Les réunions de la délégation du Sénat pour l'Union européenne

25 janvier 2000


Justice et Affaires intérieures

Audition de M. Thierry Le Roy, délégué aux Affaires internationales du ministère de l'Intérieur, sur les principes d'une politique commune de l'immigration après le Conseil européen de Tampere

Environnement

Communication de M. Hubert Haenel sur les actions envisagées par la Commission européenne à la suite des tempêtes et de la marée noire


Justice et Affaires intérieures

Audition de M. Thierry Le Roy, délégué aux Affaires internationales du ministère de l'Intérieur, sur les principes d'une politique commune de l'immigration après le Conseil européen de Tampere

Compte rendu sommaire

M. Thierry Le Roy :

Comme lors de ma précédente audition par la délégation du Sénat en novembre 1998, j'interviens devant vous comme responsable de la nouvelle délégation aux Affaires internationales du ministère de l'Intérieur, créée il y a deux ans. Les compétences de cette délégation, qui portent essentiellement sur les questions européennes, concernent directement les politiques d'asile et d'immigration -maintenant communautarisées depuis le traité d'Amsterdam- et les actions de coopération judiciaire et policière que le traité a maintenues dans le troisième pilier intergouvernemental.

Avant d'aborder le thème de l'immigration, je voudrais d'abord faire l'éloge du sujet que vous avez choisi à la suite des conclusions du Conseil européen de Tampere. Les traités de Maastricht et d'Amsterdam avaient, en effet, ouvert des voies sur ces questions, mais seulement en termes de compétences, de procédures et de calendrier. Les traités -ce n'était pas leur rôle- ne définissaient pas les politiques correspondantes. Il est donc intéressant de réfléchir, maintenant, aux principes d'une politique commune d'immigration en Europe. Le Conseil de Tampere, convoqué à la suite d'une proposition de l'Autriche, a effectivement répondu à un besoin, clairement ressenti dans les enceintes de négociation européennes, de directives politiques sur ces questions. Schengen avait certes apporté des éléments partiels de réponse, mais de manière indirecte par la voie de la circulation des personnes, notamment autour des questions de sécurité intérieure contenues dans les mesures compensatoires au principe de la libre circulation des personnes. La circulation intraeuropéenne des personnes et l'homogénéisation des politiques de visas et de contrôle des frontières extérieures ne faisaient pas une politique européenne de l'immigration.

Le travail préparatoire au Conseil de Tampere a permis l'élaboration d'une réflexion commune sur le sujet. Ce sujet est encore mal connu et doit être mieux documenté, en particulier sur les politiques nationales d'immigration, sans la connaissance desquelles il serait impossible de bâtir une politique commune. Ceci avait été bien vu en 1994 quand la Commission avait déposé un premier mémorandum dans lequel elle avait tenté d'appréhender la totalité des politiques d'immigration et d'asile du troisième pilier ; ce mémorandum de 1994 reflétait une vision de la Commission qui n'était pas étayée par les politiques des Etats membres. Cette déficience explique le peu de résultats de ce mémorandum. La première démarche a donc consisté à inciter la Commission à élaborer une documentation sur les politiques nationales d'immigration. Ces études par pays devraient être disponibles en juin de cette année. Il ne s'agit pas seulement d'avoir des données statistiques ; il faut aussi que nous disposions d'analyses en profondeur sur l'histoire et les particularités de l'immigration dans chacun des Etats membres.

