Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 22 juin 2005


Table des matières

-->

Réunion du mercredi 22 juin 2005

Politique de coopération

Contribution de l'Union européenne au développement
(textes E 2726 et E 2867 rectifié)

Communication de Mme Colette Melot

Lors d'un récent discours au Mali devant l'assemblée parlementaire paritaire entre l'Union européenne et les pays Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP), le commissaire européen chargé du développement, Louis Michel, déclarait que l'année 2005 serait l'année du développement. De fait, à quelques semaines du sommet des Nations unies qui réunira les chefs d'État et de gouvernement en septembre 2005 à New York, les initiatives se multiplient pour démontrer que les pays développés, et en premier lieu ceux de l'Union, se mobilisent pour remplir les objectifs dits « du millénaire ».

Quels sont ces objectifs ? Ce sont huit objectifs de développement, définis lors du sommet du millénaire des Nations unies de septembre 2000, qui doivent être réalisés au plus tard en 2015, à savoir : réduire de moitié la pauvreté extrême et la faim dans le monde, réaliser l'enseignement primaire pour tous, favoriser l'égalité entre les sexes, réduire la mortalité infantile des deux tiers, réduire la mortalité maternelle des trois quarts, inverser la propagation du sida, du paludisme et autres grandes maladies, assurer la viabilité de l'environnement et créer un partenariat mondial pour le développement.

Ces objectifs ne peuvent être réalisés sans moyens. Le sommet des Nations Unies a donc été suivi d'une conférence internationale sur le financement du développement, qui s'est tenue à Monterrey au Mexique en mars 2002. D'après les estimations des Nations unies, l'aide publique annuelle au développement nécessaire pour réaliser les objectifs du millénaire s'élèverait à 195 milliards de dollars en 2015. Cette somme correspond à 0,54 % du revenu national brut (RNB) des pays donateurs, et à 0,7 % du RNB si l'on tient compte des aides non directement liées aux objectifs du millénaire.

L'Union européenne a décidé de sa contribution lors du Conseil européen de Barcelone de mars 2002. Elle a pris l'engagement collectif suivant : le niveau moyen de l'aide publique au développement des pays de l'Union passerait de 0,33 % à 0,39 % du RNB entre 2002 et 2006, comme étape vers l'objectif de 0,7 % à l'horizon 2015.

Depuis le sommet de Barcelone, les engagements ont été tenus. De fait, quatre pays membres de l'Union ont déjà atteint ou dépassé l'objectif de 0,7 % (Danemark, Luxembourg, Pays-Bas, Suède), six autres se sont engagés à le réaliser avant 2015 (Belgique, Finlande, France, Irlande, Espagne, Royaume-Uni) et, dans son ensemble, l'Union devrait atteindre une aide publique au développement de 0,42 % du RNB en 2006, soit un pourcentage supérieur à celui visé.

En revanche, d'après les chiffres de la Commission, les nouveaux membres de l'Union ne consacreraient que 0,09 % de leur RNB à l'aide au développement en 2006. Force est de constater le décalage entre les moyens consacrés à l'aide au développement par les anciens et par les nouveaux États membres. C'est en partie pour remédier à ce décalage que la Commission européenne fait aujourd'hui de nouvelles propositions.

Dans la perspective du sommet des Nations Unies de septembre prochain, la Commission présente en effet trois communications sous le titre « accélérer les progrès vers la réalisation des objectifs du Millénaire pour le Développement ». Ces communications sontconsacrées respectivement à la contribution de l'Union européenne, au financement du développement et à la cohérence des politiques d'aide.

Les principales propositions de la Commission sont les suivantes :

1. s'engager sur un nouvel objectif individuel d'aide publique au développement en 2010, soit 0,51 % du RNB pour les pays membres de l'Union européenne avant 2004 et 0,17 % du RNB pour les dix pays de l'élargissement, la moyenne collective étant fixée à 0,56 % ;

2. améliorer la qualité de l'aide, par une plus grande coordination et une complémentarité entre les bailleurs européens ;

3. renforcer la cohérence des autres politiques de l'Union avec la politique de développement (commerce, agriculture, environnement) ;

4. accorder la priorité à l'Afrique, en augmentant le volume des ressources qui lui est réservé et la qualité de l'aide.

Les ministres des affaires étrangères des États membres de l'Union ont conclu un accord le 24 mai 2005 sur la base des propositions de la Commission. Cet accord a été entériné par le Conseil européen des 16 et 17 juin derniers. L'objectif est donc d'atteindre une aide égale à 0,56 % du RNB en 2010 pour les quinze anciens États membres et 0,17 % du RNB pour les nouveaux (en 2015, les objectifs sont respectivement de 0,7 % et 0,33% du RNB). Cet engagement est important puisqu'il représente plus de 20 milliards d'euros par an d'aide supplémentaire à l'horizon 2010. L'aide au développement de l'Union européenne passerait ainsi de 46 milliards d'euros en 2006 à 67 milliards d'euros en 2010. Sur ces 67 milliards d'euros, les nouveaux États membres verseraient un peu moins de 1 milliard, soit un pourcentage faible de l'effort total, mais plus du double de ce qu'ils versent aujourd'hui.

Par ailleurs, la priorité à l'Afrique proposée par la Commission européenne est consacrée : les ministres des affaires étrangères ont déclaré que plus de 50 % des ressources supplémentaires d'aide au développement seront consacrées à ce continent. C'est un engagement très positif, pour lequel la France s'est battue.

