M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a toujours eu en France deux grandes familles politiques : les cigales et les fourmis. (Sourires.)

Les cigales promettent aux Français des droits, sans savoir si la Nation pourra les financer.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Heureusement, sinon il n’y aurait jamais eu de progrès social !

M. Emmanuel Capus. Les fourmis ne promettent rien que la Nation ne saurait financer. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SER.) Je n’ai pas encore dit qui était cigale et qui était fourmi, mes chers collègues !

Au début des années 1980, la France des cigales s’est offert, à crédit, la retraite à 60 ans. Cette décision était un contresens historique majeur. À l’époque, tout prouvait déjà qu’il faudrait travailler plus pour équilibrer notre système de retraite.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cela fait 30 ans qu’on nous dit cela !

Mme Monique Lubin. C’est sûr que c’était mieux quand on travaillait à 14 ans…

M. Emmanuel Capus. Le taux de natalité avait déjà commencé à s’effondrer et le taux de mortalité diminuait lentement ; la population vivait donc plus longtemps et se renouvelait moins vite. L’espérance de vie continuait de progresser. Depuis le début des années 1980, le temps passé à la retraite n’a jamais cessé d’augmenter. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme Raymonde Poncet Monge. Il a perdu un an !

M. Emmanuel Capus. Parallèlement, les Français entraient de plus en plus tard sur le marché du travail. Voilà le résultat de l’obsession du bac pour tous et du dénigrement consciencieux de l’apprentissage.

M. Fabien Gay. Par qui ?

M. Emmanuel Capus. Mécaniquement, la proportion de retraités par rapport aux actifs a donc augmenté. En 1960, on comptait 4 actifs pour 1 retraité ; au début des années 1980, le rapport s’établissait à moins de 3 actifs pour 1 retraité ; actuellement, ce ratio est de 1,7 actif pour 1 retraité. En 2050, ce sera 1,2 actif pour 1 retraité.

« Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités », disait le général de Gaulle. La politique du président Mitterrand fut à l’exact opposé de cette doctrine : ignorer la réalité par calcul électoral.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il a été élu !

M. Emmanuel Capus. Depuis lors, tous les gouvernements ont dû rattraper le coup. La droite l’a fait en 2010, en décalant l’âge légal de départ par la réforme Woerth. La gauche l’a fait en 2014, en augmentant la durée de cotisation par la réforme Touraine.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Et elle a été battue !

M. Emmanuel Capus. On le voit, le clivage politique entre les cigales et les fourmis ne correspond pas exactement au clivage gauche-droite ! (Exclamations amusées sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

M. Emmanuel Capus. On trouve des fourmis à gauche et on trouve des cigales à droite et à l’extrême droite. Elles sont même légion au Rassemblement national. C’est un comble qui ne manque pas de saveur : les troupes de Mme Le Pen militent désormais pour revenir à l’ère Mitterrand !

Les fourmis, elles, ont compris que l’équilibre financier de notre système de retraite par répartition est gravement compromis et qu’il faut agir pour le sauver. (M. Fabien Gay le conteste vivement.)

Mme Monique Lubin. Et qui se fait manger à la fin ?

M. Emmanuel Capus. Mais sur ce point-là encore, il existe deux types de fourmis. (Marques dironie sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Il y a les fourmis que je qualifierai de fourmis rouges, qui pensent qu’il faut taxer davantage pour équilibrer le système. Elles oublient au passage que nous sommes déjà médaillés aux championnats du monde des prélèvements obligatoires ! (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

M. Fabien Gay. Et les 100 milliards d’euros de bénéfices des entreprises du CAC 40 ?

M. Emmanuel Capus. Et puis il y a les autres fourmis, celles qui considèrent que la solution passe par une augmentation du temps de travail. Il semble qu’on en trouve plus à l’étranger qu’en France : les Pays-Bas, l’Italie, l’Allemagne ou encore l’Espagne ont déjà décidé de repousser l’âge légal de départ à 67 ans.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Les Français seraient les seuls à être bêtes !

