M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, c’est l’histoire de Malakai, un petit garçon âgé de 7 ans, battu à mort dans la nuit du 12 au 13 octobre 2022 par le compagnon de sa mère. Celui-ci avait déjà été condamné huit fois pour des faits de vols, de menaces et de violences conjugales.

Pourtant, en avril 2022, les services sociaux s’étaient saisis du cas de la mère et de son fils, qui avaient fait l’objet d’un signalement à la justice en raison de « carences éducatives et de conduites addictives de la mère et d’un père totalement absent ».

La mort tragique de Malakai est loin d’être anodine. En France, un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups de ses parents dans un contexte de violences conjugales. À ce titre, 400 000 enfants vivent dans un foyer où s’exercent des violences conjugales et 160 000 enfants subissent chaque année des violences sexuelles.

Les travailleurs sociaux croulent sous les dossiers qu’ils ne parviennent plus à traiter, faute de moyens suffisants. De surcroît, les tribunaux dénoncent une dégradation dramatique de la situation du pôle des affaires familiales. Les JAF sont débordés et en sous-effectif, mais je ne vous apprends ici rien de nouveau…

Dans tout ce désordre judiciaire, y a-t-il une place à consacrer à l’intérêt supérieur de l’enfant ? La responsabilité de l’État est immense.

Aujourd’hui, nous discutons d’un texte qui vise à améliorer la protection des enfants en renforçant le dispositif existant de retrait de l’exercice de l’autorité parentale. Désormais, tout parent ayant été poursuivi, mis en examen ou condamné pour un crime commis sur l’autre parent et/ou crime ou agression sexuelle incestueuse commis sur l’enfant se verra suspendre de plein droit l’exercice de l’autorité parentale, ainsi que les droits de visite. Cette proposition de loi pourrait être une réelle avancée en matière pénale et civile.

Certes, cela n’est toujours pas suffisant pour lutter contre les violences intrafamiliales. Le Gouvernement devrait élaborer une véritable politique publique ambitieuse en matière de protection de l’enfance. On ne peut pas se contenter de petites mesures ou de numéro vert.

C’est notre devoir d’empêcher qu’un autre Malakai ne meure sous les coups d’un parent violent. Il nous faut garantir un accompagnement effectif pour tous ces enfants victimes de violences intrafamiliales et permettre leur reconstruction. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mmes le rapporteur et Martine Filleul applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe RDSE se réjouit de la présentation de cette proposition de loi, qui soulève des enjeux primordiaux et nous ramène à notre responsabilité collective de protéger nos enfants. Notre édifice institutionnel et législatif relatif à la protection des enfants doit s’enrichir de nos débats.

Je rappelle que le groupe RDSE, sensible à la question de la protection des enfants, s’est déjà positionné sur un renforcement de la répression des abus sexuels intrafamiliaux.

Les violences intrafamiliales sont le quotidien d’un trop grand nombre de nos concitoyens. Pire encore, celles dont sont victimes nos enfants posent un problème dont notre société a du mal à reconnaître le caractère massif et systémique.

Or la réalité, c’est que, chaque année, 400 000 enfants vivent dans un foyer où s’exercent des violences conjugales, et 160 000 enfants subissent des violences sexuelles avérées.

Chocs traumatiques, troubles psychotraumatiques, phénomènes de dissociation, troubles de la mémoire : derrière ces violences, qu’elles soient physiques, sexuelles ou psychologiques, les conséquences sur l’enfant et son développement sont graves. Néanmoins, rappelons qu’elles sont réversibles si une protection et un traitement psychothérapique spécialisés sont mis en place.

Nous plaidons pour une mise à l’abri rapide des enfants victimes et une prise en charge la plus précoce possible, afin de limiter les conséquences sur leur santé. Tout retard dans cette mise en sécurité et cette prise en charge équivaut à une perte de chance pour chaque enfant concerné.

Au-delà des questions d’élargissement du mécanisme de suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et de systématisation du prononcé du retrait de l’autorité parentale par les juridictions pénales, notamment en cas de crime commis sur la personne de l’enfant ou de l’autre parent ou d’agression sexuelle incestueuse sur l’enfant, nous devons nous interroger sur la bonne temporalité pour agir et protéger l’enfant en coupant le lien avec le parent violent, que ce soit de façon temporaire ou définitive.