Le nouvel objectif intermédiaire d'aide au développement est un signal fort adressé par l'Union européenne, mais pourra-t-il être tenu ?

Plusieurs pays, notamment l'Allemagne, l'Italie et le Portugal, ont déjà fait savoir que s'ils avaient mis cet engagement, il fallait aussi tenir compte de l'évolution de leurs finances publiques. De fait, parallèlement à ces annonces, les initiatives pour créer de nouveaux outils de financement du développement se multiplient. Ces instruments financiers sont présentés comme des ressources additionnelles pour l'aide au développement, mais il ne faut pas cacher leur importance pour améliorer les chances de réussite des objectifs du millénaire.

Les nouveaux outils de financement proposés sont d'abord des projets de taxes : taxe sur les armes, sur le kérosène, voire sur les voitures de luxe. Parmi les propositions de nouvelles ressources figure le projet franco-allemand de créer une taxe sur les billets d'avion. C'est le seul projet de taxe qui soit mentionné dans les conclusions du Conseil des ministres de mai 2005. Certains États souhaiteraient que cette taxe, si elle était créée, soit limitée aux États volontaires, ou encore qu'il s'agisse d'une contribution facultative. En tout état de cause, il est certain que ces initiatives se heurtent au souhait de nombreux États membres de ne pas créer de nouvelles impositions, et il est difficile de penser que dans le domaine fiscal où l'unanimité est requise, un consensus puisse être trouvé.

Il faut également rappeler la proposition britannique lancée en janvier 2003 et qui consiste à créer une facilité financière internationale (IFF) qui permettrait de sécuriser les flux d'aide au développement et de s'engager sur des programmes pluriannuels. Chaque État donateur s'engagerait à verser une certaine somme à l'IFF sur 15 ans, et en contrepartie, l'IFF pourrait lever des fonds sur les marchés financiers. Grâce à des instruments financiers innovants et au recours au marché obligataire, il serait possible d'anticiper sur les flux d'aides à venir et donc d'accélérer les versements aux pays les plus pauvres. La Grande-Bretagne espérait pouvoir lever 50 milliards de dollars supplémentaires par an pour l'aide au développement. Cette initiative se heurte cependant à la réticence de nombreux États membres de l'Union et à celle des États-Unis.

Force est donc de constater qu'il n'existe pas, pour le moment, de mécanisme de financement associé ou complémentaire aux engagements pris par l'Union européenne. Les engagements de l'Union reposeront sur les engagements budgétaires individuels des États membres.

Enfin, le tableau ne serait pas complet si je n'évoquais pas le récent accord des ministres des finances du G 8 à Londres, les 10 et 11 juin derniers, pour annuler la dette multilatérale de dix-huit pays pauvres très endettés. Il s'agit de quatorze pays d'Afrique (Bénin, Burkina-Faso, Éthiopie, Ghana, Madagascar, Mali, Mauritanie, Mozambique, Niger, Rwanda, Sénégal, Tanzanie, Ouganda, Zambie) et de quatre pays d'Amérique Latine (Bolivie, Guyana, Honduras, Nicaragua). Cette dette, contractée auprès du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque Mondiale et de la Banque Africaine de développement, représente environ 40 milliards de dollars. Les pays membres du G 8 s'engagent à la rembourser, en capital et en intérêts, auprès des institutions internationales concernées, sur une période d'une dizaine d'années, pour un coût de 1,5 milliard de dollars par an. Le FMI puisera sur son fonds de réserve. Cette annonce précède la réunion formelle du G8 qui aura lieu sous présidence britannique à Gleaneagles, en Écosse, les 6 et 7 juillet prochains.

Cette décision, très attendue par les pays pauvres très endettés, ne devra cependant pas affecter les crédits budgétaires en faveur de l'aide au développement.

*

En conclusion, comme vous l'avez constaté, je n'ai abordé dans cette communication que le thème du financement du développement, qui est un sujet majeur d'actualité. Beaucoup d'autres remarques pourraient encore être faites, sur la coordination et l'efficacité de l'aide notamment, mais cela demanderait de longs développements et une autre communication. La Commission a aussi recommandé que la politique commerciale prenne davantage en compte les intérêts des pays les moins développés et ce thème devrait occuper l'Union dans les mois à venir, sous la présidence britannique. La révision des accords de Cotonou et la négociation des nouveaux accords de partenariat économique (APE) avec les pays d'Afrique, Caraïbes et Pacifique sont autant de rendez-vous pour mesurer nos engagements. Il est en effet évident que la contribution de l'Union au développement ne saurait se résumer au montant de ses aides, tant l'équilibre du commerce international et les relations privilégiées que nous pouvons nouer avec ces États sont essentiels pour leur essor économique de long terme.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Je remarque que les pays membres de l'Union européenne ont dépensé 42,9 milliards de dollars en aide au développement en 2004, contre seulement 19 milliards de dollars pour les États-Unis, selon les chiffres de l'Organisation pour la Coopération et le Développement Économique (OCDE). C'est un point qui mérite d'être souligné, car l'aide au développement provenant des pays de l'Union européenne n'est, me semble-t-il, pas assez mise en valeur.

M. Louis de Broissia :

Je trouve en effet nécessaire de souligner l'écart entre l'effort réalisé par les États-Unis et les pays membres de l'Union européenne. Il serait également intéressant de rapporter le volume de l'aide à la population de chaque pays : de ce point de vue, avec une aide au développement de 8,5 milliards de dollars par an, la France fait beaucoup mieux que les États-Unis qui dépensent 19 milliards de dollars par an.

