M. Pierre Ouzoulias. L’Azerbaïdjan exporte plus de pétrole qu’il n’en produit et vend sans doute à l’Europe une partie du pétrole qu’il reçoit de la Russie.

M. Pierre Ouzoulias. Ce pays s’est aussi engagé à doubler ses exportations de gaz vers l’Europe ; or le principal champ gazier azéri est notamment exploité par la compagnie russe Lukoil.

Nous sommes prêts à oublier tous nos principes moraux quand il s’agit d’assurer la sécurité des approvisionnements énergétiques de l’Europe et singulièrement ceux de l’Allemagne.

Depuis plus d’un siècle, l’Arménie est le miroir de nos lâchetés, de nos hypocrisies et de nos trahisons.

M. Bruno Belin. Très bien !

M. Pierre Ouzoulias. Aussi, nous sommes très favorables à cette proposition de résolution, qui demande notamment au Gouvernement de mobiliser sa diplomatie pour obtenir de l’Union européenne un embargo sur le pétrole et le gaz provenant d’Azerbaïdjan.

Mais, au-delà, comment assurer durablement la survie de l’Arménie ? De nombreux Arméniens pensent trouver leur sécurité sous la tutelle russe et le catholicos de l’Église apostolique arménienne vient de recevoir de Vladimir Poutine les insignes de l’ordre de l’Honneur.

Le soutien de la Russie s’est déjà révélé défaillant par le passé. Aujourd’hui, son intérêt stratégique est de prolonger ce conflit pour maintenir l’Arménie dans un état de subordination et faire valoir cette protection relative dans une négociation plus ample. De nouveau, les conflits ukrainien et arménien sont liés.

Pour aider durablement l’Arménie, il revient à la France et à l’Europe de poser les bases d’un nouveau multilatéralisme à l’échelle du continent européen et de son proche environnement.

Cette réflexion ne peut éluder les problèmes posés par nos relations avec la Turquie et ceux de son projet expansionniste. Son appartenance à l’Otan ne justifie pas l’abdication collective de l’Europe face à l’agression turque contre l’Arménie. Elle ne justifie pas davantage les manœuvres de la Turquie contre la Grèce et l’occupation militaire d’une partie du territoire de la République de Chypre.

Mme Valérie Boyer. Exactement !

M. Pierre Ouzoulias. Avant d’être fusillé, Missak Manouchian écrivait à sa femme : « Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la liberté sauront honorer notre mémoire dignement. » Aujourd’hui, le peuple arménien nous demande de rester fidèles aux combats de la France pour la liberté et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Le Nay.

M. Jacques Le Nay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2020, plusieurs semaines de combats ont déchiré l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Plus de 6 500 personnes ont alors été tuées.

Les armes se sont tues à la suite d’un cessez-le-feu publié le 10 novembre 2020. Des affrontements sporadiques ont eu lieu au cours de l’année 2021. Plus récemment, dans la nuit du 12 au 13 septembre dernier, le cessez-le-feu a de nouveau été rompu. L’Azerbaïdjan a envoyé des troupes sur le territoire arménien, où elles se sont installées : il s’agissait, selon Bakou, d’une réponse à des provocations arméniennes. Le bilan est tout de même de 286 morts et, malheureusement, ces affrontements de septembre – les plus violents depuis 2020 – ne s’apparentent pas à des incidents isolés.

La semaine dernière, les deux pays se sont encore accusés mutuellement de bombardements frontaliers.

Au nom du groupe Union Centriste, je condamne le recours à la force, qui ne peut être un outil de résolution des différends entre États. C’est tout particulièrement vrai lorsqu’ils appartiennent aux mêmes instances internationales, comme l’Arménie et l’Azerbaïdjan, membres du Conseil de l’Europe, du Partenariat oriental de l’Union européenne et, en vertu d’une adhésion plus récente, de la Communauté politique européenne.

