compte rendu intégral

Présidence de M. Roger Karoutchi

vice-président

Secrétaires :

Mme Corinne Imbert,

M. Dominique Théophile.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix-huit heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Décès d’un ancien sénateur

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Yann Gaillard, qui fut sénateur de l’Aube de 1994 à 2014.

3

Enseignement professionnel

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur l’enseignement professionnel.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Max Brisson, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec 650 000 élèves, soit un élève du second cycle du secondaire sur trois inscrit après la classe de troisième dans une formation allant du certificat d’aptitude professionnelle (CAP) au baccalauréat, l’enseignement professionnel est une voie importante de notre système éducatif.

Pourtant, cette filière a perdu 100 000 élèves en vingt ans et ses résultats pour l’obtention d’un emploi sont décevants. En effet, deux ans après avoir obtenu leur diplôme, seuls 41 % des titulaires d’un CAP et 51 % des bacheliers professionnels ont trouvé un emploi.

Pour nombre de jeunes, l’enseignement professionnel est vécu comme une voie de relégation, une sanction pour leurs difficultés scolaires, une filière de l’échec. Alors que les formations professionnelles sont valorisées dans d’autres pays, comme en Allemagne, en Suisse ou aux Pays-Bas, elles souffrent en France d’une image dégradée et elles ne font rêver ni les jeunes ni leurs parents.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que l’affectation en filière professionnelle reproduise les inégalités existantes. Ainsi, un élève issu d’un milieu défavorisé a 93 % de chances d’être orienté vers un lycée professionnel et plus de la moitié des lycéens de cette filière viennent de quartiers défavorisés, selon une étude réalisée par Sciences Po. Un tiers des élèves de l’enseignement professionnel sont boursiers, soit une proportion deux fois plus élevée que dans l’enseignement général et les enfants de cadres ne représentent que 7 % des effectifs de la voie professionnelle.

L’éducation nationale a une responsabilité en la matière, car elle valorise par trop les disciplines générales et ses enseignants ne connaissent pas ou pas assez les filières professionnelles ni même les métiers auxquels ces dernières mènent. Il est également incontestable que trop de jeunes suivent des formations qui ne débouchent pas sur un emploi après le bac. Ainsi, 60 % des « lycéens professionnels » sont scolarisés dans les filières tertiaires du bac professionnel, alors que ces filières recrutent au niveau bac+2. Plus largement, les effectifs sont surtout concentrés en commerce et vente et en sanitaire et social, alors que, mis à part l’aide à domicile et l’hôtellerie et la restauration, les pénuries de compétences se focalisent aujourd’hui dans l’industrie.

En outre, c’est dans ce secteur que les lycées professionnels réussissent le mieux et ce sont ces établissements qui ont les synergies les plus fortes avec les entreprises locales. Ainsi, au lycée Éric-Tabarly des Sables-d’Olonne, où s’exprimait, le 13 septembre dernier, le Président de la République, on trouve en effet des formations « insérantes », telles que la chaudronnerie ou la maintenance nautique, preuve que le système abrite aussi de réelles pépites.

C’est justement à la suite des déclarations du Président de la République que le groupe Les Républicains a demandé l’organisation du présent débat. L’annonce, à cette occasion, d’une réforme d’ampleur par le chef de l’État suscite des interrogations, sur le fond et sur la forme. La réforme de 2019 n’entendait-elle pas déjà favoriser les synergies entre la voie scolaire et le monde de l’apprentissage, afin que les deux systèmes jouent la carte de la complémentarité ? Ne s’agissait-il pas, selon les termes mêmes du ministre d’alors, de transformer les établissements professionnels en « Harvard professionnels » ? Cette ambition semble avoir tourné court…

Pourtant, alors même que la réforme de 2019 n’a pas été analysée, les annonces faites par le Président de la République fixent déjà un cadre précis : doublement des heures de stages, révision de la carte des formations, réorientation des enseignants et recrutement d’un personnel issu du monde professionnel. Après avoir annoncé ces mesures très précises, le président Emmanuel Macron a maintenant recours à une série de débats calqués sur le modèle du Conseil national de la refondation ; on peut s’interroger sur la méthode…

En effet, quatre groupes de travail doivent se réunir jusqu’aux vacances de Noël, avant de rendre leurs conclusions à la fin du mois de février. Malgré la profusion de rapports et d’études déjà disponibles sur cette question, ces groupes devront trouver des solutions aux questions que vous leur avez soumises, madame la ministre : comment réduire le nombre de décrocheurs ? Comment mieux préparer la poursuite des études dans le supérieur ? Comment améliorer le taux d’accès à l’emploi ? Et comment donner des marges de manœuvre aux établissements, tout en conservant le caractère national des diplômes ?

