Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Ce n’est pas vrai !

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. … à ce qu’elle reste encarafée dans les tuyaux de la navette parlementaire.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Ne dites pas n’importe quoi, madame la rapporteure !

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Nous l’inscrivons donc à notre ordre du jour en janvier 2021 afin d’accélérer le processus, avant qu’elle ne soit examinée une nouvelle fois par l’Assemblée nationale en février ; mais les tirs de barrage se renouvellent. Face aux manœuvres d’obstruction, en particulier la multiplication des amendements, le texte est retiré de l’ordre du jour.

Il faut attendre novembre dernier pour que ce texte revienne en discussion, notamment – je dois le dire – grâce à l’action déterminée des députés du groupe La République en Marche et de son président, Christophe Castaner.

De son côté, le Gouvernement est loin d’avoir été un facilitateur de cette proposition de loi. En dépit de l’avis favorable du CCNE, il a fallu attendre longtemps et, aujourd’hui, la confusion reste grande.

Prenez les quarante-huit heures qui viennent de s’écouler : hier, au Parlement européen, les députés En Marche ont tous élu joyeusement comme présidente une activiste anti-IVG…

Mme Laurence Cohen. Tout à fait !

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Qu’est-ce que c’est que cela ?

M. Xavier Iacovelli. Les socialistes ont également voté pour elle !

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Mon cher collègue, vous me donnez une bonne occasion de défendre les socialistes français : ils ne sont certes pas très nombreux au Parlement européen, mais aucun d’entre eux n’a voté pour cette candidate ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Ni les députés européens socialistes ni leurs collègues élus sur la même liste qu’eux n’ont voté pour cette femme.

M. Xavier Iacovelli. Le groupe socialiste, si !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pas les socialistes français !

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Les faits sont là : ce ne sont pas les socialistes français qui ont fait élire à la tête du Parlement européen une représentante du lobby européen anti-IVG. En revanche, les députés En Marche au Parlement européen y ont contribué, même s’ils ne sont pas les seuls.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Nous ne sommes pas dans un meeting ! Nous sommes là pour examiner un texte !

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Voilà où nous en sommes aujourd’hui.

Ce constat étant fait, je précise que je m’exprime à titre personnel, la commission ayant décidé de déposer une motion tendant à opposer la question préalable.

Je reviens sur le contenu du présent texte, que nous commençons tous à connaître, même s’il a un peu évolué en deuxième lecture à l’Assemblée nationale.

L’allongement du délai de recours à l’IVG, de quinze jours, jusqu’à la fin de la quatorzième semaine de grossesse, a été maintenu, ce qui permettrait à notre pays de s’aligner sur les délais légaux en vigueur dans d’autres États européens. D’ailleurs, nous sommes aujourd’hui bien contents que leurs délais soient supérieurs aux nôtres : c’est là que vont les femmes qui, en France, se trouvent en dépassement de délai.

Une telle mesure éviterait à ces femmes de se rendre à l’étranger en payant sur leurs deniers personnels des IVG hors délais légaux.

Je rappelle que, le plus souvent, les femmes concernées sont sous contraception – c’est le cas de trois quarts des femmes ayant recours à l’IVG. Sont également en cause des cycles irréguliers, l’absence de signes cliniques et des changements graves intervenus dans leur vie matérielle, affective ou sociale.

Un certain nombre de questions ont été posées et elles ont donné lieu à un riche débat en commission. Ainsi, le risque pour la santé des femmes est-il plus élevé à quatorze semaines qu’à douze semaines de grossesse ?

Les opposants à l’allongement du délai légal reprennent les arguments déjà avancés en 2001, quand on a porté ce délai de dix à douze semaines. Mais il faut le dire : il n’y aura pas plus de danger à quatorze semaines qu’il n’y en avait à douze. (Mme Corinne Imbert sexclame.) À preuve, les femmes qui vont pratiquer des IVG dans les pays où les délais légaux sont plus longs ne reviennent pas dans un état de santé dégradé. Elles ne reviennent pas blessées ou entamées par l’IVG. D’ailleurs, si c’était le cas, si cet acte était dangereux, nous aurions tout intérêt à le pratiquer en France plutôt qu’à envoyer les femmes concernées à l’étranger.

