M. le président. La parole est à Mme Amel Gacquerre.

Mme Amel Gacquerre. L’été 2022 marquera indéniablement un tournant dans la relation de notre pays à l’eau. Avec trente-trois jours de canicule, des restrictions d’eau dans quatre-vingt-treize départements, des épisodes de sécheresse et d’inondations soudaines, les Français ont pris conscience des effets du réchauffement climatique et d’une ressource en eau rare et à se partager.

Les événements extrêmes que nous avons connus ont exacerbé les tensions autour de l’eau entre utilisateurs agricoles et industriels, usagers et défenseurs de la biodiversité. L’arrêt de certaines productions industrielles, la production d’électricité via les centrales hydroélectriques perturbée, la perte de productions agricoles, etc. : les conséquences de la sécheresse se sont succédé et les conflits d’usages sont apparus dès lors que la priorité d’un usage sur l’autre a dû être arbitrée.

Vous le savez, monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la question de l’eau connaît un véritable effet ciseau : d’un côté, des besoins et une demande de plus en plus importante pour l’agriculture confrontée à de fortes chaleurs, pour l’industrie du fait de la volonté de réindustrialiser nos territoires, pour la population ; de l’autre, des nappes phréatiques qui peinent à se maintenir et à se reconstituer. Cette situation entraîne des conflits d’usage, menace la cohésion sociétale et nécessite que nous nous organisions. Les usages des uns ne doivent ni pénaliser les autres ni fragiliser les écosystèmes à court, moyen et long termes.

Pour cela, il nous faut aujourd’hui une gestion stratégique de l’eau, une planification globale, transversale et territorialisée de la gestion de cette ressource.

À l’image des difficultés que nous connaissons actuellement en matière d’approvisionnement énergétique, n’attendons pas que les territoires entrent en tension pour mettre en place les outils nécessaires. L’anticipation et la prévention doivent guider l’action publique.

Madame la secrétaire d’État, quelles sont les propositions du Gouvernement pour bâtir ce dialogue si nécessaire à la préservation du bien commun qu’est notre eau ? Que proposez-vous afin de maîtriser les conflits d’usage ? Plus précisément, que proposez-vous pour organiser le partage d’usage de l’eau, et sous quel délai ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de lécologie. Madame la sénatrice Gacquerre, je vous répondrai en deux temps, d’abord, en rappelant le droit en vigueur relatif à ces questions, ensuite, en détaillant les évolutions à envisager.

La loi sur l’eau du 3 janvier 1992 a établi le principe de la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau. Celle-ci relève de deux grands articles de principe.

L’article L. 210-1 du code de l’environnement dispose que l’utilisation de l’eau et sa valorisation économique, dans le respect des équilibres naturels, sont d’intérêt général.

L’article L. 211-1 du même code précise les différents intérêts ou usages à assurer ou à concilier. Il fixe ainsi les seules priorités légales à satisfaire : la santé, la salubrité publique, la sécurité civile et l’alimentation en eau potable.

Ces grands principes doivent être respectés lors de l’examen des dossiers et l’instruction des demandes d’autorisation environnementale, y compris de prélèvement et stockage d’eau, ainsi que pour la gestion anticipée, ou de crise, de la sécheresse.

Les questions relatives au partage de l’eau sont réglées dans les schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (Sage), dont le rôle est de planifier, ou de manière plus opérationnelle dans le cadre des projets de territoire pour la gestion de l’eau. Au-delà des principes et priorités fixés par la loi, les discussions territoriales peuvent ajouter des priorités entre usages économiques et les pondérer de manière adaptée.

Par ailleurs, le plan Eau que nous publierons à la fin du mois de janvier comportera des dispositions en lien avec celles de la maîtrise des conflits d’usage. La raréfaction de la ressource en eau rend la question du partage entre les différents usages de plus en plus cruciale, comme vous l’avez souligné, madame la sénatrice.

Outre les arbitrages qui doivent être menés localement, dans la concertation et dans un esprit de responsabilité collective, il nous faut aussi construire un cadre propice au déploiement de solutions dans les territoires. Je souhaite que les collectivités territoriales se saisissent mieux de ces enjeux et que le public en soit mieux informé. Nous devons être capables d’investir pour économiser l’eau, mais aussi pour l’utiliser efficacement.

