compte rendu intégral

Présidence de M. Roger Karoutchi

vice-président

Secrétaires :

Mme Françoise Férat,

M. Joël Guerriau.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 13 avril 2023 a été publié sur le site internet du sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Mise au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet.

M. Patrick Chauvet. Lors du scrutin n° 270, sur les amendements identiques nos 24, 25 rectifié bis, 44, 55 et 68 tendant à supprimer l’article 11 de la proposition de loi pour une école de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité, M. Moga souhaitait voter contre, tandis que M. Pierre-Antoine Levi et Mme Élisabeth Doineau souhaitaient s’abstenir.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.

3

Quelles solutions pour développer l’hydrogène au sein de notre mix énergétique ?

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « Quelles solutions pour développer l’hydrogène au sein de notre mix énergétique ? »

Dans le débat, la parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Évelyne Perrot applaudit également.)

M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’inclusion de l’hydrogène nucléaire aux côtés de l’hydrogène renouvelable dans les textes européens en cours de négociation, qu’il s’agisse de la révision de la directive sur les énergies renouvelables ou du règlement pour une industrie à zéro émission nette, fait l’objet de vifs débats.

C’est regrettable pour notre transition énergétique, car l’atteinte de la neutralité carbone à l’horizon 2050 résultant de l’accord de Paris de 2015 et la loi relative à l’énergie et au climat de 2019, dite Énergie-climat, suppose de mobiliser toutes les sources et tous les vecteurs d’énergie décarbonée.

C’est aussi contraire à notre souveraineté énergétique, car l’article 194 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne consacre le droit des États membres de choisir entre ces différentes sources d’énergie.

C’est enfin mal avisé au regard de la compétition internationale : l’Europe ergote sur la définition de l’hydrogène, alors que les États-Unis, dans le cadre de la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act), accordent une remise fiscale allant jusqu’à 3 euros par kilogramme sur l’hydrogène décarboné, quelle que soit son origine.

Que de moyens gâchés, que de temps perdu, que d’opportunités manquées, ici, en Europe !

Or l’hydrogène est un vecteur de premier plan pour réussir notre transition énergétique. Il permet, d’une part, de décarboner certains secteurs, en particulier l’industrie et les transports, d’autre part, de stocker l’électricité.

Cette capacité de stockage est essentielle pour promouvoir la mobilité propre, en complément des batteries électriques, ainsi que les énergies renouvelables, qui pèchent toujours par leur intermittence.

Dans ce contexte, la commission des affaires économiques du Sénat s’est mobilisée en faveur de l’hydrogène bien avant le Gouvernement – et bien souvent contre lui.

Dans la loi Énergie-climat de 2019, nous avions fixé un objectif de 20 % à 40 % d’hydrogène décarboné d’ici à 2030 au travers du développement de ses usages dans l’industrie, l’énergie et la mobilité.

Dans notre plan de relance Énergie, publié en juin 2020, en pleine crise de la covid-19, nous avons appelé à « révéler le potentiel de l’hydrogène », en consolidant la gouvernance et les moyens de la filière.

Cet engagement a été affirmé dans la loi de 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, dans laquelle nous avons introduit un paquet hydrogène : tout d’abord, nous avons inscrit l’hydrogène dans la future loi quinquennale de programmation sur l’énergie et le climat de 2023 ; nous l’avons aussi intégré aux appels d’offres de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) portant sur le stockage ; en complément, nous avons facilité l’octroi de garanties d’origine aux groupements de collectivités ; enfin, nous avons dispensé de mise en concurrence l’utilisation du domaine public de l’État.

Plus récemment, dans notre rapport sur l’énergie nucléaire et l’hydrogène bas-carbone, publié en juillet 2022, nous avons plaidé pour « saisir l’occasion de la relance du nucléaire pour favoriser une production massive d’hydrogène bas-carbone ».

Cela nous a conduits à consolider la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables de mars dernier : d’une part, nous avons imposé un bilan carbone à tous les projets d’hydrogène soutenus par appels d’offres, afin de favoriser les projets les moins émissifs et les plus circulaires ; d’autre part, nous avons intégré l’hydrogène à la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), ainsi qu’aux débats des comités régionaux de l’énergie.

Nous avons aussi prévu que ces projets soient promus par la CRE et par les autorités organisatrices de la distribution d’énergie.

Nous avons enfin adopté plusieurs mesures de simplification en instituant un guichet unique et en consolidant les opérations d’autoconsommation et les plateformes industrielles.

La commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, dit Nouveau nucléaire, se réunira après-demain. Nous proposons dans ce texte l’application des mesures d’accélération aux projets d’électrolyseurs d’hydrogène couplés à des réacteurs nucléaires de nouvelle génération, plus performants en termes de rendement.

