compte rendu intégral

Présidence de M. Georges Patient

vice-président

Secrétaires :

Mme Jacqueline Eustache-Brinio,

Mme Martine Filleul.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire
Discussion générale (suite)

Combat contre le harcèlement scolaire

Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à combattre le harcèlement scolaire (proposition n° 254, texte de la commission n° 324, rapport n° 323, avis n° 310).

Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que les candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur cette proposition de loi ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire
Article 1er (début)

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Jean-Michel Blanquer, qui participe aujourd’hui à Strasbourg à une réunion des ministres de l’éducation de l’Union européenne. Je sais qu’il aurait aimé être présent ce matin à vos côtés.

La proposition de loi que nous évoquons aujourd’hui est importante non seulement pour le ministère de l’éducation nationale, mais aussi pour l’ensemble du Gouvernement. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité être présente, pour débattre du bien-être de nos enfants et de nos adolescents, sujet qui me tient particulièrement à cœur et qui est aussi, à n’en pas douter, au centre de vos préoccupations. Ce bien-être est indispensable non seulement à leur épanouissement, mais aussi à leur réussite.

En transmettant aux jeunes générations les valeurs et principes de la République et en leur enseignant le respect de la dignité de la personne humaine, nous luttons contre toutes les formes de discriminations et préparons nos enfants à mieux vivre ensemble.

En créant des internats d’excellence, des cités éducatives ou les petits-déjeuners gratuits pour les enfants les plus modestes, nous favorisons l’égalité des chances et plaçons nos élèves dans les conditions optimales d’apprentissage et de réussite. Toutefois, malgré tous nos efforts, certains élèves vivent de grandes souffrances à l’intérieur et à l’extérieur de l’école, victimes de leurs propres camarades.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le sujet que nous abordons est grave. Faisons appel à nos souvenirs, à ces moments de notre scolarité où nous avons été soit victimes, soit témoins de harcèlements scolaires empoisonnant la vie d’un enfant à l’âge de l’insouciance. Vous avez probablement toutes et tous un nom ou un visage qui vous revient à la mémoire.

Au moment où je vous parle, j’ai une pensée toute particulière pour Dinah, qui a mis fin à ses jours à l’âge de 14 ans, au mois de novembre dernier. Je pense à la souffrance de ses proches et à la douleur de sa mère, Samira Gonthier, avec qui j’avais eu l’occasion d’échanger à la suite de ce drame.

Moqueries, insultes, humiliations, racket, bousculades, isolement, exclusion peuvent être le lot quotidien d’enfants qui subissent les affres infligées par d’autres enfants harceleurs. Nous ne nous habituerons jamais à ce que des vies d’enfants et d’adolescents soient brisées, parfois de façon irrémédiable, par ce véritable fléau du quotidien. Nous devons combattre sans relâche le harcèlement à l’école, partout où il se trouve et partout où il s’immisce.

Notons par ailleurs que le harcèlement ne s’arrête pas aux portes des écoles. Souvent, les mêmes victimes et les mêmes harceleurs se croisent en dehors des établissements scolaires, parfois dans le monde virtuel.

En effet, si les actions menées depuis 2017 ont permis de contenir le harcèlement physique, la progression rapide et exponentielle du harcèlement en ligne doit aujourd’hui nous alerter et nous conduire à redoubler d’efforts.

C’est pourquoi nous avons pris de nouvelles mesures fortes.

Dès 2017, nous avons engagé un plan volontariste et ambitieux pour combattre le harcèlement à l’école, autour de trois grands axes : prévenir, intervenir et former.

Notre action en matière de prévention s’illustre notamment par l’inscription dans la loi qu’aucun élève ne doit subir de la part d’autres élèves des faits de harcèlement.

Nous avons également évoqué l’interdiction du téléphone portable au collège, le renforcement de l’éducation aux médias et à l’information avec le Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (Clemi), la collaboration avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel et les plateformes des réseaux sociaux, pour, notamment, améliorer la prévention du cyberharcèlement.

Nous avons lancé cinq campagnes de prévention : Revenge porn, rôle des témoins, dynamique de groupe, premier degré ou, encore, cyberharcèlement.

