PRÉSIDENCE DE M. Alain Richard

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Article 20 (début)
Dossier législatif : projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023
 

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Dossier législatif : proposition de loi visant à mieux protéger les locataires bénéficiant d'une allocation de logement et vivant dans un habitat non-décent
Article unique (début)

Allocation logement et habitat non décent

Rejet d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires, la discussion de la proposition de loi visant à mieux protéger les locataires bénéficiant d’une allocation de logement et vivant dans un habitat non décent, présentée par M. Jean-Louis Lagourgue et plusieurs de ses collègues (proposition n° 821 [2021-2022], résultat des travaux n° 412, rapport n° 411).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Louis Lagourgue, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Micheline Jacques applaudit également.)

M. Jean-Louis Lagourgue, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez, dans les territoires d’outre-mer subsistent un grand nombre de disparités, notamment du fait de l’éloignement géographique avec la métropole. La vie y est chère, le chômage y est deux à trois fois plus élevé et le taux de pauvreté avoisine les 40 % en moyenne.

Depuis près de vingt ans, les crises économiques et sanitaires s’y succèdent – chikungunya, « gilets jaunes », covid-19, etc. –, entraînant des conséquences encore plus frappantes qu’en métropole, à l’image de l’augmentation constante des prix, de la suppression de milliers d’emplois ou encore de la diminution du nombre de nouveaux logements construits.

Depuis 2019, les effets de l’actuelle crise sanitaire ont accentué le mal-être social, les inégalités et la précarisation de nombreux concitoyens ultramarins.

Parmi les très nombreux problèmes auxquels ils sont confrontés, c’est sans aucun doute le logement, au côté de l’emploi, qui figure en haut du classement.

Si le manque de logements est malheureusement une triste réalité qui se ressent chaque jour, un phénomène suscite de plus en plus l’inquiétude des pouvoirs publics et des associations de défense de consommateurs : la non-décence des logements sociaux existants. Bien que toute la France soit concernée, l’outre-mer l’est tout particulièrement.

Le texte que je vous propose aujourd’hui a d’abord été déposé à l’Assemblée nationale par l’ancien député de La Réunion David Lorion, qui a été comme moi interpellé par la situation préoccupante de notre île. Une très grande partie de notre population est confrontée à des malfaçons et à des problèmes d’humidité ou de sécurité électrique, avec toutes les conséquences qui vont avec, notamment pour la santé.

Tant dans les logements anciens que dans les constructions neuves, beaucoup vivent dans des conditions d’extrême insalubrité ou d’indécence.

Aussi, cette proposition de loi vise-t-elle à inciter encore plus fortement les bailleurs à mettre en conformité leurs logements avec les critères de décence fixés par la loi.

Le droit actuel prévoit la suspension des aides personnelles au logement (APL) pour les logements non décents ; nous proposons la consignation des loyers jusqu’à la réalisation des travaux de mise en conformité.

Le texte de l’Assemblée nationale avait été cosigné par des députés métropolitains comme ultramarins, notamment par deux vice-présidents du parti Les Républicains.

Parce que tous les territoires de la République sont susceptibles d’avoir besoin de ce dispositif, nous avions conservé l’application nationale de la proposition. La commission nous a dit qu’une telle application ferait courir le risque d’effets de bord.

Pour répondre aux inquiétudes, nous proposons, comme la commission l’envisageait initialement, une expérimentation ciblée sur le territoire de La Réunion. En effet, si le problème du logement non décent ne se pose pas qu’à La Réunion, il s’y pose là-bas avec beaucoup d’acuité. La commission a alors estimé qu’une telle expérimentation ferait courir le risque d’une rupture d’égalité.

Pour nos concitoyens qui subissent le mal-logement, pour tous ceux qui vivent dans les moisissures, dans l’inquiétude d’un dégât des eaux ou d’un accident électrique causé par les infiltrations ou les malfaçons, je ne puis me résoudre à ne rien faire.

Tout comme six députés sur sept de La Réunion, tout comme mes trois collègues sénateurs de ce département, j’observe régulièrement la situation de notre territoire.

Des personnes âgées, d’autres en situation de handicap, des familles nombreuses déjà durement touchées par la précarité financière, énergétique et sociale vivent dans des conditions parfois dignes du tiers-monde, alors que nous sommes au XXIe siècle et dans un pays qui figure parmi les premières puissances mondiales.

