M. André Reichardt. Très bien !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ce soir, c’est le Gouvernement qui répond favorablement à une initiative du Sénat, en apportant un clair soutien à cette proposition de loi. Celle-ci est indispensable pour mieux accompagner nos élus et dire encore et toujours, à l’unisson : on ne touche pas aux élus de la République ! (Vifs applaudissements sur lensemble des travées.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la sénatrice Delattre, madame le rapporteur Di Folco, mesdames, messieurs les sénateurs, la protection des élus est une priorité que tous ici nous partageons ; en la matière, je tiens en particulier à saluer l’action de M. le garde des sceaux.

Ces dernières années, nombre d’agressions, souvent médiatisées, ont servi d’alerte quant à l’exposition que consentent les titulaires de mandats électifs dans l’exercice de leurs fonctions. Il ne se passe pas une semaine sans que j’aie un contact avec un élu victime d’agression.

Depuis le début de l’année, on dénombre une centaine de procédures, M. le garde des sceaux en a parlé : des procédures pour atteinte à l’encontre d’élus sont engagées chaque mois, concernant tous types d’atteinte, outrages, dégradations, menaces, violences. Derrière ces chiffres, n’oublions pas que des personnes engagées sont touchées et des vies perturbées. Malgré tout ce qui est fait pour lutter contre ce phénomène, son ampleur reste trop importante. Face à cette situation qui ne laisse pas de m’inquiéter, je me mobilise.

C’est pourquoi mon ministère et le Gouvernement dans son ensemble soutiennent inconditionnellement la proposition de loi de la sénatrice Nathalie Delattre, que Catherine Di Folco a été chargée de rapporter au nom de la commission des lois.

Mes services et moi-même avons travaillé main dans la main avec le Sénat et le ministère de la justice. En témoigne d’ailleurs notre présence commune, ce soir, avec M. le garde des sceaux : nous voulions que ce texte soit le plus efficace et le plus robuste possible, et cela avec pour unique but d’apporter aux élus la protection dont ils peuvent avoir besoin et qu’ils méritent. Il y va d’une exigence républicaine envers celles et ceux à qui nous devons tant, qui s’engagent pour le mandat qui leur est confié démocratiquement.

Je vous remercie, mesdames les sénatrices, de votre initiative, qui est soutenue de façon transpartisane par nombre de vos collègues. Je remercie également le groupe du RDSE, qui a inscrit l’examen de ce texte dans sa niche parlementaire.

Le Gouvernement avait souhaité porter une disposition en ce sens dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur. Cela n’a pu se faire, mais notre résolution demeure inchangée. Nous sommes donc heureux de soutenir cette proposition de loi sénatoriale.

Ce texte vise à ce que, demain, les associations d’élus, telles l’AMF, l’ADF ou Régions de France, puissent se porter partie civile aux côtés des élus municipaux, intercommunaux, départementaux ou régionaux ou des membres les plus proches de leur famille. À l’heure actuelle, en effet, ces élus renoncent trop souvent à engager des procédures, faute de temps, mais aussi faute de moyens. Il faut que des structures qualifiées, équipées, puissent les accompagner en justice, afin qu’ils obtiennent la réparation qui leur est due lorsqu’ils ont été victimes d’une agression.

Cette position, que l’AMF aussi défendait, se concrétise aujourd’hui au Sénat, dont on dit parfois qu’il est la maison des maires…

Mme Nathalie Goulet. Il l’est !

Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée. … ou la chambre des collectivités.

Les maires sont aux avant-postes, vigies de nos territoires, acteurs incontournables de notre vie quotidienne de citoyens et de responsables publics. Il faut bel et bien qu’ils soient mieux protégés, comme doivent l’être l’ensemble de nos élus – conseillers départementaux et régionaux, mais aussi parlementaires.

Le texte proposé va plus loin que les dispositions actuellement en vigueur, en ouvrant la possibilité aux associations nationales de se porter partie civile. Cette prérogative était jusqu’à présent réservée aux associations départementales des maires et s’agissant des seuls élus communaux.

