Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis sincèrement de l’excellence de tous les orateurs qui sont intervenus avant moi et je me réjouis plus encore quand je vois les noms de ceux qui me succéderont. Nous avons formé une dream team pour ce texte ! (Sourires.) Je pense que, par nos prises de parole, nous allons faire avancer profondément notre régime démocratique.

Nous sommes à cette occasion de vrais maîtres dans l’art de la paraphrase : nous allons parvenir à dire exactement la même chose, mais pas de la même façon, ce qui est déjà un exploit. (Nouveaux sourires.)

Le second exploit est que, pour la première fois, je réussirai peut-être à respecter le temps de parole qui m’est imparti, ce qui m’est toujours un peu compliqué… (Rires.)

Mme le président. Je m’en occupe, mon cher collègue !

M. Guy Benarroche. Vous connaissez la position de notre groupe sur l’importance des temps démocratiques, dont les élections constituent un point d’orgue.

Les élections sénatoriales qui nous ont conduits sur ces travées ont une spécificité. En effet, ce scrutin a comme particularité de se dérouler selon deux modalités différentes selon le nombre de sièges à pourvoir.

François-Noël Buffet, l’excellent président de notre commission des lois et auteur de ce texte, l’a rappelé : dans les départements ne désignant qu’un ou deux sénateurs, le scrutin majoritaire à deux tours se déroule dans une seule et même journée. Le premier tour est clos à onze heures, le second tour est en général ouvert dans l’après-midi.

L’autre modalité, dans les autres départements, est celle d’un scrutin de liste à la représentation proportionnelle à un seul tour. C’est ce dernier qui nous a valu, au rapporteur et à moi-même, d’être élus dans les Bouches-du-Rhône.

Lors des dernières élections, plusieurs problèmes sont apparus dans l’application de la loi de décembre 2019, que ce texte amende.

La première difficulté est l’impossibilité officielle de l’utilisation de ce que l’on appelle généralement le « matériel de campagne » – comme les bulletins de vote, les e-mails de propagande électorale, etc. – entre les deux tours.

À juste titre, notre commission a acté que cette interdiction serait contraire à la sécurité juridique des élections sénatoriales et proposé sa levée – cela rend possibles la tenue de réunions entre deux tours, la distribution de propagande plus en phase avec la spécificité du scrutin… –, tout en rappelant le besoin de respecter l’interdiction de nouveaux éléments de polémique électorale.

Les travaux de notre commission ont encadré cette nouvelle propagande, rendant possible l’éligibilité des dépenses engagées lors de l’entre-deux-tours, qui peuvent être importantes. En particulier, nous pensons qu’il nous faut rester vigilants sur les montants des dépenses entre les deux tours, qui ne doivent pas être réservées à l’organisation d’agapes.

La seconde difficulté a été relevée lors des dernières élections sénatoriales. Elle est liée à la communication au public des résultats, qu’ils soient partiels ou définitifs, avant la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire métropolitain. Je ne parle pas ici, monsieur le rapporteur, de la métropole d’Aix-Marseille-Provence, je ne voudrais pas créer de polémique ! (Sourires.)

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Je n’ai rien dit ! (Nouveaux sourires.)

M. Guy Benarroche. Cette interdiction semble outrepasser le bon sens : comment justifier que, toujours dans le cadre des scrutins à deux tours, les résultats du premier tour soient proclamés, mais non publiés ? La non-publicité avant le second tour pose un problème réel et sérieux dans le déroulement du scrutin.

Ce texte prévoit de rectifier cette problématique et va même plus loin en permettant, pour l’ensemble des scrutins sénatoriaux et l’ensemble du territoire, une diffusion progressive, au fur et à mesure de leurs remontées par les départements.

