M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.

Dans le débat, la parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce débat est un peu particulier. En effet, comme vous venez de le rappeler, monsieur le Premier ministre, il intervient après la décision du Président de la République et l’annonce de celle-ci de retirer nos forces du Mali pour les redéployer ailleurs au Sahel.

Je ne veux pas polémiquer, car dans ce débat nous devons être à la bonne hauteur.

À la bonne hauteur, d’abord, pour nos armées. Nous avons envoyé combattre nos militaires là-bas pendant près de dix ans sur un terrain très difficile et ils l’ont fait au nom de la France.

À la bonne hauteur, aussi, pour les cinquante-neuf soldats qui y ont laissé leur vie et auxquels nous pensons tous ici, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons. Je tiens à dire à leurs familles – certaines nous écoutent peut-être – qu’ils ne sont pas morts pour rien. Ils sont morts pour la France, ils sont morts pour nos valeurs, ils sont morts pour protéger le sol français de potentielles attaques terroristes et ils sont tombés au champ d’honneur pour que le Sahel ne tombe pas entre les mains des pires ennemis de la France.

Je veux dire aussi, madame la ministre des armées, que nous pouvons, et nous devons même, être fiers de ce qu’ont fait nos armées en Afrique. Monsieur le Premier ministre, vous l’avez rappelé, Serval a été un succès : en deux mois, 400 djihadistes ont été tués et les principales villes du nord du Mali ont été libérées. En quelques semaines, les principales bases de ces terroristes ont été neutralisées. Sans l’intervention de la France au Sahel et au Mali, nous aurions eu Raqqa là-bas. Il faut le redire, nous aurions en réalité eu la constitution d’un proto-État, d’un État islamiste, d’un califat au cœur du Sahel.

Rappelons ici solennellement, au début de ce débat, ce qu’ont fait nos militaires, ce qu’a fait l’armée française en Afrique. Nous devons être conscients que très peu d’armées auraient pu faire de même dans ces conditions, sur un territoire aussi large et avec des moyens finalement assez limités.

Le mérite de ces soldats nous oblige.

Il nous oblige à être nous-mêmes, ici sur le sol français, intransigeants face aux menées islamistes, sans jamais que notre main tremble. Le front est extérieur, mais il est aussi intérieur !

Mais il nous oblige aussi à faire en sorte que le redéploiement de nos soldats et leur retrait se déroulent dans la dignité, madame la ministre. J’espère que vous nous donnerez les garanties que ce retrait sera totalement sécurisé.

Être à la bonne hauteur signifie, enfin, avoir un débat honnête.

Franchement, à quoi servirait un débat convenu, débordant d’autosatisfaction ? Cela ne nous empêche pas de reconnaître, comme je viens de le faire, que Serval a été un succès et que nous avons ensuite engrangé des victoires avec l’opération Barkhane. Vous avez rappelé, monsieur le Premier ministre, que nos troupes ont tué le leader d’AQMI en juin 2020 et que l’État islamique dans le Grand Sahara avait été pratiquement neutralisé.

Mais on ne peut pas s’arrêter là : allons au-delà et approfondissons l’analyse. Avec non pas l’opération Serval, mais sa continuation, Barkhane, nous avons fait un pari. Celui-ci reposait sur notre capacité à pouvoir contenir ces groupes armés, en attendant la relève des forces locales. Ce pari, nous n’avons pas pu le gagner, parce que nous avons perdu la course de vitesse entre l’érosion naturelle dans le temps d’opinions publiques manipulées et la montée en puissance des forces locales. De nos jours, la guerre informationnelle fait presque partie des armes conventionnelles et il faut la contrer, ce que nous n’avons pas su bien faire.

En regardant aujourd’hui la situation d’un point de vue politique, diplomatique ou militaire et avec un peu d’objectivité, que constate-t-on ?

L’influence de la France en Afrique, dans cette zone, a-t-elle été renforcée ? Je ne le crois pas.

