Les réunions de la délégation du Sénat pour l'Union européenne

24 mai 2000


Elargissement

Entretien avec une délégation de sénateurs tchèques sur la présidence française de l'Union européenne


Elargissement

Entretien avec une délégation de sénateurs tchèques sur la présidence française de l'Union européenne

La délégation de la Commission pour l'intégration européenne du Sénat tchèque était composée de :

- Mme Jarmila Filipova (Parti démocratique civique),

- Mme Zuzana Roithova (Union Chrétien-démocrate - Parti populaire tchèque),

- M. Richard Salzmann (Parti démocratique civique).

Elle était accompagnée de S. E. M. Petr Janyska, Ambassadeur de la République tchèque en France.

M. Hubert Haenel :

Nous sommes heureux d'accueillir une délégation du Sénat tchèque, conduite par Mme Jarmila Filipova, présidente de la Commission pour l'intégration à l'Union européenne.

Ce faisant, nous perpétuons un peu ce qui devient une tradition (une heureuse tradition même) puisque, depuis dix-huit mois, les rencontres entre notre délégation et le Sénat tchèque se sont multipliées, aussi bien à Paris qu'à Prague.

Je salue à cet égard le travail de suivi accompli par notre collègue Marcel Deneux, qui ne peut malheureusement être des nôtres aujourd'hui. C'est lui en effet que notre délégation a désigné pour nous rendre compte régulièrement des progrès réalisés par la République tchèque sur la voie de l'adhésion à l'Union européenne, mais aussi pour nous informer sur les problèmes que vous rencontrez, sur vos inquiétudes et sur vos aspirations.

C'est ainsi que nous avons pleinement conscience de votre détermination à conserver l'Union douanière qui vous lie avec la Slovaquie. C'est ainsi également que nous avons été informés des difficultés, liées à l'engorgement de l'ordre du jour de votre Parlement, auxquelles vous vous heurtez pour intégrer l'acquis communautaire dans votre législation. Nous espérons sincèrement que vous trouverez une solution à ce problème car cela conditionne bien entendu la date de votre entrée dans l'Union.

Mais notre réunion d'aujourd'hui porte moins sur vos efforts, au demeurant considérables, que sur notre attitude à nous, Français, face à la perspective de l'élargissement, et sur ce que vous attendez de notre présidence qui, vous le savez, débutera le 1er juillet.

Le 9 mai, le Premier ministre a présenté au Parlement les grandes lignes de cette présidence et le mot " élargissement " est revenu dans sa bouche comme un leitmotiv. J'ai noté que, pour notre Gouvernement, l'élargissement devait être maîtrisé et que, " s'il n'est pas question de retarder le processus historique de l'élargissement, il n'est pas question non plus de brûler les étapes ".

Cela signifie que, non seulement les pays candidats doivent s'y préparer, mais que l'Union européenne doit elle-même adapter ses institutions à une Europe qui a vocation à comprendre, un jour, vingt-huit pays, voire davantage.

Cette adaptation, nous en discutons au sein de la Conférence intergouvernementale dont les travaux devraient aboutir sous présidence française, lors du Conseil européen de Nice.

Notre délégation fut parmi les premières instances parlementaires, pour ne pas dire la première, à prendre position sur la question. Nous avions notamment préconisé une repondération des votes au Conseil en faveur des " grands " Etats, un abaissement du seuil de la majorité qualifiée et une extension de son champ. Nous avions également jugé acceptable que la Commission soit composée d'un seul national de chaque Etat, sous réserve de la repondération des votes au Conseil et d'un renforcement de l'autorité du président de la Commission sur les membres de son équipe. Nous avions aussi souhaité assouplir les conditions du recours à une coopération renforcée.

Sur tous ces points, qui devraient être tranchés, nous serions intéressés de savoir ce que pensent nos collègues tchèques.

Mais il va sans dire qu'il n'est nullement dans mon intention de limiter notre échange de vues à la Conférence intergouvernementale.