Si j’emploie le terme « possibilité », c’est que tout cela doit se faire dans le libre choix des acteurs : liberté des élus victimes d’agression de porter plainte et de demander le soutien de leur association d’affiliation, liberté des mêmes associations de soutenir les élus dans le respect de leurs capacités.

L’élargissement du champ des associations concernées par la proposition de loi rejoint le souhait du Gouvernement ; je note qu’il fait consensus, puisque Mme le rapporteur le défend et que plusieurs amendements transpartisans ont été déposés en ce sens.

Si le texte va plus loin que le droit existant, c’est aussi en ce qu’il prend acte des nouveaux risques rencontrés par les élus. Dans le texte dont nous débattons, les élus peuvent être protégés contre toute diffusion d’informations visant à les mettre en danger. Les évolutions sociétales font malheureusement que les coordonnées des élus, leur adresse personnelle ou professionnelle ou toute autre donnée personnelle peuvent circuler facilement en ligne. Cette situation les expose évidemment à de nouveaux risques.

Le champ des infractions s’étendrait aussi aux atteintes aux biens des élus. Cette mesure est nécessaire, comme l’illustre tristement le cas de l’incendie, en septembre dernier, du cabinet médical du maire de Saint-Pierre-des-Corps.

Les proches des élus peuvent également être victimes d’agression. Aussi nous a-t-il semblé nécessaire d’étendre cette faculté de se porter partie civile à de tels cas d’agression d’un proche.

Fût-il adopté, le texte aujourd’hui débattu conférerait donc une nouvelle dimension à la protection des élus. Le Gouvernement y est d’autant plus favorable qu’il s’est mobilisé ces dernières années pour améliorer ladite protection.

Depuis la loi de 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, dite Engagement et proximité, qui fut portée par Sébastien Lecornu, l’ensemble des communes sont tenues de souscrire, dans un contrat d’assurance, une garantie visant à couvrir le conseil juridique, l’assistance psychologique et les coûts qui résultent de leur obligation de protection fonctionnelle.

La loi prévoit également que, dans les communes de moins de 3 500 habitants, le montant payé par la commune au titre de cette souscription fait l’objet d’une compensation par l’État ; près de 32 000 communes françaises bénéficient actuellement de cette mesure.

En septembre 2020, la coopération entre les acteurs de la sécurité et de la justice était renforcée : les préfets signalent désormais systématiquement au parquet les faits dont les élus sont victimes et qui sont susceptibles de recevoir une qualification pénale. Quant aux réponses pénales, elles vont dans le sens d’une plus grande sévérité et d’une plus grande fermeté, M. le garde des sceaux l’a rappelé.

Vous le voyez, nous sommes au rendez-vous. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat au Sénat est une étape capitale : il doit être un début.

Je souhaite que cette proposition de loi sorte de son examen en séance publique forte d’un soutien de votre part aussi large que possible. Je lui souhaite aussi une postérité à l’Assemblée nationale, afin que nos élus puissent bénéficier d’une meilleure protection dans l’exercice de leur mandat ; leur engagement nous oblige.

Mesdames les sénatrices, le Gouvernement soutiendra la proposition de loi dont vous êtes respectivement l’auteure et le rapporteur tout au long de son chemin parlementaire, tout comme il agit constamment et résolument aux côtés des élus, depuis cinq ans, pour leur permettre d’exercer leur mandat dans la plus grande sérénité. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)

PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à permettre aux assemblées d'élus et aux différentes associations d'élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, une personne investie d'un mandat électif public victime d'agression
Discussion générale (suite)

7

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

8

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à permettre aux assemblées d'élus et aux différentes associations d'élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, une personne investie d'un mandat électif public victime d'agression
Discussion générale (suite)

Soutien aux édiles victimes d’agression

Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. Nous reprenons l’examen de la proposition de loi visant à permettre aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, un édile victime d’agression.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Nathalie Goulet.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à permettre aux assemblées d'élus et aux différentes associations d'élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, une personne investie d'un mandat électif public victime d'agression
Article 1er

Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je souhaite en premier lieu remercier Nathalie Delattre et le groupe du RDSE de cette proposition de loi. En 2022, il est quelque peu regrettable, reconnaissons-le, qu’il faille une loi pour protéger les élus…

