M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout à l’heure, en commission, notre collègue Albéric de Montgolfier, auteur de cette proposition de loi, me questionnait, avec humeur et humour, sur ma présence parmi nous aujourd’hui : n’étais-je pas gréviste ? (Sourires.)

Je vais le rassurer : j’apporte mon soutien total aux grévistes et aux manifestations qui se déroulent dans tout le pays, signe que la démocratie sociale se mobilise massivement lorsque ses intérêts fondamentaux sont menacés.

Les retraites sont au cœur de notre modèle social. Or il est difficile de ne pas voir dans cette proposition de loi un agenda pour le moins troublant : ce texte encourage tout de même, par défaut, la retraite par capitalisation. C’est un projet politique cohérent que d’affaiblir la retraite par répartition, ici par des exonérations de cotisations, là par des incitations à l’épargne retraite individuelle.

Pardonnez-moi, mes chers collègues, mais outre votre complicité, certes chaotique et encore en construction, avec le Gouvernement sur la réforme des retraites, on trouve dans ce texte-ci des preuves supplémentaires d’une visée commune !

Vous vous proposez de protéger les épargnants. Vous avez raison : « épargnant » sonne mieux que « rentier » ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je vous rappelle une étude du Crédit Mutuel, citée par l’Observatoire des inégalités, qui démystifie l’explosion de l’épargne durant la crise sanitaire : entre la fin de 2019 et la fin de 2020, les 5 % les mieux dotés en patrimoine ont augmenté de 21 000 euros leurs dépôts bancaires – comptes courants, livrets d’épargne, comptes en action, assurances vie… – tandis que les 50 % au patrimoine financier le plus modeste n’ont économisé que 800 euros la même année. Un grand nombre d’entre eux n’ont ni bas de laine ni billets sous le matelas : ils se sont tout simplement endettés.

Que ceux qui n’ont pas d’épargne, ou qui n’ont pas d’épargne financiarisée, cessent de suivre nos débats : ils ne sont pas concernés ! La suppression, par les auteurs eux-mêmes, de la seule mesure de suppression de frais, les commissions de mouvement, à l’article 1er, est un recul important. C’était le seul article qui tendait à lutter contre les gabegies des produits d’épargnes financiarisés : pardonnez-moi, mais comme vous l’avez reconnu cet après-midi encore, vous légiférez sous l’autorité des marchés financiers !

En revanche, cette proposition de loi tente bel et bien de protéger les épargnants qui privilégient les plans d’épargne retraite et autres assurances vie pour se mettre à l’abri des aléas de leurs vieux jours ou, plus certainement, pour mettre à l’abri de l’administration fiscale des sommes colossales. « Colossales », vous dis-je : l’encours de l’assurance vie s’élève à 2 237 milliards d’euros en 2022 ; celui des PER, à 280 milliards d’euros !

Bruno Le Maire, qui, une fois de plus, n’a pu nous rejoindre cet après-midi, (Sourires.) se félicite et la droite sénatoriale l’encourage.

Quand M. Le Maire n’est pas là, on est obligé de parler à sa place ; je me permets donc de le citer : « Le déploiement du PER est un succès majeur ! Ce produit d’épargne retraite permet aux Français de disposer d’un produit d’épargne avantageux pour préparer leur retraite. » Quelle ironie !

Le succès est tel que l’encours de 70 milliards d’euros du nouveau PER créé par la loi Pacte provient pour 79 % des anciens produits des plans d’épargne retraite… La loi Pacte aura au moins eu le mérite de remplacer le plan d’épargne retraite « populaire » créé par François Fillon par un plan d’épargne individuel qui dit mieux son nom.

