Mme le président. La parole est à Mme Sylvie Robert. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Sylvie Robert. Je commencerai par une question : connaissez-vous Mark A. Landis ? Sa vie, qualifiée de « hors du commun » outre-Atlantique, a été quasiment consacrée à une seule activité : réaliser de fausses œuvres d’art, en prenant appui sur les catalogues des musées américains. Mais là où l’histoire devient mordante, c’est qu’il n’agit pas ainsi dans le but de s’enrichir : il donne, gratuitement, ses faux aux musées qui, pendant plus de vingt ans, ne remarquent rien.

Finalement démasqué par un conservateur perspicace, il fera l’objet d’un documentaire, Le Faussaire, diffusé en 2015 au cinéma. Et, quand il est interrogé sur la tromperie à grande échelle qu’il a orchestrée, il a cette sentence déconcertante : « Je n’ai commis aucun crime ! » Il faut comprendre par là qu’il n’a pas bénéficié d’un enrichissement personnel.

Cette histoire romanesque témoigne de l’acuité de la présente proposition de loi et de la nécessité de mieux appréhender, culturellement et juridiquement, le faux en art. Car ce qui apparaît principal dans la défense de Mark A. Landis, en l’occurrence l’absence d’enrichissement personnel, n’est en réalité que secondaire ; ce qui est central, c’est la vaste duperie qui a abouti à ce que des institutions culturelles présentent au public pendant des années de fausses œuvres d’art.

En France, la loi Bardoux, accompagnée du décret Marcus du 3 mars 1981, semble désormais dépassée, obsolète pour traiter efficacement du faux. Il est évident qu’à la Belle Époque, et même il y a quarante ans, le faux en art ne revêtait pas les mêmes formes qu’aujourd’hui, devenues plus sophistiquées et plus étendues.

De manière analogue, le marché de l’art ne représentait pas autant qu’aujourd’hui un terrain de jeu pour la criminalité organisée et les divers trafics internationaux : le nombre de contrefaçons artistiques a été multiplié par deux entre 2017 et 2020. C’est pourquoi il est indispensable d’actualiser la loi pour mieux lutter contre les fraudes artistiques.

Mais par-delà la modernisation de notre arsenal législatif, la philosophie même de la proposition de loi est extrêmement contemporaine. Celle-ci ne se contente pas de viser les auteurs de l’infraction et la réparation des préjudices subis, elle tend surtout à protéger les œuvres d’art en tant que telles. Autrement dit, l’œuvre d’art, et la prévention des atteintes qui pourraient lui être portées, devient l’objet même de la proposition de loi. C’est un renversement de paradigme très intéressant et radicalement moderne dans son approche.

Ainsi, de nombreux questionnements se posent, de plus en plus, autour de l’œuvre et de sa vie. C’est particulièrement vrai dans la filière musicale, où l’une des conséquences du numérique – qui n’était pas la plus attendue – a été de redonner un élan, voire même parfois une existence, à des œuvres qui semblaient condamnées à l’oubli. En d’autres termes, il n’y a plus de parcours uniforme, linéaire pour une œuvre ; et, plus encore qu’auparavant, la vie d’une œuvre se trouve décorrélée de celle de son auteur – ce qui rend sa protection d’autant plus impérieuse.

D’autre part, le postulat de cette proposition de loi est aussi une déclinaison de l’exception culturelle, tant soutenue par la France : une œuvre d’art n’est aucunement un bien comme un autre et, à ce titre, elle doit disposer de protections spécifiques. C’est précisément ce raisonnement qui avait conduit la France et d’autres pays européens à créer un droit d’asile des œuvres en 2015 et 2016, lorsque les destructions et pillages d’œuvres et de monuments parfois plurimillénaires se multipliaient dans les territoires sous domination de l’État islamique.

Nous avions alors été nombreux, y compris sur ses travées, à nous émouvoir et nous révolter contre ce qui constituait un effacement méthodique de sociétés, de cultures, d’histoires, de croyances, d’imaginaires, en somme de vies et de faits qui sont constitutifs d’une certaine vérité historique et anthropologique.

