REUNION DE LA DELEGATION DU JEUDI 5 OCTOBRE 2000


Institutions européennes

Rencontre avec une délégation de la Commission des Affaires européennes du Parlement suédois sur la présidence française de l'Union européenne

Institutions européennes

Rencontre avec une délégation de la Commission des Affaires européennes du Parlement suédois sur la présidence française de l'Union européenne

La délégation suédoise était composée des membres de la Commission suivants :

- M. Sören Lekberg, Parti social-démocrate, Président,

- M. Lars F. Tobisson, Parti modéré, Vice-président,

- Mme Märta Johansson, Parti social-démocrate,

- M. Per-Olof Svensson, Parti social-démocrate,

- M. Göran Lennmarker, Parti modéré,

- M. Ingvar Svensson, Parti chrétien-démocrate,

- M. Karl-Göran Biörsmark, Parti libéral,

- Mme Yvonne Ruwaida, les Verts.

Accompagnaient également la délégation :

- M. Orjan Berner, Ambassadeur de Suède en France,

- M. Anders Calmfors, ministre pour les Affaires économiques à l'Ambassade de Suède en France.

M. Pierre Fauchon :

Au nom du Président de la délégation et des sénateurs qui la composent, je suis heureux de vous accueillir.

Votre pays nous est familier par son histoire, sa culture et sa littérature. Je pense notamment à Selma Lagerlof. Mais il évoque également pour nous une politique étrangère de neutralité et un modèle économique et social.

M. Sören Lekberg :

La commission pour l'Union européenne du Parlement suédois a pris l'habitude de se rendre dans le pays qui assure la présidence de l'Union européenne.

Je voudrais, tout d'abord, présenter brièvement le fonctionnement de notre commission. Avant chaque réunion du Conseil des ministres de l'Union européenne, le gouvernement suédois soumet à la commission l'ordre du jour commenté et lui fait part de ses positions sur les dossiers en cours de négociation. La commission peut alors discuter avec les ministres concernés chaque position proposée par le gouvernement. Le gouvernement est donc obligé de consulter notre commission avant toute prise de position importante. Certes, les positions adoptées au sein de la commission ne sont pas juridiquement contraignantes, mais elles sont un signal politique fort et elles s'imposent généralement au gouvernement.

Les points que nous souhaiterions maintenant aborder avec vous concernent trois domaines : la réforme des institutions, la charte des droits fondamentaux et l'élargissement de l'Union européenne.

M. Pierre Fauchon :

Outre le caractère bicaméral du Parlement français, la délégation pour l'Union européenne du Sénat présente certaines différences avec votre commission. Contrairement à une idée reçue, la coexistence d'une majorité sénatoriale et d'une majorité gouvernementale différente ne pose pas de véritables difficultés au sein de la délégation, étant donné le consensus qui règne sur les affaires communautaires.

A propos du premier point que vous avez soulevé, qui concerne la CIG, je voudrais connaître votre position sur le nombre de commissaires et sur l'extension du vote à la majorité qualifiée.

M. Sören Lekberg :

Je souhaiterais souligner l'importance, à nos yeux, de la réussite de la prochaine Conférence intergouvernementale. L'achèvement de ses travaux permettra, en effet, de lancer le processus de ratification. Or, ce processus est un préalable à l'élargissement, qui est un point crucial pour l'avenir de l'Europe.

Sur le nombre de commissaires, nous pensons que chaque pays doit avoir un commissaire, pour que soient représentés tous les Etats, les différentes cultures et les sensibilités des membres de l'Union européenne. D'ailleurs, au Conseil européen d'Amsterdam, nous avions l'impression qu'il y avait une sorte d'accord pour que les grands Etats abandonnent leur deuxième commissaire en échange d'une repondération des voix au Conseil.

En ce qui concerne l'extension du vote à la majorité qualifiée, nous y sommes favorables, mais il faudrait discuter cette question matière par matière.

M. Robert Del Picchia :

Votre Parlement et votre commission ont beaucoup de pouvoirs pour influencer la politique européenne. Cette politique fait-elle l'objet d'un consensus ou de prises de position différentes parmi les parlementaires ?

M. Sören Lekberg :

En Suède, il existe un consensus général sur les questions européennes. Lors du référendum sur l'adhésion de notre pays à l'Union européenne, seuls deux partis y étaient opposés : un parti de gauche (ex-communiste) et le parti des verts.

M. Simon Sutour :

Je me réjouis de participer à cette rencontre, car, dans un certain nombre de domaines, en particulier sur les sujets de société, la Suède est considérée, à juste titre, comme un pays " pilote ". En matière de place des femmes dans la vie politique, par exemple, le parlement suédois compte 43 % de femmes, alors qu'au Sénat, la proportion de femmes n'est que de 6 %.