M. Emmanuel Capus. Confrontés aux mêmes tendances sociétales que nous, ces pays se sont simplement rendus à l’évidence : il faut travailler plus pour équilibrer les comptes. Le report de l’âge légal à 64 ans est une mesure raisonnable, je dirais même une mesure de bon sens. Nous l’avons d’ailleurs déjà voté ici plusieurs fois.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Macroniste ! (Rires.)

M. Emmanuel Capus. Nous n’ouvrirons pas le débat sur un report au-delà de 64 ans. Ce débat est pourtant légitime et nous devrions l’avoir, mais j’ai bien compris que le contexte politique et social ne s’y prêtait guère.

J’en profite, messieurs les ministres, pour saluer votre patience et votre résistance. (Exclamations narquoises sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.) Vous avez survécu à plus de deux semaines de cacophonie et de vociférations à l’Assemblée nationale – bravo !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Futur ministre ! (Sourires.)

M. Emmanuel Capus. Jusqu’à présent, certains s’interrogeaient sur l’utilité du Sénat. Avec le cirque des insoumis et le mutisme des lepénistes, beaucoup de Français se demandent désormais à quoi sert l’Assemblée nationale…

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ils sont plus nombreux encore à penser que le Gouvernement fait mal !

M. Emmanuel Capus. J’espère, mes chers collègues, que nous ne donnerons pas un tel spectacle au Sénat.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il faut relever le niveau !

M. Emmanuel Capus. Du reste, il n’est pas possible de faire pire…

Notre groupe, vous l’aurez compris, soutiendra ce texte sans ambiguïté, et nous serons force de proposition pour l’améliorer. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et du RDSE. – Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

M. Fabien Gay. Il va falloir faire mieux que cela !

M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Martin Lévrier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour une société juste et équilibrée, la solidarité est un bien précieux. Elle est le ciment des liens sociaux et participe à la confiance entre les générations. Elle est tout simplement le cœur de notre cohésion sociale.

Notre système de retraite par répartition, que bon nombre de pays nous envient, repose sur la solidarité intergénérationnelle. Assurer son équilibre est non pas un simple objectif, mais la condition même de sa pérennité.

Sans réforme, le système sera déficitaire dès 2023, pour ne jamais revenir à l’équilibre. Sans réforme, le déficit atteindra 12,4 milliards d’euros en 2027, 13,5 milliards d’euros en 2030 et 21,2 milliards d’euros en 2035. Ainsi, les déficits accumulés dans les dix prochaines années approcheraient les 150 milliards d’euros.

Il existe à cela une raison factuelle : pour un pensionné, on comptait 4 cotisants en 1960, 2 en 2000, et on n’en compte désormais plus que 1,7. Il n’y aura plus que 1,5 cotisant pour 1 retraité en 2040. Le constat est simple et sans équivoque.

Qui, ici, accepterait de baisser les pensions ? Qui, ici, oserait laisser aux générations futures ce bijou qu’est notre système de solidarité intergénérationnelle avec un déficit colossal ? Qui, ici, accepterait d’augmenter les cotisations des actifs au détriment du pouvoir d’achat ?

Ce texte, en permettant d’économiser 18 milliards d’euros à l’horizon 2030, donnera aux générations futures un cadre clair et rassurant.

Ce PLFRSS aurait pu se limiter à une recherche d’équilibre – c’est l’objet des amendements que le groupe Les Républicains dépose depuis quatre ans –, mais nous nous devions de résorber les inégalités, connues de longue date et restées pendantes, qui pénalisent les plus démunis.

Pour assurer l’équilibre de notre système, le projet de loi reporte de 62 à 64 ans l’âge légal de départ à la retraite. À partir du 1er septembre 2023, cet âge sera progressivement relevé par tranches de trois mois pour les générations nées après le 1er septembre 1961. L’âge d’ouverture à la retraite sera porté à 63 ans et 3 mois en 2027, pour atteindre 64 ans en 2030.

Dans le même temps, le projet de loi procède, sans toucher à l’âge de la décote, à une accélération de la réforme Touraine, qui – dois-je le rappeler ? – a été engagée sous une présidence socialiste.