Nous ne pouvons pas rester sans solution. Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas. Si la route est encore longue avant de résoudre toutes les difficultés qui sont au cœur du problème du logement dans nos territoires, je veux faire ce premier pas avec vous.

Il consiste à empêcher que l’on puisse tirer profit des infractions à la loi. Un bailleur qui met en location un logement non décent ne doit pas toucher de loyers. Il ne s’agit pas d’exempter le locataire du paiement, puisqu’il devra continuer de le verser. Mais le bailleur ne percevra les loyers que lorsqu’il aura mis son bien en conformité avec les critères de décence fixés par la loi.

Afin de permettre un suivi de cette loi, je proposerai qu’une commission mixte soit mise en place sur le territoire réunionnais, composée à parité de membres de la société civile et des institutions publiques nommés par décret ministériel, afin d’évaluer de manière totalement neutre la bonne application de la loi, ses limites et les améliorations qui seraient éventuellement nécessaires.

L’inaction, quels qu’en soient les motifs, reste l’inaction. En votant aujourd’hui cette proposition de loi, nous mettrons les choses en mouvement. Nous permettrons à la navette parlementaire d’enrichir le texte. Nous affirmerons aux bailleurs notre détermination à faire respecter la loi.

Cette mobilisation, à laquelle je vous appelle aujourd’hui, mes chers collègues, représente un pas supplémentaire pour faire de la lutte contre le mal-logement une priorité politique essentielle, afin de répondre aux besoins des citoyens mal logés, en souhaitant que toutes les collectivités puissent à terme porter cet enjeu crucial à la bonne échelle.

Il s’agit simplement de garantir le respect d’un droit fondamental pour permettre à chaque citoyen d’accéder à un logement digne et décent adapté à ses besoins et ses ressources et de s’y maintenir.

Cette proposition de loi est une réponse qui devra incontestablement en appeler d’autres. Une réflexion beaucoup plus large devra ainsi être menée, particulièrement dans les outre-mer, notamment sur les questions de production de logements sociaux et de lutte contre le sans-abrisme.

Je demande à l’État de prendre toutes ses responsabilités et de faire de la lutte contre le mal-logement une grande cause nationale. L’abbé Pierre disait : « La maladie la plus constante et la plus mortelle, mais aussi la plus méconnue de toute société est l’indifférence ».

Aussi, mes chers collègues, montrons aux plus vulnérables de nos concitoyens que nous agissons pour les protéger !

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Micheline Jacques, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question du logement non décent est malheureusement un sujet récurrent dans notre hémicycle.

Les chiffres montrent que nous n’avons pas encore trouvé les clés pour résorber ce fléau : en France, il y aurait au moins 420 000 logements indignes. Outre-mer, la situation est encore pire : il n’y en aurait pas moins de 110 000 dans les départements et régions d’outre-mer, soit 13 % du parc. C’est dix fois plus qu’en métropole ! À La Réunion, le département de Jean-Louis Lagourgue, il y en aurait 18 000.

C’est pourquoi je voudrais doublement remercier Jean-Louis Lagourgue : tout d’abord, pour attirer de nouveau notre attention sur la situation de ces ménages qui sont confrontés à des conditions de vie vraiment dramatiques, ensuite, pour nous permettre de nous focaliser sur la situation particulièrement dégradée du logement en outre-mer.

J’en avais déjà dressé le constat il y a un an et demi, dans le rapport d’information sur la politique du logement en outre-mer que j’ai cosigné avec nos collègues Guillaume Gontard et Victorin Lurel au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer.

C’est un sujet qui me tient particulièrement à cœur, car, au-delà du seul aspect matériel, la dégradation de l’habitat a des répercussions sur tous les aspects de la vie de ses occupants : ce sont des problèmes respiratoires causés par des moisissures, c’est un jeune qui ne peut pas s’isoler pour faire ses devoirs à cause d’une fuite dans le plafond, etc. Face à ces problèmes, les locataires se sentent souvent démunis.