Pour retrouver le chemin de la paix, l’intégrité territoriale de l’Arménie doit être respectée et préservée. L’Azerbaïdjan doit donc se retirer du territoire arménien, conformément à l’accord de cessez-le-feu de novembre 2020 ainsi qu’à la déclaration d’Alma-Ata de 1991.

Les deux États doivent respecter leurs engagements internationaux et s’atteler à négocier rapidement un accord de paix durable conforme à ces engagements, lequel devra bien sûr être respecté.

Monsieur le ministre, le 6 octobre dernier, lors du sommet de Prague et de la première réunion de la Communauté politique européenne, un premier pas a été franchi en faveur d’un dialogue entre les deux États. A été décidé l’envoi d’une mission civile en Arménie, le long de la frontière avec l’Azerbaïdjan, afin d’établir une confiance mutuelle entre les deux pays et de contribuer à la délimitation de frontières pérennes entre les deux belligérants. Quels sont les premiers retours de cette mission, placée sous l’égide de l’Union européenne ?

L’Union européenne veut jouer un rôle de médiateur dans le règlement de ce conflit. Elle est, en même temps, soumise à de forts enjeux stratégiques en matière d’autonomie énergétique : c’est la conséquence directe de la guerre en Ukraine et des sanctions imposées à la Russie.

L’Union européenne a d’ailleurs signé cet été un nouveau partenariat énergétique avec l’Azerbaïdjan, renforçant ainsi ses relations bilatérales avec ce pays. Dès lors, comment être certain qu’elle pourra jouer son rôle d’arbitre sans être contrainte par d’éventuelles pressions ?

J’attire également votre attention sur la préservation du patrimoine du Haut-Karabagh. Cette région constitue l’un des berceaux de l’humanité et elle est en péril.

Dans un rapport relatif au Haut-Karabagh, travail dont je salue la qualité, notre assemblée alertait déjà en juillet 2021 quant au risque de destruction du « petit patrimoine », témoin de l’empreinte arménienne de la région.

La communauté internationale et la France ne sauraient cautionner la politique de destruction du patrimoine culturel et religieux arménien, visant à effacer toute trace de la culture arménienne.

Le Sénat s’est toujours tenu aux côtés de l’Arménie : en témoignent les différentes résolutions transpartisanes examinées dans cet hémicycle. Dans leur grande majorité, les élus de notre groupe voteront cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)

(M. Alain Richard remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Alain Richard

vice-président

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, face à l’agression scandaleuse dont l’Arménie est victime, l’inaction des États-Unis, de l’Union européenne et de la France a été et est tout à fait lamentable.

C’est pourquoi la proposition de résolution qui nous est soumise est véritablement la bienvenue. Mais il ne faut pas seulement mettre en cause le dictateur Aliyev, qui préside l’Azerbaïdjan. Il faut aussi – et je dirais même surtout – mettre en cause le Turc Erdogan, qui sème la zizanie un peu partout autour de son pays. Il s’en prend à la Grèce, il s’en prend aux Kurdes et intervient en Syrie, pays qu’il occupe en partie. Bien entendu, il n’a jamais accepté de reconnaître le génocide de 1915. Il ne l’a jamais désavoué et on peut même dire qu’il l’a approuvé. Il ne serait certainement pas mécontent de perpétrer un second génocide arménien et – pourquoi pas ? – un troisième génocide, en s’en prenant aux Kurdes.

Si l’on compare la situation de l’Ukraine à celle de l’Arménie, l’attitude de l’Otan et de l’Union européenne paraît tout à fait discriminatoire envers ce second pays. On a par exemple exclu la Russie du Conseil de l’Europe ; en revanche, on s’est bien gardé d’exclure la Turquie de l’Otan ; on n’a pas non plus exclu la Turquie et l’Azerbaïdjan du Conseil de l’Europe. Cela veut donc dire que l’on approuve leur action.