Ces groupes, composés de représentants des syndicats, des régions, des parents d’élèves, des établissements, des entreprises ou encore des collectivités, sont pilotés par un recteur accompagné d’un inspecteur général. Après les inquiétudes provoquées par les réformes annoncées par le chef de l’État aux Sables-d’Olonne, on comprend que le Gouvernement tâche, manifestement, de rassurer. Toutefois, les principaux syndicats d’enseignants, qui dénoncent un passage en force, ont refusé de participer à ces groupes de travail. Une mobilisation a eu lieu le 18 octobre dernier et elle doit être renouvelée cette semaine. Elle traduit les difficultés de mise en œuvre des pistes proposées par le chef de l’État.

La double tutelle exercée dorénavant sur la réforme des lycées professionnels par les ministères chargés du travail et de l’éducation nationale est également l’objet d’inquiétudes. Certains y voient le renforcement bénéfique du lien entre le lycée professionnel et le marché du travail ; d’autres y voient le signe d’une atteinte à la spécificité de leur statut et craignent que l’augmentation, pouvant aller jusqu’au doublement, de la durée des stages ne prive les jeunes qui en ont le plus besoin de centaines d’heures d’enseignement.

Sans vouloir trancher ce débat, en observant simplement les évolutions des différents pays, on constate que les formations professionnelles de qualité reposent sur un solide socle commun de culture et de compétence générales.

M. Pierre Ouzoulias. Absolument !

M. Max Brisson. Par ailleurs, il s’agit d’une condition pour accéder aux études supérieures après le bac pro. Quel que soit le point de vue et sans anticiper le débat que nous aurons tout à l’heure, le sujet sensible de la durée des stages soulève de nombreuses questions. C’est à travers celles-ci que l’on peut aborder le sujet sans préjugé ni tabou : comment trouver assez d’entreprises pour accueillir les élèves, alors que c’est déjà une difficulté ? Faut-il proposer des incitations aux entreprises pour ouvrir un vivier d’offres ? Les lycéens percevront-ils une rémunération versée par l’État, comme cela a déjà été évoqué ? Le rapprochement avec le monde professionnel impliquera-t-il pour les lycées de recruter davantage de professeurs associés issus des entreprises ? Ce rapprochement passera-t-il par une participation accrue à la gouvernance des conseils d’administration des lycées ? N’est-il pas indispensable de mieux adapter la carte des formations aux réalités économiques, afin d’améliorer l’insertion professionnelle des diplômés ? Dans ce cas, comment organiser la reconversion des enseignants ? Enfin – au Sénat, je serais tenté de dire « d’abord » –, comment mieux associer les collectivités, qui sont les mieux à même de faire le lien entre les besoins des entreprises et l’offre de formation ?

On le voit, les questions sont nombreuses, mais tous les efforts seront vains si nous ne parvenons pas à établir l’image d’un enseignement professionnel adapté tant aux élèves et à leurs difficultés qu’aux besoins de secteurs économiques d’avenir.

Le groupe Les Républicains souhaite que le présent débat contribue à éclairer la voie à suivre, tant par ses questionnements que par ses propositions, et que le Parlement soit associé à cette rénovation indispensable.

M. Max Brisson. Cette rénovation ne pourra, bien entendu, se construire sans une discussion avec les branches et les partenaires sociaux, mais pas davantage en évitant la représentation nationale.