Pour lutter contre l’habitat dégradé, le dispositif proposé est simple et, je dois le dire, séduisant : prolonger le dispositif actuel de retenue temporaire des allocations de logement, lorsque le logement est déclaré non décent, en consignant le reste à charge du loyer. L’idée est de faire pression sur les propriétaires, pour qu’ils engagent rapidement les travaux de mise en décence nécessaires.

Je vois cependant plusieurs écueils à la mise en œuvre de ce dispositif.

Tout d’abord, la notion de non-décence ne s’applique, en droit, qu’aux logements locatifs. Le problème des propriétaires occupants de logements insalubres ou indignes ne fait donc pas partie du champ de la proposition de loi. Or ils sont nombreux, particulièrement dans nos outre-mer.

Ensuite, le dispositif proposé ne concerne que les locataires qui bénéficient d’allocations de logement. C’est donc une petite partie du logement dégradé qui pourrait, en théorie, être traitée par le dispositif proposé.

Or, pour cette petite part, la procédure actuelle de retenue des allocations de logement est déjà très efficace : selon les services de l’État, plus de 95 % des procédures engagées aboutiraient à une remise en état dans les dix mois prévus.

Surtout, tous les acteurs que j’ai interrogés m’ont fait part de leurs craintes quant à des effets de bord négatifs, à la fois pour les propriétaires et pour les locataires.

En ce qui concerne les propriétaires, je voudrais d’entrée de jeu souligner que les possesseurs de logements non décents ne sont pas tous des marchands de sommeil, loin de là.

Les critères de non-décence ont été considérablement renforcés ces dernières années. C’est bien entendu une très bonne chose, mais le sens juridique du mot « décence » s’est ainsi beaucoup éloigné de son acception courante, ce qui brouille quelque peu les repères. Si un logement indigne est forcément non décent, le contraire n’est pas nécessairement vrai.

Par exemple, la dernière évolution en date des critères de décence concerne les performances énergétiques. Vous le savez, mes chers collègues, depuis le 1er janvier dernier, les logements G+ sont interdits à la location.

D’ici à 2034, c’est l’ensemble des logements classés E, F et G qui seront qualifiés de « non décents ». Cela rend nécessaire la rénovation de dizaines de milliers de logements locatifs, ce qui représente des investissements considérables pour les propriétaires. Serait-il raisonnable de les priver, précisément maintenant, d’un complément de revenu qui pourrait justement financer ces travaux de mise aux normes ?

Dans une perspective plus large, ce ne serait d’ailleurs pas forcément rendre service aux locataires : d’ores et déjà, on constate une surreprésentation des passoires énergétiques dans les mises en vente de logements. Ce sont autant de logements qui sortent du parc locatif, temporairement ou définitivement.

Or la tension du marché locatif peut aussi favoriser, indirectement, le maintien dans des logements non décents, lorsque les prix pratiqués sont trop élevés pour que les locataires osent quitter leur logement ou même tenter de faire valoir leurs droits auprès des bailleurs.

En outre, introduire une procédure active de consignation du reste à charge pourrait, si cette procédure était mal comprise par les locataires, amener une partie d’entre eux à cesser purement et simplement de payer leur loyer. Ils se mettraient ainsi en tort et s’exposeraient à une expulsion.

Aussi, loin de protéger les locataires, le dispositif risquerait de les fragiliser encore davantage.

En réalité, la question de la résorption du logement non décent nécessite de prendre en compte tout l’écosystème du logement. Il faut évidemment mieux informer les locataires sur leurs droits. Il faut les encourager à activer la procédure existante de retenue des allocations, qui, je le répète, est très efficace, et les encourager à aller devant le juge pour obtenir une injonction à réaliser des travaux, voire une diminution du loyer si le logement demeure non décent.

Il faut également mieux accompagner les propriétaires, notamment en faisant connaître les aides à la rénovation – elles sont nombreuses.

Je comprends le sentiment d’urgence qui sous-tend cette proposition de loi, particulièrement dans nos outre-mer. Mais à l’écoute de mes interlocuteurs réunionnais, j’ai surtout compris que le sujet dépassait largement le champ de l’habitat indécent : la plupart des cas évoqués lors des auditions relevaient clairement de l’habitat indigne ou insalubre, voire de situations de péril.