Les édiles ne sont plus à l’abri des violences les plus graves. Le président Larcher a l’habitude de dire que les élus locaux et les maires sont « à portée d’engueulade » ; d’accord pour les engueulades, mais les violences physiques et les agressions sont bien sûr tout à fait inacceptables ! Nous avons tous en tête la mort du maire de Signes, Jean-Mathieu Michel, le 5 août 2019. Philippe Bas, alors président de la commission des lois, avait dans la foulée organisé une consultation et rédigé un rapport extrêmement intéressant sur les menaces et les agressions auxquelles sont confrontés les maires.

Nous sommes d’accord avec ce qu’a dit Mme Delattre en présentant sa proposition de loi. Nous sommes d’accord également avec ce qu’a indiqué Mme le rapporteur, et nous approuvons les annonces faites par M. le garde des sceaux et par Mme la ministre Cayeux.

Je veux néanmoins citer quelques témoignages tirés du rapport fait par Philippe Bas en 2019 : « tentative de meurtre » ; « tentative d’étranglement » ; « tentative d’homicide à la hache » ; « agression au couteau de cuisine » ; « un maire pris à partie et bousculé avec force contre un mur » ; « agression avec fourche à deux dents pointée sur le ventre » ; « agression physique en mairie » ; « coups de poing ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) de quatre jours »… « Pour être intervenu sur une nuisance sonore, j’ai été agrippé par la personne qui voulait me casser la gueule », rapporte encore un édile. Un autre raconte : « Un automobiliste roulant à contresens, je lui ai indiqué son incivilité : deux coups de poing dans la figure ».

On est très loin de « l’engueulade » ! Et je passe sur les centaines de pneus crevés, les voitures brûlées, les maisons incendiées ou taguées, les clôtures détruites… Bref, ce rapport de Philippe Bas de décembre 2019 est absolument effrayant. Cette triste réalité touche l’ensemble des territoires, et les zones rurales n’y font pas exception.

La période de la crise sanitaire n’a fait qu’aggraver la situation, et les derniers chiffres sont peu encourageants : les agressions physiques contre les élus ont augmenté de 47 % au cours des onze premiers mois de l’année 2021, par rapport à la même période de l’année précédente.

Aujourd’hui, nous améliorons la protection des élus. J’allais vous demander, monsieur le garde des sceaux, d’être plus vigilant quant à l’accueil que reçoivent les maires qui cherchent à porter plainte, les édiles étant nombreux à déplorer les classements sans suite, une justice bien trop lente et des sanctions inexistantes. Mais vous m’avez enlevé les mots de la bouche, devançant ma demande,…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Quel bonheur ! (Sourires.)

Mme Nathalie Goulet. … en indiquant que vous aviez, par circulaire, donné des instructions en ce sens. Il revient maintenant aux parquets de faire le nécessaire s’agissant d’un sujet éminemment important.

On dit que les maires sont les élus préférés des Français ; il n’en reste pas moins vrai que le climat de violence qui sévit partout ne les épargne pas. Pour toutes ces raisons, il est indispensable de voter la proposition de loi présentée par Mme Delattre et par le groupe du RDSE, qu’il convient de féliciter et de remercier.

Tout en espérant que la navette conduira à l’adoption du texte par l’Assemblée nationale dans des délais relativement courts, je regrette que nous ne soyons pas allés plus loin : l’élargissement proposé des dispositions de l’article 2-19 du code de procédure pénale ne permettra pas aux associations de contraindre le parquet à engager des poursuites (M. le garde des sceaux le conteste.) – ce n’est de toute façon pas envisageable, j’en ai bien conscience.

Si du moins, monsieur le garde des sceaux, vous avez donné des instructions pour que l’accueil des plaignants et les modalités de l’action judiciaire soient améliorés, c’est déjà un pas très important qui est franchi. Je note d’ailleurs que la quasi-totalité des souhaits qui avaient été émis par Philippe Bas dans son rapport a été satisfaite.

