compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Corinne Imbert,

M. Dominique Théophile.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

M. le président. Madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer la présence, dans notre tribune d’honneur, d’une délégation conduite par Mme Brigitte Boccone-Pagès, présidente du Conseil national de Monaco. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la Première ministre et Mmes et MM. les ministres, se lèvent.)

Elle est accompagnée par notre collègue Dominique Estrosi Sassone, présidente du groupe interparlementaire d’amitié France-Monaco.

Cette visite s’inscrit dans le cadre des échanges réguliers entre le Sénat et la Principauté de Monaco, dont les liens avec la France sont très étroits, en particulier pour nos nombreux concitoyens du département des Alpes-Maritimes qui y travaillent quotidiennement.

Cette visite aura permis d’évoquer les nombreux sujets intéressant directement les relations franco-monégasques, en particulier le logement, les transports, l’environnement, domaine dans lequel la Principauté est à l’avant-garde, mais aussi les négociations avec l’Union européenne pour la conclusion éventuelle d’un accord d’association.

Nous souhaitons à nos amis monégasques de fructueux échanges, en formant le vœu que cette session de travail interparlementaire contribue à renforcer davantage encore les relations entre nos deux États. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la Première ministre et Mmes et MM. les ministres, applaudissent longuement.)

3

Allocution de M. le président du Sénat

M. le président. Madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis une semaine, des nuits d’une rare violence ont marqué notre pays. Les maires et les élus locaux, en première ligne, ont été, encore une fois, le rempart de la République, aux côtés de nos forces de l’ordre, de nos sapeurs-pompiers et de nos polices municipales.

La mort d’un jeune est évidemment un drame, mais rien ne peut justifier les émeutes, les agressions et les menaces contre les élus. Rien ne peut justifier le pillage et l’incendie de nos mairies, de nos écoles, de nos commissariats ou de nos commerces !

L’ordre républicain doit être rétabli, et il faudra tirer les enseignements de ce qui s’est passé. Le Sénat s’y engagera pleinement, dans sa mission de législateur comme dans celle de contrôle de l’action du Gouvernement, afin que la lumière soit faite sur ces événements, que les enseignements en soient tirés et que nous puissions faciliter, pour nos élus locaux, le redressement de situations aujourd’hui insupportables.

Enfin, mes chers collègues, je veux, en notre nom à tous, apporter notre soutien à tous ceux – citoyens, commerçants, élus locaux, forces de sécurité et de secours – qui ont été visés ou directement atteints par ces violences. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, RDSE et RPDI, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

4

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. Madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect des uns et des autres, mais aussi une valeur plus pratique : le respect du temps de parole !

violences urbaines

M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Xavier Iacovelli. Ma question s’adresse à Mme la Première ministre.

Quatre jours de violences et d’émeutes, quatre jours de vols et de pillages, quatre jours d’agressions et d’incendies : qu’est-ce que cette situation dit de notre société ?

J’ai vu, avec peine, le département dans lequel je suis élu, le quartier dans lequel j’ai grandi et où je vis, devenir en quelques heures le champ de bataille de quelques voyous.

Avant tout, permettez-moi de saluer les maires des Hauts-de-Seine, quelle que soit leur sensibilité politique, et, à travers eux, l’ensemble des maires de France, qui ont été en première ligne, comme toujours. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Jean-Pierre Sueur et Mme Colette Mélot applaudissent également.) Les élus locaux n’ont pas failli. Ils ont même évité que tout ne s’enflamme davantage.

Bien sûr, il y a eu un drame : la mort d’un jeune de 17 ans, qui nous a forcément émus et choqués. La justice fera son travail ; elle le fait déjà, vite et bien.

Mais la justice, ce n’est pas la vengeance !

La justice, ce n’est pas attaquer et blesser près de 800 policiers, gendarmes et pompiers.

La justice, ce n’est pas détruire et incendier nos crèches, nos écoles, nos bibliothèques et nos mairies.