Mme Colette Melot :

Le graphique qui présente le montant de l'aide au développement en pourcentage du produit intérieur brut (PIB) de chaque pays, permet d'avoir une idée de l'effort réel de chaque État, en fonction de sa richesse nationale.

M. Marcel Deneux :

Je souhaiterais avoir une précision. Un des graphiques montre que la moyenne d'aide au développement des pays donateurs est égale à 0,42 % du PIB, alors que la moyenne d'aide au développement des pays membres de l'Union européenne est égale à 0,36 % du PIB.

Mme Colette Melot :

Cela s'explique par le fait que les pays donateurs ne sont pas seulement des pays membres de l'Union européenne, mais également des pays comme les États-Unis, le Japon, la Norvège ou la Suisse, dont les montants d'aide au développement sont pris en compte par l'OCDE.

M. Bernard Frimat :

Vous nous avez présenté la contribution au développement des États membres de l'Union européenne. Toutefois, je ne pense pas que l'addition de politiques d'aide au développement nationales fasse une politique européenne. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur le montant et l'efficacité de l'aide au développement de l'Union elle-même ?

Mme Colette Melot :

La rubrique « actions extérieures » du budget de l'Union, qui comprend l'aide au développement, représente 5 milliards d'euros par an. Il existe par ailleurs le Fonds européen de développement (FED), de l'ordre de 3 milliards d'euros par an, mais qui n'est pas budgétisé. Pour ce qui concerne la consommation des crédits, et l'efficacité des aides, ce sujet est d'une importance toute particulière et mériterait une prochaine communication.

M. Louis de Broissia :

Vous nous avez présenté l'aide au développement des États membres de l'Union mais vous serait-il possible de nous faire aussi le point sur les coopérations décentralisées ? Il me semble que la contribution des collectivités territoriales aux projets de développement est devenue essentielle.

M. Marcel Deneux :

Il serait également intéressant de connaître les flux commerciaux et financiers entre les pays développés et les pays en voie de développement. Dans mes fonctions passées à la Banque de France, j'avais pu constater l'ampleur des flux financiers des pays africains vers les pays de l'Union européenne, qui représentaient de l'ordre de 30 milliards d'euros par an.

M. Hubert Haenel :

L'ensemble de ces questions montre l'importance du sujet que notre collègue Colette Melot nous a présenté aujourd'hui. Je vous propose que tous les points que vous avez évoqués soient intégrés dans une prochaine communication, qui pourrait avoir lieu après la conférence des Nations unies en septembre prochain à New York.

Source : OCDE, 11 avril 2005

Source : OCDE, 11 avril 2005

Stratégie de Lisbonne

Programme-cadre pour l'innovation et la compétitivité
pour 2007-2013 (texte E 2881)

Communication de M. Jean Bizet

C'est la troisième fois que j'évoque devant la délégation la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne. Lors de notre réunion du 2 mars, j'avais fait une communication sur sa « révision à mi-parcours », à la suite du rapport pessimiste du groupe présidé par Wim Kok. Le 11 mai, j'avais rendu compte, avec notre collègue Roland Ries, de la conférence interparlementaire organisée par le Parlement européen sur ce même thème. Je reviens à nouveau vers vous, car il me paraît nécessaire que le Sénat se saisisse, plus largement qu'au sein de notre seule délégation, de l'application de la stratégie de Lisbonne.

Une des leçons que nous devons tirer du scrutin du 29 mai, c'est que la construction européenne doit intensifier son action en faveur de la croissance et de l'emploi, qui apparaissent comme les attentes prioritaires des citoyens, alors que ce sont les questions institutionnelles qui ont occupé le devant de la scène européenne au cours des dernières années. Pour retrouver l'adhésion des citoyens, l'Union doit montrer qu'elle est capable de répondre à ces attentes d'ordre économique et social.

Un des aspects de cette réponse est, à mon avis, une mise en oeuvre effective de la stratégie de Lisbonne dont les objectifs sont précisément le retour à la croissance et l'amélioration du taux d'emploi, en s'appuyant notamment, pour cela, sur un accroissement de l'effort de recherche ainsi qu'un développement des nouvelles technologies. Or, nous avons été saisis d'une proposition de décision établissant un « programme-cadre pour l'innovation et la compétitivité » qui s'inscrit pleinement dans l'esprit de la stratégie de Lisbonne.

Notre souci à tous est que les grandes questions européennes ne restent pas, au Sénat, l'apanage des « spécialistes de l'Europe », mais soient débattues le plus largement possible au sein de notre Assemblée. Le texte qui nous est transmis me paraît un bon point de départ pour que le Sénat, et d'abord la commission des Affaires économiques, se saisisse de ce problème essentiel qu'est la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne. C'est pourquoi je vous proposerai tout à l'heure que nous adoptions une proposition de résolution, que je conçois avant tout comme le point de départ d'une réflexion collective.

*

Le programme-cadre pour l'innovation et la compétitivité a été adopté par la Commission le 6 avril 2005. Son objectif est de donner une meilleure visibilité aux actions communautaires favorisant la stratégie de Lisbonne tout en renforçant les moyens affectés à ces actions. Le programme-cadre regroupe donc dans un cadre commun de nombreuses actions communautaires préexistantes, qu'il articule autour de trois « programmes spécifiques » : programme pour l'innovation et l'esprit d'entreprise, programme d'appui stratégique en matière de technologies de l'information et de la communication, enfin programme « énergie intelligente - Europe ».

