projets doivent s’inscrire dans une véritable vision stratégique, disposer de financements suffisants et associer, autant que faire se peut, le secteur privé.

Je voudrais conclure sur cette question des ressources et des occasions de développement économique offertes à la France par son vaste domaine maritime en mettant en garde contre certains excès liés à la préoccupation écologique.

Je relève que, des quatre grands objectifs de la stratégie nationale pour la mer et le littoral – définis en 2017 comme je l’indiquais à l’instant –, trois sont entièrement ou en grande partie liés à la protection de l’environnement. Ces objectifs sont évidemment légitimes, mais leur atteinte ne doit pas occulter, selon moi, la nécessité pour la France de donner la priorité à la défense de ses intérêts stratégiques et économiques, dans un contexte global où d’autres grandes puissances maritimes ne s’embarrassent pas toujours – vous ne pourrez pas me dire le contraire, madame la ministre – des mêmes contraintes.

Dans plusieurs rapports sur la pêche, aussi bien au Parlement européen que dans cette assemblée, j’ai utilisé, en paraphrasant Staline, l’expression de « durabilité dans un seul pays » pour souligner la faiblesse intrinsèque de politiques qui font reposer sur la France ou sur la seule Union européenne le poids des efforts à consentir pour assurer la protection du milieu et la préservation des ressources.

La France, dans la définition et la mise en œuvre de sa stratégie maritime, ne doit pas tomber dans ce travers. Il importe donc que son action résolue en faveur du milieu marin s’exerce avant tout dans le cadre des organisations internationales, multilatérales et régionales compétentes, en s’assurant en permanence d’un effort partagé équitablement par tous les pays concernés, plutôt que de manière unilatérale.

À quelques mois d’un nouveau quinquennat,…

Mme la présidente. Cher collègue, il ne faudrait pas trop dépasser votre temps de parole.

M. Alain Cadec. … et d’un nouveau cycle politique pour la France, il était en tout cas opportun pour cette assemblée de faire le point, en prenant un peu d’altitude et de recul, sur ces importantes thématiques afin d’assurer, pour utiliser une métaphore maritime, que le cap est le bon et que la barre est fermement tenue. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – MM. André Guiol et Joël Guerriau applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre pays entretient un lien particulier avec la mer. Notre histoire nous a conduits à parcourir et à traverser tous les océans. Ainsi, le territoire national de la République française se trouve aussi bien en Amérique du Nord, dans les Caraïbes, en Amérique du Sud, dans les océans Indien et Pacifique, qu’en Antarctique.

Cette diversité est une chance pour notre pays. Nous nous réjouissons à cet égard que les Néo-Calédoniens aient fait pour la troisième fois le choix de rester Français en décembre dernier.

La délégation sénatoriale aux outre-mer a produit un grand nombre de rapports, très riches en préconisations. Je me souviens en particulier de l’un d’entre eux dont j’ai été le coauteur en 2014, qui préconisait d’instituer un ministère de la mer. Aussi, je me réjouis de votre présence ce soir, madame la ministre.

Dans ce rapport, nous avions formulé plusieurs recommandations concernant la promotion aux échelons national, européen et mondial d’un cadre normatif pour une économie bleue durable, notamment par la prise en compte dans le code minier de la fragilité du milieu marin.

Quelles sont les avancées sur le plan international, madame la ministre ? Où en est la convention de Montego Bay ? La Chine, qui a ratifié le texte, en piétine les principes, que les États-Unis, qui ne sont pas signataires de la convention, défendent.

Nous préconisions aussi la restructuration de nos activités marines en filière intégrée, de la recherche jusqu’aux activités marchandes. Avons-nous progressé à ce sujet ?

Le domaine maritime revêt pour la France une importance toute particulière au vu de sa présence sur l’ensemble du globe. Ce domaine est une richesse que beaucoup nous envient et que nous devons savoir mettre en valeur.

Pour cela, il est essentiel de connaître avec précision la composition de ces espaces. Le service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) est l’un des principaux piliers de cette connaissance.

Le développement d’un prototype de robot sous-marin devrait nous permettre de nous doter d’une capacité d’investigation à grande profondeur à la fin de cette année. L’Ifremer a mené plusieurs études visant à améliorer la connaissance de nos fonds marins, mais force est de constater qu’il nous reste encore beaucoup à découvrir.

Comme nous l’avons souligné, nous avons eu l’occasion de regretter le retard pris par le programme « capacité hydrographique et océanographique future », à l’heure où le monde a les yeux rivés sur la zone Asie-Pacifique.

Les Russes et les Chinois se montrent très actifs en la matière et prêtent une grande attention à ce milieu qui voit passer l’essentiel du commerce mondial ainsi que d’importants câbles de télécommunication. Il est essentiel que notre pays ne prenne pas de retard dans ce domaine.

Au-delà de la connaissance, il est également primordial que la France dispose de la maîtrise de ses eaux. Nous avons vu certains pays tenter de déstabiliser nos territoires d’outre-mer. Nous en voyons d’autres tester régulièrement notre vigilance au large de nos côtes.

La France dispose d’une marine de premier ordre. Le Gouvernement a maintenu les efforts prévus par la loi de programmation militaire (LPM). Nous nous en félicitons. Notre pays est l’une des rares puissances mondiales disposant d’une dissuasion nucléaire sous-marine, silencieuse et indétectable. Nous devons conserver ce rang.

Nous voyons s’accroître les menaces. La stratégie de durcissement et de préparation à la haute intensité répond bien à cette réalité. Le budget de la défense doit être à la hauteur des missions qui sont confiées à nos armées.

Ces efforts doivent nous assurer la supériorité, notamment dans le domaine maritime. Les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) de classe Barracuda figurent parmi les meilleurs de leur catégorie. Combinés aux autres moyens de la marine, ces bâtiments nous permettent d’assurer des missions de surveillance ainsi que de protéger la France et ses intérêts partout dans le monde.

La regrettable décision de l’Australie, revenant sur sa commande de sous-marins français pour finalement naviguer sur des bâtiments américains, n’enlève rien à l’implication de notre pays dans cette zone. Nos territoires ultramarins et notre coopération avec les acteurs de l’espace indo-pacifique nous y inscrivent dans la durée.

J’ai récemment eu la chance de visiter en Espagne le centre satellitaire de l’Union européenne. J’ai pu y voir des grappes de bateaux de pêche chinois escortés par des frégates pour ratisser les fonds de l’Indo-Pacifique. Cette réalité doit nous inciter à renforcer notre présence dans cet espace et à nous astreindre à l’exemplarité en matière environnementale.

La France participera à l’histoire de cette région qui compte parmi les plus stratégiques de la planète.

La Chine a compris que, pour dominer le monde, il fallait être une grande puissance maritime. Le général de Gaulle n’affirmait-il pas, en 1969 : « Les États chercheront à dominer la mer pour en contrôler les ressources » ? Nous y sommes : il est de notre responsabilité de préserver nos intérêts en nous donnant tous les moyens de le faire. (M. Olivier Cigolotti applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer.

Mme Agnès Canayer. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en 1994, Jacques Chirac disait : « Les Français aiment la mer, mais ils la connaissent mal. » Ces mots restent d’actualité près de trente ans plus tard.

Même si la France possède le deuxième domaine maritime mondial, après les États-Unis, les gouvernements successifs ne semblent pas avoir pris la mesure de ce bien stratégique pour notre économie et notre souveraineté, et cela malgré le récent Fontenoy du maritime.

La crise du coronavirus, le dérèglement climatique et le Brexit ont accentué la fragilité de l’économie maritime de notre pays, et donc de sa souveraineté.

En effet, il n’y a pas de souveraineté maritime sans une véritable ambition pour notre marine française, laquelle implique également une ambition portuaire. C’est sur ce sujet que je voudrais intervenir ce soir.

L’année dernière, le Sénat a été porteur d’une recommandation sur la stratégie nationale portuaire. Nous pouvons nous féliciter collectivement que ce rapport ait pu inspirer le Gouvernement, comme l’expliquait M. le Premier ministre lors du dernier comité interministériel de la mer (CIMer) qui s’est tenu au Havre en janvier 2021.

Toutefois, à l’approche de la fin du quinquennat, l’urgence est de mise. Il faut aller plus loin et s’inspirer directement des travaux de l’Institut Montaigne qui dessinent une véritable ambition pour la stratégie maritime française.

Au-delà des 1,5 milliard d’euros destinés aux ports de l’axe Seine, des 650 millions d’euros attribués au volet maritime dans le plan de relance, et de la fusion des ports de l’axe Seine, les faiblesses de nos grands ports maritimes métropolitains et ultramarins, qui sont la base de notre stratégie maritime, sont bien identifiées.