A titre personnel, en tant que représentant du Sénat à la Convention chargée d'élaborer une Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, je souhaiterais recueillir votre sentiment sur ce dossier. Ce sera une sorte d'" avant-première " puisque les représentants des pays candidats doivent être entendus prochainement par la Convention.

Peut-être pourriez-vous également nous faire part de votre position sur des sujets aussi importants que la défense ou la réalisation difficile d'un espace judiciaire européen ?

Certains d'entre nous voudront, je pense, vous interroger sur d'autres dossiers. Il faut dire que les thèmes de discussion ne manquent pas, des transports à la politique sociale, en passant par l'immigration ou la fiscalité.

J'invite chacun à se manifester car il est bon que nous anticipions en prenant l'habitude de discuter dès à présent des questions européennes en y associant, fût-ce de manière informelle, ceux qui ont vocation à devenir nos partenaires dans le cadre de l'Union européenne.

Mme Jarmila Filipova :

Je voudrais, tout d'abord, présenter brièvement la Commission pour l'intégration européenne du Sénat de la République tchèque. Celle-ci a été mise en place il y a deux ans et elle joue un rôle important dans la phase accélérée du processus d'intégration à l'Union européenne. Le fonctionnement de notre commission est quelque peu différent de celui de votre délégation. A l'origine, nous avions retenu la même conception que vous quant à la composition de ses membres, à savoir des sénateurs et des sénatrices qui sont également membres des commissions permanentes, afin que la commission pour l'intégration européenne puisse bénéficier d'une large expertise de ses membres. Mais, devant l'ampleur du travail à accomplir au sein des commissions permanentes, nous avons finalement opté pour une structure quelque peu différente.

Par ailleurs, je voudrais souligner que, depuis l'intégration de la République tchèque à l'OTAN, l'intégration à l'Union européenne est la première priorité du Gouvernement.

Comme vous l'avez signalé, notre Parlement est actuellement surchargé, en raison de la nécessité de transposer l'acquis communautaire en droit national. Cela a conduit à adopter une procédure législative plus souple en matière de transposition du droit. Sur la base du rapport d'évaluation annuel de la Commission européenne, nous avons tenté d'accélérer cette transposition. Nous avons adopté un calendrier des travaux d'harmonisation et nous nous sommes engagés à remplir nos obligations d'ici la fin du mois de juin 2000.

Nous sommes très heureux que notre visite ait pu avoir lieu avant que la France n'assure la Présidence du Conseil. Nous entretenons des relations régulières avec les représentants de l'Ambassade de France à Prague, qui nous informent des travaux au sein de l'Union européenne.

Concernant l'état actuel des négociations d'adhésion, sur les vingt-six chapitres qui ont été ouverts, onze sont déjà clos. Un des chapitres qui suscite le plus d'interrogation, notamment parmi nos interlocuteurs français, est celui des relations extérieures et, notamment, l'union douanière avec la Slovaquie. Sur ce point, nous tenons à vous assurer que nous allons certainement conclure un accord avec nos amis slovaques avant l'adhésion.

En conclusion, permettez-moi de vous dire que nous nous sentons dès à présent co-responsables de la construction européenne et nous estimons qu'il serait judicieux que nous soyons associés à la réflexion sur l'avenir de cette construction.

M. Richard Salzmann :

Je voudrais évoquer l'actuelle réforme de la justice en république tchèque. Des textes importants, comme le code civil ou le code pénal, sont en cours de modification. Et c'est le système français qui a servi de modèle pour la plupart des réformes.

Mme Zuzana Roithova :

Je suis très heureuse de pouvoir rencontrer les membres de votre délégation. Je pense qu'avec l'avènement des nouvelles technologies nous allons bientôt pouvoir débattre en direct !

Je souhaiterais en particulier obtenir des précisions sur les relations à venir entre l'Union européenne et l'OTAN.

M. Robert Del Picchia :

Je voudrais poser deux questions.

