Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.

M. Jérôme Bascher. Monsieur Savoldelli, je voudrais rétablir une vérité : nous avions voté – c’est toute la cohérence de l’amendement défendu par M. le rapporteur général, que je soutiens – le report de la suppression de la taxe d’habitation.

M. Jérôme Bascher. Dans notre très large majorité, nous ne voulons pas réduire l’autonomie fiscale des collectivités.

Avant de supprimer sèchement la CVAE, pour répondre aux injonctions de l’élection présidentielle, qui – il faut le rappeler – n’a pas trouvé de légitimité lors des législatives, on a supprimé la redevance sans résoudre les problèmes, comme Roger Karoutchi l’a déjà largement expliqué dans cet hémicycle.

On fait la même chose avec la CVAE, que l’on supprime sèchement sans prévoir de mécanisme de compensation aux collectivités locales.

Nous sommes favorables à la suppression des impôts de production. Mais il faut trouver un autre impôt local pour garder de l’autonomie. Je comprends le dessein du Président de la République, qui veut qu’il n’y ait ni droite ni gauche. Mais, dans les élections locales, augmenter les impôts, comme on le fait à Paris, est un choix : ne pas les augmenter en est un autre.

Il faut une cohérence politique. (M. Pascal Savoldelli sesclaffe.)

M. Éric Bocquet. Nous la cherchons !

M. Jérôme Bascher. C’est ce que j’appelle de mes vœux.

Aujourd’hui, il faut trouver des mécanismes locaux pour que les impôts locaux puissent perdurer, et il ne faut pas envoyer de signaux négatifs aux entreprises sur les impôts de production.

Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.

M. Max Brisson. Quitte à répéter les propos de mes collègues, je veux dire que je trouve la manière dont la position du groupe Les Républicains est critiquée tout de même assez politicienne.

Finalement, cela me fait penser que nous avons trouvé le bon équilibre,…

M. Max Brisson. … entre notre volonté réaffirmée et parfaitement argumentée de supprimer un impôt de production, ce qui est notre droit – que l’on ne soit pas d’accord avec la suppression d’un impôt de production sur d’autres travées de l’hémicycle, ce n’est pas nouveau –, et notre souhait, comme l’a très bien exprimé Roger Karoutchi, de prendre du temps, parce que nous avons été échaudés par bien des précipitations ayant entraîné des situations complexes pour les collectivités.

Nous affirmons un principe : celui de la suppression d’un impôt de production. Et nous demandons au Gouvernement d’amender l’article 5 sans le supprimer, afin de donner aux collectivités la visibilité dont elles ont besoin – c’est le sens des amendements de M. le rapporteur général et de Bruno Retailleau –, et pour dire clairement que nous voulons un autre système qui ne les lèse pas.

Pardonnez-moi de défendre la position d’équilibre de mon groupe et de repousser les attaques à mon sens trop moralisantes et trop politiciennes dont elle fait l’objet !

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.

M. Franck Montaugé. Je veux simplement évoquer un sujet qui me semble majeur, mais à côté duquel nous avons tendance à passer : celui des paradis fiscaux et de ce qu’ils représentent en termes de richesse détournée (M. Roger Karoutchi approuve.) pour les entreprises – une telle richesse pourrait contribuer à améliorer leur compétitivité – comme pour les territoires, qui pourraient ainsi satisfaire leurs besoins en termes de développement économique et apporter des réponses à caractère social en direction des populations les plus en difficulté.

Je vous renvoie à l’actualité et au récent ouvrage du juge Renaud van Ruymbeke, qui connaît très bien le sujet.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour explication de vote.

M. Jean-Marie Mizzon. Je voterai évidemment les amendements de suppression de l’article 5.

Certains ont tendance à appréhender les collectivités territoriales comme de purs centres de coûts et, tout naturellement, à considérer, lorsqu’il faut faire des économies, lorsqu’il faut alléger la charge, que c’est vers ces centres de coûts qu’il faut se diriger.

Pour notre part, nous considérons que les collectivités territoriales sont également des acteurs économiques qu’il faut protéger, parce qu’elles ont été suffisamment maltraitées sur les dix à douze dernières années.

On sent très bien que la disposition proposée à l’article 5 n’est pas mûre et qu’elle est précipitée.

Pour cette raison, j’appelle chacun à voter les amendements de suppression de l’article.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canévet, pour explication de vote.