La question de la vérité a été au cœur de nos riches échanges sur ce texte. S’il est aisé de s’accorder sur le principe que le faux est éminemment une altération de la vérité, il est beaucoup plus délicat d’apprécier cette altération en matière artistique. Non seulement, par essence, atteindre la vérité d’une œuvre, ou ne serait-ce qu’un pan de cette vérité, peut se révéler très compliqué, voire illusoire – ce que démontre magistralement Mohamed Mbougar Sarr dans son livre La plus secrète mémoire des hommes. Mais de plus, l’état des connaissances et des techniques nous oblige à l’humilité, notamment devant le développement des œuvres créées par l’intelligence artificielle. Des expériences ont déjà prouvé qu’avec le degré de technicité actuel de l’intelligence artificielle, les conservateurs et spécialistes de l’art peuvent se retrouver démunis pour distinguer une œuvre authentique et un faux façonné par une machine informatique.

Plutôt que de nous en remettre à la notion instable d’altération de la vérité, nous avons préféré caractériser précisément le faux et l’infraction qui s’y rattache, élargissant à cette occasion son spectre par rapport à la loi Bardoux, afin de renforcer l’effectivité et la portée du dispositif.

Enfin, j’aimerais évoquer une préoccupation majeure : la confiance. L’implication la plus dangereuse et déstabilisante du feuilleton Landis, et de tout faux qui circule de manière générale, c’est la défiance qui en résulte, aussi bien sur le marché de l’art que dans le rapport aux institutions culturelles.

Quoi qu’il en soit, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi constitue un premier pas important pour moderniser notre corpus législatif. Nous devrons impérativement rester très vigilants face aux développements de l’art numérique, où les défauts de preuve d’authenticité et les risques de falsification sont, par définition, accrus. À n’en pas douter, comme dans beaucoup de secteurs, le numérique et l’intelligence artificielle réinterrogeront – et réinterrogent déjà ! – le faux artistique et nous amèneront sûrement, en tant que législateurs, à intervenir de nouveau.

Merci à Bernard Fialaire et à son groupe d’avoir déposé cette proposition de loi. Les auditions auxquelles j’ai assisté m’ont ouvert des perspectives infinies sur toutes les questions qui se posent aujourd’hui en matière de création artistique. J’espère que ce texte continuera son parcours à l’Assemblée nationale, après réception des conclusions du rapport demandé par le CSPLA, et que nous pourrons en débattre de nouveau ensemble. (Applaudissements.)

Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il fallait une certaine intrépidité pour partir à l’assaut du vénérable édifice constitué par la loi Bardoux. Les premiers coups de pioche donnés, vous vous aperçûtes que ses fondations, encore bien solides, pouvaient expliquer la durabilité d’élévations que l’on pensait croulantes.

Avec l’humilité qui vous caractérise, vous reconnaissez que la proposition de loi que vous nous soumettez est encore imparfaite. Elle a néanmoins le mérite de définir le cadre utile d’un chantier de reconstruction. Il restera à M. le sénateur Agénor Bardoux bien d’autres mérites – dont celui d’avoir participé à la révision du texte de Salammbô.

La loi de 1895 intéresse le droit des contrats. Dans le domaine particulier du marché de l’art, elle apporte des garanties à l’acheteur en le préservant du dol, de l’escroquerie et de la falsification. Son objet n’est pas de protéger l’auteur ni son œuvre, mais de sanctionner les tromperies sur l’authenticité d’une œuvre pour donner à l’acquéreur une assurance de délivrance conforme.

Elle met en œuvre pour cela deux notions essentielles, l’intentionnalité de la fraude et l’authenticité de l’œuvre. À l’usage, ces deux principes sont parfois apparus d’établissement complexe : la question de l’authenticité recoupe souvent celle de la provenance et l’intentionnalité est quelquefois difficile à établir quand elle est l’enjeu de controverses académiques.

Le décret modifié du 3 mars 1981, dit décret Marcus, a tenté de corriger ce défaut en introduisant des gradations dans le degré de certitude de l’authentification. Les formules qu’il propose – « attribué à », « de l’école de », du « style »… – ont eu le mérite d’offrir au vendeur la possibilité de ne pas engager totalement sa responsabilité quand il estimait que l’authenticité pouvait être discutable.

Néanmoins, de nombreuses questions restaient pendantes, comme celle relative à la révision de la valeur d’une œuvre à la suite d’une nouvelle attribution. On sait que la Cour de cassation, par son deuxième arrêt Poussin, a considéré qu’elle n’était pas créatrice de qualités nouvelles, mais révélatrice de qualités préexistantes, ce qui permettait au vendeur de dénoncer le contrat.