Voilà, mes chers collègues, un texte qui, quoique très spécifique, répond à une problématique réelle et dont la mise en œuvre avant les prochaines échéances sénatoriales de l’année prochaine permettra une consolidation de notre socle démocratique.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’associera bien entendu à une révision des règles équilibrée, au plus près de la réalité du terrain. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, INDEP, UC et Les Républicains. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au mois de mars 2019 et sur proposition d’Alain Richard, le Sénat a adopté la proposition de loi visant à clarifier certaines dispositions du droit électoral, notamment celles qui sont relatives aux comptes de campagne.

Plusieurs modifications étaient nécessaires, car la sédimentation de législations nouvelles successives avait rendu le droit électoral peu clair, voire incohérent, pour les candidats aux différentes élections.

Composé initialement de huit articles, le texte a été enrichi puisque la loi promulguée au mois de décembre 2019 contient quinze articles. Tous éclairants, ces articles laissent néanmoins apparaître deux difficultés pour l’élection sénatoriale.

Ces difficultés nous concernent tous, mes chers collègues. Elles ont opportunément été relevées par François-Noël Buffet, que je tiens à mon tour à remercier de son initiative.

Comme l’a précisé le rapporteur, l’application aux élections sénatoriales des règles relatives à la propagande électorale et à la communication des résultats, en particulier dans les départements concernés par le scrutin majoritaire, a montré plusieurs limites lors du dernier scrutin du mois de septembre 2020.

En effet, l’interdiction de communication des résultats s’est révélée peu adaptée aux spécificités de l’élection sénatoriale, seule élection durant laquelle, pour les sénateurs élus au scrutin majoritaire, deux tours de scrutin peuvent se dérouler le même jour.

Ensuite, les candidats qualifiés pour le second tour se sont trouvés dans l’impossibilité de faire campagne entre les deux tours du scrutin, conformément à l’article L. 49 du code électoral, qui prévoit l’interdiction de mener des actions de propagande la veille et le jour de l’élection.

Cette difficulté a été confortée par la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, lequel a considéré qu’un déjeuner organisé entre le premier et le second tour de l’élection auquel étaient conviés les grands électeurs du département devait être « regardé comme une réunion électorale » au sens des dispositions de l’article L. 49 du code électoral.

Ainsi, adoptée et enrichie par la commission des lois, la proposition de loi permettra aux candidats, dans les départements soumis au scrutin majoritaire, de faire campagne, par exemple par la tenue d’une réunion électorale, entre les deux tours du scrutin. Elle supprimera également l’embargo sur les résultats applicable jusqu’à la fermeture du dernier bureau de vote de métropole.

Sur proposition du rapporteur, Stéphane Le Rudulier, dont je salue le travail, la proposition de loi prévoira l’éligibilité au remboursement des dépenses engagées entre les deux tours de scrutin lorsque ceux-ci ont lieu le même jour.

Est également prévue l’application des dispositions du texte dans les cinq collectivités régies par l’article 74 de la Constitution – Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, Polynésie française –, ainsi qu’en Nouvelle-Calédonie.

Ces mesures sont bienvenues et la fixation d’un cadre légal clair de ce que peut être une campagne entre les deux tours vient lever toute ambiguïté. Aussi, le groupe RDPI votera pour cette proposition de loi.

Je me permets de joindre à mon propos les rappels avisés d’Alain Richard sur le principe de toute campagne électorale : la liberté d’expression des candidats avec, comme contrepartie, le contrôle du juge quant à la loyauté de l’expression des uns et des autres. Ce principe, qui prévaut déjà, appelle les candidats à la prudence.

Je veux souligner une règle qui sera encore plus prégnante dans la campagne de l’entre-deux-tours : toutes les dépenses engagées au profit d’un candidat, et non pas forcément par lui-même, sont considérées comme des dépenses de campagne.

Futurs candidates ou candidats à un renouvellement, nous devons collectivement, aux côtés du Gouvernement, rappeler ces principes de base aux candidats avant l’élection.

Mes chers collègues, le Sénat est parfois critiqué, mais, nous le voyons depuis plusieurs mois, il joue un rôle essentiel de stabilisateur, d’approfondissement et de contre-pouvoir. C’est l’un des grands lieux de notre République, où respect et débats apaisés sont de rigueur.

