Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. Daniel Gremillet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre pays est actuellement confronté à deux questionnements majeurs pour son avenir : l’alimentation et l’énergie. Dans ces deux domaines, où la France est en difficulté, nous devons agir.

Monsieur le ministre, comme l’ont dit plusieurs collègues dont je partage le point de vue, la proposition de loi que nous examinons est bien une loi Égalim 3.

Premier point : les lois Égalim 1 et 2 ont sanctuarisé les matières premières agricoles (MPA), mais uniquement s’agissant des marques.

Le travail que nous avons réalisé au sein du groupe de suivi des États généraux de l’alimentation, auquel je participe, notamment aux côtés d’Anne-Catherine Loisier, nous le montre : l’analyse que nous avons réalisée depuis les lois Égalim 1 et 2 nous a donné un temps d’avance et nous avons ainsi pu modifier les textes ultérieurs. Notre vision était sans doute, de ce fait, plus lucide sur ce qui se passait.

Néanmoins, monsieur le ministre, ces MPA ne représentent que 50 % du marché de l’agriculture : les 50 % restants ne sont pas traités au niveau des matières premières agricoles.

Le deuxième point sur lequel je voudrais intervenir est peu évoqué ; or il est stratégique pour que les agriculteurs puissent écouler leur production, stratégique pour les Français et pour notre économie : il s’agit des matières premières industrielles (MPI), qui pourtant ne sont impliquées qu’à hauteur de 30 %, comme l’ont montré les travaux du groupe de suivi du Sénat. Dans la période inflationniste que nous connaissons et que subissent les agriculteurs comme les entreprises agroalimentaires, c’est une terrible erreur.

Nous ne mesurons pas les conséquences que cette situation entraînera directement sur la répartition des entreprises – souvent des PME – dans nos territoires.

Vous le savez, monsieur le ministre, l’inflation est telle qu’elle a des répercussions insupportables au niveau des MPI. On n’en parle pas beaucoup et personne ne s’en étonne… Pourtant, comme l’ont indiqué Laurent Duplomb et plusieurs de nos collègues dans un rapport d’information, la compétitivité et le volume de production de la ferme France diminuent.

Ne l’oublions pas, c’est grâce aux MPI que la France et les entreprises agroalimentaires innovent et font de la recherche ! Ainsi, les progrès sont considérables dans le domaine de la sécurité alimentaire. Si l’on devait fragiliser, demain, les capacités d’intervention de ces entreprises, c’est tout notre édifice agroalimentaire, si précieux pour les Français et pour notre indépendance commerciale, qui serait en difficulté.

Après les lois Égalim 1 et 2, nous aurons bientôt Égalim 3. Pour autant, les chiffres sont terribles.

Il n’y a pas eu de loi Égalim 1 ou 2 en Allemagne, en Belgique, en Pologne, aux Pays-Bas ou en Irlande… Pourtant, si l’on regarde les chiffres du secteur laitier en 2022, on constate qu’en France, les 1 000 litres de lait sont payés 471 euros. Or en Allemagne ils sont payés 120 euros de plus, en Irlande 210 euros de plus, en Pologne 100 euros de plus que chez nous ! Malgré tous les textes que nous votons, nous sommes les avant-derniers de la classe pour le niveau de rémunération des produits laitiers en Europe. Cela doit nous interpeller ! La situation de notre économie agroalimentaire est dramatique…

Nous vous l’avons dit, monsieur le ministre, avec ce système, nous avons toujours un temps de retard, puisque les indicateurs se rapportent à la situation antérieure. Or le passé, c’est le passé ! Dans un système inflationniste, automatiquement, on court toujours derrière…

Lorsque nous serons – je l’espère – de nouveau dans un système déflationniste, pour qu’Égalim fonctionne bien, il ne faudra pas que les prix baissent lorsque les indicateurs baisseront.