Je pense aussi au développement des prix « Non au harcèlement », avec le prix annuel contre le cyberharcèlement lancé en 2017 et le prix spécial écoles élémentaires, lancé en 2019. Aucun n’élève ne doit être laissé seul face au harcèlement. C’est pourquoi le ministère de l’éducation nationale a mis en place un numéro d’écoute, le 3020, ainsi qu’un numéro réservé à la lutte contre le cyberharcèlement, le 3018, en partenariat avec l’association e-Enfance, dont je tiens ici à saluer le travail.

Par ailleurs, nous avons amélioré la prise en charge des situations de harcèlement, en renforçant la formation initiale et continue des professeurs. Nous avons aussi créé le dispositif des élèves ambassadeurs, qui permet la sensibilisation entre les pairs. Nous avons également mis à disposition des ressources et des guides pour les personnels, les élèves et leurs familles.

La lutte contre le harcèlement est l’affaire de tous. Ce fléau dépasse nos frontières, et c’est pourquoi la France a été à l’initiative de la création de la Journée mondiale de lutte contre le harcèlement, fixée au premier jeudi de chaque mois de novembre. À la rentrée scolaire 2021, un nouveau cap a été franchi avec la généralisation du programme pHARe, le programme de lutte contre le harcèlement à l’école, à l’ensemble des établissements et la mise en place du « carré régalien » dans les rectorats.

La mobilisation de la communauté éducative autour de ce programme aura, j’en suis persuadée, des effets significatifs sur le climat scolaire et le bien-être de nos enfants et influera positivement sur les performances de notre système éducatif.

La proposition de loi du député Erwan Balanant, que je tiens à saluer pour son travail et sa détermination, s’inscrit dans la droite ligne de ce que nous avons fait jusqu’ici. Elle apporte une nouvelle pierre à l’édifice, notamment en élargissant la base légale du harcèlement scolaire.

Je connais la mobilisation du Sénat sur ce sujet et je veux saluer particulièrement le travail réalisé par la mission sénatoriale d’information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement.

Le harcèlement scolaire n’est pas une fatalité. Ensemble, nous pouvons l’éradiquer. Certains pays, certains établissements et certains professeurs, qui doivent nous inspirer, y parviennent tous les jours.

Pour ce faire, il faut sortir d’une logique exclusivement défensive pour passer à l’offensive. Nous devons mener une véritable politique du climat scolaire, qui promeut l’engagement des élèves, leur sens de l’intérêt général, du civisme et de l’empathie. Ces soft skills sont essentiels.

La lutte contre le harcèlement impose la mobilisation de chacun et de chacune des membres de la communauté éducative et, au-delà, de l’ensemble de la société.

Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je sais que nos échanges seront nourris et constructifs, ce matin, sur ces sujets. Je vous remercie de votre mobilisation.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Olivier Paccaud, rapporteur de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « ce n’est pas parce que l’on est petit que l’on a de petits problèmes » rappelait la dernière campagne annuelle de lutte contre le harcèlement scolaire. Chaque année, entre 800 000 et 1 million d’élèves en sont victimes.

Derrière ces chiffres, ce sont autant de parcours scolaires fragilisés, d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes en souffrance, parfois encore de longues années après la fin de leur scolarité. Le harcèlement peut aller jusqu’à tuer : en 2021, une vingtaine de préadolescents et d’adolescents sont morts, victimes de harcèlement scolaire. Parce que le harcèlement scolaire n’est ni une version moderne de La Guerre des boutons, ni un bizutage « bon enfant », parce que ses conséquences peuvent être tragiques, parce que des solutions existent, il est impératif d’agir pour briser la loi du silence, qui nourrit et fortifie ce fléau mortifère.

Permettez-moi d’avoir une pensée, au nom de la Haute Assemblée, pour toutes ces victimes et pour leurs familles, meurtries par ce mal, dont on doit mesurer toute l’étendue et toutes les menaces. Certaines sont dans les tribunes. J’ai une pensée particulière pour Pierre.

Le Sénat s’est penché, voilà peu, sur ce fléau : en 2019, à l’occasion de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance et, très récemment, en septembre dernier, par le biais de la mission d’information sur la lutte contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement. Je tiens à saluer les travaux de cette mission sénatoriale, présidée par Sabine Van Heghe et dont Colette Mélot était la rapporteure. Le constat dressé est précis et les recommandations pragmatiques, ce qui nous a permis d’enrichir ce texte sur plusieurs points.