La justice, ce n’est pas piller les magasins ou brûler les voitures.

La justice, ce n’est pas menacer la vie des élus et de leurs familles, comme ce fut le cas pour le maire Vincent Jeanbrun.

Qui peut encore accepter que certains prônent le chaos et l’insurrection permanente pour gagner un pouvoir qu’ils n’ont pas réussi à obtenir par les urnes ? (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Les auteurs de ces attaques ne sont pas de simples jeunes. La jeunesse de notre pays, celle de nos quartiers, ne mérite pas cette définition. Son écrasante majorité travaille, elle est courageuse, elle est audacieuse, elle est solidaire et elle se bat, au quotidien, pour prendre l’ascenseur social.

Non, ces individus ne sont ni des insurgés ni des insoumis. Ils ont fait le choix de la violence, non par fatalité, mais par facilité.

Face à cette violence, il nous faut de la fermeté, de l’ordre et de la justice. Il est temps, madame la Première ministre, de refonder notre pacte républicain autour des valeurs de solidarité, de mérite, d’ordre et de travail. Il est temps d’avoir ce sursaut civique, nécessaire pour notre pays.

Cela ne se fera pas sans les élus locaux, qui ont plus que jamais besoin de la République, qui ont besoin d’avoir l’État à leurs côtés.

Madame la Première ministre, quels moyens le Gouvernement compte-t-il mettre en place pour les soutenir ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la Première ministre.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le sénateur Xavier Iacovelli, la mort tragique d’un jeune homme de 17 ans dans votre département des Hauts-de-Seine, à Nanterre, a provoqué une émotion légitime dans notre pays ; je sais qu’elle a été partagée dans cet hémicycle.

Toutefois, cette émotion ne peut pas servir de prétexte pour commettre des violences inacceptables, pour viser les symboles de la République, pour brûler des mairies, des commissariats ou des écoles, pour piller des magasins ou pour prendre des élus pour cible. Je veux, à ce propos, avoir de nouveau une pensée pour le maire de L’Haÿ-les-Roses et sa famille.

Je veux aussi – avec chacun d’entre vous, j’en suis sûre – dire de nouveau mon soutien aux policiers, gendarmes, policiers municipaux et sapeurs-pompiers engagés avec courage et professionnalisme. Je veux également saluer la mobilisation des magistrats et des greffiers. Je veux enfin dire aux maires et aux élus, qui sont en première ligne, que nous sommes à leurs côtés.

Notre première priorité, notre priorité absolue, c’est le retour de l’ordre républicain.

Notre stratégie s’est appuyée sur quatre piliers : premièrement, la mobilisation des forces de l’ordre, avec jusqu’à 45 000 policiers et gendarmes sur le terrain ; deuxièmement, la fermeté de la réponse pénale, afin qu’il n’y ait aucune impunité pour les auteurs de violences ; troisièmement, la responsabilisation des réseaux sociaux ; quatrièmement, et enfin, un rappel nécessaire de la responsabilité et de l’autorité parentales, car les auteurs de ces actes sont jeunes, voire très jeunes.

Une décrue de la violence a été observée ces dernières nuits ; la situation redevient pratiquement normale.

Bien sûr, avec le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, je reste extrêmement vigilante. C’est très progressivement que nous adaptons notre dispositif de sécurité.

Monsieur le sénateur Iacovelli, si l’urgence est au rétablissement de l’ordre républicain, nous sommes d’ores et déjà mobilisés auprès des élus et des maires pour les accompagner dans la réparation de leur ville.

Le Président de la République l’a dit hier : nous accompagnerons les élus touchés, en particulier financièrement, mais aussi en accélérant les procédures, pour que les équipements publics rouvrent au plus vite. Nous répondrons présent pour les habitants, les commerçants et les artisans, pour toutes les victimes de ces violences.