S’il faut se réjouir de l’attention portée aujourd’hui à l’hydrogène, notre commission considère qu’il faut faire davantage.

Sur le plan programmatique, la loi quinquennale de programmation sur l’énergie et le climat doit fixer un cadre législatif pérenne, au-delà de la PPE et de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) de 2020.

Monsieur le ministre, nous espérons que ce projet de loi quinquennale, qui doit normalement être examiné avant le 1er juillet prochain, conformément à l’article L. 100-1 A du code de l’énergie, ne sera ni reporté ni annulé. Ce texte est le fruit du compromis issu de la commission mixte paritaire sur le projet de loi Énergie-climat de 2019. Convaincus de la nécessité d’inverser la hiérarchie des normes en matière énergétique, nous avions souhaité établir la primauté de cette loi quinquennale sur les documents de planification réglementaires.

Face aux changements climatiques qui posent aussi un défi démocratique, nous avions voulu affirmer la préséance du législateur sur le pouvoir réglementaire, celle de la politique sur la technique.

Sur le plan de la gouvernance, le Conseil national de l’hydrogène devrait se réunir plus souvent et mieux associer les collectivités territoriales.

Sur celui des moyens, les montants annoncés en faveur de l’hydrogène dans le cadre du plan de relance – 7 milliards d’euros – et du plan d’investissement – 1,9 milliard d’euros – doivent être engagés. À l’échelle nationale, les appels d’offres de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) sur la mobilité et les écosystèmes ont besoin d’être pérennisés. À l’échelle communautaire, le budget des projets importants d’intérêt européen commun (Piiec), doté de 1,6 milliard d’euros, attend d’être bouclé.

Enfin, l’avenir de l’hydrogène se joue dans les négociations européennes en cours. Dans notre résolution sur l’inclusion du nucléaire dans le volet climatique de la taxonomie européenne des investissements durables de décembre 2021, nous avons appelé au maintien d’une neutralité technologique entre l’hydrogène nucléaire et l’hydrogène renouvelable.

Dans notre résolution sur le paquet Ajustement à l’objectif 55 d’avril 2022, nous avons plaidé en faveur de la même vigilance.

L’hydrogène bas-carbone ne doit pas être pénalisé par la directive sur la taxation de l’énergie ni être exclu de la directive sur les énergies renouvelables ou du règlement sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs. Il doit profiter de dispositions plus simples, dans le cadre du règlement sur le paquet gazier, ou plus incitatives, dans le cadre du règlement sur les infrastructures de recharge.

L’hydrogène doit être activement soutenu, tant dans les processus de l’industrie que dans les modes de transport. Pour y parvenir, une stratégie claire, une gouvernance solide, des financements pérennes et une réglementation idoine sont nécessaires.

Le Gouvernement doit faire de la prochaine loi quinquennale de programmation sur l’énergie et le climat celle de l’amorçage de la filière française de l’hydrogène.

Quant à la Commission européenne, elle doit garantir à l’hydrogène une complète neutralité technologique dans le paquet Ajustement à l’objectif 55.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer quelles dispositions sur l’hydrogène nucléaire ou renouvelable comportera la prochaine loi quinquennale de programmation sur l’énergie et le climat ?

Pouvez-vous également nous préciser comment la France entend défendre l’hydrogène nucléaire dans le cadre du paquet Ajustement à l’objectif 55 ?

Monsieur le ministre, un compromis a-t-il été trouvé sur la directive relative aux énergies renouvelables ? Qu’en est-il des autres textes ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord remercier le groupe Les Républicains et M. le sénateur Daniel Gremillet d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de la reprise de vos travaux.

L’hydrogène n’est pas la pierre philosophale de la décarbonation ; il ne remplacera pas l’ensemble des énergies fossiles. Pour autant, il est un vecteur énergétique essentiel. Il est notamment l’unique moyen de décarboner certaines industries comme la production d’acier, dépendante depuis 150 à 200 ans du charbon.

De même – j’étais au Havre vendredi dernier –, inventer et mettre en place des procédés décarbonés de production d’engrais et renforcer ainsi la souveraineté industrielle de notre beau pays et de notre continent nécessitera de l’hydrogène, tout comme pour produire du méthanol et de l’ammoniac.

L’hydrogène est également essentiel à la mobilité lourde : il apportera aux poids lourds, autobus ou autres véhicules une autonomie aujourd’hui hors de portée des batteries traditionnelles.

