M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. Olivier Paccaud, rapporteur de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre – nous sommes très heureux de vous retrouver au banc : quoique très bien représenté, vous nous avez beaucoup manqué voilà quinze jours ! –, mes chers collègues, à l’occasion de cet examen en nouvelle lecture de la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire, permettez-moi de vous faire part, au nom de la commission, de satisfactions et de regrets.

Je commencerai par les points de satisfaction.

Le texte élaboré en première lecture par la Haute Assemblée est le fruit d’un travail consensuel. Il a rassemblé opposition et majorité sénatoriale autour d’un objectif commun : agir globalement pour lutter contre le harcèlement scolaire.

En septembre dernier, la mission d’information sénatoriale sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, présidée par notre collègue Sabine Van Heghe, du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et dont la rapporteure était Colette Mélot, sénatrice du groupe Les Indépendants – République et Territoires, a adopté trente-cinq préconisations.

J’ai tenu, lors de l’élaboration du texte en première lecture, à m’appuyer le plus possible sur ces travaux et à reprendre les recommandations à portée législative du rapport. Ainsi de la prise en compte des témoins, du renforcement de la formation initiale et continue de l’ensemble des adultes d’un établissement, des actions résolues contre le cyberharcèlement ou encore de l’instauration d’une sensibilisation annuelle des élèves.

Ces travaux ont permis également d’éclairer nos débats sur l’opportunité de créer un délit spécifique de harcèlement scolaire.

Ce consensus transpartisan s’est également traduit dans les amendements que nous avons adoptés. Ils émanent de plusieurs groupes politiques, et notamment de l’opposition sénatoriale.

En voici quelques exemples : une vigilance particulière concernant la détection des cas de harcèlement lors des visites médicales scolaires – l’initiative en revient à Céline Brulin – ou une demande d’information quant à la prise en charge des frais de consultation et de soins pour les victimes et auteurs de harcèlement scolaire – le rapport ainsi demandé permettra notamment de dresser le bilan du « chèque psy » destiné aux mineurs et aux étudiants, annoncé par le Président de la République dans le cadre du confinement.

Autres exemples : une prise en compte de la lutte contre le harcèlement scolaire par le réseau des établissements français à l’étranger, l’obligation pour les réseaux sociaux de mieux sensibiliser leurs utilisateurs contre le cyberharcèlement.

Des amendements de la majorité sénatoriale ont été soutenus par l’opposition. Je pense à la possibilité de recruter les assistants d’éducation en contrat à durée indéterminée au bout de six ans ou encore à l’alerte que nous avons formulée concernant la nouvelle mission dévolue au réseau des œuvres universitaires – Toine Bourrat et Pierre Ouzoulias y étaient particulièrement sensibles.

Le Sénat avait proposé des assouplissements de la carte scolaire, ainsi que des modalités de recours à l’instruction en famille, pour les élèves victimes de harcèlement. Un élève harcelé qui quitte son établissement, c’est toujours une défaite de l’école, je l’ai dit et redit. Mais, dans certains cas, la poursuite de la scolarité dans l’établissement où il a été harcelé pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, n’est pas possible ou pas souhaitée par la victime.

Certes, la loi confortant le respect des principes de la République prévoit la possibilité de commencer rapidement l’instruction en famille d’un enfant victime de harcèlement scolaire, sans attendre l’autorisation de l’administration, qui peut prendre deux mois. Mais cette situation demeure transitoire. Le maintien dans l’instruction en famille nécessite que les parents présentent un projet pédagogique et justifient d’une capacité d’enseignement. L’enfant harcelé se retrouve, alors, dans une situation incertaine. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité aligner les conditions de recours à l’instruction en famille qui s’appliquent aux enfants harcelés sur celles qui s’appliquent aux enfants en situation de handicap, isolés ou en itinérance.

Ces assouplissements et dérogations, chers à Max Brisson, Bruno Retailleau, Pierre-Antoine Levi – j’aurais pu citer bien d’autres collègues –, sont pragmatiques et de bon sens.

Enfin, pour ce qui est du titre II, le Sénat a tiré les conséquences de deux récentes questions prioritaires de constitutionnalité relatives au cyberharcèlement – Jacqueline Eustache-Brinio les a brillamment présentées.