Or, pour ces situations, il existe d’autres procédures, bien plus rapides et plus coercitives, pour contraindre le propriétaire à faire des travaux, voire les réaliser d’office. Que ces procédures ne soient pas mises en œuvre par les autorités administratives, qui en ont le pouvoir en temps utile, c’est un autre problème…

On m’a aussi parlé d’immeubles de moins de dix ans tenus par des étais, de bâtiments soudainement sortis « non décents » d’une opération de réhabilitation…

Ce sont les symptômes de problèmes systémiques du secteur du bâtiment et du logement à La Réunion : nombre trop limité d’entreprises de taille critique ; difficultés d’approvisionnement en matériaux de qualité ; déficit d’encadrement intermédiaire des chantiers et de contrôle qualité ; rigidité du mécanisme de la garantie décennale… Sans parler de l’inadaptation de certaines normes aux territoires ultramarins.

En résumé, pour élaborer des stratégies efficaces de lutte contre l’habitat dégradé, que ce soit en métropole ou outre-mer, c’est l’ensemble de l’écosystème qu’il faut prendre en compte, et pas simplement la relation contractuelle entre les locataires et les bailleurs, qui sont en bout de chaîne et pâtissent de ces situations.

Pour toutes ces raisons, la commission n’est pas favorable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Olivier Klein, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat doit aujourd’hui s’exprimer sur la proposition de loi du sénateur Jean-Louis Lagourgue visant à mieux protéger les locataires bénéficiant d’une allocation de logement et vivant dans un habitat non décent.

Dans son article unique, ce texte vise à augmenter la contrainte qui pèse sur les propriétaires bailleurs en vue de procéder aux travaux de mise en décence des logements loués à des personnes bénéficiant des APL.

Même si le Gouvernement partage pleinement l’objectif de cette proposition de loi, nous constatons que le mécanisme actuel de conservation des aides est suffisant pour mettre fin aux situations de non-décence.

À ce jour, la plupart des situations de conservation des APL cessent avant la fin du délai maximum prévu par le code de la construction et de l’habitation.

En moyenne, on constate une sortie de conservation d’environ 320 dossiers par mois, dont 300, soit en moyenne 93 %, au sens où la situation de non-décence a pris fin et le versement de l’APL a été rétabli, et seulement une vingtaine de situations dans lesquelles l’APL n’a pas été rendue une fois la période de conservation écoulée. Dans ces derniers cas, la conservation peut, dans certaines situations, être prolongée, notamment pour finir les travaux.

Vous le comprenez, mesdames, messieurs les sénateurs, l’efficacité du mécanisme actuel de conservation des aides est, à notre avis, avérée.

J’ajouterai que la mise en place de la conservation ne se limite pas à son caractère coercitif ; elle s’accompagne d’une information du propriétaire par l’organisme payeur.

De façon plus globale, l’engagement de ce gouvernement est total pour lutter contre le phénomène de non-décence des logements.

Nous avons souhaité faire évoluer le mécanisme de conservation des aides, pour qu’il s’adapte aux politiques publiques de lutte contre le logement indécent.

Ainsi, l’entrée en vigueur au 1er janvier 2023 et la future montée en charge du critère de non-décence énergétique, à la suite de la réforme du diagnostic de performance énergétique et aux dispositions de la loi Climat et résilience, créent une condition d’ouverture supplémentaire d’une mesure de conservation des aides.

Les critères de non-décence et incidemment les causes d’ouverture d’une mesure de conservation des APL englobent la non-décence énergétique. L’obligation qui pèse sur les bailleurs a ainsi été renforcée.

Pour lutter contre le fléau que constitue l’habitat indigne et dégradé, un important arsenal de procédures et de dispositifs, qui reposent la plupart du temps sur des partenariats locaux et associent notamment les collectivités territoriales, a été développé.

Soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement travaille à l’amélioration constante de ces outils. Je le répète, la lutte contre l’habitat indécent est ma priorité – ceux qui connaissent mon parcours le savent bien –, comme c’est celle du Gouvernement.

Parmi les mesures prises, je citerai les dispositifs de déclaration et d’autorisation de mise en location. Pérennisés par la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové et reposant sur l’initiative des collectivités, ces deux dispositifs continuent de se déployer. Je tiens d’ailleurs à saluer les maires et élus locaux qui sont engagés dans cette démarche – je sais qu’ils sont nombreux.