Par conséquent, vous engagez-vous, madame la ministre, à revenir devant le Parlement pour en débattre ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de linsertion et du ministre de léducation nationale et de la jeunesse, chargée de lenseignement et de la formation professionnels. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, monsieur Lafon, monsieur le sénateur Brisson, mesdames, messieurs les sénateurs, je salue le choix du groupe Les Républicains d’avoir proposé ce débat consacré à l’enseignement professionnel. Nous pensons tous, au sein de cet hémicycle, qu’il est nécessaire de faire reconnaître l’enseignement scolaire professionnel comme une véritable voie de réussite aux yeux des jeunes, de leurs familles et des employeurs.

La réforme engagée par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, que vous avez adoptée en 2018, a permis de lever certaines contraintes administratives entravant le développement de l’apprentissage. Elle aura ainsi rendu possible, en se combinant aux primes exceptionnelles mises en place pendant la crise, un décollage sans précédent de cet enseignement, puisque nous atteignons, cette année encore, un nombre historique de contrats : les organismes de formation nous indiquent que nous allons dépasser cette année le cap de 735 000 contrats signés et probablement atteindre le nombre de 800 000. Cela correspond à deux ou trois fois le nombre d’apprentis que comptait notre pays en 2018. L’essor considérable de l’apprentissage a contribué à faire diminuer le taux de chômage des jeunes de manière durable, en le situant à 15,9 %.

Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, et moi-même nourrissons une même ambition : faire de la voie professionnelle une voie de choix et d’excellence.

Le changement d’image du lycée professionnel est possible – nous l’avons observé concernant l’apprentissage – et il est nécessaire.

Nous devons le reconnaître, aujourd’hui, le lycée professionnel ne joue pas suffisamment son rôle d’insertion professionnelle de l’élève. La situation actuelle est source de frustrations tant pour les jeunes et leurs familles que pour les enseignants eux-mêmes. L’impression d’être déclassé, méprisé par un système qui semble punir les enfants en difficulté nourrit le ressentiment et l’échec.

Des transformations de la voie professionnelle ont déjà été accomplies lors du précédent quinquennat, dans le contexte pourtant difficile de la crise sanitaire. Cette première transformation fournit un socle sur lequel nous devons continuer de bâtir pour aller plus loin, dans le cadre d’un investissement structurel et résolument tourné vers la réussite des élèves. C’est notre responsabilité à tous : rétablir l’ascenseur social pour ces jeunes et permettre de rendre tangible l’égalité des chances pour les publics les plus fragiles.

Les lycées professionnels, on le sait trop peu, accueillent un tiers des jeunes lycéens en France, qui sont souvent des enfants cumulant des vulnérabilités scolaires et sociales. En effet, les 627 000 « lycéens professionnels » sont majoritairement issus de milieux défavorisés et se retrouvent souvent en situation d’échec pendant ou après leur scolarité. Voici quelques données pour vous en convaincre : 33 % de ces élèves sont issus d’une famille ouvrière et 3 % d’une famille de cadre ; une forte proportion est issue de l’immigration ou est allophone ; 5 % des élèves sont en situation de handicap, contre 1 % des « lycéens généraux » ; les difficultés de lecture concernent 28 % des élèves en CAP et 16 % en bac pro, contre 3,5 % en bac général ; la voie professionnelle comprend les deux tiers des décrocheurs, déjà en difficulté au collège ; enfin, après deux ans, sans compter ceux qui poursuivent leurs études, seulement la moitié des élèves sont en emploi.

En outre, l’organisation pédagogique actuelle ne prend pas suffisamment en compte les mutations économiques, les réalités des difficultés des élèves et les défis du territoire. Elle ne s’adapte pas non plus suffisamment aux trajectoires et aux profils des élèves.

De surcroît, les formations sont insuffisamment tournées vers l’emploi. Ainsi, les diplômes sont parfois en décalage : ils sont sans débouché ou sans niveau pertinent de qualification, à moins qu’ils ne reposent sur un référentiel d’activités dépassé. De même, la carte des formations est parfois déconnectée des enjeux du marché du travail : de nombreuses formations tertiaires ne sont pas suffisamment « insérantes » ; les investissements dans les plateaux techniques et les efforts déployés pour la reconversion des enseignants se révèlent souvent mal connectés aux réalités économiques. Par ailleurs, la préparation au monde professionnel n’est pas satisfaisante et n’offre pas aux jeunes la maîtrise nécessaire des codes de l’entreprise ou des techniques de recherche d’emploi pour s’insérer efficacement dans le monde du travail.