M. le président. La parole est à M. Alain Cadec.

M. Alain Cadec. L’eau, cet « or bleu », fait partie de notre quotidien et l’on oublie souvent combien elle est précieuse. Au cœur de notre alimentation, de notre hygiène, de nos loisirs, mais aussi de notre économie, elle est essentielle. C’est un bien universel.

En 2022, la Bretagne a subi une sécheresse record, entraînant une pénurie d’eau durant l’été. Aussi, l’État a placé la région en alerte pendant plusieurs mois. Face à la crise, il a fallu trouver des solutions et chacun a dû être raisonnable dans sa consommation d’eau.

En Bretagne se pose une difficulté majeure : le sous-sol comptant très peu de nappes phréatiques, l’approvisionnement se fait essentiellement par des eaux de surface ; or les pluies insuffisantes, la canicule estivale et l’utilisation de la ressource ont fragilisé nos réserves. Cette sécheresse a fait craindre une rupture de l’alimentation en eau potable, notamment dans les Côtes-d’Armor. La ressource, pourtant bien gérée par le syndicat départemental, s’est retrouvée fragilisée.

L’été a aggravé le phénomène. Pour rappel, dans le département, la consommation journalière globale d’eau potable est de 130 000 mètres cubes : 65 % pour les particuliers, 15 % pour les agriculteurs, 20 % pour l’industrie.

Face à ce constat, pour assurer l’avenir et pérenniser l’approvisionnement en eau potable, des investissements des collectivités locales sont nécessaires, voire indispensables.

Quels moyens l’État a-t-il l’intention de mobiliser afin d’aider les collectivités à maintenir ce service essentiel pour les habitants, les entreprises de nos territoires et, par voie de conséquence, pour l’économie du pays ?

Parallèlement, la politique de gestion de l’eau doit évoluer afin de répondre à ces nouveaux enjeux. Madame la secrétaire d’État, quelle sera votre contribution dans cette réforme plus que jamais indispensable ? Quel est, selon vous, le niveau le plus pertinent pour la gestion de l’eau : le bassin versant, la région, le département, l’intercommunalité, la commune ? Et avec quels moyens ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de lécologie. Monsieur le sénateur Cadec, j’ai suivi avec beaucoup d’attention les problématiques liées à la sécheresse en Bretagne en 2022. Le préfet des Côtes-d’Armor m’a alertée sur le risque de rupture d’approvisionnement en eau potable.

La sécheresse touche désormais tous les territoires, même ceux qui ne connaissaient pas ces épisodes auparavant. J’y suis particulièrement sensible et, j’y insiste, c’est l’une de mes priorités au sein du Gouvernement.

Cette période de sécheresse a été sérieusement anticipée : le Comité d’anticipation et de suivi hydrologique (Cash) a été réuni dès le mois d’avril dernier et les préfets ont très vite reçu des instructions. Le plafond de dépenses des agences de l’eau a également été rehaussé de 100 millions d’euros, dès le mois de juin. Pour autant, nous avons été collectivement confrontés à la gestion d’une crise hors norme.

Parmi les difficultés rencontrées au cours de cette gestion de crise, nous avons dû faire face à des ruptures d’approvisionnement en eau potable qui ont concerné une centaine de communes rurales. Les impacts économiques ont été difficilement supportables pour certaines filières, notamment l’élevage.

Les écosystèmes ont également souffert de cette situation. Nous avons observé dans les territoires des incompréhensions en matière de gradation des restrictions et des exemptions, ainsi que des difficultés de communication. Nous devons tirer un maximum d’enseignements de cette année historique pour affronter les futurs épisodes de sécheresse, car leur fréquence et leur intensité vont forcément augmenter.

C’est le sens du travail de retour d’expérience que j’ai confié aux inspections générales des différents ministères concernés. Leur rapport, qui comportera notamment des pistes d’amélioration concrète, sera remis ce trimestre.

J’ai aussi demandé aux préfets des communes qui ont connu des ruptures d’engager sans délai l’accompagnement vers une meilleure résilience pour que la situation que nous avons connue l’été dernier ne se renouvelle pas cette année. Nous savons en effet que la situation pluviométrique ne nous permettra peut-être pas de passer la saison estivale sereinement. En tout cas, nous nous efforcerons d’être prêts l’été prochain.

