M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout comme l’habitat insalubre et l’habitat indigne, le chantier de l’habitat non décent est gigantesque.

Comme le soulignait notre rapporteur, sur l’ensemble du territoire français, au moins 420 000 logements seraient indignes, dont 110 000 dans les départements et régions d’outre-mer, qui sont particulièrement confrontés à ces difficultés.

Contrairement aux procédures relatives à l’indignité, à l’insalubrité ou au péril, qui relèvent des autorités administratives, la lutte contre la non-décence relève exclusivement d’une action privée, celle du locataire contre le bailleur.

Toutefois, les problématiques de fond sont similaires : l’accompagnement des propriétaires et le reste à charge des travaux, qui est bien souvent hors de portée du budget des ménages modestes. C’est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit d’entamer des travaux de rénovation globale, qui peuvent être effectués pour des logements qualifiés de non décents, pour renforcer l’étanchéité contre les infiltrations d’eau ou d’air, ou isoler les murs et les fenêtres, etc.

Après l’aide de MaPrimeRénov’, le reste à payer pour les ménages très modestes s’élève en moyenne à 33 % du montant des travaux – 52 % pour les ménages modestes –, d’après les calculs de France Stratégie en 2021.

Je ne reviendrai pas en détail sur le dispositif actuel, car vous l’avez toutes et tous à l’esprit.

L’article unique de cette proposition de loi tend à consigner le reste à charge du loyer auprès de la Caisse des dépôts et consignations. Le locataire continuerait de payer le loyer, mais celui-ci ne serait plus versé au bailleur. Cette mesure semble, de prime abord, aller dans le bon sens pour répondre à l’objectif indispensable de lutte contre la non-décence des logements.

L’examen en commission a toutefois mis en avant un certain nombre d’écueils et le manque d’opérationnalité du dispositif. La commission a également estimé que le dispositif actuel de consignation du montant des APL fonctionnait dans la majorité des cas pour que les travaux soient engagés. Plus de 95 % des procédures aboutiraient à une remise en état dans les dix-huit mois impartis, selon les services de l’État.

Par ailleurs, le risque de priver les propriétaires modestes a été mis en avant lors de l’examen en commission – nous l’entendons –, à cause de la consignation du reste à charge de ressources nécessaires pour engager les travaux de remise en décence de leur bien.

En effet, nombre de propriétaires rencontrent eux-mêmes des difficultés financières et peinent à financer les travaux, comme le démontrent régulièrement les rapports de la Fondation Abbé Pierre. Encore une fois, l’accompagnement des bailleurs est l’un des sujets essentiels !

Le risque que ce nouveau mécanisme rende l’actuel plus complexe et moins lisible a aussi été souligné. Pour l’instant, après le signalement à la CAF, le locataire n’a aucune démarche supplémentaire à effectuer, puisque la CAF procède d’elle-même à la retenue des allocations de logement.

Le dispositif proposé est plus complexe. Il introduit une procédure active de consignation du reste à charge. Une mauvaise compréhension du dispositif pourrait conduire une partie des locataires vers des situations d’impayés de loyer, qui pourraient in fine déboucher sur leur expulsion.

Par ailleurs, le texte n’aborde pas la question épineuse du sort des reliquats des loyers qui resteraient consignés une fois la période de blocage des aides révolue. Qu’adviendrait-il de ces sommes ?

Une fois le délai épuisé, les aides de la CAF sont perdues, cela risquerait donc de faire peser le loyer sur le seul locataire.

Les cas seront certes limités, mais le locataire aura donc tout intérêt à avoir saisi un juge pour obliger son bailleur à réaliser les travaux nécessaires ou à faire réduire son loyer. Cela soulève la question de l’opportunité de saisir le juge. Le plus efficace serait donc de prévoir une procédure simplifiée pour obtenir plus rapidement une décision de justice.

Se pose également la question de la possibilité de remise en location du logement si les travaux ne sont toujours pas effectués, mais le texte n’y répond pas non plus.