Portes de l’Europe, passages incontournables, nos ports font face à un déficit de fiabilité et d’efficacité.

La première raison de cette situation est connue : il s’agit du climat social, assez instable depuis 2016, et marqué notamment par plusieurs opérations « ports morts ». Ces actes condamnent un peu plus chaque jour nos ports face à la concurrence de nos voisins, notamment ceux de l’hinterland du nord de l’Europe.

De plus, notre hinterland national est bien trop mal relié, malgré l’immédiate proximité de l’Île-de-France : trop de routes, pas assez de trains et de transports fluviaux.

La mer est ce qui nous relie au monde entier, mais sa frontière, la terre, doit être le bras armé efficace de notre politique de souveraineté maritime, et non son handicap.

C’est la condition de notre survie au moment où le Brexit affecte nos pêcheurs, nos ports et nos échanges internationaux. Vous le comprendrez, un plan Marshall du maritime en France est nécessaire pour une véritable ambition relative à notre souveraineté nationale. C’est ce que le Sénat appelle de ses vœux.

En effet, d’un point de vue économique comme d’un point de vue écologique, il est important de déployer une véritable stratégie d’aménagement du territoire impliquant le développement du report modal vers le ferroviaire et le fluvial.

Ce point doit être prioritaire, au moment où se créent notamment des axes comme le canal Seine-Nord, qui reliera les ports du nord de l’Europe à l’hinterland.

Le rapport du Sénat intitulé « Réarmer » nos ports dans la compétition internationale préconisait le triplement des aides aux transports combinés. Malgré l’augmentation prévue dans le plan de relance, nous sommes loin du compte pour les ports français, qui sont essentiels au développement de notre stratégie maritime.

Enfin, comme l’a signalé mon collègue Alain Cadec, dans le cadre d’un Brexit « dur » et des relations que nous entretenons avec les Britanniques, il est urgent d’expérimenter le concept de port franc afin de rivaliser avec les ports anglais.

C’est cette nouvelle bataille que nous devons gagner pour maintenir notre souveraineté sur l’ensemble de notre stratégie maritime. En lien avec les collectivités locales, les zones franches portuaires peuvent être un levier pour maintenir nos ports à flot.

Ces idées et ces dispositifs existent déjà, ils sont possibles. Déjà annoncés lors des deux derniers CIMer, mais non suivis d’effets, il est temps, madame la ministre, qu’ils aboutissent dans les meilleurs délais face à la férocité croissante de la compétition internationale dans ce secteur.

Le renforcement de l’attractivité de nos ports est plus que jamais un impératif pour doter la France des moyens d’agir efficacement afin de maintenir sa souveraineté maritime. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. André Guiol et Olivier Cigolotti applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique.

M. Jacques Fernique. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « Les changements que nous avons déjà provoqués dans le système océanique perdureront pendant des siècles et aggravent la crise climatique. » Ce sont les mots prononcés par Dan Laffoley, de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

La prise en compte de l’océan est effectivement essentielle si l’on veut parvenir à atteindre à la fois les objectifs climatiques de l’accord de Paris et les objectifs relatifs à la biodiversité.

La France, qui possède – nous l’avons dit – le deuxième espace maritime au monde, a un rôle déterminant à jouer pour la transition écologique du monde maritime. Notre groupe, et cela n’étonnera personne, ne partage pas sur ce point l’opinion de notre collègue Alain Cadec concernant ce qu’il considère, pour reprendre ses mots, comme des excès liés à la protection écologique.

Ces enjeux de durabilité sont d’autant plus importants à relever que la réalité économique du monde maritime pèse fortement. Le secteur maritime français représente en effet davantage d’emplois que l’industrie automobile.

Par notre débat de ce soir, nous nous interrogeons sur la politique nationale à mener pour conforter notre souveraineté maritime et garantir nos intérêts économiques et stratégiques. Cependant, nous savons tous que cette politique ne peut suivre une logique strictement nationale, et combien les capacités européennes et la coopération internationale sont déterminantes en la matière.

L’océan est aussi le jeu des puissances qui se disputent les espaces maritimes depuis l’Antiquité. La zone indo-pacifique est ainsi fortement marquée aujourd’hui par l’affirmation de la Chine.

Notre indépendance numérique se joue également au fond des océans. Notre pays, qui était en pointe sur la télécommunication sous-marine, a besoin d’une dynamique européenne forte pour pouvoir contrer la domination des Gafam.

Le défi de la France est de tenir son rang et ses responsabilités particulièrement pour la mise en œuvre de la transition écologique, par sa présence dans les océans à travers ses territoires d’outre-mer, et par de solides liens de coopération internationale.

L’enjeu est de contrer l’effondrement de la biodiversité, notamment par la lutte contre la surpêche, particulièrement la pêche illégale : il faut faire preuve de fermeté dans le bras de fer avec la Chine.

Comment assurer cette transition écologique alors que les tensions géopolitiques s’amplifient, que les enjeux géoéconomiques et stratégiques sont multiples, et que les intérêts d’exploitation économique à courte vue sont si puissants ?

La stratégie nationale d’exploration et d’exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins présentée par le secrétariat général de la mer il y a un an et confirmée dans le plan d’investissement « France 2030 » a annoncé la couleur. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces orientations ont fait tache, au lendemain du congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature.

Le Président de la République a dit clairement son opposition à la proposition de moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins défendue par l’UICN, dévalorisant ainsi d’une certaine façon ses propres déclarations en faveur de la protection des océans.

Nous regrettons, pour notre part, que le Gouvernement n’exclue pas la possibilité d’exploiter des ressources minérales dans les zones protégées. Une telle gestion ne pourrait être rondement qualifiée de durable. Entendons les préoccupations exprimées par les scientifiques, selon lesquels la perte de la biodiversité sera inévitable si l’activité minière dans les grands fonds marins est autorisée.

Les avantages à long terme d’un océan sain dépassent de loin les opportunités à court terme offertes par l’exploitation minière des fonds marins. La demande de minerais nécessitera de plus en plus de processus efficaces d’économie circulaire. Alors, encourageons avant tout l’innovation, le recyclage et la réparation plutôt que de miser sur le mirage de l’économie bleue.

Engager résolument notre stratégie maritime dans la transition écologique, loin de freiner la France, est gage d’opportunités économiques, sociales et géopolitiques. Par quels engagements pourrons-nous y parvenir ?

Nous le ferons d’abord en crédibilisant l’objectif de neutralité carbone du transport maritime à l’horizon 2050, comme ont déjà commencé à le faire nos voisins scandinaves.

Nous le ferons ensuite en protégeant effectivement au moins 30 % de l’océan au moyen d’aires marines protégées. Les résultats des réserves marines, quand elles sont sérieuses et strictes, sont spectaculaires déjà à court terme. Les niveaux de plénitude des espèces peuvent être rapidement retrouvés à condition de n’effectuer aucun prélèvement.

Des réserves marines efficaces signifient bien sûr la reconquête de la biodiversité, mais aussi le repeuplement des zones de pêche. L’océanographe François Sarano l’a dit clairement devant notre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable : « Il est nécessaire de transformer les pêcheurs exploitants en pêcheurs gestionnaires, en passant d’une logique de subventions à la destruction à une logique de rémunérations à la gestion collective. » Le chalutage profond doit être banni. C’est encore loin d’être le cas.

J’ai voulu insister, en cinq minutes, sur cet enjeu majeur, plutôt que de passer en revue tous les volets du débat qui nous est proposé. Je laisserai le mot de ma conclusion de nouveau à Dan Laffoley : « La protection de l’océan est affaire de survie humaine. » Il s’agit d’en prendre acte. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avec ses onze millions de kilomètres carrés, l’espace maritime français représente le deuxième territoire maritime le plus important du monde.

Que faisons-nous de cette immense responsabilité aux enjeux multidimensionnels ? Cette responsabilité, je la mentionne non seulement à travers la fenêtre étroite du débat demandé ce soir par le groupe Les Républicains, celle de la garantie de nos intérêts économiques et stratégiques, mais aussi avec la hauteur qui sied au rôle que devrait jouer la France pour la protection de ce bien commun mondial stratégique pour l’avenir de la planète.

N’oublions pas les mots du poète : « La terre est bleue comme une orange. » Elle est bleue comme la masse des océans.

Il y a bien deux manières d’entrer dans ce débat : la recherche de la puissance, stratégique, économique, militaire, qui place inévitablement mers et océans au cœur de la compétition mondiale, ou la prise de conscience du rôle nouveau que peuvent jouer mers et océans dans la construction d’un avenir durable pour l’humanité tout entière.