L’ensemble de ces éléments démontre une volonté commune des membres de la Haute Assemblée de voter un texte ambitieux, permettant une lutte globale contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement.

J’ai donc d’autant plus de regrets quant à l’échec de la commission mixte paritaire.

Deux points durs opposent le Sénat et l’Assemblée nationale : l’extension de la définition du harcèlement scolaire aux fins d’y inclure des faits commis par des adultes ; la création d’un délit spécifique de harcèlement scolaire.

Pourquoi ces deux dispositions nous posent-elles problème ? J’y reviendrai plus en détail à l’occasion de la présentation de la question préalable déposée par la commission. Voici néanmoins quelques éléments, afin de faire taire les rumeurs selon lesquelles le Sénat se serait opposé à un texte de lutte contre le harcèlement scolaire.

L’élargissement de la définition du harcèlement scolaire, monsieur le ministre, risque d’affaiblir l’institution scolaire, dans un contexte de défiance envers l’école. Le droit existant permet déjà de sanctionner pénalement et administrativement des actes de harcèlement commis par des adultes sur les élèves.

Quant au délit spécifique, son quantum de peine semble disproportionné et en définitive peu opérant. Quelle est la signification de peines si élevées, qui ne seront sans doute pas appliquées dans les faits ?

Nous étions prêts à un compromis sur l’un de ces points. Malheureusement, nos collègues députés n’étaient pas disposés à faire un pas vers nous pour que nous les retrouvions au milieu du gué.

Le texte a été examiné en nouvelle lecture le 10 février dernier à l’Assemblée nationale. Que reste-t-il de nos apports ? Trop peu de choses !

L’Assemblée nationale a bien entendu rétabli sa définition du harcèlement scolaire, ainsi que la création d’un délit pénal spécifique. Elle acte ses positions, qui divergent des nôtres, sur ces deux points essentiels pour le Sénat.

L’Assemblée nationale a également rejeté de très nombreuses dispositions que nous avions introduites.

Je pense au cyberharcèlement, dont vous venez de parler, monsieur le ministre, en évoquant l’application mobile nouvellement lancée : il me semble important qu’il soit mentionné explicitement, conjointement avec le harcèlement scolaire. Puisque ce texte se veut pédagogique, envoyons clairement un message de lutte contre ce fléau qui amplifie le harcèlement scolaire et ne laisse à la victime ni répit ni abri, pas même dans la sphère privée.

Par ailleurs, l’Assemblée nationale a refusé toute possibilité d’assouplissement des modalités de dérogation à la carte scolaire ou de recours à l’instruction en famille pour l’élève harcelé.

Elle a supprimé de la liste des personnes bénéficiant d’une formation initiale et continue à la prévention et à la lutte contre le harcèlement scolaire les titulaires d’un contrat d’engagement éducatif. Une telle mention aurait pourtant encouragé à la création d’un module consacré à cette thématique dans la préparation au brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA).

Enfin, l’Assemblée nationale n’a pas entendu notre alerte quant à la création d’une nouvelle mission pour le réseau des œuvres universitaires. Faute de financement pérenne, cette nouvelle mission risque de se transformer très rapidement en nouvelle charge financière. Espérons que des crédits budgétaires soient prévus dans le prochain budget afin de reconduire les 1 600 référents sur lesquels l’Assemblée compte pour la mise en œuvre de cette nouvelle mesure.

Malheureusement, les conditions ne sont pas réunies pour faire évoluer ce texte. Le manque d’ouverture de la part de l’Assemblée nationale est tout à la fois frappant et navrant.

S’agissant d’un sujet sociétal aussi important et d’un fléau dont l’éradication nécessite une mobilisation générale de la société, un tel texte aurait mérité une volonté de compromis, bien au-delà des postures politiques. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en première lecture, j’avais déjà souligné le caractère plus symbolique qu’opérant de cette proposition de loi. Ce sentiment se trouve amplifié en nouvelle lecture, malgré l’important travail accompli par le Sénat pour l’améliorer en profondeur.

La nécessaire mobilisation générale contre ce fléau qu’est le harcèlement scolaire, que l’existence des réseaux sociaux et des plateformes aggrave, mérite clairement que l’on fasse mieux.