Monsieur le sénateur, si l’urgence est au rétablissement de l’ordre républicain, cette crise appelle des réponses de fond. Elle nécessite un diagnostic partagé et une action collective de l’État et de toutes les parties prenantes. Je ne doute pas que le Sénat y prendra toute sa part. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Amel Gacquerre applaudit également.)

mort de nahel et violences urbaines (i)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jérôme Durain. Monsieur le ministre de l’intérieur, la semaine dernière, un enfant est mort.

Cette mort est tragique, et nous pensons à la douleur de la famille de Nahel. Cette mort a eu des conséquences collectives terribles. Des quartiers se sont embrasés, partout en France et en Île-de-France, dans de grandes villes comme dans de plus petites communes. Nos forces de l’ordre ont rétabli le calme ; il faut les en remercier. Une colère, compréhensible au début, s’est transformée progressivement en haine aveugle, propice aux pillages.

Les sénatrices et sénateurs socialistes ont évidemment appelé au calme, car la République ne peut exister sans ordre. Cependant, elle ne peut pas reposer que sur l’ordre.

Le concours Lépine des postures autoritaires nous laisse entre colère et hébétude : « Deux claques et au lit », une cagnotte par-ci, une milice par-là, une dose de « régression ethnique » : c’est l’incendie après l’incendie. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Roger Karoutchi sexclame.)

C’est à vous que j’adresse ma question, monsieur le ministre de l’intérieur, puisque vous êtes aux responsabilités, mais c’est une question à laquelle nous devons tous répondre. Une grande partie de la jeunesse paie aujourd’hui notre échec collectif à faire rayonner la République. Nous n’avons pas désamorcé les bombes plantées dans les fondations de notre société.

Les causes de cet échec sont multiples et variées. Certains refusent que l’on se penche sur ce problème, mais si nous ne nous posons pas les bonnes questions, nous ne trouverons pas les justes réponses.

Les questions qui sont posées sont légion : la politique de la ville, les discriminations, le difficile rôle des maires en première ligne… Pour ma part, monsieur le ministre, je veux vous interroger sur ce qui a mis le feu aux poudres : les relations entre police et population.

À la fin de l’année 2020, un Beauvau de la sécurité était convoqué sur ces sujets. Certes, des choses utiles en sont sorties pour la police – nous avons d’ailleurs adopté la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) –, mais force est de constater que toute la population, tant s’en faut, n’est pas réconciliée avec sa police.

Aussi, monsieur le ministre, comment comptez-vous désormais améliorer concrètement les rapports entre police et population ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.

M. Gérald Darmanin, ministre de lintérieur et des outre-mer. Monsieur le sénateur Durain, à Nanterre, il y a eu un drame. Et je crois que mes premiers mots en tant que ministre de l’intérieur, tout comme ceux de Mme la Première ministre, évidemment, étaient des mots de transparence et d’équilibre. En effet, si l’on soutient les forces de l’ordre – je pense que vous le faites autant que nous –, il faut savoir dire les choses et ne pas mentir aux Français.

La justice passe. Le policier en cause, dont je tiens à souligner qu’il bénéficie toujours de la présomption d’innocence, a été placé en garde à vue, puis mis en examen. Il existe donc des indices graves et concordants laissant supposer qu’il serait responsable, en dehors de la loi de la République et de la déontologie, de la mort de ce jeune homme. Ce policier est en détention provisoire.

Cela dit, je veux aussi avoir une pensée pour les 800 policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers qui ont été blessés pendant ces quatre jours d’émeutes ; ils ont été courageux, à la hauteur de la confiance que la Nation leur accorde.

Bien sûr, on peut toujours améliorer le travail de la police et de la gendarmerie, monsieur le sénateur. Évidemment, il y a toujours des efforts à faire. Mais se concentrer sur le comportement de la police, comme je l’entends parfois faire depuis plusieurs heures, est-ce la seule réponse aux difficultés et aux violences que nous connaissons ?

