M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une recherche rapide sur internet sur le scandale Dentexia m’a conduit à consulter quelques photographies choquantes qui montrent le traumatisme subi par les victimes.

En 2016, l’explosion de ce scandale dans les médias fut le début d’une longue série : Proxidentaire, Dentexcelans, Dentego, etc. Ces noms commerciaux cachent une réalité entachée par des problèmes d’hygiène, de surfacturations et autres escroqueries, et même des mutilations. Plusieurs milliers de victimes ont, hélas ! fait les frais de ces centres dentaires dits low cost.

Se soigner ? Bien sûr ! Pour moins cher ? Pourquoi pas, mais avec quelles conséquences ?

La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, a favorisé le développement des centres de santé en supprimant l’obligation d’obtention de l’agrément, qui conditionnait alors leur ouverture, et en la remplaçant par une simple déclaration de conformité.

De nombreux Français se rendaient en effet à l’étranger afin de bénéficier de soins dentaires moins onéreux, quand ils ne renonçaient pas à se faire soigner. Cette disposition visait donc à répondre à ces difficultés. Quelques années et de nombreuses victimes plus tard, nous devons revenir sur la législation applicable à ces centres.

Les dérives constatées ne concernent bien sûr pas tous les centres. Ces derniers présentent l’avantage de délivrer des soins médicaux ou paramédicaux. Ils peuvent regrouper, par exemple, des médecins généralistes, des spécialistes, des kinésithérapeutes, et offrir ainsi aux patients l’accès à plusieurs professionnels de santé au même endroit et à des conditions tarifaires abordables.

Les professionnels de santé qui exercent au sein de ces centres bénéficient pour leur part de conditions d’exercice intéressantes – salariat, équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle, congés payés, bénéfices de l’interdisciplinarité, mutualisation des investissements et des tâches administratives – susceptibles de satisfaire des aspirations nouvelles et tout à fait compréhensibles. Les dérives de quelques-uns ne doivent pas entacher l’exemplarité des autres.

Au-delà d’une réponse uniquement judiciaire, une prise en compte législative s’impose.

Prenant acte des difficultés constatées, la présente proposition de loi a pour objet de renforcer les conditions d’ouverture et les contrôles internes des centres de santé exerçant une activité dentaire ou ophtalmologique.

Ce texte prévoit donc de rétablir l’obligation d’agrément supprimée en 2009. Celui-ci ne sera de plus délivré dans un premier temps qu’à titre provisoire, l’établissement pouvant faire l’objet d’une visite de conformité, dont on peut regretter le caractère facultatif. Sa délivrance par ailleurs conditionnée à la transmission de diverses pièces telles que les contrats de travail et les diplômes des professionnels.

La proposition de loi vise également à prévenir les conflits d’intérêts, à mieux encadrer les éventuelles fermetures de centres, à instaurer un comité médical chargé de l’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins et à imposer la transmission des comptes annuels à l’ARS.

Ces mesures permettront assurément d’encadrer plus strictement l’activité de ces centres et surtout de sécuriser la prise en charge des patients. En effet, un lieu de soins ne devrait jamais exposer des patients au risque d’être volés ou mutilés.

Pour que l’objectif visé par cette proposition de loi soit atteint, il faudra toutefois que les ARS disposent des moyens nécessaires pour effectuer les contrôles ad hoc. À défaut, la portée de ce texte ne sera malheureusement que symbolique.

Au-delà des dispositions qu’elle inscrit dans notre droit, cette proposition de loi nous rappelle qu’en toute situation le manque de contrôle favorise des dérives. Elle nous rappelle aussi que l’enfer est pavé de bonnes intentions et qu’à vouloir parfois trop simplifier la réglementation pour fluidifier l’accès aux soins des patients, on les expose en réalité à d’autres risques.

Ce texte nous invite enfin à mesurer les conséquences des décisions que nous prenons et à nous assurer que les patients ne soient jamais victimes ni de charlatans ni de mauvaises décisions politiques.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe INDEP. – Mmes Brigitte Devésa et Christine Bonfanti-Dossat applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pratiques commerciales trompeuses, surfacturations, manquements à l’hygiène, opacité concernant les employés, dilution des responsabilités : après l’affaire des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) Orpea, ce terrible constat vise des centres dentaires.