La présidence allemande de 1999, qui aurait pu apporter une contribution importante sur ces sujets compte tenu de la position de l'Allemagne en Europe, a été peu préparée à cet exercice en raison des autres sujets -comme l'Agenda 2000- qu'elle devait traiter de manière urgente. La présidence finlandaise, par le fait que la Finlande est le pays qui a sans doute le moins d'expérience de l'immigration, est restée très près de la procédure. La préparation du Conseil de Tampere est revenue de fait aux Etats membres qui souhaitaient s'impliquer sur ce thème. C'est ainsi que la France a estimé que ce sujet arrivait à son heure, d'autant que notre pays venait, une fois de plus, de remanier significativement les bases juridiques de l'immigration. La France a alors déposé un mémorandum sur ce que pourraient être les politiques européennes d'immigration. Ce mémorandum a été discuté en bilatéral, notamment avec l'Allemagne et le Royaume-Uni. Puis le Conseil a été saisi d'un mémorandum franco-germano-britannique, qui a largement inspiré les conclusions du Conseil sans rencontrer d'opposition des autres Etats.

Le ministre français de l'Intérieur a abordé cette question en fonction de la politique suivie par la France. Trois thèmes principaux se dégagent de cette politique :

- d'une part, les rapports entre l'Europe et les pays d'origine ;

- d'autre part, la place des étrangers dans les sociétés d'accueil ;

- enfin, la maîtrise des flux migratoires.

Cette démarche d'orientation politique tranchait par rapport aux habitudes de travail du domaine Justice et Affaires intérieures (JAI) qui étaient jusqu'à présent plutôt concentrées sur des projets de textes que sur des principes d'action politique, comme ceux issus de Schengen (par exemple, les visas ou les droits de séjour).

S'agissant des rapports avec les pays d'origine, la démarche a pour objet d'analyser les causes de la répartition des immigrants entre les différents pays de l'Union européenne. Une différenciation évidente apparaît ainsi entre les pays selon l'histoire et la géographie. Mais, dans le même temps, on constate aussi des convergences, comme celles que l'on peut noter avec l'évolution de la politique allemande. L'idée sous-jacente est qu'il faut dépasser avec les pays d'origine les aspects traditionnels des négociations bilatérales -qui portent sur les conditions d'entrée et de séjour de leurs ressortissants- afin d'avoir une vue plus globale de ces rapports entre les pays d'origine et les pays de destination.

La prise en compte des données démographiques de long terme conduit ainsi à favoriser le développement des pays d'origine pour stabiliser leur population. La France s'est déjà engagée dans ce type d'actions avec des pays comme le Maroc, le Mali ou le Sénégal, actions qui permettent d'établir un lien entre le développement économique et la maîtrise de l'immigration, par exemple par l'accueil d'étudiants ou par le soutien à des projets de développement. L'Allemagne, mais aussi l'Italie ou l'Espagne, sont intéressées par ce genre de démarche. Mais notre position sera d'autant mieux entendue par nos voisins que notre propre politique de codéveloppement progressera de manière importante.

Le Conseil a par ailleurs créé il y a un an, à l'initiative des Pays-Bas, un groupe de travail à haut niveau transpiliers " asile - immigration " destiné à assurer une approche européenne globale des relations entre l'Union et les pays d'émigration. Six pays ont été choisis pour cette première approche : le Maroc, l'Albanie, la Somalie, le Sri-Lanka, l'Afghanistan et l'Iraq. Pour chacun de ces pays, le groupe a fourni un rapport traitant de l'ensemble des relations entre l'Union et ces pays : développement, aide au développement, accords de réadmission, mesures d'éloignement, accords sur l'entrée et le séjour... Ces rapports ont été diffusés, et on examine maintenant la cohérence des mesures prises par l'Union européenne dans ses relations avec ces pays. La limite de cette démarche tient à l'existence de structures étatiques suffisamment fortes dans ces pays pour permettre une réelle efficacité de la démarche de l'Union.

Le thème de l'intégration des étrangers n'est pas, en tant que tel, directement inclus dans les compétences attribuées à l'Union européenne par les traités ; mais l'exercice de certaines compétences communautaires concerne aussi le thème de l'intégration, comme par exemple le régime du séjour qui, d'après les traités, doit être harmonisé, ou bien l'égalité de traitement des étrangers avec les ressortissants de l'Union. Les propositions françaises, assez largement reprises par les conclusions du Conseil, s'inspirent largement, je le souligne, des orientations mises en oeuvre dans notre pays, notamment au regard du principe de non-discrimination.