Je crois que la France, sans naïveté aucune sur les rivalités de puissance qui se jouent sur les mers, devrait choisir la seconde approche. Elle nous donnerait plus d’ambition pour faire de notre souveraineté maritime un atout au service du bien commun mondial. Elle nous ouvrirait des champs immenses d’alliances et de coopérations nouvelles.

L’approche dominante de la mer et des océans reste calquée sur la conception de la mondialisation et des échanges, historiquement construite autour du contrôle politique, économique et militaire des grandes routes maritimes géostratégiques reliant de port en port les zones de ressources et de matières premières aux riches nations occidentales.

Nous prétendons maintenir à tout prix ce contrôle, alors que des régions entières nouvelles demandent à contrôler leurs ressources et à disposer elles aussi d’un droit d’accès à ces grandes voies de circulation mondiales, et que, d’autre part, réchauffement climatique et bouleversements géopolitiques redessinent la carte du monde et font surgir de nouveaux enjeux.

Résultat : notre vision de la sécurisation de l’espace maritime est doublement dépassée. Elle est centrée sur une vision dépassée de nos intérêts, et elle sous-estime les nouvelles ambitions nécessaires pour une stratégie maritime au service de la sécurité globale planétaire.

Tout montre, par exemple, la place grandissante des enjeux de protection civile et de protection de l’environnement dans la mission même de nos moyens militaires maritimes. Les exemples sont nombreux en la matière.

Tout montre aussi, dans ces cas comme dans bien d’autres, la faillite de la gestion européenne ou mondiale des crises. Rappelons-nous ainsi, s’agissant du secours aux migrants en mer, le sabordage de l’opération Sophia que nous avions tenté de construire, et ses conséquences qui font aujourd’hui des routes de l’exil les routes migratoires les plus dangereuses du monde en mer, selon les organisations non gouvernementales.

Pourtant, notre priorité n’est, semble-t-il, pas là. Notre approche sécuritaire reste avant tout militaire. Là encore, pour quels résultats ?

En Europe, le renouvellement des moyens de patrouille militaire bute sur le choix allemand de se fournir plutôt auprès de Boeing que de Dassault, l’Allemagne tournant ainsi, une fois encore, le dos à l’autonomie européenne. Dans l’Indo-Pacifique, États-Unis et Royaume-Uni nous ont écartés sans ménagement du contrat des sous-marins australiens.

Faut-il dès lors courir après l’escalade à la confrontation militaire ? Je crois que ce serait une folie.

C’est une autre conception qu’il convient de déployer. Mon camarade et collègue Jean-Paul Lecoq soulignait récemment, à l’Assemblée nationale, l’ampleur des actions stratégiques à conduire pour protéger et développer notre espace maritime : surveillance, sauvetage, lutte contre la piraterie et le brigandage maritime, lutte contre les pollutions de toute sorte, accidentelles ou criminelles, lutte pour la dépollution des océans, protection des ressources halieutiques et naturelles, aide en cas de catastrophe naturelle.

Nous devons tenir notre rang au service de la sécurité globale. Les domaines où il convient d’investir sont nombreux et ils sont à notre portée si nous mobilisons nos atouts nationaux et multiplions les coopérations internationales : pour relever les grands défis écologiques – les grandes invasions biologiques marines, par exemple –, développer une nouvelle conception de la pêche axée sur la protection des ressources halieutiques, réinvestir dans la construction navale, incroyablement délaissée dans notre pays qui possède pourtant le deuxième espace maritime mondial, et œuvrer pour le retour d’un État stratège dans le développement de nos ports, en métropole comme en outre-mer, ainsi que pour le développement des énergies marines renouvelables.

C’est au service de la protection de cette nouvelle conception de notre politique maritime que nous devrions réfléchir.

Je souhaite enfin dire un dernier mot sur une question qui vient d’être évoquée.

Les fonds marins regorgent de minerais précieux, de métaux rares. De nombreux États font la course pour accaparer ces ressources stratégiques. Lors du dernier congrès de l’UICN qui s’est tenu à Marseille, 81 % des États et 95 % des ONG ont voté en faveur de la motion demandant un moratoire sur l’exploitation et l’exploration minière des fonds marins. La France s’est abstenue.

Nous suggérons au contraire que la France reprenne cette proposition de moratoire, et propose aux États concernés de signer ensemble un traité international visant à protéger les fonds marins de toute exploitation. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cigolotti.

M. Olivier Cigolotti. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les conflits en Indo-Pacifique, les tensions en Arctique, en mer Noire ou en mer de Chine, les problématiques d’explorations marines ou encore la rivalité franco-britannique sur les accords de pêche post-Brexit sont autant de sujets qui illustrent l’importance, mais aussi l’aspect multidimensionnel des enjeux maritimes du XXIe siècle.

Depuis la Grèce antique, les nations les plus puissantes sont maritimes.

Comme cela a déjà été rappelé, la France détient le deuxième plus vaste espace maritime du monde, avec plus de dix millions de kilomètres carrés que nous devons, en grande partie, à nos outre-mer.

La sûreté de cet espace stratégique reste essentielle pour notre souveraineté, et notre marine nationale est déployée sur tous les océans à cet effet.

Une partie non négligeable de notre économie, de notre industrie et de notre diplomatie est tournée vers la mer.

Dans la vive compétition mondiale, dont les ressources océaniques et la sécurisation des intérêts nationaux sont aujourd’hui l’enjeu, la France dispose d’atouts pour asseoir et développer sa vocation maritime.

À ce titre, notre stratégie nationale de sûreté des espaces maritimes articulée avec la stratégie nationale pour la mer et le littoral, entrée en vigueur en 2017, doit constituer un socle solide de réflexion pour que la France relève les défis de l’essor et de la survie de sa puissance maritime.

Compte tenu de l’étendue du sujet, je ne développerai que certains points qui me semblent essentiels, à commencer par la défense de nos intérêts stratégiques.

Entre tensions et convoitises, les défis de souveraineté de nos espaces maritimes ne manquent pas. Plusieurs contestations portent sur les délimitations de notre espace et opposent des États tiers à la France.

La remise en cause de l’extension de certaines zones économiques exclusives (ZEE), les manœuvres de bâtiments militaires étrangers, le développement d’activités illicites dans nos eaux doivent nous obliger à une certaine fermeté pour faire valoir nos droits, et assurer une surveillance de ces zones.

Autre sujet crucial pour nos intérêts stratégiques, celui des routes maritimes. Aujourd’hui, plus de 70 % de nos importations et exportations ainsi que le ravitaillement de nos territoires d’outre-mer et de nos forces militaires empruntent des voies maritimes.

L’accessibilité des grands axes est donc stratégique et vitale. À court terme, ces derniers ne devraient pas être bouleversés. Cependant, à moyen terme, compte tenu de la baisse des besoins en pétrole brut au profit des produits raffinés et de l’augmentation des besoins en gaz naturel, l’importance stratégique de certaines routes pourrait évoluer.

Il me semble important de mettre l’accent, avec les acteurs privés, sur l’analyse des évolutions des flux stratégiques et d’adapter notre stratégie à toute nouvelle menace sur les routes existantes ou futures.

Enfin, sur ce sujet des routes maritimes, il convient de souligner la décision de la CMA-CGM (Compagnie maritime d’affrètement - Compagnie générale maritime), qui s’interdit d’emprunter les routes du nord pour favoriser la protection des écosystèmes fragiles de l’Arctique. Nous ne pouvons que saluer, madame la ministre, cette décision respectueuse de l’environnement. La France s’est-elle exprimée pour inviter les armateurs étrangers à agir également en ce sens ?

Le deuxième point que je souhaitais évoquer a trait à nos intérêts économiques.

Certes, la France occupe une place centrale dans de nombreux secteurs de l’économie maritime.

Je pense, par exemple, à la construction, à travers les chantiers navals, au transport, via la présence d’armateurs dans les différents secteurs, ou encore à la présence d’entrepreneurs dans les services de travaux maritimes qui se développent avec l’économie bleue.

La marine marchande est un instrument de souveraineté pour garantir nos approvisionnements et nos exportations, très dépendants du transport maritime. Pourtant, depuis bien trop longtemps, ce secteur manque d’ambition commune pour garantir nos intérêts.

C’est pourquoi je salue, madame la ministre, le travail mené dans le cadre du Fontenoy du maritime visant à accroître la compétitivité du pavillon français pour renforcer la place économique et industrielle maritime française.

Il demeure cependant un problème central, celui de nos places portuaires qui continuent d’accuser un retard par rapport à nos voisins européens.

La puissance économique d’une nation se mesure par la présence ou l’absence de très grands ports de commerce. Aucun pays ne peut nourrir une ambition stratégique économique et écologique sans cela.

