Mme Marie-Noëlle Lienemann. Elles ne le peuvent pas !

M. André Reichardt, rapporteur. Dominique Estrosi Sassone aura l’occasion de revenir plus en détail sur ces mesures dans quelques instants.

Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, en somme, vous le voyez, nous nous sommes efforcés d’aboutir à un texte qui réponde aux attentes des propriétaires sans fragiliser la position des locataires qui peuvent connaître un accident de la vie et qui ont alors besoin d’être soutenus.

M. André Reichardt, rapporteur. Nous avons cherché à concilier le respect de la propriété privée et le droit au logement, ce dernier étant un objectif de valeur constitutionnelle. Pour ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à soutenir le texte, que je qualifierai, comme ont pu précédemment le faire les ministres, d’équilibré, tel qu’il est issu des travaux de notre commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il n’est pas équilibré !

Mme le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, la commission des affaires économiques s’est saisie pour avis de l’intégralité du texte de cette proposition de loi, car, en même temps que des dispositions relevant du droit pénal et de la procédure civile d’exécution, elle contient des dispositions qui auront d’importantes conséquences sur la politique du logement, sur la lutte contre les squats, sur le règlement des impayés de loyers et, in fine, sur la prévention des expulsions.

En effet, si, d’un côté, force doit rester à la loi face à la violence des squatteurs et des occupations illicites, le domicile et la propriété devant être mieux respectés, d’un autre, ce constat ne peut et ne doit pas conduire à mettre à la rue des familles victimes d’un accident de la vie, qui ont besoin d’un accompagnement précoce et adapté.

André Reichardt et moi-même avons pu travailler de manière très constructive : nous avons voulu trouver cet équilibre en étant plus stricts contre les squatteurs et les locataires de mauvaise foi tout en assurant une meilleure prévention des expulsions, sans en faire porter le poids aux propriétaires.

Le squat, comme vous l’indiquiez, monsieur le garde des sceaux, est un véritable viol de l’intimité. La commission veut qu’il soit réprimé sans faiblesse. Au-delà des squatteurs, nous devons nous attaquer aux réseaux organisés qui promeuvent et organisent le squat, y compris en abusant de la bonne foi de certains locataires.

Il faut protéger non seulement les domiciles, mais aussi les futurs domiciles. Une personne réalisant son rêve d’accéder à la propriété et qui vient d’acheter son logement ou un ménage qui se voit enfin attribuer un logement social peuvent être privés de la jouissance de leur habitation par des squatteurs. Ils méritent eux aussi d’être protégés, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Je crois aussi qu’il nous faut sortir d’une vision dans laquelle on excuse le squat, eu égard soit à la supposée richesse des propriétaires soit à la crise du logement. La réalité est qu’à Paris environ un quart des victimes de squat sont des locataires. La réalité est que deux tiers des propriétaires n’ont qu’un bien en location, bien souvent pour compléter une retraite.

Arrêtons également d’excuser l’occupation illégale de locaux vacants, alors même qu’existe un dispositif légal de logement temporaire, que nous pérennisons et sécurisons dans ce texte, permettant à des entreprises agréées ou à des associations d’insertion d’organiser un hébergement à destination de personnes en mobilité ou en grande fragilité !

Arrêtons enfin de faire porter aux propriétaires le poids d’une politique du logement défaillante,… (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

M. Guy Benarroche. Vous en portez la responsabilité ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. … car, si les constructions et les possibilités d’attributions ne sont pas assez nombreuses, ce n’est pas leur faute,…

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ni celle des locataires !

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. … c’est celle du Gouvernement !

En matière de squat, que de temps perdu ! Il y a deux ans, presque jour pour jour, le Sénat adoptait la proposition de loi que j’avais présentée pour mieux réprimer ce phénomène. Plusieurs problèmes seraient d’ores et déjà résolus si elle avait été adoptée par l’Assemblée nationale, alors que plusieurs de ses dispositions sont reprises dans ce nouveau texte.