Par ailleurs, la loi Bardoux était inspirée par une conception très académique des beaux-arts, qui fut rapidement dépassée par l’évolution de la pratique artistique. En 1913, Marcel Duchamp expose sa roue de bicyclette et, plus tard, sa fontaine, en posant la question : « Peut-on faire des œuvres qui ne soient pas d’art ? ». En l’occurrence, ce qu’interroge Marcel Duchamp, c’est le statut de l’artiste et de l’œuvre, et c’est dans ce questionnement que réside la démarche artistique. La notion d’authenticité n’a alors plus aucun sens.

Avec cet exemple est rapidement abordé le problème juridique complexe des relations entre la législation du patrimoine et celle de la propriété intellectuelle. L’auteur conserve des droits sur l’œuvre même après sa vente. Comment établir l’authenticité d’une œuvre que son auteur aurait reniée et qu’il aurait peut-être détruite ?

Monsieur le rapporteur, à plusieurs reprises dans cet hémicycle, notamment lors de la discussion sur les lois de restitution, vous avez exprimé vos interrogations d’ordre philosophique sur la valeur de la notion de propriété appliquée à une œuvre d’art. Dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi, vous considérez que l’œuvre appartient d’abord à une culture avant d’appartenir à un individu.

L’abrogation de la loi Bardoux est alors pour vous un moyen de nous inciter à une réflexion plus profonde. Pour cette première pierre d’un édifice plus vaste, nous vous remercions chaleureusement. (Applaudissements.)

Mme le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi.

M. Pierre-Antoine Levi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je ne sais exactement ce qu’est un faux. Je ne sais précisément ce qu’est un bien culturel. J’ignore la différence réelle entre un plagiat et un pastiche. Mais je sais reconnaître une œuvre d’art quand j’en vois une. Et je peux dire que ce texte en est une. Une œuvre d’art authentique. Une œuvre de dentelle, ou d’orfèvrerie juridique, pour filer la métaphore.

Car elle nous entraîne dans un univers de droit où chaque concept doit être bien pesé et où la subtilité le dispute à la finesse. Monsieur Fialaire, en tant qu’auteur et rapporteur de ce texte, vous me permettrez de vous dire : chapeau l’artiste !

Votre proposition réforme la loi Bardoux, du nom de l’honorable sénateur inamovible Agénor Bardoux, aïeul d’une personnalité chère à la famille politique dont je suis membre, à savoir l’ancien Président de la République Valéry Giscard d’Estaing.

En proposant ce texte en 1895, Agénor Bardoux avait réagi au scandale provoqué par une escroquerie artistique dont avait été victime Alexandre Dumas fils. Ce dernier avait acquis un tableau qui lui avait été vendu comme étant un Corot et qui était en réalité une œuvre de Paul Désiré Trouillebert…

Près de cent trente ans plus tard, les arnaques artistiques font toujours la une des gazettes : faux sièges de Marie-Antoinette acquis par le château de Versailles, fausse Vénus de Cranach achetée par le prince de Liechtenstein et, surtout, acquisition par le Louvre Abu Dhabi d’une stèle de Toutankhamon illégalement sortie d’Égypte en 2011.

Trois exemples qui montrent à quel point la fraude artistique est non seulement d’actualité, mais même en plein boom. Trois exemples qui montrent aussi à quel point elle peut être protéiforme.

Frauder, ce n’est pas seulement mentir sur l’authenticité d’une œuvre. Cela peut tout aussi bien être mentir sur son origine. Et cela peut concerner des objets de toute nature et de toute époque.

C’est cette extension du domaine de la fraude que ne couvre pas la loi Bardoux. Depuis 1895, la création artistique a changé, tout comme le marché de l’art et l’art des escrocs. Ce texte ne protégeait que les œuvres d’art classiques, telles que les peintures ou les sculptures, mais pas les photographies, les objets de design, et encore moins la vidéo et les NFT.

De plus, elle ne protège que les œuvres les plus récentes, c’est-à-dire celles qui ne sont pas encore tombées dans le domaine public. La loi Bardoux était dépassée depuis longtemps. À l’heure de la numérisation de l’art et de son commerce, sa survivance a presque quelque chose de poétique. Mais poésie ne rime pas toujours avec effectivité juridique…

Le principal apport du texte qui nous est proposé est d’élargir la répression de la fraude à la réalité contemporaine du phénomène, à l’ensemble des œuvres aujourd’hui concernées, signées ou non, contemporaines ou anciennes.