Troisième point : je souhaite remercier notre rapporteure, qui a eu le courage de mentionner les marques de distributeurs. Il n’y a aucune raison pour que, dans la ferme France, les produits alimentaires ne soient pas considérés d’une manière globale. Il est donc nécessaire de sanctuariser les matières premières agricoles à ce niveau.

Je l’ai dit à votre prédécesseur, monsieur le ministre, pour améliorer le revenu des agriculteurs, il faut considérer la colonne « recettes » et la colonne « dépenses ». Aujourd’hui, nous ne sommes pas du tout à la manœuvre et nous continuons d’empiler les contraintes environnementales ; j’en veux pour preuve la situation de calamités agricoles de 2022, qui a fortement fragilisé notre économie.

Sur le SRP+10, là encore, madame la rapporteure, vous avez réussi à poser le débat. Notre groupe de suivi avait démontré que ce relèvement ne bénéficiait ni aux consommateurs ni aux producteurs. Merci d’avoir eu le courage, au travers d’un amendement, de remettre l’église au milieu du village !

Mon groupe votera ce texte, amélioré par des amendements de fond qui apporteront des réponses. Nous sommes impatients de voir comment se passera la commission mixte paritaire… (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Franck Menonville. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « compléter et corriger la loi Égalim est une nécessité ». C’est par ces mots que, le 14 octobre 2021, je commençais mon intervention, lorsque nous examinions la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs.

En 2020, déjà, j’évoquais les espoirs suscités par l’adoption d’Égalim, et les attentes déçues. Le groupe de suivi de cette loi, présidé par notre collègue Daniel Gremillet, a invité à en réviser le texte. La loi Égalim 2 a été largement enrichie au Sénat, notamment par l’extension de la non-négociabilité des matières premières agricoles, l’encadrement des marques et sous-marques distributeur ou la simplification des dispositifs d’affichage.

Aujourd’hui, nous sommes amenés, une nouvelle fois, à compléter ce texte. Notre objectif reste le même : garantir efficacement une juste répartition de la valeur et une juste rémunération de nos agriculteurs.

Force est de constater, en effet, que le déséquilibre est exacerbé lors des négociations annuelles. Il est particulièrement accentué cette année par la crise énergétique et la pression inflationniste. La guerre des prix menée depuis de nombreuses années a contribué à la destruction de valeur et d’emplois, en une spirale destructrice que vous avez évoquée dans vos propos liminaires, monsieur le ministre.

Nous ne devons pas ignorer non plus la pression importante qui s’exerce sur nos filières de transformation et sur les industries agroalimentaires. L’avenir et la compétitivité de notre agriculture, ainsi que sa place sur les marchés français et à l’export, dépendent aussi de notre industrie agroalimentaire, qui doit être performante et capable d’investir.

Nous nous félicitons de ce que le Sénat débatte de cette proposition de loi, relativement technique, et je salue à cet égard le travail de notre rapporteure.

L’article 2, relatif à l’expérimentation du seuil de revente à perte, est central. Il a suscité beaucoup de réflexion et de débats, puisqu’il s’agissait de reconduire cette expérimentation. Nous devons nous assurer que le dispositif fonctionne correctement pour l’ensemble des maillons de la chaîne, de la production à la transformation et, bien évidemment, à la distribution. Actuellement, le doute existe. C’est pourquoi nous avons soutenu les amendements qui visaient à reconduire ce SRP+10 et à y apporter des correctifs, notamment en demandant chaque année aux distributeurs un compte rendu détaillé, à remettre au ministre et aux commissions des affaires économiques du Parlement, concernant le partage et la valorisation de ce SRP.

Notre groupe a toujours défendu le partage de la valeur pour tendre vers une relation commerciale équilibrée, gagnant-gagnant. Avec la pression inflationniste actuelle, l’exercice n’est évidemment pas simple.

