Les réunions de la délégation du Sénat pour l'Union européenne

3 mai 2000


Elargissement

Entretien avec une délégation de la Commission de l'Intégration communautaire du Parlement hongrois


Elargissement

Entretien avec une délégation de la Commission de l'Intégration communautaire du Parlement hongrois

La délégation de la Commission de l'intégration communautaire du Parlement de Hongrie était composée de :

- M. Joszef Szajer (Parti des jeunes démocrates),

- M. Imre Karl (Parti socialiste),

- M. Gabor Szalay (Parti libéral),

- Mme Katalin Kiszely (Parti des petits propriétaires),

- M. Istvan Bebes (Parti des jeunes démocrates),

- Mme Erzebet Gidal (Parti de la justice et de la vérité).

M. Hubert Haenel :

Je suis heureux d'accueillir aujourd'hui des membres de la Commission de l'intégration communautaire du Parlement de Hongrie. C'est l'occasion privilégiée pour nous d'examiner aujourd'hui les principales questions que pose l'adhésion de votre pays à l'Union européenne, la semaine même où le Premier ministre français est en visite à Budapest.

A quelques mois de la présidence française et après deux années de négociations, il est clair que la Hongrie est parmi les pays les mieux préparés à adhérer à l'Union européenne. Avec une croissance en 1999 de 4,5 %, la Hongrie connaît sa septième année consécutive de progression de sa richesse nationale, croissance qui est supérieure à celle de tous les autres candidats à l'adhésion, y compris la Pologne. L'inflation est tombée à 10 % et le déficit public à 4 % du PIB. Tous les chapitres de la négociation, qui a été entamée le 31 mars 1998, auront été ouverts d'ici la présidence française ; peu de demandes de transition de la Hongrie devraient être rejetées.

Pour autant, peut-on dire que la candidature de la Hongrie ne pose aucun problème ? Ce serait évidemment excessif que de le prétendre.

D'abord un certain nombre de chapitres -et non des moindres- posent des difficultés. Je citerai d'abord l'environnement avec la gestion des déchets, les pollutions de l'eau et de l'air ; le Parlement européen a, sur cette question, exigé, sans doute de manière excessive, l'application intégrale, sans dérogations, de l'acquis communautaire. Mais il sera pour le moins difficile d'envisager des transitions en matière, par exemple, de prévention de la pollution industrielle, votre pays ayant d'ailleurs récemment souffert d'une grave pollution au cyanure. La question des périodes transitoires et de leur durée est évidemment cruciale. Il en va de même pour le fret routier, le transport ferroviaire et aérien.

La reprise de l'acquis de Schengen et, d'une manière générale, les questions du troisième pilier " justice et sécurité " sont également importantes. L'adhésion à l'Union européenne pourrait entraîner l'établissement de visas pour les minorités magyares de Roumanie (2,5 millions de personnes), d'ex-Yougoslavie (350.000 personnes) et d'Ukraine (200.000). Le retrait de la Roumanie des pays soumis à visas simplifierait naturellement le problème, mais il ne résoudrait pas totalement la question du renforcement des contrôles aux frontières extérieures.

Un chapitre important de la négociation concerne l'agriculture avec la demande d'application immédiate de l'acquis communautaire, dès le premier jour après l'adhésion, de paiements directs aux agriculteurs hongrois. Dois-je également évoquer la législation sur la liberté des médias, la modernisation du réseau de transport, le développement régional, etc. ? De toute manière, nous savons bien que, au-delà de la législation proprement dite, un des défis importants de l'adhésion est la mise en oeuvre effective de l'acquis communautaire, faute de quoi les pays candidats risqueraient de graves déconvenues, soit judiciaires, soit concurrentielles.

La position prise par le Conseil européen d'Helsinki sur la différenciation entre les pays candidats devrait, d'une manière générale, faciliter la phase de négociation de la Hongrie sur les quelque 55 demandes de dérogations de périodes transitoires formulées par votre pays. Je pense que la question de la date d'achèvement de la phase globale de négociation vous préoccupe autant que celle de la conclusion de l'actuelle conférence intergouvernementale sur la révision des traités, dont l'achèvement des travaux et leur ratification conditionneront la date du premier élargissement.

Je ne voudrais pas enfin ne pas évoquer, avant de vous céder la parole, l'aspect bilatéral des relations franco-hongroises dans la perspective de l'élargissement.

La France est le troisième investisseur étranger en Hongrie avec plus de 12 milliards de francs investis. Avec 15 milliards de francs en 1999, la France est le cinquième fournisseur de la Hongrie. Quelques difficultés récentes, sans doute temporaires, portant sur le respect d'obligations contractuelles en matière de concessions de service public, pourraient malencontreusement freiner cet attrait de la Hongrie pour certaines de nos entreprises, ce que nous ne pourrions que regretter.

Notre pays reste enfin très désireux de poursuivre, voire d'intensifier les jumelages dont elle est chef de file ou auxquels elle participe dans les domaines du troisième pilier, de l'environnement ou de l'agriculture. Je pense en particulier aux jumelages entre régions françaises et hongroises.

Nous serons naturellement très heureux d'entendre votre point de vue sur ces différentes questions.