La menace djihadiste a-t-elle été fortement réduite ? Je ne le crois pas non plus. Elle a plutôt augmenté et elle atteint désormais d’autres pays, en particulier dans le golfe de Guinée.

Que s’est-il donc passé ? Je pense que les succès n’ont pas été exempts d’erreurs, d’ordre militaire et diplomatique.

Pour Barkhane et sa prolongation, l’erreur militaire a consisté, lorsque nous avons engagé l’opération, à penser que nous pouvions nous disperser. Je vous rappelle qu’à l’époque nous étions engagés – sans doute était-ce nécessaire – dans l’opération Sentinelle et en Irak, mais au vu du format de nos armées, se diviser et se disperser, c’était finalement s’affaiblir, car on ne gagne ce genre de guerre qu’en tapant vite et très fort.

Autre élément concernant l’aspect militaire, nous nous sommes bercés d’un certain nombre d’illusions. C’était beaucoup présumer que de penser qu’en très peu de temps nous pouvions relever une armée comme celle du Mali, qui était l’une des plus faibles et des plus corrompues d’Afrique.

Il était illusoire de croire que la force du G5 Sahel, même s’il fallait sans doute la mettre en place, pouvait exister en tant que telle, sans la perfusion française, sans l’habitude et la culture de la planification issue d’états-majors communs – en réalité, une telle grammaire de l’intervention sur le terrain est essentielle, si l’on veut être efficace.

Vous avez parlé, monsieur le Premier ministre, de « l’esprit de Takuba » : pour filer la métaphore, Takuba relevait effectivement d’une dimension immatérielle en quelque sorte. Si vous enlevez les 400 militaires français de Takuba, que reste-t-il ? Seulement l’esprit !

Quant à la Minusma, peut-être faut-il reconnaître, mes chers collègues, qu’elle a toujours été incapable de faire autre chose que de se protéger elle-même, et encore avec l’appui de nos forces ?

Voilà pour l’aspect militaire. Mais, selon moi, les erreurs les plus importantes ont été d’ordre diplomatique.

La première erreur d’analyse a été faite, lorsque le Président de la République a annoncé – en juin 2021, me semble-t-il – juste après le sommet de Pau, sans grande concertation avec nos partenaires africains, un retrait progressif.

Cette décision a envoyé un double signal.

D’abord à la junte, qui l’a saisi comme un prétexte – j’approuve évidemment, monsieur le Premier ministre, ce que vous avez dit sur la junte – pour se jeter dans les bras de Wagner et d’une autre puissance que la France.

Ensuite à nos propres partenaires, qui étaient réticents à s’engager davantage. Au moment même où ils ont entendu que nous allions nous retirer, certes progressivement, il ne fallait pas croire que, dans un mouvement inverse, eux allaient substantiellement s’engager. C’est en ce sens que je pense qu’une erreur diplomatique a été commise.

Mais la plus grande erreur concerne la politique africaine. Cette erreur date du discours du Président de la République de Ouagadougou, très tôt dans son quinquennat, en novembre 2017, lorsqu’il a procédé à une réinterprétation de la politique africaine : celle-ci devait se baser notamment sur la société civile africaine – c’était là encore un pari. Or les représentants de cette société civile étaient souvent issus, en fait, de la diaspora africaine et de la grande bourgeoisie – une représentation qui pouvait donc être contestable. Et nous nous sommes détournés des autorités – de fait ou de droit, peu importe – et de ceux qui gouvernaient un certain nombre de pays.

Nous avons par exemple créé le Conseil présidentiel pour l’Afrique et, de proche en proche, nous avons désorienté nos partenaires. Je veux rappeler que, dans un certain nombre de réunions, par exemple au cours d’ateliers, la voix donnée aux autorités publiques était une voix parmi d’autres. Cela a conduit à une profonde désorientation et à un affaiblissement notre politique africaine.