 Le volet « innovation et entrepreneuriat » est axé sur la création et le développement des entreprises innovantes, avec une priorité en faveur des écotechnologies, et des échanges de meilleures pratiques dans le domaine de l'entrepreneuriat et de l'innovation ; ce volet vise également à favoriser l'émergence de projets d'innovation européens par la mise en réseau des organismes d'innovation des États membres. Par ailleurs, les moyens accordés au volet « financement des entreprises » en liaison avec le Fonds européen d'investissement sont renforcés pour favoriser la création et le développement d'entreprises innovantes par le renforcement des sociétés de capital risque, le développement des mécanismes de garantie et des actions en faveur du micro-crédit.

 Le volet « technologies de l'information et de la communication » est destiné, quant à lui, à soutenir des actions visant à développer l'espace unique européen de l'information et à renforcer le marché intérieur pour les produits et services d'information. Il vise également à stimuler l'innovation par une adoption plus large des TIC et par un investissement plus important dans celles-ci, afin de développer une société de l'information ouverte à tous. Il doit enfin soutenir la production et la distribution du contenu européen en ligne, cela en promouvant les diversités culturelles et linguistiques de l'Europe.

? Quant au volet « énergie intelligente », il porte sur trois domaines :

- l'efficacité énergétique et l'utilisation rationnelle de l'énergie, en particulière dans la construction et dans l'industrie ;

- les sources d'énergie nouvelles et renouvelables pour la production, centralisée ou décentralisée, d'électricité et de chaleur ;

- les aspects énergétiques des transports, la diversification des carburants notamment par le développement de sources d'énergie nouvelles et renouvelables, et l'amélioration de l'efficacité énergétique dans les transports.

Je précise que les actions de recherche et développement technologique proprement dites ne font pas partie du champ du programme pour l'innovation et la compétitivité, car elles relèvent du 7e PCRD. La Commission conçoit précisément le programme pour l'innovation et la compétitivité comme complémentaire du 7e PCRD.

Pour ce qui est des moyens financiers, l'enveloppe prévue est de 4,2 milliards d'euros pour la période 2007-2013, ce qui représente une augmentation d'environ 30 % par rapport aux programmes actuels, au profit essentiellement des volets « énergie intelligente » et « financement des entreprises innovantes ».

*

On voit que ce texte n'est pas révolutionnaire. Son objet essentiel est de rationaliser des programmes existants, de les regrouper de manière cohérente et de renforcer leurs moyens. Mais ce programme-cadre, par les sujets abordés, me paraît une base valable pour une réflexion plus large sur la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne. C'est pourquoi je vous propose le dépôt d'une proposition de résolution que je conçois uniquement comme une base de départ pour les travaux que pourrait mener la commission des Affaires économiques, si elle en décide ainsi.

Compte rendu sommaire du débat

M. Bernard Frimat :

Nous nous trouvons dans une situation quelque peu surréaliste, avec d'un côté des projets entourés d'un grand luxe de détails, et de l'autre une absence de perspectives financières. Les orientations du document présenté par la Commission sont d'une très grande généralité : qui serait contre ? Mais la concrétisation me paraît des plus problématiques, surtout en considération de la stratégie industrielle adoptée par le Gouvernement, qui contredit en réalité la stratégie de Lisbonne. Je ne pourrai donc m'associer à cette proposition de résolution. Toutefois, je comprends le souci de provoquer un débat plus large en saisissant la commission des affaires économiques. Je m'abstiendrai donc.

Mme Marie-Thérèse Hermange :

Je crois important que notre politique industrielle se place davantage dans l'esprit de la stratégie de Lisbonne. Jusqu'à présent, la politique industrielle intervenait surtout en cas de difficulté, pour essayer de limiter les conséquences d'évolutions souvent inéluctables. Dans un contexte de compétition internationale très vive, il faut se préoccuper davantage de rendre plus efficace ce qui l'est déjà, d'encourager des pôles de compétitivité attractifs pour les chercheurs.

M. Robert Bret :

Bien sûr, si l'on s'en tient à certaines généralités, nous serons tous d'accord. Mais, si l'on regarde de plus près, il faut convenir de l'échec de la stratégie de Lisbonne : qui peut croire, par exemple, que nous atteindrons le plein emploi en 2010 ? On ne peut faire comme si rien ne s'était passé le 29 mai : il y a un abîme entre ce qui s'est exprimé lors de ce scrutin et les politiques qui se perpétuent. Je m'opposerai, pour ma part, à la proposition de résolution, car je me place dans une autre logique.

M. Pierre Fauchon :

N'apportons-nous pas, indirectement, de l'eau au moulin de ceux qui contestent la politique agricole commune (PAC) en réclamant davantage de moyens au service de la compétitivité européenne ? Je m'interroge sur l'utilité de cette proposition de résolution.

M. Jean Bizet :

Le débat qu'entend lancer cette proposition de résolution me paraît nécessaire aujourd'hui. Par exemple, à un moment où les cours du pétrole atteignent les sommets que l'on sait, n'est-il pas bon de relancer les actions concernant les énergies nouvelles et renouvelables ? Et l'encouragement aux entreprises innovantes n'est-il pas un élément de la politique de l'emploi ?