La modernisation en cours nécessite encore de lourds investissements d’infrastructures, mais aussi une diversification des activités portuaires.

Enfin, un mot sur les enjeux liés à la pêche. La crise des licences post-Brexit a mis en lumière, une fois encore, le poids économique de ce secteur, mais aussi, et surtout, le fort attachement des Britanniques à leur souveraineté maritime.

Au-delà des considérations politiques, une réalité s’impose à travers le monde : la demande de poisson étant croissante et les ressources halieutiques sauvages de plus en plus rares, l’accès aux différentes zones de pêche et sites aquacoles devient de plus en plus stratégique.

Ainsi, l’enjeu concerne la sécurité alimentaire de la population et la nécessité de fournir au marché français son apport en protéines issues du milieu marin. Nous devons continuer à défendre nos intérêts, notamment en coopération avec nos collègues européens.

Ces considérations m’amènent au dernier point que je souhaite évoquer : l’engagement de notre pays pour la protection de la biodiversité et de la ressource, mais aussi pour le développement d’une activité économique durable essentielle.

Notre souveraineté maritime réside également dans notre capacité à protéger nos ressources.

Face au dérèglement climatique et à la pollution des océans, la protection des mers est devenue un enjeu majeur pour la France, laquelle a développé un programme de protection de ses aires marines, en métropole comme dans les outre-mer. Ces aires marines protégées répondent à une volonté de préservation de la nature, qui n’exclut toutefois pas d’autres objectifs.

Qu’envisage-t-on, madame la ministre, à long terme, comme projets et comme avenir pour ces zones ?

Plus globalement, les acteurs de la mer entendent jouer un rôle dans la transition écologique de la France vers le développement durable, ainsi que contribuer à une économie prospère et à la préservation de la mer. L’État partage, bien évidemment, cette vision.

La presse se fait actuellement l’écho d’une réorganisation des services de l’État. Le Gouvernement prévoit de fusionner la direction des affaires maritimes et la direction des pêches maritimes et de l’aquaculture. Pensez-vous, madame la ministre, que cette nouvelle direction de la mer disposera des moyens et des compétences requis pour répondre à la préservation de notre souveraineté en alliant les enjeux économiques et environnementaux ?

L’espace maritime est une composante constitutionnellement affirmée de la République française, mais aussi un vecteur de l’autorité et du rayonnement de la France sur la scène mondiale.

Notre pays est un des rares États au monde riverain de trois océans : Atlantique, Pacifique et Indien.

Nous devons redoubler d’efforts pour conforter notre souveraineté maritime en protégeant nos ressources, pour des raisons politiques, économiques et environnementales, tout en travaillant à garantir la liberté de circulation sur les mers, dont on sait combien elle est aujourd’hui menacée. (M. Michel Canévet et M. Joël Guerriau applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Guiol.

M. André Guiol. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le temps du Mare liberum cher à Hugo Grotius est-il en passe d’être révolu ? L’idéal de liberté propre à l’espace maritime se heurte de plus en plus à la compétition qui se joue en son sein.

La revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 décrit clairement l’espace maritime comme un enjeu traditionnel de rivalités entre grands États, ce que confirme l’actualisation stratégique de 2021 qui rappelle les rapports de force à l’œuvre dans les fonds marins.

Notre pays, en tant que deuxième puissance maritime, a le plus à perdre en termes de souveraineté, si rien n’est fait pour que soit davantage régulée l’activité à la fois économique et stratégique tirée des mers et des océans.

Madame la ministre, nous sommes face à un thème aussi complexe qu’évolutif, qui appelle forcément une multitude de réponses, c’est tout l’intérêt de notre débat et de nos échanges de ce soir.

Tout d’abord, peut-on envisager une planification de la gestion des mers à l’échelle internationale, comme les États membres de l’Union européenne s’y emploient, poussés par la directive de 2014 ? La France y trouverait-elle un intérêt compte tenu de sa position privilégiée due à ses territoires d’outre-mer ?

Sur quels critères organiser l’exploitation partagée, bien entendu de façon durable, d’un espace à haute valeur marchande et stratégique ?

La convention des Nations unies sur le droit de la mer doit, en tout état de cause, évoluer, afin que les grandes puissances n’imposent pas seules leurs règles. Parfois sournoises, celles-ci aboutissent à « vaincre sans combattre », pour reprendre le slogan de la Chine.

A minima, la question sensible et majeure des câbles sous-marins mériterait d’être mieux appréhendée sur le plan du droit international, la captation malveillante des données par ce biais étant de plus en plus courante.

Nous savons depuis Blaise Pascal que l’humanité n’a pas su faire en sorte que la justice soit toujours la plus forte et qu’elle a dû mettre la force à sa disposition. Aussi devons-nous disposer d’une force d’action navale imposante, entraînée, reconnue, et donc respectée.

C’est ce que représente actuellement notre force maritime avec ses navires, ses sous-marins, ses avions, ses satellites, et, bien sûr, ses femmes et ses hommes entraînés et engagés.

Parmi les réponses visant à consolider notre souveraineté maritime, et si le multicapacitaire est préservé par la loi de programmation militaire, la nécessité de disposer en permanence d’un porte-avions opérationnel, fer de lance de notre groupe d’action naval, indépendamment des contraintes matérielles de maintenance, doit charpenter notre réflexion. Les études concernant le second porte-avions sont lancées, nous nous assurerons que le biseau temporel couvre totalement notre besoin. Une réflexion sur sa date de mise en service et sur celle du retrait graduel du service actif du Charles-de-Gaulle s’impose donc.

Aujourd’hui, notre marine est en mesure d’assurer notre souveraineté dans les arbitrages maritimes, de faire respecter le droit international, d’assurer la protection de nos zones économiques exclusives, d’effectuer des sauvetages en mer. Qu’adviendrait-il toutefois en cas de conflit long et de haute intensité ?

La question de la présence de nos bâtiments qui patrouillent sur et sous les océans, de leur nombre, de leur armement et de leurs performances se pose, en lien avec nos capacités financières.

La mise en perspective de cette réflexion passe par notre place dans l’OTAN, pondérée par la nécessité complémentaire d’une montée en puissance du pilier européen de défense. La place de la dissuasion nucléaire, dont seule la France dispose au sein de l’Union européenne, doit, dans ce contexte, être également considérée.

De façon plus générale, la souveraineté d’un pays repose aussi sur sa réputation, sur sa notoriété et sur le respect qu’incarne une nation ; une réputation méritée, acquise et gagnée par ses agissements nationaux et internationaux et par la richesse de son histoire. Il en est ainsi de la construction de paquebots à Saint-Nazaire, lesquels, bien que navigant sous pavillons étrangers, contribuent à la grandeur de la France et à la démonstration de son savoir-faire. De même, les pays partenaires bénéficient de sa politique d’aide au développement, par la construction d’infrastructures, par son savoir-faire agricole ou encore par la diffusion de sa langue, de sa culture et de son enseignement.

La France porte dans le monde une réputation humaniste, celle d’être la patrie des droits de l’homme, comme la Grèce est celle de l’origine de la démocratie et les États-Unis, celle du concept de liberté individuelle.

Conforter la souveraineté maritime de la France, et ainsi garantir nos intérêts économiques et stratégiques, passe aussi par la fidélité à nos idéaux de justice et de générosité, lesquels doivent demeurer associés à notre présence maritime sur les océans. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Filleul.

Mme Martine Filleul. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si notre pays possède le deuxième domaine maritime mondial, plusieurs facteurs fragilisent le plein exercice de la souveraineté française sur ces espaces, d’une part, et nos politiques ne sont pas à la hauteur, en ne prenant pas suffisamment en compte cet atout, d’autre part.

« La mer est un espace de rigueur et de liberté », disait Victor Hugo. La réalité est aujourd’hui tout autre. Plaques tournantes stratégiques des échanges commerciaux, ces étendues deviennent le théâtre de nouveaux affrontements. L’exemple récent du refus du Royaume-Uni d’octroyer des licences aux pêcheurs français nous l’a montré à nos dépens.

Dans ce dossier, la faible implication de la Commission européenne et l’absence d’appuis suffisants de pays amis ont révélé la perte d’influence française au sein de l’Union, qui met à mal notre souveraineté. Nous attendons donc que la présidence française du Conseil de l’Union européenne permette de résoudre cette problématique, de remobiliser nos alliés et de mieux articuler compétences et intérêts nationaux et européens.

Le changement climatique ne fera qu’accroître ces tensions politiques, s’agissant, en particulier, de la liberté de navigation et de l’accès aux ressources maritimes. En effet, l’élévation du niveau de l’eau sous l’effet de la fonte des glaces va affecter significativement la délimitation des différentes zones maritimes et donc l’étendue de la souveraineté d’un État côtier comme le nôtre.