Donnons les moyens aux futurs candidats de mener une campagne avec humilité et responsabilité et dans le respect des valeurs républicaines, dans l’espoir d’exercer ce beau mandat qu’est celui de sénateur. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Guy Benarroche applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Éric Kerrouche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à ce stade des explications de vote, je crains bien ne plus avoir grand-chose à dévoiler sur ce texte ! Au demeurant, je vais tâcher de faire encore plus court que Guy Benarroche… (Sourires.)

« Un sénateur, c’est un député qui s’obstine », disait Robert de Jouvenel. Je constate que le président de la commission des lois, François-Noël Buffet, montre l’inverse : il est possible de ne pas s’obstiner, même quand on est sénateur, et de corriger quelques défauts des textes que nous avons vus se dessiner.

Le texte que nous examinons est utile, mais il est purement technique.

Comme cela a été dit plusieurs fois, la loi du 2 décembre 2019 visait à clarifier des dispositions du droit électoral, singulièrement l’article 49 du code électoral, qui concerne les règles de propagande électorale, et l’article 52 du même code, qui concerne la communication des résultats électoraux.

Ces textes ont pour origine des propositions formulées par Alain Richard. Ces dispositions étaient de bon aloi. En effet, comment comprendre qu’il était possible, avant cette loi, de tenir une réunion électorale le samedi, mais que les tracts, les circulaires, les communications électroniques, eux, n’étaient pas possibles ? Il était normal d’imaginer une normalisation du régime de ces communications. C’est ce qu’a fait la loi de décembre 2019. Je le rappelle toutefois, l’extension de ces nouvelles règles s’est faite sur la base d’un simple amendement, sans que nous ayons pu en mesurer l’effet concret.

Les élections sénatoriales sont, comme les élections municipales, l’une des rares élections à connaître deux modes d’élection : l’un pour les départements qui élisent plus de deux sénateurs ; l’autre pour tous les autres, c’est-à-dire ceux qui sont au scrutin uninominal majoritaire.

Il se trouve que la loi est dysfonctionnelle, singulièrement pour les élections au scrutin uninominal majoritaire.

Cette difficulté n’est pas que théorique. Elle est aussi pratique, puisqu’un recours a été porté devant le Conseil constitutionnel, dont la décision du 26 février 2021 montre bien qu’une annulation sur le fondement de la loi de décembre 2019 aurait pu arriver et qu’il convenait, dans la mesure du possible, de revenir sur ce texte.

Il était d’autant plus nécessaire de résoudre l’ensemble des difficultés que nous avons pu constater que l’élection dont nous nous préoccupons aura lieu dans quelques mois.

C’est le sens de la proposition de loi, qui exempte de l’application de l’article L. 49 du code électoral les élections sénatoriales qui se déroulent au scrutin uninominal majoritaire. Si cette exemption est une avancée, encore faut-il que les règles de financement soient également adaptées. À cet égard, l’ajustement trouvé par M. le rapporteur est tout aussi important. Les deux dispositions vont dans le bon sens.

Il en va de même en ce qui concerne la communication des résultats : il est difficile de comprendre qu’il faille attendre l’échéance de dix-sept heures trente pour diffuser, à l’échelon national, les résultats de scrutins qui ont été proclamés localement.

Je remercie le président de la commission des lois de ce texte, qui vient corriger une difficulté technique. Nous demandons au Gouvernement de l’inscrire rapidement à l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée nationale, de façon qu’il puisse produire des effets juridiques dès les prochaines élections.

Au reste, s’il est heureux que nous légiférions aujourd’hui sur ce point, nous devrions peut-être plus souvent tenir compte des effets pervers engendrés par la loi, les évaluer et les corriger.

C’est ce que nous faisons aujourd’hui sur un point précis, mais le travail est grand dans tous les domaines. Notre champ d’investigation doit aller plus loin. Nous devons corriger les effets pervers de ce que nous votons ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – MM. Guy Benarroche et Jean-Claude Requier applaudissent également.)

Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme cela a été très bien dit lors de l’examen du texte en commission conformément à la procédure de législation en commission, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ne vise pas à repenser l’organisation des élections sénatoriales dans son ensemble ni à remettre en cause la pertinence de l’existence de deux types de scrutin le même jour, selon la taille des départements.

Je crois que l’auteur de ce texte ne m’en voudra pas si j’affirme à cette tribune, avec tout le respect que je lui porte, que cette proposition de loi n’a pas vocation à être révolutionnaire : elle vise, au contraire, à sécuriser et à améliorer le déroulement des élections sénatoriales dans les départements où celles-ci se déroulent au scrutin uninominal.

Comme cela a d’ores et déjà été expliqué, la loi du 2 décembre 2019 a aligné le régime applicable aux élections sénatoriales en matière de campagne électorale sur celui qui est applicable aux autres scrutins. Si cette réforme d’harmonisation était louable, cette extension a posé des difficultés, parce qu’elle n’a pas pris en compte la spécificité du scrutin sénatorial.

Je rappelle que, pour celui-ci, deux tours de scrutin se déroulent le même jour et que deux modes de scrutin s’appliquent selon le nombre de sièges à pourvoir dans chacun des départements. Pour autant, les candidats qualifiés pour le second tour ne sont, en l’état de la loi, pas autorisés à faire campagne entre les deux tours.

Au-delà de ce que nous pourrions qualifier de « paradoxe démocratique », cette interdiction peut remettre en cause la sécurité juridique des élections sénatoriales, comme le démontrent les difficultés rencontrées lors des élections du mois de septembre 2020 et la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel. De fait, l’extension de la disposition du code électoral aux élections sénatoriales s’est révélée peu adaptée aux spécificités de celles-ci.

À cet égard, nous ne pouvons que rejoindre l’auteur de la proposition de loi sur un fait : il est nécessaire de pouvoir faire campagne, par exemple, par la tenue d’une réunion électorale entre les deux tours de scrutin. Cela répond au besoin de garantir une vie démocratique riche en débats et en pluralité.

Ne l’oublions pas, un entre-deux-tours est un moment charnière. Nous en avons tous ici fait l’expérience et nous pouvons convenir qu’il est tout à fait opportun de bénéficier de ce temps politique, pour le moment cloisonné. Nous ne pouvons nier qu’il s’agit de la phase ultime qui fait vivre la démocratie, même s’il appartient à chacun des candidats de s’y employer de la manière dont il l’entend, y compris en fonction de sa personnalité, de la réalité et de l’histoire du département.

Si nous rétablissons et reconnaissons, par cette proposition de loi, la réintroduction d’un temps de campagne entre les deux tours, il faudra, je pense, continuer à travailler afin de formaliser les campagnes sénatoriales pour sécuriser les candidats, mais aussi la démocratie.

Nous saluons l’intégration dans les comptes de campagne des dépenses liées à ce deuxième tour. L’égalité entre les candidats est essentielle afin que les campagnes sénatoriales soient menées de façon équitable.

De plus, la suppression de l’embargo sur les résultats applicable jusqu’à la fermeture du dernier bureau de vote en métropole nous semble aller dans le bon sens, puisque la presse locale et les sites internet relaient déjà les résultats bien avant dix-sept heures. Contrairement aux autres élections, où les premiers bureaux de vote ferment à dix-huit heures et où le délai d’attente, jusqu’à vingt heures, est donc de plusieurs dizaines de minutes, il nous faut là patienter plusieurs heures… Les fuites existant inévitablement, autant légiférer en ce sens.

Je veux faire une remarque avec beaucoup de solennité.

