Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà à nouveau réunis pour débattre d’une proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement.

Cette fois encore, le Sénat ne pourra vraisemblablement pas débattre de cette question majeure, qui touche des centaines de milliers de femmes en France chaque année, puisque la commission des affaires sociales a décidé de déposer une nouvelle motion tendant à opposer la question préalable. Nous en prenons acte.

« Aucune femme », comme le rappelait Simone Veil à la tribune de l’Assemblée nationale le 26 novembre 1974, « ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame. »

Toutefois, il s’agit surtout d’un droit : un droit précieux pour l’émancipation des femmes, fruit d’un long combat, un droit qui, près d’un demi-siècle après sa déclaration, fait encore l’objet d’attaques répétées, en Europe notamment, mais pas uniquement.

Je pense au leader des députés européens LR, qui a indiqué au Parlement européen que l’IVG n’était pas un droit fondamental.

Depuis plus d’un an, la Pologne, dont la législation est déjà l’une des plus restrictives d’Europe, a interdit l’avortement en cas de grave malformation du fœtus.

Alors que des milliers de femmes polonaises défilent dans les rues depuis plus d’un an pour défendre le droit à disposer de leur corps, le Parlement européen vient par ailleurs d’élire sa nouvelle présidente, ouvertement anti-avortement.

M. Alain Milon. Votre groupe a voté pour elle !

M. Xavier Iacovelli. Quel triste symbole pour l’Europe. Quel triste symbole pour le Parlement européen, instance démocratique de l’Union européenne qui considère que les droits fondamentaux de la personne humaine ne connaissaient pas de frontière.

Victor Hugo disait : « Ce que Paris conseille, l’Europe le médite. Ce que Paris commence, l’Europe le continue. » À cet égard, je salue l’engagement du Président de la République et sa volonté d’inscrire, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, l’interruption volontaire de grossesse dans la Charte européenne des droits fondamentaux, ce qui constitue une réponse forte aux attaques dont elle fait l’objet.

Chaque année, selon les sources, entre 1 000 et 4 000 femmes sont contraintes d’avorter à l’étranger en raison du dépassement du délai légal de douze semaines de grossesse.

De plus, 5 % des IVG sont pratiquées entre la dixième et la douzième semaine de grossesse. Il existe en la matière d’importantes disparités sur notre territoire, ce chiffre atteignant presque 17 % à Mayotte.

Comme cela a été souligné précédemment, ces IVG dites « tardives » touchent particulièrement les plus jeunes, révélant ainsi des parcours plus longs ou une prise en compte plus tardive de leur grossesse.

De nombreuses associations et de nombreux professionnels de santé alertent depuis des années les pouvoirs publics sur les nombreux freins qui persistent en matière d’accès à l’IVG.

Partant de ce constat, ce texte propose ainsi d’allonger de deux semaines les délais légaux, comme cela a déjà été fait chez nos voisins espagnols.

Rappelons d’ailleurs que ces délais sont bien plus élevés chez certains de nos voisins européens, puisqu’il est fixé à dix-huit semaines en Suède, vingt-deux aux Pays-Bas et jusqu’à vingt-quatre semaines au Royaume-Uni.

En deuxième lecture, l’Assemblée nationale a retiré du texte la suppression de la clause de conscience spécifique relative à l’IVG. Je le regrette.

Je le regrette, car il existe dans notre droit une clause de conscience générale, qui m’apparaît suffisante pour permettre à un médecin de ne pas pratiquer une IVG sans avoir à donner les motifs de son refus.

Cette modification du texte est donc pour moi un échec, puisque j’estime que cette double clause de conscience, qui fait de l’IVG un acte à part, est source de stigmatisation pour les femmes qui font le choix d’y avoir recours.

Ce texte présente toutefois des avancées, que je souhaite saluer.

Je pense à l’extension des compétences des sages-femmes à la pratique d’IVG instrumentales, qui permettra de renforcer l’offre médicale sur notre territoire.

Je pense également à la suppression du délai de réflexion de quarante-huit heures en cas d’entretien psychosocial et à la possibilité de sanctionner un pharmacien qui refuse la délivrance d’un contraceptif en urgence.

Je profite de cette prise de parole pour saluer l’action du Gouvernement et la prise en charge, depuis le 1er janvier, de la contraception pour les femmes de moins de 25 ans.

Une réflexion devra avoir lieu sur les disparités qui existent en la matière, puisqu’on sait que l’achat de moyens de contraception est davantage effectué par les femmes.