Pour la première fois a été également abordé, dans un cercle européen, le thème de l'accès à la citoyenneté. L'idée est que l'on ne peut pas traiter correctement la question de l'intégration des étrangers sans examiner aussi les conditions de l'accès à la citoyenneté et à la nationalité. L'examen de ce thème a été accepté par nos partenaires -y compris par les Allemands- parce que ces derniers étaient en train de modifier leur droit de la nationalité précisément pour des raisons liées aux problèmes de l'intégration de leurs travailleurs étrangers, notamment turcs. Cette modification récente du droit allemand, qui le rapproche du droit français, alors même que le point de départ des deux systèmes juridiques était très différent, permet d'aborder maintenant avec des analyses semblables la question de l'intégration des étrangers en France comme en Allemagne.

Le domaine de la nationalité et de la citoyenneté doit donner lieu à des échanges d'informations car ce n'est pas un domaine de compétence communautaire. Mais nous pourrons soutenir les propositions que déposera la Commission en matière de droit de séjour des étrangers. Nous allons par ailleurs organiser pendant la présidence française un colloque politique sur le thème de l'intégration des étrangers.

La maîtrise des flux migratoires est un sujet plus classique grâce à Schengen qui a obligé les Etats membres à faire des progrès, notamment dans le domaine du traitement des demandes d'asile. Des politiques communes doivent cependant être définies, même si les Etats membres ont déjà coordonné leurs efforts, comme par exemple en matière de mesures d'éloignement, d'accueil provisoire, de réadmission. Il existe un fort potentiel d'actions communes ou communautaires à engager dans ces domaines sur la base des textes que la Commission va bientôt déposer.

La véritable nouveauté sur ces questions est l'apparition du concept de " capacité d'intégration " des Etats membres. C'est là un concept très politique qui consiste à identifier, pour chaque société d'accueil, les besoins d'immigration et les capacité d'intégration des étrangers. Les politiques d'intégration étant encore très largement nationales, ce concept renvoie par conséquent à une réalité nationale. Il suppose donc, d'un point de vue institutionnel, que cette capacité d'accueil soit définie par les Etats.

Les politiques d'asile ont également été abordées lors de la préparation du Conseil de Tampere, mais le souci principal des négociateurs a été de ne pas confondre politique d'asile et politique d'immigration. La politique d'asile est une politique qui tend à défendre les droits des individus, principalement définis par la Convention de Genève sur le droit des réfugiés. La tentation, notamment aux Pays-Bas et en Allemagne, est forte de mélanger les questions d'asile et les questions d'immigration. Mais ce sont deux sujets qui doivent être traités séparément comme le Conseil l'a indiqué.

M. Paul Masson :

Le problème de l'immigration est souvent abordé de manière confuse, parce qu'il est accompagné de connotations passionnelles. Je voulais poser deux questions de fond à M. Le Roy.

Première question : qui élabore en France la politique de l'immigration ? Nous nous réjouissons de la part que prend le ministère de l'Intérieur dans cette tâche, mais je suppose que les ministres des Affaires étrangères, de la Justice, des Affaires sociales ou de l'Economie sont également concernés. On ne s'attendait pas, il y a encore cinq ans, à trouver le ministère de l'Intérieur si présent sur ces questions, alors que traditionnellement sa compétence porte plutôt sur la répression de l'immigration illégale.

Deuxième question : sur le plan européen, c'est à la Commission qu'il reviendra, dans les prochaines années, de faire des propositions en matière d'immigration. Même si, en l'état, elle n'est pas encore préparée à ces nouvelles procédures sous la conduite du commissaire portugais, la Commission va toutefois rapidement arrêter une position. Comment va-t-elle procéder ? Va-t-elle chercher, dans le cadre de sa nouvelle compétence juridique, à faire une synthèse entre les politiques actuelles ou potentielles des Etats membres, ou bien ne va-t-elle pas chercher à se faire sa propre conviction dans le cadre d'une réflexion " sui generis " ? En d'autres termes, est-ce que la Commission va anticiper la déflation démographique européenne pour tenir compte du manque de main-d'oeuvre dans certaines professions de l'économie européenne -par exemple sous forme de quotas d'immigration- ou bien va-t-elle rester à une simple conception passéiste de l'immigration sous la forme d'une coordination des politiques nationales existantes ?