Pour autant, l’hydrogène ne remplacera pas le gaz naturel dans tous ses usages. Il s’agit d’un vecteur énergétique à même de transformer, de transporter de l’énergie, mais il n’est pas une source d’énergie.

L’hydrogène est essentiellement créé à partir d’électricité. Les gisements sont sans doute insuffisants pour assurer notre souveraineté, même s’il est possible, nous y reviendrons peut-être dans le débat, d’en trouver ici ou là.

L’hydrogène est coûteux à produire et difficile à transporter. Il n’y en aura pas sur l’ensemble du territoire et il ne sera pas disponible pour l’ensemble des usages actuels du gaz naturel. Ainsi, nous n’utiliserons pas nos casseroles – bien aimées ces temps-ci (Sourires.) – sur des cuisinières à hydrogène !

Pour autant, le mix énergétique de demain sera plus diversifié que celui d’aujourd’hui.

L’électricité, nous le souhaitons, deviendra majoritaire juste devant la biomasse, laquelle servira pour la chaleur haute température, les carburants et la chimie. L’hydrogène sera utilisé pour les usages à haute valeur ajoutée, auxquels il est indispensable.

Ces usages sont stratégiques, car ils concernent les industries de base. Garantir l’accès à de l’hydrogène bas-carbone – ce dernier terme est important – est un choix de souveraineté industrielle qui permettra de maintenir sur notre territoire des industries lourdes, qui ne peuvent se décarboner sans hydrogène.

Le Président de la République m’a chargé d’élaborer une feuille de route pour les cinquante sites les plus émetteurs de gaz à effet de serre en France, qui représentent à eux seuls plus de 60 % des émissions de l’industrie française. Dix-huit d’entre eux sont des actifs stratégiques, qui auront besoin d’hydrogène pour être décarbonés. C’est notamment le cas des aciéries et des usines d’engrais.

Par conséquent, nous devrons répondre dans les prochaines années à des besoins croissants en hydrogène, qui vous seront présentés dans le cadre du projet de loi de programmation sur l’énergie et le climat. Monsieur le sénateur Gremillet, nous aurons bien une loi : j’étais le président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi Énergie-climat et nous avions demandé une loi.

Nous sommes en pleine phase de programmation de la transition écologique. Le Conseil de planification écologique doit se réunir dans les prochaines semaines afin de passer en revue l’ensemble des plans de décarbonation des différents secteurs, dont le secteur industriel.

La loi sera disponible à l’automne, comme la Première ministre s’y est engagée, selon un calendrier un peu décalé par rapport à celui qui avait été retenu dans la loi Énergie-climat.

Pour ma part, je préfère une bonne loi, complète, adoptée selon un calendrier décalé, plutôt qu’une loi qui risquerait d’être incomplète.

La production d’hydrogène devra augmenter de plus de 50 % d’ici à 2030 : un tiers pour remplacer des usages fossiles et deux tiers pour de nouveaux usages. Enfin, la production d’hydrogène bas-carbone doublera d’ici à 2035.

Ce choix est impératif pour la réindustrialisation et la décarbonation. Nous devons désormais accélérer tout en répondant à deux questions essentielles : quel sera notre modèle de production ? Comment réussirons-nous ce défi ?

Il est nécessaire de produire en France pour être souverain sur cette technologie et pour accélérer la décarbonation.

Comme vous l’avez souligné, nous avons un débat de fond avec un certain nombre de nos voisins, notamment allemands, qui privilégient des importations massives d’hydrogène vert ou renouvelable à la production d’un hydrogène bas-carbone sur leur territoire essentiellement via des centrales nucléaires.

Pour répondre à votre question, nous ne sommes pas encore tout à fait parvenus à un compromis sur la directive relative aux énergies renouvelables qui nous permettrait d’avancer, mais nous sommes sur la bonne voie.

Un certain nombre de discussions sont assez avancées, notamment sur le pourcentage d’hydrogène vert nécessaire afin de valider les modèles de production. J’ai toute confiance en ma collègue Agnès Pannier-Runacher, actuellement en déplacement à l’étranger, pour obtenir un compromis.

Notre vision de la stratégie allemande d’importation est que les conditions de transport de l’hydrogène ne sont pas garanties : infrastructures insuffisantes, prix de transport incertain, risques géopolitiques… Tout cela fait peser des risques sur l’accélération de la décarbonation.

Ainsi, remplacer une dépendance au gaz fourni par la Russie par d’autres dépendances pourrait entraîner un risque géopolitique à l’horizon des vingt, trente ou quarante prochaines années, soit précisément celui sur lequel nous travaillons.

Produire de l’hydrogène sur le territoire est certes un défi, mais cela présente des avantages importants : devenir souverain en maîtrisant cette technologie et en faire un véritable facteur d’attractivité pour les investisseurs internationaux.