Le calendrier imposé n’est pas non plus propice à un examen serein de cette proposition de loi et il est regrettable que l’ensemble, ou presque, des dispositions adoptées par le Sénat aient été balayées.

L’article 1er, en ne faisant aucune distinction entre le harcèlement entre élèves et le harcèlement impliquant des adultes, en intégrant les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous) et en omettant de mentionner le cyberharcèlement, nous interpelle.

On ne saurait mettre sur un pied d’égalité des harceleurs mineurs et des adultes responsables détenteurs d’une autorité et soumis par ailleurs à un cadre statutaire strict.

M. Olivier Paccaud, rapporteur. Tout à fait !

Mme Céline Brulin. Pour ce qui est des Crous, on impose à un opérateur en difficulté budgétaire, dont les référents harcèlement ne seront plus financés à partir de septembre prochain, de remplir une mission que leur ministère de tutelle ne semble pas avoir songé à leur confier…

Notre critique principale concerne l’article 4, qui crée un délit pénal spécifique de harcèlement scolaire. Loin de le renforcer, on vient ainsi affaiblir l’arsenal juridique existant déjà étoffé, quitte, comme l’écrivait Colette Mélot dans son rapport, à « nuire à la nécessaire mobilisation générale ».

Nous ne comprenons pas la volonté des députés d’adopter un quantum de peine qui risque de n’être jamais appliqué tant il est disproportionné par rapport au droit commun. Oui, il faut mieux, beaucoup mieux lutter contre le harcèlement qui intervient dans le cadre scolaire en renforçant les instruments juridiques existant dans notre droit, en cohérence avec celui-ci. De ce point de vue, faire du harcèlement scolaire une circonstance aggravante du harcèlement nous semble particulièrement sensé.

Comme cela a été souligné, l’efficacité de la lutte contre le harcèlement scolaire passe par l’action systémique et conjuguée des différents acteurs de la communauté éducative. À ce propos, il manque dans cette proposition de loi des éléments centraux de la mobilisation contre le harcèlement : des moyens pour la médecine scolaire, l’amélioration de la prise en charge psychologique et psychique des élèves, la mise en sécurité d’urgence des élèves harcelés.

Le Sénat avait fait des propositions en ce sens. Je pense notamment à nos amendements sur la santé scolaire, qui est en grande difficulté dans nos établissements.

La formation est également indispensable pour aider les personnels de l’éducation nationale à repérer et à accompagner les victimes. À l’heure actuelle, un tiers seulement des enseignants se sentent suffisamment armés pour cela et 83 % d’entre eux indiquent n’avoir jamais reçu aucune formation ni information sur la détection du harcèlement scolaire et l’accompagnement des victimes.

Quant aux multiples enjeux qui doivent être abordés en éducation morale et civique – environnement, laïcité, lutte contre le harcèlement, et j’en passe –, leur énumération suffit à démontrer qu’il est impossible de les traiter véritablement sous cette forme. Même chose pour les comités d’éducation à la santé, à la citoyenneté et à l’environnement, dont le champ d’action ne cesse d’être élargi.

Enfin, le programme pHARe à peine généralisé, les dispositions de cette proposition de loi viennent en percuter les objectifs, sans rien améliorer.

Il est donc regrettable que nos deux chambres n’aient pas trouvé de terrain de conciliation sur ce sujet qui mérite pourtant notre pleine et entière mobilisation, un sujet d’intérêt général qui devrait tout particulièrement nous inciter à travailler de concert, comme vient de le rappeler notre rapporteur Olivier Paccaud, ce que la majorité présidentielle n’est visiblement pas prête à faire ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)

M. Claude Kern. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui pour une nouvelle lecture de la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire.

Je souhaite exprimer ma déception quant à l’échec de la commission mixte paritaire sur un sujet qui s’annonçait pourtant transpartisan et ne prête guère à polémique.

Pour mémoire, le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement concernent entre 800 000 et 1 million d’enfants ; en d’autres termes, 6 % à 12 % des élèves subissent ou ont subi une forme de harcèlement au cours de leur scolarité. Chacun d’entre nous doit prendre conscience de cette réalité et mesurer le drame, individuel et collectif, que le harcèlement représente aujourd’hui pour l’école de la République. Nous parlons d’enfants ou d’adolescents durablement affectés par les menaces, les humiliations ou les violences physiques dont ils font l’objet.