Enfin, j’aimerais évoquer la question des pénalités logistiques. Celles-ci ont fait l’objet de riches débats en commission. Elles sont certes nécessaires pour garantir la réparation de certains préjudices, mais elles doivent être encadrées et limitées pour éviter les abus et les dérives. Ce texte les encadre donc davantage. Elles ne sont néanmoins pas adaptées à toutes les filières. C’est pourquoi j’ai déposé plusieurs amendements en commission, dont je me réjouis qu’ils aient été adoptés, pour exclure la filière des grossistes de l’application de ces règles, qui n’étaient pas adaptées à leurs spécificités.

Malgré l’adoption de textes successifs, les déséquilibres structurels demeurent forts, avec une distribution puissante et très concentrée. C’est pourquoi je pense qu’une vraie loi de régulation économique, apportant des correctifs à la loi de modernisation de l’économie, est toujours nécessaire.

D’autres leviers doivent aussi être mobilisés pour soutenir notre agriculture et ses filières. Je pense notamment au projet de loi d’orientation et d’avenir de l’agriculture que vous préparez, monsieur le ministre, ainsi qu’à la proposition de loi de MM. Duplomb, Mérillou et Louault, qui vise à rétablir par des méthodes de choc la compétitivité de la ferme France en reprenant les grandes préconisations de leur rapport sur ce sujet.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà de nouveau réunis pour discuter de l’encadrement et de l’équité des relations commerciales dans le secteur alimentaire.

Ce texte, qu’on appelle Égalim 3, montre qu’il est difficile de rééquilibrer les relations commerciales sans faire appel à des mesures structurantes. Dans un contexte de concurrence internationale, poussant au moins-disant social, environnemental et sanitaire, et de domination du marché par la grande distribution, les contournements et effets de bord des lois Égalim 1 et Égalim 2 sont nombreux. Et le secret des affaires rend plus complexe encore l’évaluation de l’efficacité de ces textes.

Il est plus que nécessaire de mettre en place des mesures structurantes pour rééquilibrer les rapports de force. Cela commence, nous le répétons, par le renoncement aux accords de libre-échange. La France doit aussi se battre activement pour la mise en place de clauses miroirs et pour un meilleur contrôle des produits importés ne respectant pas nos normes. Nous sommes aussi convaincus qu’il est nécessaire de mettre en place au plus vite des mécanismes de régulation des marchés, et notamment des volumes au niveau européen.

Alors que certaines enseignes semblent estimer que la pression sur les prix payés aux producteurs et fournisseurs est le moyen à privilégier pour garantir aux consommateurs un accès aux produits alimentaires, nous pensons au contraire qu’il convient de mener un travail structurel, je le répète, pour redonner leur valeur aux produits alimentaires et garantir un droit à l’alimentation, avec en perspective la mise en place d’une sécurité sociale de l’alimentation.

Un outil supplémentaire serait la rémunération des services écosystémiques rendus par les systèmes agricoles locaux et durables, qui permettrait d’améliorer le revenu des producteurs et rendrait plus accessibles à tous les produits de qualité.

Enfin, nous devons travailler à la relocalisation de l’alimentation par le soutien à la construction de filières locales et à la restauration collective.

Tous ces éléments sortent du périmètre du texte que nous examinons aujourd’hui. Mais nous proposerons par amendement une mesure structurante, l’impossibilité pour un contrat entre agriculteur et acheteur de fixer un prix inférieur aux coûts de production, seule garantie pour un revenu paysan digne de ce nom.

Si les solutions proposées par ce texte sont insuffisantes, nous considérons qu’elles permettent certaines avancées. Il est effectivement utile d’agir sur les pénalités logistiques, sur le contournement de la loi par des centrales d’achat à l’étranger, de tenter d’améliorer l’équité des relations entre fournisseurs et distributeurs et de viser à la sanctuarisation du coût des matières premières agricoles, en particulier pour les marques de distributeur.

Sur le seuil de revente à perte, nous nous réjouissons qu’un compromis soit en vue, mais nous attendons beaucoup de l’évaluation de ses effets sur les marques de distributeurs. Il n’est pas normal que le ruissellement ne soit pas effectif.

Même si nous ne croyons pas que ce texte apporte véritablement des solutions durables pour plus d’équité, notre vote sera favorable, en attendant de pouvoir véritablement travailler sur la réorientation de notre agriculture vers plus de durabilité et de justice.