Enfin, les formations post-bac sont inadaptées. D’une part, les sections de technicien supérieur, préparant au brevet de technicien supérieur (BTS), préfèrent recruter des titulaires d’un baccalauréat général et technologique et ils ne sont pas adaptés aux sortants de bac professionnel, alors même que, dans certains secteurs, c’est le BTS qui est demandé par les employeurs plutôt que le niveau baccalauréat professionnel. D’autre part, l’offre de formation préparatoire aux études supérieures, du type « mention complémentaire » ou « diplôme de spécialité professionnelle » en une année, est insuffisante.

Dans ce contexte, nous nous sommes assigné trois objectifs clairs pour réussir cette réforme, que nous allons bâtir avec l’ensemble des acteurs concernés.

Premièrement, nous souhaitons réduire le nombre de décrocheurs, éviter cette fuite des élèves qui ne trouvent pas leur place en lycée professionnel. Entendons-nous bien : personne n’accuse les lycées professionnels d’être la cause unique du décrochage ; ils en sont souvent le réceptacle, héritant de difficultés liées à la fois aux fragilités personnelles des élèves et au manque de souplesse des parcours de formation.

Nous devons dès lors trouver des réponses au sein de ces établissements et bâtir ensemble une organisation nouvelle, plus souple, qui permette d’accroître collectivement la prévention et l’accompagnement, la motivation des élèves, le sens et l’engagement des jeunes dans leurs parcours.

Deuxièmement, nous souhaitons faire progresser significativement le taux d’insertion dans l’emploi. Le baccalauréat professionnel et, a fortiori, le CAP doivent tenir la promesse républicaine d’insertion dans l’emploi, qui est la raison d’être de ces diplômes, leur ADN en même temps que le gage de leur légitimité.

Troisièmement, enfin, je veux sécuriser la poursuite des études. Lorsque le projet et le métier le requièrent, nos jeunes doivent pouvoir être mieux préparés aux attendus des études supérieures, notamment à ceux des BTS.

Je veux à présent esquisser quelques pistes pour atteindre ces trois objectifs et réformer le lycée professionnel de sorte que chaque élève connaisse la réussite.

Nous allons investir dans les lycées professionnels comme jamais auparavant. C’est la première fois qu’un Président de la République apporte un tel soutien, lors d’une campagne et dans son projet présidentiel, à la voie professionnelle. Cela procède d’une véritable volonté d’accompagner l’amélioration de la formation initiale et continue des professeurs eux-mêmes, mais également de construire des formations d’avenir qui soient plus en phase avec la préparation des grands défis collectifs de demain. Je pense évidemment aux transitions écologiques et numériques, mais également à la révolution de la longévité, c’est-à-dire aux enjeux du vieillissement de la population, au défi de la transition vers une société plus inclusive et plus solidaire, qui passe par un meilleur accompagnement du handicap dans tous les secteurs, ainsi qu’à notre politique de souveraineté économique et de réindustrialisation du pays.

La multiplication des périodes de formation en milieu professionnel – les stages –, combinée à la gratification des élèves pendant ces périodes, doit permettre de rapprocher encore davantage le lycée professionnel du monde de l’entreprise et de conforter la motivation des élèves ainsi que leur engagement à réussir. Les stages contribuent à donner du sens, de l’expérience et des contacts, ils renforcent le lien entre la formation et le milieu professionnel.

Nous souhaitons également renforcer les enseignements généraux, M. le Président de la République y a insisté, car les entreprises ont autant besoin de compétences professionnelles techniques que de citoyens éclairés.

M. le président. Il faut conclure, madame la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée. Je conclus en indiquant que nous avons lancé quatre groupes de travail, qui associent largement les acteurs du monde de la formation, de l’éducation, du monde économique et des régions, qui sont des partenaires importants.

Des auditions sont engagées.

M. le président. Votre temps de parole est écoulé, madame la ministre déléguée. Vous poursuivrez en répondant aux questions.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée. Nous avons donc souhaité associer tout le monde. (Mme Nicole Duranton applaudit.)

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.