Compte tenu de ces éléments, la question de l’opérationnalité du dispositif est posée et sa plus-value n’est pas évidente, dans la mesure où il ne tend pas à améliorer le sort du locataire de manière significative. Il est peut-être même contre-productif, car le risque que le dispositif fragilise les propriétaires modestes et les locataires semble réel, à La Réunion comme en métropole.

La bataille contre l’habitat non décent ne pourra être gagnée qu’une fois la crise du logement enrayée, c’est-à-dire à la suite de la mise en œuvre de mesures réellement structurelles.

Je pense à la production massive de logements sociaux, à l’encadrement des loyers en secteurs tendus, à l’augmentation des APL, à la garantie universelle des loyers, à l’intensification de la prévention des expulsions locatives, au renforcement des moyens pour les quartiers prioritaires de la politique de la ville, et, bien sûr, à un réel accompagnement humain et financier des propriétaires pour la rénovation de leur logement.

Il convient également de communiquer plus efficacement auprès des publics concernés sur les différents dispositifs existants qui s’offrent à eux pour la réhabilitation de leur logement.

La procédure actuelle n’est engagée que dans trop peu de situations – quelques centaines de cas avérés par an à La Réunion –, alors qu’il existe plusieurs dizaines de milliers de logements indécents. Même si le taux de réussite s’élève à 95 % dans ce domaine, le dispositif ne concerne que trop peu de personnes.

Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendra.

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que notre assemblée examine ce matin vise à augmenter la contrainte qui pèse sur les bailleurs, afin de les inciter à procéder aux travaux de mise en décence et de rénovation des logements loués à des allocataires d’aides personnelles au logement.

Si le sujet des logements non décents et insalubres ou indignes n’est pas nouveau, force est de constater que celui-ci persiste en métropole comme dans les outre-mer.

Aujourd’hui, le constat est sans appel : il y aurait 420 000 logements indignes au sein du territoire national, dont 110 000 dans les outre-mer, selon les chiffres cités par un récent rapport de la délégation sénatoriale à l’outre-mer.

La Réunion est particulièrement affectée par ces dégradations de logement, ce qui explique, sans aucun doute, le dépôt de cette proposition de loi par notre collègue, M. Jean-Louis Lagourgue, sénateur de La Réunion, qui reprend ainsi le texte déposé voilà un an, en février 2022, par l’ancien député de ce même territoire, M. David Lorion.

Introduite par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU, la notion de non-décence ne concerne, en droit, que le logement locatif. L’objectif du législateur était clairement de préciser l’obligation faite aux bailleurs de délivrer un logement en bon état et qui réponde à des normes minimales en matière de confort.

Par conséquent, pour être qualifié de décent, un logement doit notamment présenter une surface minimale, une absence de risque pour la sécurité et la santé du locataire, une absence d’animaux nuisibles et de parasites, ainsi que la mise à disposition de certains équipements nécessaires à le rendre habitable – le chauffage, l’électricité ou le système d’évacuation des eaux usées.

Toutefois, depuis le 1er janvier 2023, en application de la loi Énergie et climat, les logements locatifs doivent également répondre à des critères de performance énergétique pour pouvoir être qualifiés de « décents ». Ces critères seront progressivement durcis jusqu’en 2034, date à laquelle l’ensemble des logements classés E, F ou G ne pourront plus être loués.

Les transitions écologiques et énergétiques nous imposent de légiférer. Nous avons commencé le travail et nous le poursuivrons ! Autrement dit, mes chers collègues, notre groupe partage bien évidemment l’objet affiché par ce texte, qui vise à protéger davantage les locataires face au fléau que représentent les logements non décents.

Cela étant, je constate à mon tour que le dispositif proposé dans le texte est inadapté et qu’il risque de complexifier et d’aggraver la situation des locataires.

Le mécanisme proposé dans l’article unique est inadapté et inopérant.

Il est inadapté, car faire en sorte que le loyer soit désormais non plus versé au bailleur, mais consigné auprès de la Caisse des dépôts et consignations soulève des interrogations sur le plan opérationnel, en particulier pour les organismes payeurs que sont la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) et la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA).

Si ces organismes ne sont pas directement concernés, ils seraient néanmoins placés au cœur du mécanisme, puisqu’il leur reviendrait de transmettre à la Caisse des dépôts et consignations chaque ouverture de conservation des aides et, en toute logique, chaque levée de la conservation.