À propos de nouvelle loi agricole, je me souviens de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, à l’époque où le ministre était Stéphane Le Foll. Voilà un texte qui avait vraiment donné des orientations ! Nous devrions nous en inspirer et nous appuyer sur les conclusions des États généraux de l’alimentation, qui ont été évoqués par un orateur précédent. C’est ainsi, monsieur le ministre, que nous pourrons véritablement avancer. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Sebastien Pla. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Sebastien Pla. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons prétend apporter des réponses à l’industrie agroalimentaire contre les pratiques de la grande distribution, et plus particulièrement de la poignée de grands acheteurs qui se partagent actuellement le marché.

En somme, nous assistons à un combat de géants contre des titans de l’alimentation – fournisseurs contre distributeurs – avec une concurrence féroce entre distributeurs, dont l’argument maître demeure l’accès aux prix les plus bas, et des fournisseurs qui se plaignent de l’explosion des coûts de l’énergie, des emballages, du transport, et de la matière première agricole. Ne soyons pas dupes, ce combat les conduit à bâtir leurs propres marges sur le dos des consommateurs et des agriculteurs : d’un bout à l’autre de la chaîne alimentaire, tous ces intermédiaires font un maximum de profits !

L’organisation de pénuries de produits alimentaires dans un but spéculatif a pourtant bien été pointée, ici même, par notre commission des affaires économiques, qui a d’ailleurs réintroduit le mécanisme de relèvement du SRP pour éviter de replonger nos exploitants dans une nouvelle guerre des prix. Quelle sage décision de la majorité sénatoriale ! Celle-ci jurait pourtant, la semaine dernière encore en commission, que cette disposition était inutile et inefficace. Parfois, des miracles se produisent… surtout à l’approche du salon de l’agriculture ! Cela dit, le groupe socialiste avait prévu de défendre un amendement visant à réintroduire le SRP+10 et à maintenir l’exclusion de la filière des fruits et légumes de ce dispositif, réclamée par la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs.

Au fond, sous prétexte d’arbitrer la bagarre entre distributeurs et fournisseurs, ce texte fait encore l’impasse sur les revenus des paysans. On prétend faussement qu’il s’agit d’une loi Égalim 3, mais ceux qui sont en amont de la chaîne alimentaire ne ressentent toujours pas le « ruissellement » espéré.

Dans un contexte chahuté par les aléas climatiques, la grippe aviaire, la guerre en Ukraine, la pénurie d’intrants et de matière de conditionnement, la production agricole française a certes progressé, selon l’Insee, de 17 % en valeur l’année dernière, mais, derrière cette hausse, se cache surtout l’envolée du coût de l’énergie et des matières premières, qui pèse sur nos exploitants, et non la hausse de la production agricole, limitée en volume, puisqu’elle ne fut que de 0,8 %.

L’agriculture française croule sous les chocs successifs, et demeure victime d’un rapport de force totalement inégal face aux mastodontes de l’agroalimentaire et de la grande distribution. Et le Gouvernement, qui soutient ce texte, d’annoncer, en même temps – enfin ! – une grande loi agricole pour le printemps…

La sécurité des approvisionnements de certains produits, qui manquent déjà dans les rayons des grandes surfaces, n’est pas près de se rétablir. Prenons garde, donc, à ce que cette loi ne permette pas aux industriels de l’agroalimentaire la répercussion de hausses qui pourraient avoisiner 20 %. Favoriser des hausses de prix pour gonfler la marge d’entreprises multinationales qui ne fabriquent pas en France, et qui iront verser des dividendes ailleurs, est inconcevable. Je doute que cette proposition de loi améliore notre souveraineté alimentaire, ni même qu’elle favorise la compétitivité de la ferme France.