Le dispositif d’autorisation préalable de mise en location a par ailleurs fait l’objet de modifications en 2021, via la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets du 22 août 2021.

Je veux également mettre en avant le travail de l’Agence nationale de l’habitat (Anah), qui finance l’amélioration de l’habitat des propriétaires bailleurs. En effet, l’Anah octroie des subventions, sous conditions, aux propriétaires bailleurs pour réaliser des travaux de sortie d’indignité ou de forte dégradation, via les aides « Habiter sain », « Habiter serein » ou « Habiter mieux ».

À la fin de l’année 2018, l’Anah a aussi décidé de consacrer des crédits supplémentaires, dans le cadre d’une expérimentation, à la lutte contre l’habitat indigne dans six territoires dits « d’accélération », particulièrement touchés par ces problématiques.

Reconduit jusqu’en 2023, ce dispositif a d’ores et déjà permis de mobiliser plus de 33 millions d’euros supplémentaires en quatre ans sur ces six départements : les Alpes-Maritimes, les Bouches-du-Rhône, l’Essonne, le Nord, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne.

Il a permis la majoration des taux de subvention pour les propriétaires occupants et bailleurs, ainsi que le financement à 100 % hors taxes des travaux d’office à la charge des communes, notamment à la suite de la prise d’arrêtés de péril.

Ce dispositif, qui va se terminer dans sa forme expérimentale, fait actuellement l’objet d’une évaluation. Les résultats dégagés permettront de déterminer des axes d’action sur le champ du financement par l’Anah de la sortie d’indignité à partir de 2024.

L’Anah a par ailleurs majoré depuis 2021 les crédits consacrés au financement des opérations de résorption de l’habitat indigne : ils sont passés de 15 millions d’euros à 23 millions par an. Tous les territoires engagés dans ce type d’opérations sont éligibles à ces financements.

Nous aurons l’occasion, au cours du débat, d’évoquer plus particulièrement le cas des territoires ultramarins.

Pour en revenir à cette proposition de loi, je le redis et vous l’avez compris, nous partageons l’objectif, mais la mesure proposée soulèverait plusieurs contraintes opérationnelles.

En effet, si les organismes payeurs – Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) ou Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA) – ne sont pas directement concernés par cette proposition, ils seraient néanmoins placés au cœur d’un tel dispositif, puisque la responsabilité leur reviendrait de transmettre à la Caisse des dépôts et consignations chaque ouverture de conservation des aides et, en toute logique, chaque levée de conservation.

Il est d’ailleurs à noter que le système d’information de la Cnaf est actuellement surchargé, ce qui laisse envisager une difficulté réelle quant à la possibilité d’automatiser un tel signalement, sans compter la question de la sécurisation du transfert de ces données.

Je veux rappeler d’ailleurs que la création du dispositif de conservation a permis d’impliquer davantage les Caisses d’allocations familiales (CAF) dans la lutte contre le mal-logement en tant que partenaires des autres acteurs intervenant dans ce domaine – je tiens à les en remercier.

Enfin, à la lecture de cette proposition de loi, il est permis de s’interroger sur le potentiel effet dissuasif de la mesure proposée. En effet, la suspension du versement direct des loyers aux propriétaires pourrait inciter ces derniers à retirer leurs biens du marché de la location pour les mettre en vente.

De plus, l’absence de versement du loyer résiduel peut priver certains propriétaires des ressources nécessaires pour financer la réalisation des travaux.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la détermination est là, les outils sont mobilisés, et nous continuerons de lutter contre l’habitat indigne et dégradé. C’est un enjeu majeur, pour permettre à chacun, notamment aux plus modestes, de vivre dignement dans leur logement.

Nous devons faire en sorte que l’endroit où nos concitoyens se sentent à l’abri et où ils veulent se reposer après une dure journée de travail ne soit pas un logement qui les rende malades ou dans lequel ils ne supportent pas de vivre.

C’est donc bien parce que le mécanisme actuel de conservation des aides est suffisant pour mettre fin aux situations de non-décence que le Gouvernement s’en remettra sur ce texte à la sagesse du Sénat.

M. le président. Mes chers collègues, je tiens à vous faire observer que deux textes sont inscrits à l’ordre du jour de cette matinée…

La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le logement n’est pas un sujet comme les autres. En 2023, chaque Français de métropole ou d’outre-mer doit avoir accès à un logement décent et à un toit, parce que les conditions d’hébergement doivent être dignes dans un pays civilisé.

