PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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L’État territorial, entre mirage et réalité

Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, sur le thème : « L’État territorial, entre mirage et réalité ».

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Madame la ministre déléguée, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé sa place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à Mme la présidente de la délégation.

Mme Françoise Gatel, présidente de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le titre du débat qui nous réunit cette après-midi peut paraître provocateur : « l’État territorial, entre mirage et réalité ».

Cette apparente provocation est toutefois forte de sa vérité, puisqu’elle rend compte des incertitudes graves pesant sur le rôle de l’organisation de l’État dans nos territoires. Cette question a été particulièrement mise en évidence pendant la crise sanitaire.

Le malaise est palpable chez les élus locaux – ce n’est pas une surprise ! –, au premier rang desquels les maires, mais aussi parmi les usagers, et il s’étend aux agents de l’État eux-mêmes.

L’État déconcentré a pourtant fait l’objet de multiples attentions depuis une quinzaine d’années ; il constitue même l’un des principaux champs de réforme de l’action publique. Les acronymes n’ont pas manqué pour désigner des politiques qui ont touché les services déconcentrés de l’État : la RéATE – réforme de l’administration territoriale de l’État –, la MAP – modernisation de l’action publique –, le PPNG – plan Préfectures nouvelle génération.

Cette cascade de réformes me semble traduire des tâtonnements et des coups de volant un peu brusques, à l’exemple du sort réservé au préfet de département. Pierre angulaire de l’État déconcentré, celui-ci a vu ses marges de manœuvre réduites par l’irruption du préfet de région, puis ses compétences réaffirmées, alors que le pouvoir d’évocation, donc de reprise du sujet, est toujours reconnu au préfet de région. Et, désormais, le préfet sera fonctionnalisé, fondu dans un corps plus large que la préfectorale, laquelle vient de disparaître…

Nous en sommes tous d’accord : cette succession saccadée de réformes est le signe d’un défaut de vision et d’une faiblesse dans l’évaluation de ces politiques publiques successives.

Madame la ministre, l’évaluation des politiques publiques est au cœur de la culture du Sénat, singulièrement de sa délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, pour ce qui la concerne, mais aussi de sa commission des lois.

Or aucune des réformes que je viens d’égrener n’a fait l’objet d’une évaluation ex post digne de ce nom. Tout s’est passé comme si les idées préconçues, les remèdes miraculeux et les intuitions plus ou moins judicieuses prenaient le pas sur la rigueur et sur l’objectivité.

Tirant ce constat d’un déficit d’évaluation, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation s’est particulièrement investie sur le sujet. Je veux saluer l’excellent travail de nos collègues Agnès Canayer et Éric Kerrouche, qui ont conduit, ces derniers mois, une mission d’information remarquable, fouillée et rigoureuse. Celle-ci a abouti à un rapport intitulé À la recherche de lÉtat dans les territoires, parce que l’on est un peu Indiana Jones quand on est élu local… (Sourires.)

Il s’agit non pas d’un énième marronnier, dans un domaine qui en compte beaucoup, mais bel et bien d’une boussole pour l’avenir, présentant une vision très claire de ce que doit être, et ne doit pas être, l’État dans nos territoires.

Nos deux collègues n’ont pas hésité à prendre directement le pouls du corps préfectoral par un sondage. Il n’est pas si fréquent que les préfets et les sous-préfets se livrent ainsi à cœur ouvert sur leur vécu professionnel, et je tiens à remercier, au nom de la délégation, M. le ministre Darmanin, qui a rendu possible cet exercice inédit, mais fructueux. Madame la ministre, je vous prie d’ailleurs de lui rappeler que nous serons très heureux de lui remettre ce rapport en mains propres.

Cette consultation des membres du corps préfectoral s’est accompagnée d’un sondage auprès des élus locaux. Cette seconde consultation est très intéressante, plus encore lorsque l’on rapproche ses résultats de ceux de la première, car il se trouve que les points de vue des élus locaux et des membres de la préfectorale se rejoignent sur de nombreux points, ce qui rend ce rapport fort pertinent.

Cette comparaison met en lumière plusieurs points saillants. Ainsi, les deux groupes s’accordent sur le fait qu’une réforme territoriale de l’État est souhaitable ; en revanche, ce sont les représentants de l’État qui dénoncent le plus le rythme de la réforme, à 85 %, contre 64 % chez les élus locaux. Si ces derniers ont très majoritairement – à 80 % – le sentiment de ne pas être associés aux réformes, ce sentiment est partagé par 43 % des représentants de l’État, qui regrettent un manque d’association des préfets à ces réformes, voire un déficit de consultation.