Alors que l’insécurité alimentaire gagne du terrain, que les ménages font face à une nouvelle poussée de l’inflation et, bientôt, à une nouvelle hausse des prix de l’énergie, que leur budget alimentaire est de plus en plus contraint, nous observons une descente en gamme dans le choix des produits. Nous espérions, à l’inverse, que vous exigeriez des grands industriels comme des distributeurs qu’ils compriment les hausses de prix et les amortissent afin de protéger le pouvoir d’achat des Français.

Monsieur le ministre, après Égalim 1 et 2, après cette fausse annonce d’une loi Égalim 3, vous pourriez proposer cinquante nouvelles versions d’Égalim sans que les paysans voient leurs revenus progresser ni que les consommateurs puissent accéder à des produits de qualité à des prix raisonnables. C’est un problème de méthode. Nous avons besoin d’une grande loi d’orientation agricole plutôt que de petits textes épars, comme le rappelait notre collègue Henri Cabanel.

Ce n’est pas l’industrie agroalimentaire qui souffre, pas plus que la grande distribution, mais c’est bien la ferme France, comme le signale bien le rapport d’information de MM. Duplomb, Louault et Mérillou. Celle-ci est en danger face aux crises successives et, avec elle, c’est la capacité de notre nation à rémunérer dignement ceux qui la nourrissent qui est en péril. Cessons de brader les intérêts des consommateurs ! La hausse des prix à laquelle ils feront face demain nous donnera, hélas ! raison, et n’aura d’autre intérêt que de faire la part belle à la malbouffe. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Duplomb. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Égalim 1, 2, 3… On peut sans doute aller jusqu’à l’infini ! Le but était d’améliorer les revenus des agriculteurs, mais Daniel Gremillet a bien montré que tel n’a pas été le cas ces dernières années.

Je vous propose de faire un peu d’Histoire, sans se raconter d’histoires. La loi Égalim 1 était composée de deux titres. Le premier visait à améliorer les relations commerciales, en créant un SRP+10 et en encadrant les promotions excessives sur les produits agricoles, pour créer un ruissellement qui devait améliorer le revenu des agriculteurs. Le second a suscité quelque 2 500 amendements à l’Assemblée nationale, où il n’était question que de vilipender l’agriculture française et de lui fixer des conditions d’exercice défavorables. Pour rappel, c’est ce second titre qui a supprimé les remises, rabais et ristournes et rendu obligatoire la séparation du conseil et de la vente – problème que personne ne sait gérer, d’ailleurs, et sur lequel nous avons fait d’autres propositions.

Il est donc évident que la cible – améliorer les revenus des agriculteurs – a été manquée. Le résultat est un discours incitant à la montée en gamme, oubliant qu’il y a des Français qui souhaitent manger des produits français, mais qui n’ont pas les moyens d’acheter des produits Hermès ! Il faut donc des produits d’entrée et de milieu de gamme. S’en tenir à la montée en gamme, c’est avouer un échec sur le plan de la compétitivité et mettre tous nos problèmes sous le tapis. C’est aussi s’en remettre, pour les autres segments, à l’importation de produits qui, pour certains, ne respectent pas nos normes, comme nous l’avons souligné dans notre rapport de 2019.

Un deuxième problème est le message que véhiculait Égalim 1, selon lequel l’agriculture française ne serait pas saine ni durable. Ce message est complètement erroné. L’agriculture française est saine et durable : 25 000 morts d’intoxications alimentaires en 1950, 250 aujourd’hui. Notre agriculture est admirée dans le monde entier pour son respect du territoire, des produits, et pour la culture gastronomique française qu’elle représente.

Certes, Égalim 2 valait un peu mieux – peut-être parce que le ministre de l’époque était un peu meilleur… On y trouvait la contractualisation, la non-négociabilité des matières premières agricoles et, enfin, des pénalités logistiques. Or, pour améliorer les relations commerciales, il faut les rendre plus saines en supprimant les écarts et les pratiques quasi mafieuses. Justement, les pénalités logistiques s’appliquent d’une façon totalement arbitraire. C’est le pot de fer contre le pot de terre ! Par exemple, s’il y a 15 000 euros de dégâts, on peut appliquer une pénalité de 150 000 euros, ce qui est disproportionné et totalement inadmissible.

