Mme le président. La parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Franck Montaugé. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, parce que le Président de la République et les gouvernements qui se sont succédé depuis 2017 l’ont voulu ainsi, la question énergétique a été totalement absente du débat public pendant les cinq dernières années.

Vous n’avez pas voulu aborder au fond cette question déterminante pour l’avenir de notre pays, madame la ministre. Et ce n’est pas faute de vous avoir souvent interpellée à ce sujet.

Pourtant, les raisons ne manquaient pas : elles sont toutes liées à la question du changement climatique et à l’action immédiate qui en découle, c’est-à-dire aux politiques publiques qu’il convient de construire dans la concertation et de fonder sur la compréhension de nos concitoyens, qu’elles portent sur la souveraineté économique et la compétitivité, le coût de l’énergie pour de très nombreux Français en difficulté, l’électrification pour la décarbonation des processus industriels, l’adaptation des modes de transport et de l’habitat, ou encore l’inflation, puisque l’énergie est au cœur de son mécanisme.

Avant l’envolée des prix de l’énergie liée à la crise géopolitique en Europe, une crise de l’offre était déjà là. Vous n’avez pas voulu la prendre en compte, madame la ministre.

Depuis trop longtemps, l’entreprise nationale EDF est ponctionnée par l’Arenh, l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, et ce mécanisme la place aujourd’hui dans une position presque inextricable. Votre gouvernement est resté sourd aux appels de son PDG, que vous aviez pourtant nommé.

Le quinquennat aurait dû être mis à profit pour engager la concertation avec les Français et le Parlement sur la stratégie sur l’énergie et le climat, préalable à la loi de programmation quinquennale et à la PPE qui en est la traduction opérationnelle.

Après ces cinq ans de perdus, en février 2022, de manière quasi concomitante au début de la guerre en Ukraine, la construction de trois paires d’EPR 2, ainsi que celle, ultérieure, de huit EPR supplémentaires ont été annoncées, de même que la production de quelques gigawatts au moyen de SMR dont on ne sait pas, au-delà des incertitudes pesant sur cette technologie, quelle sera la doctrine d’utilisation.

Voulez-vous laisser ce type de technologie filer aux mains du privé, madame la ministre ? La question n’est pas légère, et j’estime que le Parlement et les Français ont leur mot à dire.

Aujourd’hui, en position de faiblesse et dans le cadre d’une logique qui défie le bon sens, vous nous demandez d’accélérer le développement des énergies renouvelables et vous nous proposez de simplifier, pour les quinze ans à venir, les procédures d’autorisation pour la construction de nouvelles installations nucléaires sur des sites existants ou à proximité immédiate.

Ce que vous proposez permettra de gagner une année, voire deux, après en avoir perdu cinq, et ce pour des installations industrielles dont la durée de vie pourrait être de soixante ans ou plus. Ainsi exprimé, on saisit mieux l’enjeu, qui, pour n’être pas du tout à la hauteur du sujet et de son urgence nationale, n’en est pas moins à considérer.

Nous sommes globalement favorables à ces dispositions de simplification qui faciliteront le travail des opérateurs – EDF Production, RTE – et des filières industrielles concernées. Mais où le Président de la République et le Gouvernement veulent-ils amener le pays en matière de mix énergétique, madame la ministre ?

Tous les réacteurs nucléaires anciens ne pourront être reconduits. Certains devront être mis à l’arrêt à la demande de l’Autorité de sûreté nucléaire – RTE l’a anticipé dans ses hypothèses d’études.

Dès lors se pose la question – et je vous la pose, madame la ministre – du cadre dans lequel le Président de la République envisage la construction de quatorze EPR 2. Le scénario « N03 » de l’étude de RTE intitulée Futurs énergétiques à lhorizon 2050 est celui dont la proportion d’électricité d’origine nucléaire – 50 % – est la plus élevée. Est-ce celui que vous retenez, madame la ministre ? Dans l’objet de votre amendement n° 118, que nous examinerons dans quelques instants, vous évoquez un « équilibre » dans le mix énergétique.

En revanche, en cohérence avec l’exigence de débat public et parlementaire préalable à la loi de programmation quinquennale et à la PPE, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain n’est pas favorable aux dispositions relatives à la PPE introduites sur proposition du rapporteur en commission.

Nous proposerons des amendements de suppression de ces dispositions, car la PPE ne peut être traitée sur un coin de table, au détour d’un texte centré sur les procédures.