Voilà une dizaine d’années, Luc Chatel, alors ministre de l’éducation nationale, s’est saisi le premier de cette question et a cherché à mettre en place une réponse institutionnelle pour mettre fin au harcèlement scolaire. À sa suite, tous les ministres de l’éducation nationale ont apporté leur pierre au rempart à construire face au harcèlement scolaire.

Dix ans se sont désormais écoulés. Quel bilan tirer de ces mesures ? Il y a des actions positives qu’il convient de saluer : je pense à la prise de conscience de l’institution scolaire, laquelle assimilait auparavant le harcèlement à des « chamailleries d’enfants », mais aussi à la mise en place de numéros d’appel, qu’il s’agisse du 3018 ou le 3020.

Je rends hommage à l’engagement des deux associations chargées de la gestion de ces deux bouées pour les élèves et leurs familles, souvent désemparés et désespérés, qui sont en quête d’un interlocuteur et d’une solution. Je salue également l’action de toutes les associations engagées dans la prévention du harcèlement scolaire et la prise en charge des victimes et des harceleurs.

Mais de nombreux points sont perfectibles. Je pense notamment à la formation des enseignants. Seulement 20 % d’entre eux indiquent avoir reçu une formation contre le harcèlement scolaire. À peine un enseignant sur trois se sent suffisamment armé pour repérer des cas de harcèlement et accompagner victimes et harceleurs. Or le harcèlement scolaire touche tous les milieux et tous les établissements scolaires. Tout est prétexte à harcèlement : handicap, taille, vêtement, physique, parcours scolaires, voire couleur du masque ou année de naissance, comme l’a montré la campagne #Anti2010, qui a touché les élèves entrant en sixième à la rentrée 2021.

Par ailleurs, les numéros d’appel restent souvent mal connus par les enfants et leurs familles. La mission d’information sénatoriale regrettait d’ailleurs des horaires d’ouverture trop réduits, notamment le soir et le week-end. Or c’est justement à ces moments de la journée et de la semaine, lorsque l’adolescent est chez lui, seul face à son téléphone, que sévit le plus le cyberharcèlement.

Tel est également le cas des centres médico-psychologiques, dont les délais de prise en charge des victimes de harcèlement s’avèrent encore trop longs et les heures d’ouverture, incompatibles avec une vie scolaire. M. le ministre Jean-Michel Blanquer a été interpellé sur cette question, mais en vain.

En outre, le programme pHARe, expérimenté en 2019 dans six académies et en cours de généralisation depuis la rentrée 2021, illustre l’ambivalence entre l’existence d’outils et leur méconnaissance par la communauté éducative. Selon les chiffres qui m’ont été transmis lors des auditions menées sur ce texte, 27 % des écoles élémentaires et 43 % des collèges publics étaient engagés dans ce programme à la mi-novembre 2021.

Pour ma part, je me suis rendu dans les deux collèges de mon canton au début de l’année scolaire : l’un commençait à mettre en place le programme pHARe, l’autre n’en avait pas entendu parler.

J’en viens maintenant au texte déposé sur l’initiative de notre collègue député Erwan Balanant, dont nous connaissons l’engagement de longue date pour le droit à une scolarité sans harcèlement.

Une question se pose : de nouvelles dispositions législatives sont-elles nécessaires pour mieux prévenir le harcèlement scolaire et y faire face, alors même que le Parlement a légiféré sur le sujet voilà moins de deux ans ?

Certes, par de nombreux aspects, la portée de ce texte est principalement symbolique.

Le droit à une scolarité sans harcèlement est déjà inscrit dans le code de l’éducation. Il s’agit également d’une liberté fondamentale, qui peut faire l’objet d’un référé-liberté. Ce droit s’applique à tous les élèves, qu’ils soient scolarisés dans des établissements relevant du public comme du privé.

Les élèves peuvent déjà être sanctionnés pour des faits commis en dehors de l’établissement, s’ils ne sont pas dissociables de la qualité d’élèves. Il en est de même pour un harcèlement sur internet entre élèves. La circulaire du 17 août 2014 le mentionne explicitement. Par ailleurs, plusieurs circulaires demandent déjà aux établissements de prendre des mesures face au harcèlement scolaire.