Une fois cela dit, que faire désormais ? Se retirer pour tirer un trait sur tout ce que nous avons fait ? Évidemment non. Je vous rejoins, monsieur le Premier ministre : il faut bien sûr rester au Sahel, se redéployer dans les conditions que vous avez évoquées il y a quelques instants – je n’y reviens pas –, notamment à Niamey, au Niger.

Mais il faudra aussi, pour l’avenir, tirer un certain nombre de leçons de cette expérience. Ce que m’inspire non pas Serval, mais Barkhane et sa continuation, ce sont trois leçons sur les illusions françaises.

La première illusion, c’est qu’on ne peut pas, dans un État quasi failli, aboutir à des résultats, si l’action militaire ne se combine pas efficacement avec une action civile de développement. C’est une illusion très occidentale. En définitive, la France peut être une force d’action rapide en Afrique, c’est-à-dire qu’elle peut être un pompier qui éteint l’incendie, mais elle ne peut pas être le gendarme qui restaure l’ordre. Ce premier point est important et c’est, je le redis, une illusion largement partagée en Occident.

La deuxième illusion, c’est l’illusion européenne. Peut-on « se servir » des opérations extérieures (OPEX) comme d’un terrain d’entraînement pour constituer un embryon d’armée européenne ? Cet exercice montre très vite ses limites, comme je l’ai dit précédemment : sans la France, Takuba avait des difficultés à exister et, en réalité, derrière Takuba il y avait la France.

La troisième illusion, c’est la politique africaine. Entre l’angélisme dont nous semblons faire preuve et la realpolitik que d’autres puissances – je pense à la Russie ou à la Chine – déploient sur le continent, il y a sans doute une marge. Cette marge, c’est le réalisme : il s’agit de dialoguer avec les autorités qui sont en place, même si elles sont peu recommandables – c’est le propre de la diplomatie… Le réalisme est absolument nécessaire, si l’on veut avoir demain une diplomatie un peu efficace.

Pour terminer et évoquer l’avenir, il faut d’abord redire que, parmi les – désormais – vingt-sept États membres de l’Union européenne, nous sommes le seul pays qui dispose d’un modèle complet d’armée capable de se projeter à l’extérieur : c’est un élément fondamental qu’il faudra entretenir. Nous, parlementaires, nous ne l’oublierons pas dans les prochains projets de loi de finances – n’est-ce pas, cher Christian Cambon ?

Second élément de conclusion, l’Afrique est un continent en devenir démographique et elle est instable. Mais l’avenir de l’Afrique nous concerne et engage notre destin. Au travers de toutes nos actions, pas seulement militaires, mais également diplomatiques ou par le biais de l’Agence française de développement (AFD) – et Dieu sait si, dans cette enceinte, nous avons réclamé beaucoup plus de transparence –, nous devons parvenir à une meilleure articulation de l’action militaire avec, si j’ose dire, l’action civile et humanitaire.

La France, et surtout l’Europe, est la première puissance humanitaire. Il faut demain convaincre les populations. Car quelle est la situation actuellement ? Si hier la présence de la France était souhaitable, elle est désormais redoutée, et même presque repoussée.

Recombinons nos forces, parce que la France doit rester en Afrique : c’est notre histoire, mais c’est aussi un destin commun et notre avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur le Premier ministre, il y a trois semaines, lors d’une question d’actualité au Gouvernement, le président du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain vous a demandé de bien vouloir accepter d’inscrire ce débat à notre ordre du jour. C’est un enjeu démocratique et une bonne manière de construire une politique internationale efficace et durable.

Tout au long de ce quinquennat, le président Macron a préféré une approche descendante de la relation entre les pouvoirs exécutif et législatif. La preuve en est que ce débat arrive après la décision présidentielle ! Ce n’est donc plus véritablement un débat… Pour autant, il serait dommageable d’en faire un moment d’opposition caricaturale ou un quitus des décisions élyséennes.