M. Laurent Duplomb. En 2021, il pleuvait tous les jours !

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. Madame la secrétaire d’État, si elle a été positive sur certains points – je pense aux assurances agricoles, même si la question d’une alternative à l’usage de la moyenne olympique reste en suspens –, la démarche du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique est restée inaboutie sur la question de la ressource en eau et de ses usages.

Au mois de mai 2022, le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) remettait un rapport d’évaluation de quinze projets de territoire pour la gestion de l’eau développés en France, assorti de recommandations de nature à améliorer cette approche collective de gestion de l’eau à l’échelle des bassins versants ou des ressources.

Dans le Gers, le PTGE de la Midouze a regroupé agriculteurs et usagers de l’eau. Un programme d’action a été établi et j’ai pris connaissance des attentes des protagonistes.

Ma question est double.

Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement entend-il inciter les territoires à développer sur l’ensemble de notre pays le dispositif des PTGE et celui-ci fait-il partie du plan Eau que vous avez annoncé ?

Ce serait, selon moi, une bonne chose, car la question doit être traitée dans le dialogue, la coresponsabilité et la compréhension mutuelle des multiples usagers de l’eau. À l’occasion de l’évaluation du PTGE de la Midouze, les agriculteurs ont déploré la longueur et la complexité du processus. Cinq à six ans, c’est beaucoup trop, même si le travail final est de qualité.

Si telle est votre intention, comment entendez-vous simplifier les procédures et accélérer les processus d’élaboration des PTGE ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de lécologie. Monsieur le sénateur Montaugé, le PTGE est un outil contractuel permettant d’assurer une gestion équilibrée de la ressource en eau, de maîtriser les pressions de prélèvement à un niveau compatible avec les objectifs environnementaux de la directive-cadre sur l’eau et de répondre aux enjeux du changement climatique.

L’instruction du Gouvernement du 7 mai 2019 relative au projet de territoire pour la gestion de l’eau a donné un nouvel élan à une gestion partagée de la ressource en eau. La démarche PTGE permet, dans une dynamique de dialogue avec tous les usagers de l’eau du territoire, d’aboutir à un programme d’action qui organise le partage de l’eau disponible dans un contexte de changement climatique. Ce programme doit mobiliser un panier de solutions : sobriété, solutions en lien avec la nature, mobilisation de nouvelles ressources, voire mesures de stockage compatibles avec l’atteinte du bon état écologique et permettant de concilier les différents usages.

Faisant suite à une décision du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique a été élaborée une instruction complémentaire à celle du 7 mai 2019, qui intègre les pistes d’amélioration des PTGE identifiées par le Varenne. En cours de signature, elle vise surtout à accélérer le processus, car, dans de nombreux territoires, les acteurs ne s’entendent pas sur le diagnostic et sur la nécessité d’agir collectivement. Elle présente aux porteurs de projet et aux acteurs de la démarche les points fondamentaux pour sa réussite, depuis la feuille de route de cadrage et l’élaboration du programme d’action jusqu’à l’accompagnement par les services de l’État.

Cette instruction détaille notamment le rôle de l’État dans chacune des étapes clés du PTGE, ainsi qu’en termes de gouvernance et en cas de blocage persistant. Elle a été élaborée en concertation dans le cadre du Comité national de l’eau, en lien avec les organisations agricoles et les organisations non gouvernementales (ONG).

Les PTGE n’ont pas vocation à être généralisés. Nous voulons en mettre en place un maximum, mais nous souhaitons surtout qu’ils fonctionnent.

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.

M. Franck Montaugé. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. Je souhaite que les PTGE fassent partie du plan que vous avez annoncé.

Pour votre gouvernement, l’eau, dans ses divers aspects et fonctions, devrait être érigée au rang de grande cause nationale et faire l’objet d’un plan Marshall – je pèse mes mots.

Le Gouvernement met en œuvre des règles d’exception pour accélérer le développement de la production d’énergie. Nous attendons de sa part la même approche pour la question non moins cruciale qui est celle de l’eau, à usage agricole en particulier, mais pas seulement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Prince.