Si l’heure de publicité des résultats pose question, en ce que la règle du code électoral dispose que l’on doit attendre la fermeture du dernier bureau de vote en métropole pour communiquer – règle que nous allons modifier pour la proclamation des premiers tours acquis des élections sénatoriales –, je rappelle que toute dérogation au code électoral doit être réalisée avec parcimonie, sauf à remettre en cause les principes de ce code, qui garantissent aux citoyens la sincérité du scrutin et, au-delà, la confiance qui se crée, lors de l’élection, entre les électeurs et les élus.

Malgré ces différentes réserves – si j’ose appeler ainsi mes remarques –, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera cette proposition de loi, qui facilite l’entre-deux-tours.

Nous ne pouvons que souhaiter bon courage aux dix-huit départements qui seront concernés par ce mode de scrutin l’an prochain ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées des groupes GEST, RDSE, UC et Les Républicains.)

Mme le président. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, la proposition de loi sur le déroulement des élections sénatoriales.

(La proposition de loi est adoptée.)

Mme le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures.)

Mme le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi sur le déroulement des élections sénatoriales
 

7

Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 15 et 16 décembre 2022

Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 15 et 16 décembre 2022, organisé à la demande de la commission des affaires européennes.

Dans le débat, la parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Boone, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée de lEurope. Madame la présidente, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le vice-président de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec plaisir que je vous retrouve ce soir afin de vous présenter, comme de coutume avant chaque Conseil européen, les principaux points qui y seront abordés. Fidèles à nos traditions, nous échangerons à leur propos.

La guerre en Ukraine continuera d’être le sujet le plus brûlant, mais nous évoquerons également la crise énergétique et la situation économique, ces deux derniers points étant – nous partageons tout ce constat – intrinsèquement liés. J’ai eu l’occasion de le souligner dans cet hémicycle lors de l’examen du prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne, le 17 novembre dernier.

La commission des affaires européennes du Sénat a d’ailleurs pu entendre, le même jour, une communication de Patrice Joly intitulée « Le cadre financier pluriannuel de l’Union européenne au défi de la guerre en Ukraine ».

Le Conseil européen sera par ailleurs marqué par des discussions portant, d’une part, sur la sécurité et la défense, d’autre part, sur notre politique étrangère. Des échanges sont en outre prévus sur les relations avec le voisinage sud, les États-Unis et les Balkans occidentaux. Enfin, il sera précédé d’un sommet entre l’Union européenne et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean).

Comme vous le savez, la situation évolue tous les jours et les positions que je m’apprête à vous exposer sont encore susceptibles de changer à l’aune des événements que vous connaissez et des concertations conduites entre Européens.

La guerre en Ukraine continue, avec la poursuite, ces dernières semaines, d’une stratégie de frappes brutales de la Russie contre les infrastructures civiles et énergétiques ukrainiennes. Affaiblir l’Ukraine par le froid et la faim, c’est la stratégie de Vladimir Poutine. Il faut maintenir notre soutien à l’Ukraine dans toutes ses dimensions et à long terme, l’urgence étant aujourd’hui de permettre aux Ukrainiens de passer l’hiver.

C’est à cette fin que le Président de la République a décidé, avec le président ukrainien Zelensky, d’organiser une conférence bilatérale pour la résilience et la reconstruction de l’Ukraine, le 13 décembre prochain, à Paris, pour répondre aux besoins de court terme dans le domaine de la résilience des infrastructures civiles.

Afin de structurer notre aide financière à l’Ukraine à long terme, la Commission européenne a en outre proposé la mise en place d’un soutien financier à l’Ukraine sous forme de prêts de 18 milliards d’euros pour l’année 2023.

Il n’a pas été possible de trouver un accord aujourd’hui au conseil des ministres de l’économie et des finances, mais nous sommes confiants sur notre capacité à y parvenir avant la fin de l’année, afin que les premiers versements puissent avoir lieu dès le mois de janvier prochain. Il y va de la crédibilité de l’Union européenne et des engagements pris par nos chefs d’État et de gouvernement.

Notre situation énergétique reste préoccupante.