Par ailleurs, si vous pensez que ces objectifs de PPE sont en rapport avec le texte proposé par le Gouvernement, monsieur le rapporteur, pourquoi avoir déclaré irrecevable notre amendement visant à réaffirmer la nécessité de renationaliser EDF, dont le rapport avec le sujet est évident ?

M. Fabien Gay. Très bien !

M. Franck Montaugé. Tout en considérant le texte initial comme utile, le groupe SER conditionne son vote final au sort qui sera réservé à nos amendements de suppression des seuils légaux actuels. Et parce qu’il ne doit pas y avoir d’article 45 de la Constitution à géométrie politique variable, nous rappellerons que la loi doit garantir à EDF un caractère public d’entreprise intégrée, au cœur du futur énergétique de la Nation. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Fabien Gay. (M. Fabien Gay dépose L’Humanité du jour au banc des commissions.)

M. Fabien Gay. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, août 2022 : par un projet de loi sur le pouvoir d’achat, le Gouvernement sécurise le relèvement du plafond de l’Arenh à 120 térawattheures.

Novembre 2022 : dans le projet de loi de finances, le Gouvernement prolonge le bouclier tarifaire pour 2023.

Décembre 2022 : le Gouvernement nous soumet l’examen d’un projet de loi sur les énergies renouvelables.

Janvier 2023 : encore un texte sur l’énergie, cette fois-ci pour construire de nouvelles centrales nucléaires.

Texte après texte, la question de l’énergie est traitée segment par segment, petit morceau par petit morceau. Il est donc difficile d’entrevoir une cohérence ou une réflexion d’ensemble.

Le sentiment qui prévaut est celui d’un traitement sur la forme, qui évite toujours les questions de fond. Qu’il s’agisse des énergies renouvelables ou du nucléaire, l’explication serait toujours la même : des procédures administratives trop longues, qu’il faudrait simplifier.

La même recette se glisse dans tous les textes, saupoudrée d’un peu d’acceptabilité et de quelques mots magiques : concertation, démocratie locale, discussion. Des points évidemment très importants, qui doivent être partie intégrante de la mise en pratique d’un texte. Mais pour qu’il y ait une mise en pratique, encore faut-il savoir vers quels objectifs on avance !

Or, dans votre texte, il n’y a pas d’objectif clair et défini, madame la ministre. Vous visez la construction de nouveaux EPR. Mais comment ? Rien n’est dit sur le financement de ces nouveaux équipements. Votre texte n’en parle tout simplement pas. Qui va payer pour ces investissements ? EDF avec ses 60 milliards de dettes, dont une bonne partie vient de l’Arenh, ce système absurde qui l’a ruinée année après année au profit des fournisseurs alternatifs, qui, eux, n’ont rien investi ?

M. Bruno Sido. C’est vrai !

M. Fabien Gay. Et qui va bénéficier de ces nouvelles capacités de production ? Les fournisseurs alternatifs, encore ? Le mécanisme de l’Arenh arrivera à son terme dans deux ans, mais qu’est-ce qui prendra la suite ? Chaque fois que l’on pose la question, vous nous faites la même réponse, madame la ministre : « Les discussions sont en cours. »

Cela veut bien dire que l’on réfléchit à créer des équipements, à investir, avant même de savoir comment on va exploiter la production. Rien ne justifie que l’État s’abstienne de mener une telle réflexion et, pourtant, c’est silence radio dans votre texte – pas un mot.

Autre point central : pourquoi la France construirait-elle de nouveaux réacteurs ? Pour sa souveraineté énergétique ? Pour son indépendance ? Pardonnez-moi, mais il n’y a aucune souveraineté possible avec le marché européen de l’énergie ! Vous payez pour la politique énergétique de vos voisins, que ces derniers cherchent ou non à sortir des énergies fossiles.

Vous pouvez construire tous les réacteurs du monde, vous n’aurez aucune souveraineté tant que vous ne réformerez pas le marché européen de l’énergie. Mais sur ce sujet aussi, madame la ministre, vous allez me dire – rebelote ! – que les discussions sont en cours…

Nous examinons un texte prévoyant des investissements dont le montant s’élève à plusieurs dizaines de milliards d’euros à l’aveugle, sans savoir ce qu’il y aura après. C’est la politique du « Allons-y, on verra plus tard pour la suite ! ».