M. François Bonhomme. Tout à fait !

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. Concernant l’accélération des procédures d’impayés et d’expulsion, nous approuvons l’objectif général, car la longueur des procédures décourage les propriétaires d’investir et de proposer des logements en location de longue durée pour préférer louer des meublés de tourisme. Cette protection exagérée se retourne donc contre les locataires et se traduit par une pénurie de logements à louer. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)

Pour autant, nous avons décidé de proposer des modifications importantes au texte. Nous avons voulu distinguer strictement les squatteurs des locataires en difficulté, et ainsi écarter tout amalgame.

Nous pensons également qu’il est contraire à l’intérêt des propriétaires comme des locataires d’affaiblir les possibilités d’un accord amiable et d’un règlement de la dette locative sous l’égide du juge, lequel doit pouvoir vérifier le montant de la dette, la décence du logement, et établir un échéancier de paiement sur la base d’un diagnostic social et financier.

Nous pensons enfin que la véritable responsabilisation des locataires résultera d’un accompagnement et d’une prévention précoce des impayés et des expulsions. C’est pourquoi j’ai voulu introduire un nouveau chapitre consacré à ce sujet dans la proposition de loi. En m’appuyant sur les acteurs du secteur, j’ai proposé d’avancer à deux mois d’impayés le seuil de saisine des Ccapex, de doubler le temps disponible pour la réalisation d’un diagnostic social et financier, mais aussi de débloquer de nombreux points techniques pour donner aux Ccapex les moyens d’agir.

Mme le président. Il faut conclure.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. Ainsi, tout en renforçant le volet contre le squat et en luttant contre l’usage dilatoire des procédures par des locataires de mauvaise foi, André Reichardt et moi-même avons voulu donner un équilibre significativement différent au texte et être fidèles à nos principes en matière de respect de la propriété privée et des fruits du travail, mais aussi de justice et d’humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)

Mme le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Exception d’irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les logements contre l'occupation illicite
Question préalable

Mme le président. Je suis saisie, par MM. Benarroche, Gontard, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, d’une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite (n° 279, 2022-2023).

La parole est à M. Guy Benarroche, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guy Benarroche. « Certaines lois marquent une époque du sceau de la grandeur ou de l’abandon ». Cette phrase que j’emprunte à une tribune publiée par Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité, pour nous alerter sur les conséquences de la loi qui nous est présentée.

L’abandon, chers collègues, est celui de la solidarité. Ce texte se trompe de cible selon Pascal Brice. C’est également ce qu’écrit Christophe Robert, le délégué général de la Fondation Abbé Pierre, dans un courrier adressé il y a quelques jours à Gérard Larcher, le président du Sénat.

Ce sont les causes du mal-logement qu’il faut combattre, et non ceux qui en sont victimes. C’est une arme atomique,…

M. François Bonhomme. Carrément ! (Sourires.)

M. Guy Benarroche. … qui ne va pas résoudre le problème visé, mais qui va créer des dégâts collatéraux dont toute la société française subira les conséquences.

Cet abandon de la solidarité est camouflé de manière plus ou moins habile, mais en tout cas avec une grande violence, derrière l’érection du droit de propriété en valeur absolue.

Afin d’éviter tout raccourci dans lequel certains souhaitent parfois nous enfermer, je vais le dire d’emblée et sans ambages : nous ne remettons pas en cause le droit de propriété ni sa portée constitutionnelle.

M. François Bonhomme. Nous sommes rassurés !

M. Guy Benarroche. La propriété locative doit être et est protégée, d’autant qu’on peut, comme nous le voyons dans nos communes populaires, être propriétaire et fragilisé par l’âge, la santé ou le niveau de revenus.

Dans nos rangs, nous savons aussi que les principes constitutionnels doivent se concilier de manière équilibrée, à l’inverse de ce texte, qui, tel qu’il a été voté par l’Assemblée nationale, ne recherche pas cet équilibre.

C’est donc à nous, dans cet hémicycle, de faire le travail qui a été commencé par les rapporteurs. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 19 janvier 1995 a élevé au rang d’objectif de valeur constitutionnelle la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent. Le présent texte, bien que modifié par notre commission pour éviter les amalgames iniques entre protection de la propriété et protection des domiciles, est un danger. C’est une fausse solution inefficace et antisociale. Il s’agit d’une criminalisation insupportable de la précarité et de la pauvreté.