Nous devons avoir cette réflexion sans perdre de vue l’objectif de protection des victimes et de préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant. Nous devons également mettre l’accent sur une meilleure sensibilisation de la société sur ces sujets, afin de traiter le plus en amont possible les violences intrafamiliales sur la personne de l’enfant.

Si la législation progresse depuis quelques années, il nous faut faire mieux, d’abord en accroissant l’arsenal législatif en matière de suspension et de suppression de l’autorité parentale ou de son exercice, sans oublier de rendre davantage lisibles et applicables les mesures déjà en place dans le droit en vigueur.

Dans ce cadre, le groupe RDSE se félicite des avancées que comporte ce texte, notamment l’élargissement du régime de suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement aux crimes et agressions sexuelles incestueuses commis sur la personne de son enfant. Cependant, nous regrettons que la commission ait souhaité atténuer la portée du dispositif principal en excluant la suspension automatique de l’exercice de l’autorité parentale du parent violent le temps de la procédure pénale.

Si cette modification répond au principe de présomption d’innocence et au droit de chacun, enfant comme parent, de mener une vie familiale normale, elle ne permet pas, compte tenu notamment de la longueur de la procédure pénale, d’améliorer un dispositif qui se caractérise aujourd’hui par son ineffectivité en raison d’un manque de lisibilité.

Si nous conservons la procédure actuelle, il reviendra toujours au procureur de saisir le juge aux affaires familiales afin de déclencher la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité familiale, ce qui, rappelons-le, n’est pas systématique. Surtout, suivant la procédure actuelle, si le JAF ou le juge pénal ne s’est pas prononcé dans un délai de six mois, le parent poursuivi récupère ses droits automatiquement.

Prévenir ou guérir ? Tel est le dilemme qu’affrontent les acteurs de la protection de l’enfance. Où doit-on placer le curseur ? Toujours est-il qu’il serait opportun que nous trouvions des solutions afin que notre appareil répressif ne souffre plus d’une ineffectivité dont les conséquences peuvent être lourdes.

Néanmoins, en dehors de ces quelques observations, nous pensons que cette proposition de loi va dans le bon sens et contribuera à briser davantage le silence autour des violences commises dans le cadre intrafamilial. La systématisation du prononcé du retrait de l’autorité parentale par les juridictions pénales en cas de crime commis sur la personne de l’enfant ou de l’autre parent ou d’agression sexuelle incestueuse sur l’enfant en est le formidable symbole.

C’est pourquoi le groupe RDSE votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC. – Mme le rapporteur et M. Thani Mohamed Soilihi applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Lherbier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Brigitte Lherbier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le retrait de l’autorité parentale est, dans notre culture, encore difficile à envisager. Pourtant, cette option reste nécessaire dans l’éventail des moyens de protection de l’enfant victime de sa famille.

Depuis des décennies, les philosophies des acteurs de la protection de l’enfant s’affrontent. Le législateur doit trancher : pour nous, il est indispensable de sanctionner le parent coupable de violences extrêmement graves sur l’enfant et de protéger cet être vulnérable physiquement en l’éloignant juridiquement de l’autorité dont il dépend et qui le détruit.

De 1979 à 1982, dans le cadre de mes études, j’avais travaillé sur la situation des enfants placés dans les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (Ddass), qui dépendaient alors de l’État, souvent pour des faits de violences intrafamiliales graves. J’avais à l’époque remarqué que de nombreux enfants placés, en principe temporairement, étaient oubliés dans leur lieu de placement, sans surveillance, par l’administration toute puissante. Les enfants étaient souvent transférés à la campagne, au vert, loin des « mauvais parents ». Ceux-ci n’avaient plus de droits sur la vie de leurs enfants du fait, non de la loi, mais de la toute-puissance de l’administration.

La loi du 24 juillet 1889 – cela ne date pas d’hier ! – avait installé cette disjonction de protection des enfants maltraités ou moralement abandonnés, par l’éloignement des parents et par la déchéance de leurs droits de puissance paternelle.

Ce texte était fondé sur le caractère exemplaire de la peine. Il pouvait avoir – du moins l’espérait-on – un rôle dissuasif à l’égard des parents qui compromettaient la santé, la sécurité ou la moralité de leurs enfants. Mais il n’abordait pas le devenir des enfants. La seule mesure pérenne pour eux était le placement, le plus souvent irréversible.