Le rapporteur général de la commission des finances et son prédécesseur, tous deux rapporteurs de ce texte, ont décidé de supprimer l’article 8 ; c’était également notre volonté. Pas de prolongation du double avantage fiscal sur la conversion des produits d’assurance vie en plan d’épargne retraite : vous évitez ainsi de mettre de l’huile sur le feu, mais tout de même…

Que tous ceux qui se mobilisent en ce moment même, partout en France, prennent le temps d’écouter un instant. Je me lance dans le conseil fiscal, en citant Mariem Karoui, ingénieure patrimoniale au cabinet Haussmann Patrimoine : « nous recommandons principalement le PER à des personnes imposées à 41 % ». Vous m’avez bien entendu : 41 %, c’est-à-dire la tranche d’imposition marginale de ceux qui ont près de 80 000 euros de revenu fiscal de référence – une paille !

Je reprends donc une question du média spécialisé Option Finance pour vous la poser, mes chers collègues : « Même si elle se développe, l’épargne retraite restera-t-elle, en conséquence, un marché de niche, réservé à une petite minorité de la population, en mesure d’épargner fortement ? ». J’ai une petite idée de la réponse, vous l’aurez compris, mais vous me direz si je me trompe !

L’article 9 traduit la même finalité : favoriser les retraites par capitalisation, par l’entremise de la Caisse des dépôts et consignations. Or la retraite par capitalisation, c’est déjà le chacun pour soi, alors même que la solidarité intergénérationnelle doit être sanctuarisée, alors même que l’épargne la plus sûre et la plus juste est la socialisation des salaires par les cotisations sociales, alors même que, depuis 1990, les peurs alimentées – de manière effroyable ! – par des discours et des réformes alarmistes font croire aux travailleurs de ce pays qu’ils n’auront pas de retraites ! C’est pour cela qu’ils s’adonnent à des placements financiarisés dont ils ne connaissent pas les finalités sociales et écologiques.

Mes chers collègues, nous voterons près de la moitié des dispositions de ce texte, mais nous ne le voterons pas dans son ensemble, parce qu’il évacue le rendement social et écologique des 5 727 milliards d’euros d’épargne populaire qui ne sont nullement, à nos yeux, traités dans cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Michel Canévet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà peu de temps, on entendait souvent la formule bien connue : « travailler plus pour gagner plus ». Nos rapporteurs en ont trouvé une autre : « payer moins pour gagner plus » !

M. Roger Karoutchi. C’est pas mal aussi !

M. Michel Canévet. C’est en effet ainsi qu’ils ont résumé les conclusions de leur rapport d’information de 2021 sur la protection des épargnants, où ils formulaient dix-sept recommandations.

Le groupe Union Centriste tient donc, bien sûr, à féliciter Albéric de Montgolfier et Jean-François Husson pour le travail important qu’ils ont ainsi mené et qui aboutit aujourd’hui à l’examen de la présente proposition de loi.

Pascal Savoldelli vient de citer les chiffres : l’épargne des ménages mobilise, dans notre pays, un peu moins de 6 000 milliards d’euros. Le ministre de l’économie et des finances évoquait, le week-end dernier, ses préoccupations quant à la dette de la France, qui avoisine 3 000 milliards d’euros : notre épargne représente donc à peu près le double de la dette de notre pays. C’est dire combien la somme est considérable. Si notre groupe partage les préoccupations de M. Le Maire pour trouver les moyens de réduire cette dette, il n’en reste pas moins que notre épargne est abondante.

En réponse aux propos qui viennent d’être tenus, je voudrais aussi souligner que le verbe « épargner » n’est pas un gros mot.

C’est la volonté de beaucoup de nos concitoyens que d’épargner. Ils le font sur différents supports, au premier rang desquels figure l’assurance vie. En effet, près d’un Français sur trois a souscrit un contrat d’assurance vie, pour un montant total d’environ 2 000 milliards d’euros – c’est dire l’importance des enjeux financiers.

En lisant les conclusions des rapports présentés par nos collègues, nous avons pris la mesure de l’opacité qui régnait sur les frais réels dus au titre de cette épargne. Pour le groupe Union Centriste, cette situation n’est pas acceptable. En effet, il est légitime que tous les épargnants sachent combien leur coûte leur épargne dès lors que celle-ci est confiée à des acteurs de marché, qui sont autant d’interlocuteurs.