M. Michel Canévet. Comme Vincent Delahaye l’a souligné tout à l’heure, le groupe Union Centriste est tout à fait favorable à la baisse des impôts dans notre pays, mais il convient de tenir compte de considérations de temporalité.

En effet, nous sommes particulièrement préoccupés par l’état des finances publiques et par la nécessité de maîtriser les déficits. Il importe de veiller à ne pas reporter sur les générations futures la responsabilité de financer l’action publique. C’est le sens d’un certain nombre d’amendements que nous avons déposés.

D’autres amendements visaient à essayer d’obtenir des recettes supplémentaires. Il est regrettable qu’ils n’aient pas été votés. Je pense notamment à la taxe sur les superprofits, qui aurait justement permis de réduire le déficit de façon ponctuelle et, certainement, d’aborder le débat sur la suppression de la CVAE de façon différente ; on aurait ainsi pu dégager quelques moyens pour permettre une telle baisse des charges des entreprises. Cela n’ayant pas été effectué, il faut revoir la stratégie à adopter.

Je vous le dis aussi très clairement, monsieur le ministre : il eût été souhaitable de ne pas supprimer la contribution à l’audiovisuel public, que nous aurions dû payer en ce moment même, puisque nous sommes au mois de novembre. Cela aurait peut-être aussi permis de financer la suppression de la CVAE. Mais l’empressement a été tel que la mesure a été mise en œuvre dans des conditions extrêmement regrettables.

On ne peut pas à la fois baisser les recettes et augmenter les dépenses. Ce n’est pas possible. Nous devons faire preuve de responsabilité à cet égard.

J’espère que les groupes respecteront le choix des signataires qui se sont exprimés sur les différents amendements présentés.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Je souhaite revenir sur deux points.

Premièrement, je dois dire que l’argument de la comparaison entre la France et l’Allemagne est un peu enfantin. En effet, aujourd’hui, la comparaison n’est pas toujours aussi négative pour notre pays que l’on croit sur l’ensemble des sujets industriels.

On nous a d’abord dit qu’il fallait baisser les taux. Comme je l’ai rappelé l’autre jour, j’étais favorable, à l’époque, à une courbe de baisse des taux. Celle-ci a été mise en œuvre par ceux qui sont arrivés ensuite au pouvoir. Nous y avons été plutôt favorables.

On ne parle désormais plus des taux, comme si les sujets fonctionnaient en silo. Le taux de 25 % semble convenir ; on verra peut-être un jour la règle internationale de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

On s’attaque désormais à un second pilier : les impôts de production, dont personne ne savait trop ce que c’était. D’ailleurs, la définition est incroyable. Il y a de tout dans les impôts de production ; c’est vraiment un mélange très curieux.

On nous demande maintenant de nous y pencher, et, comme je l’ai dit l’autre jour, on oublie toutes les recettes, c’est-à-dire toutes les aides à l’industrie. Quand M. Darmanin était ministre – j’ai retrouvé ses propos –, il chiffrait ces aides à 150 milliards d’euros. Une étude, qu’il est toujours possible de contester à 10 milliards d’euros près, les évalue désormais à 180 milliards d’euros, c’est-à-dire à 8 % du PIB.

Pour prendre une décision sur la CVAE, j’attendrai de disposer d’une comparaison internationale globale. En l’espèce, je suis certain que, sur ces ressources données aux industries, la France doit aussi être championne du monde. Mais on n’en tient pas compte !

En fait, pourquoi toutes ces niches ont-elles été créées ? Souvent, pour compenser le fait que le niveau des impôts de production était trop élevé ! Or on ne supprime pas les niches.

Je suis pour que l’on prenne une décision quand on aura une vision complète du système.

Deuxièmement, je veux revenir sur la suppression et le report, qui sont, de fait, l’objet de notre débat.

Pour faire simple, vous avez évoqué, mes chers collègues, tous les sujets qui montrent qu’il ne faut pas reporter. Ceux qui l’ont fait sont ceux qui ont soutenu le report.

Vous avez déclaré que, faute de visibilité, les précédentes réformes se sont mal passées. Pourquoi se sont-elles mal passées ? Parce qu’on les votait en se donnant un an pour trouver une solution. C’est exactement pareil aujourd’hui.