La maîtrise des coûts est un élément essentiel de cette stratégie. Nous devons être compétitifs à la fois face à l’hydrogène existant, à savoir l’hydrogène fossile, qui coûte aujourd’hui 2 euros le kilogramme, et face aux États-Unis, dont l’Inflation Reduction Act fixe actuellement le prix de l’hydrogène à 0,8 euro le kilogramme avant transport – transport inclus, l’hydrogène made in America nous coûterait sans doute 2,5 euros le kilogramme –, alors que le prix de l’hydrogène made in France, sans subventions, serait compris entre 3 et 4 euros le kilogramme.

Nous devons donc aider cette filière et nous allons continuer de le faire en lui offrant une électricité à un prix compétitif, ce qui est essentiel, et en améliorant l’efficacité de la production, notamment en développant des hubs, des noyaux de production d’hydrogène, non loin des centrales nucléaires. Cela nous permettra à la fois de mettre en commun les facilités, y compris avec des industries extrêmement gourmandes en hydrogène, et de profiter des synergies avec la production d’électricité.

Je ne doute pas que nous aurons l’occasion, au cours du débat, de revenir sur tous ces sujets. Encore une fois, je vous remercie d’avoir mis sur la table cette question essentielle.

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le ministre, à l’heure des défis climatiques et de la nécessaire décarbonation, la technologie de l’hydrogène vert a connu ces dernières années un développement fulgurant. Nous pouvons nous réjouir qu’une stratégie française de l’hydrogène vert se dessine enfin, stimulée notamment par le paquet européen Ajustement à l’objectif 55.

Les objectifs fixés sont clairs et ambitieux : remplacer progressivement l’hydrogène gris, qui représente actuellement plus de 90 % de la production, et parvenir à l’installation de 6,5 gigawatts d’électrolyse en 2030, soit la production de 600 kilotonnes par an d’hydrogène décarboné.

Plusieurs sites de production commencent à se déployer sur le territoire. À cet effet, de nombreuses aides sont mises en place : soutien des investissements déterminants pour la construction d’une véritable filière d’hydrogène vert à hauteur de 7 milliards d’euros dans le cadre de France 2030, aides du fonds européen de développement régional, dispositifs de soutien aux démonstrateurs ainsi qu’aux écosystèmes territoriaux via l’Ademe et les programmes d’investissements d’avenir, mécanismes de soutien réservés aux grands projets d’intérêt européen commun…

Tout cela nourrit une dynamique plutôt enthousiasmante pour la transition énergétique de notre économie et de nos territoires, comme je le constate dans ma région.

Néanmoins, un défi majeur demeure : celui du développement des usages, que ce soit dans l’industrie ou dans la mobilité.

En effet, l’acquisition d’un bus ou d’un camion à hydrogène reste extrêmement coûteuse pour les entreprises et les collectivités locales. Le plan rétrofit et le plan de soutien à la décarbonation des cinquante sites les plus polluants ne contiennent que quelques mesures timides en matière d’usage d’hydrogène vert. Il faut donc proposer de véritables incitations, notamment financières, comme nous l’avons fait pour l’électricité ou les biocarburants. Seule une augmentation de la demande permettra de faire baisser le prix de production.

Monsieur le ministre, quelle politique d’incitation le Gouvernement compte-t-il mettre en œuvre pour le développement de la production d’hydrogène vert, qui s’accompagne d’une massification de son usage dans tous les secteurs de l’économie ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette question extrêmement pertinente, même si l’essentiel est de disposer d’hydrogène français décarboné à un coût compétitif afin d’en développer les usages. Il s’agit d’un enjeu majeur.

Pour autant, vous avez raison, nous devons soutenir le développement des usages de l’hydrogène, notamment en matière de mobilité lourde – autobus, les poids lourds, les bennes à ordures… C’est notre conviction à notre stade.

À cet égard, je peux d’ores et déjà annoncer une bonne nouvelle : voilà quelques semaines a été publié en ligne, dans le cadre de France 2030, un appel à projets, qui est toujours ouvert, doté de 125 millions d’euros et intitulé Écosystèmes territoriaux hydrogène, qui vise à aider à l’acquisition de poids lourds, d’autocars ou de véhicules d’un poids important qui fonctionneront à l’hydrogène.

Nous n’aurions pas d’intérêt à subventionner le développement des usages en favorisant les importations en provenance du bout du monde. Il se trouve que nous disposons de fabricants français capables de produire ces véhicules. Il est donc possible de « fermer le cercle » et de répondre à des usages en utilisant de l’hydrogène français produit grâce à des fabricants français.