Il en va de même pour EDF : l’État veut détenir 100 % du capital. Très bien, mais pour quoi faire ? Pour bâtir un grand service public de l’énergie comme nous le souhaitons, ou pour scinder l’entreprise historique en plusieurs morceaux et l’ouvrir aux acteurs et aux capitaux privés ? Mystère ! On ne sait toujours pas, mais il faudrait voter un texte pour construire de nouveaux réacteurs, le tout alors que même le nouveau PDG d’EDF n’a pas encore défini sa feuille de route.

En d’autres termes, nous n’avons même pas de visibilité sur l’existant, sur sa gestion, sur les ambitions, et même pas encore de PPE. Vous nous demandez de nous projeter sur de nouvelles infrastructures. Quid de l’arrêt des douze tranches prévu dans la PPE ?

Madame la ministre, la question n’est pas la longueur des procédures administratives, mais de savoir vers quoi nous avançons pour le prochain siècle. Nous parlons en effet d’équipements dont la construction durera vingt-cinq ans et dont la durée de vie sera de soixante ans.

L’urgence est donc non pas de réduire de quelques mois les procédures administratives sur des chantiers qui commenceront au mieux en 2027, mais bien d’avoir un débat politique et une vision de long terme.

D’ailleurs – ce sera ma dernière question –, qui travaillera sur les chantiers des nouveaux réacteurs ? Qui entretiendra ces derniers ? Sur quelle filière industrielle comptez-vous vous appuyer ?

Chaque fois que vous en avez l’occasion, vous sonnez la charge contre le statut des industries électriques et gazières (IEG) – cette fois-ci au travers d’une réforme des retraites à laquelle 80 % des Français sont opposés.

Or vous attaquer au régime spécial des IEG, c’est vous attaquer à toute la filière et lui faire perdre en attractivité. Comment allez-vous construire des réacteurs sans travailleurs et travailleuses qualifiés ? Si vous comptez sur de la sous-traitance en cascade, alors il faudra assumer que vous voulez du nucléaire low cost et bas de gamme, avec des travailleurs précaires qui subiront votre réforme des retraites. C’est incompatible avec les enjeux de sûreté nucléaire.

Votre texte vise à parler du nucléaire, mais sans parler du nucléaire. Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Franck Montaugé applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Pierre Moga. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, attendu depuis plusieurs mois, si ce n’est plusieurs années, l’inscription à l’agenda parlementaire de l’accélération de notre stratégie nucléaire, bien qu’elle soit tardive, est à saluer.

L’atome doit être au cœur de notre politique énergétique. Plus qu’une conviction, c’est une certitude.

Bienvenu et salutaire, ce projet de loi ne résout toutefois qu’une partie de l’équation posée par nos politiques énergétiques. Avec mes collègues du groupe Union Centriste, je regrette ainsi le désordre inhérent à l’examen parlementaire de notre politique énergétique.

En décembre dernier, nous examinions le projet de loi d’accélération des EnR. Aujourd’hui, c’est le nucléaire. Et en juin prochain, dans le meilleur des cas, nous examinerons la programmation pluriannuelle de l’énergie.

Mes chers collègues, tout cela manque de lisibilité et de clarté. Nous devons pourtant poser les jalons d’une politique cohérente, afin de bâtir notre souveraineté énergétique à l’horizon 2050.

Conçu comme un accélérateur, ce texte simplifie tant les procédures juridiques préalables à la construction des quatorze EPR, annoncée par le Président de la République lors de son discours de Belfort, que les contraintes pesant sur les sites existants.

Il vise à réduire les freins, à lever les blocages et à contourner les obstacles qui condamnent aujourd’hui la construction des réacteurs et la modernisation des installations à une lenteur aussi désolante que problématique.

Si le texte initial du Gouvernement allait dans le bon sens, je souhaite saluer le travail précieux des rapporteurs, Daniel Gremillet et Pascal Martin, ainsi que celui de la commission des affaires économiques et de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Ils rappellent tout l’intérêt de l’intervention parlementaire.

Mes chers collègues, je souhaite que l’examen en séance publique nous permette de continuer d’enrichir le texte.

À l’heure de la crise de l’énergie, il est de notre responsabilité de bâtir notre souveraineté en nous appuyant sur un mix énergétique décarboné, associant à la fois l’énergie nucléaire, qui est pilotable, et les énergies renouvelables, qui sont désormais compétitives. L’un n’ira pas sans l’autre si nous voulons bâtir une politique énergétique à la hauteur des défis qui nous attendent.