C’est donc avec enthousiasme que le groupe Union Centriste votera cette excellente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE. – Mme le rapporteur et M. André Reichardt applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Éric Gold. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi de notre collègue Nathalie Delattre, cosignée par tous les membres du RDSE et inscrite à l’ordre du jour de notre premier espace réservé de l’année, a pour objet de s’attaquer à une réalité malheureusement vécue par un nombre croissant d’élus.

Plus de 1 000 agressions ont été recensées en 2021 contre des personnes titulaires d’un mandat électif, en majorité des maires et des adjoints, probablement parce que, vitrines de notre République, ils sont en première ligne.

Au Sénat, chambre des territoires, ce phénomène d’ampleur croissante est malheureusement bien connu. Chacun d’entre nous peut citer le cas d’un élu victime d’agression ; pour certains, même, l’histoire est personnelle et le traumatisme vivace.

Je pense, pour ce qui est de mon département, au maire de Lussat, roué de coups, le matin même de l’ouverture du Congrès des maires, par un automobiliste à qui il demandait de rouler moins vite. Je pense aussi à la maire de Valbeleix, qui, lors d’une cérémonie, a reçu des menaces de mort pour une histoire de conflit de voisinage, ou à deux autres maires du département, qui ont vu leur maison personnelle taguée d’insultes et de menaces et leur famille plongée dans un état de stress et d’insécurité intolérable.

Il n’est pas un jour sans que celles et ceux sur qui repose le bon fonctionnement de nos institutions subissent une défiance qui s’exprime trop souvent par la violence. Dans certaines communes, il n’est même plus rare que tel ou tel membre de la famille d’un élu fasse lui aussi l’objet d’incivilités, de menaces et de violences, du simple fait d’être son conjoint ou sa conjointe, son fils, sa fille, son père ou sa mère.

Il semble que l’on ait enfin pris la mesure de la dégradation des conditions d’exercice des mandats. Le constat est unanime, et certaines dispositions ont même été adoptées en conséquence. Mais la réalité demeure inacceptable et appelle à des actions supplémentaires.

La proposition de loi de Nathalie Delattre prévoit ainsi de répondre à une demande de l’Association des maires de France, qui souhaite étendre la possibilité, déjà accordée à ses antennes départementales, de se constituer partie civile au pénal pour soutenir, avec l’accord de celui-ci, un élu victime d’agression. Le champ des infractions concernées serait également étendu, afin de mieux prendre en compte la diversité des situations vécues sur le terrain.

Rappelons que, d’après la consultation lancée par le Sénat en 2019, les agressions d’élus sont très peu nombreuses à faire l’objet d’une plainte, et encore moins nombreuses à donner lieu à une condamnation. Le manque d’accompagnement est un frein majeur identifié par les élus, notamment dans les plus petites communes.

Les associations d’élus, qui disposent de l’expertise et des ressources nécessaires, semblent bel et bien les mieux placées pour épauler ceux qui souhaitent porter plainte et exercer tous les droits reconnus à la partie civile du point de vue de l’accès au dossier et du soutien global apporté à la victime.

Il semble donc justifié d’étendre le champ de cette possibilité, pour donner plus de poids aux procédures enclenchées, pour permettre à l’AMF de recouvrer les sommes engagées dans le cadre de la défense des élus agressés et pour inciter les autres associations d’élus à mettre en place des accompagnements ciblés analogues.

Faisant le constat que le service public s’apparente, pour une part croissante de la population, à un simple bien de consommation courante, j’avais souhaité renforcer la législation en déposant, en 2019, une proposition de loi visant à lutter contre les incivilités, menaces et violences envers les personnes dépositaires de l’autorité publique, chargées d’une mission de service public ou investies d’un mandat électif public.

Je déclinerai une partie des mesures de ce texte au travers de trois amendements, dont l’adoption pourrait utilement compléter les dispositions dont nous débattons ce soir.

L’absence d’action forte face à de telles situations accroît évidemment le sentiment d’abandon et de découragement que ressentent les élus, notamment en zone rurale, où la réponse est insuffisante en matière de constatation des infractions, de conduite des enquêtes, de durée des procédures et de délai de rendu des décisions.