Il était donc nécessaire d’apporter de la transparence sur cette question, comme cela fut d’ailleurs fait pour les comptes bancaires courants de nos concitoyens, qui disposent d’une information annuelle sur l’état des frais qu’ils ont à payer. Il est pour le moins logique de faire la même chose pour ce qui concerne la part de l’épargne. Je ne doute pas que les propositions formulées par les rapporteurs seront enrichies par celles de mon groupe – Hervé Maurey et moi-même avons d’ailleurs déposé des amendements en ce sens.

S’agissant de ces frais, il est regrettable de devoir attendre 2026 pour la suppression des commissions de mouvement qui sont, comme l’a souligné Albéric de Montgolfier, une spécificité française. À notre sens, elles ne se justifient plus, et nous aurions pu les supprimer plus rapidement. Nous nous en remettrons toutefois à la position des rapporteurs.

La discussion de cette proposition de loi est également l’occasion d’évoquer les frais sur succession, pour lesquels nous constatons des pratiques disparates, souvent opaques, qui doivent être mieux cadrées. (Mme Nathalie Goulet marque son approbation.) Il n’est pas légitime de profiter de situations difficiles pour prélever une part des ressources des ménages, en particulier des plus modestes. Je remercie donc Hervé Maurey d’avoir formulé des propositions en ce sens.

Par ailleurs, la transférabilité des contrats d’assurance vie est une question importante pour notre groupe. Si la loi Pacte avait consacré la transférabilité interne, il n’y a pas de raison de ne pas aller plus loin en encourageant la transférabilité externe. C’est une question de respect et de la concurrence et du choix des épargnants : c’est une chose de considérer que ces derniers payent trop de frais ; c’en est une autre de leur permettre de changer de support pour y remédier.

J’entends, monsieur le ministre, qu’il faille prendre quelques précautions et je souscris totalement aux propositions du rapporteur général en ce sens – pourquoi ne pas mettre des garde-fous sur les sommes susceptibles d’être transférées ? Toutefois, il me semble impératif d’avancer sur cette question.

Comme l’a rappelé Jean-François Husson, alors que la transférabilité interne avait été largement décriée lors de l’examen de la loi Pacte, la situation actuelle montre combien les inquiétudes étaient infondées. Nous pouvons aller beaucoup plus loin dans la transparence et la latitude laissée à nos concitoyens.

Autre sujet important, celui de l’orientation de l’épargne. Il est souhaitable qu’un maximum d’épargne soit orienté vers l’économie. Nous devons y travailler.

Il est tout aussi important de prendre en compte les préoccupations du moment, notamment la transition écologique, qui réclame des moyens importants. Dès lors, pourquoi ne pas orienter l’épargne, autant que faire se peut, vers ces investissements essentiels pour l’avenir de notre pays ?

Je vous invite, messieurs les rapporteurs, à reconsidérer votre position sur nos amendements visant à réorienter l’épargne vers la finance verte, car l’accélération de la transition écologique constitue un enjeu d’avenir.

Je conclurai mon propos en remerciant le rapporteur Albéric de Montgolfier d’avoir introduit dans le texte plus de transparence sur les produits de défiscalisation dans l’immobilier, car nombre de nos concitoyens se fourvoient sur le sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions. – Mme Vanina Paoli-Gagin et M. Jean-Yves Roux applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois la période budgétaire passée, la commission des finances retrouve du temps pour se pencher sur des sujets plus spécifiques. C’est le cas avec cette proposition de loi tendant à renforcer la protection des épargnants.

Alors que l’inflation a fait son grand retour dans l’actualité économique, atteignant environ 6 % en 2022, après des années d’inflation faible, voire nulle, l’épargne des Français est entrée dans une nouvelle zone de risque. L’inflation, conjuguée à l’évolution parfois erratique des valeurs boursières et à des taux d’intérêt encore bas, malgré la nette remontée amorcée voilà un an, tend à éroder la valeur des fonds placés en produits d’épargne.