M. Jozsef Szajer :

Je suis d'accord avec vous pour dire que les relations entre la Hongrie et la France sont excellentes. Vous venez de présenter les événements récents concernant le processus d'adhésion de la Hongrie. Je voudrais aussi rappeler des événements moins récents. Les relations entre nos deux pays n'ont pas toujours été aussi bonnes. En 1998, notre nouveau Premier ministre a fait sa première visite à l'étranger en France et il n'y a pas d'autre pays avec lequel le Parlement hongrois a des relations aussi étroites qu'avec le Parlement français. Dans les prochaines semaines, plusieurs délégations parlementaires hongroises vont venir au Sénat et à l'Assemblée Nationale. Dans ce contexte, je dois remercier l'association " Initiatives France-Hongrie ", son président M. de Chalendar et ses collaborateurs, pour leur aide précieuse dans l'organisation de cette visite.

La Commission pour l'Intégration européenne du Parlement hongrois a été la première commission parlementaire européenne mise en place parmi les pays candidats ; depuis 1992, nous suivons avec attention l'évolution du rapprochement de notre législation avec la législation communautaire. Tant la Commission européenne que les Etats membres ont porté des appréciations positives sur les progrès effectués par la Hongrie dans le domaine du rapprochement des législations, malgré les difficultés de ce rapprochement. Nous avons vite reconnu que, après le système communiste, nous devions revoir notre législation tout en procédant à la transposition de l'acquis communautaire dans notre nouveau droit national. Ce processus est en cours depuis maintenant dix ans, début de la mise en place de notre première assemblée libre élue au suffrage universel après la chute du communisme. L'ensemble des partis présents au parlement hongrois, à l'exception d'un seul, sont en effet en faveur de l'adhésion à l'Union européenne.

Pour ce qui est du détail technique des négociations, celles-ci ont jusqu'à présent respecté le calendrier prévu. Mais sur le fond, nous constatons souvent que les Etats membres n'ont pas encore arrêté leurs positions de négociation et nous ne pouvons pas encore prévoir les réponses de l'Union européenne à nos demandes de dérogation. C'est pourquoi nous voulons nous adresser aux parlementaires français pour leur demander de faire attention à ce processus de négociation, en particulier en raison des risques de ralentissement qu'il contient. Il y a, d'une part, un grand nombre de pays candidats avec lesquels l'Union européenne mène des négociations et il y a, d'autre part, une grande quantité de dossiers à traiter par des administrations européennes qui ont du mal à gérer l'ensemble du processus d'adhésion. Nous sommes également préoccupés par la baisse du soutien de l'opinion publique au processus d'élargissement dans les Etats membres. C'est pourquoi nous vous demandons votre aide, grâce à l'opportunité de la présidence française, pour relancer ce processus d'élargissement, notamment sur les chapitres difficiles.

Pour la plupart des chapitres, la situation est en effet favorable. Mais je suis d'accord à vous, Monsieur le Président, pour dire qu'il existe aussi des chapitres à problèmes, comme la protection de l'environnement, où les investissements à effectuer sont considérables. Quant à l'agriculture, nous constatons que les difficultés relèvent plutôt des Etats membres, qui auront du mal à formuler un avis unique. La Hongrie est en effet un petit pays ; son agriculture s'intégrera d'autant plus facilement dans l'agriculture européenne que le montant du soutien accordé aux agriculteurs hongrois est bien inférieur à celui pratiqué dans l'Union européenne.

Quant à la Conférence intergouvernementale que vous avez évoquée, Monsieur le Président, nous espérons qu'elle pourra aboutir d'ici au Conseil européen de Nice. Nous sommes très soucieux de la qualité du mécanisme de décision interne à l'Union européenne que nous voulons efficace et opérationnel. Quelles sont, selon vous, les chances de réussite de la conférence intergouvernementale au Conseil de Nice ?

M. Hubert Haenel :

Il faut être clair sur le fait qu'il ne pourra pas y avoir d'élargissement sans révision du mécanisme de décision de l'Union européenne par les Quinze Etats membres actuels. La France a un rôle particulier dans cette révision puisqu'elle assure la présidence de l'Union européenne au cours du second semestre 2000. Sur le plan national, les approches sont assez communes entre les deux têtes de l'Exécutif et le Parlement. Je suis assez confiant sur une issue favorable de la Conférence intergouvernementale sous présidence française et sur les conséquences qui en découleront pour l'élargissement ; j'espère aussi qu'on pourra arrêter la question de la Charte des droits fondamentaux et aller plus loin dans le concept de défense européenne ainsi que sur les questions de justice et affaires intérieures. Pour régler ces différentes questions, il est aussi évident que les relations bilatérales entre les différents chefs d'Etat et de gouvernements sont importantes. Je souligne que ces questions seront également abordées dans le cadre de la Conférence des organes spécialisés dans les questions communautaires (COSAC) qui aura lieu à la fin de ce mois à Lisbonne.

En conclusion, je suggère que, au-delà de cette réunion formelle, des contacts informels soient poursuivis entre nous, à commencer par notre rapporteur pour la Hongrie, notre collègue Claude Estier, qui va se rendre prochainement à Budapest.