M. Robert Del Picchia :

Vous avez cité certains pays, comme l'Albanie, la Somalie ou le Sri-Lanka, qui sont des pays de forte immigration. Mais il existe un autre problème avec les pays candidats à l'adhésion qui sont des pays de transit de l'immigration. Si on prend le cas de la Hongrie, on y trouve des Sri-Lankais, des Chinois ; à l'ambassade de France à Budapest, il y a en moyenne chaque jour une cinquantaine de demandes de visas par des Chinois. Y a-t-il actuellement une réflexion sur ce problème au niveau européen ? Par ailleurs, je me demande comment la Commission va pouvoir gérer le problème des immigrants déboutés du droit d'asile, qui sont très nombreux, et qui, devenant des étrangers en situation illégale, sont candidats aux régularisations dans les différents Etats membres.

Mme Danielle Bidard-Reydet :

Concernant les pays du sud de la Méditerranée, y a-t-il une réflexion française et européenne pour renforcer le codéveloppement afin de tarir cette source importante d'immigration ?

M. Thierry Le Roy :

Sur la première question de M. Masson, je crois que le directeur des Libertés publiques du ministère de l'Intérieur serait un meilleur interlocuteur que moi, parce qu'il est le directeur responsable, pour le ministère de l'Intérieur, des questions d'immigration à la fois au plan interne et international. Ma délégation est coordinatrice sur ces problèmes, mais elle n'est pas gestionnaire. Sur le plan interministériel, plusieurs ministères sont compétents, tels le ministère des Affaires étrangères pour le développement et la coopération, et la direction des populations et des migrations du ministère des Affaires sociales pour l'intégration. Concernant l'asile, c'est l'OFPRA, qui relève des Affaires étrangères, qui est compétent. Au plan européen, dans le cadre des négociations JAI, c'est le ministère de l'Intérieur qui est chef de file, mais il ne peut s'exprimer qu'après une concertation interministérielle qui a lieu à Matignon. Dans les faits, cette concertation n'a pas posé de problèmes particuliers dès lors que nous étions dans la suite des décisions adoptées pour la révision de notre législation interne qui avaient elles-mêmes donné lieu à des arbitrages interministériels.

Chez nos partenaires, la compétence ministérielle en matière d'immigration est très diverse. Dans le groupe à haut niveau que j'ai évoqué, certains pays délèguent des diplomates, d'autres des représentants du ministère de la Justice, alors que pour la France le négociateur est le directeur des Libertés publiques avec un sous-directeur du Quai d'Orsay.

S'agissant de la compétence de la Commission en matière d'immigration, ce qui me frappe est que nous avons changé de registre dans la mesure où nous sommes passés de l'harmonisation des règles -qui n'a pas rencontré de grand succès jusqu'à présent- à la recherche d'une définition de la politique de l'immigration. Les conclusions du Conseil de Tampere énoncent de ce point de vue ce que pourrait être une politique européenne de l'immigration. Les Etats membres ont, semble-t-il, adhéré à l'idée que nous avons besoin d'une politique commune de l'immigration. Par ailleurs, la Commission a accepté de faire une étude pays par pays sur les politiques d'immigration ; mais elle n'est pas déchargée pour autant d'avoir une vue synthétique sur les besoins futurs de l'Europe en matière d'immigration.