Enfin, un point est tout à fait révélateur : un représentant de l’État sur quatre, seulement, estime que la réforme de l’organisation territoriale de l’État est efficace.

Pour autant, attend-on un Grand Soir de l’État territorial ? Selon les termes de nos collègues Canayer et Kerrouche : « Nul besoin d’un nouveau big-bang administratif au sein de l’État territorial ».

En revanche, l’État doit retrouver son efficacité dans le dernier kilomètre et jusqu’à l’ultime citoyen. Pour y parvenir, nous avons la conviction, renforcée par l’analyse que nous avons menée de la crise sanitaire, de la pertinence d’un échelon de l’État au niveau départemental pour relever un grand nombre de défis.

Pour autant, le couple maire-préfet de département doit pouvoir compter, pour bien vivre, sur un accompagnement de l’État qui aurait changé de culture en disposant de plus de moyens ; d’un État qui facilite et qui permette et non d’un État tatillon, contrôleur, voire, s’agissant de certains services, qui interprète à sa manière – erronée ! – l’esprit du législateur.

Les rapporteurs évoqueront leurs suggestions et poseront leurs questions, mais je tiens à relever une proposition révolutionnaire, qui fait le buzz dans le milieu et qui me semble très pertinente : le rattachement des préfets au Premier ministre.

Il n’y a pas d’autre moyen de renforcer la cohésion des politiques de l’État et de leur application. Madame la ministre, si la République est une et indivisible, il me semble que l’État doit l’être tout autant. Il est de bon sens, selon moi, qu’il parle d’une seule voix et que le préfet soit chef d’orchestre.

Madame la ministre, ce rapport est de nature à susciter une intense réflexion. Notre débat s’inscrit dans un calendrier marqué par la volonté du président du Sénat d’avancer, à l’intention du Gouvernement, de nouvelles propositions en matière d’efficience de l’action publique, notamment par le biais de la décentralisation et de la déconcentration.

À l’issue d’un travail qui associe l’ensemble des groupes politiques du Sénat, nos échanges alimenteront cette ambition, et je ne doute pas qu’ils nourriront également la réflexion du Président de la République. Je me suis laissé dire, en effet, que celui-ci considérait comme urgent d’adapter l’architecture institutionnelle pour gagner en efficience…

Nous ne cessons de réformer, de corriger et de poser des pansements, mais nous souffrons d’un mal extrêmement profond : ces réformes successives tétanisent nos élus locaux et empêchent l’action publique dont nos concitoyens ont besoin.

J’ajoute que toutes les réformes territoriales sur lesquelles nous avons travaillé ont éludé la question existentielle : quid de l’État ? Quelles sont ses fonctions et ses compétences ?

Je n’ai de cesse de rappeler que nous devrions mettre fin à ses aventures hasardeuses de recomposition, parce que nous partageons tous un seul objectif : l’efficience de l’action publique dans une relation de confiance entre l’État et les collectivités.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Françoise Gatel, présidente de la délégation. Madame la ministre, vous le voyez, le temps s’écoule : il faut se hâter ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, INDEP et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars.

M. Jean-Claude Anglars. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la délégation, mes chers collègues, un État n’existe que sur un territoire donné, avec une population et une organisation institutionnelle durables. L’État étant par nature territorial, l’expression « État territorial » est tautologique.

Plus encore, il existe un lien indéfectible entre l’État et ses services déconcentrés, d’une part, et les collectivités territoriales, de l’autre.

L’expression « État territorial » traduit la difficulté à concevoir l’État à l’échelle locale, laquelle devient alors davantage une variable managériale d’un État soucieux de faire des économies qu’une perspective de développement territorial pensée sur un temps long.

Les nombreuses réformes engagées lors des vingt dernières années illustrent les difficultés à répondre aux deux questions majeures sur le rôle de l’État : quels doivent être les rapports entre l’État et les élus locaux ? Quelle est l’organisation optimale de l’État à l’échelle locale ?