Pour conclure, mes chers collègues, le groupe RDPI soutient, dans sa grande majorité, cette proposition de loi. Notre objectif est commun : endiguer les freins qui rendent difficile l’accès à l’IVG et garantir à chaque femme le droit à disposer de son corps. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et SER. – Mmes Laurence Cohen et Raymonde Poncet Monge applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre Haute Assemblée est de nouveau appelée à se prononcer sur le droit à l’avortement. Il s’agit d’un sujet grave et complexe. J’espère donc que nos échanges ne céderont pas aux caricatures.

Le texte que nous allons examiner vise à « renforcer le droit à l’avortement ». Cette formulation est équivoque, et elle peut ainsi être entendue de deux façons.

La première consiste à laisser entendre que le droit à l’avortement a été affaibli. Cela n’a jamais été le cas. Depuis 1975 et l’adoption de la loi Veil, la législation a au contraire évolué afin de faciliter l’accès à l’IVG.

Je pense au remboursement de la procédure, adopté en 1982, à l’allongement du délai d’accès à l’IVG de dix à douze semaines, décidé en 2001, ou encore à l’extension du délit d’entrave à l’IVG, votée en 2017.

La deuxième façon d’entendre le renforcement du droit à l’avortement revient à considérer qu’il est encore possible de faciliter l’accès à l’IVG et de lever certains obstacles.

Cette deuxième acception repose sur l’idée que la loi est encore trop restrictive et que ces restrictions empêchent concrètement certaines femmes d’exercer leur droit.

Cette deuxième acception soulève une question, qui rejoint, au fond, celle que posait déjà Simone Veil lorsqu’elle défendait son projet de loi et qu’elle formulait en ces termes : « Pourquoi légiférer et couvrir ainsi le laxisme de notre société, favoriser les égoïsmes individuels au lieu de faire revivre une morale de civisme et de rigueur ? »

Cette question est grave, et nous devons l’aborder sans juger les femmes qui recourent à l’IVG. En 1975, elles étaient 300 000, chaque année, à enfreindre la loi pour mettre un terme à leur grossesse, en se mettant elles-mêmes en danger.

Aujourd’hui encore, de nombreuses femmes sont contraintes de partir à l’étranger lorsqu’elles ont dépassé le délai légal, pour ne pas enfreindre la loi. Nous ne pouvons l’ignorer.

Sans entrer dans la bataille des chiffres – car il ne s’agit jamais que d’estimations –, nous pouvons nous accorder sur le fait qu’elles sont quelques milliers à le faire chaque année. Ce sont évidemment des milliers de trop. Personne ne peut le nier.

Toutefois, ce chiffre doit être mis en perspective avec le nombre des avortements pratiqués tous les ans en France, autour de 230 000. Cela représente plus d’une grossesse sur quatre. Soyons-en conscients.

« Je le dis avec toute ma conviction : l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue. » Ces mots ne sont pas les miens ; ce sont encore ceux de Simone Veil.

Ce que disent les chiffres que j’ai cités, c’est que les Françaises recourent en grand nombre à l’avortement. C’est leur droit, et nous ne devons pas les juger. Il s’agit néanmoins d’un fait indéniable. C’est pourquoi je ne suis pas sûre qu’il soit nécessaire de renforcer ce droit en augmentant le délai légal – d’autant que le rallongement du délai pose problème sur le plan médical.

Entre douze et quatorze semaines de grossesse, le fœtus commence à se former et l’organogénèse s’accélère. La pratique de l’IVG est plus compliquée, plus risquée aussi, par la dilatation du col et l’éventualité de complications hémorragiques.

La solution n’est certainement pas de contraindre les médecins qui, au regard de leur conscience professionnelle, ne veulent pas pratiquer l’acte. Ce serait même dangereux.

En tout cas, il n’est pas responsable de laisser croire que l’allongement du délai d’accès à l’IVG à quatorze semaines est sans conséquence. Il vaut mieux simplifier l’accès à l’IVG avant la douzième semaine.

Je crois, pour ma part, que la solution réside pour l’heure dans la prévention et l’accompagnement des femmes qui vivent une situation de détresse psychologique. Comme le disait Simone Veil, l’avortement est toujours un drame.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires est unanimement opposé à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Milon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi soumise à notre examen vise à « renforcer le droit à l’avortement ». Parmi les mesures envisagées figure notamment l’allongement du délai légal d’interruption volontaire de grossesse de douze à quatorze semaines.