Pis encore, on a fait entrer la Turquie et l’Azerbaïdjan dans la Communauté politique européenne. Pourquoi le Turc Erdogan et son complice d’Azerbaïdjan se gêneraient-ils, si nos États cautionnent leurs exactions, les crimes de guerre qu’ils commettent et leur volonté de détruire l’Arménie ?

Nous avons même doublé – c’est un comble ! – nos achats de gaz naturel à l’Azerbaïdjan : ce faisant, on remercie ce pays de commettre des crimes de guerre, de s’associer à la Turquie pour essayer de faire disparaître l’Arménie.

L’Union européenne est véritablement en dessous de tout. Dans cette affaire, le gouvernement français est lui aussi en dessous de tout : de temps en temps, on prononce quelques belles paroles, mais on ne fait rien.

Quand on compare ce qui a été fait en Ukraine et ce qui est fait en Arménie, on se dit : manifestement, la France ou tout au moins le gouvernement français cautionne ; l’Union européenne cautionne. On va rendre visite au dictateur d’Azerbaïdjan ; on le remercie : pourquoi se gênerait-il ?

C’est honteux. Tous les crimes de guerre commis par l’Azerbaïdjan avec le soutien de la Turquie engagent la responsabilité morale des dirigeants de l’Union européenne et des différents États européens, dont la France !

M. le président. La parole est à M. André Guiol. (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)

M. André Guiol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 9 novembre dernier, à Toulon, le Président de la République présentait la nouvelle revue stratégique nationale. Il soulignait à cette occasion : « L’agression contre l’Ukraine risque de préfigurer de plus vastes réalités géopolitiques à l’avenir, que nous n’avons nulle raison d’accepter avec fatalisme et que nous n’entendons pas subir avec passivité. »

Dans cet esprit, la proposition de résolution qui nous est présentée aujourd’hui nous invite à ne pas accepter la fatalité d’un conflit qui, s’il touche au premier chef l’Arménie et l’Azerbaïdjan, résulte également d’un jeu d’influence entre la Russie et la Turquie.

Ces deux pays – on le sait – ont des ambitions dans le Caucase, région stratégique qui relie la mer Caspienne à la mer Noire.

J’ajoute que l’on ne saurait nier la dimension européenne de l’Arménie, fruit de divers liens d’amitié et d’une proximité culturelle qui ont toujours conduit la France à porter un regard des plus attentifs à la situation de ce pays.

De la première guerre remportée en 1994 par les Arméniens à celle dite « des 44 jours », de l’automne 2020, gagnée cette fois-ci par l’Azerbaïdjan, le bilan humain est tragique.

Les exactions commises, notamment, par les soldats azéris contre des Arméniens renvoient au douloureux souvenir du génocide arménien de 1915.

Ces crimes ne devront pas rester impunis. En outre, ils ne devront certainement pas être documentés par Bakou, comme l’a demandé le porte-parole de la Commission européenne au sujet d’une vidéo mettant en scène des soldats violentés et assassinés.

En septembre dernier, les hostilités ont repris une nouvelle fois, malgré l’accord tripartite obtenu en 2020 sous l’égide de Moscou. L’Azerbaïdjan a-t-il profité des difficultés de la Russie en Ukraine pour lancer l’offensive ? Peut-être ; mais la réalité, c’est aussi que le Président Aliyev, fort d’une armée soutenue matériellement par la Turquie et alimentée par des drones israéliens, souhaitait depuis plusieurs mois voir de nouveau posée la question des frontières et celle du statut du Haut-Karabagh.

En parallèle, à Bakou, on s’est souvent enorgueilli des quatre résolutions adoptées par l’ONU en 1993, rappelant l’inviolabilité des frontières de l’Azerbaïdjan.

Dans ce climat – il faut le reconnaître –, les quatre rencontres organisées à Bruxelles depuis 2021, comme celle du 6 octobre dernier à Prague, lors du premier sommet de la Communauté politique européenne, ont échoué.