Je rappellerai tout d’abord une évidence, qui tend parfois à être oubliée : « L’administration territoriale de la République est assurée par les collectivités territoriales et par les services déconcentrés de l’État », d’après la loi de 1992 relative à l’administration territoriale de la République.

Si l’État est unitaire, son organisation territoriale passe par une déconcentration effective, au service des collectivités territoriales et de la population.

La réforme continue des services de l’État et les principales lois adoptées à ce sujet ont porté sur la révision et sur la modernisation de l’action publique, avec la révision générale des politiques publiques (RGPP), la MAP, la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam) ou la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). Leur objectif, qui était d’améliorer la situation, n’a jamais été atteint. Il est aujourd’hui nécessaire que l’État local soit moins dispersé et mieux centré sur ses missions.

En ce sens, la proximité et l’accessibilité de l’État doivent être renforcées dans le cadre départemental, en concertation avec les élus locaux.

Les nombreuses réformes ont créé des difficultés d’assimilation. Il me semble dès lors nécessaire de consolider le rôle de l’État et de mieux associer les élus locaux aux réformes des services déconcentrés.

Je pense également que le rôle du préfet de département est primordial dans la mise en œuvre des réformes et dans la stratégie du dernier kilomètre, afin que les décisions soient prises au plus près des citoyens, dans une logique de subsidiarité permettant d’envisager la différenciation territoriale.

Sans nier le rôle du préfet de région, j’estime que le préfet de département doit être une ressource pour les élus locaux, notamment ceux des plus petites communes, un coordinateur et un pilote des politiques publiques. Pivot entre l’État national et local, il doit pouvoir disposer de ressources humaines et budgétaires suffisantes, ce qui n’est malheureusement plus toujours le cas depuis plusieurs années.

Au contraire de cette tendance, je partage l’idée qu’il faut le réarmer intelligemment.

Tout d’abord, avec davantage de moyens humains, une demande qui émane du corps préfectoral et qui est corroborée par des chiffres édifiants !

Ensuite, en adaptant l’organisation des services déconcentrés. Certains services sous tutelle ministérielle, comme les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) ou l’Office français de la biodiversité (OFB), disposent d’une autonomie excessive. Leur pouvoir de décision pose des problèmes concrets dans la mise en œuvre des politiques publiques, notamment dans les domaines des énergies renouvelables et de la protection contre les risques de prédation. Pour les raisons que j’ai déjà évoquées, ces services déconcentrés devraient être placés sous l’autorité du préfet.

Au total, le démembrement ou l’éclatement de l’État en opérateurs et autres agences ne conduit pas à la simplification territoriale, qui est paradoxalement le maître-mot des réformes depuis quinze ans.

Enfin, les services déconcentrés doivent conserver un haut niveau de compétences pour l’exercice de leurs missions d’ingénierie territoriale.

Sans m’étendre, je terminerai en mentionnant les risques que font peser sur l’organisation territoriale de l’État la fonctionnalisation des préfets, l’augmentation du nombre des préfets thématiques et le délaissement des sous-préfectures.

Pour que l’État territorial ne soit pas qu’un « État plateforme », il est donc nécessaire de renforcer les services déconcentrés de l’État en suivant des principes simples, qui ont été rappelés : proximité et compétences sous l’autorité du préfet, dans le cadre du département.

Il n’y a nul besoin d’un énième big-bang territorial, il faut simplement revenir aux fondamentaux de l’administration territoriale de l’État. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette question, qui me permet de rappeler quelques fondamentaux, même si les choses peuvent bien sûr toujours être améliorées.

Comme l’indique la Constitution, le préfet est le représentant de l’État et de chacun des ministres du Gouvernement. C’est lui qui met en œuvre les politiques de l’État, avec l’ensemble des services qu’ils soient placés ou non sous son autorité directe.

Nous avons vu sa capacité à piloter tous les services durant la crise de la covid-19, où le couple maire-préfet a fait preuve de son efficacité au service de nos concitoyens.

M. Mathieu Darnaud. Ah ça, pour le voir, on l’a vu…

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Vous vous en félicitez, monsieur Darnaud, et nous aussi !

M. Mathieu Darnaud. Non, nous avons plutôt constaté son incapacité !

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Je vous avais mal compris ! Dans ce cas, nous divergeons…

Un point sur lequel nous sommes parfaitement en phase, monsieur Anglars, c’est sur le fait que l’État est par essence territorial.