Ces dernières années, des scandales sanitaires ont mis en lumière des pratiques de surprescription de soins et de fraudes à la sécurité sociale visant à réaliser d’énormes bénéfices. L’histoire de la rencontre entre le lucratif et la santé, qui affecte plus durement les plus pauvres, se joue donc encore une fois sous nos yeux.

Je rappelle qu’il existe une corrélation entre la gravité des pathologies bucco-dentaires et le statut socioéconomique et que de fortes inégalités en matière de santé bucco-dentaire demeurent.

D’après une enquête réalisée par le Centre de recherche, d’études et de documentation en économie de la santé (Credes), le pourcentage d’adultes ayant des dents manquantes non remplacées varie du simple au double selon la catégorie socioprofessionnelle – 45 % des ouvriers non qualifiés sont concernés.

L’une des causes d’une telle situation est le coût élevé des soins dentaires pour des personnes aux revenus modestes, qui ne possèdent pas toujours de complémentaire santé.

Les études sur le renoncement aux soins, notamment celle de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes), démontrent que les soins dentaires sont les premiers à être sacrifiés pour des raisons financières, juste avant les soins ophtalmologiques.

C’est pourquoi l’offre de soins de certains centres de santé dits « à bas prix » est devenue attractive pour ces publics. Tout ce qui relève du lucratif devrait être antinomique avec le modèle des centres de santé qui s’inscrit dans un projet collectif visant notamment à favoriser l’accessibilité financière aux soins de santé primaires, et souvent aux spécialistes, limitant ainsi le renoncement aux soins.

Les centres de santé demeurent des piliers de l’accès aux soins et de la lutte contre les déserts médicaux. Il n’est donc pas question de faire un amalgame avec ces pratiques délétères : la majorité de ces centres, notamment les centres mutualistes ainsi que les centres gérés par les caisses d’assurance maladie ou par les collectivités territoriales, jouent un rôle médico-social essentiel dans notre pays.

Du reste, des surfacturations sont aussi à déplorer dans le cadre de la pratique libérale.

Il s’agit donc, comme l’indiquait l’Igas en 2017 dans son rapport intitulé « Les centres de santé dentaire : propositions pour un encadrement améliorant la sécurité des soins », de « mettre en place des garde-fous législatifs et réglementaires pour prévenir une gestion à but lucratif […] des centres de santé ».

Certaines dispositions prévues par le texte semblent toutefois doublonner des dispositions légales et conventionnelles existantes.

Par ailleurs, le texte rétablit un agrément qui avait été supprimé en raison tant d’un manque de moyens humains des ARS, chargées de le délivrer, que du ralentissement du développement des centres de santé que la délivrance de ce même agrément induisait.

Dans le rapport précité, l’Igas estime « qu’il vaut mieux mobiliser les ressources humaines des pouvoirs publics sur des contrôles ciblés », car une telle mesure, « coûteuse en moyens », « n’aurait qu’un impact limité sur l’ouverture de centres s’inscrivant dans une logique lucrative ».

Les moyens humains d’inspection et de contrôle de l’État ainsi que des organismes d’assurance maladie se sont raréfiés au fil des années. Nous appelons certes à leur augmentation, mais nous partageons l’appréciation selon laquelle ils sont plus efficaces dans le cadre de contrôles inopinés, auxquels ils devraient être dévolus.

Nous regrettons par ailleurs que les maisons de santé pluridisciplinaires soient exemptées des dispositions du texte, ce qui crée une inégalité entre les différents types de structures d’exercice coordonné des soins.

Nous notons malgré tout que cette proposition de loi introduit des mesures importantes. Elle rend possible une meilleure traçabilité des actes, un renforcement des sanctions financières, la création d’un répertoire national des mesures de suspension et de fermeture ainsi que la facilitation de l’identification des professionnels.

Le texte prévoit également un renforcement du suivi des comptes des gestionnaires et des pratiques de facturation et entend lutter contre les conflits d’intérêts à l’origine des montages financiers.

Nous saluons l’adoption en commission de notre amendement qui, dans un souci de transparence, tend à rendre obligatoire la publication sur le site de l’ARS de la sanction financière prononcée à l’encontre d’un centre frauduleux.

Nous soutenons le modèle des centres de santé, dont la forme associative a parfois été détournée dans un but lucratif. Afin de contrer ces pratiques frauduleuses et malgré les réserves que j’ai formulées, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe GEST. – Mmes Michelle Meunier et Laurence Cohen applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi est particulièrement attendue et nécessaire.