Rappelons que le taux d’épargne moyen des Français est l’un des plus élevés des pays développés. Est-ce le signe d’une inquiétude collective face à l’avenir, du pessimisme que l’on attribue souvent à notre peuple, ou simplement d’une plus grande prévoyance, ancrée dans la culture nationale ? Toujours est-il que nos concitoyens sont loin d’avoir le comportement de cigale qu’on leur prête souvent…

Voilà encore un peu plus d’un siècle, la France était considérée comme le banquier du monde. Grâce à une population encore majoritairement rurale, habituée à économiser, l’État, qui n’avait plus fait défaut sur sa dette depuis la Révolution, jouissait d’une puissance financière exceptionnelle – malgré quelques déconvenues historiques, comme l’affaire des emprunts russes pendant la Première Guerre mondiale ou les nombreux scandales financiers qui ont émaillé l’histoire de la IIIe République…

Revenons au présent : en 2021, le taux d’épargne des ménages français était égal à 18,7 % du revenu disponible brut, après avoir bondi en 2020 du fait de l’épargne contrainte induite par les restrictions sanitaires. Sur longue période, il est d’une assez grande stabilité, autour de 15 %. En comparaison, le taux d’épargne sur le long terme est de 6 % seulement aux États-Unis et de 10 % environ en Allemagne. Seule la Suisse affiche un taux d’épargne supérieur à la France.

Au-delà de la conjoncture, les auteurs de la proposition de loi considèrent que le marché français de l’épargne souffre de défauts structurels, dont pâtissent les épargnants. La majorité de l’épargne des Français est placée sur des comptes bancaires ou sur des livrets réglementés, dont l’archétype est le livret A, dont le taux remonte actuellement.

Or si ces placements sont peu risqués, ils sont également assez peu rémunérateurs, bien que peu ou pas imposés. Faut-il pour autant se diriger vers une gestion de l’épargne à l’américaine avec les risques que celle-ci comporte ? Gageons que ce n’est pas l’objectif des auteurs de cette proposition de loi.

Par ailleurs, les différents frais liés à la gestion de l’épargne représentent des montants non négligeables pour les épargnants et sont souvent assez mal connus. Je reprendrai les propos de mon collègue Christian Bilhac, en commission, la semaine dernière : les clients doivent se voir proposer une information claire et surtout personnalisée et adaptée à leurs besoins. Ainsi, ils doivent être informés sur la valeur nette et non brute des placements, de même que sur les frais potentiels et non sur les seules plus-values.

Pour autant, je m’étonne du chiffre avancé par les auteurs de la proposition de loi, selon lesquels un particulier faisant le choix de commencer à épargner très tôt pour sa retraite pourrait voir la performance de ses placements à 40 ans captée à plus de 55 % par les frais. Confirmez-vous ce chiffre ? Comment s’explique-t-il ?

Les chapitres consacrés à l’encadrement des frais et aux conditions d’une meilleure transparence comportent de bonnes mesures, applicables à des opérations dont l’épargnant n’a souvent même pas connaissance.

Toutefois, je m’interroge sur le bien-fondé de l’article 5 bis qui assouplit l’éligibilité en PEA des fonds de placement à risque.

De même, j’émets des réserves sur l’article 16, introduit en commission, qui supprime le délit d’entrave aux enquêtes et contrôles de l’Autorité des marchés financiers au profit d’une simple sanction administrative.

Prolongeant une mesure de la loi Pacte, l’article 7 assure une transférabilité complète de l’assurance vie. Son adoption constituerait un réel progrès en ce qu’elle offrirait à l’épargnant une liberté bien supérieure dans la gestion de ses placements.

Les membres du RDSE saluent la qualité du travail accompli par les auteurs de ce texte et se prononceront, à moins que des modifications importantes ne soient apportées au cours de la séance, pour son adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Sylvie Vermeillet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sans surprise, mon propos se concentrera sur l’article 7.

Voilà quatre ans, jour pour jour, j’ai défendu dans cet hémicycle un amendement visant à autoriser la transférabilité externe des contrats d’assurance vie. Le ministre Le Maire s’y était opposé, me proposant de travailler avec lui sur la concurrence entre les produits d’assurance vie…

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. C’est ce qu’on dit toujours !