Si tel est le cas, pourquoi a-t-on attaqué des sapeurs-pompiers ? Ils ne contrôlent personne – ils sauvent tout le monde ! Pourquoi a-t-on attaqué 78 postes de police municipale ? Les polices municipales ne suivent pourtant pas les mêmes consignes que la police et la gendarmerie nationales… Pourquoi a-t-on attaqué des élus ? Tutoyaient-ils ces délinquants, ou ont-ils été particulièrement discriminatoires ? Pourquoi les émeutiers ont-ils attaqué des médiathèques et des écoles ? Pourquoi ont-ils pillé des commerces ?

Cessons de trouver toujours des excuses dans le comportement de la police ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, INDEP, UC et Les Républicains.)

Si la police doit se réformer, monsieur Durain – je sais que je parle à un républicain –, elle ne doit en revanche pas servir de bouc émissaire si l’on veut poser les bonnes questions. (Applaudissements sur les mêmes travées.)

M. Franck Montaugé. Il n’a pas dit ça !

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour la réplique.

M. Jérôme Durain. Monsieur le ministre, vous n’avez pas répondu à ma question. Je vous la poserai donc de nouveau tout à l’heure, lors de votre audition par notre commission des lois.

Alors que soufflent des vents mauvais, des vents sécuritaires (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.), alors que certains syndicats policiers s’égarent en publiant des tracts inquiétants, nous vous demandons, monsieur le ministre, de tenir bon sur les principes républicains de la police et sur les principes de la République tout entière ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et GEST.)

reprise du plan borloo

M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Bernard Fialaire. Ma question s’adresse à Mme la Première ministre.

Le Président de la République l’a bien dit hier, devant plus de 200 maires : « Même si le calme est revenu, on ne peut pas faire comme si rien ne s’était passé. »

Ce qui s’est passé était prévisible pour certains. Un premier diagnostic avait été porté dès 2017 dans l’appel de Grigny. Après le plan qu’il avait détaillé en 2018, Jean-Louis Borloo a de nouveau tiré la sonnette d’alarme l’an dernier.

Certains points de son plan ont été repris, comme les cités éducatives, dont la mission conjointe de contrôle sur la délinquance des mineurs du Sénat avait salué l’intérêt, ou encore le dédoublement des classes de CP et de CE1 dans les réseaux d’éducation prioritaire REP et REP+, qui semble aussi porter ses fruits.

Néanmoins, madame la Première ministre, peut-on sérieusement dire que 75 % du plan Borloo ont été mis en œuvre ?

On ne peut pas demander davantage aux maires, qui sont déjà beaucoup exposés. Ce n’est pas non plus le Président de la République qui pourra, seul à l’Élysée, régler durablement les problèmes. On ne peut pas non plus croire que le rappel à l’ordre des parents, certes nécessaire, sera suffisant.

C’est en conjuguant toutes nos forces que nous nous en sortirons : État, régions, départements, Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam), Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav), Action Logement, chambres consulaires, Caisse des dépôts et consignations, monde du HLM, secteur privé et monde associatif. C’est la grande coalition proposée par Jean-Louis Borloo pour se mettre au chevet des piliers fondamentaux que sont la justice, l’ordre public, la jeunesse, la santé, l’habitat, l’énergie et la lutte contre le dérèglement climatique.

Il nous faut un chef de file pour chacun des dix-neuf programmes du plan Borloo et un pilote pour son suivi régulier. L’heure n’est plus aux rapports d’expert : elle est à l’action !

Vous avez dit hier être à l’écoute des propositions, madame la Première ministre. Eh bien, elles sont faites ! Comment comptez-vous maintenant les mettre en œuvre de manière effective ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la ville et du logement.

M. Olivier Klein, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Fialaire, vous avez raison : un message doit être adressé à l’ensemble du pays. C’est essentiel pour le retour au calme, qui est la première des priorités. Mais nous devons aussi, ensuite, continuer de travailler ensemble pour les quartiers populaires, comme vous le préconisez.