M. Jean-Paul Prince. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les cours d’eau de notre pays sont depuis longtemps équipés de nombreux ouvrages, tels que des barrages, des seuils ou des moulins.

Éléments familiers de nos paysages, ils furent un temps menacés d’une destruction intégrale par le principe de la continuité écologique, issu du droit européen, qui vise à débarrasser les cours d’eau de tout obstacle. La loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, est venue partiellement apporter une solution en préservant certains ouvrages d’une destruction motivée par des gains environnementaux discutables, voire négatifs.

Toutefois, la Commission européenne a annoncé récemment son projet de supprimer les obstacles sur 25 000 kilomètres de cours d’eau dans l’Union européenne avant 2030. Ces ouvrages présentent pourtant deux avantages majeurs.

D’une part, ils peuvent être considérés comme une potentielle source énergétique propre, à l’heure où l’État a pour ambition une décarbonation de sa production d’énergie. Il s’agit là d’une source énergétique d’appoint du mix français, qui présente également l’avantage d’être non intermittente, à la différence des autres productions énergétiques renouvelables. Correspondant aujourd’hui à l’équivalent d’une centrale nucléaire, le potentiel des petites centrales hydroélectriques est encore largement inexploité.

D’autre part, les récents éléments climatiques extrêmes sont venus nous rappeler que les seuils, barrages et retenues d’eau pouvaient constituer des atouts pour prévenir les inondations. Il en va de même en matière de sécheresse : lors d’une récente audition au Sénat, le directeur de l’agence de l’eau Loire-Bretagne a souligné le rôle positif des retenues d’eau dans ce domaine.

Les agences de l’eau consacrent aujourd’hui d’importantes sommes à la destruction des barrages. Cet argent ne serait-il pas mieux employé s’il servait à l’entretien des barrages et à leur mise en valeur énergétique, ou encore à l’entretien des canalisations d’eau et d’assainissement et à celui des stations d’épuration ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de lécologie. Monsieur le sénateur Prince, la politique de restauration de la continuité écologique concilie les enjeux de restauration des fonctionnalités des cours d’eau avec le déploiement de l’hydroélectricité, la préservation du patrimoine culturel et historique ou encore les activités sportives en eaux vives.

Il ne s’agit en aucun cas d’une politique visant la destruction d’ouvrages sur les cours d’eau. À ce jour, la politique de priorisation mise en œuvre par le Gouvernement a permis d’identifier les cours d’eau sur lesquels il était important d’intervenir pour procéder à de la restauration écologique : ceux-ci représentent 11 % des cours d’eau.

La politique prévue consiste à procéder en priorité à des interventions sur environ 5 000 ouvrages, sur les 25 000 ouvrages obstacles à l’écoulement que comptent ces cours d’eau. La solution technique retenue consiste, selon les cas, à aménager l’ouvrage – je pense à la mise en place d’une passe à poissons, d’une rivière de contournement ou encore d’un abaissement du seuil – ou à le supprimer lorsqu’aucun usage n’est possible.

Depuis 2012, environ 1 400 effacements d’ouvrages ont été recensés sur ces 11 % de cours d’eau, soit moins de 6 % des ouvrages présentant un obstacle à l’écoulement à restaurer prioritairement. Cela représente 1 % de l’ensemble des ouvrages obstacles.

De nombreuses études et publications scientifiques démontrent l’intérêt d’effacer certains petits ouvrages sur les cours d’eau, tant pour la survie et la reproduction des poissons migrateurs que pour l’amélioration générale des fonctionnalités de la rivière, de sa biodiversité et de sa qualité en eau.

Enfin, la politique de restauration de la continuité écologique n’a pas entravé le développement de la petite hydroélectricité, qui a progressé significativement au cours des dernières années – plus de 150 000 mégawatts supplémentaires entre 2018 et 2021 – et n’est limitée que par le faible potentiel restant. La programmation pluriannuelle de l’énergie 2019-2028 fixe d’ailleurs l’objectif d’augmenter les capacités hydroélectriques en France.

M. le président. La parole est à M. Cédric Vial. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Cédric Vial. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons besoin d’eau et nous avons de l’eau ! Toutefois, le contexte climatique change et le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) prévoit des modifications spatiales et temporelles des précipitations. Il pleuvra toujours autant, mais les pluies diminueront de l’ordre de 16 % à 23 % en été au profit d’épisodes plus intenses lors d’autres saisons, comme l’indique également l’étude Explore 2070.