Compte tenu de la surcharge d’activités actuelle du système d’information de la Cnaf, nous pouvons craindre une réelle difficulté quant à la possibilité d’automatiser un tel signalement, sans compter la question de la sécurisation du transfert de ces données et celle du coût que cela représenterait.

Le dispositif est donc inadapté, mais il est également inopérant, car on peut s’interroger sur le potentiel effet dissuasif de la mesure proposée. Je rappelle que la procédure actuelle de retenue des allocations de logement démontre une certaine efficacité, puisque, selon les services de l’État, plus de 95 % des dossiers aboutissent à une remise en état dans les délais impartis.

Contrairement à la situation en métropole, la procédure existante concerne également les bailleurs sociaux dans les outre-mer. Or ces derniers semblent affirmer que la privation du reste à charge du loyer n’influerait en rien sur leur diligence à traiter les cas de non-décence.

De plus, l’absence de versement du loyer résiduel pourrait priver des propriétaires, au moins les plus modestes, des ressources nécessaires pour financer la réalisation de travaux. Ce sont autant de raisons qui démontrent que le dispositif du texte est inadapté et inopérant.

Par ailleurs, le mécanisme risque d’entraîner des conséquences non négligeables sur les locataires. Pour l’instant, après un signalement à la Cnaf, les locataires n’ont aucune démarche à effectuer pour que les allocations de logement cessent d’être versées aux bailleurs. Introduire une procédure active de consignation du reste à charge pourrait amener une partie des locataires à cesser de payer leur loyer, ce qui les exposerait à une expulsion, tout à fait légale, à la demande du propriétaire.

Pis encore, la suspension du versement direct des loyers aux propriétaires pourrait inciter ces derniers à retirer leurs biens du marché de la location pour les mettre en vente.

Mes chers collègues, si l’intention de l’auteur de ce texte est louable, le dispositif me semble inadapté à l’objectif qui fait sans doute consensus au sein de cette assemblée, à savoir un meilleur accompagnement des bailleurs, dans l’intérêt des locataires et de nouvelles solutions face à la dégradation des logements, qui dépasse largement le seul champ du logement non décent.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI s’abstiendra sur ce texte.

M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas.

Mme Viviane Artigalas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon les sources, le nombre d’habitats indignes en France est estimé à 450 000 logements ou à 600 000, selon le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre, qui ne saurait être accusée d’excès, compte tenu des situations dramatiques qu’elle étudie et suit de près.

Selon ce même rapport, rien ne permet d’indiquer une quelconque évolution positive en 2022, et aucune dynamique n’a été lancée pour les années à venir.

Dans les territoires d’outre-mer, la situation est particulièrement critique. Selon le rapport d’information sénatorial sur la politique du logement en outre-mer, près de 13 % du parc sont jugés indignes.

L’estimation du nombre de logements jugés non décents pâtit d’une définition imprécise du terme.

Faute de chiffres précis, nous pouvons nous référer à plusieurs critères. Selon l’Insee, l’Institut national de la statistique et des études économiques, quelque 2,3 millions de personnes vivent dans des logements possédant des défauts graves. Il y manquerait au moins un élément élémentaire, tel que l’eau chaude ou le chauffage, et il y aurait des défauts structurels essentiels, liés à une plomberie défectueuse causant des fuites, ou encore à une mauvaise étanchéité.

Un chiffre semble fiable : 600 000 enfants vivraient dans ces conditions aujourd’hui dans notre pays.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à mieux protéger les locataires bénéficiant d’une allocation logement et vivant dans des habitats considérés comme non décents.

Depuis la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite Alur, si le logement est reconnu comme tel, alors la CAF retient le montant de l’allocation logement et le locataire ne verse que le loyer résiduel et les charges locatives au bailleur durant dix-huit mois. Ce délai doit permettre au bailleur d’effectuer les travaux nécessaires pour rendre le logement apte à la location.