L’arsenal juridique dont nous disposons à côté de la loi Bardoux ne permet-il pas déjà de remédier à ses lacunes ? C’est là que l’on entre dans le byzantinisme. Le code pénal sanctionne bien les délits de contrefaçon, d’escroquerie, de tromperie et de faux et usage de faux. Mais le pénal n’est pas le civil. De même, le décret Marcus de 1981 ne permet de sanctionner que les vendeurs contrevenants. Les trous dans la raquette sont donc importants.

L’autre grand apport du texte est de revaloriser la peine encourue. La loi Bardoux n’est pas assez sévère : deux ans et 75 000 euros d’amende, sans modulation en fonction des circonstances, compte tenu de l’ampleur des trafics actuels, c’est très insuffisant. Nous ne pouvons que soutenir le renforcement substantiel de ces sanctions, qui sont alignées sur les infractions d’escroquerie, recel ou blanchiment. Cela portera la peine et l’amende à cinq ans et 350 000 euros pour les cas ordinaires et permettra de monter à dix ans de prison et 1 million d’euros d’amende quand les faits sont commis en bande organisée.

D’aucuns se sont exprimés pour regretter que ce texte soit présenté avant que le CSPLA, saisi sur le même sujet, ne rende ses conclusions. On peut le comprendre, mais il y aura toujours de bonnes raisons d’attendre… et le cadre juridique actuel a presque 130 ans !

De plus, les apports du CSPLA, qui semble travailler sur les procédures judiciaires qui permettraient de mieux lutter contre les faux sur le marché de l’art, seront sans doute parfaitement complémentaires avec le travail effectué sur la présente proposition de loi.

Un point, toutefois, me laisse perplexe, celui du devenir des faux. C’est une question passionnante, car elle interroge notre rapport à l’authenticité – et presque au réel.

Non seulement on ne peut jamais être sûrs qu’un faux en est bien un, mais, de plus, un faux peut être beau, un faux peut être une vraie œuvre d’art.

Face à cet épineux problème, monsieur le rapporteur, vous avez refusé la solution grossière de la destruction systématique. C’est sage ! Vous avez aussi refusé celle du marquage, au motif qu’un marquage peut toujours être escamoté.

Vous proposez donc la mise en place d’un registre des faux artistiques. C’est la solution qui nous semble la plus pertinente. Mais, parallèlement, vous déléguez au juge le soin d’apprécier ce qu’il devrait advenir du faux en fonction des circonstances de l’espèce. Comme trop souvent, le législateur se dessaisit.

Ne peut-on au moins utiliser notre compétence pour énumérer de manière restrictive les conditions dans lesquelles un faux devrait être détruit ou confisqué ?

Nonobstant cette interrogation, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera en faveur de ce texte. Puisse-t-il avoir la longévité de la loi Bardoux ! (Applaudissements.)

Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique, dite loi Bardoux – j’ai découvert ce nom grâce à cette loi (Sourires.) – est un texte que son ancienneté pourrait d’ores et déjà condamner.

Si le faussaire s’est longtemps vu crédité d’une image romantique, mérite-t-il encore aujourd’hui ce qualificatif ? (Mme la ministre sourit.)

De ces génies d’autrefois aux délinquants de notre temps, il n’en demeure pas moins qu’à l’ancienneté de la réponse du droit doit être opposée la modernité des pratiques des faussaires.

C’est en cela que résident l’enjeu et l’objectif de la proposition de loi présentée par Bernard Fialaire et cosignée par les treize autres sénateurs du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Je rappelle que ce texte désuet, à l’application limitée, aux effets peu dissuasifs, inadapté aux enjeux contemporains du marché de l’art international, cristallise la frustration des ayants droit et professionnels du marché de l’art. Ces derniers sont depuis trop longtemps dans l’attente d’une actualisation des dispositions juridiques permettant de lutter contre les fraudes en matière artistique.

Afin de conserver à la liberté toute sa légitimité, j’appelle néanmoins l’attention sur la nécessité de veiller à ce que nos différents débats ne fassent pas entrer le texte dans une répression trop marquée.

Le monde de l’art a ses propres usages, ses propres traditions, et il n’est pas évident de se positionner de façon tranchée entre ce que le droit peut accepter et ce qu’il doit interdire.