Nous plaidons donc pour que la France œuvre non seulement pour limiter le réchauffement de notre planète, mais aussi pour porter ces futures problématiques sur la scène internationale afin de prévoir des mécanismes de prévention de ces conflits.

Au-delà de la géographie, notre souveraineté maritime nécessite des infrastructures compétitives, sûres et sécurisées, au premier rang desquelles figurent les ports. Ceux-ci constituent un outil indispensable pour l’approvisionnement en toutes circonstances de nos territoires, la crise sanitaire l’a démontré.

À l’export, ils permettent la promotion de nos filières d’excellence. Autour de cet enjeu stratégique, je dirais presque régalien, d’importants défis sont à relever. Malgré plusieurs réformes, nos places portuaires accusent un important retard, notamment en raison de faibles investissements. Si nous saluons les moyens dégagés dans le plan de relance comme ceux qui ont été annoncés lors du CIMer, l’ensemble ne sera pas suffisant pour nous permettre de revenir dans la course.

Plus que jamais, en outre, l’économie doit être conjuguée aux impératifs écologiques pour préserver nos ressources océaniques. Garantir notre souveraineté maritime, c’est garantir notre accès au plein potentiel des océans, lesquels offrent des solutions infinies pour l’alimentation, la production d’énergie renouvelable, la technologie et la médecine. Or leurs richesses sont menacées par l’explosion du trafic maritime, la surexploitation des ressources, la pollution et le changement climatique.

Les bénéfices des océans sont par conséquent conditionnés à leur protection et à la préservation de la biodiversité. En somme, si l’accès à la mer constitue une formidable opportunité, il implique également une forte responsabilité.

En la matière, il y a loin de la coupe aux lèvres : l’ensemble des aires répondant aux critères d’une protection forte représente moins de 3 % aujourd’hui. Si la France s’est fixé un objectif de 10 % en 2022, ce dernier manque de précision dans sa définition par le Gouvernement et il est largement insuffisant. Des scientifiques estiment ainsi qu’il devrait être porté à près de 40 %.

De la même manière, dans le cadre de l’autorisation de l’exploration des grands fonds marins par le Gouvernement dans son plan d’investissement France 2030, nous demandons que des limites claires soient fixées rapidement pour éviter que l’exploration ne débouche sur des exploitations dommageables.

Les océans sont tout aussi indispensables au développement économique qu’au maintien de la vie sur Terre et à la régulation du climat. Si concilier ces enjeux contradictoires s’avère de plus en plus difficile, c’est néanmoins le défi que nous devons relever pour garantir notre souveraineté. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la globalisation et la maritimisation des échanges dans le monde sont en constante augmentation. Elles sont au cœur des enjeux diplomatiques internationaux contemporains.

La présidence française du Conseil de l’Union européenne sera l’occasion de mettre au centre des discussions la question de la stratégie de l’Union sur ce point.

La France possède la deuxième zone économique exclusive au monde. Elle est le seul pays européen à disposer d’une telle ouverture et occupe une place importante dans plusieurs secteurs de l’économie maritime : la construction, le transport, la recherche ou encore l’armement.

Malgré cette situation exceptionnelle, l’économie bleue ne représente que 2 % de notre PIB. Notre potentiel économique maritime a été sous-exploité ces dernières décennies. Nos faiblesses sont connues : des ports métropolitains peu compétitifs et des ports d’outre-mer à l’écart des routes maritimes.

Forte de ce constat, vous avez agi, madame la ministre. Dès 2017, vous avez défini un cadre stratégique national pour la mer et pour le littoral.

Cette stratégie de long terme doit nous permettre de libérer notre potentiel dans trois domaines majeurs : l’économie, la connaissance et la protection des écosystèmes marins et du littoral. Vous l’appliquez en développant des territoires littoraux et maritimes durables et résilients ; en soutenant les initiatives et en levant les freins ; en promouvant une vision française au sein de l’Union européenne et dans les négociations internationales.

Cette feuille de route est traduite très concrètement aujourd’hui dans nos territoires. Deux exemples en Bretagne illustrent l’attention que vous portez à la politique maritime nationale.

Le premier concerne l’action en faveur du secteur maritime transmanche, doublement impacté par le Brexit et par la crise du coronavirus. En 2020, ce secteur d’activité a subi un recul de 80 % de son chiffre d’affaires. Brittany Ferries, la compagnie la plus affectée par la crise, compte près de 3 000 salariés. Vous le savez, elle constitue un modèle pour notre région. La préservation des emplois est donc une priorité pour tous les acteurs concernés par ce dossier. J’étais à vos côtés, le 18 novembre dernier, lorsque vous êtes venue confirmer l’engagement de l’État en faveur de ce fleuron de notre économie : 45 millions d’euros d’aides et 16 millions d’euros d’abandon de créance ; cette aide est financée en partie par des fonds européens, il est important de le rappeler.

Les acteurs économiques du transport transmanche ont acté le principe selon lequel la crise allait structurellement bouleverser ce secteur d’activité. Une stratégie globale dans le cadre du Fontenoy du maritime s’avère nécessaire, c’est le sens des travaux que vous menez.

Le second exemple de cette politique maritime qui se concrétise sur notre territoire porte sur l’intégration du port de Brest-Roscoff au réseau central des réseaux transeuropéens de transports. Depuis 2013, cette évolution était sollicitée par les élus comme par les acteurs économiques. Le Gouvernement nous a entendus et a agi auprès de la Commission européenne pour que ce projet puisse prendre forme dès l’année prochaine. Il s’agit d’une immense victoire pour l’Ouest breton.

En alliant fret maritime et ferroviaire, ce cluster maritime préfigure ce que seront les ports du futur en misant sur la décarbonation des transports. Les acteurs politiques et économiques ont unanimement salué ces actions majeures de l’État en faveur de l’aménagement du territoire.

Depuis le 1er janvier, la France assure la présidence du Conseil de l’Union européenne. Le 18 novembre dernier, à Saint-Pol-de-Léon, dans le cadre de votre allocution aux Assises de la pêche, vous avez rappelé que cette présidence offrait une occasion unique de faire avancer, voire de finaliser, certains dossiers.

J’appelle votre attention sur deux dossiers en particulier.

Le premier concerne la mise en place de clauses miroirs dans nos accords commerciaux. Il n’est plus acceptable que des produits alimentaires de la mer importés dans l’Union européenne ne respectent pas les mêmes normes que celles qui s’appliquent au sein de l’Union. Nos professionnels se heurtent depuis trop longtemps à une concurrence déloyale et s’en trouvent pénalisés. Pouvez-vous, madame la ministre, nous éclairer sur les ambitions de la présidence française sur ce point particulièrement sensible ?

Le second sujet touche aux attentes des consommateurs, et au rôle de l’État pour accompagner et être le levier des transitions. Les consommateurs souhaitent de plus en plus disposer de produits durables, répondant à leurs attentes en termes de qualité, mais aussi de respect de l’environnement. Les acteurs économiques l’ont compris et s’engagent, mais il existe encore des freins au développement de certaines filières.

Permettez-moi de m’appuyer encore sur une situation que rencontre notre territoire breton pour illustrer mes propos.

Pour l’importation de produits bio au sein de l’Union, les États membres désignent des postes de contrôle frontaliers. À ce jour, seuls quatre ports en France disposent de l’agrément européen qui autorise l’importation de ces marchandises en provenance de pays tiers hors Schengen. Si l’ensemble des ports bretons est habilité pour l’importation de produits alimentaires non biologiques, aucun d’entre eux n’est à ce jour référencé comme point d’entrée pour l’importation de produits bio. Pourtant, de plus en plus d’entreprises locales souhaitent limiter leur empreinte carbone.

La situation actuelle est un véritable non-sens écologique, puisque les produits importés par ces entreprises bretonnes parcourent jusqu’à 500 kilomètres sur la route.

Dans ce cadre, le développement d’autorisations permettant d’ouvrir plus de points d’entrée frontaliers pour l’importation de marchandises bio dans nos ports français constituerait un signal positif. Pouvez-vous préciser la position du Gouvernement sur cette question ?

Le sommet international « Un océan » – ou One Ocean – se tiendra à Brest, en février prochain avec pour objectif de définir un cadre réglementaire afin de mieux protéger les océans, en particulier les eaux internationales des zones de grands fonds, très convoitées, et pour lesquelles le droit international est quasi inexistant.

Je salue à ce titre l’initiative de mon collègue sénateur de Polynésie française, Teva Rohfritsch, de créer une mission d’information sur « l’exploration, la protection et l’exploitation des fonds marins ».