Et voilà enfin un petit article, reprenant l’une de mes propositions, et visant à expérimenter la sortie du SRP. Il y a longtemps que les producteurs de fruits et légumes frais demandaient cette sortie, car ce SRP les pénalisait, à l’inverse des autres secteurs.

Nous en arrivons à Égalim 3, qui reprend des éléments sur lesquels nous alertons la Macronie depuis longtemps, sans grand succès, et qui nous offre la possibilité de régler quelques petits problèmes.

Il y est question des plateformes européennes. Combien de fois avons-nous répété, lors de l’examen d’Égalim 1, que le problème se déporterait ? Dans la grande distribution, chassez le naturel, il revient au galop ! Le principe, depuis des années, y est de contourner toutes les règles que nous fixons pour continuer à faire ses affaires… Il fallait arrêter cela. Nous aurions pu le faire dès Égalim 1. Dommage que nous ayons dû attendre Égalim 3.

Deuxième point : cette loi Égalim 3 va enfin sortir les fruits et légumes du SRP+10. Oui, monsieur Pla, nous avons soutenu en commission la sortie totale du SRP, parce que les 600 millions d’euros qui sont donnés à la grande distribution ne servent pas au ruissellement. Les rapporteurs ont suivi la question pendant quatre ans et ont établi clairement les faits. Certes, nous revenons sur cette position, c’est un compromis. Au moins a-t-il le mérite de montrer que, ces 600 millions d’euros, il faudra aller les chercher. Le SRP+10 faisait perdre 93 millions d’euros par an à la filière des fruits et légumes. Il fallait donc en sortir.

Nous devons nous pencher de nouveau sur les pénalités logistiques, parce que, contrairement à ce que certains disent, elles n’ont pas disparu. Certains les ont diminuées, comme Auchan ou Casino. D’autres les ont augmentées, comme Leclerc et Carrefour. Il faut les arrêter, et continuer à réprimer ces pratiques.

Il faut aussi, monsieur le ministre, accepter la non-négociabilité des matières premières agricoles dans les marques de distributeurs.

Pour terminer, monsieur le ministre, je vous fais une proposition pour l’avenir. N’oublions pas que le mal endémique de notre pays, toutes catégories confondues, et en particulier pour l’agriculture, c’est la perte de notre compétitivité. Avec Serge Mérillou et Pierre Louault, je viens de déposer une proposition de loi de 26 articles pour détendre le normatif qui tue l’agriculture française. Il s’agit d’arrêter les surtranspositions, d’améliorer le cadre fiscal pour favoriser l’investissement et d’encourager l’innovation au service de la productivité, pour faire qu’enfin les agriculteurs aient confiance et qu’enfin les Français soient fiers de leur agriculture, la dessinent, le disent et l’achètent. C’est comme cela que nous retrouverons notre souveraineté alimentaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre. Madame la rapporteure, vous avez bien rappelé les évolutions apportées au texte par la commission, notamment sur le SRP.

Sur les produits DPH, la position adoptée par le Gouvernement s’explique par le fait que 95 % d’entre eux sont fabriqués par des entreprises multinationales, pour lesquelles la marge n’est pas le sujet principal – contrairement aux PME ou aux ETI – et qui n’ont pas de problèmes particuliers dans le rapport de force, y compris avec la grande distribution.

Monsieur le sénateur Lemoyne, vous avez aussi évoqué les produits DPH et le SRP, et je vous en donne acte.

Monsieur le sénateur Mérillou, vous avez dit que ce texte se résumait à une goutte d’eau. Je ne crois pas que ce soit le cas. Nous devons être modestes sur les questions de rémunération, car cela fait très longtemps que le problème est sur la table – plusieurs quinquennats, au moins. Nous essayons de progresser au fur et à mesure, face à des pratiques nouvelles qui tentent de contourner les dispositions législatives. Nous avons donc besoin d’adaptations. Plusieurs sénateurs ont parlé de ruissellement, mais nous suivons une philosophie inverse : nous partons du coût de la matière première agricole pour construire le prix.