Le 29 mai a été évoqué. Mais les aspirations démocratiques à l'égard de la construction européenne doivent d'abord se traduire dans la vie parlementaire. Tous nos collègues doivent s'approprier les questions européennes, au lieu de s'en tenir aux seules questions nationales qu'aborde la commission dont ils sont membres. Il est dans notre rôle d'inciter les commissions à se saisir des grandes questions.

Je reconnais que la stratégie de Lisbonne a été jusqu'à présent un échec, comme l'a souligné le rapport de Wim Kok. En réalité, il n'y a aucun progrès tangible depuis cinq ans. Mais c'est précisément pourquoi nous devons nous saisir de cette question ! On ne peut en rester là.

Par ailleurs, il n'est pas sans signification de soutenir la proposition de la Commission européenne quand elle prévoit une augmentation sensible des dotations allouées aux programmes destinés à favoriser l'innovation et la compétitivité. C'est un signal de notre volonté de doter l'Union d'un budget ambitieux. De même, il n'est pas inutile que nous demandions au Gouvernement des précisions sur le dispositif national de coordination et sur l'articulation entre notre politique industrielle et la stratégie de Lisbonne, comme l'a suggéré Marie-Thérèse Hermange.

Quant à la PAC, je crois précisément qu'il faut refuser le discours qui l'oppose à l'effort pour rendre l'Europe plus compétitive. La politique agricole commune, ce ne sont pas seulement des aides accordées à des agriculteurs : c'est aussi la base des industries agro-alimentaires, la garantie de la sécurité sanitaire, l'aménagement du territoire ; et c'est également un domaine important pour la recherche-développement. Ne nous laissons pas enfermer dans les termes du débat que veulent imposer les anglo-saxons. N'oublions pas le rôle que peut jouer l'agriculture pour fournir des carburants de substitution. Ne pourrait-elle, également, produire des substituts à certains plastiques nocifs pour l'environnement ? Il nous faut refuser une approche réductrice de l'agriculture.

*

À l'issue du débat, la délégation a conclu, à la majorité, au dépôt de la proposition de résolution suivante :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de décision du Parlement européen et du Conseil établissant un programme-cadre pour l'innovation et la compétitivité (texte E 2881),

Estime que l'Union doit mettre au premier plan l'action en faveur de la croissance, de la compétitivité et de l'emploi ;

Estime que la concrétisation de la stratégie de Lisbonne doit être un des aspects essentiels de cette action ;

Invite, dans cet esprit, le Gouvernement :

- à approuver le programme-cadre pour l'innovation et la compétitivité, y compris en ce qui concerne l'augmentation des moyens budgétaires alloués aux actions qu'il regroupe ;

- à préciser le mécanisme retenu en France pour la coordination de la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne ;

- à veiller en particulier à une bonne articulation entre politique industrielle nationale et stratégie communautaire.

Économie, finances et fiscalité

La notion de « préférence communautaire » depuis le
traité de Rome

Communication de M. Hubert Haenel

Dans le débat sur l'Europe qui s'est développé en France à l'occasion du traité constitutionnel, il a souvent été fait référence à la notion de « préférence communautaire » sans que l'on précise toujours s'il s'agit de réhabiliter une pratique européenne ancienne ou d'introduire un dispositif nouveau dans les politiques européennes.

C'est pourquoi il semble utile de retracer l'historique de cette notion depuis la négociation du traité de Rome.

À cette fin, il convient d'abord d'examiner le texte même du traité, puis les politiques menées depuis la mise en oeuvre de celui-ci.

I - LE TRAITÉ

La notion de « préférence communautaire » ne figurait pas dans le traité instituant la Communauté économique européenne. Cette absence n'est pas le fruit du hasard, mais le résultat de la négociation préalable au traité de Rome.

Selon les règles du GATT, il était possible de déroger au principe fondamental de la non-discrimination, qui comprend la clause de la nation la plus favorisée (un pays accordant des avantages commerciaux à un autre pays doit les étendre à l'ensemble des autres nations) et celle du traitement national, (égalisation de traitement entre les produits nationaux et les produits importés qui ne peuvent, de ce fait, se voir imposer des taxes spécifiques), en constituant une zone de libre-échange ou une union douanière.

Au cours des négociations préalables au traité de Rome, l'Allemagne accepta que l'on institue une union douanière, impliquant disparition des droits de douane à l'intérieur de l'Union et établissement d'un certain niveau de protection par rapport à l'extérieur.

Dans un souci de simplification, ce niveau de protection fut fixé en règle générale à la moyenne arithmétique des tarifs des quatre territoires douaniers existants qui allaient fusionner (France, Allemagne, Italie, Benelux). Mais l'Allemagne n'accepta ce niveau - qui impliquait un certain relèvement de ses droits de douane - que dans la mesure où l'on s'engagerait à abaisser ultérieurement le niveau du futur tarif commun en sorte que les droits allemands ne soient pas appelés à remonter de manière autre que provisoire.

Jean-François Deniau, un des négociateurs français du moment, retrace bien, dans son livre « L'Europe interdite », le climat des débats entre Français et Allemands :

« Quand nous disions qu'il valait mieux, ne serait-ce que pour des motifs de négociation évidents, partir d'un tarif sérieux et obtenir des concessions en contrepartie de la part des autres pays du monde, le professeur Ehrardt, ministre de l'Économie et des Finances de la République fédérale, appuyé sur le succès remarquable de sa politique systématiquement libérale, nous rétorquait que le protectionnisme était un mal en soi, et une baisse de tarifs douaniers un bien en soi, même sans contrepartie négociée... ».