Ainsi, une fois l’équilibre du système assuré, cette réforme ambitionne de le rendre plus juste. Il importe donc au Sénat, dont nous connaissons tous l’esprit de responsabilité, de permettre, au travers de ce PLFRSS, une meilleure prise en compte de plusieurs facteurs : les carrières hachées, notamment pour les aidants ; les carrières longues, en adaptant le dispositif pour les actifs ayant commencé à travailler tôt ; la pénibilité, grâce aux négociations avec les syndicats lancées il y a trois mois par le Gouvernement.

De plus, l’accès au compte professionnel de prévention sera élargi et un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle sera créé, doté de 1 milliard d’euros sur le quinquennat. Les soignants des établissements médico-sociaux de la fonction publique hospitalière et de la fonction publique territoriale seront ainsi mieux protégés dans l’exercice de leurs métiers pénibles.

Par ailleurs, ce texte contient des mesures spécifiques aux seniors. À ce jour, seuls 23 000 salariés utilisent le dispositif de retraite progressive. Il favorise pourtant la transition entre vie active et retraite, en permettant à un salarié sur le point de partir à la retraite de réduire son temps de travail, tout en commençant à percevoir une partie de sa pension de retraite.

M. Martin Lévrier. La réforme étend ce dispositif aux professionnels libéraux et aux agents publics.

Par ailleurs, le cumul emploi-retraite, dont bénéficient actuellement 500 000 retraités, offrira des droits supplémentaires à la retraite.

Enfin, ce texte contribuera à mieux protéger le pouvoir d’achat des ménages : quelque 1,8 million de retraités pourront, si le texte est voté, bénéficier d’une revalorisation de leur pension de base, de 600 euros par an en moyenne, et un futur retraité sur quatre pourrait voir sa pension augmenter de 400 euros par an en moyenne.

Au-delà de ces moyennes, cette réforme vise en particulier à revenir sur nombre de situations inégalitaires. Je pense tout particulièrement aux retraites agricoles et au cas très précis des agriculteurs qui conserveront leur taux plein même en cas de départ pour inaptitude ou invalidité.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. N’allez pas nous donner des leçons sur les retraites agricoles !

M. Martin Lévrier. Ces revalorisations, votées dans des textes antérieurs, ne leur étaient pas ouvertes : ce sera chose faite.

Mes chers collègues, vous le voyez, le texte qui nous est soumis est déjà très fourni.

Force de proposition dès qu’il s’agit d’améliorer le quotidien des Français, notre groupe déposera des amendements visant notamment à permettre le rachat de ses trimestres de stages à un tarif préférentiel jusqu’à un âge défini par décret, sans que celui-ci puisse être inférieur à 25 ans ; à permettre le rachat de ses trimestres d’études à un tarif préférentiel jusqu’à un âge défini par décret, sans que celui-ci puisse être inférieur à 30 ans ; à étendre la majoration de la pension de 10 % pour trois enfants aux professionnels libéraux.

Mes chers collègues, notre démocratie parlementaire a été profondément blessée par des débats parasités et des comportements non républicains, voire révolutionnaires, à l’Assemblée nationale. (Marques dironie sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Les Français, dans leur grande majorité, attendent de nous un comportement tout autre ; ils attendent, de la part de ceux qui les représentent, un comportement responsable. Au-delà de l’âge de départ à la retraite, nous ne pouvons faire l’impasse sur tous les autres sujets abordés dans ce texte : pénibilité, précarité, carrières hachées, égalité femmes-hommes…

Lors de l’examen par le Sénat du PLFSS pour 2023, qui comportait 112 articles, 1 143 amendements avaient été déposés. Sur le PLFRSS de 20 articles que nous examinons à partir d’aujourd’hui, plus de 2 700 amendements ont été déposés.

M. Martin Lévrier. Je ne veux pas croire que cette comparaison donne réponse.

Les Français attendent un débat contradictoire.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ils attendent que le texte soit retiré !

M. Martin Lévrier. Nous nous devons d’étudier l’ensemble du PLFRSS avec le même courage que celui qui anime cette réforme, dans un contexte difficile pour tous.

Faire fi du déficit à venir, c’est mettre à mal l’existence de notre système de retraite et l’idée même de ce qu’il représente. Notre groupe s’attachera à examiner ce texte dans son intégralité et à le voter, pour l’avenir de notre système. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Fabien Gay applaudit également.)

