M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’heure où des citoyens en mal de reconnaissance s’autoproclament lanceurs d’alerte du fin fond de leur canapé, il nous paraît bien utile de revenir à une définition juridique harmonisée à l’échelle européenne et à l’État de droit.

Lanceur d’alerte n’est assurément pas un titre de gloire personnelle : il s’agit d’un combat étayé, exigeant, solitaire, dangereux, au service de la vérité.

Le statut du lanceur d’alerte était jusqu’à présent régi par les dispositions novatrices de la loi du 9 décembre 2016, dite Sapin II. Or l’association Transparency International France soulignait dès 2020, dans son rapport d’évaluation des articles relatifs aux lanceurs d’alerte, que « leur protection se heurte encore à de nombreux obstacles et [que] le parcours d’un lanceur d’alerte reste trop souvent périlleux et coûteux ». Elle en appelait à la transposition rapide de la directive européenne du 23 octobre 2019, qui est beaucoup plus protectrice pour les lanceurs d’alerte européens.

Chers collègues, la proposition de loi Waserman de transposition de cette directive et son corollaire, la proposition de loi organique renforçant le rôle du Défenseur des droits, que nous examinons ce soir, constituent effectivement des avancées notables. Je ne reviens pas sur le détail de leurs dispositions.

Au mois de décembre dernier, notre commission a proposé quelques avancées auxquelles nous souscrivons, notamment l’extension du bénéfice de la protection aux facilitateurs, ainsi que la création d’un adjoint au Défenseur des droits.

Pourtant, d’autres propositions nous paraissent en retrait par rapport à la proposition de loi initiale, adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale. Nous avons ainsi déposé un amendement afin de revenir à la définition initiale du lanceur d’alerte, qui se révèle plus simple et plus efficace. Nous sommes toutefois sensibles à votre volonté de compromis, madame la rapporteure. Il aurait été dommage que des critères d’appréciation juridiques soient utilisés pour que le lanceur d’alerte ne bénéficie pas de la protection qui lui est due.

Nous souhaitons de la même manière réintroduire la possibilité pour des personnes morales à but non lucratif d’avoir la qualité de facilitateur. Mes chers collègues, le lanceur d’alerte est seul, profondément seul. Se priver de l’appui de syndicats ou d’associations, c’est le plus sûr moyen pour lui de voir son action ne pas aller au bout.

Enfin, nous avons souhaité réintroduire la possibilité de saisir la presse en cas de danger imminent ou manifeste. Le temps de saisine et d’examen du Défenseur des droits est long, jusqu’à six mois, ce qui permet d’apprécier tous les ressorts de l’alerte et d’en circonscrire les abus. Mais il peut se passer beaucoup d’événements avant la mise en œuvre de la protection, y compris le pire. Faisons confiance à la presse, qui sait mener des enquêtes approfondies.

Je terminerai par une inquiétude. La mission du Défenseur des droits est étendue, c’est une bonne chose, et je crois sincèrement que l’institution mériterait des effectifs supplémentaires. Pourtant, que peut faire le Défenseur des droits face à des campagnes de déstabilisation de lanceurs d’alerte venant de territoires extra-européens ou menées sur des réseaux privés virtuels (VPN) extraterritoriaux ? De quels outils d’intervention ou de sanctions disposons-nous réellement ? Nous savons que, sur les réseaux sociaux, la mesure, l’intérêt général et l’exigence de vérité ne sont pas des valeurs totalement partagées.

En conclusion, notre groupe devrait être favorable à ce texte, mais notre position dépendra du sort qui sera réservé à certains amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans une société dominée par des entreprises qui prônent le profit au détriment de l’intérêt général, le rôle des lanceurs d’alerte est devenu essentiel au bon fonctionnement de notre démocratie.

Notre devoir en tant que parlementaires est de protéger ces personnes, véritables héroïnes et héros de notre époque, contre les entraves et menaces qu’elles subissent, en leur garantissant un cadre juridique protecteur. C’est ce qu’avait entrepris la loi Sapin II de 2016, en établissant, entre autres, une définition légale du statut de lanceur d’alerte. Face à certaines lacunes de cette loi et au vote en 2019 d’une directive européenne visant à développer le statut de lanceur d’alerte, il était devenu nécessaire de légiférer sur le sujet.