Elle est attendue par nos concitoyens, qui souhaitent accéder à des soins de qualité, abordables et pratiqués dans de bonnes conditions.

Elle est aussi largement soutenue par les acteurs de la santé – je pense aux ARS, à la Cnam, à la Fédération nationale des centres de santé, aux ordres et aux syndicats des professionnels de santé ainsi qu’aux associations de victimes.

Elle est enfin nécessaire, car treize ans après le vote de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, nous avons constaté que le cadre juridique des centres de santé existants n’avait pas empêché de nombreux scandales sanitaires d’éclater en leur sein.

Certains centres de santé se sont engouffrés dans la brèche ouverte par la suppression du régime d’agrément au profit d’un régime de simple déclaration de conformité à la réglementation. Ces établissements ont tiré profit de la souplesse permise par la forme associative des centres de santé, transformant ces derniers en entreprises lucratives.

Les scandales Dentexia en 2015 et Proxidentaire en 2021 ont révélé des pratiques d’une extrême gravité pour de nombreux patients.

J’évoquais précédemment des dérives lucratives. S’y ajoutent des escroqueries aux patients et des fraudes à l’assurance maladie.

Permettez-moi de souligner, mes chers collègues, toute l’importance des soins, de leur pertinence, de leur qualité et des conditions dans lesquelles ils sont dispensés.

À titre d’exemple, le scandale Dentexia a fait pas moins de 2 400 victimes, dont 350 ont déposé plainte.

La méthode est toujours la même : des tarifs au départ très attractifs, des soignants à qui l’on demande de faire du chiffre d’affaires, des soins réalisés à la va-vite et dangereux, avec comme conséquence des victimes trop nombreuses, qui souvent se sont endettées pour des traitements dentaires mal réalisés et inachevés.

Ces dérives ne sont bien sûr pas la norme : une majorité de centres de santé, notamment les centres mutualistes, ou encore les centres municipaux, continuent de jouer un rôle majeur et remplissent parfaitement leur mission.

Pour autant, ces cas nous obligent : il convient de garantir la sécurité des patients et d’éviter que l’opprobre soit jeté sur l’ensemble d’un secteur qui protège, qui soigne et qui est au cœur de notre système de santé.

Il nous faut donc pallier les faiblesses dont ces quelques acteurs profitent à des fins lucratives. Il existait un réel besoin de légiférer sur ce sujet. Je me félicite donc que nous puissions débattre aujourd’hui de ce texte qui comporte des avancées majeures.

Je tiens d’ailleurs à saluer les parlementaires à l’initiative de cette proposition de loi, en particulier la présidente Khattabi pour son travail et pour son engagement sur ce sujet. Je profite de cette occasion pour lui adresser toute la solidarité du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants après les attaques dont elle a été victime.

Ce texte prévoit d’aller plus loin dans le contrôle des centres de santé. Permettez-moi, à ce titre, de saluer le travail du rapporteur Sol, qui a renforcé avec justesse plusieurs dispositions de cette proposition de loi.

Il était indispensable de durcir les conditions d’ouverture des centres de santé, notamment en rétablissant l’agrément préalable conditionnant la délivrance de soins. Il était également nécessaire de renforcer les conditions encadrant le refus et le retrait de l’agrément.

Le durcissement des mesures de contrôle suppose que des moyens substantiels soient consentis aux ARS pour que celles-ci puissent détecter en amont de l’ouverture d’un centre d’éventuels éléments contrevenant à la saine gestion de celui-ci.

Je me félicite par ailleurs que la délivrance de l’agrément et son maintien soient conditionnés à la transmission des diplômes et des contrats de travail tant aux ARS qu’aux ordres compétents. Il s’agit d’une avancée, au même titre que d’autres dispositifs de contrôle bienvenus introduits dans ce texte.

Cette proposition de loi répond à un problème systémique. Cette logique du profit réalisé aux dépens de la santé du patient doit cesser. Trop de victimes qui garderont des séquelles et trop de patients arnaqués sont à déplorer.

Pour éviter les dérives, pour assurer des soins de qualité, il nous faut, mes chers collègues, revenir à un encadrement plus strict. Il nous faut réguler, mais aussi mieux contrôler.