Dans la situation actuelle, nous pouvons donc allonger le délai d’IVG de deux semaines sans craindre pour la situation des femmes.

Je salue également la sécurisation, par cette proposition de loi, de l’extension aux sages-femmes de la compétence pour réaliser des IVG instrumentales. J’y vois une reconnaissance bienvenue et attendue de la filière maïeutique, devenue centrale dans l’accès à l’IVG.

Par souci de sécurité des soins, les IVG chirurgicales ne pourront être réalisées par les sages-femmes qu’en établissement de santé. Bien entendu, elles répondront à des exigences de formation et d’expérience.

Je me réjouis également de la pérennisation de l’allongement du délai de recours à l’IVG médicamenteuse en ville jusqu’à la fin de la septième semaine de grossesse.

Au sujet de ce texte, mon principal regret, c’est le rétablissement par l’Assemblée nationale de la clause de conscience spécifique en matière d’IVG. Cette disposition était le résultat d’un compromis datant de 1975, entre une Assemblée nationale majoritairement hostile à l’IVG et une ministre, Simone Veil, qui voulait la dépénaliser et la légaliser.

Cette clause de conscience spécifique a probablement la même fonction en 2021-2022 qu’en 1975 : de toute évidence, elle résulte d’un compromis entre l’Assemblée nationale et le Gouvernement pour que le texte aille au terme de son parcours législatif.

Tout le monde le sait désormais : la clause de conscience générale permettrait à chaque médecin de refuser de pratiquer une IVG ou tout acte qu’il juge contraire à ses convictions, notamment thérapeutiques. Cette clause de conscience générale suffirait ; mais la clause de conscience spécifique va perdurer, alors même qu’elle stigmatise l’IVG comme un acte médical à part.

À ce titre, je me dois d’évoquer un mot qui revient tout le temps : il s’agit du mot « traumatisme ».

Je ne sais pas d’où le Président de la République tire son savoir expérientiel sur l’IVG,…

M. Xavier Iacovelli. Qu’est-ce que cela signifie ?

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Que veulent dire ces attaques contre le Président de la République ?

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. … avec quel panel de femmes il a pu discuter de la question. En tout cas il a déclaré, non pas sous forme d’hypothèse, mais comme une affirmation : « L’IVG est un traumatisme. »

M. Xavier Iacovelli. Simone Veil le disait aussi !

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Tout à fait !

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Simone Veil a fait comme elle a pu : elle a utilisé les arguments dont elle avait besoin pour convaincre une majorité qui ne voulait pas de sa loi. Mais nous ne sommes plus en 1975, nous sommes en 2022. Le débat est un peu différent et nous avons désormais un peu d’expérience…

Mes chers collègues, l’IVG clandestine était incontestablement un traumatisme. Mais, aujourd’hui, qui peut affirmer que l’IVG est systématiquement un traumatisme ?

M. Olivier Henno. Si, c’est le cas !

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. En cet instant, nous sommes trente femmes dans cet hémicycle et à peu près autant d’hommes. On sait qu’en moyenne, dans leur vie, un tiers des femmes subissent une IVG. Cela signifie qu’a priori dix d’entre nous ont pratiqué une IVG et peuvent dire : « J’ai réalisé une IVG et je n’ai pas vécu de traumatisme. » (Mme Sophie Taillé-Polian lève la main.)

Mme Sophie Taillé-Polian. Je n’ai pas vécu de traumatisme !

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Moi-même, je vous le dis, à l’instar de notre collègue : j’ai eu une IVG et je n’ai pas été traumatisée. (M. Stéphane Ravier proteste.)

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. On ne légifère pas comme cela !

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Nous avons accompagné nos sœurs, nos amies : toutes les femmes n’ont pas un traumatisme de l’IVG.