La loi du 4 juin 1970 a remplacé la puissance paternelle par l’autorité parentale. Elle marque une étape essentielle dans l’évolution de la protection de l’enfant en ce qu’elle consacre l’égalité des parents.

À partir de cette époque, si le magistrat peut retirer l’enfant de sa famille en cas de nécessité, il doit s’efforcer, par principe, de recueillir l’adhésion de la famille à la mesure envisagée et faire en sorte que les liens soient maintenus dans la mesure du possible.

Le législateur de l’époque a cependant prévu une divisibilité des prérogatives de l’autorité parentale. La loi prévoit ainsi de diminuer les possibilités légales des père et mère quant à l’éducation de l’enfant si son intérêt le justifie.

Le législateur présente les mesures restreignant l’autorité parentale en respectant une gradation. Les magistrats, dès lors, peuvent limiter, voire retirer, l’autorité parentale des parents. Cependant, dès cette époque, le législateur invite les juges à considérer la mesure prise comme provisoire et à recourir le plus souvent possible à l’assistance éducative.

En ce qui concerne les mesures judiciaires propres à l’enfant, la loi du 6 janvier 1986 est venue renforcer les droits de la famille, en exigeant que les mesures soient limitées dans le temps, c’est-à-dire en deçà de deux ans.

Aujourd’hui, la révision des situations est orientée avant tout vers le retour de l’enfant dans sa famille, quoi qu’il en soit.

Avant les lois de décentralisation de 1983, la protection de l’enfant en danger reposait sur l’État. C’est la loi du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance qui a organisé la protection de l’enfance en danger.

Cette loi fixe les attributions du département. Elle établit les responsabilités de prévention, de détection et de protection des enfants maltraités en redéfinissant le rôle de chaque autorité. C’est à partir de là qu’apparaissent des antagonismes.

En 1997, j’ai soutenu une thèse sur la collaboration des institutions – pénales, civiles, sociales, médicales, éducatives – protégeant l’enfant. Chacune avait son rôle de détection, de signalement au juge, de prise en charge de l’enfant maltraité. Des progrès énormes ont été faits depuis trente ans, mais force est de constater que la coordination des justices pénale et civile n’est toujours pas évidente. Le dépôt en 2023 de cette proposition de loi montre que nous devons encore apporter des précisions.

Je voterai ce texte, car il replace l’enfant victime au cœur du dispositif judiciaire. Coordonner le civil et le pénal est une priorité pour la protection de l’enfant victime. C’est mon intime conviction. Le retrait de l’autorité parentale peut être nécessaire pour arrêter la reproduction de la violence familiale au sein des générations suivantes, mais il faut, en même temps, prévoir l’avenir de cet enfant, lui donner une stabilité juridique et une institution affective définitive.

Je compte sur vous, mes chers collègues, et surtout sur vous, monsieur le garde des sceaux, pour mettre à profit l’expérience qui est la vôtre en la matière. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un sur cinq, c’est la proportion des adultes qui auraient été victimes de violences sexuelles lorsqu’ils étaient mineurs. C’est considérable !

Certes, ce chiffre a pu être contesté. Il provient d’une méta-analyse conduite par le Conseil de l’Europe, reprenant plusieurs estimations de diverses organisations indépendantes, comme l’Unicef ou l’OMS.

Le rapport Sauvé, rendu public en octobre 2021, a donné une autre estimation, avec près de 15 % des femmes et plus de 6 % des hommes majeurs qui auraient été sexuellement agressés lorsqu’ils étaient mineurs. Cela ramène la prévalence dans la population totale à un peu plus de 10 %, comme l’a précisé M. le ministre.

En tout état de cause, il s’agit d’un phénomène massif. Des milliers d’enfants subissent chaque année des violences, et des millions d’adultes vivent toute leur vie avec le poids du traumatisme. Le grand public commence à saisir l’ampleur du problème, mais il est difficile de savoir si les violences sexuelles contre les enfants ont tendance à gagner du terrain, ou si nous en prenons davantage conscience à mesure que la parole se libère sur le sujet. Quoi qu’il en soit, il serait irresponsable d’ignorer ce phénomène qui brise les individus et divise les familles.

En outre, les violences sexuelles ne sont qu’une partie du problème, sans doute la plus glaçante et la plus révoltante, mais une partie seulement. Les enfants subissent d’autres formes de violences au sein du foyer.