Toutefois, il ne faut pas renoncer. Comme nous y invite cette proposition de résolution, nous devons tout mettre en œuvre pour faire respecter le cessez-le-feu du 9 novembre 2020.

Le couloir de Latchin doit être sécurisé et redevenir le pont qu’il était entre l’Arménie et le Haut-Karabagh.

En revanche, gardons-nous de donner à cette guerre des ressorts religieux : une telle interprétation ne saurait traduire une réalité géographique complexe héritée d’une histoire ancienne. Il n’y a pas de croisade islamiste, mais il y a certainement des velléités de conquête ou de reconquête territoriale. Le conflit du Haut-Karabagh est en effet le fruit d’un découpage opéré par les Britanniques, dont les problèmes n’ont pas été résolus par la Conférence de la paix de 1919. C’est là une faille que les Soviétiques ont exploitée par la suite.

Toutes ces difficultés passées et présentes ne doivent pas décourager la communauté internationale ; nous devons garder notre objectif de paix dans cette zone du Caucase Sud, d’autant que l’Arménie se dit prête à avancer des propositions. Elle vient de le faire avec son projet de zone démilitarisée.

Le RDSE soutient le Gouvernement et le chef de l’État dans leur recherche d’une issue diplomatique, que ce soit avec l’appui du Conseil de sécurité de l’ONU ou de l’Union européenne, le tout dans un souci d’équilibre entre les deux parties.

Dans ce contexte, le RDSE est naturellement sensible à la situation de l’Artsakh. En toile de fond, notre soutien aux Ukrainiens nous impose le même devoir moral à l’égard des Arméniens victimes des attaques azéries.

Une grande partie des membres de notre groupe voteront donc en faveur de cette proposition de résolution. D’autres s’abstiendront, considérant que la France doit avant tout jouer un rôle d’arbitre : c’est d’ailleurs souvent ce que l’on attend d’elle. (Applaudissements sur des travées des groupes RDSE et SER. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Valérie Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est une nouvelle fois avec émotion, inquiétude et même colère que je prends la parole dans cet hémicycle.

Le 29 janvier 2001, le président Chirac promulguait la loi relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 ; onze ans plus tard, la Haute Assemblée votait le texte que je défendais à l’Assemblée nationale pour assurer la pénalisation du négationnisme.

Reconnaître un crime de génocide, c’est rouvrir les pages sombres de notre histoire commune, qu’il s’agisse des Arméniens massacrés ou de l’industrialisation de la mort, avec comme objectif l’anéantissement d’un peuple. C’est redécouvrir la passivité mondiale face à des régimes sanguinaires et même génocidaires.

Ces souvenirs auraient dû nous imposer une plus grande vigilance, pour que plus aucun peuple ne subisse ces horreurs, pour que les victimes de cette haine soient définitivement protégées.

À cet égard, je tiens à saluer la diplomatie parlementaire. En 2020, sous l’égide de Gérard Larcher, de Bruno Retailleau et de tous les présidents de groupe de cette assemblée, nous avons voté la reconnaissance de l’Artsakh.

En effet, dès septembre 2020, les Arméniens ont dû de nouveau compter leurs morts, les corps mutilés par les bombes au phosphore et les bombes à fragmentation au Haut-Karabagh, lors d’une guerre asymétrique qui a fait tant de morts.

Malgré nos alertes, malgré les votes des deux assemblées, malgré les cris des Arméniens, notre gouvernement a préféré la neutralité ; il prouve encore aujourd’hui sa passivité, comme l’a souligné le président Retailleau.

Pendant la guerre des 44 jours, le ministre des affaires étrangères prônait la neutralité. Aujourd’hui, il semble indifférent à l’appel du Sénat. À quoi cela sert-il de proclamer, le 24 avril, une journée nationale pour se cantonner aujourd’hui dans la neutralité ? Soyons cohérents.