Concernant les pays d'Europe centrale et orientale, nous faisons la même analyse que vous, à savoir que le potentiel d'immigration n'est pas considérable ; mais ils constituent des pays de transit, " de rebond " disent les policiers, pour l'immigration illégale. Nous devons donc définir, avec les six premiers pays candidats à l'adhésion, des positions de négociation, sous présidence portugaise ou française, qui tiennent compte, non seulement de l'acquis communautaire, mais aussi des problèmes nouveaux touchant aux filières d'immigration clandestine. La question est la même dans le domaine des accords de réadmission, domaine où se pose par ailleurs la question de la compétence -communautaire ou partagée- de la Commission. La France, par exemple, a passé des accords bilatéraux avec le Maroc et la Tunisie, deux pays avec lesquels nous avons des liens traditionnels. Nous devons nous interroger, en termes d'efficacité, sur la question de la compétence de la Commission au regard de ces accords, car lorsque cette compétence aura été transférée, il ne sera plus question de la reprendre.

Le thème du codéveloppement est tout à fait approprié pour la situation des pays méditerranéens ; mais il faut être conscient de la grande disproportion entre les actions, souvent microscopiques, qui sont engagées, et l'ampleur du problème migratoire, du fait de l'énorme décalage démographique qui existe entre le Nord et le Sud de la Méditerranée. Le codéveloppement ne pourra pas, à lui seul, apporter une réponse complète à cette situation.

Concernant l'asile, les conditions des procédures d'accueil sont très différentes selon les Etats et elles devront être rapprochées. Mais les questions de fond, comme celles portant sur l'interprétation juridique par les différentes autorités judiciaires, relèvent de la convention de Genève, qui est une convention internationale.

M. Robert Del Picchia :

Les législations nationales de répression de l'immigration illégale sont très différentes selon les pays et cela explique pourquoi les clandestins utilisent certains itinéraires, connaissant la relative douceur de la législation dans certains Etats membres. Dans une affaire dramatique d'immigration clandestine en Autriche, les passeurs n'ont par exemple été condamnés qu'à six mois de prison avec sursis. Y aurait-il une possibilité d'harmoniser les conditions de répression des filières d'immigration clandestine en Europe ?

M. Thierry Le Roy :

Il y a effectivement depuis quelque temps des filières d'immigration qui sont présentes partout en Europe et qui représentent un phénomène nouveau que nous ne pouvons ignorer. L'Union européenne doit certes chercher à rapprocher le droit pénal des pays membres, mais il y a aussi un travail de police pour la surveillance des frontières, domaine dans lequel la France a une certaine expérience. Nous aurons un séminaire sur ce thème dans le cadre de la présidence française.

M. Hubert Haenel :

Je crois que l'Europe devrait avoir une même définition des infractions en matière d'immigration illégale, même si les poursuites policières et les condamnations doivent être ensuite appliquées dans le cadre national.

M. Paul Masson :

Sur ce point, les pénalités restent encore du domaine national. En revanche, une évolution importante a eu lieu avec les accords de Schengen pour l'examen des demandes d'asile, puisque l'institution d'une procédure unique, qui est engagée au nom des autres Etats de l'espace Schengen, conduit ces derniers à rapprocher progressivement leurs points de vue.


Environnement

Communication de M. Hubert Haenel sur les actions envisagées par la Commission européenne à la suite des tempêtes et de la marée noire

Après les tempêtes qui ont sinistré 69 départements français et ont également causé de très graves dommages en Allemagne et en Autriche, un début de polémique est apparu sur la suppression, il y a deux ans, de la ligne budgétaire relative à l'aide d'urgence de la Communauté européenne en cas de catastrophe naturelle.

Je n'entrerai pas dans ce débat.

L'objet de ma communication d'aujourd'hui consiste simplement à attirer votre attention sur ce que, nonobstant la suppression de cette ligne budgétaire, l'Europe pourrait faire pour venir en aide aux Etats touchés par une catastrophe naturelle, en l'occurrence par les tempêtes de la fin décembre.

Je vous dirai également un mot, bien qu'il ne s'agisse pas d'une catastrophe naturelle, de la marée noire.