Étudions d’abord le dogme du droit de propriété sans limite. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. Qui a dit cela ?

M. Guy Benarroche. Je ne ferai offense à personne en rappelant combien de parlementaires, dans cet hémicycle, attachés à un droit de propriété absolue, ont estimé, dans un passé récent, que l’absolu ne l’était finalement pas tant que ça !

Lors de l’examen du texte sur l’expropriation des biens manifestement à l’abandon, nous avons bien noté que le droit de ne rien faire de son bien resterait sacro-saint quand il s’agit de biens construits, finis et entretenus susceptibles de participer à l’hébergement des mal-logés, mais ne saurait être toléré quand une collectivité peut y voir une opportunité de développement. Il s’agit donc d’un droit absolu à géométrie variable.

La volonté de mélanger domicile, local d’habitation et local ayant d’autres destinations nous pousse sur une pente dangereuse. Elle aboutit à un texte qui n’a que faire de l’équilibre entre les propriétaires, les bailleurs et les locataires, équilibre mis en place en 1989, constamment amélioré depuis lors et protégé par tous les acteurs institutionnels et professionnels du secteur. Cet équilibre sera mis à mal, voire détruit, par ce texte.

L’autre hypocrisie des auteurs de ce texte est la tentative très maladroite et fragile constitutionnellement, d’après l’aveu même du garde des sceaux, de confondre protection de la propriété et protection du domicile.

Le domicile et la propriété sont protégés de manière différenciée. Pour tous les cas affreusement tristes et scandaleux de propriétaires ne pouvant intégrer leur domicile, c’est non pas le manque de protection dans notre droit qui est en jeu, mais une méconnaissance des mécanismes de protection, comme le rappelle le président du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, dans un courrier adressé aux membres du Sénat : « Il semble la plupart du temps que les propriétaires, en particulier les plus modestes, souffrent d’un manque de moyens de la justice et d’accès aux dispositifs de prévention des expulsions plutôt que d’un droit inefficace. »

Venons-en à la criminalisation des locataires en difficulté. Elle est non seulement totalement indécente, mais aussi inutilement indécente, car elle ne peut pas apporter une solution à ce problème. Faire endosser une responsabilité pénale aux personnes en difficulté, qui n’ont pas été aidées par l’État, est d’un cynisme rare !

Les mesures d’aide sociale relatives à l’hébergement des familles en graves difficultés économiques ou de logement relèvent de la responsabilité de l’État, qui est parfois trop défaillant. Les collectivités ne peuvent se substituer à la puissance publique nationale.

Une décision récente du Conseil d’État a rappelé que la carence avérée et prolongée de l’État est caractérisée. En tant que chambre des territoires, nous savons combien les collectivités tentent, si elles le peuvent et si l’État les laisse faire, de pallier les nombreux manquements de l’État, particulièrement pour ce qui concerne les mises à l’abri.

Mais où est ce gouvernement ? Où est la politique du logement, maintes fois annoncée et toujours reportée ? Supprimée du projet de loi confortant le respect des principes de la République, dit aussi projet de loi Séparatisme, c’est l’Arlésienne du président Macron. En 2018, celui-ci avait déclaré : « Je veux que nous puissions apporter un toit toutes celles et ceux qui sont aujourd’hui sans abri. » En 2022, le ministre délégué chargé de la ville et du logement, M. Olivier Klein, a réduit cet objectif aux seuls enfants. Depuis, toujours rien, monsieur le ministre.

« Le locataire reste parce que l’État est incapable de respecter ses propres obligations en matière de droit au logement ou à l’hébergement », observe Claire Hédon, la Défenseure des droits,…

M. François Bonhomme. On peut en parler !

M. Guy Benarroche. … qui s’inquiète des conséquences d’une adoption de ce texte, pour des milliers de personnes déjà sur le fil.