Mme Christine Lavarde. Quatre ans plus tard, j’attends toujours l’invitation… Heureusement, le Sénat a continué de travailler.

J’aborderai tout d’abord la transférabilité interne, au sein d’une même entreprise d’assurance vie, sorte de pis-aller qu’on nous avait accordé à l’issue de la commission mixte paritaire sur la loi Pacte.

J’ai bien entendu que le Gouvernement soutenait pleinement les démarches visant à conforter ce principe. Or les acteurs sont encore confrontés, au quotidien, à divers freins et difficultés.

En effet, les assureurs et les courtiers y sont toujours réticents et exploitent donc la moindre faille ou imprécision législative pour refuser d’accéder à la demande de leurs clients. Si les deux amendements adoptés en commission sur l’initiative des rapporteurs vont dans le bon sens, des précisions doivent encore être apportées – j’ai déposé deux amendements à cet effet.

J’ai surtout entendu le Gouvernement, par la voix du ministre Barrot, s’opposer à la transférabilité externe en s’appuyant sur deux arguments.

Selon vous, la transférabilité externe, par les sorties qu’elle entraîne, empêcherait le bon financement de l’économie. Permettez-moi de vous rappeler, monsieur le ministre, que les compagnies d’assurances sont obligées de respecter des ratios fixés par le code des assurances et par la directive européenne Solvency II.

Cette réglementation imposant la proportion d’actifs que doivent détenir les compagnies d’assurances, la transférabilité externe n’aura absolument aucune conséquence sur les ratios et ne limitera donc pas les investissements en actions.

Ensuite, monsieur le ministre, vous avez argué que la transférabilité externe, parce qu’elle déclencherait des sorties et des entrées, placerait les assureurs dans des conditions de marché parfois défavorables.

Je vous rappellerai simplement l’ordre de grandeur des mouvements déjà à l’œuvre : en 2021, les versements en assurance vie s’élevaient à 148,6 milliards d’euros, pour 126,2 milliards d’euros de rachats. Il s’agit bien là de mouvements emportant des conséquences sur la gestion de portefeuille des assureurs.

Selon France Assureurs, 657 000 contrats ont été transférés en 2020 et 2021, pour un montant de 21,9 milliards d’euros. Au premier semestre 2022, le mouvement se poursuit : 128 000 transferts de contrats pour 4,5 milliards d’euros. Tout cela doit bien évidemment être rapporté au volume d’encours de l’assurance vie, qui s’élève à 1 874 milliards d’euros.

Je précise que, dans le cadre de la transférabilité interne, les fonds du contrat A sont vendus et réinvestis dans le contrat B, fonds euro compris. Or je n’entends pas les assureurs se plaindre de ces problèmes de transférabilité ni de devoir gérer des mouvements de rachat pour leurs clients.

Pourquoi le Gouvernement craint-il tant la transférabilité externe, qui ne va pourtant pas entraîner du jour au lendemain des mouvements de déstabilisation considérables compte tenu de l’encours total ? Redoutez-vous que des compagnies d’assurances soient dans une difficulté telle qu’elles risquent d’être mises à mal par des clients apeurés ? Mais alors pourquoi devrait-on sauver ces compagnies d’assurances zombies ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. Jean-François Husson, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 146 milliards d’euros, soit le montant de la surépargne des Français depuis le début de la crise sanitaire. Ce chiffre, relevé fin juillet dernier par la Banque de France, est supérieur au montant du plan de relance et à celui des mesures de soutien au pouvoir d’achat.

Le phénomène est désormais bien connu : les mesures de restriction sanitaire ont fait chuter la consommation, alors que les mesures de soutien au pouvoir d’achat ont préservé les revenus des ménages. En conséquence, l’épargne a explosé, atteignant des sommets sans précédent.