Dès lors, je m’interroge : en quoi cet allongement de délai permet-il de renforcer le droit à l’avortement ?

La question se pose de la nature des freins qui conduisent des femmes à recourir tardivement à l’avortement, au-delà du délai de douze semaines autorisé par notre législation, et qui obligeraient même certaines d’entre elles à se rendre à l’étranger – démarche qui s’inscrirait dans la même logique que celle qui prévalait avant la loi Veil de 1975.

Notre législation serait-elle si rétrograde qu’elle ne permettrait pas de répondre aux attentes légitimes des femmes, et ce en dépit des différents textes adoptés pour améliorer les conditions d’exercice de ce droit ?

S’interroger sur les raisons de ces IVG tardives, qui justifieraient le passage de douze à quatorze semaines – c’est-à-dire de quatorze à seize semaines d’aménorrhée – me semble un préalable indispensable pour se positionner sur ces délicates questions.

Parmi les raisons invoquées figurent la défiance des femmes, notamment des plus jeunes, à l’égard des contraceptifs hormonaux, un déficit d’information sur les méthodes contraceptives, la précarité financière et sociale, un accès déséquilibré aux professionnels pratiquant les IVG en fonction des territoires, la crise sanitaire, des diagnostics tardifs de grossesse, ainsi que des changements notables dans la situation matérielle, sociale ou affective des patientes.

Il est à relever qu’en 1975, déjà, Simone Veil, dans son intervention à l’Assemblée nationale, faisait état des raisons sociales, économiques ou psychologiques des femmes ayant recours aux avortements clandestins.

En dépit de l’allongement du délai intervenu en 2001, les IVG tardives reposent sur les mêmes causes qu’en 1975. C’est là une vraie question, qui doit nous interpeller fortement.

Toutes ces motivations relèvent de conditions socioéconomiques défavorables et démontrent la nécessité d’adapter et de promouvoir des politiques publiques susceptibles d’apporter des réponses à ces problèmes, qui concernent évidemment l’IVG mais vont bien au-delà de ce seul sujet.

Un renforcement des moyens de l’hôpital visant à assurer l’égal accès à l’IVG sur le territoire est également un préalable à leur résolution, tout comme la garantie de l’accès à une information de qualité et à une contraception adaptée, que nous pourrions sans aucun doute développer sans obérer le recours choisi à l’IVG.

En revanche, allonger le délai d’accès à l’IVG de deux semaines soulève de véritables questions spécifiques pour les femmes et pour les praticiens.

Vous me permettrez de reprendre les propos du professeur Israël Nisand, que l’on ne saurait suspecter d’être un anti-IVG, puisqu’il est à l’origine de l’allongement du délai de dix à douze semaines survenu en 2001. Pour lui – et je partage pleinement son point de vue –, plus une IVG est tardive, plus elle est dangereuse physiquement et psychologiquement pour la patiente.

Le col de l’utérus peut être dilaté davantage, induisant un risque de perforation et d’infection postopératoire, d’autant qu’il s’agit non plus d’une IVG médicamenteuse ni même d’une IVG instrumentale par aspiration, mais bien d’une IVG instrumentale chirurgicale.

Quant au fœtus, il mesure déjà douze centimètres, sa tête et ses membres sont ossifiés. Je vous épargnerai donc le détail de l’intervention. Sachez que cette opération est souvent insoutenable pour nombre de professionnels.

Dans ce contexte, le risque est réel de voir le nombre de médecins volontaires pour réaliser cet acte diminuer, les gestes étant difficiles et dangereux.

Nous nous trouverions ainsi dans une situation paradoxale. Alors que l’idée est d’apporter une réponse à un problème réel, le risque serait grand que l’allongement des délais, qui nécessiterait un nombre de praticiens accru, entraîne des délais supplémentaires en raison du refus de médecins de pratiquer de tels actes.

Quelles que soient les évolutions de la société, l’IVG demeure un acte d’une nature particulière.

C’est la raison pour laquelle à la liberté de la femme de disposer de son corps doit répondre la liberté du praticien d’invoquer la clause de conscience.

Le maintien de la clause de conscience spécifique se révèle au demeurant un moyen de protection des femmes, puisqu’en contrepartie le médecin ou la sage-femme concerné doit orienter la patiente vers un confrère. Cette disposition ne pose donc pas de problème, me semble-t-il.