C’est ce qu’ont entrepris nos collègues de l’Assemblée nationale en déposant un texte particulièrement ambitieux, pouvant faire de la France une référence européenne sur le sujet. Je tiens à saluer le travail du député Sylvain Waserman, à qui revient l’initiative de la proposition de loi que nous étudions aujourd’hui.

Les avancées de cette dernière sont considérables. La définition des lanceurs d’alerte est étendue, le statut juridique pour l’entourage des lanceurs d’alerte plus inclusif, les mesures de protection renforcées. Vous le savez, ce texte a été adopté à l’unanimité par les députés.

Malheureusement, cette ambition n’a pas été celle de la commission des lois du Sénat. Cette dernière s’est particulièrement appliquée à démanteler toutes les avancées du texte, au point de lui faire perdre une part importante de sa substance. La commission transgresse ainsi la directive européenne, qui interdit d’amoindrir la protection dont les lanceurs d’alerte bénéficiaient déjà en droit interne lors de sa transposition.

J’ai été assez surprise d’apprendre par la presse comment certaines et certains élus ont été influencés par des lobbyistes pour affaiblir cette proposition de loi, mus par la volonté de protéger les intérêts financiers de certaines entreprises. J’espère que nos débats leur permettront de revoir leur position. C’est dans notre intérêt commun. Il y va de la bonne santé de notre démocratie.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes au beau milieu d’une campagne présidentielle et nous savons que cette période ne se prête pas à la bienveillance entre partis concurrents.

L’examen du projet de loi sur le passe vaccinal nous a également rappelé que l’heure ne se prêtait pas davantage à la bienveillance entre l’Assemblée nationale et le Sénat.

Les premières heures de la présidence française du Conseil de l’Union européenne nous ont enfin démontré que l’Europe constituait, comme toujours, un bouc émissaire idéal en période de campagne électorale.

Aujourd’hui, nous choisissons d’aller à l’encontre de ces trois règles politiques, en vantant le consensus entre partis, en saluant le travail des députés et en louant le contenu d’une directive européenne !

Les deux textes que nous avons l’honneur d’étudier aujourd’hui sont plus que bienvenus, parce qu’ils étaient attendus. Notre pays a en effet l’obligation de transposer la directive européenne d’octobre 2019 portant sur les lanceurs d’alerte.

Comme la plupart de nos partenaires européens, c’est avec retard que nous opérons la transcription de ce texte, la date limite étant fixée au 17 décembre 2021. Il faut toutefois saluer le gouvernement français qui, en inscrivant ces textes à l’ordre du jour aujourd’hui, permet à notre pays de démarrer sa présidence du Conseil de l’Union européenne en respectant ses engagements. Seuls quatre pays ayant d’ores et déjà transposé cette directive dans leur droit national – nous ne pouvons que le déplorer –, la France fait finalement figure de quasi bon élève.

Comment pouvait-il d’ailleurs en être autrement ? C’est bien la conception française de la protection des lanceurs d’alerte, découlant de la loi Sapin II, qui a abouti à la directive que nous transposons aujourd’hui.

Je remercie les représentants de la droite parlementaire, qui ont voté le texte à l’Assemblée nationale et salué les avancées qu’il contient.

Olivier Marleix a su expliquer de manière convaincante au Palais Bourbon, d’abord dans son rapport d’évaluation de la loi Sapin II, puis en soutien aux textes examinés aujourd’hui, la reconnaissance que nous devons à Irène Frachon, à Stéphanie Gibaud, à Antoine Deltour et aux autres lanceurs d’alerte, célèbres ou inconnus.

En effet, c’est par un vote à l’unanimité que les députés, qu’ils soient issus des Républicains, de La République En Marche ou de la gauche, ont adopté les deux textes qui nous sont proposés. Même Mediapart a salué le progrès que représentaient les deux propositions de loi dans leur rédaction issue de l’Assemblée nationale.

Le mieux étant l’ennemi du bien, madame la rapporteure, le groupe socialiste du Sénat a choisi de ne pas déposer d’amendements mieux-disants en commission, afin de préserver les acquis du texte et de permettre une adoption rapide de celui-ci. Il restait pourtant des possibilités d’améliorations, comme le recours au statut de salarié protégé ou la création d’un fonds de solidarité.

Mais alors que tout le monde se félicitait de l’extension de la protection aux personnes morales à but non lucratif, de la reconnaissance des trois piliers de l’alerte, de la définition des lanceurs d’alerte et des facilitateurs, de la lutte contre les procédures bâillons et de la meilleure reconnaissance du rôle du Défenseur des droits en matière de protection, nous avons été déçus des orientations retenues par la commission des lois.