Je salue une nouvelle fois les travaux de la commission des affaires européennes, notamment l’organisation d’une table ronde de haute tenue, le 16 novembre dernier, sur le thème « Ambitions européennes et chocs économiques actuels ».

Nous devons nous appuyer sur tous les règlements adoptés pour accélérer la réduction de notre dépendance à l’égard des énergies fossiles et de la Russie.

Nous saluons les efforts de la Commission européenne, qui a fait trois nouvelles propositions législatives susceptibles de répondre à une partie des enjeux liés à notre sécurité énergétique. Celles-ci permettraient d’agir partiellement sur les prix du gaz, de mettre en place une plateforme d’achats conjoints de gaz et de renforcer notre solidarité énergétique.

Nous nous félicitons aussi qu’un accord politique ait été trouvé lors du Conseil Énergie extraordinaire du 24 novembre dernier, sur les deux règlements présentés les 18 octobre et 9 novembre derniers, même si leur adoption formelle n’interviendra que la semaine prochaine.

L’ensemble de ces mesures ne répond toutefois pas à l’urgence de la situation, en dépit de la nouvelle proposition du 22 novembre dernier portant sur un mécanisme correctif sur le marché du gaz. Ce texte prévoit, certes, une forme de plafonnement sur une partie des prix du gaz, mais dans des conditions excessivement restrictives. Il doit encore gagner en crédibilité et en pertinence dans la situation actuelle, car il est essentiel que nous envoyions un signal fort aux marchés.

Nous devons aller plus loin pour faire baisser les prix du gaz et de l’électricité, le Président de la République l’a demandé au dernier Conseil européen. Nous continuerons donc d’appuyer des mesures permettant de faire baisser les prix à court terme, ainsi qu’à moyen terme, grâce à une réforme du marché de l’électricité.

Il est également impératif que nous apportions des réponses budgétaires coordonnées pour lutter contre l’inflation tout en préservant la croissance. Nous attendons des propositions de la Commission européenne pour avancer sur la mise en œuvre de mécanismes européens de solidarité financière, afin d’éviter toute fragmentation économique entre les États de l’Union européenne.

Le Conseil européen abordera ensuite les enjeux de sécurité et de défense. Le renforcement de l’industrie de défense européenne figure parmi ses priorités, dans la continuité des engagements pris lors du sommet de Versailles.

La Commission européenne a annoncé lundi dernier avoir débloqué un premier financement de 1,2 milliard d’euros du Fonds européen de la défense pour la prochaine génération d’avions de combat, des projets de chars et de navires et le développement de technologies militaires.

Ce sont ainsi 61 projets qui seront cofinancés, afin de « fournir des capacités de pointe à nos forces armées », par le Fonds européen de la défense, qui est doté de 7,9 milliards d’euros pour la période courant de 2021 à 2027.

Il nous faut aller plus loin. Il est nécessaire d’avancer rapidement sur le règlement créant un instrument d’urgence pour faciliter l’acquisition conjointe de matériel militaire, l’Edirpa pour European Defence Industry Reinforcement through common Procurement Act, en cours de négociation, puis sur la construction d’un instrument pérenne, l’Edidp pour European Defence Industrial Development Programme.

Ces instruments sont déterminants pour nous aider à structurer la demande et à donner davantage de visibilité à nos industriels. Ils doivent également être conçus d’une manière qui nous permette de réduire nos dépendances à des technologies et à des chaînes d’approvisionnement contrôlées par des États non européens.

La résilience et la cybersécurité des entités critiques européennes seront aussi à l’ordre du jour.

La palette d’instruments que nous sommes en train d’adopter constituera un pilier de notre stratégie numérique et l’une des clés d’une souveraineté affirmée. Une mise en œuvre rapide et effective sera importante pour notre résistance face aux actes malveillants à l’encontre de nos infrastructures critiques. Ces objectifs ne doivent pas occulter le besoin de renforcer la coopération avec nos partenaires internationaux, en particulier les plus exposés d’entre eux.