Avant toute autre considération, nous pensons avec gravité à celles et ceux qui ne sont plus là. Ils sont morts pour la France, pour ce qu’elle est et représente, ici et dans le monde, pour ces trois mots qui la fondent : liberté, égalité, fraternité.

J’ai une pensée émue pour leurs familles et leurs proches. Mes fonctions passées m’ont amené à les rencontrer et j’ai pu mesurer leur courage dans ces épreuves tragiques. Je veux leur dire que la flamme du souvenir ne s’éteindra jamais. Elle ne compensera ni le chagrin ni la tristesse de celles et de ceux qui restent, mais notre mémoire ne les oubliera pas.

Permettez-moi aussi d’apporter notre soutien unanime à tous les blessés et à leurs familles. La République est et sera à leurs côtés.

Ici, je veux saluer le travail du service de santé des armées et des personnels de l’Institution nationale des Invalides. Sans eux, aucune projection de nos armées ne serait possible.

Alors que le départ du Mali est annoncé, comme vous nous l’avez confirmé, monsieur le Premier ministre, nous pensons à toutes les ONG qui œuvrent sur le terrain au service des populations locales et à tous ces journalistes qui, par leur travail, permettent de faire vivre la liberté et la démocratie.

J’ai ici une pensée pour Olivier Dubois, enlevé dans la région de Gao il y a dix mois et dont la famille, sans nouvelles, attend le soutien du gouvernement français.

Depuis neuf ans, les armées françaises sont engagées dans un théâtre d’opération complexe et font preuve d’un professionnalisme sans faille.

Répondant à l’appel du gouvernement malien, menacé par des groupes djihadistes, nos troupes sont intervenues en quelques heures en 2013 sur décision du président François Hollande. L’opération Serval a consisté à se projeter rapidement et à porter l’initiative aux confins du Sahel pour protéger la démocratie et les populations menacées, ni plus ni moins. Cette opération n’a jamais été une offensive de conquête.

Il faut le dire et le redire, les armées françaises et européennes n’ont à aucun moment été des forces d’occupation. À chaque instant, elles se sont inscrites dans un cadre relationnel clair avec l’ensemble des cinq pays concernés géographiquement par l’opération Barkhane, dont le Mali en premier lieu.

Barkhane a été lancée pour procéder à une autonomisation des forces armées locales, singulièrement cette armée malienne fortement affaiblie et incapable de faire face à la menace qui l’acculait en janvier 2013.

En ce sens, l’accord signé le 16 juillet 2014 entre les ministres malien et français de la défense précisait que l’opération Barkhane identifie les principaux domaines de coopération de défense : échange d’informations et consultations régulières sur les problèmes sécuritaires, formation, conseil, entraînement et équipement.

Bien entendu, il s’agissait de permettre au Mali de faire front face à la poussée djihadiste, de raffermir sa souveraineté, celle d’un pays démocratique, et de lui donner la stabilité nécessaire pour administrer librement l’ensemble de son territoire, au service des Maliennes et des Maliens. Il ne s’agissait pas de construire un autre État ou d’imposer tel ou tel parti au peuple malien.

Voilà ce qu’étaient les objectifs de l’opération Barkhane, ni plus ni moins.

Dans ce contexte, les armées françaises n’ont jamais été défaites sur le terrain militaire. À chaque instant, ces femmes et ces hommes, tous ces personnels des armées de terre, de l’air et de mer, qu’ils fussent en première ligne ou en soutien, tous ont affronté le feu ; qu’ils œuvrent dans l’ombre ou la lumière, toutes et tous ont su se distinguer.

Aujourd’hui, il nous revient, à nous parlementaires, au nom de tous les Français, de les honorer. En ces instants, nous affirmons que les annonces de ces derniers jours ne sont pas celles d’une défaite militaire, mais qu’elles sont la marque visible et durable d’un manque de clairvoyance de la part de l’exécutif quant à la stratégie de la France au Sahel.