L’étude de la Banque de France, parue en septembre dernier, montre que le phénomène perdure malgré la levée des restrictions sanitaires. Cette surépargne « covid » nous rappelle que l’épargne constitue d’abord un moyen de se protéger, surtout quand des incertitudes assombrissent l’avenir. Mais ce qui a changé, depuis mars 2020, c’est que notre pays a renoué avec l’inflation, alors que la plupart des économistes pensaient que ce phénomène ne nous concernait plus.

L’inflation constitue désormais la principale menace pour l’épargne des Français, car elle l’enserre dans un étau : d’une part, comme les prix augmentent, la fraction de la consommation du revenu des ménages fait de même, ce qui diminue mécaniquement la fraction affectée à l’épargne ; d’autre part, la hausse des taux d’intérêt, qui accompagne l’inflation, ne suffit pas à compenser l’augmentation des prix. En témoigne le rehaussement de 3 % du taux du Livret A, bien en deçà de l’inflation. En conséquence, l’épargne des Français tend à s’éroder.

Je salue donc la proposition de loi présentée par nos collègues Albéric de Montgolfier et Jean-François Husson visant à protéger les épargnants. Ils ont engagé leurs travaux bien avant l’envolée de l’inflation, notamment au travers d’un rapport d’information publié en octobre 2021, dont la proposition de loi reprend les recommandations d’ordre législatif. Il ne s’agit pas d’un texte de circonstance, mais les circonstances le rendent plus pertinent encore.

La plupart des articles, y compris ceux – nombreux – qui ont été ajoutés en commission, peuvent sembler techniques, mais ils apportent des mesures bienvenues pour les épargnants.

C’est notamment le cas de l’article 7, qui garantit une réelle transférabilité des contrats d’assurance vie. Une telle mesure devrait rendre le marché plus concurrentiel et donc améliorer les prestations de gestion de ces produits. Elle donne également davantage de liberté aux épargnants en leur permettant de choisir l’option qui leur convient le mieux.

Lorsque nous avons ouvert la possibilité de résilier à tout moment les contrats d’assurance-crédit, les Français se sont emparés de cette nouvelle liberté. Ils font désormais jouer la concurrence à leur avantage ; ils feront de même avec les contrats d’assurance vie.

Dans le même esprit, je salue également l’assouplissement des critères d’éligibilité au PEA des quotas des fonds communs de placement à risque (FCPR). Cela favorise le financement en capital-risque, notamment pour les jeunes entreprises innovantes. Or toute mesure permettant de financer notre économie doit être encouragée, a fortiori par les temps qui courent.

Par ailleurs, cette proposition de loi comporte des mesures d’encadrement et de régulation visant à protéger les épargnants contre des pratiques qui pourraient les induire en erreur. Si elles sont bienvenues, certaines de ces mesures risquent de manquer d’efficacité, car les opérateurs, et notamment les banques, trouvent toujours des chemins détournés.

C’est un cycle bien connu s’agissant de la régulation bancaire : certaines pratiques soulèvent des indignations, le législateur légifère et les banques finissent par contourner ces interdictions, soulevant de nouvelles indignations… Je crains que la régulation des pratiques bancaires ne soit une tâche de Sisyphe : jamais achevée, toujours à recommencer.

Dans le registre des pratiques bancaires peu recommandables, il en est une qui a soulevé l’indignation du public, grâce à une récente publication de l’UFC-Que Choisir : le prélèvement de frais bancaires sur les comptes de défunts. Or, voilà près d’un an, j’avais déposé une proposition de loi sur cette même question. J’en reprendrai donc en partie les dispositions dans un amendement visant à encadrer strictement ces pratiques.

J’espère que le Sénat saura envoyer un message fort pour mettre un terme à ces pratiques qui ajoutent de l’indignation à la peine des familles et écornent la confiance des Français envers les institutions bancaires.

Vous l’aurez compris, notre groupe soutiendra cette proposition de loi, qui va dans le bon sens. Je vous engage également, mes chers collègues, à voter pour les amendements que nous défendrons.

M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Daniel Breuiller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer les travaux de contrôle du Sénat et de sa commission des finances, sous l’impulsion de nos collègues Albéric de Montgolfier et Jean-François Husson.