M. Bernard Bonne. Il ne faut pas généraliser !

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Quand tel est le cas, c’est à cause des difficultés que les femmes subissent pour y accéder, à cause de la solitude qu’elles connaissent.

M. Bernard Bonne et M. Olivier Henno. Ce n’est pas vrai !

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. En effet, tout conduit toujours à faire de l’IVG un acte à part, dont les femmes ne parlent pas, parce qu’elles en ont encore honte.

Si vous pensez qu’il y a un traumatisme inhérent à l’IVG, il faut vraiment en faire un acte médical comme les autres, face à un accident de la vie…

M. Bruno Sido. Cela n’a rien à voir !

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. … qui peut arriver à nous toutes, à nos filles, à nos sœurs et à nos amies.

Voilà ce que je voulais vous dire avant que nous ne poursuivions la discussion générale.

Je tiens à remercier mes collègues de la commission des affaires sociales du débat que nous avons consacré à ce texte. J’espère que nous le poursuivrons. En effet, il faudra encore revenir sur l’accès à l’IVG. La clause de conscience et les délais ne sont pas les seuls obstacles : il faut aussi assurer l’accès aux soins et lutter contre les déserts médicaux ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Olivier Henno. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le dimanche 1er juillet 2018, un an après sa mort, Simone Veil entrait au Panthéon.

Cet hommage sonnait comme une évidence : cinquième femme à prendre place dans le sanctuaire de notre République, Simone Veil symbolise évidemment de nombreux combats, notamment pour l’Europe et, bien sûr, pour l’IVG.

Jeune militant centriste dans les années 1980 et Européen convaincu, je me suis souvent engagé à ses côtés.

La loi Veil, relative à l’interruption volontaire de grossesse, a marqué un tournant salutaire pour notre pays et nous sommes les défenseurs de ce droit imprescriptible.

Selon une étude publiée en septembre 2020 par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, en 2019, le taux de recours a atteint 15,6 IVG pour 1 000 femmes âgées de 15 à 49 ans dans l’Hexagone. C’était là son niveau le plus élevé depuis 1990.

En préparant mon intervention, je me suis interrogé sur les raisons de la croissance du nombre de recours à l’IVG, question qui, je le sais, divise notre hémicycle.

Le recours à l’IVG reste évidemment une question sensible. Les femmes et, le cas échéant, les couples sont souvent placés face à un choix cornélien. Voilà pourquoi – j’en ai la conviction – cette question est naturellement complexe.

J’y insiste : l’interruption volontaire de grossesse n’est jamais un choix facile. Au-delà de l’acte d’avortement, c’est un moment marquant, souvent difficile et subi, dans la vie des femmes concernées.

Majoritairement, ce sont les jeunes qui sont touchées. En effet, 65 % des interruptions volontaires de grossesse concernent des femmes de 19 à 25 ans.

Les jeunes femmes rejettent de plus en plus la pilule et les méthodes de contraception qui ne sont pas naturelles. Elles leur préfèrent le stérilet, et dans l’idéal en cuivre, pour éviter tout traitement hormonal. On observe un véritable phénomène générationnel et un changement des jeunes femmes dans leur rapport à la contraception, qu’il nous faut comprendre et analyser.

Ce phénomène dépasse le seul enjeu du délai dans lequel une interruption volontaire de grossesse est possible. Les moyens que nous mettons en œuvre pour l’accompagnement et la prévention sont insuffisants ; les campagnes d’information ne sont pas assez ambitieuses ; et nous ne parvenons pas à toucher un public parfois distant de nos moyens de communication publics.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 étend le remboursement de la contraception de 18 à 25 ans. C’est une avancée majeure, qui doit modifier notre cadre d’analyse.

Légiférer à nouveau sur ce sujet sans avoir pris le temps d’analyser les effets de cette mesure, sans disposer d’aucun bilan de son impact sur le nombre d’IVG, ou plus précisément sur le nombre de demandes d’IVG hors délai, nous semble prématuré.