M. Bernard Jomier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la réalité de la réforme que vous nous soumettez, c’est que son inspiration purement financière emporte de multiples conséquences sociales, que vous avez successivement niées, minimisées, puis tenté de colmater jusqu’à aboutir à un texte constellé de rustines.

Je souhaite aborder la réalité des fins de carrière, que votre réforme, au fond, détériore profondément. Celles-ci sont marquées par des dispositifs réduits de prise en charge de la pénibilité, par une adaptation insuffisante – et même souvent inexistante – des postes de travail, par des arrêts maladie à répétition pour soutenir, cahin-caha, les salariés.

Comme l’avait justement relevé la candidate des Républicains à l’élection présidentielle, l’espérance de vie sans incapacité se situe, en Suède, autour de 72 ans. Et oui, l’âge de départ à la retraite y a été repoussé à 65 ans. Vous voulez donc repousser l’âge légal à 64 ans en France, alors que l’espérance de vie moyenne sans incapacité y atteint péniblement cet âge.

Le gradient social de cette espérance de vie sans incapacité signe à lui seul l’injustice de votre choix. Car c’est bien un choix que de rééquilibrer le régime des retraites sans faire appel aux plus favorisés.

La réalité, c’est que repousser l’âge légal de départ à la retraite revient à fabriquer de la maladie et à dégrader les fins de carrières.

Mme Monique Lubin. Tout à fait !

M. Bernard Jomier. À cet égard, les conséquences de la réforme de 2010, qui a repoussé à 62 ans l’âge légal de départ, sont parlantes. En 2019, six ans après ce report, la Cour des comptes a constaté une hausse de 800 millions d’euros du coût annuel des arrêts maladie, dont elle attribue une large part au report en question.

Le mois dernier, une étude du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) a confirmé ce phénomène : le report de l’âge légal de départ à 62 ans a provoqué une augmentation significative de la fréquence des arrêts maladie.

Il faut donc prendre en charge la pénibilité et adapter les postes. Or, en la matière, presque tout reste à faire. Vous avez supprimé la prise en charge de quatre facteurs de pénibilité, et vous ne les rétablissez même pas tous !

Par exemple, au lieu de balayer la question, complexe, des agents chimiques dangereux, il faudrait au contraire mener un vrai travail sur les activités responsables d’émissions d’aérosols dangereux, sur le fondement des nombreuses bases de données existantes.

Il faut même aller plus loin : réserver les postes les moins pénibles aux salariés les plus âgés, favoriser le recours effectif au compte professionnel de prévention, qui n’est mobilisé que par 6 personnes éligibles sur 1 000, et prévenir les risques divers – mener, en somme, une politique de prévention ! Un tel effort s’est révélé payant dans les pays qui ont déployé des moyens en ce sens.

Mais le virage de la prévention amorcé au mois de novembre dernier a percuté le mur de Bercy. Ce texte n’est pas une loi de finances sociales, c’est une loi de Bercy !

Les Français, eux, ont tout compris. Cette réforme financière, vous voulez l’imposer à leurs dépens. Dans les petites villes, sur tout le territoire, messieurs les ministres, ce sont des personnes qui travaillent, souvent pour peu de revenus, qui se révoltent. Ce ne sont pas des inactifs ! Il est temps de les écouter, avant que le sourd ressentiment qui traverse le pays ne porte d’autres conséquences.

Nous avons élu un chef de l’État pour qu’il fasse barrage à l’extrême droite, pas pour qu’il défende un projet qui ajoute du carburant au moteur de celle-ci. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, doit-on préférer un doux mensonge à une amère vérité ? Cette dernière est malheureusement claire : le système de retraite par répartition est menacé. Faut-il donc le réformer ? La réponse de notre groupe est claire et sans ambiguïté : oui, nous devons le faire !

Alors que nous comptions 4 cotisants pour 1 retraité lorsque le système a été conçu, ce ratio est tombé à 1,7 cotisant pour 1 retraité. Ce déséquilibre évident, incontestable, s’accroît avec l’espérance de vie. D’aucuns pensent que les hommes mentent ; c’est un peu moins le cas des chiffres.