Ce que nous pointons, c’est non pas tant la décision de quitter le Mali que le fait qu’elle soit prise sous la contrainte et non pour répondre à un agenda politique.

La première contrainte, c’est le rejet de la présence française, notamment avec le revirement de l’opinion publique. Ces mêmes citoyens qui avaient applaudi en 2013 l’intervention dans les rues de Bamako, Tombouctou et Gao et partout ailleurs dans le pays manifestent aujourd’hui pour le départ des Français.

C’est là le fruit d’une savante stratégie d’influence diligentée par Moscou, qui franchit une ligne de plus avec l’arrivée de la société Wagner.

Il y a, ensuite, une contrainte diplomatique liée aux relations avec le pouvoir central de Bamako. Le dialogue ne pouvait qu’être rompu, tôt ou tard, avec cette junte qui privatise le pouvoir.

Après l’expulsion de notre ambassadeur – une humiliation pour la France ! –, la junte exige désormais le départ immédiat des troupes internationales.

Un retrait précipité et désordonné représenterait une faille dans laquelle s’engouffreraient les terroristes qui souhaitent porter des coups à nos forces. Nous appelons à la plus grande vigilance et à ce que la sécurité de l’ensemble des personnels soit totalement garantie. Je salue vos propos tenus hier à l’Assemblée nationale, monsieur le Premier ministre, sur le fait que le retrait ne nous serait pas imposé dans le temps et que la sécurité de nos troupes serait assurée.

Vient, enfin, une triple contrainte – tactique, politique et sécuritaire – avec l’arrivée de la milice Wagner. Après s’être déployée partout en Afrique de l’Est selon un axe nord-sud, de la Libye au Mozambique, la Russie se déploie en Afrique de l’Ouest. L’afflux massif d’éléments russes est un risque supplémentaire et direct.

Comment mener des opérations sur zone avec la présence de ces fous de guerre dans le secteur ? Nous ne pouvons pas prendre le risque d’être assimilés à ces gens qui font commerce de la violence et des exactions. Nos forces armées portent haut les valeurs de la démocratie et de la lutte implacable contre le djihadisme.

Avec le départ des forces européennes, ce sont les Maliennes et les Maliens qui se trouvent sous la menace des hordes de Wagner. L’histoire est déjà écrite.

Quand la junte n’aura plus la trésorerie, les hommes de Wagner se payeront directement sur la bête. Comme en République centrafricaine, le pillage deviendra la norme. Malheureusement, après la terreur djihadiste, la population payera le prix du sang et des larmes.

Tout cela pour quoi ? Les officiers de la junte sont des rentiers, sans considération pour le devenir du Mali ou du peuple malien. Le pouvoir a été volé à la démocratie par la force. Le nouveau pouvoir est maintenu par la force – un pouvoir qui ne sert qu’un petit nombre dont le seul objectif est de s’enrichir, un pouvoir qui ne redistribue rien aux citoyens.

Dans cette affaire, ce qui restera, ce n’est pas tant la décision de partir ni celle d’y être allé. Ce qui restera, c’est l’instabilité et le manque d’anticipation. Quelle a été la stratégie de la France au Mali et au Sahel durant ces cinq dernières années ?

Quid des fameuses « lignes rouges » posées par votre gouvernement depuis 2017 ? Force est de constater que, si elles ont existé, ces lignes rouges n’auront eu de cesse de battre en retraite. Elles apparaissent désormais comme autant de vaines tentatives, de coups de poker, à l’intention de Bamako et de Moscou. Des expérimentations diplomatiques qui n’ont pas fonctionné !

L’annonce du départ n’est pas un choix stratégique, mais une décision contrainte autant par la succession des évènements au Mali que par l’impossibilité pour nos partenaires européens de poursuivre cette présence.

Le Gouvernement s’est retrouvé dos au mur.