La communauté internationale s’est elle aussi réfugiée dans le mutisme et la passivité, tandis qu’à Bakou, le 10 décembre 2020, le président Erdogan rendait hommage à Enver Pacha, ministre de la Guerre en 1915 et architecte du génocide, en s’engageant à poursuivre son œuvre ; comme si le drame des Arméniens devait encore se répéter.

Désormais, face à la passivité de la communauté internationale, pleinement mobilisée, à juste titre, par l’Ukraine, l’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie, s’attaque non plus à l’Artsakh, mais à la République souveraine d’Arménie.

Plus de 200 personnes, soldats arméniens et civils, ont été massacrées en quelques heures, s’ajoutant aux plus de 6 500 morts déplorés lors de la guerre des 44 jours, en 2020. Les crimes de guerre sont fièrement exhibés sur la toile par des militaires azerbaïdjanais se filmant dans leurs œuvres de viol, de torture et de démembrement.

Toujours la même barbarie, toujours les mêmes crimes, toujours la même passivité des démocraties occidentales et, surtout, européennes : si l’histoire est un perpétuel recommencement, elle ne doit pas être un renoncement éternel. Ces crimes de guerre doivent être punis.

Ne nous y trompons pas : nous sommes bien face à une nouvelle guerre de conquête aux portes de l’Europe.

Bien sûr, depuis la chute de l’Union soviétique, se pose la question du statut de la région de l’Artsakh, territoire dont la majorité arménienne vit sous la menace permanente du nettoyage ethnique, des injures, des incursions et des opérations de terreur. Mais désormais s’y ajoute la question des frontières de la République d’Arménie.

En effet, le président autocrate Ilham Aliyev ne se contente plus de massacrer les Arméniens de l’Artsakh : il attaque le territoire de l’Arménie, État reconnu par la communauté internationale. L’Institut Lemkin pour la prévention des génocides a d’ailleurs lancé, il y a un mois, sa troisième alerte en moins d’un an.

Cette barbarie s’inscrit dans la logique génocidaire, bien présente dans le Caucase.

N’oublions pas l’arménophobie et le racisme d’État pratiqué par l’Azerbaïdjan avec le soutien de la Turquie, lequel n’a pas vocation à s’arrêter aux frontières de ce pays.

N’oublions pas que l’Europe aussi est menacée, notamment la Grèce et Chypre, occupée depuis 1974 par la Turquie. C’est précisément là qu’Aliyev et Erdogan ont fêté leur sombre victoire de 2020.

Ilham Aliyev a toujours déclaré vouloir chasser « ces chiens d’Arméniens », qu’Erdogan appelle quant à lui « les restes de l’épée », par allusion au génocide de 1915.

Alors, demandons-nous pourquoi l’Europe, qui refuse à juste titre toute compromission avec la Russie dans la guerre en Ukraine, se contente d’être spectatrice de la guerre en Arménie. La vie des Arméniens vaut-elle moins que celle des Ukrainiens ?

Rappelons-le : fin juillet, Aliyev a obtenu un blanc-seing de la Commission européenne sous la forme d’un accord gazier prévoyant le doublement des livraisons de gaz à l’Europe. Ursula von der Leyen voit d’ailleurs en Aliyev un « partenaire fiable et sur lequel on peut compter ». Quelle indécence ! J’invite la présidente de la Commission à se rendre, comme nous, sur les tombes de nos alliés arméniens et de leurs enfants massacrés.

L’Azerbaïdjan est dirigé depuis plus de trente ans par le clan Aliyev, qui pratique la diplomatie de la menace et qui est à la tête de la caviar connection. Ce pays, qui enferme volontiers les journalistes, a comme ami un membre de l’Otan, à savoir la Turquie ; de quel droit l’invite-t-on à la table des négociations, malgré le sang que ses dirigeants ont sur les mains ?

Mes chers collègues, cette guerre témoigne de la lâcheté des nations occidentales, qui, s’abritant derrière le principe de neutralité, n’ont jamais clairement défendu la position de l’Arménie.