Le groupe écologiste soutient les mesures visant à accroître la transparence, dans tous les domaines, et singulièrement dans le domaine bancaire, et à amoindrir les frais d’épargne. La double charge pour les épargnants est particulièrement inique ; votre proposition de loi, en interdisant notamment la perception de commissions de mouvement, tend à y remédier. De même, ce texte renforce la transparence sur les investissements immobiliers, qui est absolument nécessaire.

Toutefois, nous ne partageons pas votre vision ni vos propositions sur les contraintes du marché, formulées au chapitre III, visant à encourager les épargnants à mobiliser leur épargne au profit des entreprises. Nous ne souscrivons pas à cette thèse néoclassique selon laquelle la hausse de l’épargne bénéficierait toujours à l’économie : pour être réellement efficace, il faudrait que l’épargne soit orientée vers la transition écologique et vers l’économie sociale et solidaire – c’est l’objet de plusieurs de nos amendements –, plutôt que sur des produits financiers.

La période d’inflation que nous traversons frappe de plein fouet les petits épargnants. Je pense bien sûr aux 55 millions de détenteurs d’un livret A et plus particulièrement aux foyers modestes ayant un encours inférieur à 1 500 euros. Il convient de protéger ces derniers, qui sont nombreux à avoir d’ores et déjà renoncé à une partie de leur épargne pendant les confinements. Alors que les plus aisés d’entre nous augmentaient considérablement leur épargne, les plus modestes étaient souvent contraints de la consommer.

La limitation des frais et la transparence sont donc nécessaires pour ces personnes modestes, car la réduction des inégalités doit toujours demeurer la priorité. Nous touchons au cœur du problème : il est indispensable de rétablir une fiscalité juste sur les revenus des épargnes accumulées. En effet, ce patrimoine ne dort pas ; il engendre des revenus supplémentaires pour les ménages les plus aisés et davantage encore pour les établissements financiers.

Or, depuis la mise en place en 2018 d’une flat tax à 30 %, ces revenus sont moins taxés que ceux du travail ! Je profite donc de l’examen de ce texte pour dire de nouveau l’opposition de mon groupe à cette mesure et notre volonté de taxer les revenus financiers à la même hauteur que ceux du travail.

Enfin, j’évoquerai les conséquences sociales et environnementales des comptes bancaires et l’importance de réguler les activités des banques – objet de la proposition de loi. En 2020, Oxfam France a démontré comment notre argent mis en banque finançait potentiellement des projets polluants, en France comme à l’international, et a mis au jour l’empreinte carbone colossale des banques françaises. Les activités de financement et d’investissement des six principales banques françaises représentent ainsi près de huit fois les émissions de gaz à effet de serre de la France entière !

Il est donc urgent de réguler les banques françaises. À cet effet, Oxfam France recommande de créer un label « en transition » définissant le degré d’alignement d’un portefeuille avec l’accord de Paris. Nous soutenons bien évidemment cette initiative.

Cette proposition de loi est bienvenue en ce qu’elle permet de répondre au souci de protection des épargnants et à l’exigence de plus de transparence, mais elle ne répond peut-être pas suffisamment aux enjeux de justice fiscale, sociale et environnementale que nous défendons.

Nous nourrissons un doute sur la question de la transférabilité externe des contrats d’assurance vie, mais nous écouterons avec intérêt les débats sur ce sujet.

En outre, l’article 8 introduit une disposition que nous ne pouvons soutenir en cette période de contestation de réforme des retraites. À cet égard, je salue l’avis favorable que la commission a d’ores et déjà émis sur notre amendement de suppression.

Chers collègues, le débat sur ce texte m’a contrarié, non pour son contenu, mais parce qu’il m’a contraint à rentrer trop rapidement de la manifestation de cet après-midi contre une réforme des retraites que je juge injuste, inefficace et inutile ! (Sourires.)

Malgré cela, nous serons attentifs aux argumentaires de nos collègues et déterminerons notre vote selon le sort qui sera réservé à nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)