Le débat prévu en mai au Bundestag sur le mandat encadrant le déploiement des troupes allemandes, le terme du mandat de la Minusma en juin prochain, le non-renouvellement d’ores et déjà décidé de l’engagement des troupes suédoises ou belges au sein de Takuba : tous ces éléments ont formalisé la véritable ligne rouge, non pas celle que l’on se fixe dans le cadre d’une stratégie claire, mais celle que les évènements nous imposent.

Or gouverner, c’est prévoir. La prise de décision du Président de la République est imposée sous la pression. Dès lors, nous pouvons revoir toutes les sorties diplomatiques de la France depuis 2017 sur la question du Sahel, et même de l’Afrique, à travers ce prisme.

Le sommet de Pau, les réunions avec les autres chefs d’État, la publicité d’un Président de la République chef des armées, tout cela n’aura eu aucune prise sur le déroulé de l’histoire.

En matière de politique étrangère, nous ne sommes pas loin d’observer que le Président de la République n’aura procédé qu’à des gesticulations.

Après avoir tenu la main de Trump en 2018, il a enchaîné les dialogues stériles avec ce président américain et avec Poutine.

Au Liban, l’initiative française n’a débouché sur rien. Une grande partie de l’opinion et des médias libanais considère que le Président de la République n’aura pas apporté de solutions et aura, somme toute, accentué les difficultés.

Et puis, il y a eu toute la stratégie de la France dans la zone indo-pacifique, tombée, en une annonce, avec le retrait de l’Australie du contrat relatif à la vente de sous-marins français. Sur ce sujet, nous considérons que de nombreuses interrogations demeurent entières.

Toutes les intuitions du Président de la République et du Gouvernement se seront heurtées à l’épreuve des faits ! La crise en Ukraine en sera, hélas, un exemple de plus, même s’il faut chercher la paix jusqu’au bout.

La politique étrangère n’est pas une simple affaire de communication politique consistant à créer un buzz par un nouveau coup d’éclat. Elle ne peut pas se résumer à quelques envolées sans lendemain. En matière de relations internationales, il n’y a pas de formule magique. Il faut de la méthode, de l’exactitude et de l’assiduité.

Ce qui fait le rayonnement de la France, ce sont la stabilité des valeurs qu’elle défend, le sérieux de ses engagements, sa faculté à voir plus loin, comme en Irak en 2003.

À la fin de ce quinquennat, la France quitte le Mali par la petite porte. Et le Gouvernement tente d’esquiver le travail essentiel d’introspection et d’amélioration dont notre pays a besoin quant à sa politique internationale. On nous explique que tout va bien, que rien ne change vraiment, puisque Barkhane continuera à partir de pays limitrophes, et qu’en conséquence la France demeurerait clairvoyante au Sahel.

Mais des questions concrètes restent sans réponse. Entre autres choses, quid du survol de l’espace aérien malien pour protéger la Minusma et porter des coups aux bandes de terroristes ?

Barkhane n’est qu’un exemple des nombreux autres embarras du gouvernement actuel en matière de politique étrangère. Alors que la compétition internationale s’est très fortement accrue et que les superpuissances se réarment, ce qui pose inéluctablement le risque de la guerre, c’est toute notre politique étrangère que nous devons interroger : de la formation aux métiers de notre diplomatie à notre réseau consulaire ; de l’aide au développement à la francophonie ; des grandes orientations de notre stratégie dans le monde à notre place dans l’Europe.

La France doit se redéfinir pour être en capacité de faire face aux enjeux tels qu’ils se présentent.

C’est le prix de notre amélioration collective ; c’est le socle de nos nécessaires unité et continuité républicaines quant aux questions d’affaires étrangères et de défense. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Bruno Sido applaudit également.)

M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord saluer l’initiative du Gouvernement, qui a demandé l’inscription de cette déclaration suivie d’un débat à l’ordre du jour de notre Assemblée.

Compte tenu des annonces faites par le Président de la République la semaine dernière, il s’avérait indispensable d’évoquer aujourd’hui l’avenir de l’intervention française au Sahel.