Porter le délai d’avortement de douze à quatorze semaines n’est pas un choix anodin. Certes, le CCNE estime « qu’il n’y a pas d’objection éthique à allonger le délai d’accès à l’IVG de deux semaines ». Mais il souligne le caractère singulier de l’IVG, ainsi que « l’importance des mesures de protection des femmes et de prévention des grossesses non désirées ».

À douze semaines et a fortiori à quatorze semaines, le fœtus est plus qu’un simple embryon. À treize semaines de grossesse, le sexe de l’enfant est connu : c’est souvent une étape importante pour les parents.

Selon certains médecins, l’augmentation de la taille du fœtus entre douze et quatorze semaines accroît les risques, notamment d’hémorragie et d’accouchement prématuré lors des grossesses ultérieures. L’Académie nationale de médecine elle-même s’est prononcée contre l’allongement du délai de recours à l’IVG, compte tenu des risques de complications pour les femmes à court et moyen termes.

À mon sens, notre travail doit se concentrer sur le droit en vigueur concernant l’accompagnement des jeunes femmes. Les huit jours qui s’écoulent entre la demande d’IVG et la réalisation sont parfois vécus comme un moment très difficile.

Il faut que la prise en charge des femmes soit mieux assurée dans le délai actuel. De nombreux professionnels ne sont pas formés en conséquence. Ils vont, à tort, culpabiliser les jeunes femmes ou leur montrer les échographies,…

M. Olivier Henno. … ce qui est une lourde erreur.

Les femmes subissant une grossesse non désirée ne souhaitent pas voir ces documents, et c’est normal. On peut bien sûr le comprendre.

Dans ces conditions, les membres du groupe Union Centriste en sont convaincus : l’extension du délai d’IVG ne peut être étudiée isolément. L’urgence est de pallier le manque de moyens et les dysfonctionnements qu’il entraîne.

C’est la raison pour laquelle nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Artano. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Stéphane Artano. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Simone de Beauvoir a écrit : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

C’était en 1949 et, aujourd’hui encore, le droit à l’avortement est régulièrement remis en cause dans le monde. On le constate notamment en France, quarante-sept ans après sa légalisation, ce qui est bien sûr préoccupant.

Alors que le Parlement européen vient d’élire à sa tête une femme farouchement hostile à l’avortement, il me semble plus qu’indispensable de réaffirmer ce droit (Mme la ministre opine du chef.) pour que les femmes puissent, en leur âme et conscience, mettre un terme à une grossesse non désirée dans des conditions sereines.

À cet égard, le Président de la République a proposé ce matin un geste fort : l’inscription du droit à l’IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ne pas élire à la tête du Parlement européen une femme hostile à l’avortement aurait été encore mieux.

Certes, de nombreuses améliorations ont été apportées ces vingt dernières années – délai de recours porté de dix à douze semaines de grossesse en 2001, gratuité en 2013, suppression du critère de « situation de détresse », renforcement du délit d’entrave en 2014, pour ne citer que quelques-unes de ces avancées.

Pour autant, les médecins, les professionnels de santé, les travailleurs sociaux, les responsables des plannings familiaux, bref, tous les acteurs concernés nous font régulièrement part de leurs inquiétudes quant aux difficultés d’accès à l’IVG : désinformation, discours culpabilisant, refus des prises en charge tardives, sous-valorisation de l’acte, disparités territoriales du fait, notamment, d’une diminution du nombre de professionnels.

En 2013 déjà, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes alertait face à la fermeture de plus de 130 établissements pratiquant l’IVG. Dans ces conditions, les zones rurales voient évidemment le nombre de services d’orthogénie se réduire peu à peu.

Au pays de Simone Veil, les obstacles sont malheureusement toujours aussi nombreux. C’est dans cet esprit que la proposition de loi dont nous débattons cette après-midi – ou, plus précisément, dont nous aurions pu débattre – a été déposée : il s’agit d’améliorer l’effectivité du droit à l’avortement en allongeant les délais légaux de douze à quatorze semaines et en supprimant la clause de conscience spécifique.