Le texte qui nous vient de l’Assemblée nationale comporte à nos yeux plusieurs écueils.

Le premier concerne le cyberharcèlement. Lors de l’examen du texte en première lecture au Sénat, nous nous étions attachés à y intégrer ce phénomène trop absent de la version issue des travaux de l’Assemblée nationale.

Le cyberharcèlement crée un continuum du harcèlement scolaire, via les réseaux sociaux, les tablettes ou les smartphones, ne laissant aucun répit aux victimes. Il amplifie également l’aspect « meute » du phénomène. Je rappelle que, selon les chiffres de la mission d’information sénatoriale sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, près d’un quart des collégiens y sont confrontés. Il est une facette importante du harcèlement scolaire et doit nécessairement être pris en compte si l’on veut traiter efficacement ce fléau.

Aussi le détricotage effectué par l’Assemblée nationale sur ce point nous paraît-il incompréhensible.

Le second point concerne la définition du harcèlement scolaire introduite par l’Assemblée nationale, qui a souhaité ne pas limiter le harcèlement scolaire à un harcèlement entre pairs.

Cette définition, incluant les adultes, est un très mauvais signal envoyé aux personnels de l’éducation nationale. Elle va à rebours des textes que nous avons défendus dans cet hémicycle – je pense par exemple à la proposition de loi créant la fonction de directeur d’école.

Cette définition ne fera que renforcer un climat de défiance de plus en plus insupportable pour les personnels de l’éducation nationale et déconstruire un peu plus l’autorité des professeurs.

Un autre point de désaccord majeur concerne la création d’un délit spécifique dans le code pénal. Nous ne sommes pas convaincus de la portée pédagogique de ce dispositif, qu’invoquent les députés, et craignons plutôt qu’il n’engendre une incohérence dans les peines applicables, voire une rupture d’égalité. Comme l’avait dit ma collègue Annick Billon lors de l’examen du texte en première lecture, ne laissons pas croire que la création d’un nouveau délit suffira à résoudre le problème. Si tel était le cas, nous aurions déjà pu le régler sur la base des textes existants.

Enfin, en supprimant du texte les articles 3 bis A, 3 bis B et 3 bis C, l’Assemblée nationale refuse toute possibilité d’assouplissement des dérogations à la carte scolaire, disposition défendue par nombre de nos collègues. Cet assouplissement nous semblait pourtant une mesure de bon sens. Cette possibilité leur étant refusée, les élèves victimes de harcèlement sont doublement victimes : ils n’ont parfois que la déscolarisation pour toute solution, ce qui les mène peu à peu à l’échec scolaire.

Pour conclure, je souhaite de nouveau saluer le travail de notre commission, du rapporteur, Olivier Paccaud, de la rapporteure pour avis du texte en première lecture, Jacqueline Eustache-Brinio, ainsi que celui de la mission d’information du Sénat sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement.

Nous regrettons que les recommandations de cette mission d’information n’aient pas été prises en compte dans l’élaboration du texte que nous examinons aujourd’hui.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste, dans sa très grande majorité, votera la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’exprimerai d’abord deux regrets.

Le premier porte sur l’issue non conclusive de la commission mixte paritaire. Pourtant, autour de cette grande table, les représentants de l’Assemblée nationale et du Sénat n’étaient pas assis aux extrémités, mais bien face à face. Je pensais que, sur un sujet aussi grave, nous aurions pu trouver des points d’entente.

Le deuxième regret concerne le recours, désormais presque habituel, à la motion tendant à opposer la question préalable. Ce fut déjà le cas, hier, sur la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France. Au sein du groupe du RDSE, nous ne pensons pas que le Sénat remplisse son rôle en renonçant constamment à débattre, à argumenter et à renvoyer systématiquement la décision finale à l’Assemblée nationale.