Comment a-t-on pu abandonner cette terre emblématique des chrétiens d’Orient, qui essaient d’y survivre au milieu d’un environnement hostile ?

Au nom des valeurs qui sont les nôtres et pour lesquelles nous défendons l’Ukraine, il faut sauver l’Arménie.

Notre tradition universaliste et humaniste de défense des droits de l’homme, de lutte contre les discriminations et de protection des libertés fondamentales exige que nous, parlementaires, soutenions les Arméniens.

Aussi, je vous invite à voter massivement cette proposition de résolution, au-delà de tous nos clivages politiques.

Souvenons-nous de l’Évangile selon Saint-Luc : « S’ils se taisent, les pierres crieront. »

Aujourd’hui, les églises d’Arménie sont détruites l’une après l’autre. Les traces de la culture arménienne sont systématiquement effacées.

Nous ne pouvons pas laisser les Arméniens dans leur solitude. Il faut geler les avoirs azerbaïdjanais. Il faut exiger des sanctions contre l’Azerbaïdjan. Soyons au rendez-vous de l’histoire au lieu de verser des larmes de crocodile : après, il sera trop tard. Préservons l’honneur de la France en étant aux côtés des Arméniens : les liens qui nous unissent sont vieux de plusieurs siècles !

Votons et agissons pour que les Arméniens puissent enfin vivre libres, en paix et en sécurité sur leurs terres : nous n’avons que trop tardé. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Cécile Cukierman et M. Gilbert-Luc Devinaz applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis un mois seulement, les canons se sont arrêtés. La rivalité entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan remonte à plus d’un siècle. En 1992 s’est constitué le groupe de Minsk afin de trouver par la négociation une solution politique au conflit. Comment pouvons-nous accepter que, après trente années, les problèmes de la délimitation des frontières et du déminage des territoires ne soient toujours pas réglés ? La paix ne peut pas reposer sur un statu quo, au risque que les hostilités reprennent. L’accord de cessez-le-feu de 1994 le démontre. « Paix trompeuse nuit plus que guerre ouverte ».

La proposition de résolution dont nous débattons aujourd’hui a pour objectif de rétablir une paix durable, objectif que nous partageons. Comment optimiser nos chances de l’atteindre ? Le multilatéralisme et la négociation politique sont incontournables pour aboutir à des avancées solides et résoudre définitivement ce conflit. La France, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et membre de l’OSCE, peut-elle agir unilatéralement et aller à l’encontre des obligations internationales auxquelles elle est tenue, en particulier la non-ingérence dans les affaires intérieures des pays ?

Notre pays doit œuvrer à ce que l’Azerbaïdjan et l’Arménie reconnaissent mutuellement la souveraineté politique et géographique, ainsi que l’inviolabilité des frontières internationales de chacun, conformément à la Charte des Nations unies. C’est exactement l’objet de la réunion quadripartite entre l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la France et l’Union européenne qui s’est tenue le 7 octobre dernier à Prague. À cet égard, nous devons saluer l’initiative du président Macron.

Cette rencontre a permis des avancées sur la délimitation des frontières entre les deux pays. Il a été convenu de mettre en place une mission civile de l’Union européenne le long de la frontière pour une durée de deux mois. Cette mission a commencé il y a une semaine. Il me paraît donc prématuré de prendre position avant d’en connaître les conclusions officielles.

En attendant, la France doit poursuivre son action afin de faire converger les points de vue, en toute neutralité et impartialité, comme elle l’a fait lucidement et discrètement entre Israël et le Liban – les deux pays, en guerre depuis quatre-vingts ans, ont récemment signé un accord historique sur la délimitation de leurs frontières. Ce n’est pas la position de tous les acteurs. À cet égard, le soutien de la Turquie à l’Azerbaïdjan, pour des raisons idéologiques et stratégiques, et son implication dans les agressions ne font que compliquer la situation, déjà conflictuelle.