Je le répète, l’interlocuteur naturel et bien connu des élus, c’est le préfet, qui est le représentant de l’État et de chacun des ministres du Gouvernement. Les élus le savent, ils peuvent également compter sur son équipe de proximité constituée des sous-préfets d’arrondissement. C’est parce que ceux-ci jouent un rôle essentiel que l’État a décidé de les renforcer.

Je le rappelle, cinq sous-préfectures, que j’énumérerai dans une réponse ultérieure, ont rouvert leurs portes, et une nouvelle sous-préfecture a été créée en Guyane. Trente postes de sous-préfet ont été créés par redéploiement des postes de sous-préfet à la relance dans des départements ruraux et dans ceux qui comptent une équipe préfectorale peu nombreuse.

En renforçant l’État territorial, le Gouvernement fait le choix de renforcer les interlocuteurs naturels des élus.

Pour faciliter son action et lui donner de nouvelles marges de manœuvre dans le cadre de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS, le préfet est désormais délégué territorial d’un plus grand nombre d’opérateurs qu’auparavant : l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), l’OFB, et en plus de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et l’Agence nationale de l’habitat (Anah).

M. le président. Il faut conclure, madame la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Des mesures de simplification ont également été prises en faveur du préfet de département : il peut désormais signer des décisions d’attribution de dotations de soutien à l’investissement local (DSIL), en lieu et place du préfet de région.

M. le président. Madame la ministre déléguée, vous disposez de deux minutes pour répondre à chaque orateur. Je vous demande de respecter le temps de parole qui vous est imparti.

La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la quête de l’unité nationale est ancienne. Déjà, à la veille de la Révolution, les Français invitaient à rapprocher les administrations de leurs administrés. Les cahiers de doléances ont permis d’instaurer une nouvelle organisation territoriale, qui devait notamment permettre à chacun de se rendre au chef-lieu de son département en une journée à cheval.

Situées à moins de trente minutes en voiture – et non plus à cheval ! – du domicile de chaque Français, les maisons France Services (MFS) se sont multipliées dans notre pays. Éléments forts de la traduction de l’État territorial, ces espaces couvrent même les zones les plus isolées via des solutions mobiles, comme les terres montagneuses de la Corse.

C’est une bonne chose, car toutes les solutions sont bienvenues pour maintenir une offre de services publics de proximité. Les retours de terrain sont globalement bons, et les Français se les approprient progressivement.

Nous en sommes tous convaincus ici, la diversité de nos territoires fait la richesse de la France. En milieu rural ou urbain, à la montagne ou outre-mer, les élus locaux n’ont pas les mêmes attentes et leurs habitants n’ont pas les mêmes besoins.

Dans une logique de différenciation, les politiques publiques doivent correspondre au mieux aux spécificités de nos territoires. Nous devons raisonner au travers d’une grille de lecture plurielle.

Je souhaiterais également parler de l’accompagnement des élus. La création de l’ANCT en 2020 visait à fluidifier les relations entre l’État et les collectivités territoriales, ainsi qu’à faciliter la réalisation de leurs projets locaux.

Lors de l’examen du budget pour 2023, notre groupe saluait l’augmentation des dotations qui lui sont destinées. Nous venons d’apprendre que les effectifs humains de l’agence seront augmentés dans les préfectures. Cela paraît une excellente nouvelle, qui va dans le bon sens.

Un récent rapport sénatorial pointait justement du doigt le manque d’implication de certains préfets. Selon ce même document, l’agence est trop éloignée du terrain et des préoccupations des élus, alors qu’elle doit remplir sa mission d’outil facilitateur.

Nous le savons, les solutions viennent généralement directement du local. L’État doit prêter une oreille attentive aux remontées du terrain et accompagner les élus face aux défis qu’ils surmontent quotidiennement.

Madame la ministre, le tour de France des régions que vous réaliserez avec les dirigeants de l’Agence devrait permettre de poursuivre le dialogue. Nous espérons que les conclusions que vous en tirerez nourriront de manière effective les politiques publiques conduites par votre ministère.

L’État territorial est fondé sur deux piliers : les collectivités décentralisées et les administrations déconcentrées. Ce système est amené à évoluer régulièrement, pour s’adapter aux évolutions de notre pays et aux besoins des élus.