Néanmoins, ce texte possède une portée pédagogique forte. Il inscrit par exemple noir sur blanc le fait que des actes commis en dehors du temps et du lieu scolaire peuvent relever du harcèlement scolaire.

Ces clarifications sont importantes pour des situations qui concernent majoritairement des mineurs, qu’ils soient victimes, harceleurs ou témoins.

Les apports de la commission de la culture, pour le titre Ier, portent sur quatre points.

Premièrement, il s’agit de conserver la définition d’un harcèlement scolaire limité au harcèlement entre pairs. À cet égard, j’ai bien entendu votre discours, madame la ministre. La commission souhaite éviter que ce texte ne jette une suspicion sur l’institution scolaire en légiférant sur un phénomène dont on ne mesure encore ni l’ampleur ni la gravité. Nous aurons à en débattre lors de la discussion des articles, mais je tiens à le préciser : les sanctions pénales et administratives existent. Un adulte, qu’il soit enseignant, personnel administratif ou technique de l’éducation nationale ou encore assistant d’éducation peut déjà être poursuivi pour des faits de harcèlement commis sur un élève. Notre droit prévoit d’ailleurs des circonstances aggravantes lorsque le harcèlement est commis sur un mineur de 15 ans.

Deuxièmement, il nous a semblé essentiel de protéger le rôle et la capacité d’action du réseau des œuvres universitaires. En séance, l’Assemblée nationale a créé une nouvelle mission de prévention contre le harcèlement en milieu universitaire, confiée au Centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous) et aux centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous).

Nos collègues députés proposaient de s’appuyer sur les 1 600 référents étudiants mis en place dans le contexte de pandémie, afin d’accompagner leurs pairs isolés ou en difficulté. Or leur financement n’est pas pérenne, et nul ne sait s’ils seront maintenus à la fin de l’année universitaire ! C’est la raison pour laquelle la commission a supprimé ces dispositions.

Cela me permet de poser la question des moyens humains dans l’éducation nationale et l’enseignement supérieur. Agir, notamment en matière de prévention du harcèlement, nécessite une présence physique de personnes ressources formées à la prise en charge de ce phénomène. À l’image de ce qu’ont entrepris les états scandinaves, qui se montrent exemplaires et précurseurs en la matière, c’est tout le « climat scolaire » qui doit être engagé, et ce au-delà des divers dispositifs et programmes « clés en main » mis en place par le Gouvernement.

Comme l’a rappelé Benjamin Moignard, sociologue spécialiste de l’école, « la stabilité des équipes éducatives et leurs modalités de travail sont primordiales pour identifier les problèmes et y apporter des réponses immédiates ».

À cet égard, on ne peut négliger les difficultés rencontrées par de trop nombreux établissements qui ne disposent pas des moyens humains ni des ressources financières nécessaires à un accompagnement efficient des victimes. Je pense notamment à la médecine scolaire, secteur en grande souffrance…

Mme Céline Brulin. Très juste !

M. Olivier Paccaud, rapporteur. Les dispositions de cette proposition de loi, concédons-le, n’en apaiseront pas tous les maux.

M. Pierre Ouzoulias. Tout à fait !

M. Olivier Paccaud, rapporteur. Troisièmement, il a semblé essentiel à la commission de prendre systématiquement en compte le volet cyber du harcèlement scolaire.

Dans son récent rapport d’information, notre collègue Colette Mélot alertait déjà à ce sujet : les réseaux sociaux, par leur puissance, leur anonymat, leur « viralité » et leur évolution permanente démultiplient les conséquences du phénomène. Se crée ainsi un continuum de violence entre l’école et la sphère familiale privée, sans que les parents et les personnels éducatifs en mesurent toujours la gravité, notamment faute de savoir-faire technique. Il n’y a désormais ni répit ni abri. Brimades et violences ne s’arrêtent plus aux murs de l’école. L’hydre a maintenant mille têtes et son venin s’insinue partout et sans fin. Une prévention et une lutte systématique contre ce nouveau fléau sont donc nécessaires et urgentes.