J’ai entendu et apprécié les discussions en commission, mes chers collègues, qui ont mis en évidence le besoin de prise en charge des locataires en difficulté via l’établissement d’un bilan social des locataires. Mais qui pourra effectuer ces bilans ? Quels sont les moyens des préfectures pour accompagner ces personnes en difficulté ?

Les débats de l’Assemblée nationale ont permis de rappeler le manque de moyens des travailleurs sociaux du 115 et le manque de places d’hébergement d’urgence. Chaque soir, en France, 5 000 personnes appellent en vain le 115, dans l’espoir d’une place en hôtel ou en foyer d’urgence. À Marseille, où 25 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, à peine un appel sur trois aboutit. Où est l’État ?

Toutes les histoires, aussi tristes les unes que les autres, de petits propriétaires dans l’impossibilité de récupérer leurs domiciles occupés illégalement sont souvent le reflet d’une méconnaissance du droit ou de l’inaction des services de l’État. Médiatiques et insupportables, toutes ces situations ont été résolues, sans nécessité de modifier la loi.

M. Guy Benarroche. Si ! Sommes-nous capables de trouver un chemin pour protéger à la fois les propriétaires, les locataires, les personnes mal logées ou à la rue ? Les moyens de protéger les petits propriétaires existent. Des mesures de protection équilibrées pour les propriétaires et les locataires pourraient être renforcées, comme la garantie des loyers. Mais rien dans l’écriture du texte, ni même dans sa réécriture moins délirante par la commission de notre assemblée, ne montre que l’objet de cette loi est la protection de ces petits bailleurs parfois démunis face aux démarches.

Le but affiché est punitif. La conséquence est la punition de familles en difficulté. Il s’agit d’une criminalisation de ceux qui subissent la précarité, de ceux qui souffrent du mal-logement et qui se voient offrir peu de solutions. Plus de 4,1 millions de personnes sont mal logées ; 300 000 personnes sont sans abri, dont 42 000 enfants. Les chiffres sont édifiants.

Les causes sont multiples et complexes, mais la crise actuelle, inédite, entraîne une accélération de la paupérisation des populations fragiles. Les solutions à cette détresse, qui pousse les personnes dans la rue ou dans des situations d’impayés, que la proposition de loi nomme des « occupations frauduleuses », sont absentes du texte.

La notion de pénalisation et de prison pour des problèmes d’impayés est insupportable. Vous ne pouvez plus payer votre loyer, votre bail est résilié. Pourtant, vous occupez encore votre logement, faute de solutions autres que la rue ou la prison. La prison pour dettes est de retour dans notre République ! Serions-nous prêts à considérer cette dette comme la plus criminelle au sein de notre société ?

Au-delà d’une réflexion insensée plaçant l’insolvabilité de loyer dans un champ différent des autres insolvabilités, quelle est la finalité de cette pénalisation sous la forme d’une peine d’emprisonnement ? Toute sanction financière sous forme d’amende aura aussi pour conséquence de créer un cercle vicieux maintenant les occupants illégaux dans la précarité.

Hormis la valeur symbolique de la punition, qui sera gagnant ? Le propriétaire aura encore moins de chance de recouvrer sa créance.

Le président du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées l’a rappelé : « En privilégiant l’expulsion, les propriétaires auront bien moins de possibilités pour recouvrer leurs dettes. Et les locataires rejoindront les rangs des sans domicile fixe ou des sans-abri. »

La précarité est le problème de base, dans un contexte incertain alliant inflation, accroissement des contrats précaires, augmentation des factures énergétiques et diminution des indemnités de chômage. Les situations de défaut de paiement se multiplieront. Les dispositifs de mise à l’abri et d’hébergement d’urgence issus du droit au logement opposable (Dalo) ne sont pas suffisamment mis en œuvre. Ils constituent pourtant les solutions qu’un vrai texte sur le sujet aurait dû prendre en compte.

Les dispositions de ce texte vont dans le sens inverse ! D’après la Fondation Abbé Pierre, elles provoqueront jusqu’à 30 000 décisions d’expulsion supplémentaires, soit autant de personnes qui risquent de se retrouver à la rue.