Le Conseil d’orientation des retraites s’est soudainement retrouvé sous les feux de la rampe. Ses rapports, en général indigestes, sont devenus, malgré lui, des livres d’éveil – pour ne pas dire de chevet – pour certains irresponsables politiques.

Car c’est bien de l’irresponsabilité que de retenir du rapport du COR le seul fait que les dépenses soient sous contrôle. C’est négliger le sujet de la dette. La part de la dette imputable à la branche retraite est déjà très élevée : il reste à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) plus de 43 milliards d’euros à rembourser. C’est aussi négliger le fait que les déficits cumulés, toujours selon le COR, représenteront 150 milliards d’euros de dettes nouvelles en 2030.

Alors, fallait-il réformer dès maintenant ? Nous répondons encore oui, sans hésiter !

En matière climatique, on parle volontiers d’urgence, au regard de ce que nous laisserons à nos enfants et petits-enfants. Il en va de même pour les retraites – d’ailleurs, les jeunes croient de moins en moins qu’ils en auront une.

Le Sénat, dans sa sagesse, n’a pas attendu l’agenda gouvernemental pour réformer. Il vote, depuis plusieurs années, pour le recul progressif à 64 ans de l’âge de départ, par une accélération de la loi Touraine, ce qui serait bien plus juste qu’un recul brutal à 65 ans.

La réforme proposée est-elle adaptée ?

La réponse est encore affirmative, si l’on accepte le postulat de ne pas augmenter les cotisations retraite, afin de n’affaiblir ni le pouvoir d’achat des salariés – c’est un point sur lequel nous sommes évidemment d’accord – ni la création d’emplois, point sur lequel je suis plus dubitatif. En effet, 0,5 point de cotisation employeur supplémentaire représenterait 4,5 milliards d’euros de recettes, c’est-à-dire, en moyenne, 225 euros par salarié et par an. Pour une entreprise de 100 salariés, ce n’est pas même le coût d’un seul employé.

Cette réforme est-elle satisfaisante ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. D’un point de vue comptable, oui ; d’un point de vue social et politique, on peut en débattre – c’est d’ailleurs ce à quoi nous sommes conviés. Du point de vue social, les 17,7 milliards d’euros dégagés en 2030 permettront de financer des mesures de solidarité à hauteur d’au moins 6 milliards d’euros ; du point de vue politique, les Français n’admettent pas, à l’évidence, un tel recul de l’âge légal à 64 ans, considérant, à juste titre, que seuls les salariés sont mis à contribution.

Une autre solution serait d’augmenter la taxation du capital, mais est-ce envisageable ? (Oui ! sur plusieurs travées de gauche.)

Je pose la question au Gouvernement, ainsi qu’à ceux qui seraient tentés de prendre « tout le plat dans leur assiette », pour citer l’Abbé Pierre.

Au nom de la solidarité nationale, il ne me paraît ni outrageant ni indécent que ceux qui profitent d’un CAC 40 au plus haut acceptent une augmentation de la CSG sur le capital. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et CRCE. – M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Un point supplémentaire rapporterait 1,5 milliard d’euros.

Permettez-moi maintenant d’aborder rapidement quelques articles du texte.

Tout d’abord, nous saluons les propositions formulées par le Gouvernement pour tenter d’améliorer la justice et l’équité du système. Cependant, nous avons quelques questions sur certaines mesures, car le diable, comme chacun sait, se cache dans les détails.

Pour ce qui concerne les petites retraites, tout le monde a retenu qu’il n’y aurait pas de retraite à moins de 1 200 euros, mais peu ont compris que cela ne concernerait que les carrières complètes. L’Union nationale des centres communaux et intercommunaux d’action sociale (Unccas) a émis une suggestion qui me paraît intelligente et intelligible : pourquoi ne pas instaurer un plancher à 75 % du Smic net, soit environ 1 000 euros, pour les carrières incomplètes ?