Pour conclure, je vous souhaite à tous et à toutes une très bonne année sur des flots paisibles et tranquilles ! (Applaudissements sur des travées des groupes SER et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Allizard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous évoluons désormais dans un environnement stratégique marqué par l’affirmation de la puissance, le retour du fait accompli et la mise en cause du multilatéralisme et du droit.

Accélérateur de la globalisation des échanges, la mer redevient un espace de conflictualité où chacun fait valoir ses intérêts. Les fonds marins représentent un terrain de rapports de force, avec notamment les câbles sous-marins.

La mer, ce sont aussi des détroits vitaux : pas de Calais, Gibraltar, Bab el-Mandeb, Ormuz ou Malacca, dont il faut continuer à garantir le libre franchissement.

Ainsi, la valeur stratégique et économique de la mer s’est accrue.

En 2017, la revue stratégique relevait que « les espaces maritimes sont au cœur de tensions croissantes, par leur rôle central dans la mondialisation des flux de toutes natures, y compris numériques, les ressources qu’ils contiennent et le développement des capacités navales et aériennes de frappe à distance ».

La Russie, par exemple, est très présente sur et sous les mers. Ses sous-marins viennent régulièrement éprouver nos moyens et notre détermination sur nos approches maritimes.

Les capacités chinoises de production de bâtiments militaires, de garde-côtes, de navires de commerce et de pêche impressionnent et inquiètent. Les routes maritimes de la soie, aux objectifs multiples, sont une réalité incontournable.

La Turquie s’affirme comme une puissance navale entendant jouer un rôle économique et géopolitique majeur dans un espace qui nous est proche : la Méditerranée.

Après leur pivot asiatique, l’empressement des États-Unis à vouloir moderniser et renforcer leur flotte montre l’importance qu’ils accordent au nouveau « grand jeu » en mer. Avec le pacte Aukus – pour Australia, United Kingdom, United States –, ils concourent à la prolifération nucléaire dans le Pacifique.

Dans ce contexte, les autorités de la marine française soulignent régulièrement que ce qui n’est pas protégé est pillé puis contesté et prédisent, notamment, le retour du combat naval de haute intensité.

L’honneur, mais aussi la difficulté, de la France est de disposer d’une façade maritime importante et d’être présente sur presque toutes les mers du globe. Il s’agit donc de territoires, de populations, d’écosystèmes, de richesses naturelles à préserver face à des périls environnementaux, à des prédateurs désinhibés, et à des contestations de plus en plus fortes.

En particulier, nos territoires ultramarins sont en première ligne face au réchauffement climatique, à l’immigration clandestine, aux trafics et à la pêche illégale.

Nous devons aussi affronter une concurrence sérieuse en matière d’industrie navale, de transport maritime ou de ports.

Lors des débats sur la programmation militaire, nous nous inquiétions des moyens comptés affectés à la surveillance de nos zones et aux différentes opérations navales.

Les moyens ont certes évolué durant l’exécution de la LPM, mais le contexte s’est durci. L’évolution du monde s’accélère et nous sommes confrontés au « défi de la masse ». La question du format de la marine, mais aussi de sa disponibilité opérationnelle se pose. L’avenir du futur avion de patrouille maritime est aussi incertain.

Dans l’Océan indien et le Pacifique, nous déployons des bateaux anciens, faiblement armés, dépourvus d’équipements de guerre électronique et en nombre limité, qui sont en décalage avec les bâtiments récents des marines partenaires.

Cela nous renvoie à la stratégie indo-pacifique de la France. Ambitieuse sur le papier, celle-ci se heurte à l’immensité des espaces, aux réalités locales, au jeu et aux moyens des superpuissances. Le camouflet subi lors de l’annonce de l’annulation du contrat en Australie et de la conclusion du pacte Aukus a affecté notre crédibilité régionale et internationale. L’entrain mesuré des Européens à nous soutenir doit nous amener à nous interroger.

Et quelle sera la réelle effectivité de la stratégie indo-pacifique de l’Union européenne ? Personne ici ne souhaite que s’inscrive dans les esprits le principe selon lequel « la défense de l’Europe, c’est l’OTAN, et la défense de l’Indo-Pacifique, c’est l’Aukus ».

La France mise beaucoup sur le partenariat stratégique avec l’Inde. Mais l’Inde mise aussi sur la Russie, et sur les autres membres du Quadrilateral Security Dialogue (QUAD), au premier rang desquels les États-Unis.

Comment parler de souveraineté au bout du monde lorsque l’on éprouve les plus grandes difficultés à exercer ses droits face au voisin britannique ?

Alors que la présidence française de l’Union européenne commence, et bientôt le cycle électoral en France, nous sommes face à des défis immenses. Il nous faudra les relever rapidement, sous peine d’un déclassement irréversible et d’un pillage de nos ressources. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.

Mme Hélène Conway-Mouret. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous, Français, entendons par « souveraineté » la capacité d’agir en toute indépendance, sans avoir à nous aligner sur d’autres pays ou de devoir obtenir leur aval, et d’appliquer le droit français sur tous nos territoires.

Dotée d’un domaine maritime de plus de 10 millions de kilomètres carrés, la France doit surveiller et protéger d’immenses étendues sur tous les océans : celles qui jouxtent nos frontières hexagonales, c’est-à-dire la Méditerranée et l’Atlantique, où se situent les Antilles françaises et la Guyane, mais aussi l’Indo-Pacifique, où vivent près de deux millions de Français.

Le Gouvernement a pris, dans le cadre de la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025, des engagements en faveur de la modernisation des capacités de la marine. Cet objectif a été en partie atteint, mais notre dispositif aéromaritime demeure doté de moyens vieillissants.

Or, au rythme actuel des investissements, leur renouvellement s’étalera jusqu’à 2030, voire au-delà pour les frégates de surveillance.

Il existe une tension constante entre les moyens que nous devons engager pour le maintien de notre souveraineté sur nos espaces maritimes et la garantie de la liberté de circulation dans les espaces communs en temps de paix et ceux qui seraient nécessaires pour la haute intensité dans une action menée en coalition.

Aujourd’hui, cependant, nos moyens sont sous tension pour faire face à certaines marines étrangères et leur faible militarisation risque de nous conduire à une incapacité à participer aux postures défensives mises en place par nos alliés, avec un risque élevé de déclassement militaire.

Le cadre budgétaire à venir sera forcément contraint au vu de l’état de nos finances publiques. Qu’est-ce qui guidera alors nos choix entre la livraison de torpilles, de ravitailleurs, de frégates de défense et d’intervention (FDI), de corvettes, de nouveaux patrouilleurs ou la construction d’un nouveau porte-avions ?

Pour faire face à la multiplication des engagements, trois grandes priorités semblent émerger.

La première consiste en la poursuite des livraisons de nouveaux équipements afin de renforcer nos capacités amphibies intrathéâtre, qui sont actuellement très limitées, de remplacer nos frégates de surveillance inadaptées à l’évolution de la conflictualité et de poursuivre la réalisation du programme d’avion de surveillance et d’intervention maritime (Avsimar), essentiel pour le contrôle des zones économiques exclusives.

Il est difficile d’assurer la discrétion d’une flotte en action au vu de la lenteur des déplacements des bâtiments. Leur supervision par la 3D – espace aérien, capteurs électroniques, radars et optiques aéroportés – est aussi compliquée par l’étendue des espaces maritimes.

Ces bâtiments de surface sont des proies faciles pour les systèmes A2/AD – pour Anti-Access/Area Denial – qui ont été développés en Chine et en Russie. Ainsi, il serait nécessaire de renouveler la composante de surveillance maritime, en la combinant avec un programme de surveillance spatial plus ambitieux.

La deuxième priorité est le respect du droit maritime international, à l’heure où celui-ci est de plus en plus contesté et bafoué, alors que son socle, la convention de Montego Bay, dont nous fêtons cette année les 40 ans, est de plus en plus remis en cause. L’Europe peut et doit faire entendre sa voix dans ce domaine.

Troisième priorité : le développement d’une stratégie maritime civile et militaire dans un cadre européen. Notre domaine maritime national donne à lui seul à l’Europe une dimension et une présence mondiales. Le réarmement naval au niveau mondial prend une ampleur considérable : la Chine a fait croître le tonnage de sa flotte de 138 % entre 2018 et 2030, l’Inde l’augmentera de 40 %, la Corée de 101 %, la France de 3,5 %. Au vu de ces chiffres, une coopération européenne renforcée s’impose.

Le programme European Patrol Corvette paraît répondre à la problématique en Indo-Pacifique, qui nécessite le prépositionnement des bateaux dans cette zone. C’est pourquoi la Nouvelle-Calédonie a une importance stratégique pour leur mouillage.