Cette coopération doit, plus que jamais, constituer un levier important de notre stratégie en matière de cybersécurité et de résilience.

Enfin, ce Conseil européen sera l’occasion d’assurer la soutenabilité de la facilité européenne pour la paix (FEP). Celle-ci a été mobilisée de manière massive et inattendue pour soutenir l’Ukraine. L’Union européenne a ainsi su utiliser à des fins nouvelles un instrument conçu pour la gestion de crise et l’accompagnement des missions de formation. Nous ne pouvons que nous féliciter de sa capacité d’adaptation.

Aujourd’hui, c’est grâce à la FEP que l’Union européenne est devenue un acteur majeur dans le domaine militaire dans le conflit ukrainien, avec 3 milliards d’euros mobilisés à ce titre. Cela fait toutefois peser un risque sur la soutenabilité de l’instrument, notamment sur sa capacité à continuer de porter son ambition initiale. C’est pourquoi le Conseil européen sera l’occasion d’acter son réabondement, d’une manière qui suive au plus juste les besoins réels.

Le Conseil européen se penchera aussi sur nos relations avec le voisinage sud, en préparation d’un sommet prévu pendant la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne, au deuxième semestre 2023. Ces discussions sont importantes. Dans le contexte de l’agression russe en Ukraine, il est essentiel, d’une part, de lutter contre le narratif russe dans la zone, d’autre part, de poursuivre notre soutien à la prospérité et à la stabilité de cette région, dont les soubresauts nous affectent directement.

À Barcelone, le 24 novembre dernier, les ministres de l’Union européenne et des pays du voisinage sud – le Maroc, la Tunisie, l’Algérie, la Libye, l’Égypte, la Jordanie, le Liban, Israël et la Palestine – ont échangé sur les pistes de coopération pour répondre au double défi posé par l’agression russe en Ukraine : celui de la sécurité alimentaire, mise en péril dans plusieurs pays du voisinage sud, en particulier en Tunisie, au Liban et en Égypte, et qui requiert le maintien de notre action à leurs côtés ; celui de l’énergie, à l’heure où cette guerre vient renforcer l’intérêt de diversifier nos approvisionnements et d’inscrire nos partenariats avec les pays du Sud dans la durée.

L’inscription d’un point concernant le voisinage sud à l’agenda du Conseil européen contribuera à ces objectifs en maintenant la dynamique de l’Union européenne en faveur d’une politique méditerranéenne ambitieuse et positive.

J’en viens aux relations extérieures. Le Conseil européen sera précédé par un sommet entre l’Union européenne et l’Asean, le premier au niveau des chefs d’État et de gouvernement des deux blocs. Il s’agit d’un moment essentiel pour poursuivre l’engagement européen renforcé dans l’Indo-Pacifique et mettre en œuvre le partenariat stratégique entre l’Union européenne et l’Asean signé en 2020, notamment par des projets financés dans le cadre de l’initiative européenne Global Gateway.

Le Conseil européen devrait enfin revenir sur deux sujets d’actualité. Le premier sujet concerne nos relations avec les États-Unis dans un contexte marqué par l’adoption de l’Inflation Reduction Act ; le second, les relations de l’Union européenne avec les Balkans occidentaux, avec la demande du statut de candidat de la Bosnie-Herzégovine.

S’agissant des États-Unis, d’abord, le Conseil européen intervient après une séquence chargée.

Le Président de la République s’est rendu dans ce pays du 29 novembre au 3 décembre, pour sa deuxième visite d’État à Washington, la première sous l’administration Biden, signe de la densité de notre relation bilatérale. Il a porté un message clair, en lien étroit avec nos partenaires européens, sur les enjeux énergétiques et commerciaux.

La troisième réunion du Conseil du commerce et des technologies (CCT) Union européenne–États-Unis, qui s’est déroulée hier et avant-hier, a aussi permis à l’Union européenne d’approfondir ces messages. Cette enceinte est importante pour aborder, en partenaires, les défis communs auxquels nous faisons face.