Afin de relever ces défis, mes collègues du groupe Union Centriste et moi-même présenterons un certain nombre d’amendements et voterons ce texte avec exigence et responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)

Mme le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. Stéphane Piednoir. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, intervenant en treizième position dans cette discussion générale, après notamment les excellents rapporteurs Daniel Gremillet et Pascal Martin, j’ai bien conscience que tout ou presque a été dit sur ce texte. Je tenterai toutefois d’apporter un regard peut-être un peu moins technique, et, oserai-je dire, plus « pratico-pratique ».

Mes premiers mots seront pour le titre de ce projet de loi, censé traduire les intentions du Gouvernement. Permettez-moi, en tant que membre de la commission de la culture, d’en faire une présentation quelque peu iconoclaste, fondée sur plusieurs références culturelles bien connues du grand public, de manière à refléter le sentiment assez largement partagé.

S’il fallait trouver un titre qui corresponde précisément aux objectifs affichés, j’opterais volontiers pour l’œuvre de Marcel Proust, À la Recherche du temps perdu. C’est en effet parce que l’exécutif procrastine depuis dix ans sur la question du nucléaire que nous devons, en catastrophe, envisager les voies et moyens d’accélérer, afin de renouveler notre parc de réacteurs nucléaires.

Dans cette assemblée, chacun sait que le temps perdu ne se rattrape pas. Je rappelle d’ailleurs que Proust a mis seize ans pour achever son œuvre.

Ma deuxième référence, empruntée cette fois au registre pictural, est Le Radeau de La Méduse, tant la gestion de la politique énergétique dans notre pays est un naufrage, dont les récentes tentatives de sauvetage relèvent davantage de la panique générale que d’un plan bien établi.

Ma troisième référence est la chanson de Dalida, Paroles, paroles, particulièrement appropriée pour décrire les déclarations successives du président Macron depuis deux ans, à grand renfort de communication, sans qu’aucune décision concrète soit venue les traduire de manière formelle à ce jour.

Enfin, le populaire film La Vérité si je mens ! synthétise bien les atermoiements que nous observons depuis 2017, notamment la valse des ministres qui se sont succédé à la transition écologique et énergétique, capables de dire tout et son contraire dans un laps de temps assez réduit.

Le bilan du président Macron est lourd : deux pas en arrière avec la fermeture effective des deux réacteurs de Fessenheim, un bond dans le passé avec l’arrêt du programme de recherche Astrid sur les réacteurs de quatrième génération et, aujourd’hui, un tout petit pas en avant avec ce texte aux promesses bien ténues, portant essentiellement sur l’allègement des formalités administratives.

Madame la ministre, le propos peut paraître quelque peu acide, mais il est temps de prendre des positions qui engagent de nouveau notre pays sur la voie d’une souveraineté que d’autres – le général de Gaulle et le président Pompidou en tête – ont su patiemment bâtir en assurant la construction de notre parc électronucléaire en moins de vingt ans.

Une doxa idéologique s’est progressivement imposée dans le débat public national, appuyée par une communication – il faut le dire – assez efficace.

Je prendrai l’exemple assez significatif de la prétendue durée de vie de nos réacteurs. Celle-ci aurait été fixée à quarante ans dès l’origine, en vertu d’une forme d’obsolescence programmée. Il s’agit d’une légende urbaine couramment reprise jusqu’au plus haut niveau de l’État et dont le seul objectif est de discréditer la filière.

Pis, nous sommes aujourd’hui en infraction par rapport à notre propre législation, qui prévoit depuis 2006 la fermeture du cycle du combustible, que seuls les réacteurs à neutrons rapides permettent.

Diviser par dix la quantité de déchets produits, limiter la prolifération de plutonium, pouvoir utiliser les 300 000 tonnes d’uranium appauvri disponibles sur notre sol, assurer la production d’électricité pour plus de 1 000 ans : la promesse d’un nucléaire durable était trop belle et trop tangible pour que quelques idéologues ne nous empêchent pas habilement d’y accéder.

On ne dira jamais assez à quel point l’arrêt du programme Astrid, en 2019, emporte des conséquences désastreuses – j’ai eu l’occasion de les recenser dans un rapport intitulé LÉnergie nucléaire du futur et les conséquences de labandon du projet de réacteur nucléaire de quatrième génération Astrid, que j’ai remis avec un collègue député au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques en juillet 2021.

De plus, au moment même où la demande était sur une tendance haussière incontestable et certainement durable, notre pays a choisi de réduire ses moyens d’y répondre de manière opérationnelle.

Pour être encore plus clair, nous avons accepté quantité de mesures, louables au demeurant, visant à mettre fin au recours aux énergies fossiles, mais sans aucune mesure anticipant la tension que cela induirait sur la demande en électricité.