M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la ministre, vous l’avez indiqué, l’apprentissage connaît un succès sans précédent. En période de crise pandémique, le nombre d’apprentis a été multiplié par deux, pour atteindre aujourd’hui 740 000. Même si ces chiffres doivent se confirmer dans le temps, chacun s’accorde à dire qu’il s’agit d’une action à mettre au crédit du Gouvernement.

Cela nous rappelle trois choses : d’abord, en matière d’enseignement et de formation, la France ne dépend que d’elle-même, c’est le cas d’assez peu de sujets ; ensuite, lorsque l’on fait preuve de volonté politique et que l’on met les moyens en face, les résultats sont là ; enfin, quand c’est attractif pour l’entreprise et pour le jeune, notamment en matière d’embauche et de débouchés, cela fonctionne.

La question qui se pose maintenant est : comment l’enseignement professionnel peut-il connaître le même élan ?

Certes, les problématiques sont différentes, mais nous devons pouvoir créer des synergies entre ces deux voies.

L’une des leçons de l’apprentissage est que les formations se sont adaptées aux bassins d’emploi et aux réalités des territoires, et pour cause : les jeunes, les entreprises et les centres de formation disposent de marges de manœuvre pour s’organiser. Nous avons donc besoin, là encore, de liberté et de souplesse.

L’une des difficultés de l’enseignement professionnel réside dans le manque de débouchés concrets : moins d’un élève sur deux a trouvé un emploi douze mois après sa sortie de formation, alors que ce taux atteint quasiment 70 % chez les apprentis. En outre, même si les choses se sont améliorées, l’enseignement professionnel souffre toujours d’une image dégradée ; il faut le revaloriser auprès des jeunes.

Madame la ministre, que comptez-vous donc faire pour que l’enseignement professionnel connaisse le même succès que l’apprentissage ? Allez-vous accorder plus d’autonomie aux chefs d’établissement, afin de leur permettre de s’adapter au mieux aux besoins et aux réalités de leur bassin d’emploi ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de linsertion et du ministre de léducation nationale et de la jeunesse, chargée de lenseignement et de la formation professionnels. Monsieur le sénateur Verzelen, je vous remercie de votre question, qui me permet de revenir sur un certain nombre de sujets.

Je veux d’abord insister sur le fait que la réussite de l’apprentissage, qui reste pour nous un défi – c’est une voie que nous souhaitons faire changer d’échelle, avec un objectif de 1 million d’apprentis –, constitue l’une des clés pour lutter contre le chômage des jeunes, même si ce n’est évidemment pas la seule, il faut actionner d’autres leviers.

Le lycée professionnel concerne des élèves de plus en plus jeunes, qui n’ont donc pas forcément l’âge ou la maturité pour s’insérer dans des dispositifs d’apprentissage, nous en sommes bien conscients, d’autant qu’ils ont également des fragilités, que j’évoquais précédemment. Aussi, même si j’ai la même ambition pour le lycée professionnel, auquel je crois comme voie de réussite et d’excellence, je ne souhaite pas mettre en concurrence les deux dispositifs, qui doivent pouvoir être complémentaires pour les élèves, éventuellement en mettant en place des passerelles permettant aux élèves de s’ajuster au cours de leur parcours, selon leur maturité.

Le contrat d’apprentissage constitue déjà une option envisageable pour les « lycéens professionnels ». Aujourd’hui, plus de 60 000 de ces derniers, soit un peu moins de 10 % de l’effectif, sont en apprentissage au sein d’un lycée professionnel. Cela représente une hausse de 42 % en deux ans ; cette évolution importante a nécessité un accompagnement pédagogique de la part des professeurs de la voie professionnelle.

Mon objectif est clair : il s’agit de transformer structurellement le lycée professionnel, afin que l’accompagnement soit plus intensif, plus individualisé et permette à l’élève de réussir. Les quatre groupes de travail que j’évoquais y réfléchiront.

En particulier, le quatrième de ces groupes doit réfléchir à la manière dont on peut donner aux établissements des marges de manœuvre, une capacité d’initiative, tout en conservant, j’y insiste beaucoup, le caractère national des diplômes. Cela passera par une concertation avec les chefs d’établissement, afin de donner à ces derniers la capacité à agir, à donner des impulsions, à adapter les dispositifs à leurs élèves.