En 2019, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes estimait à 400 000 le nombre des enfants concernés par ces violences. Il s’agit bien sûr des violences subies par les enfants eux-mêmes, le plus souvent à cause d’un père violent. Mais il s’agit aussi, et il ne faut pas le négliger, des violences qu’ils ne subissent pas directement, mais qui sont infligées par l’un des parents à l’autre. Celles-ci peuvent traumatiser les enfants presque autant que lorsqu’ils sont eux-mêmes victimes d’éclats de colère, de coups ou d’insultes.

Dans chacune de ces situations, la famille n’est plus le cocon protecteur qui permet à l’enfant de s’épanouir en sécurité ; la famille devient une prison dont il ne peut plus s’échapper.

Je me réjouis que les pouvoirs publics se soient emparés du sujet. Le lancement de la Ciivise, voilà deux ans, a permis de mettre nos institutions à l’écoute des victimes. C’était un préalable indispensable, car, en matière de violences intrafamiliales, une seule boussole doit guider l’action publique : l’intérêt de l’enfant. C’est pourquoi cette proposition de loi doit contribuer à faire avancer le débat sur ces sujets délicats et sensibles.

Ils sont délicats, car il n’existe pas de solution miracle. Nous parlons de situations où l’agresseur est, par définition, un proche de la victime, et même le plus souvent un élément structurant de sa famille. Punir l’agresseur est nécessaire, mais parfois douloureux, malheureusement, pour la victime.

Ces sujets sont également sensibles, car nous avons souvent, dans notre entourage, connaissance d’une situation particulière, d’un cas de figure où la violence a déjà assombri les relations familiales. Je rappelle au passage qu’il s’agit d’un phénomène qui dépasse tous les clivages sociaux et territoriaux.

Je tiens à saluer Mme le rapporteur, qui a conduit un travail sérieux sur ce sujet complexe. Le texte de la commission nous paraît plus respectueux de l’intérêt de l’enfant, alors même qu’il peut paraître moins sévère contre les parents violents. Je le répète : notre seule boussole doit rester l’intérêt de l’enfant.

Je m’arrête plus précisément sur la réécriture de l’article 1er. La commission a limité l’extension de la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale aux cas de crime ou d’agression sexuelle commis sur la personne de l’enfant. Elle a également souhaité conserver le caractère provisoire de cette suspension, comme c’est déjà le cas actuellement.

Je le répète, il s’agit de sujets délicats et sensibles. En tant que législateurs, nous devons veiller à préserver la présomption d’innocence et les relations au sein des familles où sévissent de telles violences.

C’est pourquoi il nous paraît judicieux de préserver aussi le rôle du juge aux affaires familiales dans l’application des sanctions à l’encontre des parents violents. Le législateur doit veiller à ne pas se substituer au juge. Rendre automatique le retrait de l’autorité parentale et de son exercice ne nous semble pas la réponse idoine. Nous faisons confiance aux juges pour préserver l’intérêt des enfants. (Mme le rapporteur applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (M. Joël Labbé applaudit.)

Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand on ne peut pas se protéger soi-même, on doit pouvoir appeler à l’aide. Et quand on appelle à l’aide, on doit nous croire. Et quand on nous croit, on doit nous aider.

Ces principes très simples devraient aller de soi. Pourtant, les protections accordées aux enfants victimes de violences intrafamiliales sont en France largement insuffisantes. Or il y a urgence, compte tenu de l’ampleur du phénomène : 165 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année ; 400 000 enfants vivent dans un foyer dont un membre exerce des violences conjugales, et en sont les victimes directes ou collatérales ; 2 enfants par classe et 1 à 2 adultes sur 10 ont été victimes de violences sexuelles, soit entre 35 et 70 d’entre nous, au Sénat, avec les fractures perpétuelles que cela implique.

Les violences subies pendant l’enfance ont de graves conséquences psychologiques et somatiques qui durent souvent la vie entière. Le mouvement #MeTooInceste et la Ciivise, créée en réaction, ont démontré que la clé n’était pas tant la parole que l’écoute, car les victimes qui parlent ne sont que rarement crues, encore moins aidées convenablement, quand elles le sont.

Il y a donc urgence à agir pour renforcer le cadre légal pour la protection des victimes. À cet égard, je remercie Mme Isabelle Santiago de son initiative et Mme la rapporteure, Marie Mercier, de son travail. L’ensemble du groupe écologiste soutient bien évidemment cette proposition de loi, qui est une étape importante pour améliorer la protection des victimes.