Dans les années 90, on a assisté à un fort engouement de votre pays pour l'Ouest, et à une volonté affirmée d'adhérer à l'Union européenne. Aujourd'hui, on a l'impression, me semble-t-il, que la classe politique soutient l'adhésion, mais qu'une partie de la population se contente de l'appartenance à l'OTAN. Quel est votre sentiment ?

Par ailleurs, si vous étiez déjà membre de l'Union européenne, que seriez-vous prêts à accepter dans les propositions actuelles de réforme des institutions ?

M. Aymeri de Montesquiou :

Je voudrais prolonger la deuxième question de mon collègue.

Partagez-vous l'idée des Etats membres les plus importants en termes de population qu'il faut une repondération des voix au Conseil ?

Considérez-vous que chaque Etat doit avoir un Commissaire ?

M. Simon Sutour :

Je suis très heureux de participer à cette rencontre parce que je suis l'élu du département du Gard et que, dans ce département, la ville de Nîmes est jumelée avec Prague. Un homme de cette ville, M. Ernest Denis, a beaucoup contribué aux relations franco-tchèques. Nous avons donc des relations très étroites avec la République tchèque, notamment des contacts culturels. Ainsi, un certain nombre de Tchèques font leurs études à Nîmes.

Ma question concerne la place de la langue française dans votre pays. D'après les conversations que nous avons pu avoir avec ces étudiants, l'usage du français est en recul en République tchèque, comme partout en Europe centrale.

Dès lors, envisagez-vous des relations culturelles plus étroites entre nos deux pays qui se traduiraient notamment par une meilleure place du français dans votre pays ?

Mme Danièle Pourtaud :

Ma question porte sur votre souhait d'être associé aux réflexions sur la réforme des institutions.

Actuellement, la réflexion sur l'avenir de l'Union européenne est double :

- à court terme, cette réflexion est centrée sur la CIG ;

- sur le long terme, un débat vient d'être lancé par le ministre allemand des Affaires étrangères, M. Joschka Fischer, sur une Europe fédérale.

Je souhaiterais donc savoir dans quel type d'Europe votre pays souhaite s'inscrire.

M. Daniel Hoeffel :

Est-ce que l'état actuel des relations entre l'Union européenne et l'Autriche, votre voisin, interfère sur le processus d'intégration de votre pays à l'Union européenne ?

Mme Jarmila Filipova :

Je vais, tout d'abord, répondre sur le soutien de la population tchèque au processus d'intégration. Selon les sondages, environ 78 % de la population se prononce en faveur de l'adhésion à l'Union européenne. Cela montre que l'adhésion à l'OTAN n'a pas remis en cause le processus d'intégration à l'Union européenne. Cela étant, le processus d'intégration nécessite la mise en place d'uune stratégie de communication. Cette stratégie a porté ses fruits puisque le soutien à l'adhésion a augmenté d'un quart ces dernières années.

M. Richard Salzmann :

Je voudrais seulement faire remarquer que la République tchèque fait indiscutablement partie du centre de l'Europe puisque, si vous regardez une carte, vous pouvez observer que Prague est située plus à l'Ouest que Vienne.

Mme Zuzana Roithova :

Je confirme que l'adhésion fait l'objet d'un large consensus sur la scène politique tchèque.

Mme Jarmila Filipova :

La langue française n'est pas marginalisée au sein de l'enseignement tchèque. Elle est souvent choisie comme première ou deuxième langue. Certes le français occupe une place inférieure à l'anglais, mais il est à égalité avec l'allemand.

M. Petr Janyska :

La question de la place du français en République tchèque est une question éminemment politique. Durant l'entre deux guerres, le français était enseigné dans l'ensemble des lycées. De nombreuses Alliances françaises jouaient un rôle culturel très important. Puis, il y a eu Munich et le " coup de Prague ". Les Communistes ont délibérément combattu l'usage de la langue française. Ils ont même fusillé le Président de l'Alliance française, une grande figure de la Résistance, et ils ont fermé les Alliances françaises et l'Institut français. Ce dernier n'a été rouvert, de manière non officielle, qu'en 1968.