Je tiens à rendre hommage, au nom de mon groupe, à nos soldats engagés dans cette zone et à tous les régiments qui se sont succédé durant toutes ces années, mais aussi aux cinquante-neuf militaires qui ont perdu la vie dans le cadre des opérations Serval, puis Barkhane. Nos pensées vont à leurs familles, à leurs proches et à leurs frères d’armes.

La France est engagée au Mali depuis 2013. Neuf ans après, force est de constater que ni l’opération militaire française ni l’aide internationale n’ont permis d’engager le pays dans la voie de l’apaisement. Ce pays est de façon récurrente dévasté par les violences et une anomie politique.

La décolonisation a créé le Mali sur les bases de l’ancien Soudan français, regroupant des populations n’ayant historiquement que peu de relations. Depuis 1960, l’instabilité politique, oscillant entre multipartisme et coups d’État militaires, a favorisé une situation chaotique que même la Constitution adoptée en 1992, pourtant d’inspiration française, n’a pas pu apaiser.

Les accords pour la paix et la réconciliation au Mali, issus du processus d’Alger de 2015, n’ont que très peu été mis en œuvre. Aucun des cinq piliers sur lesquels se fondent ces accords n’a été appliqué de façon satisfaisante. Trois phénomènes destructeurs de la cohésion sociale marquent aujourd’hui le Mali : les violences armées, la corruption des autorités en place, la progression des groupes djihadistes.

Un fossé s’est accentué entre la position de la France, qui souhaite éradiquer le djihadisme, et les autorités locales, qui souhaitent entrer en négociation avec certaines composantes.

Ainsi, la volonté de constituer une armée malienne nationale semble vouée à l’échec tant les divergences entre le nord et le sud sont prégnantes.

Le Mali n’est prêt à accepter ni un État très centralisé ni un éclatement, comme auraient pu le laisser supposer les accords d’Alger. Dans ces conditions, comment vouloir imposer le retour de l’État et, de façon sous-entendue, de la démocratie ?

Il convient de rappeler que la crise malienne a une origine protéiforme : la rébellion touareg précipitée par la chute du régime libyen, la multiplication des groupes armés terroristes et les nombreux conflits communautaires au centre et au nord.

C’est dans un climat très lourd, début 2020, que le président Emmanuel Macron a réuni ses homologues sahéliens pour un sommet à Pau. Même si certains ont critiqué la méthode, c’est à cette occasion que l’État islamique dans le Grand Sahara a été désigné comme ennemi prioritaire.

C’est également à cette occasion que les États de la région ont réaffirmé collectivement leur souhait de voir la France les épauler dans la lutte contre le terrorisme.

Les coups d’État de 2020 et de 2021 ont engendré des complications supplémentaires. Le Conseil national de transition a remis en cause les avancées acquises précédemment, allant jusqu’à repousser à une échéance lointaine le processus de transition démocratique. Une ligne rouge a été franchie en fin d’année, avec l’arrivée de membres de groupes paramilitaires russes.

Le désengagement des forces françaises lancé à l’automne dernier a constitué une première réponse à cette situation.

Car la junte militaire au pouvoir n’est pas à une provocation près : remise en cause des accords de défense et de la présence danoise au sein de la force Takuba, interdiction du survol du territoire malien par les appareils participant à l’opération Barkhane.

Toutes les nations contribuant à la force Barkhane ont de plus en plus de mal à faire entendre aux dirigeants sahéliens qu’il est nécessaire de mieux gouverner et de réformer les forces de sécurité.

Après le coup d’État au Burkina Faso, seul le Niger conserve une gouvernance légitime dans la zone d’intervention de Barkhane.

Certes, nous ne pouvons plus demeurer dans un pays où nous ne sommes plus les bienvenus et alors que de profonds désaccords concernant les modalités de règlement de la crise subsistent entre la France et le Mali. Une succession d’événements dans cette région du Sahel a contribué à la montée du sentiment anti-français, rendant impossible le maintien de la force Barkhane au Mali.