Vous avez rappelé le travail mené par Jean-Louis Borloo et le rapport que ce dernier a signé. Certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, y avaient d’ailleurs contribué ; j’avais moi-même participé à sa rédaction. Sans peser tout cela au trébuchet, je puis vous assurer que, en réalité, un grand nombre des propositions de ce rapport ont été mises en œuvre.

Je pense en premier lieu à la relance de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). Au cours du quinquennat précédent, les sommes allouées par ce biais aux quartiers populaires sont passées de 5 à 12 milliards d’euros.

Ainsi, tous les acteurs réunis vont dépenser près de 50 milliards d’euros pour ces quartiers. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.) On a donc assisté à un retour du financement de l’Anru par l’État, qui avait complètement disparu au cours des deux quinquennats précédents, de manière regrettable.

M. Philippe Pemezec. On voit combien c’est efficace !

M. Olivier Klein, ministre délégué. Je pense aussi aux 200 cités éducatives, dont la généralisation a été annoncée à Marseille par le Président de la République, ainsi qu’au dédoublement des classes de grande section de maternelle, de CP et de CE1 en REP, qui sera étendue, suivant une autre annonce faite par le Président de la République à Marseille, à la scolarisation plus précoce, notamment dans les quartiers populaires.

Mme Borne, quand elle était ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, a lancé les emplois francs, qui sont un grand succès : plus de 100 000 ont été créés. Cela aussi figurait dans le rapport Borloo.

Quant à la culture dans nos quartiers, regardez le nombre de projets Démos (dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale) et leur déploiement croissant dans les quartiers populaires ; regardez les dispositifs Micro-Folie qui s’y développent aussi… (Marques dimpatience sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pascale Gruny. Ça ne suffit pas !

M. Olivier Klein, ministre délégué. Regardez le Pass’Sport, lancé par ma collègue Amélie Oudéa-Castéra, qui se met en place dans l’ensemble de nos quartiers. (Mme Catherine Morin-Desailly proteste.)

Nous continuerons dans cette direction au travers des contrats de ville « Engagements quartiers 2030 ». Mais l’urgence, aujourd’hui, c’est d’abord de contribuer à la concorde et au retour au calme. C’est ce que fait le Gouvernement, avec l’ensemble des élus locaux. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour la réplique.

M. Bernard Fialaire. Monsieur le ministre, je vous entends bien, mais il faut vraiment un pilote pour toutes ces actions. Il faut aussi que chaque chantier ait un chef de file, car c’est ensemble que l’on pourra s’en sortir. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)

raisons structurelles des émeutes et manques de la politique de la ville

M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Daniel Breuiller. Monsieur le ministre chargé de la ville et du logement, Nahel a été abattu à bout portant. Il avait 17 ans et il est mort. C’est inacceptable.

Le domicile du maire de L’Haÿ-les-Roses a été attaqué, mettant en danger la vie de son épouse et de ses enfants. C’est inqualifiable.

Chaque jour, habitants et commerçants, élus et agents des services publics dressent le bilan des dégâts dans leurs villes, réparent ce qu’ils peuvent et disent leurs interrogations et leur refus de la violence. Les maires font face, comme toujours.

Monsieur le ministre, qui peut croire qu’il suffit d’appeler à l’autorité, à la répression et à la mise en cause des familles pour tourner la page ?

Nous devons comprendre les causes. Ne pas comprendre, c’est se rendre incapable de traiter les problèmes.

Ouvrons les yeux et regardons ces quartiers qui, malgré les milliards consacrés à la rénovation urbaine, restent souvent des quartiers de relégation. On a mis beaucoup d’argent dans le bâti, mais pas assez dans l’humain. Quelle faute ce fut d’enterrer le plan Borloo !

Dans les quartiers prioritaires, 57 % des enfants vivent sous le seuil de pauvreté ; 18 % des mamans élèvent leurs enfants en solo ; deux enfants sur trois ne partiront pas en vacances.

Dans notre République, les hommes naissent libres et égaux, mais c’est moins vrai quand on est pauvre, noir ou arabe. Ouvrons les yeux sur le racisme et les discriminations qui rongent notre société !