L’accès égal à des soins de qualité n’est pas négociable. C’est pourquoi le groupe RDPI soutient avec force cette proposition de loi. Ce texte est l’aboutissement d’un travail collectif visant à répondre aux attentes des Françaises et des Français en matière de santé. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Annie Le Houerou. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’émergence et le développement des centres de santé ont considérablement modifié l’accès aux soins et la pratique de la médecine de ville dans notre pays.

Ces structures sanitaires, publiques et privées, qui dispensent des soins de premier et de second recours, sont indispensables pour répondre aux besoins de soins et d’organisation des soins dans notre territoire.

Différents scandales, tels que celui de Dentexia, et plus récemment, celui de Proxidentaire, ont révélé les dérives d’ampleur constatées dans certains de ces centres.

Nous ne pouvons tolérer que des patients ne soient pas correctement pris en charge ni qu’ils soient mutilés ou encore escroqués par des charlatans qui n’ont d’autre objectif que le profit. Ces derniers n’ont pas leur place au sein de notre système de santé.

La proposition de loi visant à encadrer les centres de santé que nous examinons aujourd’hui était nécessaire. Il n’est pas acceptable, dans notre pays, au regard du système de soins qui est le nôtre, que de telles dérives puissent encore avoir lieu. Il y va de la sécurité sanitaire et de la garantie de la pérennité de notre système de sécurité sociale.

Il convient d’éviter les abus et les fraudes recensés par l’assurance maladie en luttant plus sévèrement contre l’exercice illégal de la profession, les surfacturations et autres surtraitements.

Cette proposition de loi s’ajoute à une succession de propositions de loi visant à mettre un bout de sparadrap sur un système de santé à bout de souffle, dont une remise à plat globale est aujourd’hui nécessaire.

Les soins ne sont pas des produits de consommation. Le service public doit garantir la pertinence et la qualité des soins à tout citoyen de notre pays.

Le nombre de centres de santé fonctionnant sans médecin physiquement présent est en augmentation. Dans mon département des Côtes-d’Armor, un tel centre ophtalmologique a ouvert ses portes en 2021 : sur place, aucun ophtalmologue n’est présent ; des assistants réalisent les examens et l’ophtalmologue pose le diagnostic à distance, sans entrer en contact avec le patient.

Ces pratiques, qui tirent profit de la situation de pénurie de professionnels de santé, déshumanisent progressivement notre système de santé ; la confiance entre le personnel médical et les patients se détériore. Face à ces dérives, un encadrement s’impose.

Le présent texte renforce le contrôle de ces centres en rétablissant l’agrément délivré par l’autorité administrative autorisant l’exercice de l’activité dentaire et ophtalmologique.

Par ailleurs, afin d’éviter que les gestionnaires sanctionnés sur le plan ordinal ou pénal puissent pratiquer du nomadisme en passant d’une région à une autre, le texte propose également la création d’un répertoire national des gestionnaires sanctionnés.

L’article 1er de la proposition de loi instaure l’obligation pour le gestionnaire de transmettre à l’ARS les copies des contrats de travail et les diplômes, notamment des chirurgiens-dentistes.

Enfin, le texte permet au directeur général de l’ARS de refuser à un gestionnaire l’ouverture d’un nouveau centre lorsque l’un de ceux dont il a la responsabilité fait déjà l’objet d’une procédure de suspension ou de fermeture.

Le renforcement des contrôles permettra de lutter contre les dérives et garantira à nos concitoyens la qualité des soins dispensés.

Pour être efficace, ce renforcement doit toutefois être accompagné d’une augmentation des moyens attribués aux ARS pour mener à bien leur mission de contrôle et d’instruction des dossiers. À l’heure actuelle, ces agences ne disposent pas des moyens humains ni matériels nécessaires pour le faire.

Se pose également la question du caractère lucratif de ces centres. En 2018, par voie d’ordonnance, le Gouvernement a permis aux personnes morales gestionnaires d’un établissement privé de santé à but lucratif de créer et de gérer des centres de santé. Telle n’est pas notre conception de l’organisation des soins.

Cette possibilité était jusqu’alors réservée aux seuls organismes à but non lucratif, aux collectivités territoriales, aux établissements publics ainsi qu’aux établissements publics de santé.

Cette mesure dénature les centres de santé. Elle participe de la marchandisation de la santé et organise la concurrence entre de grands groupes privés et d’autres acteurs dans le domaine de l’offre de soins.