Les débats qui vont suivre nous permettront, je l’espère, d’améliorer la situation de ceux qui sont dans l’attente légitime d’une solution. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Joël Guerriau et Guy Benarroche applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. André Reichardt. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, comment commencer cette intervention sans remercier très chaleureusement notre collègue Nathalie Delattre d’avoir pris l’initiative de cette proposition de loi ?

Ce texte s’inscrit dans la continuité de diverses initiatives adoptées dans le passé, notamment par le Sénat, lesquelles ont considérablement renforcé la protection des élus en cas d’agression. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler que l’article 2-19 du code de procédure pénale, dont la proposition de loi vise à prévoir une nouvelle rédaction du premier alinéa, est issu d’un amendement sénatorial voté dans le cadre de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes.

Toutefois, dans le contexte actuel d’augmentation des agressions contre les maires et plus généralement contre les élus, la proposition de loi de Nathalie Delattre est venue judicieusement « boucher les trous dans la raquette », comme on dit.

Dans sa version initiale, d’une part, elle a étendu la possibilité de se porter partie civile en cas d’agression d’un élu local à trois associations nationales représentant les différents niveaux de collectivités territoriales – l’AMF, l’ADF et Régions de France –, et, d’autre part et surtout, elle a élargi les motifs pour lesquels ces associations pourront désormais se porter partie civile.

Ainsi, aux cas d’injures, d’outrages, de diffamations, de menaces ou de coups et blessures déjà visés par le code de procédure pénale s’ajouteront judicieusement les destructions, dégradations ou détériorations de biens et la divulgation d’informations dans le but de nuire à une personne, exposant cette dernière à un risque.

En outre, ces infractions seraient prises en compte non plus seulement lorsqu’elles visent des élus investis d’une fonction exécutive, mais également lorsqu’elles concernent des membres de conseils municipaux ou de conseils départementaux et régionaux. Elles pourront même concerner non seulement l’élu lui-même, mais également un membre de sa famille, lorsque c’est en fait l’élu qui est visé en raison de son mandat ou de sa fonction.

On le voit, mes chers collègues, ces élargissements paraissaient bienvenus, car ils sont particulièrement circonscrits et cohérents. On aurait d’ailleurs pu s’arrêter là, mais la commission des lois en a décidé autrement, en enrichissant tout d’abord le texte par des amendements de nos collègues Patrick Kanner et Stéphane Le Rudulier.

M. Kanner a en effet souhaité étendre les infractions au titre desquelles la constitution de partie civile est possible, en prenant également en compte les actes d’intimidation et de harcèlement, les violations de domicile et les atteintes volontaires à la vie. Quant à M. Le Rudulier, il a souhaité permettre aux assemblées parlementaires et aux collectivités territoriales de se porter également partie civile en cas d’agression de leurs membres ou de leurs proches. Désormais, les trous dans la raquette paraissent bel et bien bouchés.

Pour autant, nous étions quelques-uns au sein de la commission des lois à nous demander pourquoi cette possibilité de se porter partie civile n’avait été élargie qu’aux seules trois associations nationales citées.

D’autres associations nationales ayant pour objet la défense des intérêts matériels et moraux des élus auraient également pu intervenir légitimement à cet égard. Il n’y avait d’ailleurs aucun risque particulier à élargir de la sorte le champ des parties civiles, aucune procédure ne pouvant être engagée sans l’accord de la victime : le nouvel article 2-19 du code de procédure pénale, pas plus que l’ancien, ne permettra aux associations de contraindre le parquet à engager des poursuites.

Lors de sa réunion d’aujourd’hui, avec l’accord de l’auteur de la proposition de loi et après concertation avec le Gouvernement, la commission a décidé de faire droit à cette sollicitation et de proposer un texte qui, à mon sens, peut largement faire consensus dans cet hémicycle.

Pour ma part, je le voterai avec enthousiasme, en saluant tout particulièrement la coconstruction qui a présidé à son élaboration. (M. le garde des sceaux opine.) Il ne s’agit pas d’un événement si banal, mes chers collègues ; il illustre l’attachement tout particulier du Sénat aux élus locaux.