De même, il nous semble indispensable que le retour des populations déplacées par les combats et la libération des prisonniers de guerre puissent se faire en toute sécurité sous la supervision des Nations unies. À cet effet, nous demandons que les forces de maintien de la paix de l’ONU soient déployées tout le long de la frontière et dans les zones disputées, en remplacement des forces russes, qui ont échoué dans leur mission, convenue lors de l’accord de cessez-le-feu du 10 novembre 2020.

Bien sûr, les auteurs des atrocités et des crimes de guerre doivent être jugés devant une juridiction internationale. La France et l’Union européenne doivent multiplier leurs pressions en ce sens, car, jusqu’à présent, ni l’Arménie ni l’Azerbaïdjan ne reconnaissent la Cour pénale internationale, ce qui empêche la création d’un tribunal spécial dans les meilleurs délais, comme le souhaitent les auteurs de la proposition de résolution. L’unanimité du Conseil de sécurité étant requise, il convient de s’interroger sur la position qu’adoptera la Russie, étant donné qu’elle s’est déjà opposée à un tel tribunal sur la question syrienne.

La culture arménienne est considérée comme l’une des plus anciennes au monde ; la société azerbaïdjanaise est multiethnique, multireligieuse et multiculturelle. Nous devons respecter l’identité de chaque peuple. La paix se construit dans l’acceptation de l’autre. Notre rôle est de promouvoir des valeurs de paix et de fraternité, qui permettront aux Arméniens et aux Azéris de renouer entre eux des relations qui n’existent malheureusement plus aujourd’hui. Nous devons éviter d’alimenter des haines en ouvrant la voie à la compréhension mutuelle.

En ce sens, je ne suis pas certain que cette proposition de résolution, en éloignant la France de la médiation, serve les intérêts de l’Arménie.

M. Bruno Retailleau. Moi, j’en suis certain !

M. Joël Guerriau. Mon cher collègue, nous pouvons ne pas partager la même opinion.

La proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui vise à mettre fin à un conflit complexe. Or le manque d’impartialité risque de compromettre notre position de médiateur et notre légitimité auprès de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie.

Je ne suis pas certain non plus que cela serve les intérêts du premier ministre Nikol Pachinian, car il fait face à des manifestants qui se sentiront soutenus par la France, accentuant ainsi le risque d’une reprise des hostilités tout en freinant les négociations en cours.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires n’aura pas une position commune sur ce texte, mais chacun de ses membres votera selon ses convictions. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui sur l’initiative de Bruno Retailleau s’inscrit dans le contexte de la rupture par l’Azerbaïdjan du cessez-le-feu signé le 10 novembre 2020 en vue de mettre fin aux opérations militaires dans le Haut-Karabagh.

De même que nous avons dénoncé l’invasion du Haut-Karabagh par l’armée azérie, de même nous condamnons les affrontements frontaliers déclenchés aux mois d’août et septembre derniers par les forces militaires azéries, qui ont fait 286 victimes.

En outre, l’Azerbaïdjan devra vraisemblablement répondre devant les tribunaux internationaux de probables crimes de guerre commis contre les soldats arméniens. Une enquête internationale doit être diligentée sans délai pour qualifier ces exactions.

Nous réitérons notre soutien inconditionnel au peuple arménien dont la nation, le territoire et la culture doivent impérativement être préservés. Le peuple arménien doit être garanti dans son droit à vivre en paix et en sécurité. Dans cette perspective, nous partageons les mots forts du Président de la République, qui a rappelé que la France ne lâcherait jamais l’Arménie.

La reprise de ce conflit territorial, vieux de trois décennies, moins de deux ans après la fin de la guerre de 2020, est une nouvelle conséquence des déstabilisations géopolitiques provoquées par l’invasion russe en Ukraine. Ainsi, comme à leur habitude, l’Azerbaïdjan et la Turquie tentent, par tous les moyens, de profiter de la guerre en Europe pour pousser leurs avantages.