Aujourd'hui, l'anglais est la langue de la jeune génération. Il est donc devenu la première langue étrangère. Mais les autorités font beaucoup afin de promouvoir le français. Il existe en effet une volonté officielle du gouvernement que le français devienne la seconde langue étrangère. Il y a bien sûr le lycée français de Prague ; par ailleurs, une douzaine d'Alliances françaises sont réparties dans le pays, et cinq lycées bilingues franco-tchèques ont été créés depuis 1990. Cependant, il serait souhaitable que la France nous aide davantage, notamment financièrement. Ainsi, il nous manque des enseignants de français.

Enfin, je me permets de suggérer qu'il pourrait être intéressant, pour approfondir notre connaissance mutuelle, qu'un auteur tchèque soit inscrit au programme du baccalauréat français.

Mme Jarmila Filipova :

En ce qui concerne la question de la réforme des institutions européennes, il est clair que, pour notre pays, elle n'est pas prioritaire par rapport à l'élargissement.

Mme Zuzana Roithova :

Cela est tout à fait exact. Cependant, nous participons à cette réflexion, par exemple, dans le cadre du mouvement européen. C'est un débat très complexe, car l'Europe ne paraît pas encore prête pour un modèle fédéraliste et j'estime que la réforme des institutions exigera un processus en plusieurs étapes.

Quant à l'étape actuellement en cours, la proposition de la Commission sur l'extension de la majorité qualifiée a sa raison d'être, mais tout dépend des domaines qui seront concernés. Quant à la volonté de procéder à une repondération des voix au Conseil, elle me paraît légitime et doit permettre de corriger le " déficit démocratique " de l'Union européenne. Enfin, je pense que chaque Etat devrait pouvoir conserver un commissaire sans paralyser pour autant la Commission, car on pourrait imaginer de mettre en place des commissaires " sans portefeuille ".

M. Richard Salzmann :

Je vais maintenant tenter de répondre à la question sur les relations de notre pays avec l'Autriche à la suite de l'" affaire Haider ".

Lorsque le gouvernement autrichien a été investi, l'opinion publique tchèque s'est unanimement placée du côté des autres Etats membres de l'Union européenne. Mais, depuis, de nombreuses voix ont critiqué les sanctions prises contre l'Autriche, comme M. Vaclav Klaus, actuel Président de la Chambre des députés, et son parti, auquel j'appartiens. Je pense que notre opinion serait aujourd'hui soulagée de voir ce conflit se régler rapidement.

Nous sommes, bien sûr, très proches de l'Autriche et nous souhaitons entretenir les meilleures relations avec ce pays, mais pour l'instant le gouvernement tchèque s'est aligné sur la position des quatorze Etats membres.

Mme Zuzana Roithova :

Il y a cependant un aspect positif à la réaction des Etats membres à l'égard de la situation en Autriche. On y voit une preuve concrète des idéaux qui ont été au coeur de la construction européenne.

M. Hubert Haenel :

Je voudrais à mon tour répondre à votre question, qui préoccupe tous les citoyens européens, sur l'avenir de la défense européenne. Après la chute du Mur de Berlin, votre entrée dans l'OTAN était, à la fois, urgente et nécessaire. Mais la guerre en ex-Yougoslavie a montré la nécessité d'une défense proprement européenne. Cette Europe de la défense est en train de se construire. L'initiative franco-britannique de Saint-Malo a beaucoup contribué à cette construction. Je crois que vous devez donc vous interroger sur la position que votre pays aura sur l'Europe de la défense, lorsqu'il sera membre de l'Union.

Mme Jarmila Filipova :

En conclusion, permettez-moi de dire qu'en voyant la liste des sujets qui ont été abordés aujourd'hui je ne peux que souhaiter de nouvelles rencontres. En effet, nous avons besoin de votre point de vue pour nourrir notre propre réflexion sur la construction européenne.

J'espère vivement que, lors de la réunion de la COSAC, en octobre, à Versailles, un représentant tchèque pourra prendre la parole pour expliquer l'apport que peut représenter un pays candidat à l'Union et pour exposer sa vision à long terme de la construction européenne.