Pis, les décisions visant depuis vingt-cinq ans à condamner la production d’origine nucléaire sur l’autel de petits arrangements politiciens nous ont conduits dans une impasse. Au bout de cette impasse, nos gouvernements découvrent qu’il y a un mur, celui de l’approvisionnement, qui nous conduit à des risques de « délestages », ce terme élégant et diplomatique désignant des coupures de courant.

Au pays des Lumières, notre destin énergétique est désormais entre les mains du gouvernement de l’ombre, qui tente de gérer la pénurie qu’il a lui-même organisée. Pour citer Bossuet, « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ».

Je salue pour terminer l’excellent travail, très approfondi, de nos rapporteurs pour pousser le curseur aussi loin que possible de manière à affirmer clairement de nouvelles ambitions pour notre pays.

Madame la ministre, vos déclarations récentes laissent toutefois assez peu d’espoir quant à une position favorable du Gouvernement sur les grands principes plusieurs fois évoqués dans ce débat : revenir sur le plafond des 50 % de nucléaire dans notre mix électrique, prolonger, avec l’avis de l’ASN, les réacteurs placés sur la liste funeste des fermetures programmées, supprimer le plafond des 63 gigawatts de potentiel nucléaire.

Dans ce contexte, madame la ministre, au-delà de ce texte, croyez bien que nous serons très attentifs aux engagements que vous prendrez. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

Mme le président. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Gilbert-Luc Devinaz. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre vigilance est aujourd’hui appelée sur ce texte technique relatif à l’accélération du nucléaire français. Il constitue, après le volet relatif aux énergies renouvelables, le second volet d’accélération.

Le même questionnement quant à la méthode se pose que sur le premier volet. Alors qu’une grande loi structurante de stratégie énergétique devrait être examinée par le Parlement au second semestre 2023, accélérer des choix que nous ajusterons plus tard ne revient-il pas à mettre la charrue avant les bœufs, madame la ministre ? C’est comme si un médecin prescrivait l’ordonnance avant d’avoir examiné son patient…

Du point de vue de l’aménagement du territoire, compléter des installations nucléaires ou créer de nouveaux EPR n’est pas neutre. Ces constructions peuvent-elles être pensées sans concertation dans un débat de techniciens, comme dans les années 1970 ? Ne doivent-elles pas plutôt, comme les politiques publiques d’aménagement, être fondées sur la consultation et conçues dans la transparence vis-à-vis des citoyens pour favoriser l’acceptabilité des projets ?

Ces équipements, prévus pour fonctionner à partir de 2035-2040, seront en outre examinés sur les plans environnemental, climatique, hydrométrique, sur celui des risques ou encore du trait de côte, etc., avec des données de 2023.

Or effectuer des projections sur le fondement de phénomènes passés est désormais impossible. Il faut s’inscrire dans l’incertitude des aléas climatiques.

L’acceptabilité sociétale du nucléaire suppose de la transparence et de la concertation avec toutes les parties prenantes. Elle implique aussi une évaluation démocratique et pluraliste des besoins de notre société en matière énergétique, dans un contexte de transition et de décarbonation de notre économie.

Ce texte qui vise à accélérer les procédures pour amorcer la relance de la construction de nouveaux réacteurs nucléaires ne devrait en aucun cas servir de support pour anticiper la future grande loi qui définira la stratégie française au long cours relative à l’énergie, au climat et à la composition de notre mix énergétique, et ce d’autant moins que des concertations sont en cours.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a donc été vigilant sur plusieurs points essentiels de ce texte.

Le premier point porte sur le maintien du caractère exceptionnel des mesures d’accélération et de simplification, notamment par leur limitation raisonnable dans le temps.

Le deuxième point est l’amélioration de la qualification des prescriptions de l’Agence de sûreté nucléaire et l’implication accrue du Parlement.

Le troisième point, enfin, tient à la prise en compte de l’incertitude climatique à laquelle seront soumises ces nouvelles installations.

La construction des six EPR qui seront encore en fonctions à l’horizon 2081-2090 suppose en effet l’évaluation des conditions climatiques locales dans lesquelles ces centrales vont fonctionner. Il s’agit notamment de mettre en œuvre des études de descente d’échelle dynamique, absolument nécessaires en sus des éléments de projection globale issus du Giec.