Cependant, une question demeure sans réponse : à quel moment et pour quelles raisons une force militaire de protection se transforme-t-elle soudain, dans l’imaginaire local, en une force d’occupation ?

L’officialisation, jeudi dernier, du retrait militaire du Mali par la France et ses partenaires européens me paraît l’option la plus sûre pour nos soldats et la plus adaptée pour nous permettre de poursuivre notre engagement au Sahel et d’étendre notre soutien aux pays voisins du golfe de Guinée et d’Afrique de l’Ouest.

Alors que les groupes terroristes veulent métastaser dans l’ensemble de la région et se rapprocher des poumons économiques d’Abidjan et de Dakar, notre mobilisation dans cette zone reste indispensable. Elle doit bien entendu rester coordonnée avec les États voisins, tout particulièrement avec le Niger, dans le respect des procédures constitutionnelles de ces pays.

En effet, le Niger est le membre du G5 Sahel le plus susceptible de figurer au cœur du redéploiement du dispositif militaire de lutte contre le terrorisme. Si son principe en est acté, le rapprochement du Niger avec la France et ses partenaires nécessite un travail de pédagogie auprès de l’opinion, ainsi qu’une validation démocratique de la part des citoyens nigériens.

C’est pourquoi le ministre des affaires étrangères du Niger a annoncé que, dès le mois prochain, le Premier ministre nigérien engagerait la responsabilité de son gouvernement sur cette question sensible au cours d’un vote de l’Assemblée nationale de ce pays.

Un certain nombre de questions restent cependant en suspens.

Tout d’abord, madame la ministre, monsieur le ministre, pouvez-vous nous éclairer en ce qui concerne la restructuration de notre dispositif militaire et son articulation avec les autorités du Niger et des autres pays de la sous-région ?

Concernant notre départ du Mali, le Président de la République a déclaré que la fermeture concrète des bases françaises de Gao, Ménaka et Gossi prendrait entre quatre et six mois.

Cette manœuvre devra être rapide et très sécurisée face aux potentielles attaques des groupes armés terroristes, mais elle sera également complexe et devra s’inscrire dans le cadre d’un processus coordonné avec les partenaires africains et européens. De surcroît, les mouvements ne seront pas facilités à partir du début de la saison des pluies au mois de mai.

Par ailleurs, quel avenir pour Takuba ? La task force répondait à des besoins spécifiques des militaires maliens. Cet engagement unique valait pour ce pays. Il faudra donc une phase de redéfinition, afin de savoir si les pays contributeurs sont prêts à poursuivre leur mission au profit de nouveaux partenaires.

Enfin, je pense aux enjeux liés à l’EUTM Mali, à l’EUCAP Sahel Mali, une mission civile de l’Union européenne pour aider les forces de sécurité intérieure, ainsi qu’à la Minusma. Ces dispositifs, dans lesquels plusieurs pays européens sont engagés, devront être revus et adaptés à un contexte nouveau.

La situation actuelle impose un questionnement auquel nous devons nous confronter avec réalisme : la France a-t-elle les moyens de rester le seul leader de la lutte contre le djihadisme ?

À l’heure de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, nous devons insuffler un débat sur la possibilité d’un partenariat européen durable pour lutter contre le terrorisme, et cela bien au-delà de Takuba.

Dans le même temps, il est désormais urgent d’agir diplomatiquement dans les pays de la sous-région pour favoriser le retour à une transition démocratique qui redonnerait de la légitimité aux représentants issus d’éventuelles élections.

Même si Barkhane est une addition de succès tactiques aboutissant, pour certains, à un échec stratégique et diplomatique, quitter le Mali ne veut pas pour autant dire abandonner la lutte contre le terrorisme. Quitter le Mali ne signifie pas renoncer à la sécurité de la France et de l’Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Alain Richard et André Gattolin applaudissent également.)