Nous nous opposons à la financiarisation de la santé de premier recours et au développement de structures commerciales à but lucratif.

Par ailleurs, nous nous interrogeons sur le choix d’appliquer de nouvelles mesures d’encadrement aux seuls centres dentaires et ophtalmologiques, sachant que des centres psychiatriques et gynécologiques se développent également.

Afin de remédier à cette dégradation de l’offre de soins, nous avons proposé un amendement tendant à fixer un ratio d’assistants dentaires ou médicaux calculé par rapport au nombre de dentistes ou d’ophtalmologistes présents dans un centre. Ce ratio a pour objectif de garantir les conditions d’une prise en charge adéquate des patients et la qualité des soins.

Tout en s’interrogeant sur la façon d’allouer aux ARS les moyens nécessaires pour leur permettre de mener à bien leur mission de contrôle des centres de santé, les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutiendront, comme ils l’ont fait en commission, cette proposition de loi qui vise à prévenir les dérives trop souvent constatées. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le rapporteur Jean Sol pour la qualité de son travail.

Vous connaissez l’attachement du groupe communiste républicain citoyen et écologiste aux centres de santé. Ces structures constituent à nos yeux un élément essentiel de l’accès aux soins.

Ces établissements de proximité, implantés historiquement dans des villes et quartiers populaires, se sont développés ces dix dernières années dans des zones rurales. Ils dispensent des soins de qualité sans dépassement d’honoraires, avec une pratique généralisée du tiers payant. Surtout, ces structures collectives permettent un exercice médical et paramédical salarié, aujourd’hui plus attractif pour les jeunes professionnels.

À l’heure où la santé est de plus en plus considérée comme une marchandise ouvrant des perspectives de profits juteux, nous défendons vivement ces établissements.

Certains centres de santé sont pourtant ébranlés depuis quelques années par des scandales sanitaires. Il me paraît essentiel de préciser d’emblée qu’il existe deux catégories bien distinctes de centres de santé : d’un côté, les centres de santé publics, municipaux, mutualistes, associatifs, à but non lucratif, où le patient est réellement au cœur de la prise en charge ; et de l’autre, des structures qui n’ont de centre de santé que le nom, qui sont à vocation lucrative, financière, et qui ont d’autres préoccupations que le soin.

Les établissements de cette seconde catégorie, que l’on pourrait renommer « marchands d’actes », ont pu s’implanter ces dernières années en profitant des dispositions de la loi HPST et de la suppression du régime d’agrément préalable pour ouvrir de telles structures, contre l’avis des organisations syndicales et professionnelles.

Ces centres low cost, spécifiquement dentaires et ophtalmologiques, sont détenus par des holdings et font remonter leurs bénéfices dans des structures commerciales à but lucratif.

Leur nombre s’est fortement accru : selon la Cnam, la patientèle de ces centres a doublé entre 2015 et 2019, passant de 400 000 à 800 000 patients en quatre ans, alors que le coût des remboursements de leurs actes a bondi de 245 %, pour atteindre 69 millions d’euros.

Parallèlement à cet assouplissement et à cette croissance exponentielle, le nombre de contrôles a diminué du fait du manque de moyens des ARS. Ce qui était malheureusement prévisible arriva donc, avec les affaires Dentexia en 2015 et Proxidentaire en 2021.

Comment ne pas être en colère et profondément choqué de voir des patients mutilés ? De trop nombreuses victimes de ces centres low cost ne peuvent même pas recourir à des soins de qualité réparateurs, faute de reconnaissance réelle et d’indemnisation de la part des autorités. À quand un procès pénal pour dénoncer ces escroqueries qui ont ruiné la vie de ces hommes et de ces femmes ? Comment ne pas être en colère de voir que rien n’a été fait malgré les recommandations formulées par l’Igas en 2016 et en 2017 et que les dérives ont pu continuer ?

Cette proposition de loi est donc la bienvenue, mais sera-t-elle suffisante et efficace ? Nous avons quelques doutes.

Rétablir un agrément pour les centres ayant une activité dentaire ou ophtalmologique, activités pour lesquelles les dérives sont les plus fréquentes, est une bonne chose. De même, la transmission des copies des diplômes et des contrats de travail des chirurgiens-dentistes, assistants dentaires, ophtalmologistes et orthoptistes peut contribuer à plus de transparence et d’exigence.