À la lueur des arguments invoqués, vous aurez compris, mes chers collègues, que le groupe Les Républicains votera en faveur de la motion tendant à opposer la question préalable.

Cette proposition de loi est sans doute un bon coup politique, madame la ministre, mais c’est un mauvais coup pour les femmes. Entre l’humain et le coup politique, sans une once d’hésitation, je défendrai l’humain ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Jacquemet et M. Olivier Henno applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avant de commencer, je souhaiterais remercier Albane Gaillot, à l’origine de cette proposition de loi, ainsi que l’ensemble des députés qui se sont battus pour qu’elle soit adoptée à l’Assemblée nationale. Je souhaite les remercier pour leur travail et pour leur mobilisation sans relâche pour le droit des femmes à disposer de leur corps – puisque c’est au fond de cela, et uniquement de cela, qu’il est question aujourd’hui, comme à chaque fois qu’il est et qu’il sera question d’avortement.

Nous avons beaucoup entendu pendant les débats qu’un avortement à quatorze semaines serait plus traumatisant qu’un avortement à douze semaines. Excusez-moi, mais qui évalue cela ? Vous ? Vous pensez pouvoir savoir à la place d’une personne enceinte de douze semaines qu’il est plus traumatisant de mettre fin à cette grossesse qu’elle ne souhaite pas poursuivre que de la mener à terme alors qu’elle ne le veut pas ?

Je ne comprends pas comment l’on peut se sentir légitime pour apprécier cela – davantage encore, messieurs, quand on n’aura jamais à prendre cette décision.

Vous savez quoi ? Vous pensez qu’avorter à quatorze semaines c’est traumatisant. N’avortez pas à quatorze semaines ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) La seule chose, c’est que nous, nous ne vous demandons pas votre avis sur ce qui est traumatisant ou pas pour nous. Merci, mais non, merci ! Nous sommes bien assez grandes pour le décider nous-mêmes. (Mêmes mouvements.)

M. René-Paul Savary. Nous, c’est qui ?

Mme Mélanie Vogel. Franchement, avec des raisonnements pareils, c’est la logique même de notre liberté à disposer de notre corps, sur laquelle est fondé le droit à l’avortement, que vous remettez en cause.

Si la boussole, c’est ce que vous, vous pensez de l’impact d’un avortement, comment fait-on ? Il y a des avortements à quinze semaines qui n’ont pas d’impact négatif et des avortements à deux semaines qui peuvent en avoir. Alors, on fait comment ?

Non, la question qui se pose n’est pas votre avis sur ce que les personnes font de leur corps. Pas du tout. La question qui se pose est celle de savoir comment on améliore l’accès au droit à l’avortement en France.

Il y a encore plus déroutant dans ce débat. Non seulement vous avez une opinion sur ce qui va être le plus traumatisant pour les personnes concernées, mais en plus vous pensez vraiment pouvoir décider qu’un avortement n’aura pas lieu. Vous croyez vraiment que vous avez le pouvoir d’empêcher des personnes d’avoir recours à des avortements quand elles le souhaitent.

Je vais vous dire une chose. Cela va peut-être vous décevoir, mais vous n’avez pas ce pouvoir. De la même manière que, lorsque les avortements sont interdits, il y a non pas moins d’avortements, mais plus d’avortements illégaux, donc dangereux ; quand on interdit l’avortement après douze semaines, les avortements ont quand même lieu, mais ils se font à l’étranger. Le délai légal est de vingt-quatre semaines au Royaume-Uni, de vingt-deux semaines aux Pays-Bas, de dix-huit semaines en Suède, et de quatorze semaines en Autriche et en Espagne. Vous voulez faire quoi ? Fermer les frontières avec ces pays ? Non !

La question n’est donc pas de savoir s’il faut ou non rendre l’avortement possible à quatorze semaines. La question est de savoir si l’on donne aux femmes un accès à l’avortement à quatorze semaines en France, dans de bonnes conditions, moyennant une prise en charge par la sécurité sociale, ou si elles doivent aller avorter seules, aux Pays-Bas, après une nuit passée en bus, sans bénéficier d’aucun remboursement.

Je souhaite dire quelques mots à présent sur la clause de conscience spécifique.

Je suis désolée, mais l’on ne peut pas mettre au même niveau le droit à l’avortement, qui est un droit fondamental, et le droit des personnels soignants à décider des actes qu’ils et elles pratiquent. Ce n’est pas du même niveau.