Concernant le projet d’Inflation Reduction Act, l’intention en matière climatique des États-Unis est louable et nous devons nous en féliciter, mais les modalités prévues par ce dispositif créeront des distorsions de concurrence pour nos entreprises et pour notre activité.

Les mesures prises dans ce cadre sont absolument contraires à l’esprit de coopération transatlantique et nous devons identifier des solutions qui préservent pleinement les intérêts européens. C’est ce qu’a dit très clairement le Président de la République et ce sont les messages qui ont été passés lors du CCT.

La task force mise en place au sein de la Commission européenne doit nous permettre de trouver rapidement une solution négociée conforme aux intérêts européens. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pouvez compter sur nous pour être très attentifs à ses résultats.

Cependant, il nous semble que l’Union européenne doit se préparer dès à présent à l’éventualité que ses demandes ne soient pas prises en considération, ou le soient seulement a minima, et être en mesure d’agir et d’envoyer des signaux efficaces aux entreprises avant la fin de l’année.

Il faut, notamment, avancer très vite sur la proposition faite par Ursula von der Leyen dans son discours sur l’état de l’Union de création d’un fonds de souveraineté européen. Nous devons également étudier comment les instruments anti-subventions mis en place pendant la présidence française du Conseil de l’Union européenne peuvent trouver à s’appliquer.

Le Conseil européen traitera, enfin, de la question des Balkans occidentaux. La France soutient résolument le processus d’adhésion de ces États à l’Union européenne. Nous n’avons pas compté nos efforts en ce sens pendant notre présidence du Conseil, comme en témoigne notre engagement en faveur de la résolution du différend bulgaro-macédonien, qui a permis la tenue des premières conférences intergouvernementales (CIG) d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord au mois de juillet dernier.

J’ai d’ailleurs eu l’occasion de me rendre récemment dans ces deux pays pour confirmer à leurs gouvernements notre implication dans la durée.

L’organisation du sommet Union européenne-Balkans occidentaux de Tirana, aujourd’hui même, offre une excellente opportunité de poursuivre cet élan, en particulier, de marquer notre solidarité et notre soutien dans le contexte actuel.

L’Union européenne est d’ores et déjà pleinement engagée aux côtés des Balkans occidentaux et ce sommet a été l’occasion de montrer concrètement nos actions dans la région, lesquelles doivent être poursuivies et amplifiées, afin que les pays de cette zone retirent des bénéfices concrets des efforts qu’ils auront consentis.

Cela concerne, par exemple, le paquet de soutien énergétique de 1 milliard d’euros, la continuation de la mise en œuvre du plan économique et d’investissement, les initiatives dans le domaine cyber, qui ont déjà vu le jour, ainsi que le projet de réduction progressive des frais d’itinérance téléphonique entre l’Union européenne et les Balkans occidentaux, discuté aujourd’hui même.

En Bosnie-Herzégovine, nous formons le vœu que des gouvernements soient formés rapidement à tous les niveaux, à la suite des dernières élections du 2 octobre dernier. Il s’agit d’une étape indispensable pour la fonctionnalité des institutions et la poursuite des réformes.

Sur la question de l’octroi du statut de pays candidat, le Conseil européen prendra une décision la semaine prochaine, en considérant tous les paramètres en jeu : le contexte géopolitique comme les progrès du pays dans la mise en œuvre des réformes.

La poursuite du chemin européen de la Bosnie-Herzégovine dépend avant tout de la volonté politique des dirigeants bosniens, qui doivent commencer dès à présent à mettre en œuvre les réformes identifiées par la Commission européenne.

Vous le voyez, et j’espère vous en avoir convaincus, madame la présidente, messieurs les présidents de commission, mesdames, messieurs les sénateurs, le programme de ce Conseil européen est chargé. Il témoigne de l’énergie déployée par l’Union européenne pour faire face ensemble aux conséquences de l’agression russe contre l’Ukraine, sans laisser de côté les sujets de long terme qui font notre unité. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)