Mais nous sommes très perplexes quant à l’efficacité de ces contrôles et de cet encadrement par les directeurs des ARS, car aucun moyen supplémentaire ne leur est accordé pour s’acquitter de ces nouvelles missions.

De même, nous regrettons que le texte, dans sa rédaction actuelle, permette aux centres déviants de poursuivre leur activité, même en cas de manquement à la qualité ou à la sécurité des soins. Il aurait fallu que l’obligation de fermeture comme les sanctions financières, dont nous saluons la réévaluation par notre rapporteur, aient un caractère automatique. En effet, le directeur d’une ARS aura toujours la possibilité de ne pas infliger d’amende. Nous aurions souhaité plus d’exigence et de fermeté sur tous ces sujets pour rendre le dispositif réellement dissuasif.

Soyons lucides, mes chers collègues, nous sommes face à des prédateurs qui ont une forte capacité à contourner la loi. Si celle-ci ne pose pas un cadre suffisamment précis, nous leur laisserons les mains quasi libres.

Nous aurions souhaité que cette proposition de loi aille plus loin et interdise aux gestionnaires ayant un but lucratif d’ouvrir des centres de santé – ce sera d’ailleurs l’objet de l’un de nos amendements. Il faut en finir avec les structures privées lucratives qui voient la carte vitale comme une carte bleue.

Cela étant, nous considérons que cette proposition de loi constitue une petite avancée et une première étape. Nous la voterons donc en souhaitant qu’il y ait une prochaine loi plus générale sur les centres de santé afin d’encourager le développement des centres vertueux et d’aider davantage les collectivités qui souhaitent avoir recours à ces structures. N’oublions pas, madame la ministre, mes chers collègues, qu’il s’agit de l’un des moyens de faire reculer les déserts médicaux. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – Mmes Patricia Schillinger et Véronique Guillotin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Olivier Henno. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord saluer l’excellent travail de M. le rapporteur Jean Sol, qui aura permis de soulever les grandes problématiques de notre système d’encadrement des centres de santé.

La révélation de scandales comme celui d’Orpea ou de certains centres dentaires et ophtalmologiques a confirmé nos inquiétudes. Aujourd’hui, le constat est simple : il y a urgence à renforcer l’encadrement de nos centres de santé pour lutter contre ces carences et ces abus. Ce constat est d’ailleurs partagé par tous les acteurs que nous avons entendus ces dernières semaines en commission.

En 2009, la suppression de l’agrément préalable et l’assouplissement du cadre juridique que permettait la forme associative ont été à l’origine du détournement du modèle des centres de santé et des dérives constatées. Le résultat est accablant, qu’il s’agisse des patients mutilés ou des multiples fraudes à l’assurance maladie. Je n’ai donc aucun doute sur le bien-fondé de cette proposition de loi.

Cependant, je veux profiter du temps qui m’est imparti dans ce débat pour aborder une question qui me tient à cœur, à savoir la perte de sens qui résulte du fait de légiférer à tour de bras sur le système de santé : un petit bout par-ci, un petit bout par-là ! Pour preuve, nous débattrons après ce texte d’une autre proposition de loi, et pas des moindres, puisqu’il s’agit de celle de Mme Stéphanie Rist sur l’amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé.

Mes chers collègues, laissez-moi faire référence à Euripide – les amateurs de théâtre ancien apprécieront – avec cette citation : « Ce n’est pas l’abondance, mais l’excellence qui est richesse. ». C’est à méditer.

Ma conviction est que la multiplication des initiatives législatives contribue davantage à « stresser » le système de santé qu’à l’améliorer – c’est souvent le cas quand ces initiatives viennent du Gouvernement et cela arrive parfois quand elles sont issues du Parlement. Nous aurions surtout besoin d’une grande loi sur la santé, ni plus ni moins.

Pour faire écho à l’exaspération légitime des soignants et des médecins, que l’on constate cet après-midi encore devant les portes du Sénat, je ferai mien le mot du président Pompidou : arrêtons dans ce pays d’« emmerder » les soignants et les médecins !

Une autre priorité est de former davantage de médecins, car tous ces problèmes résultent en bonne partie de la pénurie de personnel. Or, M. le ministre de la santé, présent dans cet hémicycle lors des discussions sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, au mois de novembre dernier, avait reconnu que, malgré le déblocage du numerus clausus, nous ne formions en France que 17 % de médecins en plus en raison du manque de professeurs de médecine ou de locaux d’enseignement.