Quand on a, de par sa fonction, le pouvoir matériel de donner accès à un droit fondamental individuel, ce n’est pas de sa conscience personnelle qu’il s’agit. On exécute la décision d’une personne d’exercer ses droits.

La clause de conscience générale suffit donc largement.

Certes, personne n’avorte par opportunité, par confort ou par envie. Mais l’avortement n’est jamais un problème. L’avortement est une solution à un problème. Les grossesses non désirées, le mauvais accès à la contraception, le manque d’éducation sexuelle, les viols : ils sont là, les problèmes.

Un avortement peut être une épreuve difficile – pas toujours, mais il peut l’être. Ce peut être un choix difficile, mais pas toujours. Très souvent, c’est un choix très facile et très rapide. (M. Bernard Bonne sexclame.)

Nous ne sommes pas là pour en juger. Nous sommes là pour protéger un droit fondamental. C’est pour cela que les écologistes soutiennent, bien sûr, cette proposition de loi et voteront contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mme Esther Benbassa, MM. Éric Gold et Didier Rambaud applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement, que nous examinons en deuxième lecture, a connu un parcours tumultueux.

Déposée par la députée Albane Gaillot, que je salue, du groupe Écologie Démocratie Solidarité, et plusieurs de ses collègues, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 8 octobre 2020, il a fallu attendre novembre 2021 pour que le groupe La République en Marche l’inscrive à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Enfin, après d’ultimes hésitations, le Gouvernement s’est résolu à l’inscrire en deuxième lecture à l’ordre du jour du Sénat.

Quels enseignements pouvons-nous tirer de ce cheminement complexe ?

Tout d’abord, sans l’impulsion du mouvement féministe en faveur de l’allongement du délai d’avortement et sans le soutien de femmes politiques, ce texte n’aurait jamais été jusqu’ici.

À ce titre, je rappelle que le groupe communiste républicain citoyen et écologiste avait déposé en 2017 une proposition de loi visant à inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution, et qu’en 2019 il en avait déposé une autre concernant notamment l’allongement à quatorze semaines du délai d’accès à l’IVG et la possibilité pour les sages-femmes de pratiquer des IVG instrumentales.

Que de temps perdu pour les femmes !

Le droit à l’interruption volontaire de grossesse est un acquis chèrement conquis, qui, en France comme dans le monde, demeure fragile, et peut être remis en cause à tout moment.

Notre groupe parlementaire a toujours soutenu les droits des femmes face aux tentatives de régression, et continuera de le faire.

Or la mobilisation constante des conservateurs contre le droit à l’avortement est le second enseignement tiré de la procédure complexe que j’ai citée. Nous l’avons constatée dimanche dernier, lors de la Marche pour la vie, ou encore hier à l’occasion de l’élection à la présidence du Parlement européen de Roberta Metsola, militante déclarée contre l’interruption volontaire de grossesse. Une véritable honte !

Comment s’étonner, dès lors, de l’opposition de la droite sénatoriale, qui a rejeté la semaine dernière en commission le texte visant l’allongement de l’IVG en utilisant des arguments choquants, d’un autre âge, sans parler de la motion tendant à opposer la question préalable qui a été déposée aujourd’hui ?

Cela a été fait malgré l’avis du CCNE, qui a considéré qu’il n’y avait pas « d’objection éthique à allonger le délai d’accès à l’IVG de deux semaines, passant ainsi de douze à quatorze semaines de grossesse ».

L’exemple vient d’en haut, via l’opposition du Président de la République Emmanuel Macron, qui a récemment rappelé au Pape son opposition personnelle à l’allongement des délais d’interruption volontaire de grossesse.

Il est regrettable qu’en 2022, près de cinquante ans après la loi Veil, l’amélioration de la prise en charge de l’interruption volontaire de grossesse puisse encore déclencher une telle hostilité, de La République en Marche aux Républicains.

En attendant, les femmes subissent de fortes disparités territoriales dans l’accès à l’IVG, liées en particulier à la diminution du nombre d’établissements de santé la pratiquant – de 22 % en quinze ans – ainsi qu’à leurs capacités réduites, sans oublier la pénurie de personnel.

Le rapport de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, intitulé Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de légalité, a ainsi rappelé les difficultés d’accès à un gynécologue en ruralité, soulignant que treize départements en étaient dépourvus.

Il faut bien avoir conscience de la diversité des situations des femmes qui dépassent le délai légal pour avoir recours à l’avortement.