Comment accepter qu’une grande partie de la jeunesse et de la police se regardent en ennemies ? C’est ce qui a fait courir Zyed, Bouna et Muhittin vers un transformateur électrique en 2005. Le racisme et la peur sont toujours là – pas dans tous les esprits, bien sûr, mais toujours là quand même. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)

Monsieur le ministre, convoquons l’intelligence collective au chevet de notre République malade, l’intelligence de tous ceux qui croient que la promesse républicaine est là pour tous !

« La promesse républicaine a trop souvent quitté nos quartiers. Comment dire aux enfants des quartiers en difficultés qu’ils sont toutes et tous les filles et les fils de la République ? », disait le président Chirac en 2005.

Aussi, monsieur le ministre, prendrez-vous l’initiative et la responsabilité d’un travail collectif indispensable, ou reculerons-nous une fois de plus devant l’obstacle ? (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Breuiller, ces émeutes-ci ne sont pas celles de 2005. Vous avez repris les mots du président Chirac, vous avez évoqué ce qui a été à l’origine d’une politique de la ville renouvelée, notamment par la création de l’Anru, et de choix qui ont été faits de manière unanime.

Cette fois-ci, 553 communes ont été victimes de dégradations, à un titre ou à un autre ; 169 d’entre elles ne relèvent pas de la politique de la ville. Dans 120 autres, on trouve moins de 3 000 habitants vivant dans un quartier prioritaire de la politique de la ville. Résumer ces émeutes à ces quartiers, c’est déjà se tromper dans l’analyse.

Vous avez évoqué le bilan de ces émeutes et la nécessité d’ouvrir les yeux. Pour ma part, je nous invite à ouvrir aussi les yeux vis-à-vis des 838 policiers, gendarmes et pompiers blessés depuis le début des émeutes.

Mme Françoise Gatel. Tout à fait !

M. Christophe Béchu, ministre. Je nous invite à ouvrir les yeux sur les 2 500 bâtiments publics qui ont subi des incendies. Je nous invite à ouvrir les yeux sur les presque 4 000 personnes interpellées, dont la moyenne d’âge est de 17 ans.

Ouvrir les yeux, c’est se demander comment des enfants de 13 ans ou de 14 ans peuvent se retrouver, la nuit, avec des bidons d’essence dans les mains, à incendier des bâtiments publics.

Mme Jocelyne Guidez. Tout à fait !

M. Didier Marie. C’est se poser des questions, aussi !

M. Christophe Béchu, ministre. Ouvrir les yeux, c’est se demander comment des mortiers d’artifice peuvent être utilisés pour viser des policiers, comment, à Nîmes, on a pu tirer sur un policier avec un pistolet 9 millimètres. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

Ouvrir les yeux, c’est aussi se demander comment certains, devant cette situation, refusent d’appeler, non pas à l’autorité, mais même au calme !

Une fois que l’on a ouvert les yeux sur ces points, on peut parler de la suite.

Pour passer à la suite, il faut prendre un minimum de temps, avant que chacun ne ressorte du placard la suggestion qu’il avait formulée lors de la dernière élection présidentielle, pour examiner la géographie actuelle. On ne peut réduire le sujet à un problème d’argent public, de milliards d’euros ; on ne peut pas non plus résumer ce débat à la question des allocations familiales !

Sur tous ces sujets, il est nécessaire de prendre le temps du diagnostic pour être capable d’agir ensuite.

Laissez-moi vous dire une chose, monsieur le sénateur : stigmatiser les quartiers, c’est laisser penser que leurs habitants y sont enfermés de manière immuable. Or bien des gens en sont sortis, d’autres y sont entrés. Il ne faut pas regarder que la photo ; nous devons plutôt nous inscrire dans une logique d’évolution.

Si on ne prend pas cela en compte, là encore, on se trompera sur le diagnostic. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)

émeutes