Concernant les carrières longues, le dispositif paraît serpenter, de façon erratique, entre 43 et 44 années de cotisation, en fonction de l’âge d’entrée dans la vie active. Il nous apparaît nécessaire de lisser l’ensemble, avec des départs de 57 à 62 ans – de quoi ouvrir une fenêtre de départ de 57 à 64 ans, mesure chère aux économistes Olivier Blanchard et Jean Tirole et beaucoup plus juste qu’une borne unique de départ à 64 ans.

Sur la question du travail des seniors, le Gouvernement a décidé de s’intéresser aux fins de carrières, mais je crains que l’index seniors qu’il propose ne soit guère suffisant pour concrétiser l’intention qu’il manifeste.

En effet, il nous semble que cet index doit être accompagné d’une prime à l’embauche, une sorte de « 1 senior, 1 solution ».

M. René-Paul Savary, rapporteur. Très bien !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Pourquoi, d’ailleurs, ne pas créer un CDI seniors ?

En outre, si nous voulons favoriser le maintien des seniors en emploi nous ne devrions pas faire l’économie d’un bonus-malus sur la base de cet index.

Pour ce qui est des droits familiaux, nous proposions, avant le coup de hache de l’article 40 de la Constitution, un départ anticipé à 62 ans pour les parents de trois enfants et à 63 ans pour ceux de deux enfants. De plus, nous constatons de fortes disparités des droits familiaux, en particulier dans l’attribution des pensions de réversion, pour lesquelles subsistent 13 régimes qu’il sera nécessaire de revoir dans un prochain texte.

Le sujet de la pénibilité au travail mérite que l’on s’y arrête un peu plus longuement. Nous sommes attentifs à la réflexion sur le travail et à la nécessité de lui donner plus de sens. Nous sommes tout aussi vigilants face à ceux qui contesteraient la valeur du travail. Toutefois, une loi de financement de la sécurité sociale n’est pas le bon véhicule législatif pour traiter de ce sujet si complexe, sur lequel les points de vue divergent tant.

Venons-en à ce qui nous préoccupe vraiment : comment réparer l’usure professionnelle ? Ce texte est généreux dans ce domaine. Il permet la prise en compte de trois facteurs supplémentaires, dits « ergonomiques », qui donneront droit à un suivi médical. C’est bien, mais il nous paraît nécessaire de compléter ce bilan médical par un bilan de compétences, afin que les salariés puissent envisager l’avenir sérieusement.

Enfin, je conclurai sur un point qui nous tient à cœur en tant que centristes : le dialogue social.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Nous regrettons qu’il ait tourné court, que certains partenaires sociaux et responsables politiques aient refusé d’emblée le diagnostic du COR avant d’y consentir, que d’autres aient cru que la désinformation et l’hystérie pouvaient remplacer le débat. Chacun mérite un vrai débat, qui pourra, je l’espère, se nouer ici au Sénat.

Aucune réponse n’est faite pour l’éternité. Plusieurs dates jalonnent deux décennies de réformes des retraites, auxquelles s’ajoutera sans aucun doute l’année 2023 – et peut-être aussi 2027, avec l’élection présidentielle.

Aussi pensons-nous qu’il serait bon de prévoir une clause de revoyure, ou de faire en sorte que la Cour des comptes produise un bilan d’étape, afin que le prochain débat puisse se dérouler sereinement, comme, je l’espère, celui qui se tiendra à partir de demain dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour lever tout suspense, je le dis tout de go : nous allons bien sûr voter ce texte, qui sera notre texte !

Nous voterons une réforme que nous aurons amendée selon les prescriptions réalisées, avec pédagogie et humour, par notre rapporteur, le docteur René-Paul Savary. (Exclamations ironiques sur des travées du groupe SER.)

De quoi aurions-nous l’air si nous refusions d’adopter une réforme que nous votons chaque année dans cet hémicycle, depuis plusieurs années ? Nous ne sommes pas des girouettes. Notre boussole, ce n’est ni Emmanuel Macron ni le Gouvernement ; c’est l’intérêt national ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Ce qui abîme le plus la politique, ce sont les zigzags, les revirements, les tête-à-queue ! Le Sénat s’honorera de travailler avec constance et cohérence.

Monsieur Attal, je suis intimement convaincu que ce qui honore le politique, c’est de tenir un discours de vérité.