Enfin, les témoins, ces petits héros du quotidien mis en avant par la campagne annuelle de lutte contre le harcèlement scolaire en 2019, doivent être mieux pris en compte. Ils jouent en effet un rôle essentiel dans la prévention et la lutte contre le harcèlement scolaire. La mission d’information sénatoriale l’a montré avec justesse : le harcèlement scolaire se construit très souvent dans une relation triangulaire entre victime, harceleur et témoins passifs.

Agir sur les témoins, c’est casser la dynamique de groupe et faire comprendre à tous que les faits subis ne sont ni normaux ni acceptables. Aussi, nous avons souhaité qu’ils soient systématiquement pris en compte au même titre que les victimes et les harceleurs. De nombreux amendements permettront d’enrichir encore le texte adopté par la commission.

D’un texte à portée symbolique, je vous propose de faire un texte à portée pédagogique, garantissant une action à 360 degrés face au harcèlement scolaire et au cyberharcèlement. Il doit avoir vocation à rappeler que cette action ne saurait être menée sans la mobilisation de l’ensemble des acteurs. Les personnels intervenant dans les écoles, les collectivités territoriales, le milieu associatif, les acteurs du numérique, les parents d’élèves et les élèves devront y prendre toute leur part. Car cette lutte est l’affaire de tous. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des lois s’est saisie pour avis des articles composant le titre II de la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire. Celui-ci tend à l’« amélioration du traitement judiciaire des faits de harcèlement scolaire et universitaire ». Ses dispositions modifient le code pénal, le code de procédure pénale et le code de la justice pénale des mineurs.

La commission a souhaité garantir la cohérence de notre droit pénal et s’inscrire dans la continuité des travaux de la mission d’information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, que présidait notre collègue Sabine Van Heghe et dont la rapporteure était Colette Mélot.

Le rapport de la mission d’information sénatoriale avait notamment souligné le risque lié à la volonté d’inscrire dans le code pénal un délit spécifique de harcèlement scolaire au seul motif d’affirmer un interdit social et de faire primer le symbole sur l’efficacité du droit.

La commission des lois a donc adopté un amendement de réécriture de l’article 4 qui crée ce délit spécifique. Son périmètre pose en effet question et il est assorti d’un quantum de peine difficilement justifiable au regard de l’objectif de prévention et de réinsertion qui prime en matière de justice des mineurs, car ce sont principalement des mineurs qui sont auteurs de harcèlement scolaire.

Il a néanmoins semblé à la commission des lois, comme les députés ont pu le souligner à juste titre, que les faits de harcèlement survenant dans les établissements d’enseignement doivent être identifiés et faire l’objet d’une sanction renforcée. La nouvelle rédaction adoptée par la commission des lois réintègre donc le harcèlement scolaire au sein du délit général de harcèlement, dont il constituera une circonstance aggravante, complétant les circonstances aggravantes déjà prévues.

Le fait de caractériser les actes de harcèlement survenus dans les établissements d’enseignement comme une circonstance aggravante permettra d’éviter que soient sanctionnées différemment des situations pourtant très similaires, dans lesquelles le harcèlement ne se produit pas au sein d’un établissement, mais entre élèves d’établissements différents réunis parfois sur le même site ou dans le bus de ramassage scolaire.

Nous avons également souhaité recentrer la caractérisation du harcèlement scolaire sur les faits impliquant les élèves. En effet, la proposition de loi met sur le même plan les faits de harcèlement entre élèves et ceux dont l’auteur est membre du personnel de l’établissement. Or, si les faits relevant du personnel des établissements d’enseignement doivent être réprimés lorsqu’ils sont constitutifs d’un harcèlement, il m’apparaît qu’ils ne peuvent être appréhendés de la même manière.

La solution adoptée par la commission des lois vise donc à assurer la cohérence des infractions et des sanctions, tout en renforçant la prise en compte des faits survenant dans les établissements d’enseignement. Il s’agit, nous semble-t-il, d’une solution équilibrée.

Sur l’article 4 bis prévoyant la possibilité de saisie et de confiscation des téléphones portables et des ordinateurs qui auront été utilisés par des personnes pour harceler un élève en utilisant les réseaux sociaux, conformément au droit existant, la commission des lois a souhaité tirer les conséquences de deux décisions du Conseil constitutionnel en matière de confiscation des biens ayant servi à commettre un harcèlement et de réquisition des données de connexion. L’absence de disposition en la matière serait en effet de nature à gravement entraver la conduite des enquêtes.