Sixième alinéa du préambule du traité de Rome

-----

« Les Chefs des États membres : (...)

Désireux de contribuer, grâce à une politique commerciale commune, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux,

(...) ont décidé de créer une Communauté économique européenne ... ».

En fait, le différend entre les six futurs États membres portait sur la finalité même du traité et l'on en trouve la manifestation la plus claire dans le 6e alinéa du préambule du traité de Rome.

Là encore, Jean-François Deniau porte témoignage :

« Le but du traité de Rome, était-ce bien de créer une Communauté européenne fondée sur une Union douanière ? Ou était-ce seulement de relancer un mouvement mondial de libéralisation des échanges à partir de l'Europe, comme l'avaient envisagé certains initialement ? S'occuper de droits de douane, était-ce seulement l'occasion, le moyen, je dirais presque le prétexte, pour faire l'Europe ? Ou était-ce la vraie finalité ?

Le sixième alinéa du préambule apporte la réponse : soigneusement ambiguë. On peut même dire que tout le traité de Rome est un traité soigneusement ambigu. C'est là son péché originel. Entre la conception politique d'Adenauer ou de Schuman, et celle, commerciale, des milieux de Hambourg ou de Rotterdam, il ne pouvait y avoir accord que sur une ambiguïté ou un malentendu. Ils ne vont cesser de se développer et la vie du traité va être largement faite de ces affrontements entre les deux interprétations, nées dès le début des négociations et que les négociateurs n'auront jamais pu tout à fait concilier, encore moins unifier. Le traité d'ailleurs porte pratiquement deux noms : officiellement, c'est la Communauté économique européenne ; dans le langage courant, c'est seulement le Marché commun... ».

Ce différend originel apparaît de manière plus aiguë encore dans le domaine de l'agriculture. L'agriculture faisait partie de l'équilibre global parce que la France en avait fait une condition expresse de la suppression des barrières aux échanges industriels. Toutefois, les articles 38 à 47 du traité de Rome, qui traitent de l'agriculture, sont sans doute ceux qui recèlent le plus d'arrière-pensées et qui tentent de dissimuler les plus graves malentendus, « les Français soutenant qu'ils comportaient l'engagement d'accorder la préférence aux productions communautaires, alors que les Allemands - tout en protégeant fortement leur agriculture, alors de dimension réduite - souhaitaient maintenir leurs importations en provenance des pays tiers, acheteurs de produits industriels. Il faudra de dures négociations pour mettre fin à ces malentendus » (Alain Prate - Quelle Europe ? - 1991).

La notion de « préférence communautaire » ne figure pas davantage dans la partie agricole du traité que dans ses autres dispositions. Robert Marjolin, un autre des négociateurs de l'époque, explique, en 1986, dans « Le travail d'une vie », comment il lui fallut ruser pour que la possibilité de mettre en place, dans les faits, une préférence communautaire ne soit pas écartée du traité, même si la notion ne pouvait y figurer tant elle faisait figure d'épouvantail aux yeux de nos partenaires :

« Les Français demandaient que l'agriculture communautaire jouît d'une préférence tarifaire, ce à quoi plusieurs de nos partenaires, notamment les Allemands, s'opposaient pour des raisons doctrinales. Cette résistance était d'autant moins justifiée que l'agriculture allemande, comme celle de tous les pays membres, était fortement protégée. Il suffisait que les protections nationales fussent fondues en une protection communautaire, en même temps que serait établie une libre circulation des produits agricoles à l'intérieur de la Communauté, pour que la politique agricole commune vît le jour.

Mais il fallait trouver le moyen de tourner l'obstacle que représentait le mot de « préférence ». Je pensai l'avoir trouvé avec l'idée que dans un marché commun, où les produits industriels circuleraient librement, à des prix évidemment voisins, il était inimaginable que les gouvernements, ou les organismes agricoles qui en dépendaient, payent des prix différents aux producteurs de marchandises agricoles selon la nationalité de ceux-ci (...).

 La notion de « préférence » serait ainsi remplacée par celle de « non-discrimination » ; il n'y aurait ainsi dans chaque pays qu'un seul système de prix quelle que soit l'origine des produits. Je fis la proposition à Bruxelles à la fin de l'année 1956. Je suggérai donc qu'on abandonnât l'idée d'une préférence européenne et qu'on parlât désormais de non-discrimination. Je ne demandais plus un traitement préférentiel pour les produits agricoles français, par exemple à leur entrée en Allemagne, mais j'affirmais qu'il était dans la logique du Marché Commun que les produits français en Allemagne fussent traités par les autorités allemandes de la même façon que les produits allemands, la même chose valant pour les autres pays de la Communauté.

Cette proposition créa une certaine sensation. Il était facile de rejeter l'idée de « préférence », qui relevait du vocabulaire protectionniste. Il était impossible de ne pas accepter celle de « non-discrimination », qui avait une connotation libérale. Pourtant, étant donné les systèmes de protection en vigueur en matière agricole, dans les différents pays qui devaient former la Communauté, le résultat était pratiquement le même. On décida donc que le traité prévoirait une organisation commune des marchés agricoles. Une voie était ainsi ouverte qui devait conduire, au fil des années soixante, à une série de règlements communautaires établissant des organisations de marché pour les différents produits et prévoyant la façon dont les interventions seraient financées ».