Je prendrai l’exemple, qui n’est pas à l’avantage de ma couleur politique, de la suppression de la taxe professionnelle et de son remplacement par la CFE et par la CVAE. Il a fallu trois ans de mise au point ! La réforme a dû revenir devant l’hémicycle pour être ajustée en catastrophe, parce qu’il y avait des effets de bord que personne n’avait vus.

Il en est allé de même pour la taxe d’habitation : la réforme nous est revenue à la suite d’effets de bord.

Mais comment négocier si l’on commence par voter ? Vous ne pouvez pas exprimer vos inquiétudes et, dans le même temps, accepter de graver quelque chose dans le marbre en attendant une décision que l’on prendra l’an prochain !

Ce que vous appelez confiance, je l’appelle naïveté. (M. Jérôme Bascher proteste.)

D’ailleurs, j’ai organisé un débat avec des présidents d’intercommunalité : ils se contredisaient tous, mais ils avaient tous raison, parce qu’ils pensaient tous, sur le fondement de ce qui était sur la table, qu’ils allaient être gagnants. Cela me rappelle le débat que nous avons eu par le passé sur la taxe d’habitation : alors que tous devaient être gagnants, il y a eu des gagnants et des perdants. Certains pleurent, et d’autres rient.

J’admets parfaitement que l’on soit favorable à la suppression de la CVAE, même si ce n’est pas ma position. Mais cessons d’être naïfs. Il faut supprimer l’article 5, pour éventuellement revoter le même dispositif dans deux ans, quand nous aurons quelque chose de précis sur la table. Je ne le voterai toujours pas, pour les raisons que vous connaissez, mais je comprendrai que d’autres le votent.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. L’Histoire le montre : dans le passé, il y a eu des situations bien pires, à toutes les époques et sous tous les gouvernements.

Je vais essayer d’être pragmatique et de tenir les positions vis-à-vis à la fois des entreprises, des collectivités, quel que soit leur niveau de responsabilité, et des Français.

Premier sujet : notre économie. Si le Sénat est, par définition, attentif aux collectivités, l’un ne va pas sans l’autre. On pourra imaginer tous les dispositifs que l’on veut, définir une politique organisée d’attractivité territoriale et de dynamisme économique visant aussi bien l’industrie que les petites et moyennes entreprises, nous aurons de plus en plus de difficultés dans notre réussite économique et territoriale si des signaux forts, dont celui d’une baisse des impôts de production, ne sont pas donnés.

La crise de l’énergie s’est malheureusement invitée dans le contexte actuel. Avant la crise majeure, qui est une crise géopolitique russo-ukrainienne, il y avait d’abord une crise énergétique, qui a pris aujourd’hui une ampleur tout autre. Il faut à la fois éteindre les incendies et essayer de trouver la manière de passer cette crise le mieux possible, cet hiver et au-delà, pour les Français comme pour les entreprises.

La première préoccupation des entreprises aujourd’hui – l’ensemble des organisations économiques et professionnelles nous le disent – est de trouver le dispositif permettant de continuer à produire dans les meilleures conditions économiques possible. La suppression de la CVAE et ses modalités ne sont pas la question prioritaire !

C’est ce qui m’a conduit à proposer une solution de clarté, consistant à supprimer la CVAE en décalant la prise d’effet de la mesure.

Deuxièmement, comme l’ont souligné le président de la commission des finances et un certain nombre d’entre vous, le dispositif est mal ajusté. Nous avons reçu les représentants des associations d’élus : ils ne sont pas d’accord avec la suppression de la CVAE telle qu’elle est organisée aujourd’hui et ils expriment le besoin d’une négociation. Si c’est la TVA, on essaiera de faire au mieux, disent-ils. Cela n’est pas satisfaisant.

Il faut se donner du temps. Il est tout de même préférable d’avoir des garanties à donner aux collectivités ; je pense notamment au bloc communal et aux régions, chargées du développement économique et de l’attractivité. Il faut éviter qu’elles ne se trouvent en porte-à-faux du fait de compétences qu’elles ne pourraient plus exercer correctement en raison de mauvaises compensations. Nous examinerons un amendement en ce sens si les amendements de suppression de l’article 5 ne sont pas adoptés.

Cela a été dit, chat échaudé craint l’eau froide. Je ne veux pas d’un mauvais remake de la suppression de la taxe d’habitation.