Enfin, le nucléaire n’est pas seulement une question de normes. Il s’agit de donner du sens à ceux qui auront un réacteur près de chez eux, aux futurs personnels qui vont construire ces équipements, aux ingénieurs chargés de la sûreté de ces derniers, aux élus et à tous les acteurs, afin de mettre en évidence le sens profond des actions menées, qui manque aujourd’hui à beaucoup de citoyens.

L’énergie nucléaire est un défi organisationnel et humain autant que technique, procédural et financier. (M. Daniel Breuiller applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. Stéphane Demilly. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)

M. Stéphane Demilly. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a pour objectif de faciliter le développement de l’énergie nucléaire au travers de la construction de nouvelles installations.

La stratégie énergétique de la France n’a pas toujours été celle du nucléaire. En témoignent la fermeture de la centrale de Fessenheim en 2020 et celle, annoncée en 2018, de quatorze réacteurs d’ici à 2035. En témoignent également les propos d’une ancienne ministre de la transition écologique et numéro deux du Gouvernement qui jugeait en 2018 « absurde » la construction de nouveaux réacteurs nucléaires et qui affirmait promptement « ne pas voir le nucléaire comme une énergie d’avenir ».

Les temps ont donc changé, mais, comme le disait Edgar Faure, sans référence d’ailleurs à l’énergie éolienne : « Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent» (Sourires sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

De fait, la météo géopolitique, dorénavant plus imprévisible que la météo climatique, nous contraint à faire évoluer nos logiciels politiques. Nous avions un logiciel binaire, qui opposait, au fond, le nucléaire au renouvelable, considérant que l’un devait progresser au détriment de l’autre.

Nécessité faisant loi, nous changeons de paradigme, forts de la conviction nouvelle que ce n’est pas l’un ou l’autre, mais bel et bien l’un et l’autre – Sophie Primas l’a fort bien indiqué dans son intervention.

Piégés par ce pseudo-dogme qui s’est traduit par des volte-face, nous avons perdu beaucoup de temps, car, après avoir facilité la destruction, nous facilitons dorénavant la construction.

Le nucléaire, qui n’est pas exempt de défauts, fournit d’indéniables réponses aux problèmes climato-géopolitiques du moment : il est décarboné, sa capacité de production est modulable et adaptable aux besoins de la population et, surtout, il est synonyme d’indépendance énergétique et, partant, diplomatique et politique.

La recherche gomme d’ailleurs au fur et à mesure les défauts de cette technologie. Les récentes découvertes scientifiques californiennes dans le domaine de la fusion nucléaire, singulièrement la capacité à franchir le seuil d’ignition, c’est-à-dire le stade où les réacteurs produisent davantage d’énergie qu’ils n’en consomment, sont particulièrement prometteuses.

Il faudra certes beaucoup de temps, mais à l’évidence, les innovations attendues nous amèneront probablement à porter un autre regard sur ce mode de production d’énergie.

Ce projet de loi permet donc d’accélérer la construction de nouveaux réacteurs en France, d’une part, en simplifiant les différentes procédures urbanistiques ou environnementales, et, d’autre part, en clarifiant les modalités de réexamen périodique des réacteurs de plus de trente-cinq ans. C’est un premier pas.

L’article 1er délimite le champ d’application de ce texte aux constructions jouxtant les parcs nucléaires existants, comme celui de Penly, près de Dieppe, que j’ai d’ailleurs visité avec notre collègue et rapporteur pour avis Pascal Martin.

L’avenir, « plus difficile à prévoir que le passé », comme dirait Woody Allen, nous imposera probablement d’élargir le champ des possibles par la construction de petits réacteurs – les fameux SMR – capables de fournir des solutions dans les sites isolés.

Cette stratégie d’ensemble doit être pensée sur le temps long, comme cela a d’ailleurs été rappelé en commission, et elle devra englober à la fois l’amont, avec l’approvisionnement en combustible et les ressources en uranium, et l’aval, au travers de la nécessaire question de la gestion des déchets.

Nous devons également soutenir la formation, le recrutement et la recherche dans le domaine du nucléaire. Autrefois perçu comme une filière d’excellence, le nucléaire est aujourd’hui confronté à une réelle pénurie de talents.

Face aux tergiversations politiques, nos jeunes ingénieurs et techniciens se sont détournés depuis longtemps du nucléaire, lui préférant d’autres industries plus pérennes, quand ce ne sont pas les cabinets de conseil. (Sourires sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Il est crucial de renforcer l’attractivité de la filière, la formation de personnels qualifiés étant la clé d’une filière industrielle solide. C’est donc un grand chantier national,…