Je souhaiterais vous poser deux questions :

- Quelle était votre position sur l'idée, qui a été avancée un temps, d'introduire une référence à l'" héritage religieux " de l'Europe dans le projet de Charte ?

- Quelle est la place du français dans votre pays ?

M. Sören Lekberg :

L'égalité entre les hommes et les femmes est un sujet important. Le parti social démocrate auquel j'appartiens essaye de respecter la parité pour la composition des listes électorales.

Le choix des langues étrangères à l'école est libre, mais si la place de l'anglais est prépondérante, je pense qu'un nombre croissant d'élèves choisissent d'étudier le français.

Sur la Charte, je laisserai M. Tobisson vous répondre, car il a fait partie de la Convention chargée d'élaborer le projet de Charte.

M. Lars F. Tobisson :

Si je représente moi-même le parti d'opposition de centre-droit, je dois dire que, sur cette question, il y a eu un consensus assez large au sein de notre Parlement.

Nous avons été, au début, un peu dubitatifs sur la nécessité de cette Charte, car nous avons craint qu'elle concurrence la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Actuellement, ce scepticisme n'a plus lieu d'être car la Charte existe. Nous sommes, par contre, convaincus qu'elle doit avoir le caractère d'une déclaration politique.

Il serait souhaitable également d'envisager l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

Enfin, nous pensons qu'il convient, à terme, de simplifier les traités de l'Union européenne et d'arriver à une Constitution européenne, où la Charte pourrait figurer comme préambule, ce qui ne va pas à l'encontre de notre ambition que l'Union européenne adhère à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme.

M. Hubert Durand-Chastel :

Je souhaiterais apporter une suggestion sur la réforme des institutions. Comme le Sénat, qui représente les français établis hors de France, il serait souhaitable, à l'heure de la mondialisation, de prévoir une représentation des citoyens européens établis hors de l'Union européenne.

Mme Danielle Bidard-Reydet :

La politique économique et sociale de l'Union européenne est souvent perçue par les salariés comme résultant de choix faits par les seuls financiers.

Ne pensez-vous pas qu'il serait souhaitable, pour améliorer l'image de l'Europe, de prévoir l'inscription de droits économiques et sociaux nouveaux dans la Charte ?

M. Lars F. Tobisson :

La législation suédoise va au-delà de la Charte en matière de droits économiques et sociaux. Je ne crois donc pas que les syndicats soient très satisfaits par les propositions de la Charte sur ce point.

Par contre, la référence au terme " religieux ", qui est apparue tardivement, ne soulève pas d'enjeux importants pour notre pays.

Mme Yvonne Ruwaida :

Pour la France, la Charte doit donner une véritable dimension sociale à l'Union européenne. Il y aura sûrement une déclaration politique à Nice sur ce point. De quelle façon pensez-vous que l'on pourra donner cette dimension sociale à l'Union européenne ?

M. Robert Del Picchia :

Je ne pense pas, à titre personnel, que cette déclaration politique puisse prendre, dans l'immédiat, un caractère normatif. Je rappellerai qu'au sommet de Luxembourg, il y a eu une déclaration sur le plein emploi qui n'a pas eu de suite.

Par ailleurs, je souhaiterais savoir si la Charte, même si elle a un caractère non contraignant, servira de référence pour les juridictions de votre pays et si elle pourrait, selon vous, servir de critère d'adhésion pour les pays candidats ?

M. Lars F. Tobisson :

Je ne pense pas que les tribunaux suédois feront référence à cette Charte. Par contre, la Cour de justice de Luxembourg va sûrement prendre appui sur la Charte pour sa jurisprudence.

Je ne crois pas, non plus, qu'il faille modifier ou ajouter de nouveaux critères à ceux de Copenhague.

M. Pierre Fauchon :

Je voudrais maintenant aborder la question de l'élargissement. Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de la situation des pays de l'ex-URSS ?

M. Göran Lennmarker :

Notre position sur l'élargissement est qu'il convient de juger les candidatures selon les mérites propres des pays candidats, sans distinction selon qu'ils soient ou non issus de l'ex-URSS. Il faut s'appuyer sur les critères de Copenhague, sur le respect des droits de l'homme et sur le sentiment européen des pays candidats.

M. Pierre Fauchon :

Pensez-vous qu'on puisse élargir sans renforcer préalablement l'Union européenne ?

M. Göran Lennmarker :

La Suède souhaite que la présidence française réussisse à faire adopter la réforme institutionnelle à Nice, afin de lancer le processus de l'élargissement.

Je ne pense pas que les craintes sur le faible sentiment européen dans les pays candidats soient fondées. Au contraire, ce sentiment est d'autant plus fort que ces pays ont vécu sous un régime totalitaire.