Oui à la réforme, et oui à des garanties de juste compensation. La disparition de la CVAE touchera 530 000 entreprises de notre tissu économique, dont les TPE-PME implantées dans tous nos territoires.

Le dispositif que la commission a proposé vise à apporter de la lisibilité, de l’équilibre entre économie et territoires, une trajectoire, c’est-à-dire une séquence dans le temps. Ce compromis me paraît de nature à nous rassembler. D’ailleurs, mon amendement a été adopté à une nette majorité en commission.

J’ai vu qui étaient les signataires des différents amendements. C’est notre responsabilité qui est en jeu. Ce n’est pas une petite affaire.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Je vais essayer de répondre sur les différents points.

Tout d’abord, monsieur le président Raynal, je veux souligner votre cohérence sur le sujet. Vous êtes, certes, opposé à la suppression de la CVAE, mais je vous rejoins sur un point : la nécessité de la clarté dans le débat et dans les intentions. Soit on est pour, soit on est contre la réforme ! Dire que l’on est pour, mais pas tout de suite, qu’il faut peut-être prévoir un dégrèvement l’année prochaine, c’est maintenir un coût pour les finances publiques sans bénéficier d’un effet signal sur le monde économique et sur les investissements. C’est maintenir un impôt fantôme pendant un an sans pouvoir capitaliser sur un signal de baisse pour les entreprises. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE. – Mme Christine Lavarde sexclame également.)

Je pense que l’on gagnerait à avoir un débat clair sur le sujet. Je ne donne de leçons à personne et je veux considérer que nous avons tous envie que l’emploi et l’industrie puissent se développer dans notre pays. Cependant, à la fin, nos positionnements et nos votes disent si, oui ou non, nous souhaitons soutenir l’industrie dès l’année prochaine.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous citer le communiqué de presse que la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) vient de diffuser. Il s’intitule Maintien de la CVAE : les sénateurs prêts à pénaliser les PME en 2023 ? et se termine ainsi : « La CPME en appelle donc à la responsabilité des sénateurs pour qu’en séance publique, ils renoncent à pénaliser les PME et qu’ils ne fassent pas obstacle à la suppression de la moitié de la CVAE en 2023. » En 2023 !

J’entends que certains considèrent qu’il faudrait, dès l’année prochaine, investir plutôt sur le bouclier énergétique pour les entreprises et moins sur la suppression de la CVAE. Nous voulons faire les deux ! D’ailleurs, vous voyez bien que la CPME, l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) et les représentants des entreprises soutiennent le mécanisme que nous avons mis en place pour amortir le choc en matière de prix de l’énergie, mais souhaitent aussi que l’on supprime la CVAE.

Je veux revenir sur un point que vous avez abordé, monsieur le président Raynal. Vous vous êtes demandé à quoi cela servait d’aller plus loin dans la baisse des impôts de production, alors que la France est redevenue le pays le plus attractif pour les investissements étrangers en Europe. Si nous avons obtenu ce résultat, c’est aussi parce que les investisseurs et les entreprises savent que notre pays a été mis sur une trajectoire dont nous ne souhaitons pas dévier !

Voilà quelques mois, j’étais, aux côtés du Président de la République, au sommet Choose France, organisé chaque année à Versailles pour convaincre de grands investisseurs et des patrons de grandes entreprises mondiales de venir investir en France. Ils m’ont tous assuré qu’ils souhaitaient continuer à investir en France et à renforcer leurs investissements, parce qu’ils ont vu que nous souhaitions aller plus loin encore dans la baisse des impôts de production dès 2023. Ainsi, quand STMicroelectronics a annoncé récemment un réinvestissement massif à Crolles, en Isère, c’était sur le fondement d’un plan de financement intégrant la suppression de la CVAE.

Je le répète, si la France est redevenue le pays le plus attractif en matière d’investissements étrangers, et je vous remercie de l’avoir souligné, c’est aussi parce que les investisseurs savent que nous suivons une trajectoire et que nous souhaitons nous y tenir. Nous pouvons le faire en soutenant les entreprises sur l’énergie.

Nous en étions déjà assez convaincus durant la campagne présidentielle et même précédemment, puisque nous avions commencé à baisser les impôts de production auparavant. Nous en sommes d’autant plus convaincus depuis que les Américains ont adopté l’IRA, qui organise objectivement un dumping massif pour attirer les activités industrielles d’Europe vers les États-Unis.