Je formulerai, enfin, un dernier vœu : je souhaite que ce texte contribue, à terme, au moins un peu, à réduire, voire à supprimer les intolérables agressions dont les élus sont victimes dans notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, je ne puis m’empêcher à mon tour, à titre liminaire, de rappeler à cette tribune le dévouement inlassable des élus locaux, notamment des élus municipaux, qui sont au service de nos concitoyens et qui assurent le bon fonctionnement de nos territoires.

Synonyme d’écoute et de proximité, l’élu local, en œuvrant dans l’intérêt général, fait vivre la démocratie au quotidien. Il agit pour la République avec courage et loyauté. Or, depuis plusieurs années déjà, sur l’ensemble de notre territoire, nous constatons une multiplication des atteintes physiques ou verbales auxquelles les élus locaux sont confrontés dans l’exercice de leur mandat. Selon moi, la moindre attaque doit être prise en considération.

Pour illustrer mes propos, je citerai une affaire récente, qui a eu lieu dans mon département. M. Bruno Debray, maire de Sion-les-Mines, une commune de moins de 2 000 habitants, a été interpellé par une habitante lui signalant l’agression d’un petit chien attaché à une poussette par deux gros chiens. Sans une intervention rapide, la situation aurait pu être dramatique.

Le maire rencontre le lendemain la propriétaire des chiens, pour lui demander très poliment de bien vouloir tenir à l’avenir ses animaux en laisse. Que n’avait-il pas fait ! Averti de cette demande, le mari furieux se rend à la mairie, s’introduit dans le bureau du maire et l’insulte. Le maire, bien évidemment, porte plainte, mais l’affaire est jugée sans suite. Quelque temps plus tard, le même individu agresse la coiffeuse de la commune pour se faire rembourser une coupe de cheveux jugée non réussie sur ses enfants. Que peut bien faire le maire ? Isolé, il se sent impuissant dans l’exercice de son mandat et dans sa capacité à faire respecter son autorité. Voilà pourquoi aucun des incidents venant affaiblir l’autorité du maire ne doit être traité à la légère !

Bien sûr, nous gardons tous ici en mémoire, comme l’a rappelé Nathalie Goulet, la tragédie de Signes, en août 2019, dans laquelle le maire, Jean-Mathieu Michel, a brutalement perdu la vie, renversé par une camionnette alors qu’il venait empêcher un dépôt sauvage de gravats.

Face à la recrudescence de ces agissements d’individus défiant l’autorité de la puissance publique, agissements que notre République ne saurait tolérer, nous devons mieux soutenir les élus locaux.

C’est pourquoi l’initiative de notre collègue Nathalie Delattre est la bienvenue. Elle offre la possibilité aux différentes associations nationales d’élus de se constituer partie civile pour accompagner, au pénal, tout édile qui aurait donné préalablement son accord en cas d’agression ou de harcèlement, mais aussi en cas d’infraction, d’exposition délibérée à un risque grave par révélation d’informations privées, de dégradation d’un de ses biens ou lorsque la victime est l’un de ses proches.

En Loire-Atlantique, la maire de Vue est régulièrement harcelée en public devant son conseil municipal par l’ancien maire de la commune ; c’est un cas que nous n’arrivons pas à régler. Peut-être y parviendrons-nous à présent.

Cette initiative est également pertinente, car elle s’attache à mentionner expressément que les associations d’élus peuvent accompagner tous les élus victimes, même ceux qui ne sont pas investis de fonctions particulières.

Des apports opportuns ont permis d’enrichir la proposition de loi lors de son examen en commission. Je me réjouis ainsi que la liste des infractions au titre desquelles la constitution de partie civile est possible ait pu être élargie aux actes d’intimidation, de harcèlement et de violation de domicile, ainsi qu’aux atteintes volontaires à la vie avec l’accord des ayants droit de la victime.

Je me félicite également de la possibilité qui a été donnée aux assemblées parlementaires et aux collectivités territoriales de se porter partie civile en cas d’agression d’un de leurs membres ou de ses proches.