Le pacte Aukus est un autre exemple de la nécessité de se regrouper pour être plus forts, s’agissant même de puissances mondiales de tout premier plan.

Pour conclure, s’il est bon d’être ambitieux, écoutons nos militaires, qui sont partout en première ligne et agissent de plus en plus au sein de coalitions rendues nécessaires par les moyens engagés face à la montée en puissance technologique et matérielle de pays qui ne partagent pas nos valeurs et tendent à vouloir s’imposer par la force.

La réalité est que si nous voulons conserver notre influence, nous devons mettre en adéquation nos ambitions et nos moyens.

Je forme le vœu que le Parlement soit intimement associé à l’avenir aux futures décisions prises dans le cadre d’un processus mûrement réfléchi pour tout ce qui relève de notre souveraineté et du domaine de la défense. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Didier Mandelli. Madame la présidente, madame ministre, mes chers collègues, « Les larmes de nos souverains ont le goût salé de la mer qu’ils ont ignorée. » Cette citation du cardinal de Richelieu résonne plus que jamais aux oreilles de ceux qui aiment la mer.

Du fait du développement des échanges et des énergies renouvelables, mais aussi du potentiel des fonds marins, la mer est devenue l’objet de convoitises et de stratégies de conquête de la part des grandes nations.

Présents sur l’ensemble des océans, les espaces maritimes sous juridiction française s’étendent sur plus de 10 millions de kilomètres carrés – les orateurs précédents l’ont indiqué. Ainsi, notre pays dispose du deuxième domaine maritime le plus vaste au monde, derrière celui des États-Unis, ce qui lui permet de disposer d’avantages économiques et géostratégiques.

Malgré cette situation exceptionnelle, notre pays a progressivement tourné le dos à la mer. J’en veux pour preuve l’absence d’un ministère de la mer pendant près de trente ans. La création d’un ministère de plein exercice est une première étape indispensable pour la mise en place et le suivi d’une politique maritime à moyen et long termes, c’est pourquoi j’appelle de mes vœux – et j’adresse ce message à tous les candidats – l’installation définitive de ce ministère.

Être souverain de son domaine maritime, c’est avoir la capacité de le défendre contre toute forme d’intrusion qui menacerait notre espace ou nos infrastructures économiques et militaires. Je souhaite évoquer rapidement quelques sujets de préoccupation.

Le groupe d’études « Mer et littoral », que je préside, a mené une série d’auditions mettant en lumière des menaces pressantes sur notre souveraineté portuaire.

Nous savons désormais que la Chine – cela a également été évoqué précédemment –, avec sa stratégie des nouvelles routes de la soie, cherche à développer les interconnexions avec le reste du continent eurasiatique, notamment par des investissements d’entreprises chinoises dans les ports d’Europe. Cette présence est ainsi de plus en plus visible dans les ports européens, notamment en Grèce ou en Italie.

Face à cette menace qui pèse sur l’indépendance de nos infrastructures, aucune proposition ne figure dans la stratégie nationale portuaire portée par le Gouvernement. La protection de notre souveraineté portuaire sera pourtant l’un des enjeux majeurs des années à venir. J’appelle donc de mes vœux la commande d’un rapport sur la réalité de la stratégie chinoise et de l’influence de ce pays sur notre secteur maritime et portuaire, comme le demandait la proposition de loi relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes français déposée par Michel Vaspart et adoptée par le Sénat en décembre 2020.

Par ailleurs, nous devons continuer de porter un regard vigilant sur l’Arctique. Symbole des désastres du réchauffement climatique, nous regardons cette partie du monde disparaître peu à peu sous nos yeux. Tandis que nous observons cette situation, d’autres nations comme la Chine, la Russie ou les États-Unis réfléchissent déjà à l’exploitation de ces nouvelles routes maritimes.

Cette situation pose de nombreux défis et j’appelle à ce que, dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne, la France puisse construire une véritable stratégie avec les pays riverains afin de garantir la stabilité de la zone – c’était d’ailleurs l’une des quatre orientations que vous aviez définies en 2017, madame la ministre.

Enfin, la souveraineté économique et militaire doit être également environnementale. Nous possédons plus de 57 000 kilomètres carrés de récifs coralliens – ce qui place la France au deuxième rang mondial en ce domaine –, à la fois en Nouvelle-Calédonie, où se situe la deuxième plus grande barrière récifale au monde, et en Polynésie, qui accueille 20 % des atolls coralliens de la planète. Ces récifs coralliens sont des zones de reproduction des espèces et de reconstitution des stocks de pêche, et donc, de préservation d’une biodiversité par ailleurs menacée vis-à-vis de laquelle nous avons une responsabilité.

Concernant l’érosion du trait de côte, les collectivités locales du littoral attendent de véritables propositions, en particulier sur le plan des financements.

Madame la ministre, tels sont – rapidement évoqués – les enjeux et défis auxquels notre pays est confronté. Il nous appartient de tout mettre en œuvre pour conforter, mais surtout renforcer sa place sur ces théâtres d’action. La souveraineté maritime doit être l’expression de la grandeur de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Annick Girardin, ministre de la mer. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour de votre assemblée. Cela prouve que la stratégie maritime française reprend la place qu’elle mérite parmi les enjeux nationaux, et j’en suis ravie. Ces trois derniers mois, j’ai d’ailleurs été auditionnée à trois reprises par le Sénat, ce qui montre toute l’importance que revêtent les questions maritimes dans cette maison.

Vous avez abordé de nombreux sujets. Dans le temps qui m’est imparti, je ne pourrai répondre à chacun. Aborder un sujet tel que les clauses miroirs, par exemple, suppose davantage de temps. Cela étant, madame la sénatrice Nadège Havet, soyez assurée que Julien Denormandie et moi-même sommes en total accord quant au combat que nous devons mener dans le cadre des accords de libre-échange de l’Union européenne sur les clauses miroirs.

Des informations particulières vous seront communiquées en réponse à vos questions, au-delà des éléments que j’ai déjà évoqués lors de mes auditions du 9 décembre sur le Brexit et la pêche et du 21 octobre sur la place des outre-mer dans les politiques maritimes de la France. Par ailleurs, je reviendrai au Sénat le 18 janvier prochain pour être auditionnée par la mission d’information sur la protection, l’exploration et l’exploitation des grands fonds marins.

Je souhaite ce soir vous présenter la stratégie maritime française que je m’attache à promouvoir. Conforter notre souveraineté et garantir nos intérêts stratégiques et économiques sur les mers et les océans du globe, c’est inscrire pleinement la France dans ce XXIe siècle maritime, cher au Président de la République comme à mon ministère.

Vous le savez, la France assure la présidence de l’Union européenne depuis le 1er janvier 2022 : c’est l’occasion de réaffirmer la dimension maritime de l’Union européenne, particulièrement dans un monde qui se durcit – plusieurs orateurs l’ont indiqué : les arsenaux militaires se développent pour affirmer les souverainetés avec force, les zones de contestation du droit de la mer se multiplient et dans le même temps, la lutte contre les activités illicites, la pêche illégale ou encore la piraterie nécessitent une attention constante. Alors que les océans sont plus que jamais les supports du commerce mondial, ces menaces affectent et fragilisent la géopolitique des mers.

La politique maritime du Gouvernement, forte du retour d’un ministère de la mer de plein exercice, gravite autour de trois axes forts : notre souveraineté, nos intérêts stratégiques et nos intérêts économiques.

Le premier axe de notre politique maritime est l’affirmation sereine de notre souveraineté. La France reste attachée à l’application pleine et entière de la convention de Montego Bay, dont nous fêtons les 40 ans – vous avez raison de le saluer, madame la sénatrice Hélène Conway-Mouret. Cette convention est pour moi la pierre angulaire du développement pacifique des activités des États en mer.

Aux termes de cette convention, la France est dotée de trente et un voisins avec lesquels elle doit s’entendre pour délimiter ses espaces maritimes.

J’en profite d’ailleurs pour saluer l’immense travail accompli depuis dix ans pour moderniser nos décrets de délimitation. Ils comprennent désormais pour la plupart les coordonnées géographiques précises de nos espaces maritimes, dont vous pouvez facilement visualiser les contours sur le portail national des limites maritimes, www.limitesmaritimes.gouv.fr.

Quelque onze délimitations – certains orateurs les ont évoquées – ne font pas encore l’objet d’un accord finalisé. La France reste toujours ouverte au dialogue avec ses voisins, c’est important, mais dans les cas les plus compliqués, notamment autour de certaines îles françaises – je dis bien françaises, car il n’y a pour moi aucun doute sur ce point –, il faut avoir le courage d’un dialogue franc avec les États – sur ce point je rejoins les propos de MM. Cadec et Cigolotti. Pour autant, ces États restent nos partenaires, et le mépris ne saurait être une option pour la France.