Pour dire les choses simplement, nous aurons toujours autant d’eau, mais nous n’en aurons souvent pas assez quand nous en aurons besoin et nous en aurons parfois beaucoup trop, avec des risques plus importants de crues. Bref, nous aurons de l’eau si nous savons la gérer.

M. Laurent Duplomb. Exactement !

M. Cédric Vial. Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous me dire pourquoi il est vertueux et écologiquement remarquable pour un particulier de stocker l’eau de pluie dans une citerne pour s’en servir quand il en a besoin et pourquoi il n’est pas vertueux de faire exactement la même chose quand il s’agit de retenues collinaires à des fins agricoles, touristiques ou industrielles ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Le bon sens, que je vous invite à préférer au dogme et au discours militant, le travail scientifique, que je vous appelle à mettre au-dessus des idéologies, et les récents rapports de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) et de la délégation sénatoriale à la prospective nous incitent à déployer une véritable stratégie à long terme pour la gestion de notre ressource en eau.

Le remède est pourtant simple : nous avons de l’eau si nous savons la garder. Créer des retenues collinaires, favoriser le stockage domestique de l’eau de pluie, améliorer l’infiltration dans les nappes phréatiques, réutiliser les eaux usées – mais on peut aussi produire de la neige ou créer davantage d’espaces végétalisés –, stocker l’eau quand il y en a trop, la garder pour la réutiliser quand il y en a moins et quand on en a besoin : c’est ainsi que nous préserverons les débits de nos cours d’eau et la biodiversité à l’étiage.

Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement est-il prêt à ne pas reproduire les erreurs qu’il a faites avec notre politique énergétique, à afficher la stratégie que j’ai évoquée pour la gestion de notre ressource en eau et à s’appuyer pour ce faire sur les acteurs de proximité ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de lécologie. Monsieur le sénateur Vial, j’ai eu l’occasion de m’exprimer sur la rétention d’eau et sur la nécessité de regarder au cas par cas les différents projets proposés,…

M. Laurent Duplomb. Pourquoi au cas par cas ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat. … en examinant les critères et en faisant preuve d’exigence quant à leur mise en œuvre.

Vous avez appelé mon attention sur la question de l’eau en montagne, sur laquelle je souhaite vous apporter des éléments.

Le changement climatique modifie d’ores et déjà le cycle de l’eau. En montagne, les chutes de neige sont de moins en moins importantes, car, on le sait, les glaciers reculent. Cela entraîne des conséquences à la fois pour l’économie des territoires de montagne et pour tous les territoires en aval qui dépendent de cette ressource en eau.

Les conséquences sont très visibles sur les domaines skiables, notamment dans les Pyrénées, les Vosges, le Jura, mais aussi, encore cette année, dans les Alpes. La sécheresse de 2022 a également durement affecté de nombreuses communes de montagne.

En zone de montagne, l’étiage se produit en hiver, et non en été. Avec l’impact du changement climatique, de nombreuses stations de ski ont besoin de stocker de l’eau pour faire de la neige de culture et sécuriser ainsi les pistes de ski. Ces investissements ont du sens, mais il faut prévoir plusieurs points de vigilance.

M. Laurent Duplomb. Ce n’est pas la question !

M. François Bonhomme. Vous ne lisez pas la bonne fiche ! Vous répondez à côté !

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat. Je ne réponds pas à côté ! J’ai déjà évoqué cette question à propos du domaine de Sainte-Soline. Je ne pense pas que vous seriez satisfaits d’entendre de nouveau la même « fiche », comme vous l’appelez, sur la rétention d’eau.

M. François Bonhomme. Ce sont des lieux communs !

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat. Je peux vous redire exactement la même chose : la vigilance portée par le ministère de la transition écologique sur les projets proposés, la non-généralisation des rétentions d’eau, l’attention bienveillante que nous porterons aux projets respectant les critères de biodiversité et écologiques que nous mettons en œuvre.

M. Vial m’a notamment interrogée sur la question de l’eau en montagne. J’ai pensé qu’il serait intéressant de donner des informations complémentaires, notamment sur les stations de ski (M. Laurent Duplomb proteste.) qui se demandent comment résister demain à la pression et au réchauffement climatiques.