Autant de mauvaises raisons, autant de blocages et de freins malheureusement spécifiques à notre pays qui poussent de nombreux jeunes Français à partir se former en Roumanie ou ailleurs : c’est absurde et ubuesque !

J’en viens au fond de cette proposition de loi. Je dois reconnaître avec satisfaction que nous consacrons du temps à un fléau qui touche concrètement le quotidien de plusieurs de nos concitoyens. En effet, l’ordonnance du 22 janvier 2018, prise après le scandale Dentexia, a certes précisé un peu le droit, mais elle n’a visiblement pas été suffisante.

Ce texte contient de réelles avancées : le rétablissement de l’agrément délivré par le directeur de l’ARS, l’obligation pour le gestionnaire de transmettre les contrats de travail des praticiens de l’ARS et l’obligation pour l’ARS de communiquer ces contrats de travail aux ordres.

L’article 2 prévoit d’obliger les centres à se doter d’un comité dentaire ou ophtalmologique, pour ceux qui exercent ces activités. Un tel comité serait chargé de contribuer à la politique d’amélioration de la qualité des soins et à la formation continue des salariés : c’est une bonne mesure.

Attendue par les patients, qui ont vécu de véritables traumatismes, par les chirurgiens-dentistes, dans la mesure où les excès de certains cabinets dentaires ont taché l’image d’une profession qui ne le méritait pas, et par l’assurance maladie, victime de nombreuses fraudes, cette proposition de loi doit être appliquée rapidement.

Toutefois, mes chers collègues, rappelons que les centres de santé, dans leur grande majorité, qu’ils soient communaux, mutualistes ou associatifs à but non lucratif, effectuent un travail de qualité. Les brebis galeuses n’entachent pas la probité de la totalité du troupeau.

Parlons des brebis galeuses justement, de Dentexia ou de Proxidentaire, dont le scandale a mis en lumière le fonctionnement de certains centres de santé dentaire où la qualité et la sécurité ne sont clairement pas une priorité. C’est bien la preuve qu’il est indispensable de lutter contre les centres de santé dits low cost.

Ce débat me rappelle le cours d’économie sur les effets de la surconcentration : nous sommes soumis dans le domaine de la santé et des soins à des difficultés autrefois inconnues. Cette surconcentration se caractérise par l’apparition d’acteurs financiers en recherche de rentabilité record, qui ne sert ni les patients, ni les soignants, ni l’aménagement du territoire. Cela vaut pour les maisons de retraite, pour les soins dentaires et ophtalmologiques, pour les laboratoires, voire, dans un autre domaine, pour les biotechs. C’est le mérite de cette proposition de loi que de s’attaquer à cette surconcentration.

À ce titre, je tiens à saluer deux mesures : premièrement, l’introduction d’une obligation pour le représentant légal de l’organisme gestionnaire d’informer dans les sept jours le directeur général de l’ARS, le directeur de la caisse locale d’assurance maladie et le président du conseil départemental de l’ordre compétent en cas de fermeture d’un centre de santé ou de l’une de ses antennes.

Une telle mesure apportera une réponse au problème des cartes de professionnels de santé qui continuent de circuler sans contrôle, alors que les centres de santé dans lesquels leurs détenteurs exerçaient ont fermé.

Deuxièmement, l’obligation pour les professionnels de santé salariés d’un centre de santé d’être identifiés par un numéro personnel distinct du numéro identifiant du centre où ils exercent. Une telle traçabilité est une exigence morale.

Au-delà des scandales médiatiques, le développement de ces centres à bas prix a largement participé aux abus et fraudes recensés par l’assurance maladie. Il s’agit donc aujourd’hui de lutter plus sévèrement contre cette forme d’exercice illégal de la médecine.

J’ajoute aux autres effets pervers de cette surconcentration la fermeture de certains laboratoires, ce qui transforme encore un peu plus la ruralité en désert médical. Cette question est d’autant plus préoccupante que les centres de santé, comme l’ont déjà souligné plusieurs orateurs, sont souvent fréquentés par des publics vulnérables disposant de peu de moyens.

Mes chers collègues, parce que la qualité des soins n’est pas négociable et parce que toute fraude doit être lourdement combattue, notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)