En effet, les amendements adoptés en commission, sous l’impulsion probable de lobbys économiques ou de jusqu’au-boutistes du secret-défense, ne vont pas dans la bonne direction. Les réactions ne se sont d’ailleurs pas fait attendre. Tout ce que ce pays compte comme lanceurs d’alerte – les mêmes que vous avez auditionnés pour rédiger votre rapport, madame la rapporteure – s’est élevé contre les modifications apportées au texte de Sylvain Waserman.

Le Sénat avait déjà fait obstacle à la loi sur le devoir de vigilance et n’avait guère été coopératif sur la loi Sapin II… Chers collègues, à vous de montrer aujourd’hui que le Sénat peut se montrer à la hauteur des exigences de l’économie moderne en termes de protection des lanceurs d’alerte.

Le XXIe siècle sera sévère avec ceux qui tentent d’esquiver les nouveaux standards. Ceux-ci sont indispensables pour faire face aux exigences d’une économie dont les acteurs doivent être à la hauteur de la transition climatique et écologique, aux conséquences de l’émergence du numérique et aux risques de l’exploitation de la donnée, au respect de la dignité et des droits de chacun, partout, dans une économie globalisée.

Nous avons la conviction que les entreprises qui jouent le jeu de la mise en place de dispositifs d’alerte interne sont souvent mieux protégées et plus efficaces que celles qui cherchent à esquiver leurs obligations.

C’est la raison pour laquelle, à ce stade, le groupe socialiste décidera de son vote en fonction du sort qui sera réservé aux amendements de rétablissement du texte de l’Assemblée nationale, qui a su faire consensus.

Madame la rapporteure, nous avons noté votre évolution entre l’examen du texte en commission et sa discussion en séance. Nous saluons ce mouvement, probablement dû aux alertes reçues dans l’intervalle.

Les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain souhaitent que cette séance parachève cette évolution et permette d’aboutir aussi rapidement que possible à un texte consensuel. Nous souhaitons en effet que le Sénat rejoigne l’Assemblée nationale et soutienne l’adoption par la France d’une législation protectrice des lanceurs d’alerte et conforme à ses obligations européennes. (Mme Esther Benbassa applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye.

M. Ludovic Haye. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la nécessité et l’opportunité des textes organique et ordinaire que nous examinons aujourd’hui peuvent être admises sans difficulté.

Ils s’imposent en premier lieu parce que la France doit transposer une directive de l’Union européenne du 23 octobre 2019, qui implique de mettre à niveau notre droit national relatif aux lanceurs d’alerte pour protéger les tiers et les facilitateurs, qui peuvent faire l’objet de représailles, mais aussi pour autoriser la saisine directe des canaux de révélation externes, le principe de la saisine préalable des canaux internes se révélant bien souvent dissuasif en pratique.

Or chacun sait que cet objectif de transposition impose de légiférer suffisamment vite au regard des délais, déjà dépassés, dont nous disposons pour le faire.

Ces propositions de loi s’imposent, ensuite, à la lumière des travaux approfondis dont elles constituent l’aboutissement.

Je pense à ceux qui ont été conduits au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe par Sylvain Waserman, mon collègue alsacien auteur et rapporteur de ces textes à l’Assemblée nationale.

Je pense également à ceux des députés Raphaël Gauvain et Olivier Marleix sur l’évaluation de la loi Sapin II. Ils ont mis en évidence le bilan mitigé de la mise en œuvre de cette loi de 2016, ainsi que la portée insuffisante du statut de lanceur d’alerte qu’elle a créé, tant du point de vue de la protection contre les représailles que de l’efficacité des dispositifs de recueil et de traitement des alertes.

Enfin, la nécessité de ces textes se confirme après leur vote à l’unanimité par l’Assemblée nationale.

Je tiens à saluer les travaux approfondis que Sylvain Waserman a menés, à partir de l’évaluation transpartisane de la loi Sapin II et de l’avis du Conseil d’État, utilement sollicité au regard de la technicité de la matière, mais également de l’importance de l’enjeu.

Notre collègue député a également conduit un dialogue avec les différents groupes politiques et acteurs de la société civile en tenant compte de la pleine diversité des positionnements de chacun. Il a cherché à trouver la juste ligne de crête afin d’élaborer un droit qui soit, à chaque étape du lancement d’une alerte, « protecteur sans être excessif », pour reprendre ses termes.