Si nous adoptions cette proposition de loi, le locataire d’un logement indécent verserait le loyer résiduel non plus au bailleur, mais à la Caisse des dépôts et consignations. De ce fait, le bailleur ne percevrait plus aucune somme tant que le logement ne répondrait pas aux normes de décence.

Si nous comprenons bien l’intention qui se trouve derrière cette proposition, nous ne pouvons manquer de formuler plusieurs réserves.

En premier lieu, il existe déjà des procédures permettant d’inciter le bailleur à effectuer des travaux de réhabilitation d’un logement non décent.

Comme l’a rappelé en commission Mme le rapporteur, contrairement aux procédures relatives à l’indignité, à l’insalubrité ou au péril, qui relèvent des autorités administratives, la lutte contre la non-décence relève exclusivement d’une action privée, celle du locataire contre le bailleur. Si ce dernier refuse d’exécuter les travaux de remise en état d’un logement en situation de non-décence, le locataire peut en effet saisir le juge.

Le juge peut notamment ordonner l’exécution des travaux, assortie d’une éventuelle réduction du montant du loyer pour toute la durée pendant laquelle le logement demeure non décent.

Cette procédure a concerné 2 647 situations en 2017 et 4 079 en 2019. Le chiffre est en augmentation, ce qui signifie bien que les locataires, mieux informés sur leurs droits, n’ont pas hésité à les faire valoir auprès des autorités compétentes. La grande majorité des travaux ont été effectués dans les dix-huit mois par les propriétaires.

En second lieu, le dispositif proposé par nos collègues du groupe Les Indépendants – République et Territoires pourrait entraîner des conséquences négatives, sans répondre pour autant de manière efficace à la lutte contre les logements dégradés.

En effet, la mesure précitée a peut-être pour objet de sanctionner plus efficacement les propriétaires indélicats qui louent délibérément des logements indécents, mais elle tendrait à priver les bailleurs de bonne foi de ressources utiles pour financer les travaux nécessaires. Cela reviendrait in fine à pénaliser des locataires déjà en situation de précarité.

Ce point me permet d’aborder le sujet de l’accompagnement des propriétaires bailleurs ou occupants : ils n’en disposent pas toujours pour réaliser des travaux d’amélioration de leur logement, notamment pour en améliorer la performance énergétique, afin de lutter contre la précarité.

Depuis la loi Climat et résilience, les logements doivent présenter une performance énergétique minimum. Cela se traduit par l’interdiction de louer les logements les plus énergivores à compter du 1er janvier 2023 et par l’interdiction progressive de louer les logements de catégorie G à partir du 1er janvier 2025 et du 1er janvier 2028 pour ceux de catégorie F.

Outre l’inconfort et le poids financier des factures d’énergie, un logement humide ou mal chauffé risque d’amplifier les pathologies de certaines personnes âgées ou plus fragiles.

Or force est de constater que la politique menée ces dernières années ne produit pas les effets escomptés, car les aides sont mal ciblées.

Rémi Cardon et moi avons déposé une proposition de loi pour recentrer l’effort budgétaire du pays sur l’éradication des passoires thermiques et engager une stratégie de rénovation plus inclusive.

Nous constatons en effet aujourd’hui que la précarité énergétique s’accroît et que le nombre de passoires thermiques ne baisse pas, malgré le vote de la loi Climat et résilience.

Les raisons sont simples. Trop peu de personnes s’engagent dans un parcours de rénovation. Près de la moitié des ménages résidant en passoire thermique ont des revenus modestes, voire très modestes. Quelque 37 % de ces logements sont occupés par des ménages vivant en dessous du seuil de pauvreté.

Toujours selon la Fondation Abbé Pierre, le reste à charge des plus modestes serait actuellement de l’ordre de 39 % pour une rénovation globale, ce qui est bien trop important pour les familles les plus précaires, y compris dans le cadre du prêt avance rénovation mis en place par le Gouvernement, dont les résultats ne sont pas aussi bons qu’escomptés. Il y a pourtant urgence !

La hausse générale des prix de l’énergie a des conséquences importantes sur les ménages, tout particulièrement sur les plus vulnérables, qui sont les premiers à en subir les effets.