M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. Aux Sables-d’Olonne, le Président de la République a évoqué, le 13 septembre dernier, les grands axes de la réforme des lycées professionnels : rapprocher les lycées professionnels des entreprises, fermer certaines formations et en ouvrir d’autres, le tout en lien avec les régions, bassin d’emploi par bassin d’emploi.

Autant de bon sens serait louable s’il ne se bornait pas à décrire l’existant… En effet, le lycée des métiers de la mer et de l’espace de Gujan-Mestras, près d’Arcachon, ne traite pas de la montagne et les lycées des métiers du bois se trouvent déjà dans des régions forestières, comme les Landes.

Ce qui relève moins du bon sens en revanche, c’est la tendance au détricotage de l’enseignement professionnel dans le secondaire, dans laquelle s’inscrit cette réforme : moins d’établissements, moins d’élèves, moins d’heures d’enseignement, moins de moyens, moins d’enseignants. Hélas, cette logique n’a pas disparu des objectifs des groupes de travail mis en place à la suite de la mobilisation exceptionnelle, le 18 octobre dernier, des professeurs de lycée professionnel et des syndicats.

Aujourd’hui, plus de 26 % des lycéens obtiennent un bac professionnel et, pourtant, ils ne représentent que 6 % des étudiants à l’université et 17 % des étudiants en BTS. À côté de leur connaissance plus précoce du monde de l’entreprise, les lycéens de ces filières doivent pouvoir bénéficier d’un socle d’enseignement général leur permettant de prétendre, si telle est leur ambition, à des cursus dans le supérieur. C’est le cas de la moitié d’entre eux aujourd’hui ; je pense notamment aux écoles supérieures de journalisme et de communication, qui accueillent dans leurs murs des titulaires d’un bac pro en artisanat et métiers d’art avec une option communication visuelle plurimédia, tant l’agilité numérique et technique est devenue capitale pour ces filières.

Madame la ministre, pensez-vous sincèrement que la réforme que vous entendez mettre en place donne aux bacheliers professionnels une chance égale d’accéder à des formations supérieures en adéquation avec leurs aspirations personnelles ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de linsertion et du ministre de léducation nationale et de la jeunesse, chargée de lenseignement et de la formation professionnels. Madame la sénatrice, vous m’interrogez, au fond, sur la sécurisation de la poursuite d’études pour les jeunes.

Il s’agit évidemment de l’un des enjeux majeurs de la réforme que nous promouvons et l’un de nos groupes de travail étudie spécifiquement cette question, pour formuler un certain nombre de propositions, répondre aux défis liés aux fragilités et aux difficultés des élèves, et préparer la poursuite d’études lorsque le projet ou le métier le requièrent.

Nous partons d’un constat : ces élèves ont plus de mal à entrer dans les études supérieures et, quand ils y parviennent, ils ont plus de mal à obtenir le diplôme préparé. Nous sommes donc convaincus qu’il faut sécuriser leur parcours et les mettre en mesure de réussir leurs études supérieures après leur CAP ou leur bac pro, parce que, si ces diplômes professionnels doivent favoriser une insertion directe dans l’emploi, ils doivent également permettre de poursuivre les études lorsque le jeune le souhaite ou que son métier le requiert.

Nous avons donc demandé à ce groupe de travail d’imaginer plein de solutions. Cela peut passer par des temps complémentaires post-diplôme ou encore par une préparation pré-bac ou pré-CAP pour ajuster le niveau des savoirs fondamentaux que vous évoquiez à juste titre. Je le répète, je n’oppose en aucun cas l’enjeu des savoirs fondamentaux à celui du rapprochement école-entreprise et du temps de stage. L’un et l’autre ont toute leur place pour accompagner le projet professionnel de l’élève.

Certaines formations mènent à des métiers d’avenir et à des métiers qui insèrent durablement leur titulaire dans l’emploi et il est primordial d’accompagner chaque jeune qui le souhaite ou dont le métier le requiert vers le supérieur.

Évidemment, une telle évolution sera systémique : il n’y a pas qu’un seul levier pour sécuriser les parcours. C’est tout l’objet du groupe de travail chargé de ce sujet, qui doit sécuriser la poursuite d’études.