Nous débattons de montants qui peuvent sembler massifs : 10 milliards d’euros. De fait, ils sont importants, mais je rappelle que les Américains viennent de sortir 370 milliards d’euros de dépenses, dont 250 milliards de dollars de crédits d’impôt, pour attirer des activités industrielles, notamment européennes, sur leur territoire ! Telle est la réalité à laquelle nous faisons face.

Nous devons donc aussi montrer que nous agissons en faveur de la compétitivité, d’autant que nous pouvons capitaliser – je rejoins M. Bocquet et d’autres sur ce point – sur des avantages comparatifs en matière de formation, de productivité ou encore d’investissements humains pour des investissements d’avenir.

Je veux ensuite revenir sur la question de la compensation aux collectivités locales, qui a beaucoup animé les débats.

Peut-on, sur la question de l’autonomie fiscale, comparer la taxe d’habitation avec la CVAE ? C’est un premier débat que nous pouvons avoir. J’ai bien entendu les propos de M. Bascher. La différence est que les collectivités locales n’ont pas de pouvoir sur le taux de la CVAE. D’ailleurs, on dit souvent que la CVAE est un impôt national affecté localement. Les collectivités agissent évidemment pour l’attractivité économique de leur territoire, ce qui impacte les recettes de CVAE, mais ce ne sont pas elles aujourd’hui qui décident du taux qu’elles vont appliquer ni de ce que les entreprises payeront en CVAE. C’est une différence avec la fiscalité locale que vous avez évoquée, notamment la taxe d’habitation.

Dans les débats sur ce texte ou les précédents, j’ai passé un certain temps à dire qu’il ne fallait pas opposer l’État et les collectivités locales. N’opposons pas non plus – je sais que telle n’est pas votre intention, mesdames, messieurs les sénateurs – les collectivités locales aux entreprises !

M. Breuiller nous a invités à soutenir non seulement les entreprises, mais aussi les collectivités locales. Pour ma part, je considère que, en soutenant les entreprises, on soutient les collectivités locales,…

M. Gabriel Attal, ministre délégué. … parce que c’est de l’activité économique, et qu’en soutenant les collectivités locales, on soutient les entreprises, car elles ont évidemment besoin d’un cadre attractif pour se développer.

Je ne ferai preuve d’aucune naïveté, et je ne pointe du doigt personne. Vous avez devant vous l’un des rares membres du Gouvernement qui est élu local dans sa commune depuis près d’une dizaine d’années.

M. Jérôme Bascher. C’est vrai ! Cela se voit… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Gabriel Attal, ministre délégué. Je suis donc très lucide sur ce sujet, et j’aurai toujours pour objectif de défendre les collectivités locales.

Je crois profondément que le mécanisme de compensation de la suppression de la CVAE que nous proposons est un plus pour les collectivités locales. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)

D’abord, il répond à l’un des défauts que présente la CVAE pour les collectivités : la très grande volatilité. D’une année sur l’autre, les recettes de CVAE évoluent très fortement.

Je prends souvent l’exemple caricatural, parce qu’extrême, des communes qui disposent d’un réacteur nucléaire ; cela fait d’ailleurs écho à un débat d’actualité. Ainsi, les recettes de CVAE de la commune de Civaux, dans la Vienne, qui s’élevaient à 1,9 million d’euros en 2021, sont tombées à 53 000 euros en 2022, parce que le réacteur est en maintenance.

Au-delà de cet exemple extrême, on constate une volatilité très importante d’une année sur l’autre dans toutes les communes ; j’ai pu l’observer, au hasard, à Cannes.

Avec la compensation que nous proposons, le montant dont bénéficieront les collectivités correspond à la moyenne de CVAE qui a été collectée à leur profit ces quatre dernières années. Il ne pourra pas baisser ; il ne pourra qu’augmenter. Il n’y aura donc plus de volatilité à la baisse de leurs recettes de CVAE. C’est une garantie importante que nous leur donnons.

C’est tout de même un acquis important, y compris en termes de pilotabilité des budgets sur plusieurs années, que de savoir que l’on pourra compter sur une recette de CVAE importante – elle a été très dynamique ces dernières années – et qui ne pourra pas baisser ! Elle ne pourra qu’augmenter, et elle augmentera en fonction de l’activité économique sur le territoire.

Bien évidemment, dans le mécanisme de compensation, il reste une incitation très forte pour les collectivités à développer l’activité économique sur leur territoire.