En particulier, elle permettrait d’élargir les cas de suspension d’exercice de l’autorité parentale, et ce afin de protéger l’enfant du parent violent. Si l’on croit la parole des victimes, il faut les protéger et, dans les cas de violences intrafamiliales, cela veut dire aussi parfois qu’il faut les protéger de leurs propres parents. C’est pourquoi l’élargissement de ces cas est une bonne chose.

À ce titre, je voudrais m’attarder sur deux points qui me paraissent particulièrement importants.

Premièrement, je regrette que la commission ait voulu supprimer certaines dispositions adoptées à l’Assemblée nationale.

Elle a décidé, en particulier, de ne pas étendre la suspension de l’exercice de l’autorité parentale dans certains cas qui avaient été prévus par les députés. Or cette suspension est souvent essentielle pour permettre, dans les faits, la protection des enfants victimes de leurs parents violents.

Le mouvement #MeTooInceste nous a montré que, dans de trop nombreux cas, on ne croit pas les victimes. Et comme on ne les croit pas, elles ne sont pas protégées par la justice. C’est ce que l’Assemblée nationale a retenu, et c’est pour cette raison que les députés ont voté pour un élargissement de cette suspension. Aussi avons-nous déposé des amendements visant à rétablir la rédaction de l’Assemblée nationale.

Deuxièmement, je souhaite m’inscrire en faux contre la théorie du syndrome de l’aliénation parentale. Le texte ne revient pas sur ce point, et c’est particulièrement inquiétant. De quoi s’agit-il ?

Prenons le cas d’un couple marié qui a une fille âgée de 7 ans. Après un divorce conflictuel, l’enfant part vivre avec un des parents. L’autre parent obtient un droit de visite pour l’enfant, qui vient chez lui un week-end sur deux. Un certain dimanche, celle-ci revient incontestablement traumatisée. Elle se confie au parent chez lequel elle vit – disons que c’est la mère –, racontant qu’elle subit des violences chez l’autre parent – admettons qu’il s’agisse du père.

La mère établit qu’il s’agit de violences sexuelles, alerte la justice et refuse ensuite de laisser partir sa fille pour la protéger de son ex-conjoint violent. À ce stade, il faut remarquer que nous nous trouvons devant un cas rare : l’enfant parle, on le croit et on agit.

Or, au lieu de protéger l’enfant en retirant l’exercice de l’autorité parentale, la justice remet parfois en cause le récit du parent protecteur et le suspecte d’accuser l’ex-conjoint pour se venger et d’instrumentaliser l’enfant. On ajoute ainsi du traumatisme au traumatisme en prétendant que l’enfant ment et en condamnant le parent qui agit comme il se doit. Ce faisant, on laisse l’enfant en danger.

La fausse théorie du syndrome de l’aliénation parentale, qui fonde ce raisonnement, est malheureusement répandue en France. Le Conseil de l’Europe a d’ailleurs mis en garde la justice française à ce propos, mais trop peu a été fait jusqu’à présent pour lutter contre ces croyances qui ont cours dans l’institution judiciaire. Nous devons mettre fin à cette absurdité.

Je conclurai en rappelant ce qu’a dit M. le ministre dans son propos liminaire : la lutte contre les violences faites aux mineurs va être mise au même niveau que celle contre les violences conjugales.

Compte tenu du nombre croissant de féminicides – 112 l’année dernière ! –,…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je sais !

Mme Mélanie Vogel. … permettez-moi, monsieur le ministre, d’exprimer mon inquiétude… (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, 400 000 enfants vivent aujourd’hui dans un foyer où s’exercent des violences intrafamiliales, et un enfant en meurt tous les cinq jours. Par ailleurs, plus de 160 000 enfants sont victimes chaque année de violences sexuelles, selon un rapport de plusieurs inspections datant de 2018.

Ces chiffres sont éloquents, mais ils sont d’une tout autre ampleur dans les territoires d’outre-mer. Dans une étude de 2017, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) rapportait que les violences intrafamiliales étaient plus fréquentes et plus graves outre-mer qu’en métropole, et ce en raison de l’insularité et de la faible superficie de certains territoires, qui peuvent entraver la libération de la parole et rendre inopérant l’éloignement du conjoint violent ou le choix d’un lieu anonyme pour être accueilli et écouté sans crainte. Plus récemment, un bilan du ministère de l’intérieur révélait qu’à Mayotte, ces violences avaient augmenté entre 2021 et 2022.