Malheureusement, mon intervention, bien trop courte, ne me donne pas la possibilité de les aborder. Je remercie le docteur Ghada Hatem-Gantzer, médecin-cheffe de la Maison des femmes de Saint-Denis, pour le travail qu’elle réalise et pour la lettre très argumentée qu’elle nous a adressée, nous demandant de voter cette proposition de loi.

Parmi les arguments en faveur de l’allongement du délai d’accès à l’IVG figure notamment l’objectif de rompre avec les inégalités sociales, puisque ce sont les femmes qui en ont les moyens qui peuvent se rendre à l’étranger pour avoir recours à ce droit. On estime leur nombre entre 3 000 et 5 000 chaque année.

Enfin, l’allongement du délai d’accès à l’IVG doit s’accompagner de moyens financiers et humains pour les structures réalisant des IVG. Il faudra sans doute aller encore plus loin en matière d’allongement du délai, à l’instar d’autres pays européens.

En attendant, vous l’aurez compris, notre groupe votera cette proposition de loi, tout en regrettant fortement que l’Assemblée nationale soit finalement revenue en deuxième lecture sur la suppression de la clause de conscience spécifique.

Je tiens pour conclure à remercier Mme la rapporteure Laurence Rossignol pour son travail. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Belin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Belin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, chère Laurence Rossignol, soyons clairs : il n’est pas question d’opposer deux camps dans cette discussion. L’avortement est un droit fondamental, et aucun d’entre nous n’a envie de le remettre en question.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. En êtes-vous bien sûr ?

M. Bruno Belin. La volonté d’allonger le délai pour pratiquer une interruption volontaire de grossesse met en lumière deux types de réalités.

Les premières sont des inégalités sociales, et une inégalité territoriale totale dans l’accès à l’avortement. Le rapport de la délégation aux droits des femmes que préside Annick Billon, intitulé « Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de l’égalité », l’a montré : cet accès n’est pas le même selon l’endroit où l’on réside en France.

Dans treize départements, il n’y a aucun gynécologue. Les femmes n’ont donc accès ni au suivi ni aux traitements gynécologiques. De plus, le nombre de lieux où l’on pratique l’avortement a baissé de plus de 20 %. Cette inégalité territoriale est plus que jamais une réalité.

Le second type de réalités est d’ordre médical. Comme l’a rappelé le sénateur Milon, si le délai a été fixé à douze semaines, c’est parce que l’embryon devient alors un fœtus : le crâne est formé, de même que l’ensemble des organes, et le sexe est déterminable. Cela pose un véritable problème éthique – nous pourrons y revenir.

Les professionnels, de même que les collèges et l’Académie nationale de médecine, évoquent unanimement des complications dangereuses et des manipulations aux conséquences lourdes pour les femmes qui seraient à ce stade de grossesse.

J’évoquerai par ailleurs deux points relatifs aux professionnels.

Premièrement, je souhaite vous interpeller sur le nombre insuffisant de sages-femmes, madame la ministre, car le nombre de diplômées est fixé par arrêté ministériel. Que faites-vous dans la région qui vous est chère, madame la ministre ? La faculté de Lille offre 40 places, celle de Poitiers 21 places pour quatre départements, celle de Limoges 18 places pour trois départements, et celle de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines 17 places pour 1,2 million d’habitants. Quand vous déciderez-vous à former suffisamment de sages-femmes pour répondre aux besoins de notre pays ?

Deuxièmement, je tiens à me faire l’avocat des pharmaciens à cette tribune. Pourquoi les exclurait-on de la clause de conscience dont bénéficient les autres praticiens au motif que les cas dont nous avons connaissance se comptent sur les doigts d’une main ? On ne peut mettre en doute la détermination avec laquelle les pharmaciens répondent aux urgences et aux situations de détresse depuis des mois dans le cadre de la pandémie que nous traversons.

L’allongement du délai d’intervention n’est pas le fond du problème : il est urgent dans ce pays de se donner des moyens d’accueillir toutes les femmes, de répondre à leurs souffrances et aux demandes qu’elles formulent dans les délais en vigueur.

Il est également temps – je m’étonne que l’on n’ait pas insisté sur ce volet essentiel – de développer la formation et l’information, et ce dès le collège, car c’est à cet âge qu’il faut sensibiliser les jeunes à la sexualité et au respect, mais aussi aux risques et aux violences.

Il est impératif de développer les moyens alloués à la formation et à l’information pour que les droits des femmes progressent effectivement dans ce pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC, RDPI et INDEP.)