En ce qui concerne les moyens d'action de l'Union européenne, beaucoup de choses sont dites dans une note que je vous ai fait distribuer. Rédigé par le Secrétariat général de la Commission, ce document a pour titre  " Conséquences de la marée noire en France et des tempêtes en France, Allemagne et Autriche ".

J'ai pu, soit dit en passant, constater que la Commission menait une active campagne d'information pour faire mesurer l'importance des moyens que l'Union européenne peut mettre au service des départements sinistrés. Notre ancien collègue Michel Barnier n'a d'ailleurs pas ménagé ses efforts : intervention devant le Parlement européen, déplacements dans des départements touchés par la tempête...

Vous pouvez notamment constater que, du point de vue strictement financier, les départements sinistrés pourraient recevoir, d'ici à la fin de l'année 2006, environ 4,1 milliards d'euros s'ils sont éligibles au nouvel objectif 2. En ce qui concerne les départements non éligibles, ils pourront bénéficier de 613 millions d'euros s'ils relevaient des objectifs 2 ou 5b avant la réforme des fonds structurels décidée à Berlin.

Des crédits seront également disponibles au titre du FEOGA-Garantie (760 millions d'euros par an) et dans le domaine de la pêche, en particulier sur la ligne pour l'indemnisation des pêcheurs et propriétaires de navires en cas d'événement non prévisible. D'après la note de la Commission, ces aides dans le domaine de la pêche peuvent bénéficier aussi bien aux victimes de la tempête qu'à celles de la marée noire.

Une polémique s'est fait jour sur le contenu de cette note qui, a-t-on observé, ne faisait que récapituler les crédits destinés à la France en vertu de l'accord de Berlin, et auxquels nous aurions pu prétendre même en l'absence de catastrophe.

Je crois en fait que ce document n'était que le premier élément d'une réflexion appelée à s'étaler sur plusieurs mois : avant de demander des aides exceptionnelles, il n'est pas illogique de voir ce que l'on peut déjà faire avec les aides normales.

Je formulerai d'ailleurs deux observations à la décharge de la Commission.

Premièrement, je ne crois pas que la Commission soit opposée à un accroissement des crédits au profit de la France. Il faut par exemple savoir que, vendredi dernier, le Gouvernement a demandé un accroissement des fonds destinés au développement rural qui passerait par une réaffectation des crédits non consommés par les autres Etats. M. Barnier n'a pas dit non : il a fait simplement observer que, juridiquement, un tel accroissement ne pourrait intervenir qu'en fin d'année et supposait une décision unanime des Quinze.

Deuxièmement, la note de la Commission se borne à dresser l'inventaire des crédits disponibles. Mais la programmation des actions et le choix des priorités sont décentralisés. C'est donc à nous, Français, et plus précisément au Gouvernement, qu'il appartient de répartir ces crédits entre les différentes zones éligibles et de faire à la Commission des propositions concrètes sur les actions à mener.

En quoi ces actions peuvent-elles consister ?

Michel Barnier s'est efforcé de donner quelques exemples. Il a notamment cité les actions de reboisement, la reconstitution du potentiel de production agricole et sylvicole endommagé ou le financement d'infrastructures.

Mais c'est à nous, Français, qu'il appartient de soumettre des programmes de reconstruction qui seront ensuite évalués par la Commission avant de débloquer les fonds. Selon le porte-parole de la Commission, cette évaluation serait effectuée dans un délai de quatre mois.

Le dialogue est donc engagé entre Paris et Bruxelles et je peux aujourd'hui vous dire quelles sont les grandes lignes des demandes formulées vendredi par la France :

- en ce qui concerne les fonds structurels, les autorités françaises ont demandé à la Commission une interprétation souple des critères d'éligibilité à l'objectif 2. Elles souhaitent que, dans les documents d'application actuellement en préparation (les DOCUP), les opérations de reconstruction et de restauration consécutives aux tempêtes et à la marée noire soient prises en compte.