Il en résulta les dispositions de l'article 40 du traité de Rome selon lesquelles l'organisation commune des marchés agricoles « doit exclure toute discrimination entre producteurs ou consommateurs de la Communauté. Une politique commune éventuelle des prix doit être fondée sur des critères communs et sur des méthodes de calcul uniformes ».

Une lecture attentive du traité de Rome permet toutefois de découvrir, à l'article 44, une notion proche de celle de « préférence communautaire ». La dernière phrase de l'alinéa 2 de cet article, dispose en effet que « les prix minima ne doivent pas être appliqués de manière à faire obstacle au développement d'une préférence naturelle entre les États membres ». Mais il faut bien garder à l'esprit qu'il ne s'agissait là que de régir une clause de sauvegarde valable pour la seule période de transition suivant l'entrée en vigueur du traité.

L'article 44 conférait aux États membres la possibilité d'instituer un système de prix minima dans l'hypothèse où la libéralisation progressive des échanges intra-communautaires, au cours de cette période transitoire, aurait pu conduire à des prix de nature à mettre en péril leur agriculture. Parmi les conditions destinées à préserver la réalisation progressive du marché commun, figurait celle de ne pas faire obstacle au développement d'une préférence naturelle entre les États membres. À l'évidence, dans l'esprit des rédacteurs des traités, il ne pouvait s'agir d'un principe permanent.

II - LES POLITIQUES MENÉES

Si le traité ne mentionne pas la notion de « préférence communautaire », il rend possible le recours à deux instruments susceptibles de donner vie à cette notion : le tarif extérieur commun et la politique agricole commune. Toutefois, pour que ces deux instruments soient utilisés par la Communauté, il faudra que la France mette tout son poids dans la balance.

1. La mise en place de la préférence communautaire

Le 1er janvier 1959 marque la première phase de libération des échanges à l'intérieur de la Communauté. Très vite, le commerce intracommunautaire connaît une forte progression et les effets bénéfiques en sont perceptibles par tous les participants. De ce fait, dès le début de 1960, l'intérêt d'une accélération de l'abaissement des barrières douanières internes paraît évident. Mais il est non moins clair que nos partenaires souhaitent avancer dans la voie de la libération des échanges internes sans adopter pour autant le tarif douanier commun et sans se préoccuper de l'agriculture. La France ne pourra obtenir satisfaction qu'en conditionnant les progrès de l'Union douanière à ceux de la politique agricole commune.

En mai 1960, le gouvernement français obtient ainsi un engagement sur la mise en place du tarif douanier commun, ainsi que l'adoption d'un calendrier pour les décisions à prendre en matière agricole.

À la fin de 1961, le Conseil des ministres doit approuver le passage à la deuxième phase de réalisation du marché commun prévu par le traité de Rome. Cette décision doit être prise à l'unanimité, comme l'avaient fait prévoir les négociateurs français lors de l'élaboration du traité. Le gouvernement français menace alors de s'opposer à ce passage si un début de mise en place de la politique agricole n'est pas réalisé. La discussion marathon dure jusqu'au 14 janvier 1962. Elle aboutit à un accord sur le marché des céréales et des denrées obtenues à partir de celles-ci (viande de porc, oeufs, volaille) qui comporte l'instauration d'un prélèvement sur les importations en provenance des pays tiers qui assure une préférence effective à l'intérieur du marché commun.

Un nouveau marathon agricole s'engage en décembre 1963. Là encore, un marché est conclu entre la France et l'Allemagne. L'Allemagne ne veut pas compléter la politique agricole commune sans être assurée que la Communauté adoptera une position libérale pour les produits industriels dans les négociations du GATT. Quant à la France, elle n'entend accepter des concessions tarifaires que si la politique agricole commune est mise en place. L'accord aboutit donc tout à la fois à l'abaissement du tarif douanier commun pour les produits industriels (à négocier dans le cadre du cycle des négociations qui se déroulent à Genève) et l'adoption des règlements agricoles en instance.

Un troisième marathon agricole aboutira le 15 décembre 1964.

Tous les commentateurs de la politique agricole commune expliquent que celle-ci repose sur trois principes fondamentaux : unité de marché, « préférence communautaire », solidarité financière. Le principe de la « préférence communautaire », qui ne figure pas en tant que tel dans les textes, découle de la mise en place du prélèvement communautaire. Le prélèvement est en fait un droit de douane variable qui est calculé par différence entre le « prix de seuil » (de niveau élevé et fixe) et le prix d'entrée dans la Communauté des marchandises provenant de pays tiers (de niveau très inférieur et variable en fonction des cours mondiaux). Il permet de donner une « préférence communautaire » sous la forme d'un avantage en matière de prix aux produits de la Communauté par rapport aux importations en provenance de pays tiers.

La notion de « préférence communautaire » est alors tellement entrée dans les esprits que la Cour de justice la consacre explicitement. C'est ainsi que, dans un arrêt du 13 mars 1968, elle fait valoir que, en pesant les intérêts des agriculteurs et des consommateurs, qui peuvent ne pas être tous atteints simultanément et totalement, le Conseil doit tenir compte, « le cas échéant, du principe dit de la « préférence communautaire » qui constitue un des principes du traité et a trouvé, en matière agricole, une expression à l'article 44, paragraphe 2 ». La Cour transforme ainsi un principe inscrit dans le traité dans le cadre d'un régime provisoire en un principe permanent.