S’agissant de l’allongement des délais légaux, je note avec satisfaction que, selon le CCNE, il n’y a pas d’objection éthique à allonger le délai d’accès à l’IVG de deux semaines. À son sens, il n’y a que « peu, voire pas de différence entre douze et quatorze semaines de grossesse ». Il estime toutefois que cet allongement ne doit pas servir à pallier les défaillances de notre politique publique de santé reproductive.

Dans ces conditions, il est légitime de se demander si l’allongement du délai légal permettra réellement aux femmes d’accéder plus facilement à l’IVG. C’est pourquoi certains sénateurs de mon groupe se montrent assez réservés, craignant que cette mesure ne soit, en fait, une mauvaise réponse à un vrai problème.

Comme l’a rappelé notre rapporteure, l’allongement du délai légal ne constitue qu’une partie de la solution ; la refonte globale du pilotage de l’activité d’IVG et plus largement de notre politique de santé sexuelle et reproductive est essentielle.

J’en viens à la clause de conscience spécifique.

Je regrette que l’Assemblée nationale ait choisi, en deuxième lecture, de la rétablir. Si elle a été introduite en 1975, c’était pour satisfaire une majorité hostile à la dépénalisation de l’IVG : son maintien ne me semble plus pertinent dans le contexte actuel. Mme la rapporteure l’a rappelé : il restera toujours la clause de conscience générale, qui peut s’appliquer à n’importe quel soin, y compris l’avortement.

Les travaux de l’Assemblée nationale ont toutefois enrichi le présent texte, notamment en permettant aux sages-femmes de réaliser des IVG chirurgicales jusqu’à la quatorzième semaine de grossesse ; en pérennisant l’allongement du délai de recours à l’IVG médicamenteuse en ville de cinq à sept semaines ; en supprimant le délai de réflexion de deux jours ; ou encore en renforçant l’effectivité des sanctions auxquelles s’exposent les professionnels de santé qui refuseraient de délivrer un moyen de contraception d’urgence.

Mes chers collègues, que nous soyons pour ou contre l’allongement de deux semaines du délai légal, ce sujet méritait d’être débattu et examiné de manière très approfondie. C’est pourquoi, une fois de plus, le RDSE votera unanimement contre la motion ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SER, CRCE et GEST. – M. Michel Dagbert applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi Gaillot, visant à porter le délai de l’avortement de douze à quatorze semaines, revient au Sénat par la volonté du Gouvernement, alors que le Président de la République déclarait au mois de juillet dernier dans un journal de presse féminin : « Je mesure le traumatisme que c’est », pour une femme, « d’avorter ».

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Et voilà…

M. Stéphane Ravier. En effet, contrairement à ce que voudrait nous faire croire Mme Rossignol, rapporteur de la commission, l’avortement n’est pas un acte anodin.

L’exécutif manie donc un sujet grave au gré de ses intérêts électoraux. La réalité, c’est que ces délais sont aussi élastiques que les convictions de ceux qui les défendent. D’ailleurs, les mêmes qui s’émeuvent de propos sur les personnes handicapées élargissent sans scrupule le périmètre de l’interruption médicale de grossesse (IMG) jusqu’au neuvième mois de grossesse – une véritable ignominie.

Alors que le pays réel manque de médecins, de maternités, de sages-femmes et de gynécologues pour accompagner la vie à naître et les femmes enceintes, le pays légal a pour seule préoccupation de faciliter l’avortement. (Mme la ministre déléguée manifeste son exaspération.)

Le pays légal, en dissonance cognitive, autorise depuis le mois de décembre 2021 à donner un prénom à l’état civil à un enfant décédé dans le sein de sa mère tout en voulant reporter le seuil de l’avortement.

En 2019, la France établissait un triste record, à 232 000 avortements. En 2020, elle en totalisait 220 000, soit l’équivalent de la population de la ville de Rennes (Exclamations indignées sur les travées du groupe SER.), chaque année !