M. Bernard Fialaire. Le harcèlement scolaire est un fléau dont on estime qu’il touche un élève sur dix. Ce fléau continue de se répandre, malheureusement aidé par les outils numériques, le cyberharcèlement en étant l’une des formes les plus violentes. Il est favorisé par le silence des victimes, motivé souvent par la peur ou la honte et par le silence des témoins.

C’est pourquoi je me réjouis du choix de l’Assemblée nationale de conserver un apport du Sénat : l’intégration des témoins, aux côtés des victimes et des auteurs de harcèlement, dans les mesures prises par les établissements, afin de lutter contre le harcèlement scolaire.

Les députés ont également décidé d’inclure une formation à l’identification et à la prise en charge des témoins dans la formation initiale à destination des adultes à même d’être confrontés à des faits de harcèlement scolaire : personnels médicaux et paramédicaux, personnels de l’éducation nationale, travailleurs sociaux et animateurs, mais aussi policiers, gendarmes et magistrats.

Car, on le sait, le témoin est un personnage central du phénomène de harcèlement. Il s’agit d’un phénomène de groupe, et le harceleur trouve parfois son intérêt à harceler dans la présence de témoins, auditoire de l’humiliation qu’il fait subir.

Nous devons encourager cette démarche d’implication du témoin pour qu’à l’avenir il ne soit plus simplement passif, mais qu’il devienne un allié dans le combat mené contre ce mal meurtrier qu’est le harcèlement scolaire.

La définition même du harcèlement scolaire dans le code de l’éducation a été l’un des principaux points de désaccord.

Je ne crois pas qu’il faille exclure les adultes du champ du harcèlement scolaire.

L’article 1er de la proposition de loi consacre le droit à une scolarité ou à une formation sans harcèlement. C’est une affirmation qui se veut de portée générale, protégeant l’ensemble des élèves et des étudiants à l’égard de leurs pairs, mais aussi à l’égard de toutes les personnes travaillant au sein de l’établissement d’enseignement. Exclure une catégorie de personnes enverrait un message confus et affaiblirait la portée de cette affirmation.

Cette limitation a pu être motivée par une volonté de protéger les enseignants d’éventuels recours abusifs de la part d’élèves et de leurs familles. Au contraire, c’est bien un moyen de protéger les enseignants que de renvoyer les plaignants devant la justice, qui constituera un recours protecteur.

Le second élément de désaccord a été la création d’un délit autonome de harcèlement scolaire. Créer un délit spécifique, inscrit dans le code pénal, est un signal fort à destination des auteurs de harcèlement scolaire. Il peut déclencher une prise de conscience de la gravité des actes commis, surtout chez de jeunes auteurs.

Aussi, il est logique que le quantum de peine proposé ouvre la possibilité de poursuivre tout auteur de harcèlement scolaire sur une base unique, qui prend en compte la réalité des conséquences du harcèlement scolaire et sa gravité. Pour ma part, je salue donc le rétablissement de cette qualification pénale.

Le groupe du RDSE, conformément à sa tradition, votera contre cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Sabine Van Heghe. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Sabine Van Heghe. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux vous dire ici ma forte déception face à l’absence d’accord en commission mixte paritaire sur cette proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire, dont j’ai salué le dépôt en première lecture et que nous n’avons eu de cesse d’améliorer durant la navette.

La responsabilité en incombe principalement à l’Assemblée nationale et à sa majorité, qui n’a absolument pas souhaité avancer vers des solutions de compromis. Cette attitude est à l’image de celle du Gouvernement, qui a, hélas ! fait peu de cas du rapport de la mission d’information sénatoriale sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, que j’ai eu l’honneur de présider, et dont la rapporteure était Colette Mélot.

Ce refus de prise en compte de notre rapport sénatorial et de ses trente-cinq propositions immédiatement applicables, tout comme ce désaccord en commission mixte paritaire, fait perdre de précieux jours alors qu’il y a urgence pour notre jeunesse.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a accueilli plutôt favorablement cette proposition de loi en première lecture, principalement comme outil de mobilisation de l’ensemble de la société face à ce fléau, sans ignorer cependant la portée purement symbolique de certaines dispositions de ce texte.