Il existe aujourd’hui deux critères pour affecter la CVAE selon les collectivités : le premier repose, pour un tiers, sur les bases de CFE ; le second, pour deux tiers, sur les déclarations d’effectifs. Dans le modèle que nous proposons, nous conservons le premier critère, qui ne bouge pas. Quant au second critère, nous proposons de substituer la déclaration d’effectifs à la mobilisation de données de l’Insee sur le nombre d’établissements, le nombre de salariés par secteur et le nombre de créations d’entreprises sur le territoire. En effet, la déclaration d’effectifs, telle qu’elle existe aujourd’hui, est une charge administrative pour les entreprises – nous souhaiterions pouvoir leur libérer ce temps – et ne reflète pas la réalité de l’activité économique. Dans certains secteurs économiques, comme le bâtiment ou la propreté, même si le siège social de l’entreprise se trouve dans une commune, les effectifs tournent énormément.

En conséquence, les entreprises font leur déclaration d’effectifs – elles le disent elles-mêmes – un peu au doigt mouillé, ce qui pénalise aujourd’hui certaines collectivités n’abritant pas forcément le siège. De fait, elles ne calculent pas, jour après jour, leurs effectifs, surtout dans les secteurs que j’évoquais.

Le remplacement du critère de la déclaration d’effectifs par un critère qui mobilise les données disponibles et très nourries de l’Insee sur l’activité économique sur les territoires reflétera davantage l’activité économique des différents territoires.

In fine, les communes savent que leur recette de CVAE ne baissera pas – elle ne pourra que monter – et qu’elle augmentera grosso modo suivant les mêmes critères qu’aujourd’hui, à savoir les bases de CFE et l’activité économique sur les différents territoires.

Ces garanties me semblent positives et encourageantes pour avancer avec confiance pour les collectivités locales. Nous débattrons de la compensation à l’occasion des amendements suivants. Pour l’heure, j’appelle vraiment à ne pas supprimer l’article 5.

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.

M. Arnaud Bazin. Je ne comptais pas intervenir après M. le ministre, mais notre position a été largement caricaturée !

Monsieur le ministre, vous parlez de clarté, mais vous vous employez à caricaturer notre position ! Nous avons dit que nous étions clairement favorables au fait que les entreprises ne payent plus la CVAE, même si nous pouvons débattre des modalités de la suppression.

La question porte sur la compensation. Il ne faut pas couper le lien entre l’activité économique et les décideurs territoriaux.

Vous avez déjà coupé le lien entre les maires, les conseils municipaux et les habitants en supprimant la taxe d’habitation et en renvoyant tous les équilibres municipaux sur les propriétaires, ce qui n’a aucun sens, tout cela pour des promesses d’élection présidentielle. Nous sommes là dans la même configuration.

Le système de compensation n’est pas clair, pas établi et, pour le peu que nous en connaissons, pas acceptable.

On ne saurait faire cette réforme dans la précipitation. C’est l’objet de nos amendements que le Sénat va examiner dans un instant.

Je ne voulais pas que le débat sur la suppression de l’article soit clos sans que nous ayons rappelé notre position, qui, ne vous en déplaise, est cohérente ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Sur la question de la compensation, nous avons tous oublié de mentionner le problème de la clause de revoyure.

Monsieur le ministre, je trouve que vous ne donnez pas un gage de bonne volonté sur la question de la compensation. À ce stade, vous prévoyez de traiter cette question par décret. Mais, vous le savez, on ne gouverne pas la France par décret !

M. Éric Bocquet. Tout à fait !

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Que vous décidiez de tout par décret n’est ni entendable ni acceptable !

C’est la raison pour laquelle notre commission a voté un amendement tendant à ce que la compensation fasse l’objet d’un dialogue étroit, ténu – pour ne pas dire « confiant » – avec les élus.

Les territoires n’accepteront pas que vous traitiez ce sujet tout seul et que vous vous essuyiez les pieds sur le paillasson des élus. Il vous faut donc envoyer tout de suite un tel signal, afin que chacun dispose du cadre complet et validé.

À défaut, vous fragiliseriez grandement la position du Gouvernement à l’endroit des collectivités locales, que nous représentons. Ces dernières ne peuvent pas l’accepter, et elles ne l’accepteront pas ; elles nous l’ont clairement indiqué lors des auditions.