Toujours en ce qui concerne les fonds structurels, le Gouvernement a demandé à la Commission une analyse " bienveillante " des demandes de financement au titre de l'IFOP formulées par les entreprises conchylicoles confrontées à la marée noire.

Dans le cadre du FEOGA, il est acquis que la reconstitution du potentiel agricole et sylvicole endommagé par les tempêtes est éligible. La France va en outre demander une extension à tous les travaux d'exploitation forestière du taux réduit de TVA aujourd'hui applicable à certains travaux forestiers.

En ce qui concerne la restauration de l'environnement, la France a demandé que les 300.000 euros dégagés par la Commission soient utilisés pour financer l'observatoire du suivi de la marée noire. Elle a également souhaité qu'une part des crédits du programme LIFE soit affectée à des travaux de génie écologique d'urgence.

En ce qui concerne les aides communautaires en matière d'énergie, la France a interrogé la Commission sur le point de savoir si l'on pouvait envisager d'étendre le programme des réseaux transeuropéens à la reconstruction d'ouvrages qui ne figuraient pas expressément sur la liste des projets d'intérêt commun arrêtés par le Parlement européen et le Conseil. Elle a par ailleurs demandé la faculté d'abaisser à 5,5 % le taux de TVA sur la vente de bois destiné à être utilisé comme source d'énergie.

En ce qui concerne les aides d'Etat, la France a demandé à la Commission de confirmer qu'elles pourraient être versées en faveur des PME sinistrées, notamment dans les secteurs agricole et sylvicole, sans avoir à attendre une autorisation formelle de Bruxelles.

Voilà où nous en sommes à ce jour. Ces requêtes sont à présent à l'étude à la Commission et je suivrai personnellement l'évolution du dialogue entre Paris et Bruxelles.

Je terminerai en attirant votre attention sur le fait que l'action de l'Union européenne ne sera pas simplement financière.

Il faut par exemple savoir que la Commission s'est dotée d'une task force compétente en matière de pollution maritime et dont l'un des rôles consiste notamment à mettre des experts à la disposition des autorités confrontées à des marées noires. C'est grâce à cette structure que vingt-six kilomètres de barrières flottantes ont pu être mis à la disposition de notre pays par onze Etats membres. Nous disposons d'ailleurs, pour ceux que cela intéresse, des coordonnées du responsable de ce service.

En ce qui concerne la réglementation communautaire destinée à prévenir le risque de marée noire, la Commission envisage d'adopter avant le mois de juin une communication sur la sécurité des navires et la lutte contre les pavillons de complaisance. Ce document évoquera notamment la question des personnes responsables et de l'utilisation des pétroliers à double coque.

Enfin, sur un plan plus général, il sera intéressant de suivre l'évolution des réflexions de Michel Barnier et de Margot Wallström, commissaire chargé de l'environnement, sur la création d'une force de protection civile européenne.

Compte rendu sommaire du débat
consécutif à la communication

M. Paul Masson :

Autant je suis partisan de faire jouer la solidarité vis-à-vis des personnes sinistrées, autant je suis perplexe face à la méthode retenue : pour obtenir des crédits de l'Europe, on soumettrait nos projets à la Commission qui les examinerait et donc pourrait nous dire ce que nous devrions ou ce que nous ne devrions pas faire. Tout cela ne me paraît pas très conforme au principe de subsidiarité auquel nous sommes pourtant très attachés. N'oublions pas que la politique d'aide aux victimes de catastrophes doit s'exercer au niveau national, voire local. Ce n'est pas à la Commission qu'il appartient de sélectionner les zones dans lesquelles elle accepte d'intervenir. L'Etat bénéficiaire d'une aide d'urgence européenne doit pouvoir l'utiliser comme il l'entend.

M. Robert Badinter :

M. Haenel ne dit pas autre chose lorsqu'il souligne que la note de la Commission se borne à dresser l'inventaire des crédits disponibles et que leur gestion est décentralisée.