Il y a urgence, également, car les logements les plus énergivores vont disparaître du marché de la location, faute de rénovation. Cette interdiction est entrée en vigueur au 1er janvier 2023 pour les logements de classe G, c’est-à-dire pour ceux qui ont une consommation supérieure à 450 kilowattheures.

Il y a urgence, enfin, à prendre en compte les spécificités des territoires ultramarins, à promouvoir les techniques les mieux adaptées et à faciliter le recours à des matériaux de construction et de rénovation produits et utilisés localement.

Ainsi, plutôt que de confisquer, pour ainsi dire, les revenus locatifs des propriétaires, nous pensons qu’il est préférable de mieux les accompagner. Il est nécessaire que les citoyens perçoivent enfin les signes concrets et positifs de la transition énergétique. Celle-ci est encore trop souvent perçue comme inefficace et inégalitaire.

Notre politique climatique et énergétique doit comporter une stratégie de rénovation des logements et de lutte contre la précarité énergétique plus performante et plus inclusive. Notre priorité devrait être de sortir les 5,6 millions de ménages de la précarité, qu’ils soient propriétaires ou copropriétaires, bailleurs ou occupants.

Les auteurs de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui mettent en lumière un réel problème et partent d’une bonne intention ; nous ne pouvons que partager leurs constats.

Cependant, les solutions qui sont proposées nous semblent inadaptées pour répondre à de tels enjeux. Par conséquent, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a choisi de s’abstenir sur ce texte.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Mes chers collègues, en février dernier, vous étiez nombreux dans cet hémicycle à ne pas avoir de mots assez durs pour condamner les locataires dans l’incapacité de payer leurs loyers. Ce sont d’ailleurs les mêmes à qui vous avez décidé d’ajouter deux ans de travail…

Aujourd’hui, nous nous retrouvons pour aborder l’autre partie du contrat, si l’on peut dire. Les locataires ne sont pas les seuls à avoir des devoirs ; il y a aussi, et même d’abord, les propriétaires.

La proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui est audacieuse. Elle a le mérite de poser clairement le problème du mal-logement et d’y apporter des éléments de réponse.

En vous attaquant aux logements non décents, vous soulevez aussi, et peut-être même surtout, la question des passoires thermiques.

Plusieurs catégories de logements seront progressivement interdites à la location ; tant mieux pour les locataires et pour la lutte contre le gaspillage d’énergie ! Cela concerne d’abord les logements G+, dès cette année, puis G, à partir de 2025, F en 2028, et ainsi de suite.

Nous sommes tout à fait convaincus qu’il faut développer des mesures fortes contre ces passoires thermiques. Les situations sont très inégales sur le territoire, mais elles sont trop nombreuses. Il sera nécessaire d’agir en profondeur pour mieux isoler les logements et mieux protéger les locataires. Quelque 12 millions de personnes souffrent de précarité énergétique. Cet enjeu doit être prioritaire.

Tous les outils pour mesurer les performances énergétiques des logements ne sont pas toujours concordants. Il est nécessaire d’affiner quelque peu ces instruments, pour qu’aucun logement ne sorte des radars ou ne soit intégré à la mauvaise catégorie.

Il y a un besoin réel et urgent de vérifier la fiabilité de la classification et de déterminer des outils et un référentiel qui soient identiques, quelles que soient la localisation du logement et la nature du propriétaire.

Cependant, il faut distinguer le propriétaire de bonne foi, qui possède un logement mis en location et qui n’a pas les moyens de réaliser les travaux, du multipropriétaire qui empoche de nombreux loyers sans jamais mettre un euro dans l’entretien ou l’isolation du logement.

Il faut aussi faire la part des choses avec les bailleurs sociaux, dont les finances ont été durement ponctionnées, notamment avec la réduction de loyer de solidarité (RLS).

Pour les propriétaires de bonne foi, comme pour les bailleurs sociaux, la réponse selon laquelle il faudrait bloquer leurs ressources pour qu’ils fassent les travaux est un peu contradictoire. C’est à peu près le même niveau de réflexion que de dire que l’on bloque les APL pour les locataires qui n’arrivent plus à payer leur loyer !