2. Le démantèlement de la préférence communautaire

Mais le succès même de ces instruments d'une « préférence communautaire » amène les États-Unis à réagir dans le cadre des différents cycles de négociations du GATT. En effet, ce sont toujours les États-Unis qui sont à l'origine des cycles de négociations du GATT et un certain nombre d'entre eux sont lancés en réaction à un progrès dans la construction de la Communauté. C'est ainsi que le cycle de Dillon suit la création du marché commun, que le cycle de Tokyo suit l'élargissement et que le cycle d'Uruguay suit l'Acte unique européen. On a ainsi le sentiment que chaque progrès intérieur dans la constitution de la Communauté doit être compensé par un avantage concédé par celle-ci sur le plan international.

La négociation Dillon se conclut ainsi le 16 juillet 1962 par des concessions tarifaires de la part de la Communauté de 6,5 % en moyenne. On notera d'ailleurs que le tarif douanier commun de la Communauté ne sera complètement mis en place qu'au 1er juillet 1968, c'est-à-dire après cette réduction. La négociation Kennedy, qui se déroule du 4 mai 1964 au 15 mai 1967, aboutit à un accord qui prévoit un abaissement réciproque de 35 à 40 % des droits sur les produits industriels qui sera échelonné de 1968 à 1972. Ainsi, au 1er  janvier 1972, le tarif extérieur commun est ramené à 6,9 % en moyenne alors que celui des États-Unis se situe à 11,1 %, celui de la Grande-Bretagne à 11,6 % et celui du Japon à 10,1 %.

Il n'en va pas de même pour l'agriculture. Cependant, les États-Unis se montrent également tout à fait sourcilleux en ce domaine, et cela dès qu'il est question d'un prélèvement communautaire, c'est-à-dire dès 1960. Une difficile négociation s'engage alors à l'issue de laquelle les États-Unis acceptent le principe du prélèvement communautaire, moyennant la renonciation définitive de la Communauté à tout droit de douane sur les graines oléagineuses. Cette concession, qui paraît secondaire à l'époque, prendra une importance considérable au fil des ans. Dans le cadre de la négociation Kennedy, la Communauté accorde la même concession douanière pour les drèches de maïs (corn gluten feed).

Parallèlement, la « préférence communautaire » va se trouver contournée par l'apparition de produits de substitution qui ne sont pas touchés par la protection communautaire et qui concurrencent les productions européennes bénéficiant du mécanisme du prélèvement. Il s'agit d'abord des produits de substitution des céréales, tels le manioc, ou les déchets industriels les plus divers (écorces de citron...). Il s'agit ensuite des produits de substitution aux produits laitiers, tels le lait de soja.

Enfin, un élément déterminant pour l'avenir du prélèvement communautaire apparaît : sans peut-être l'avoir recherché, l'Europe devient un exportateur mondial de premier plan.

Dès lors, la pression internationale, et notamment américaine, se fait plus forte. Elle aboutit à l'accord signé le 15 avril 1994 à Marrakech qui met fin à « l'exception agricole » qui prévalait jusque-là, c'est-à-dire la non-application à l'agriculture des règles du GATT. Les produits agricoles sont désormais explicitement inclus dans le champ des produits dont les échanges doivent se conformer aux disciplines multilatérales. Parallèlement, les prélèvements variables à l'entrée sur le marché communautaire sont transformés en droits de douane fixes, dénommés « équivalents tarifaires », qu'il est prévu de diminuer de 36 %.

*

Le débat entre la « préférence communautaire » et l'ouverture au marché mondial s'était ouvert dès la négociation du traité de Rome. Dans la Communauté à Six, la France parvenait, non sans mal, à faire prévaloir son attachement à la « préférence communautaire », mais, au fil des élargissements, les tendances favorables au libre-échange n'ont cessé de se renforcer. La succession des cycles de négociation a permis à ces dernières de l'emporter et de démanteler les outils d'une « préférence communautaire » qui, aux yeux des autres parties prenantes aux négociations du GATT, n'est toujours apparue que comme l'utilisation des outils traditionnels du protectionnisme.

Compte rendu sommaire du débat

Mme Marie-Thérèse Hermange :

Cette mise au point me paraît très utile.

M. Jean Bizet :

Je le crois aussi. La notion de « préférence européenne » revient de plus en plus souvent dans les débats. Il faut d'abord savoir où nous en sommes ! Je crois que le virage décisif a été le passage du GATT à l'OMC : à ce moment-là, la notion de « préférence communautaire » a de fait disparu.

M. Robert Bret :

Un état des lieux est utile, mais ne suffit pas : nous devons également nous demander quelle réponse apporter aux problèmes qui sont à l'origine du regain d'intérêt pour cette notion.

M. Marcel Deneux :

Je reviens un instant sur la PAC. Son coût budgétaire actuel découle de l'abandon de la préférence communautaire. C'est vrai qu'il est paradoxal de subventionner des producteurs pour qu'ils limitent leur production. Cela ne peut se comprendre que dans une perspective historique.

Depuis la réforme de 1992, nous sommes dans une logique d'aide au revenu et non à la production. Abandonner cette logique, renoncer à traiter l'agriculture de manière spécifique, aurait un coût social important. Les évolutions profondes supposent un effort substantiel d'accompagnement, qui n'est possible qu'en période de croissance.