M. Paul Masson :

La gestion est certes décentralisée, mais c'est tout de même la Commission qui a sélectionné les départements éligibles.

M. Hubert Haenel :

Si on saisit la Commission, ce n'est nullement pour que celle-ci se substitue à nous dans les choix à faire, mais pour demander des crédits qui pourraient aller ailleurs ou n'être pas utilisés.

M. Simon Sutour :

Je suis très satisfait de constater que la solidarité européenne s'exercera à l'égard des victimes de la tempête et de la marée noire.

Je dois cependant émettre une inquiétude car, le fonds d'aide d'urgence ayant été supprimé, les aides européennes seront financées à partir d'autres lignes budgétaires, en l'occurrence sur les crédits destinés aux fonds structurels. Or beaucoup de départements éligibles à ces fonds doivent déjà faire face à une réduction des crédits due à un zonage resserré. Ne vont-ils pas être doublement pénalisés si, sur ces crédits en diminution, on prélève en outre des sommes plus ou moins importantes ?

M. Hubert Haenel :

Vous mettez le doigt sur le coeur du problème. Normalement, il faudrait éviter une telle ponction. Nous pourrons interroger sur cette question M. Barnier que nous entendrons le 9 février.

M. Jacques Oudin :

La réparation c'est bien, mais la prévention des accidents c'est mieux. On nous annonce une communication et des initiatives législatives dans ce domaine pour les prochains mois. Certes, mais pourquoi avoir attendu un quart de siècle après le naufrage de l'Amoco Cadiz pour cela. Il y a là une inertie condamnable de la part de l'Europe qui aurait dû depuis longtemps intervenir pour remédier aux lacunes de la réglementation actuelle.

La première de ces lacunes concerne la responsabilité des acteurs : chargeur, affréteur, transporteur, constructeur... On ne sait pas qui est responsable de quoi.

Un autre problème auquel on aurait dû s'attaquer depuis longtemps a trait à l'extrême diversité des contrôles. Il est véritablement choquant que les règles et les pratiques varient selon les Etats.

Nous aurions également dû depuis longtemps établir une liste noire des navires qui n'ont plus les moyens de transporter des produits polluants sans aucun danger pour l'environnement. Nous devons les interdire dans les ports européens comme ils sont interdits dans les ports des Etats-Unis.

Enfin, la quatrième lacune concerne l'indemnisation et son financement. Il nous faudrait une taxe de prévention qui alimenterait un fonds d'indemnisation. Elle porterait par exemple sur les produits polluants et à risque, comme le pétrole transporté par mer. Cela suppose bien entendu que cette taxe ne serve pas à financer des actions sans rapport avec son objet, comme on l'a malheureusement fait en France où la taxe générale sur les activités polluantes sert à financer les 35 heures.

M. Hubert Haenel :

Il serait bon de recueillir le sentiment de la Commission sur vos suggestions. Nous pourrons le faire lors de l'audition de Mme Loyola de Palacio, commissaire en charge notamment des transports et de l'énergie, qui devrait avoir lieu le 7 mars.

M. Lucien Lanier :

Je m'interroge sur l'action d'urgence à conduire après les tempêtes. Certains travaux ne peuvent en effet attendre. Il me semble donc que l'on devrait pouvoir obtenir des crédits de l'Europe même si l'on a agi sans avoir attendu l'avis de la Commission.

M. Paul Masson :

On en revient au problème que j'évoquais tout à l'heure : nous n'avons pas à soumettre nos plans d'action à la Commission, car cela relève de la politique nationale.

En revanche, comme l'a dit M. Oudin, l'Europe aurait dû agir pour assurer une prévention efficace de la pollution marine.

M. Robert Del Picchia :

On pourrait sans conteste améliorer la législation européenne en ce domaine. Il faut cependant savoir que celle-ci existe mais qu'elle n'est pas appliquée de manière satisfaisante. Je pense en particulier aux contrôles : nous avons une réglementation mais nous manquons de contrôleurs.