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville. (M. Alain Marc applaudit.)

M. Franck Menonville. Monsieur le ministre, développer l’hydrogène au sein de notre mix énergétique, c’est allier la transition énergétique avec une politique industrielle efficace et ambitieuse.

Alors que la France a fait le choix de la relance de sa filière électronucléaire, elle ambitionne également de développer une filière hydrogène décarbonée s’appuyant tant sur le développement des énergies renouvelables que sur notre filière nucléaire.

C’est la garantie de notre souveraineté et de notre indépendance énergétiques, alors même que d’autres pays européens s’orientent plutôt vers de l’hydrogène issu d’énergies exclusivement renouvelables et vers des importations.

La situation géopolitique actuelle nous appelle à plus d’autonomie aux niveaux français et européen. Développer l’hydrogène, c’est faire en sorte qu’il soit encouragé, voire promu, à l’échelle européenne.

Actuellement, l’hydrogène est majoritairement produit à partir d’énergies fossiles. La dernière synthèse du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) est claire : nous devons utiliser les énergies bas-carbone pour réduire nos émissions.

En France, notre mix énergétique est principalement fondé sur le nucléaire, énergie décarbonée. Nous faisons donc preuve de cohérence en nous battant pour que l’hydrogène qui en est issu soit intégré aux outils de transition et aux objectifs verts de l’Union européenne.

Monsieur le ministre, je vous sais très engagé, notamment sur la taxonomie, sur la révision de la directive relative aux énergies renouvelables (Renewable Energy Directive, dite RED III) et sur l’enjeu de la neutralité technologique. Cela sera-t-il suffisant pour faciliter la production d’hydrogène bas-carbone ?

À quelques semaines de l’examen du projet de loi de programmation sur l’énergie et le climat, pouvez-vous nous préciser quelle place y tiendra l’hydrogène ? Quelle articulation comptez-vous bâtir entre les énergies renouvelables, la filière électronucléaire et l’hydrogène ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Monsieur le sénateur, nous sommes en pleines négociations, je ne peux donc préjuger leur point d’atterrissage.

Pour autant, sachez que la proposition de la Commission européenne va dans le bon sens, avec un abaissement de la cible de 20 % pour les pays qui auront été capables de réduire la part de l’hydrogène fossile dans le mix total à moins de 23 % d’ici à 2030.

La France est sans doute capable d’atteindre cet objectif grâce à des investissements ambitieux. Si tel est le cas, nos cibles seront réduites dans le cadre de la directive RED III.

Selon les chiffres actuels, qui sont loin d’être définitifs puisque nous ambitionnons de renégocier encore ce compromis, l’actuelle cible de 42 % d’hydrogène vert d’ici à 2030 serait abaissée à 33 % grâce à ce compromis.

Comme vous l’avez souligné, nous sommes extrêmement actifs pour faire en sorte que les objectifs de la directive sur les énergies renouvelables soient cohérents avec le développement des énergies renouvelables, tel que nous le souhaitons tous et tel que vous l’avez d’ailleurs voté ici même lors de l’examen du projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, tout en préservant la part importante de l’hydrogène décarboné produit par nos centrales nucléaires passées, présentes et à venir.

Ce mix énergétique reposant à la fois sur du renouvelable et du nucléaire nous permettra de développer l’hydrogène non seulement en France, mais sans doute aussi en Europe. Si nous abordons tous la stratégie hydrogène comme le font nos voisins d’outre-Rhin, nous manquerons d’hydrogène dans le monde.

Nous avons sans doute besoin d’importer de l’hydrogène – les Allemands le feront –, mais aussi et surtout d’en produire chez nous, ce que nous envisageons de faire avec ambition.

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon. Monsieur le ministre, à la différence de l’électricité, l’hydrogène est une énergie de stock et non une énergie de flux. C’est là tout son intérêt : il peut être associé à des énergies intermittentes ou variables, comme le solaire et l’éolien. Il a donc toute sa place dans notre mix énergétique.

S’il nous semble intéressant de développer cette production, il convient en parallèle de s’assurer qu’elle se fera à partir d’énergies renouvelables. Aujourd’hui, plus de 95 % de l’hydrogène produit est gris, c’est-à-dire provenant d’énergies fossiles.

Alors que le projet de pipeline H2Med entre la péninsule ibérique et la France a été lancé, la politique française s’appuiera-t-elle majoritairement sur ces importations ? Envisagez-vous le développement de l’hydrogène via une production locale avec des énergies renouvelables ?

Vous avez donné quelques éléments de réponse, j’attends des développements complémentaires.