Ces dernières années, les réformes territoriales se sont succédé. La dernière en date, la loi 3DS, s’inscrit dans la digne voie de la décentralisation, tout en apportant son lot d’ajustements techniques. Pour s’y retrouver, les élus doivent avoir accès à des relais d’information facilitateurs, souples et simples d’accès.

Madame la ministre, comment les missions des agents des préfectures et sous-préfectures pourraient-elles évoluer pour mieux répondre à l’impératif de proximité avec les élus locaux ?

Par ailleurs, quels sont les dispositifs prévus pour prendre davantage en compte l’avis des citoyens dans l’organisation des services déconcentrés et dans l’élaboration des politiques publiques à visée territoriale ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Mélot, vous avez abordé trois points : l’ANCT, la proximité et la façon dont nous renforçons les moyens de l’État en région, et, enfin, les maisons France Services.

En ce qui concerne l’ANCT, le communiqué de presse que nous avons publié hier est largement inspiré du rapport que nous ont remis les trois sénateurs. J’ai accueilli ce travail de façon tout à fait positive malgré les quelques critiques émises. Nous les avons prises comme des pistes d’amélioration sur lesquelles nous avons travaillé pour décider, à la fois, de doubler les effectifs de l’ANCT en région et de les placer dans les sous-préfectures, au plus proche des collectivités territoriales, comme vous le souhaitez.

L’ANCT, qui a été créée au mois de janvier 2020, n’a que trois ans d’existence. Nous travaillerons ensemble sur des axes d’amélioration. Vous l’avez dit, madame la sénatrice, le président Bouillon et le directeur général de l’ANCT vont entreprendre un tour de France des régions.

Vous me demandez comment améliorer la proximité de l’ANCT et des agents qui travaillent dans les préfectures. Tel est justement l’objet de ce tour de France auquel Christophe Béchu et moi-même allons participer : déterminer sur quels leviers nous pouvons agir dans cette perspective.

S’agissant des moyens de l’État dans les régions, je ne veux pas répéter ce que j’ai déjà dit sur ce thème, mais je rappellerai nos deux axes principaux de travail.

Tout d’abord, nous agissons au niveau des préfectures, avec la réouverture de cinq sous-préfectures, le maintien des emplois dans le périmètre de l’administration territoriale de l’État (ATE) en 2021 et en 2022, ainsi que la création de 350 ETP supplémentaires en cinq ans, dont 43 dès cette année, et de 30 postes de sous-préfets créés par redéploiement des postes de sous-préfets à la relance.

Ensuite, le Gouvernement renforce son partenariat avec les collectivités. J’aurai l’occasion de l’évoquer dans mes réponses à d’autres questions.

Je conclurai en saluant vos propos sur les maisons France Services, dont l’efficacité est avérée sur notre territoire. Un budget a été alloué à la création de 200 MFS supplémentaires dans les territoires, pour toujours plus de proximité.

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la réplique.

Mme Colette Mélot. Madame la ministre, je vous remercie des différents éléments dont vous venez de nous faire part. Les améliorations qui ont déjà été apportées vont vraiment dans le bon sens. Nous espérons qu’il en ira de même pour celles que vous nous annoncerez après votre tour de France.

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans un monde idéal, les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l’État devraient être en mesure de répondre parfaitement aux besoins des habitantes et des habitants, comme aux besoins des élus de leur territoire.

L’action publique serait facilitée par une organisation claire, fluide et efficace de la gouvernance à l’échelon local. Les actrices et acteurs publics locaux seraient valorisés et disposeraient de compétences et de moyens importants pour jouer leur rôle. Enfin, les services publics seraient accessibles à toutes et tous.

Force est de constater que ce doux rêve n’est pas la réalité !

Les nombreux échanges que chacun d’entre nous peut avoir avec les élus locaux montrent au quotidien le mirage qu’est l’État territorial à proprement parler. L’excellent rapport d’information sur l’État dans les territoires, réalisé au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation par mes collègues Agnès Canayer et Éric Kerrouche, en fait une démonstration limpide.

Prenons déjà l’ensemble des réformes des collectivités et des services déconcentrés. Les années passent, et ces réformes se multiplient au gré des conjonctures politiques. La révision générale des politiques publiques, la modernisation de l’action publique et la loi 3DS en sont autant d’illustrations. Et venant d’une métropole à statut particulier, celle de Lyon, je puis vous indiquer que la lisibilité de l’action publique, qu’elle soit étatique ou territoriale, reste très floue pour nos concitoyens, pour qui le vent des réformes a brouillé la compréhension de l’action publique.