L’un des enjeux de la lutte contre les violences intrafamiliales est de mieux reconnaître la souffrance des enfants qui en sont victimes et de les protéger. Nous savons aujourd’hui que les traumatismes répétés qu’ils subissent peuvent déclencher diverses maladies et être un facteur de reproduction de violences à l’âge adulte.

Aussi, dans le prolongement du Grenelle des violences conjugales, lancé par le Gouvernement le 3 septembre 2019, le Parlement avait adopté deux lois prévoyant le renforcement des pouvoirs du juge pour retirer l’autorité parentale ou son exercice au parent violent, et pour protéger l’enfant et le parent victime.

Tout d’abord, la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a notamment créé un mécanisme de suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi ou condamné, même non définitivement, pour un crime commis sur l’autre parent.

Ensuite, la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a, entre autres dispositions, ajouté les délits commis sur l’autre parent à la liste des infractions pouvant fonder une décision de retrait de l’autorité parentale par le juge pénal.

Pour traiter ces violences, notre arsenal juridique s’est, certes, considérablement renforcé ces dernières années, mais il reste encore perfectible.

Le présent texte, qui s’inspire des recommandations de la Ciivise, s’inscrit dans cette optique et prévoit la mise en place de mécanismes automatiques de retrait ou de suspension de l’autorité parentale, ou de son exercice, lorsque le parent est poursuivi, mis en examen ou condamné pour les infractions les plus graves commises sur son enfant ou sur l’autre parent.

Depuis son dépôt, des modifications substantielles ont été apportées au texte, toujours dans un esprit transpartisan et dans le cadre d’un travail de coconstruction avec le Gouvernement, qui a fait de la protection des mineurs exposés aux violences intrafamiliales une priorité absolue de sa politique pénale.

Entièrement réécrite par l’Assemblée nationale, qui l’a adoptée à l’unanimité, cette proposition de loi prévoyait plus précisément d’élargir les cas de suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement : premièrement, jusqu’à la décision du JAF éventuellement saisi par le parent poursuivi ou jusqu’à la décision de non-lieu ou la décision de la juridiction de jugement en cas de poursuite, mise en examen ou condamnation pour un crime commis sur l’autre parent, ou de crime ou agression sexuelle incestueuse commis sur l’enfant ; deuxièmement, jusqu’à la décision du JAF qui devrait être saisi par l’un des parents dans les six mois à compter de la décision pénale en cas de condamnation, même non définitive, pour des violences volontaires ayant entraîné une ITT de plus de huit jours, lorsque l’enfant a assisté aux faits.

La proposition de loi prévoyait également le retrait systématique de l’autorité parentale ou de l’exercice de l’autorité parentale en cas de condamnation pour crime ou agression sexuelle incestueuse sur l’enfant ou pour crime sur l’autre parent, sauf si le juge en décidait autrement, à charge pour lui de motiver spécialement ce choix.

Par ailleurs, elle ajoutait un nouveau cas de délégation forcée de l’exercice de l’autorité parentale à un tiers en cas de poursuite, de mise en examen ou de condamnation pour un crime ou une agression sexuelle incestueuse commis sur l’enfant par un parent, seul titulaire de l’exercice de l’autorité parentale.

Sur l’initiative de notre rapporteur, Marie Mercier, dont je tiens à souligner la qualité du travail, notre commission a choisi de réserver le déclenchement du mécanisme de suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement aux crimes et agressions sexuelles incestueuses commis sur la personne de l’enfant.

Nous approuvons cette position, mais il nous semble indispensable de prévoir le retrait de plein droit de l’autorité parentale ou de son exercice et des droits de visite et d’hébergement en cas de condamnation d’un parent pour ce même type d’infraction commise sur son enfant ou pour un crime commis sur l’autre parent.

Nous vous présenterons, au cours de la discussion, trois amendements visant à concrétiser le plus fidèlement possible les recommandations de la Ciivise et à sécuriser la portée du dispositif.

Au-delà de ces aménagements qui, je l’espère, recueilleront votre assentiment, nous débattrons dans les heures qui viennent d’un texte équilibré, tenant compte de la nécessité de protéger l’enfant et de préserver les relations familiales et des liens d’attachement. Voilà pourquoi le groupe RDPI, que je représente, votera en faveur de son adoption. (Applaudissements sur des travées du groupe UC. – M. Éric Gold applaudit également.)