Ainsi, l’Azerbaïdjan a profité de la rupture de fourniture de gaz russe aux pays européens pour proposer ses services, ce qui a conduit à la signature, le 18 juillet dernier, d’un accord, entre Bruxelles et Bakou, visant à doubler les importations de gaz azéri dans l’Union. Cet accord a été dénoncé par des parlementaires français de tous bords politiques, dont les écologistes, mais l’Union européenne, toute à la question de l’approvisionnement en hydrocarbures, transfère sa dépendance d’une dictature impérialiste à l’autre… Tant que nous ne nous serons pas engagés massivement pour sortir des hydrocarbures, l’autonomie stratégique du continent demeurera une chimère.

Pourtant, dans le contexte géopolitique actuel, la Russie, fragilisée militairement et isolée diplomatiquement, ne peut demeurer le seul garant de la paix dans le Sud-Caucase. Il faut que la communauté internationale, par le biais des Nations unies plutôt que par celui du groupe de Minsk – dévitalisé – prenne les dispositions nécessaires pour garantir l’effectivité du cessez-le-feu et la construction d’une paix durable dans le Haut-Karabagh. Si la nécessité l’impose et si la cohabitation avec la force d’interposition russe est possible, alors il faudra déployer une force de maintien de la paix internationale sous égide onusienne.

Il n’est pas imaginable – et c’est toute la difficulté de la période – d’envisager une quelconque intervention dans la région sans composer avec la Russie de Vladimir Poutine. Si une première médiation, entreprise par les États-Unis et l’Union européenne le 2 octobre dernier, a permis la libération de dix-sept prisonniers arméniens, c’est un sommet tripartite, organisé par la Russie, qui a débouché sur un engagement de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie à « ne pas recourir à la force », avant que les États-Unis ne tentent de reprendre la main au moyen d’une réunion des ministres des affaires étrangères, le 7 novembre 2022.

Cette construction d’un traité de paix, encore fragile, comme l’illustrent les échanges de tirs la semaine dernière, intervenant, qui plus est, dans un contexte international extrêmement troublé, doit être encouragée par tous les moyens. La pacification de la région est une nécessité vitale pour l’Arménie, qui ne paraît pas en mesure de faire face à un regain des tensions militaires.

Cela étant, si le groupe écologiste partage de nombreuses demandes de la présente proposition, il ne juge pas opportun d’inviter le gouvernement français à renforcer « les capacités de défense de l’Arménie ». Il juge même paradoxal de faire figurer une telle demande dans une résolution « visant à établir une paix durable ». Comment la France, membre du groupe de Minsk, pourrait-elle jouer un quelconque rôle de médiateur dans la région, si elle devenait ainsi partie prenante au conflit ?

Si la France doit jouer aux Nations unies un rôle moteur – ce que nous appelons de nos vœux sur toutes les travées –, pour que la communauté internationale tout entière garantisse la paix dans le Sud-Caucase – et ainsi la préservation de la République d’Arménie –, alors elle ne peut pas jouer une autre partition que celle de la diplomatie.

Pour permettre à la France de revenir dans le jeu diplomatique, il nous a semblé pertinent que le Gouvernement reconnaisse la République d’Artsakh afin qu’il s’en serve comme un levier de négociation pour obtenir rapidement un statut juridique reconnu à l’échelle internationale, pérenne et protecteur pour le Haut-Karabagh.

Aussi, nous avions signé et voté la précédente proposition de résolution sénatoriale de 2020. Pour ces mêmes raisons précisément, nous nous abstiendrons de voter la présente proposition de résolution, qui ne nous semble pas compatible avec le rôle que doit jouer la France dans l’effort de construction d’une paix durable, seule à même de protéger durablement et effectivement l’Arménie et son peuple. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées des groupes SER et INDEP.)