Ce n’est pas toujours la volonté qui manque – voilà ce que je veux vous dire aujourd’hui. Ce sont parfois d’abord les moyens qui sont insuffisants.

Je vous le dis, oui, il y a besoin d’un grand chantier de rénovation thermique des logements, pour limiter la consommation et les dépenses d’énergie, ainsi que pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Ce sera bon pour les finances de nos concitoyens comme pour notre planète. Il faudra donc, avant tout, proposer des moyens aux bailleurs, publics comme privés, pour que chacun vive dignement dans un logement décent.

Telle est notre préoccupation première : que chacun puisse vivre dans un logement digne.

Le groupe CRCE a déposé une proposition de loi visant à garantir l’accès au logement pour tous et la préservation du pouvoir d’achat des ménages. Elle est assez fournie et avance plusieurs idées sur le sujet.

Par exemple, l’article 16 tend à rendre possible la préemption des passoires thermiques. Au travers de notre article 28, nous souhaitons rendre obligatoire les permis de louer. L’article 35, quant à lui, vise à donner au juge la responsabilité de suspendre le bail et de décider du montant de loyer versé, le temps que le propriétaire fasse les travaux de mise aux normes, avec une prise différée du bail pour empêcher la mise à la rue du locataire qui aurait fait valoir ses droits.

Nous nous exprimerons aussi au sujet des logements décents, plus particulièrement des passoires thermiques, dans le cadre de la commission d’enquête sur l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique.

Pour l’heure, votre proposition de loi demeure incomplète, peut-être même contre-productive, et surtout cantonnée à une partie du territoire français, ce qui est à notre avis regrettable.

C’est pourquoi, en l’état, notre groupe s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme Daphné Ract-Madoux. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Daphné Ract-Madoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’heure où la vie n’a jamais été aussi chère et où la précarité ne cesse d’augmenter, le logement demeure la première dépense contrainte de nos concitoyens, à hauteur de 30 % à 40 % de leur budget. Nous devons plus que jamais nous saisir du sujet et le mettre à l’ordre du jour pour agir concrètement afin d’améliorer le quotidien des Français.

Toutes les initiatives allant dans ce sens sont à saluer. Je tiens donc à remercier notre collègue Jean-Louis Lagourgue et les autres signataires de cette proposition de loi, qui ont ainsi permis de relancer le débat sur la situation du logement dans notre pays, un sujet qui préoccupe tant de nos concitoyens.

Je salue également les apports précieux de la rapporteure Micheline Jacques et de la commission des affaires économiques ; ils rappellent tout l’intérêt et toute la vitalité du travail parlementaire.

Toutefois, avec mes collègues de l’Union Centriste, nous considérons que ce texte n’est pas abouti, à ce jour, et partageons la position de la rapporteure.

Nous souscrivons évidemment à la volonté de protéger plus efficacement les locataires confrontés à des bailleurs malveillants, mais nous tenons également à ce que les propriétaires les plus modestes, qui sont, de surcroît, le plus souvent de bonne foi, ne soient pas pénalisés par un dispositif qui risquerait, en l’état, d’être trop rigide.

Priver un petit bailleur du loyer qu’il perçoit pourrait en effet lui faire perdre une part importante de ses revenus, qui n’excèdent parfois pas ceux de ses locataires. Cela pourrait aussi, tout simplement, l’empêcher de procéder aux travaux nécessaires à la rénovation du logement, ce qui irait à l’encontre de l’objectif des auteurs de la proposition de loi.

De plus, la procédure de constat en non-décence, bien que trop peu usitée, a fait preuve de son efficacité et nous manquons de données pour évaluer d’éventuels dysfonctionnements.

Enfin, le déficit que connaît notre pays en matière d’offre de logements nous astreint à faire preuve de pragmatisme et de nuance. Certains propriétaires ne seront jamais prêts à louer s’ils craignent que la mise en location de leur bien représente, in fine, une charge plutôt qu’une source de revenus. Or nous avons plus que jamais besoin de nouveaux bailleurs.

C’est en ayant ces éléments à l’esprit que, avec une grande majorité du groupe Union Centriste, nous suivrons la rapporteure et la commission en votant contre l’adoption de ce texte.