Je le dis avec beaucoup d’humilité, dans cette enceinte où le débat – je crois – est permis, parce que cette réalité touche beaucoup de femmes au plus profond de leur chair, de leur cœur et de leur âme : notre rôle est de permettre d’éradiquer les causes qui poussent la jeunesse, en particulier, à la désespérance.

Les lois régentent toujours plus de secteurs de la vie, mais les Français n’y trouvent pas leur bonheur.

Ils consomment de plus en plus… de plus en plus d’anxiolytiques et sont les leaders européens de consommation de cannabis.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Quel est le rapport ?

M. Stéphane Ravier. Le progressisme n’a pas élargi les horizons : il n’a fait qu’abattre des murs porteurs. (Mme Monique Lubin sexclame.)

Notre rôle de législateur est de réinsuffler l’espérance aux familles françaises. Or, en 2010, 47 % des femmes qui avortaient le faisaient principalement pour raisons matérielles. Ce chiffre a forcément augmenté avec la crise sociale et économique que nous subissons.

Autrefois, la vie était une richesse : elle est devenue, dans nos contrées occidentales, un véritable fardeau.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. Car, avant, il n’y avait pas d’IVG ?

M. Stéphane Ravier. Quelle inversion des valeurs, quel effondrement civilisationnel ! (Mme Émilienne Poumirol sexclame.)

La natalité dans notre pays a connu en 2020 son niveau le plus bas depuis 1945, mais, pour les mondialistes, même humains, il ne s’agit que d’une comptabilité. La natalité française implose ? Peu importe !

Elle sera remplacée par une immigration qui explose (Vives protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.),…

Mme Cathy Apourceau-Poly. C’est honteux !

M. Stéphane Ravier. … et vive la grande famille mondialisée et déracinée !

Mes chers collègues, j’avais conclu mon discours en première lecture par : « Familles françaises, je vous aime. » Je voudrais dire ici que, même si vous ne les aimez pas, vous avez le devoir de les soutenir.

Elles sont l’avenir de notre pays, elles sont la nation française. Moi, en tout cas, je peux vous garantir que, personnellement, je fais le maximum pour les soutenir.

C’est pourquoi je vous invite à rejeter cette proposition de loi (Protestations sur les travées du groupe CRCE.), totalement contraire aux attentes de la Nation et à l’esprit de notre civilisation.

Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme Émilienne Poumirol. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous allons essayer de retrouver un peu de calme après ces quelques mots sur la théorie du « grand remplacement ».

Je me réjouis, tout d’abord, que la navette parlementaire ait suivi son cours – cahin-caha, comme l’a rappelé précédemment Mme la rapporteure – afin que ce texte puisse être adopté et entrer en vigueur dans les meilleurs délais.

Néanmoins, je déplore qu’une nouvelle fois la majorité sénatoriale ait déposé une motion tendant à opposer la question préalable sur ce texte. Nous nous rappelons bien qu’ici même, il y a moins d’un an, le groupe Les Républicains du Sénat avait déjà refusé tout débat en séance sur la question pourtant fondamentale du droit à l’IVG.

En instaurant l’allongement du délai de recours à l’IVG de douze à quatorze semaines de grossesse, ce texte représente une réelle avancée pour le droit des femmes.

Chaque année, quelques milliers de femmes se retrouvent hors délai pour avorter. Parmi ces femmes, certaines sont forcées de poursuivre leur grossesse et celles qui en ont les ressources se rendent dans des pays étrangers où la législation autorise un avortement au-delà de douze semaines – comme le Royaume-Uni, l’Espagne ou les Pays-Bas. Elles sont environ 2 000 Françaises chaque année dans ce cas.

L’expression « délai légal dépassé » recouvre une multitude de réalités.

Certaines patientes ne se savaient pas enceintes et ont donc découvert leur grossesse tardivement. En effet, les trois quarts des femmes qui effectuent des interruptions de grossesse disposaient d’une contraception.

D’autres patientes savaient qu’elles étaient enceintes, mais n’ont pu être reçues en consultation dans les temps en raison de l’organisation du système de soins de leur lieu de résidence.