L’article 5, qui tend à modifier le code de procédure pénale pour favoriser l’enregistrement de l’audition du mineur victime de harcèlement dans le cadre d’une procédure pénale, déjà recommandé, mais non explicitement prévu par la loi, a fait l’objet d’une coordination.

L’article 6 vise à modifier le code de la justice pénale des mineurs, pour préciser que les stages ordonnés par le juge dans le cadre de la mise à l’épreuve éducative peuvent comporter un volet spécifique de sensibilisation aux risques liés au harcèlement scolaire. Il relève clairement du domaine réglementaire et a donc été supprimé.

Enfin, l’article 7 a pour objet de renforcer les obligations pesant sur les fournisseurs d’accès internet et les hébergeurs en matière de traitement des cas et de signalement aux autorités des faits de harcèlement scolaire. La commission des lois, qui a eu ce débat à de nombreuses reprises, est en effet convaincue que seules des obligations prévues au niveau européen peuvent être efficaces. Dans cette attente, les obligations qui pèsent sur les opérateurs en matière de lutte contre toutes les formes de harcèlement continueront à s’appliquer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions. – Mme Sabine Van Heghe applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon.

Mme Annick Billon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement concernent entre 800 000 et 1 million d’enfants chaque année ; en d’autres termes, 6 % à 12 % des élèves subissent ou ont subi une forme de harcèlement au cours de leur scolarité. Chacun d’entre nous doit prendre conscience de cette réalité et mesurer le drame, individuel et collectif, que le harcèlement représente pour l’école de la République.

Nous parlons d’enfants et d’adolescents durablement affectés par les menaces, les humiliations ou les violences physiques dont ils font l’objet. N’ayant parfois pour solution que la déscolarisation, qui les mène peu à peu à l’échec scolaire, ces enfants sont doublement victimes.

Nous avons pu débattre à plusieurs reprises de ce fléau, lors de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance, entérinant le droit à une scolarité sans harcèlement, ou encore lors du débat organisé à l’automne dernier à l’issue de la remise du rapport de la mission d’information sénatoriale créée sur le même thème.

Si le harcèlement scolaire a longtemps été un sujet tabou, il fait désormais l’objet d’une véritable prise de conscience de la part des familles, des établissements et des pouvoirs publics.

Pour contrer ce phénomène, une mobilisation générale est nécessaire. Depuis dix ans, une politique publique a été mise en place par les différents gouvernements pour lutter contre ce fléau.

Ces efforts doivent être poursuivis ; c’est en éduquant les élèves d’aujourd’hui que nous formerons les citoyens de demain. Cette proposition de loi a le mérite de remettre le sujet au centre du débat.

Tout d’abord, je salue le travail de la commission de la culture et de son rapporteur Olivier Paccaud, qui se sont attachés à intégrer à chaque étape du texte un élément trop absent de la version issue des travaux de l’Assemblée nationale : le cyberharcèlement. Prolongement du harcèlement scolaire, amplifié par l’aspect « meute » du phénomène via les réseaux sociaux, les tablettes ou les smartphones, le cyberharcèlement ne laisse aucun répit aux victimes. Cette précision était donc nécessaire.

Par ailleurs, notre groupe soutient la nouvelle définition proposée, qui consacre la notion d’un harcèlement entre pairs. Une définition trop large du harcèlement scolaire, incluant notamment les personnels de l’éducation nationale, risquerait d’entraîner trop de dérives.

Concernant la création d’un nouveau délit spécifique, proposée par l’Assemblée nationale, notre groupe s’inscrit dans la continuité des travaux de la mission d’information sénatoriale et de ceux de Mme la rapporteure pour avis de la commission des lois, Jacqueline Eustache-Brinio : nous ne sommes pas convaincus de son utilité. Une telle disposition pourrait même s’avérer contre-productive en créant un sentiment de bonne conscience nuisible à la nécessaire mobilisation générale.

Ne laissons pas croire que la création d’un nouveau délit suffira à résoudre le problème. Si tel était le cas, nous aurions déjà pu le régler sur la base des textes existants.