Je veux profiter du reste du temps qui m’est imparti pour mettre l’accent sur les urgentes priorités qui doivent être les nôtres en matière de logement.

Les chiffres du dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre nous rappellent la réalité brutale du mal-logement dans notre pays.

Aujourd’hui en France, on compte 330 000 sans-abri et 4,1 millions de personnes mal logées ; plus de 12 millions de personnes se trouvent en situation de fragilité en matière de logement.

Or les personnes qui paient le plus lourd tribut au mal-logement, ce sont, comme souvent, les femmes. Il est plus difficile pour une femme, et plus encore pour une mère célibataire, de sortir du mal-logement ; celui-ci renforce la précarité des femmes et les expose, plus que les hommes, au risque de violences sexuelles. Le logement reste malheureusement le creuset des inégalités dans notre pays.

Face à cette situation, il serait faux de dire que le Gouvernement est demeuré passif : 440 000 personnes sont sorties de l’hébergement d’urgence ou du sans-abrisme grâce au plan Logement d’abord au cours du dernier quinquennat ; 250 000 logements sociaux ont été construits entre 2021 et 2022 ; enfin, 6,7 milliards d’euros ont été consacrés par le plan France Relance à la rénovation des logements privés et sociaux, des bâtiments publics et des locaux des PME-TPE.

Toutefois, pour atteindre les objectifs ambitieux auxquels nous astreint la situation du logement dans notre pays, ces efforts doivent être poursuivis et complétés. L’offre de logements demeure en effet très insuffisante au regard des besoins croissants de la population, en particulier dans les territoires qui connaissent les tensions les plus fortes.

Cela s’explique, tout d’abord, par la raréfaction du foncier. Nous manquons de terrains constructibles et nous devrons veiller à ce que l’objectif de « zéro artificialisation nette » des sols en 2050, le fameux ZAN, ne fasse pas peser de contraintes trop lourdes sur la construction de logements neufs.

Je salue à ce titre l’excellent travail réalisé par la commission spéciale présidée par Valérie Létard autour de la proposition de loi dont nous débattons cette semaine. Ce sont des signes forts envoyés aux acteurs de nos territoires.

En outre, la construction et l’amélioration des logements sont compliquées par le foisonnement des normes qui les encadrent. Entre 2002 et 2022, le code de l’urbanisme est passé de 1 584 à 3 542 pages. La prolifération des normes augmente le coût de la construction et peut en limiter le volume ; parfois, ces normes sont tout simplement absurdes.

Je me réjouis à ce propos que la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, présidée par notre collègue Françoise Gatel, organise ce matin même les États généraux de la simplification.

La crise de l’offre est enfin celle de la location. Il importe à ce titre que les bailleurs soient accompagnés dans la rénovation de leurs logements, afin que les obligations de performance énergétique auxquels ils sont soumis ne représentent pas une charge trop lourde et désincitative.

Au Sénat, la commission d’enquête sur l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, proposée par notre collègue Guillaume Gontard et présidée par Dominique Estrosi Sassone, commission d’enquête dont je suis membre, mène à cette fin, depuis plusieurs semaines, de nombreuses auditions.

Nous tentons notamment d’évaluer le service MaPrimeRénov’ et, plus largement, les freins et les dysfonctionnements qui entravent les dispositifs d’aide à la rénovation énergétique, empêchant à ce jour de massifier ces rénovations et de répondre à cette priorité nationale. C’est l’une des missions du Parlement que d’évaluer et de contrôler les politiques publiques.

Mes chers collègues, gardons toujours à l’esprit ces mots de l’abbé Pierre : « Gouverner, c’est d’abord loger son peuple. »

Le logement est un sujet complexe, qui fait intervenir de très nombreux acteurs et soulève des problématiques variées, qu’elles soient de nature économique, sociale, ou environnementale.

Je souhaite que l’initiative de Jean-Louis Lagourgue, à défaut de constituer à ce stade une réponse viable à la problématique du mal-logement, marque le début d’un vrai débat de fond sur ces questions chères aux Français. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)