La liberté de la création est essentielle à l’art. Elle est ce que la liberté d’expression est à la pensée.

Cet équilibre fragile entre la nécessité de protéger les œuvres contre leur exploitation frauduleuse et le principe intangible de liberté de création doit donc être recherché en priorité.

C’est ce que le groupe du RDSE a désiré atteindre, sous la plume de Bernard Fialaire et au travers de ce texte, en focalisant notamment la répression sur les atteintes portées aux œuvres d’art elles-mêmes, et non sur la seule protection de l’acheteur ni sur les seuls aspects contractuels.

Le faux artistique ne devrait-il pas être pensé comme une atteinte à la vérité – et de surcroît à l’intérêt général – plutôt que comme une atteinte à un intérêt particulier ?

À l’heure de la démocratisation et de l’internationalisation du marché de l’art et alors que la loi Bardoux se démarque par son caractère inadapté aux enjeux contemporains du marché international de l’art, il était important d’attacher un symbolisme marquant à la nouvelle infraction que crée cette proposition de loi portant réforme de la loi Bardoux.

Nous souhaitons ainsi affirmer que les œuvres d’art ne sont pas assimilables à de simples marchandises, mais qu’elles constituent un bien commun.

Ce bien commun pourrait s’étendre demain non plus aux seules catégories d’œuvres d’art et d’objets de collection en vogue à la Belle Époque, mais à toutes les nouvelles formes de création, d’aujourd’hui et du futur.

La fraude serait désormais étendue aux falsifications relatives à la datation, à l’état ou à la provenance de l’œuvre d’art et ne serait plus limitée aux seules falsifications liées à la signature ou à la personnalité de l’artiste.

Si la finalité est d’améliorer la protection des consommateurs, de restaurer la crédibilité du marché de l’art et d’accroître la transparence et la fiabilité dans ce domaine, reste la difficulté inhérente à l’art d’appréciation de l’altération de sa vérité, tant la vérité en matière artistique est souvent difficile à établir et sujette aux aléas des connaissances et des techniques.

Je finirai en soulignant le signal fort que cette proposition de loi adresse aux auteurs de fraudes artistiques sur le caractère hautement répréhensible de leurs actions.

Si la loi Bardoux se distingue par ses effets peu dissuasifs, l’alourdissement du régime des peines devrait contribuer à rendre toute sa crédibilité à notre marché de l’art – qui occupe le quatrième rang mondial – et à protéger les amateurs d’art contre la tromperie, tout en garantissant la liberté de création des artistes.

Le groupe du RDSE se félicite par ailleurs des modifications et enrichissements apportés par la commission. Il votera bien évidemment cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme le président. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie tout d’abord le groupe du RDSE, ainsi que Bernard Fialaire, auteur et rapporteur de cette proposition de loi. Ils ont pointé un véritable sujet dont nous devions nous saisir : les fraudes en matière artistique.

Le phénomène n’est pas nouveau. En 1895, déjà, le sénateur Agénor Bardoux intervenait dans cet hémicycle, à la suite de l’achat par Alexandre Dumas fils d’un paysage portant la signature de Corot, alors qu’en réalité il avait été peint par un artiste bien moins renommé de l’école de Barbizon, Paul-Désiré Trouillebert.

Ce scandale a abouti à la loi Bardoux, qui, depuis sa promulgation en 1895, n’a jamais été modifiée et continue d’être appliquée par les juges.

Toutefois, on constate ces dernières années une multiplication des fraudes en matière artistique, ainsi qu’une augmentation considérable des transactions illicites.

Face à ces dernières, cette proposition de loi pointe à juste titre les insuffisances des dispositions juridiques de la loi Bardoux, qui est aujourd’hui obsolète au regard des exigences de notre temps en matière de lutte contre la fraude artistique.

Cette loi est obsolète, car son champ d’application est trop restrictif pour couvrir toute l’étendue des faux dans leur réalité actuelle. Elle ne vise en effet que les arts existant à la Belle Époque tels que la peinture, la sculpture, le dessin, la gravure ou la musique, alors que de nouvelles formes artistiques – photographie, arts décoratifs ou encore arts numériques – se sont développées et ne cessent de se développer depuis.