Mes chers collègues, c’est avec une certaine fascination que j’observe une tentation quelque peu démagogique en matière de positionnement sur le droit de propriété, que personne, je le répète, ne remet en cause. Ce positionnement, fortement affirmé et défendu par certains dans cet hémicycle est pourtant variable, comme je l’ai rappelé pour ce qui concerne l’expropriation des biens en état d’abandon manifeste. Un jour, le droit de propriété est absolu, le lendemain, il ne l’est pas.

C’est notre devoir de garantir les droits et la protection des plus vulnérables. La loi telle qu’elle nous est arrivée de l’Assemblée nationale est une caricature de surenchère, de déséquilibre et de pénalisation à outrance, qui établit un amalgame coupable entre protection de la propriété, protection du domicile, squat et incapacité de payer.

Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Guy Benarroche. Si je remercie les rapporteurs d’avoir perçu certains risques et de les avoir réduits en adoptant certains amendements, la ligne rouge de la criminalisation de la pauvreté, qui n’aura aucun impact sur les préjudices subis par les propriétaires, a été franchie. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Procaccia. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous célébrons ce soir un anniversaire. Je pense en effet à la nuit du 31 janvier 2007, voilà seize ans jour pour jour. J’étais bien seule dans cet hémicycle pour parler des squatteurs et des sites internet délivrant un mode d’emploi du squat. J’expliquais à mes collègues qu’il fallait aussi penser à la personne, locataire ou propriétaire, qui se retrouvait à la rue grâce à un squatteur.

Dans la nuit, j’avais reçu une délégation du DAL (Droit au logement) et du collectif Jeudi noir. Ils avaient convenu avec moi que l’amendement que j’avais déposé, qui est devenu l’article 38 de la loi Dalo était acceptable s’il se limitait au squat de l’habitation principale. Telle est l’histoire de cet article.

Hélas, celui-ci, que vous avez évoqué de nombreuses fois, monsieur le garde des sceaux, a rarement été mis en œuvre par les préfets.

Onze ans plus tard, nouveau petit pas. Grâce au soutien de la rapporteure de la loi Élan, le Sénat puis la commission mixte paritaire ont adopté un amendement que j’avais déposé visant à prévoir que la trêve hivernale ne s’applique pas aux squatteurs. Pour le garde des sceaux de l’époque, qui y était opposé, « cela tombait sous le sens ». Cependant, une fois que la disposition a été adoptée, les choses se sont éclaircies.

Comme j’ai pu le dire en 2021 à Dominique Estrosi Sassone et Henri Leroy, j’ai eu le bonheur de voir la relève enfin assurée. Je n’étais plus seule à souligner les iniquités du droit pour cet acte. D’ailleurs, si le texte de 2021 avait été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, nous n’aurions pas, aujourd’hui, à examiner ce nouveau texte.

Ne l’oublions pas, la notion de squat a été étendue aux résidences secondaires depuis la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (Asap). Depuis un an, l’intervention des commissaires de justice devrait faciliter la procédure.

Quel plaisir, monsieur le garde des sceaux, de vous entendre reconnaître que le squat est un délit ! Au Sénat, les différents gardes des sceaux ne se sont pas toujours exprimés ainsi.

À mes collègues écologistes, qui remettent en cause cette proposition de loi, j’affirme que, amendée avec beaucoup de circonspection par nos deux rapporteurs, elle établit bien la distinction entre squatteurs et locataires. Je vous le demande : avez-vous été un jour en face d’une personne n’ayant pu rentrer chez elle à son retour d’un séjour à l’hôpital ou d’un voyage ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Oui !

Mme Catherine Procaccia. Et on lui demande de justifier qu’il s’agit bien de son domicile, alors que l’on ne demande rien aux squatteurs et que ses documents ont peut-être été détruits à l’intérieur de son domicile !