Monsieur le sénateur Gay, c’est bien l’honneur et le rôle des responsables politiques que nous sommes que d’essayer de conjuguer des intérêts qui paraissent irréconciliables. Nous avons besoin de trouver un équilibre entre la rémunération des producteurs, la protection des consommateurs contre l’inflation et les nécessités mises en avant par l’industrie agroalimentaire et la grande distribution. C’est bel et bien une question d’équilibre, plus que d’intérêts irréconciliables, à trouver au sein de rapports de force qui se sont construits au fil des années. Vous avez évoqué aussi la question de l’évaluation de la loi, mais nous aurons l’occasion d’en reparler.

Je précise que nous n’avons jamais parlé de loi Égalim 3. Il ne s’agit que d’adaptations de la loi Égalim 2, prenant en compte les difficultés constatées. L’ambition reste de rééquilibrer les rapports de force. Nous respectons la philosophie de la loi Égalim 1, si l’on songe à son titre Ier : il s’agit de construire le prix à partir de celui de la matière première agricole. Ce texte est l’occasion d’approfondir un certain nombre de sujets, tels que les pénalités logistiques et les problèmes liés au contournement de la loi, mais en restant dans la même philosophie.

L’un des intervenants a dit qu’il pourrait y avoir cinquante textes sur le sujet. Là n’est pas la question ! Des textes sont proposés, qu’ils soient d’initiative parlementaire ou gouvernementale pour tenir compte des évaluations effectuées : on ne peut pas refuser d’en tirer les conséquences. Ce sujet étant complexe, il est politiquement juste de tenir compte des évaluations. Si quelqu’un avait la solution, cela se saurait ! La question des relations commerciales est compliquée, et je ne pense pas qu’il y ait une mauvaise volonté à ce sujet. Nous essayons donc modestement, mais avec détermination, d’ajuster les dispositifs. C’est un travail continu.

Je partage une partie de ce qu’a dit le sénateur Duplomb sur le titre II de la loi Égalim 1. Sur le titre Ier, il a été fondateur de poser la question de la rémunération des producteurs de matières premières agricoles d’une manière nouvelle. Il est fascinant de voir que c’est sur l’alimentaire que nous avons accepté depuis des décennies de dire : « Pour un paquet de pâtes, vous en avez deux ». Comme si c’était normal ! Pour quel autre produit voit-on de telles réclames ?

Nous avons collectivement construit l’idée qu’on peut brader l’alimentaire. Les lois Égalim 1 et 2 essaient de corriger cela, tout comme la présente proposition de loi qui apporte des ajustements. Certains pourraient nous reprocher de ne pas vouloir lutter contre l’inflation, mais là n’est pas la question : le prix doit permettre la juste rémunération des agriculteurs. On entend parfois à la télévision des représentants de certaines enseignes se targuer d’être au service des consommateurs.

Être au service des consommateurs, c’est aussi être au service d’une juste rémunération des producteurs. Car, à la fin, l’intérêt des consommateurs est que l’on continue, en France, à avoir une production agricole. C’était l’un des objectifs de la loi Égalim.

Ne versons pas – d’ailleurs, vous ne le faites pas aujourd’hui – dans l’opposition systématique entre rémunération et inflation : non, la rémunération ne produit pas nécessairement de l’inflation. Il se trouve que nous vivons un moment particulier et difficile, lié à la crise en Ukraine.

Nous devrions nous interroger collectivement sur le fait que, depuis le début, les seuls opposants au SRP+10, comme à la loi Égalim d’ailleurs, ce ne sont ni les producteurs ni les transformateurs, mais ce sont ceux qui se situent à l’étage du dessus…

Ces gens servant leurs intérêts – on peut les comprendre –, nous pouvons en déduire que ces évolutions ne vont pas dans le sens qu’ils souhaitent. Sur ce sujet, écoutons les producteurs et les transformateurs.

