Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 29 mars 2006


Table des matières

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Institutions européennes

Conseil européen des 23 et 24 mars 2006

Audition de Mme Catherine Colonna,
ministre déléguée aux affaires européennes

M. Hubert Haenel :

Après notre débat de la semaine dernière, à la veille du Conseil européen, nous sommes heureux de vous accueillir pour que vous nous commentiez le déroulement et les conclusions de ce Conseil européen.

Une fois de plus, je dois constater que les conclusions de ce Conseil européen ne paraissent pas avoir été conçues pour attirer l'attention du citoyen. Elles comportent 25 pages, sans compter les annexes, et ces 25 pages s'apparentent beaucoup à un catalogue. Pour la stratégie de Lisbonne, on trouve quelques annonces chiffrées, mais on se demande si les chefs d'État et de gouvernement sont réellement certains que ces annonces seront suivies d'effet. C'est ainsi que l'on peut lire que « l'Union européenne devrait en principe créer six millions d'emplois nouveaux entre 2005 et 2007 ». Mais on ne sait guère s'il s'agit d'un voeu pieux ou si cela doit résulter véritablement des mesures préconisées par le Conseil européen.

Dès lors, Madame la Ministre, il me semble qu'il va vous falloir déployer tout votre talent oratoire pour nous convaincre que, comme l'a dit le chancelier Schüssel, « on se rendra compte d'ici dix ans que ce Conseil européen fut une journée historique ».

Mme Catherine Colonna :

Je suis très heureuse de cette nouvelle audition, qui complète votre information après le débat public de la semaine dernière, et qui me permet de vous informer sur le Conseil européen de Bruxelles avant de répondre à vos questions.

Je voudrais d'abord vous dire que ce Conseil s'est déroulé dans une atmosphère de sérénité propice au travail. Je le relève, car tel n'avait pas été le cas lors des deux derniers Conseils européens consacrés au budget de l'Union. Il faut y voir un signe de la capacité des Européens à se retrouver. De plus, ce Conseil avait été bien préparé par la présidence autrichienne, ce qui a été souligné par tous et qui a permis de progresser sur les projets concrets et importants pour l'avenir de l'Union.

L'essentiel de l'ordre du jour de ce Conseil européen de printemps était consacré, comme le veut la tradition, aux questions économiques et sociales. N'oublions pas néanmoins que les chefs d'État et de gouvernement ont fait une déclaration, et une seule, de politique étrangère sur la situation en Biélorussie. Ils ont condamné l'arrestation de manifestants pacifiques qui protestaient contre le déroulement de l'élection présidentielle et ils ont décidé d'adopter des mesures restrictives contre les responsables de ces violations des engagements pris, y compris contre le Président Loukachenko. Le Conseil a aussi décidé de renforcer les actions de l'Union européenne en direction de la société civile et des médias.

Les autres résultats du Conseil européen de Bruxelles concernent quatre sujets :

- l'énergie,

- la proposition de directive services,

- la stratégie de Lisbonne,

- l'avenir de l'Union et l'élargissement.

1. L'énergie

Il s'agissait d'un sujet nouveau dans un Conseil européen et d'un sujet important pour permettre à l'Union de se doter d'une véritable politique énergétique européenne. Jusqu'à présent, ces questions avaient été en effet abordées sous le seul angle de la libéralisation du marché et de la concurrence.

Dès le sommet de Hampton Court, la France avait fait valoir que l'énergie était un des grands sujets d'avenir. Par la suite, nous avons élaboré et transmis à nos partenaires, au mois de janvier, un mémorandum proposant une politique européenne de l'énergie, avec trois grands objectifs : la compétitivité, la sécurité des approvisionnements et le développement durable. Le Livre vert, publié par la Commission le 6 mars 2006, reprend d'ailleurs largement notre mémorandum. Nous avions préparé les travaux de près avec notre partenaire allemand notamment, ainsi qu'avec la Grande-Bretagne, qui a beaucoup évolué sur ces questions par rapport à ses positions antérieures.