Cette approche a permis de fédérer assez largement, comme en témoigne le vote du texte à l’unanimité à l’Assemblée nationale, mais également la mobilisation des acteurs en réaction à certaines modifications adoptées par notre commission.

Notre assemblée partagera, je le pense – notre rapporteure l’a elle-même rappelé très justement –, cette volonté de faire de l’équilibre un principe directeur.

Nous approuvons également le renforcement de la protection des lanceurs d’alerte face aux risques qu’ils prennent, sachant qu’ils jouent un rôle essentiel pour défendre l’intérêt général et qu’ils sont vigilants sur le fonctionnement de notre démocratie.

Reste bien sûr, mes chers collègues, la question centrale des moyens pour atteindre ces objectifs. À cet égard, certains points font débat.

La commission des lois a certes conservé plusieurs dispositions tout à fait bienvenues du texte adopté par l’Assemblée nationale. C’est le cas de l’extension de la protection à certains tiers exposés ou encore de l’abolition de la hiérarchie entre canaux de signalement internes et externes, rendues nécessaires par la transposition de la directive, qui faciliteront sans aucun doute les démarches de signalement de bonne foi.

C’est également le cas de certaines protections, que vous avez très justement rappelées, madame la secrétaire d’État, contre les procédures bâillons et les représailles. Je pense à la facilitation de la réinsertion professionnelle, au renforcement des sanctions civiles, ainsi qu’à la sanction pénale applicable aux représailles.

Je pense enfin, s’agissant de l’indispensable accompagnement du lanceur d’alerte, à la faculté, pour les autorités recueillant les signalements externes, d’organiser un soutien financier et psychologique.

Notre groupe approuve pleinement ces dispositions. La commission a d’ailleurs amélioré un certain nombre de points dans le texte, en y inscrivant notamment l’obligation pour les autorités externes de rendre compte annuellement de leur action au Défenseur des droits.

Toutefois, c’est justement à la lumière de cette apparente volonté de concourir aux objectifs du texte que nous nous sommes étonnés que la commission revienne sur des apports essentiels de la proposition de loi.

Je me limiterai à mentionner deux modifications, qui font l’objet d’amendements de notre groupe et d’un certain nombre d’autres collègues, siégeant sur diverses travées.

Premièrement, la nouvelle définition du lanceur d’alerte distingue le régime applicable, selon que l’alerte porte ou non sur le champ de la directive. Elle supprime également la référence en vigueur aux « menaces ou préjudices graves pour l’intérêt général ».

Ce faisant, la commission est ainsi revenue sur un apport important de la loi Sapin II, dont elle a minoré l’ambition tout en introduisant une grande complexité pour tous les acteurs.

Aussi, nous saluons et soutenons vivement la proposition de notre rapporteure de revenir finalement sur ces modifications et de rétablir la définition de l’Assemblée nationale. Nous présenterons un amendement en ce sens et proposerons d’en tirer les conséquences sur les conditions de la divulgation publique, afin de ne pas restreindre les avancées de la directive à son seul champ.

Deuxièmement, notre commission a exclu de la protection accordée aux facilitateurs toutes les personnes morales de droit privé à but non lucratif qui aident les lanceurs d’alerte et qui s’exposent par là même. Pourtant, le texte de l’Assemblée ne leur permet pas de lancer elles-mêmes une alerte. Surtout, il impose que toutes les personnes qu’elles aident respectent les conditions, notamment de bonne foi, ainsi que les canaux de signalement prévus. Nous proposerons donc de revenir à la rédaction de l’Assemblée nationale, qui offre ces différentes garanties.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous espérons que nos débats au cours des prochaines heures permettront des évolutions et que le Sénat se montrera à la hauteur de l’Assemblée nationale, qui a adopté le texte l’unanimité.

L’objectif, mes chers collègues, est bien d’aboutir à un dispositif lisible et équilibré, pour la protection des personnes qui s’exposent, au bénéfice de l’intérêt général.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.

M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, certaines révélations ont entraîné une prise de conscience majeure, au point de modifier notre perception de la réalité. Elles ont parfois conduit à des changements législatifs d’ampleur. À cet égard, Irène Frachon – d’autres l’ont souligné – est probablement l’une des plus emblématiques lanceuses d’alerte françaises de ces dernières années.