Monsieur le sénateur Cabanel, je redis clairement que le Gouvernement n’a pas l’intention de faire de ce texte une loi Égalim 3.

Ce n’est pas un sparadrap : c’est une étape, qui en appelle d’autres. Au travers de ce texte, je ne prétends pas résoudre tous les problèmes de l’agriculture française – vous avez raison sur ce point –, mais la question de la rémunération itérée est importante. C’est un des éléments qui permettra, en plus d’une vision globale, de retrouver des marges dans l’agriculture pour pouvoir investir.

Vous avez parlé d’un dialogue de raison et de conscience entre les industries agroalimentaires. Je ne saurais que trop vous dire que j’appelle ce dialogue de mes vœux. Il est de l’intérêt de tous que la rémunération soit juste. C’est évidemment l’intérêt des producteurs ; c’est aussi l’intérêt des transformateurs et des distributeurs.

La loi Égalim se justifie dans la mesure où certains opérateurs pensent – pour reprendre les termes utilisés par M. Gay, me semble-t-il – que, dans une négociation, le seul objectif doit être d’écraser l’autre.

Il ne peut en être ainsi. Certes, chacun essaie de tirer le meilleur parti de la négociation, mais l’objectif est que chacun assure la continuité de la chaîne alimentaire, qui est essentielle.

Ce n’est pas une utopie. Pour assister toutes les deux semaines à des réunions commerciales, je peux vous dire que les distributeurs sont bien obligés de constater la pénurie de certains produits. Cela ne concerne pas uniquement les très grands groupes.

Qu’il s’agisse de lait ou de viande, on trouve des producteurs qui refusent désormais de fournir les distributeurs aux tarifs qui sont proposés. Telle est la difficulté que l’on peut rencontrer.

Monsieur Gremillet, vous avez raison : la MPI est un des sujets que nous devrons traiter. Les rapports qui ont été produits récemment, notamment par les ministères de l’agriculture et de l’économie, montrent que nous avons des éléments de fragilité en matière d’industries agroalimentaires.

Il est vrai que ces dernières ne dégagent pas assez de marge. Nous avons pourtant besoin qu’elles se modernisent et effectuent les grandes transitions, en particulier celle de la décarbonation. Nous y travaillons avec nos collègues de Bercy et recherchons des solutions sur ce volet, qui n’a sans doute pas été assez exploré jusqu’à présent.

Permettez-moi de dire un mot sur le lait, un secteur auquel vous êtes très attaché et que vous connaissez bien.

Ce que vous avez dit est exact sur l’année 2022, mais désormais les prix baissent en Allemagne et montent en France. Le problème, c’est que nous étions désynchronisés. (M. Daniel Gremillet sexclame.)

Monsieur le sénateur, en Allemagne, les prix ont déjà baissé de 30 à 70 euros par rapport aux chiffres que vous avancez, tandis qu’en France, on prend plutôt le chemin inverse. Je n’en tire aucune satisfaction ; je dis simplement que la situation est légèrement plus compliquée qu’il n’y paraît.

Dans le secteur laitier, vous le savez très bien – je ne veux vilipender personne –, certains opérateurs ont tardé à procéder aux hausses de prix qui étaient attendues par les autres. Dans ce jeu où les opérateurs sont peu nombreux, tous n’ont pas bougé au rythme qui aurait été souhaitable.

De notre côté, nous avons fait en sorte qu’un certain nombre d’opérateurs agissent et soient à la hauteur de la rémunération. Il reste qu’un décalage demeure.

Enfin, dernier point, et ce n’est pas pour m’en vanter – je ne suis pas à l’origine des lois Égalim 1 et Égalim 2, même si j’y ai participé –, je suis frappé par le nombre de collègues européens et internationaux, y compris mon homologue canadienne, qui manifestent leur intérêt pour cette législation et me demandent des informations à ce sujet.

Ce dispositif ne doit donc pas être si dissonant avec les nécessités du moment…