Que prévoient les conclusions du Conseil européen ? D'abord, que l'Europe élabore une stratégie énergétique externe, qui devra être débattue à brève échéance. À la demande du Conseil européen, la Commission et le Secrétaire Général Haut Représentant Permanent, Javier Solana, ont été invités à faire des propositions en vue du Conseil européen de juin prochain. La Commission devra aussi faire un rapport stratégique annuel. Par ailleurs, le Conseil appelle la Russie à ratifier la Charte de l'énergie signée en 1994 et souhaite le renforcement du dialogue avec les grands fournisseurs.

Les conclusions appellent aussi au renforcement des efforts des États membres :

- efforts d'investissement, avec le développement d'une analyse commune des perspectives d'offre et de demande et des capacités de production nécessaires, sans exclure la contribution possible du nucléaire, mais aussi le développement des interconnexions électriques (avec l'objectif d'un taux d'interconnexion de 10 %) ;

- efforts de solidarité, avec le renforcement de la transparence sur l'état des stocks de gaz et de pétrole, indispensable en cas de crise énergétique.

Nous étions prêts à aller plus loin, mais ce Conseil européen constitue la première étape de l'élaboration progressive d'une véritable politique européenne de l'énergie. Et c'est déjà un beau résultat qu'il convient de souligner. Nous serons très attentifs à la mise en oeuvre des éléments de ce programme, à commencer par le volet externe, qui sera le premier test crucial pour l'Union dans les mois qui viennent.

2. La proposition de directive sur les services

Il convient de noter que la proposition de directive sur les services a été longuement débattue en séance, plus que les autres sujets. Le résultat nous convient particulièrement. Nous avons en effet obtenu que les conclusions du Conseil prévoient expressément que le futur texte se base sur le vote du Parlement européen du 16 février 2006. C'est un résultat important, d'abord sur le fond parce que le Parlement européen a totalement remanié la proposition initiale de la Commission, comme nous le souhaitions, mais aussi parce que l'accord des deux grandes formations au Parlement européen et l'ampleur de la majorité acquise de ce fait (environ 400 voix contre 200) ont créé une réalité politique qui s'impose au Conseil comme à la Commission. D'ailleurs, le président de la Commission, après le Président Borrell, a appuyé très clairement nos efforts et ceux des pays qui, comme nous (présidence, Allemagne, Royaume-Uni, pays scandinaves notamment) voulaient préserver l'équilibre atteint le 16 février 2006. Enfin ce résultat - pourquoi ne pas le dire ? - illustre la capacité d'influence de notre pays. En effet, seuls quelques États sont allés contre ce sentiment majoritaire alors que nous étions en réalité minoritaires au Conseil il y a quelques mois. Nous n'avons notamment pas retrouvé les clivages encore présents au Conseil « compétitivité ». Il y a donc eu au total un véritable renversement de situation au cours de ce Conseil.

Je m'en réjouis. Le Conseil a adopté de bonnes conclusions. Le réalisme a donc prévalu.

3. La stratégie de Lisbonne

Cette stratégie dont se sont dotés les Européens en 2000 pour développer la croissance et l'emploi reste capitale, car elle concerne le premier sujet de préoccupation de nos concitoyens : l'emploi et la croissance.

Je dois dire à ce propos qu'il n'y a eu aucune polémique sur le soi-disant « protectionnisme ». La France est le grand pays européen le plus ouvert aux investissements étrangers : si on les rapporte à la richesse nationale, ils y sont presque deux fois plus élevés qu'en Allemagne et trois fois plus qu'en Italie. Je ne vois donc vraiment pas comment la France pourrait être qualifiée de pays protectionniste et fermé. Mais revenons à Lisbonne.

Cette stratégie est la bonne, même si elle n'est pas exempte de critiques. Il est vrai, en particulier, qu'elle a été insuffisamment reprise jusqu'ici dans les politiques nationales. C'est la raison pour laquelle il faut saluer la mise en place, à l'automne dernier, des programmes nationaux de réformes (PNR) qui constituent une innovation et doivent permettre une meilleure appropriation de cette stratégie par les États. Il faudra d'ailleurs veiller à ce que la révision du PNR, cette année, permette de mieux intégrer encore ces préoccupations et de développer la concertation avec le Parlement et les partenaires sociaux.

Le Conseil européen permet d'enregistrer des progrès sur plusieurs projets. J'en citerai quelques-uns.