Je remercie à cette occasion la commission, qui a repris l’un de mes amendements récurrents, adopté en 2021 par le Sénat et prévoyant que le préfet sollicite l’administration fiscale pour les titres de propriété ou d’occupation légale du logement. En effet, les propriétaires ne sont pas les seuls concernés. Les locataires, parfois, ne peuvent pas non plus rentrer chez eux.

Mes collègues qui défendent la motion d’irrecevabilité arguent qu’on ne pénètre pas dans le domicile d’autrui par plaisir et que chacun doit disposer d’un domicile décent. C’est un argument que nous sommes nombreux à comprendre. Toutefois, est-il normal, dans ce cas, que les serrures soient changées, tout comme le nom du titulaire de la quittance d’électricité, et que les squatteurs refusent de partir lorsque les propriétaires ou les locataires légitimes le leur demandent, y compris après un jugement de justice ? Et je ne parle pas de la dégradation des lieux !

Est-il normal que les décisions de justice rendues à la faveur des propriétaires du logement, parfois après plusieurs années, ne soient pas appliquées ?

Mme Catherine Procaccia. Ce laxisme ne fait qu’entretenir les squatteurs dans leur sentiment d’impunité.

Non, monsieur Benarroche, tous les cas ne sont pas réglés. Ceux dont nous entendons parler à la télévision ou à la radio ne représentent pas tous les cas. Par ailleurs, ceux-ci ne sont pas aussi exceptionnels que vous le prétendez.

Le droit au logement existe, je l’affirme, mais il doit s’appliquer à tous, y compris aux titulaires du logement. C’est mon intime conviction.

J’estime également que les propriétaires évincés par les squatteurs devraient pouvoir être relogés et réellement indemnisés, si le préfet décide de ne pas exécuter une décision de justice.

Voter la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, ce serait aussi rayer des avancées attendues depuis longtemps, comme l’accélération de la procédure contentieuse locative, ou celles qui ont été apportées par la commission, qui distinguent bien squatteurs et locataires qui ne payent plus et libèrent les propriétaires de leur responsabilité pour l’entretien de biens auxquels ils n’ont plus accès.

S’il y a, nous le savons, des propriétaires indélicats, il y a aussi des locataires indélicats. Rééquilibrer les droits permettra, je l’espère, de remettre sur le marché de la location de nombreux logements.

Toutes ces raisons font que le groupe Les Républicains, que je remercie de m’avoir permis de défendre ce texte, votera contre la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. André Reichardt, rapporteur. Nos collègues souhaitent opposer l’exception d’irrecevabilité, considérant que la proposition de loi contrevient à nos grands principes, et notamment à l’objectif à valeur constitutionnelle de l’accès au logement.

La commission ne partage pas cette analyse. Le texte issu de ses travaux contient plusieurs dispositions qui viennent justement prévenir les expulsions et améliorer l’accompagnement social des locataires en difficulté.

La commission a donc émis un avis défavorable sur cette motion.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ce soir, après la séance, j’irai m’installer chez M. Guy Benarroche, avec toute mon équipe ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Ludovic Haye applaudit également.)

M. François Bonhomme. Ça va faire du bruit !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Immédiatement, je ferai en sorte de changer les serrures. Comme le font certains squatteurs, je mettrai une affichette à la fenêtre, pour vous dire que si, par effraction, vous voulez récupérer votre bien, je vous ferai poursuivre.

On marche sur la tête !

Mme Cécile Cukierman. Ce n’est pas la question !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Il y a des gens qui ont bossé toute leur vie pour acheter un logement ! Je prenais tout à l’heure l’exemple de cette femme, qui part en l’Ehpad.

Vous savez, il existe des professionnels du squat : sur internet, on trouve des guides. Ainsi, on place un petit morceau de papier sur la porte et si l’on constate qu’il n’a pas bougé, cela veut dire que le logement est inoccupé. La propriétaire peut être en Ehpad ou partie en vacances…

Oui, c’est une infraction et cela doit être une infraction ! Je vous ai peut-être fait plaisir en le disant, madame la sénatrice Catherine Procaccia, mais cela correspond à ce que je pense, même si ce n’est pas ce qui a pu être dit par certains de mes prédécesseurs. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et GEST.)