Cette loi est obsolète, car elle ne prend en considération que les faux en signature et vise exclusivement les œuvres protégées par le droit d’auteur, alors que les œuvres tombées dans le domaine public constituent une part importante des affaires de fraude.

Cette loi est obsolète, enfin, car l’échelle des peines n’est plus en adéquation avec les infractions similaires, comme les délits de contrefaçon ou de faux et d’usage de faux. Comme le souligne justement la proposition de loi, le recours aux dispositifs existants, comme ceux qui sont prévus pour lutter contre l’escroquerie, le faux, la tromperie ou la contrefaçon, est impossible, car ces derniers ne sont pas tout à fait adaptés à la situation particulière des fraudes artistiques.

Madame la ministre, les auteurs et leurs ayants droit, les acheteurs – amateurs d’art ou investisseurs –, les professionnels du marché de l’art, ainsi que les institutions dont l’activité se trouve parasitée, sont ainsi dans l’attente d’une réforme.

À ce besoin criant d’actualisation de la loi, ce texte apporte une réponse nécessaire et attendue.

Cependant, si les insuffisances de la loi Bardoux sont connues, sa réécriture s’annonçait particulièrement complexe. (Mme la ministre acquiesce.)

On peut déplorer à cette occasion que la lutte contre les faux en matière artistique n’ait pas été jusqu’alors une priorité, en comparaison des efforts engagés à l’égard des contrefaçons dans d’autres secteurs économiques.

Bernard Fialaire s’est attaché à mener ce travail complexe. Certes, les travaux sur les fraudes artistiques se sont multipliés ces dernières années. Notre rapporteur les a recensés : le colloque « Le faux en art », organisé au mois de novembre 2017 par la Cour de cassation, le groupe de travail constitué en 2018 au sein de l’institut Art & Droit et, bien sûr, la mission du CSPLA, dont les conclusions sont attendues au mois de juillet prochain.

C’est en se fondant sur ces travaux et réflexions de spécialistes que Bernard Fialaire a eu le mérite de proposer une réforme du droit existant, au travers d’un nouveau texte qui va au-delà de simples aménagements.

La loi Bardoux, venue combler en son temps un vide juridique, laissera place à une loi ancrée dans la modernité, que l’on appellera peut-être dans quelques années, cher Jean-Claude Requier, puisque vous avez indiqué que les grandes lois devaient avoir un nom, la loi Fialaire ! (Sourires et applaudissements.)

Ce texte apporte en effet une réponse pénale adaptée, qui prend en considération la diversité des œuvres d’art circulant sur le marché.

À partir des travaux menés en commission, plusieurs amendements ont été adoptés en vue de clarifier les nouvelles règles et d’éviter certains effets collatéraux relevés lors des auditions.

L’approche retenue place au centre du dispositif non plus les droits qui lui sont attachés, mais l’œuvre en elle-même. Elle vise à assurer un équilibre entre protection des œuvres et liberté de création.

La définition de la fraude artistique a été réécrite en ce sens, afin de ne pas entraver les usages non frauduleux de l’œuvre d’art.

Pour lutter contre la multiplication des fraudes, la commission a aussi prévu l’alourdissement des peines en cas de circonstances aggravantes, lorsque la fraude est commise par un professionnel du marché de l’art ou lorsque le préjudice est subi par une collectivité publique.

Le juge pourra par ailleurs prononcer une interdiction d’exercice de l’activité professionnelle ayant conduit à l’infraction.

La question du sort de l’œuvre falsifiée est également traitée par le texte issu des travaux de la commission, qui s’en remet au juge pour décider la confiscation, la restitution ou la destruction de l’œuvre.

Ces dispositions vont manifestement dans le bon sens. Elles pourront être utilement complétées – M. le rapporteur y est prêt – en cours de navette parlementaire, à partir des conclusions de la mission créée par le CSPLA.

Certes, nous sommes conscients qu’une loi ne suffira pas à résoudre tous les problèmes posés par l’évolution du marché de l’art, notamment celui de la circulation des œuvres via l’activité des plateformes en ligne si peu réglementée.

Ce texte constitue néanmoins la première pierre de ce chantier et adressera un signal fort aux auteurs de fraudes artistiques.

Dans cette perspective, le groupe Les Républicains votera bien entendu cette proposition de loi.

La loi Bardoux a vécu cent vingt-huit ans. Longue vie à la future loi Fialaire ! (Rires et applaudissements.)