M. Robert Del Picchia :

Pour obtenir un succès à Nice, il faut l'aide de tous les Etats membres. La vôtre est d'autant plus importante que vous allez exercer la prochaine présidence.

A ce sujet, je souhaitais connaître votre position sur la candidature de la Turquie à l'Union européenne.

M. Sören Lekberg :

La Suède est assez sceptique sur la candidature de la Turquie. Ce pays ne respecte pas les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Mais il convient de mettre à égalité tous les pays candidats et de juger selon les mérites de chaque Etat.

Mme Yvonne Ruwaida :

Qu'entendez-vous par le renforcement de l'Union européenne ? S'agit-il du reliquat d'Amsterdam ou d'autre chose ?

M. Pierre Fauchon :

Je répondrai qu'il y a certainement, tout d'abord, le reliquat d'Amsterdam, mais qu'il faudra sans doute aller plus loin. En effet, les institutions européennes ne répondent plus ni à l'exigence de démocratie, ni à l'exigence d'efficacité. Le fonctionnement actuel ne permet pas la relation directe entre les institutions et le peuple. Or, ce problème de fond ne sera pas réglé par la prochaine Conférence intergouvernementale. Nous pensons qu'il ne pourra être résolu, à moyen terme, que par une véritable constitution, comme il convient à toute société démocratique. Ce texte fondamental définirait les pouvoirs exécutifs et législatifs, d'une manière originale, et répondrait aux aspirations des peuples.

M. Lars F. Tobisson :

Je ne pense pas non plus, que la Conférence intergouvernementale va résoudre l'ensemble des problèmes institutionnels. Mais en Suède, il existe une inquiétude car le débat sur une constitution européenne pourrait retarder la réforme institutionnelle prévue à Nice.

M. Nicolas About :

Ma question concerne l'euro. Je voudrais savoir, d'une part, les réactions qu'a suscité en Suède le résultat négatif du référendum danois et, d'autre part, à quoi vous attribuez les fluctuations de l'euro par rapport au dollar ?

M. Sören Lekberg :

L'adhésion à l'Union économique et monétaire (UEM) suscite un débat en Suède. Le parti social démocrate y est favorable, à condition d'introduire certaines réformes économiques et d'organiser un référendum. En tout état de cause, celui-ci ne pourrait avoir lieu qu'après les prochaines élections, c'est-à-dire après 2002. Le débat est donc quelque peu gelé. Le résultat du référendum danois aura certainement des répercussions en Suède, mais les deux pays sont très différents.

A propos de la relation entre l'euro et le dollar, je pense que parler dès le départ d'" euro fort " a été une erreur car on constate que la baisse de l'euro a eu des conséquences positives pour les économies de la zone " euro " ; mais, aujourd'hui, il n'est pas possible de parler de ces résultats positifs car ce serait alors reconnaître que l'euro est faible.

Mme Yvonne Ruwaida :

Je voudrais souligner qu'en Suède, à la différence du Danemark, ce sont surtout les élites qui sont opposées à l'UEM. Je suis moi-même opposée à cette adhésion, car, d'une part, je pense que l'UEM ne couvre pas une zone optimale et, d'autre part, je suis opposée à la politique fiscale commune.

M. Robert del Picchia :

Je voudrais évoquer le sujet de la défense européenne. Malgré la neutralité de la Suède, les Suédois comprennent-ils la nécessité d'une politique européenne de défense commune ?

M. Sören Lekberg :

La Suède est un Etat qui n'est membre d'aucune alliance militaire, car il entend se défendre tout seul. C'est une ancienne tradition dans les pays nordiques qui s'est révélée une bonne politique puisqu'elle a permis une grande stabilité de cette zone. En particulier, elle a permis à la Finlande d'échapper à la domination soviétique.

Je me réjouis que le Conseil européen ait décidé que l'Union européenne se concentre sur la gestion des crises, ce qui provient d'une idée suédoise et finlandaise.

Mais, en ce qui concerne la défense, je pense qu'il faut une différenciation.

M. Karl-Göran Biörsmark :

Je voudrais préciser que la commission des Affaires étrangères du Parlement suédois va discuter de cette question à l'automne. Le parti libéral, auquel j'appartiens, soutient l'adhésion de la Suède à l'OTAN.

M. Pierre Fauchon :

En conclusion, je voudrais vous remercier de votre visite, qui, sur le plan humain, est certainement la meilleure manière de construire l'Europe.

M. Sören Lekberg :

J'ajouterai que, lorsque l'on parle de déficit démocratique de l'Europe, je ne pense pas que l'on puisse le combler par une augmentation des pouvoirs du Parlement européen, mais, plutôt, par un rôle croissant des parlements nationaux.