Depuis, bien des scandales ont éclaté parce qu’une personne a porté à la connaissance du public les abus d’une organisation, d’une entreprise ou d’une association. La valeur ajoutée de ces informations, qui contribuent à alimenter et à faire vivre nos démocraties, est certaine.

Internet et les réseaux sociaux ont révolutionné l’accès à l’information. Relais majeurs de l’opinion, ils ont accru l’attente de nos concitoyens en matière de transparence.

Dans ce domaine, notre pays fait partie des précurseurs. Depuis l’adoption de la loi Sapin II en 2016, la loi française a d’ailleurs inspiré la loi européenne.

Les propositions de loi du député Sylvain Waserman que nous examinons aujourd’hui ont notamment pour objectif de transposer les évolutions du droit européen contenues dans la directive du 23 octobre 2019. La loi Sapin II était une avancée notable, mais il est apparu que son dispositif pouvait être perfectionné.

Il est donc question de renforcer la protection des lanceurs d’alerte. Il est vrai que les tentatives pour les museler sont nombreuses : aux actions en justice, intentées dans le seul but d’empêcher les révélations, de les retarder ou de les punir, s’ajoute parfois un panel de mesures plus indirectes, visant à rendre la vie impossible à celui qui a osé parler.

Les propositions de loi envoient un message clair : les représailles contre les lanceurs d’alerte en raison de leurs révélations sont interdites.

Des mesures sont également prévues pour soutenir les lanceurs d’alerte qui en auraient besoin. Les textes rappellent que ce régime de protection n’a vocation à s’appliquer qu’à ceux qui en respectent les procédures établies, étant entendu que ces procédures visent à garantir un équilibre nécessaire entre la protection du secret et la diffusion d’informations d’intérêt général.

Les propositions de loi refondent également les modalités de la communication des alertes. Les lanceurs d’alerte devront avertir soit leur organisation en interne, soit une autorité externe désignée par décret. Si ces notifications restent sans effet, les lanceurs d’alerte pourront alors divulguer les informations au public.

Grâce au travail sérieux de notre rapporteure, la commission des lois du Sénat a recentré les informations susceptibles de faire l’objet d’une alerte, notamment autour de la notion de gravité.

Plusieurs domaines sont en outre exclus du lancement d’alerte : ceux qui intéressent la défense nationale et ceux qui sont couverts par le secret médical ou par le secret de l’avocat. Ces conditions nous semblent nécessaires au respect de l’intérêt général.

Si le régime de protection des lanceurs d’alerte prévu par ces textes est soumis à plusieurs conditions, cela ne signifie pas pour autant que la liberté d’alerter soit restreinte. Chacun conserve la possibilité de dénoncer des faits hors de ce régime de protection.

Même s’ils ne sont pas strictement concernés par le texte que nous examinons, je veux ici, comme d’autres, rendre hommage à celles et ceux qui travaillent chaque jour à l’information de nos concitoyens.

Les journalistes accomplissent un travail fondamental pour alerter l’opinion. Bien souvent, ce sont à eux que les lanceurs d’alerte s’adressent. C’est à eux qu’il revient ensuite de vérifier les informations, de les recouper et de prendre la responsabilité de les publier ou non.

À cet égard, je rappelle à quel point le respect du secret des sources des journalistes est capital pour notre démocratie et pour le respect de nos libertés. Nous devons veiller, évidemment, à les protéger au mieux.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, notre démocratie a besoin à la fois de secret et de transparence. Les propositions de loi que nous examinons renforcent la possibilité, pour la société, d’avoir connaissance d’informations d’intérêt général. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiendra donc leur adoption.

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les propositions de loi ordinaire et organique que nous examinons ce matin visent à renforcer la protection des lanceurs d’alerte amenés à signaler des informations sensibles ou confidentielles dans l’intérêt de la société et étant par là même susceptibles de faire l’objet de mesures de représailles ou de voir leur responsabilité engagée.

À ce jour, le statut de lanceur d’alerte en France est très largement façonné par la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, plus communément appelée loi Sapin II.

Adoptée le 9 décembre 2016, cette dernière confère en effet à la notion de lanceur d’alerte sa première définition générale en droit positif français. Elle a également permis de mettre en place une armature juridique davantage encline à protéger les lanceurs d’alerte et à encadrer leur action.