Enfin, pour assurer la surveillance et la maîtrise des activités dans ces espaces maritimes, la France déploie sa fonction garde-côtes, avec des unités et aéronefs de la marine nationale, des affaires maritimes, de la douane, des forces de police et, bien sûr, de gendarmerie.

Ces capacités physiques d’interception voient leurs actions de plus en plus dirigées par le développement des moyens de surveillance satellitaire – les signaux radioélectriques, ou encore l’imagerie radar, voire optique.

Certains d’entre vous m’ont déjà interrogée sur la suffisance de nos moyens pour assurer la surveillance du deuxième espace maritime mondial.

Justement, ces dernières années, les capacités de la marine nationale ont été accrues de manière inédite dans le cadre de la loi relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense. Après une décroissance qui n’a été stoppée qu’en 2015, le budget de la mission « Défense » a connu depuis 2017 une remise à niveau sans précédent, passant de 32,3 milliards d’euros à 40,9 milliards d’euros pour 2022. Entre 2021 et 2022, le budget de la marine augmente de 9 % – cela a été rappelé.

Je le redis avec force : ce quinquennat est celui qui a fait le plus pour le renouvellement de nos moyens de surveillance en mer, toutes administrations confondues : six patrouilleurs ont été commandés pour les outre-mer, huit pour la métropole et huit bâtiments d’assistance, ainsi que dix vedettes côtières des douanes, doivent être livrés en métropole et dans les outre-mer.

Ce sont autant de preuves concrètes de notre action. Tout cela figure dans le schéma directeur de la fonction garde-côtes approuvé par le Premier ministre lors du comité interministériel de la mer qui s’est tenu en 2019.

Le deuxième axe de notre politique maritime est la garantie de nos intérêts stratégiques dans une approche multilatérale. Je l’ai dit, la France reste très attachée aux équilibres de la convention de Montego Bay. Je souhaite réaffirmer devant votre assemblée que la liberté de navigation doit rester un principe fort – je rejoins sur ce point les propos de Joël Guerriau.

Par ailleurs, il est de l’intérêt de la France de conserver sa place dans l’industrie câblière. Nous soutenons nos deux fleurons français – Alcatel Submarine Networks et Orange Marine – afin de conserver notre souveraineté et d’exporter notre savoir-faire.

Si la haute mer offre des droits, elle impose aussi des devoirs – j’ai eu l’occasion de rappeler régulièrement les nôtres. C’est pourquoi dans le cadre des négociations relatives au traité de la biodiversité en haute mer (BBNJ), la France soutient le concept d’océan comme bien commun – je souhaite l’indiquer au sénateur Jacques Fernique, et nous le redirons à Brest en février lors du sommet « Un océan » dont le Président de la République a souhaité la tenue.

Ici comme ailleurs, les connaissances scientifiques sont le préalable incontournable pour déterminer raisonnablement notamment des aires marines protégées efficaces en haute mer.

Mais la responsabilité, c’est aussi le respect du rôle de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) pour fixer les règles d’exploration, voire d’exploitation dans la zone des fonds marins sous la haute mer.

Vous le savez, la ZEE est également en question. Je suis ravie que France 2030 fasse la part belle à la connaissance maritime future, car nous avons en la matière de grands défis à relever.

Enfin, notre approche multilatérale de ces questions implique de développer des relations de coopération régionale. La France accroît par exemple son influence dans l’océan Indien et sur l’axe indo-pacifique – cela a été évoqué. Elle a ainsi intégré en 2021, après un vote acquis à l’unanimité, le Forum des garde-côtes asiatiques.

Plus largement, nous mettons en œuvre le 14e objectif de développement durable – ADN de mon ministère –, qui vise à l’exploitation durable et à la préservation des ressources des océans, au sein des douze organisations régionales de gestion de la pêche dans lesquelles nous siégeons, aux côtés de l’Europe, grâce à nos territoires ultramarins.

Pour atteindre cet objectif, il nous faut d’abord connaître précisément nos ressources. Il paraît indispensable que, au XXIe siècle, l’Europe soit en mesure de connaître précisément l’état de tous ses stocks, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il nous faut donc une véritable politique de gestion des ressources halieutiques. Nous devrons faire avancer ce sujet à l’échelon européen, mais nous devons aussi faire mieux du côté français.

C’est l’un des grands objectifs du plan d’action pour une pêche durable que j’ai proposé au Président de la République et qui a été annoncé le 17 décembre dernier à l’Élysée devant les professionnels de la filière pêche. Ce plan qui sera finalisé d’ici la fin du quinquennat concernera l’ensemble des façades maritimes, y compris l’outre-mer – je m’y suis engagée ce matin devant l’ensemble des organisations professionnelles.

J’ai également l’intention de mettre en avant ce sujet à l’occasion de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE), pour partager cette vision avec nos partenaires européens.

Le dernier axe de notre politique maritime a trait à nos intérêts dans l’économie bleue. La dynamique du Fontenoy du maritime, lancé avec les armateurs il y a maintenant un an, porte déjà ses fruits. La compétitivité du pavillon France repose – vous le savez – sur une stratégie de flotte, pour faciliter son financement et la rendre plus écologique, avec le déploiement du « suramortissement vert », ou encore la possibilité de coupler le recours au crédit-bail avec la garantie interne ou la garantie de projet stratégique en fonction du positionnement du projet.

Cette compétitivité repose également sur une action résolue en matière d’emploi. L’objectif est bien d’améliorer le parcours et la carrière des marins français par la création d’une aide à l’emploi maritime pour trois ans et par le doublement du nombre d’officiers formés par l’École nationale supérieure maritime (ENSM) d’ici quelques années.

Enfin, le second levier du développement économique est la consolidation des atouts stratégiques que constituent nos ports dans toutes leurs dimensions. Martine Filleul et Didier Mandelli ont d’ailleurs insisté sur cette stratégie portuaire.

Je le redis : j’ai pour objectif de faire de la France le premier port européen dans toutes les dimensions que cela implique. Pour cela, il faut d’abord penser « collectif » et adopter une stratégie globale – celle-ci doit encore être affinée.

Je n’oublie pas la croisière, qui traverse une période très difficile à cause du covid-19.

Les enjeux de l’Hexagone et ceux de l’outre-mer ont pleinement été pris en compte dans la stratégie nationale portuaire. La reconquête de parts de marché sur les ports concurrents étrangers se fera uniquement par un développement industriel et logistique durable – cela a été dit : j’entends renforcer leur complémentarité en favorisant une démarche collective et une logique de façade.

Pour conclure, je souhaite rappeler qu’en mer il n’existe pas de frontières, mais bien des limites, à l’intérieur desquelles l’État côtier développe ses activités dans le respect des libertés des autres.

En mer, l’immobilisme n’est pas permis et je pense vous avoir aujourd’hui, sinon rassurés, du moins assurés de la détermination du Gouvernement dans l’action qu’il mène en faveur de sa souveraineté maritime au regard des enjeux stratégiques et économiques. (Mme Nadège Havet applaudit.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur la politique mise en place par le Gouvernement pour conforter la souveraineté maritime française sur les océans et garantir nos intérêts économiques et stratégiques.

12

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 5 janvier 2022 :

À quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures trente :

Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, appelant le Gouvernement à œuvrer à l’adoption d’une déclaration de la fin de la guerre de Corée, présentée par M. Christian Cambon (texte n° 231 rectifié, 2021-2022) ;

Débat sur le rapport « Défense extérieure contre l’incendie : assurer la protection des personnes sans nuire aux territoires ».

Le soir :

Débat sur le thème « Les oubliés du Ségur de la santé et les investissements liés au Ségur à l’hôpital ».

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures quarante-cinq.)

 

nomination dun membre dune commission

Le groupe Union Centriste a présenté une candidature pour la commission des affaires économiques.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Amel Gacquerre est proclamée membre de la commission des affaires économiques, en remplacement de Mme Catherine Fournier, décédée.

nomination de membres dune commission mixte paritaire

La liste des candidats désignés par la commission des affaires sociales pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant lordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions dexercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes a été publiée conformément à larticle 8 quater du règlement.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :

Titulaires : Mmes Catherine Deroche, Frédérique Puissat, Chantal Deseyne, Brigitte Devésa, MM. Jean-Luc Fichet, Olivier Jacquin et Dominique Théophile ;

Suppléants : Mmes Florence Lassarade, Annie Delmont-Koropoulis, Pascale Gruny, M. Olivier Henno, Mme Annie Le Houerou, M. Stéphane Artano et Mme Cathy Apourceau-Poly.

 

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

ÉTIENNE BOULENGER