Il y en a enfin d’autres qui vivent des violences conjugales ou des carences affectives ou matérielles majeures, et que la poursuite de cette grossesse mal investie expose à de graves difficultés.

Comme les orateurs précédents l’ont rappelé, en décembre 2020, le CCNE, interrogé par le Gouvernement, a considéré qu’il n’existait « que peu, voire pas de différence de risque pour la femme avortant entre douze et quatorze semaines de grossesse » et n’a donc émis aucune objection éthique à l’allongement de ce délai.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutient l’initiative du rallongement du délai d’accès à l’IVG en France.

Par ailleurs, le texte prévoit de permettre aux sages-femmes de réaliser, comme les médecins, des IVG chirurgicales dans les hôpitaux et les cliniques après la dixième semaine. Il s’agit d’une reconnaissance du rôle majeur des sages-femmes.

Le texte vise également à pérenniser l’allongement du délai de recours à une IVG médicamenteuse en ville à sept semaines de grossesse ; à supprimer le délai de réflexion – pour le moins infantilisant, il faut le dire – de deux jours, imposé afin de confirmer une demande d’avortement ; à préciser que le pharmacien refusant la délivrance d’un contraceptif en urgence sera en méconnaissance de ses obligations professionnelles ; et à créer un répertoire recensant les professionnels et structures pratiquant l’IVG.

Cet ensemble de mesures représente une avancée importante.

Malheureusement, le texte présente, à son retour de l’Assemblée nationale, deux dispositions que nous ne pouvons accepter.

En effet, la mise en œuvre du tiers payant pour les IVG a été supprimée en deuxième lecture à l’Assemblée nationale.

De plus, les députés ont rétabli la clause de conscience spécifique à l’IVG, qui n’apporte aucune liberté supplémentaire.

Ces dispositions, qui constituaient une solution de compromis pour Mme Veil en 1974, apparaissent comme une volonté de conserver un statut à part pour l’acte d’IVG. Cela induit l’idée que l’IVG n’est pas un droit et un acte de médecine comme les autres.

Comme l’a déjà évoqué à différentes reprises Mme la rapporteure Laurence Rossignol, nous devons mettre en place une politique nationale et proactive pour notre offre de soins en orthogénie et, plus largement, en matière de santé sexuelle et reproductive.

Il est en effet indispensable d’améliorer l’information dans les lycées et les collèges, et de lutter contre l’absence d’éducation à la vie sexuelle et affective. Plus d’un quart des établissements scolaires n’en dispensent pas, alors que c’est une obligation.

Il existe en outre de nombreuses inégalités.

Il s’agit d’abord d’inégalités territoriales. Entre 2007 et 2017, 70 centres ont fermé en France métropolitaine. Ainsi, 37 départements compteraient moins de 5 professionnels de santé libéraux pratiquant les IVG médicamenteuses. Ce manque de structures et les disparités qui existent entre les territoires restreignent de fait la liberté des femmes à recourir à la méthode d’IVG de leur choix.

À ces inégalités territoriales s’ajoutent celles qui sont liées au niveau de vie des femmes. En effet, à groupe d’âge et situation conjugale comparables, les femmes dont le niveau de vie se situe dans les 10 % les moins élevés ont une probabilité supérieure de 40 % de recourir à l’IVG par rapport à celles dont le niveau de vie est classé parmi les 10 % les plus élevés.

Un pilotage national est donc indispensable pour organiser l’effectivité du droit à l’IVG pour toutes les femmes de France.

Ce droit fondamental à l’avortement a été rappelé ce matin même par le Président Macron au niveau européen, lorsqu’il a proposé de l’inscrire dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Nous saluons cette volonté.

Cependant, comme nous avons pu le souligner en commission, l’allongement du délai d’accès à l’IVG ne constitue pas l’alpha et l’oméga de la réponse à cette question, mais il en est un élément majeur, aux côtés d’un meilleur maillage territorial et d’une démarche de réduction des inégalités.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutiendra cette proposition de loi et, en conséquence, votera contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)