Dans le prolongement de l’entrée en vigueur de la loi Sapin II, l’Union européenne a adopté une directive, qui vise à imposer un cadre minimal pour la protection des lanceurs d’alerte dans les États membres de l’Union. La mise en application de cette directive implique l’établissement d’un nouveau cadre de protection des lanceurs d’alerte par les États membres.

En ce sens, je m’associe bien évidemment au triple objectif qui est porté par ces propositions de loi ordinaire et organique : la consolidation du régime français des lanceurs d’alerte, la transposition en droit français de la directive d’octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union et l’articulation de cette directive avec le droit national en vigueur.

Nul ne peut nier que le texte de l’Assemblée s’efforce de poser les premiers jalons et d’aménager cette articulation, tout en étendant les mesures de la directive au-delà de son champ initial.

Le texte transmis par nos collègues députés contribue dès lors à assouplir de nombreux éléments d’encadrement des lanceurs d’alerte issus de la loi Sapin II.

En outre, la proposition de loi organique prévoit plus spécifiquement de conférer un rôle d’orientation et de protection des lanceurs d’alerte au Défenseur des droits.

Bien évidemment, notre commission des lois a accueilli favorablement le renforcement du statut des lanceurs d’alerte prévu par ces deux textes, dans la continuité de l’esprit de la directive de 2019 et des recommandations formulées alors par le Conseil d’État.

Souscrivant à ces objectifs, la commission a toutefois veillé, scrupuleusement, me semble-t-il, à parfaire l’équilibre nécessaire entre, d’une part, la protection des lanceurs d’alerte et des personnes qui leur portent assistance et, d’autre part, la sauvegarde des secrets protégés et des intérêts matériels ou moraux des personnes mises en cause.

Dans cette optique, notre commission a apporté un certain nombre de compléments et d’améliorations rédactionnelles au texte transmis par l’Assemblée nationale. L’objectif était notamment d’équilibrer certains aspects du texte et de se refuser à toute forme de surtransposition susceptible d’entraîner des dérives.

Dans la proposition de loi ordinaire, les travaux de notre rapporteur, que je salue, ont permis de clarifier le champ de l’irresponsabilité pénale et civile des lanceurs d’alerte pour les informations divulguées, mais également de limiter ce champ aux informations dont la révélation était nécessaire à la sauvegarde des intérêts en cause.

Notre commission a également adopté un certain nombre de modifications visant à mieux articuler les protections introduites par ce texte avec les différents régimes sectoriels déjà existants dans le code du travail ou dans le code général de la fonction publique.

Je salue par ailleurs la suppression, sur l’initiative de notre rapporteure, de la procédure de référé-liberté spécifique aux lanceurs d’alerte. Cette procédure se révélait de toute évidence superflue et à l’origine d’une complexité procédurale tout à fait inopportune.

Permettez-moi, enfin, d’évoquer les dispositions introduites par notre commission, afin de veiller à la protection des lanceurs d’alerte contre les procédures bâillons et autres mesures de représailles.

En l’état, l’article 10 permet dorénavant au juge d’ordonner la réaffectation d’un lanceur d’alerte à son poste précédent dans le cas où ce dernier aurait fait l’objet d’un changement d’affectation et non pas uniquement en cas de non-renouvellement, de licenciement ou de révocation, ainsi que le prévoyait le texte transmis par l’Assemblée nationale.

La proposition de loi amendée prévoit enfin, conformément à la directive européenne, qu’une personne ayant effectué de mauvaise foi un signalement auprès d’une autorité externe s’expose aux peines prévues en cas de dénonciation calomnieuse.

Notre commission a en effet adopté un amendement qui insère un nouvel article 9-1 au sein de la loi Sapin II. Ce dernier réprime le fait d’adresser de mauvaise foi un signalement à une autorité interne ou externe par les peines prévues à l’article 226-10 du code pénal relatif à la dénonciation calomnieuse.

La notion même de mauvaise foi implique, pour rappel, l’intention de nuire et la connaissance, a minima partielle, de l’inexactitude des faits.

Une telle disposition me semble particulièrement opportune, à l’heure du culte de la diffamation et de l’injure publique, et alors que, sous couvert du principe souverain de liberté d’expression, toutes les stratégies et techniques de manipulation de l’opinion publique semblent les bienvenues.

Les équilibres apportés par notre commission me semblent en ce sens tout à fait opportuns. Je suis donc favorable à l’adoption des textes sous cette forme.