M. le président. La parole est à M. Joël Bigot.

M. Joël Bigot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, n’en déplaise au Président de la République, la gestion de la ressource en eau est fortement prévisible et le récent rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective démontre la nécessité de repolitiser d’urgence cette question.

L’hiver que nous connaissons est tout aussi inquiétant que l’été caniculaire auquel nous avons fait face et qui n’a pas épargné le bassin de la Loire que je connais bien. En l’absence de précipitations massives dans les prochains mois, des risques de pénuries sont à prévoir. Les collectivités territoriales et les agences de l’eau sont en première ligne et se sont saisies du sujet en diligentant des études hydrologie, milieux, usages, climat (HMUC), afin d’évaluer précisément la ressource du petit et du grand cycle de l’eau pour chaque territoire.

L’État ne doit pas être en retrait de cette politique publique.

Des solutions de nature financière peuvent être apportées pour accroître les investissements en matière d’assainissement. La commune des Ponts-de-Cé, qui m’est familière, a la chance de bénéficier d’une usine de retraitement des eaux particulièrement performante, qui, par un procédé d’ultrafiltration, permet d’assurer une eau de très grande qualité aux usagers et un taux de fuite de l’ordre de 7 %, très inférieur à la moyenne nationale qui est de 20 %.

Malheureusement, mon territoire fait figure d’exception. Aussi, madame la secrétaire d’État, prévoyez-vous un plan massif de soutien financier aux acteurs de la gestion de l’eau pour mener de front ces deux objectifs de qualité et de lutte contre le gaspillage dû à la vétusté des canalisations ?

Il est un autre point sur lequel Christophe Béchu est intervenu récemment : la sobriété. À ce jour, les préfectures de département comme de région disent ne pas être outillées pour informer la population. Au regard de l’ampleur de nos futurs manques, une communication nationale est-elle prévue pour répondre à nos impératifs de gestion et au désir de la population de participer à l’effort collectif ? Particuliers, monde économique, agriculteurs : chaque citoyen a un impact direct sur la masse globale et la qualité de l’eau.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire dÉtat auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de lécologie. Monsieur le sénateur Bigot, vous m’interrogez sur l’augmentation des coûts de la gestion de l’eau et de l’assainissement, ainsi que sur l’accompagnement des élus locaux face à cette hausse.

Le financement du service public de l’eau est fondé sur deux piliers : le prix de l’eau et les subventions publiques. Le prix de l’eau a en effet augmenté ces derniers mois du fait principalement de l’augmentation du prix de l’énergie et des réactifs, comme le chlore. C’est une réalité, qui pose de sérieuses difficultés, car cela nuit très fortement à la capacité d’investissement à un moment où l’on en a fortement besoin.

L’État est aux côtés des collectivités. Il faut travailler sur plusieurs axes.

Le premier axe, c’est d’aider les collectivités à investir. Ce sera notamment l’un des axes du plan Eau que nous présenterons d’ici à la fin du mois de janvier et sur lequel nous consultons actuellement les comités de bassin et les collectivités. La Banque des territoires sera mobilisée pour accompagner les investissements nécessaires.

Le deuxième axe, c’est de limiter le coût de l’accès à l’énergie. Les mesures prises par le Gouvernement permettent de limiter fortement l’augmentation du coût de l’énergie pour les gestionnaires de services d’eau et d’assainissement, donc pour les usagers finaux. Je pense en particulier au bouclier tarifaire et à l’amortisseur, ainsi qu’au filet de sécurité. La tendance d’augmentation du prix de l’eau va continuer : elle est liée à l’augmentation des prix de l’énergie et des réactifs, ainsi qu’au coût des travaux publics.

Dans les territoires où l’augmentation est très forte se pose la question de l’accès des citoyens à cette ressource. Il faudra mettre en place et renforcer les aides aux usagers les plus fragiles : je pense en particulier à la tarification incitative et solidaire. Les collectivités sont compétentes pour mettre en place une tarification sociale de l’eau. Il existe de nombreux outils pour cela, qui doivent être adaptés en fonction des territoires. Des mesures réglementaires seront prises pour faciliter cette modulation de la tarification.