S’il y a un point commun à ces réformes, c’est qu’elles ont été souvent construites de façon brouillonne, avec une concertation très limitée des premiers concernés, c’est-à-dire les élus et, dans une moindre mesure, les représentants de l’État déconcentré.

Il faut aussi se rendre compte de la fatigue des élus face à ces réformes incessantes qui n’ont rien clarifié. Le rapport d’information sur l’État dans les territoires l’explique bien : plus de quatre élus sur cinq estiment ne pas avoir été suffisamment associés aux différentes réformes. Pour les préfets et les sous-préfets, ce chiffre s’élève à 43 %.

En 2016, un autre rapport d’information de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation précisait déjà que l’association aux réformes des acteurs de terrain demeurait insuffisante aux yeux de la majeure partie des élus locaux et des syndicats qui ont été auditionnés.

Comment mener une réforme efficace des politiques de décentralisation et de déconcentration si les autorités locales et les administrations concernées ne sont pas suffisamment consultées, si l’État reste trop à distance ? La réponse, c’est qu’on ne peut pas ! Le rapport de mes collègues le démontre, comme celui, plus récent, sur l’ANCT. Le résultat est là : les réformes ne correspondent pas à leurs attentes et ne résolvent pas un certain nombre de problèmes.

Les moyens, principalement humains, manquent parfois dans les territoires, et cela se fait sentir dans l’ensemble des politiques publiques. En 2011, les agents des directions départementales interministérielles (DDI) étaient 39 796 ; en 2020, ils n’étaient plus que 25 474, soit une chute de 36 %. Les préfectures ne sont pas en reste, qui ont connu une baisse similaire. C’est non pas le statut des agents, comme on a pu le dire ce matin, mais bien l’austérité à bas bruit qui a sclérosé notre capacité à mener des politiques publiques agiles et répondant aux besoins.

La situation des services publics – hôpitaux, écoles et autres guichets administratifs – est délétère dans de nombreuses régions, en particulier dans les zones rurales.

À ce titre, près d’un maire de commune de moins de 1 000 habitants sur deux estime que l’offre de services publics sur son territoire est défaillante. C’est d’autant plus compliqué pour ces maires de petites communes qu’ils sont souvent isolés et qu’ils ne disposent pas des mêmes ressources que les grandes collectivités. Ces dernières sont mieux représentées au sein des agences, comme les agences régionales de santé (ARS) ou l’Anah, et elles peuvent mobiliser des réseaux importants, ce qui n’est pas le cas des élus des petites communes.

Aussi, que faire ? Si l’État territorial est un mirage, pourrait-il devenir réalité ?

Il faut commencer par respecter l’ensemble des parties prenantes et inscrire la concertation et le dialogue au cœur de l’action publique déconcentrée. Un lien de relation de confiance durable doit parfois être retissé d’urgence et plus finement avec l’ensemble des actrices et des acteurs des territoires.

Je rejoins les préconisations de mes collègues sur la nécessité d’une concertation nationale avec les élus en amont de toute réforme des services déconcentrés de l’État ou des collectivités territoriales.

Avec mes collègues du groupe écologiste, je suis convaincu que le principe de subsidiarité doit être consacré, tout comme celui de la différenciation territoriale. Cela ne doit cependant pas être fait au travers de la loi 3DS, comme l’a proposé le Gouvernement. En plus d’échouer à clarifier les compétences, cette loi a accéléré la tendance de l’État à se défausser de certaines de ses prérogatives sur les collectivités.

Or les collectivités territoriales doivent avoir les moyens d’agir. Il faut un maillage plus fin de la répartition des effectifs préfectoraux, notamment dans les sous-préfectures. La proposition qui me semble la plus pertinente et la plus forte du rapport de mes collègues, mais qui n’est pas nouvelle, prévoit de passer enfin d’une logique de contrôle de légalité à une logique de conseil aux collectivités territoriales.

Toutefois, l’État est-il prêt à sortir d’une logique de contraction de ses effectifs pour s’adapter à cette demande, notamment au plus près des territoires, parfois démunis en matière de relais préfectoraux à l’ingénierie de leurs projets ? À mon sens, la clé de l’État territorial, c’est la réponse à cette équation.