Débattre du logement ce n’est pas seulement s’intéresser à des murs, c’est également faciliter l’accès à l’emploi ou élever ses enfants décemment, c’est tout simplement poser la question de la dignité. Notre groupe y est très attaché ; nous avons soutenu l’adoption de la proposition de loi visant à lutter contre l’occupation illicite des logements.

Nombre de nos concitoyens tentent d’accéder à la propriété. Tous n’en ont cependant pas les moyens. Le logement constitue l’un des plus importants postes de dépenses des Français, qu’ils soient propriétaires ou locataires. Cette situation rend encore plus insupportable l’exploitation du besoin de logement.

L’habitat indigne est un fléau. Notre collègue Jean-Louis Lagourgue nous propose aujourd’hui de renforcer la lutte contre les logements non décents mis en location.

En l’état actuel du droit, cela a été rappelé, les critères de décence des logements sont fixés par la loi. Il s’agit notamment de la surface et du volume minimum du logement, de l’absence de parasites et de nuisibles. Il s’agit aussi de critères destinés à la protection de la santé de l’occupant, comme une aération empêchant le développement de moisissures ou la protection du logement contre les eaux de ruissellement et les remontées d’eau.

Notre collègue Jean-Louis Lagourgue propose que le loyer d’un logement non décent soit consigné auprès de la Caisse des dépôts et consignations jusqu’à ce que les travaux de conformité soient réalisés.

Le droit actuel prévoit déjà la suspension du versement des aides personnelles au logement (APL) au propriétaire, lorsque les services de la caisse d’allocations familiales (CAF) constatent qu’un logement ne satisfait pas aux critères de la décence.

Aussi, de deux choses l’une : ou bien nous sommes d’accord pour dire qu’un logement mis en location doit satisfaire aux critères de décence fixés par la loi, auquel cas les mesures portées par la proposition de notre collègue ne constituent que la poursuite de la logique qui sous-tend le droit actuel ; ou bien nous considérons qu’un logement non décent peut valablement continuer à être une source de profits pour des bailleurs peu scrupuleux.

« Faire une loi et ne pas la faire exécuter, c’est autoriser la chose qu’on veut défendre », selon le cardinal de Richelieu. Nous pensons donc qu’un logement non décent, c’est-à-dire une mise en location illégale, ne doit pas générer de profit. Le dispositif proposé ne prive que temporairement le propriétaire de ses loyers. Ceux-ci seront en effet consignés jusqu’à la réalisation des travaux de mise en conformité, et c’est à ce moment que les sommes lui seront reversées.

Certains craignent qu’un tel dispositif ne fragilise la situation de petits bailleurs – ils ne sont pas tous petits, loin de là –, mais suffirait-il d’être un petit bailleur pour être exonéré du respect de la loi ? Par ailleurs, en tout état de cause, le propriétaire bailleur conserve toujours la capacité de vendre son bien s’il ne peut en assumer la décence.

Les difficultés qui pèsent sur le logement sont nombreuses, diverses et complexes. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ne prétend pas toutes les résoudre. Elle a cependant le mérite d’être simple, claire et de saisir à bras-le-corps l’une d’entre elles.

Nous pouvons comprendre la réticence de certains de nos collègues à l’idée de l’appliquer définitivement à l’échelle nationale. Issue d’une proposition déposée à l’Assemblée nationale par un député réunionnais et, au Sénat, par notre collègue Jean-Louis Lagourgue et l’ensemble des sénatrices et sénateurs de La Réunion, cette proposition est néanmoins le signe que l’île rencontre en matière de logement un problème majeur, qui appelle une réponse rapide.

Jean-Louis Lagourgue a déposé un amendement pour que cette proposition de loi ne s’applique qu’à titre expérimental et temporaire sur le territoire de La Réunion.

L’expérimentation permettrait à la fois d’agir rapidement et de recueillir des données utiles au perfectionnement du dispositif. À l’inverse, ne rien faire reviendrait à prendre encore du retard dans un domaine où l’urgence est déjà là. La loi fixe déjà les critères de la décence des logements ; à nous de les faire respecter ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)