Le nerf de la guerre contre le harcèlement scolaire, ce sont les moyens octroyés à l’éducation nationale pour recruter davantage de médecins, d’infirmières, de psychologues scolaires. Je regrette l’insuffisance de ces moyens, monsieur le ministre, alors que ces acteurs sont en première ligne pour lutter contre le fléau du harcèlement scolaire, comme j’ai eu l’occasion de vous le dire lors de la présentation du rapport de notre mission sénatoriale.

Cette proposition de loi contient incontestablement des dispositions positives, comme la place donnée dans le code de l’éducation à la lutte contre le harcèlement scolaire, et l’extension de la définition du harcèlement scolaire au harcèlement universitaire.

Positifs aussi sont l’application des nouvelles dispositions de lutte contre le harcèlement aux établissements privés, le renforcement de la formation et de la sensibilisation de l’ensemble des personnels au contact des élèves, ou encore la saisie du matériel ayant servi au harcèlement.

Je regrette que l’Assemblée nationale n’ait pas accepté la réécriture de l’article 4 de ce texte, proposée par le Sénat sur l’initiative de la rapporteure pour avis de la commission des lois. En effet, nous ne sommes pas favorables à la création d’un délit spécifique de harcèlement scolaire, et nous trouvions que sa transformation en circonstance aggravante du délit de harcèlement était une bonne solution de compromis.

Le délit spécifique de harcèlement scolaire tel que l’Assemblée nationale le propose est assorti de peines particulièrement lourdes et totalement inapplicables. Notre mission d’information sénatoriale avait d’ailleurs préféré miser sur une meilleure prévention.

Autre regret, l’Assemblée nationale est revenue sur la rédaction de l’article 7 de la proposition de loi, en retirant l’ajout de notre groupe qui prévoyait un renforcement du concours des hébergeurs et fournisseurs d’accès à la lutte contre le harcèlement. Nous proposions la présentation périodique aux utilisateurs de vidéos de sensibilisation aux bons usages du numérique et à la prévention du cyberharcèlement, avec mention des peines encourues par les contrevenants et voies de recours pour les victimes, conformément aux préconisations de notre mission sénatoriale.

Quelques avancées proposées par le Sénat ont été conservées par l’Assemblée nationale, comme la prise en charge des témoins de faits de harcèlement au même titre que les victimes ou les auteurs, ou encore l’affirmation du rôle central des visites médicales dans l’identification des enfants victimes.

Je me félicite également de l’introduction au Sénat de dispositions permettant le recrutement des assistants d’éducation en contrat de travail à durée indéterminée (CDI) après six ans d’activité, tout en regrettant que cette mesure de bon sens ne s’applique pas aux accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH). C’est une différence de traitement injuste, incompréhensible et génératrice d’une colère légitime de ces personnels ô combien indispensables !

Notre groupe n’était pas en accord avec la totalité de la version sénatoriale de la proposition de loi.

Ainsi, nous n’étions pas favorables à l’ajout de dispositions concernant l’instruction en famille, le harcèlement scolaire pouvant servir de prétexte pour renforcer ce mode d’instruction que nous considérons comme inégalitaire.

Nous désapprouvions aussi l’exclusion du champ du texte des faits de harcèlement en provenance des enseignants ou du personnel des établissements : c’est un phénomène certes minoritaire, mais qui doit être considéré.

Nous saluons aussi le rétablissement de l’article 6, supprimé au Sénat, qui prévoit des stages de sensibilisation aux risques liés au harcèlement scolaire dans le cadre de stages de citoyenneté ou de formation civique, comme le souhaitait notre mission sénatoriale.

Je suis sûre qu’il aurait été possible de conjuguer les apports positifs de l’Assemblée nationale et du Sénat sur ce texte, et je regrette que cela n’ait pas été possible, en grande partie – je le répète – du fait de l’attitude dogmatique de la majorité à l’Assemblée nationale.

Notre groupe ne votera pas la motion tendant à opposer la question préalable, car il est opposé par principe à l’arrêt des débats, en particulier sur ce sujet qui préoccupe fortement nos concitoyens et qui touche nos enfants. Il aurait préféré pouvoir débattre en détail des différents points que je viens d’évoquer et voter en faveur du texte élaboré par l’Assemblée nationale qui, malgré sa frilosité et son aspect abusivement répressif, constituait tout de même une avancée pour lutter contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)