D'abord, en matière de recherche et d'innovation, le Conseil européen a retenu l'idée de la Commission de lancer un Institut européen de technologie. Comme vous le savez, c'est une idée que nous soutenons pleinement. Toutefois, plusieurs clarifications seront nécessaires : sur le fonctionnement de l'Institut, qui devrait normalement se faire en réseau, sur la gouvernance, sur son budget, etc. Le principe est donc arrêté, mais les modalités concrètes restent encore à définir. C'est pourquoi la Commission est invitée à présenter une proposition concrète d'ici la mi-juin.

Sur la question des moyens de financement de la recherche, le Conseil européen a également permis de marquer des points. L'idée du Président de la République d'utiliser la Banque européenne d'investissement, en cofinancement avec l'Union européenne, pour augmenter les fonds consacrés à la recherche d'un montant pouvant atteindre 30 milliards d'euros a ainsi été reprise.

Le Conseil européen s'est par ailleurs doté d'objectifs précis en vue de faciliter le rôle des PME, très créatrices d'emplois, comme la réduction des formalités administratives, de façon à permettre d'ici à 2007 la mise en place, dans toute l'Europe, d'un guichet unique pour la création d'une PME en moins d'une semaine. J'espère pouvoir revenir devant vous en 2007 pour vous dire que cet objectif est atteint !

S'agissant de l'éducation, le Conseil européen a expressément, à notre insistance, validé l'idée de l'augmentation du budget des bourses Erasmus et Leonardo. Je m'en réjouis particulièrement. Il s'agit, en effet, d'un sujet que j'ai porté, à ma place et modestement, depuis juin 2005, car je suis convaincue que c'est un moyen très concret pour montrer l'utilité de l'Europe à la jeunesse qui, parfois, en doute. C'est par ailleurs possible dans le cadre de l'accord intervenu le 16 décembre sur les perspectives financières 2007-2013. Aujourd'hui, 25 000 jeunes français bénéficient de ces bourses que nous proposons de doubler.

Autres mesures validées par le Conseil européen et qui sont très importantes à nos yeux :

- le pacte européen pour l'égalité des hommes et des femmes au travail ;

- et le fonds d'ajustement à la mondialisation, destiné à permettre d'aider à faire face aux chocs brutaux.

Enfin, pour la première fois, le Conseil européen consacre un paragraphe spécifique à la zone euro. Vous connaissez les réflexions du gouvernement français sur ce sujet. C'est un signal de bon augure pour le renforcement de la coordination au sein de l'eurozone que nous appelons de nos voeux, à différents niveaux.

4. Avenir de l'Union et élargissement

Ces sujets seront évoqués au Conseil européen de juin, ils n'étaient pas à l'ordre du jour de ce Conseil de mars. La présidence avait cependant souhaité que les ministres des affaires étrangères aient un échange informel en marge de ce Conseil, jeudi soir, sur l'avenir de l'Union et sur l'élargissement. Ces thèmes seront à l'ordre du jour du Conseil de juin. Dans cette perspective, la présidence a indiqué qu'une nouvelle rencontre des ministres devrait intervenir sur ce sujet dans quelques semaines, vraisemblablement en Autriche.

Il s'agira notamment d'avoir un débat sur l'avenir de l'Union et sur la stratégie globale d'élargissement, débat que notre pays a demandé et obtenu lors du Conseil européen de décembre. En particulier, il faudra préciser ce que l'on entend par capacité d'absorption de l'Union, ce que nous avons passé sous silence. Depuis 1993, il s'agit en effet d'un des critères d'adhésion à l'Union européenne. Toutefois, ce critère n'a jamais fait l'objet d'une définition précise. C'est pourquoi nous souhaitons que le Conseil européen de juin se prononce sur le contenu qu'il convient de lui donner. De notre point de vue, cette notion recouvre trois dimensions :

- la dimension démocratique et le soutien de l'opinion, question cruciale pour tous, mais en particulier pour un pays comme la France qui organisera un référendum pour toute nouvelle adhésion ;

- la dimension politique et financière, en lien évident avec le futur débat sur l'avenir des politiques communes et leur financement ;

- la dimension institutionnelle : l'Union doit adapter ses institutions à l'élargissement pour préserver leur efficacité et leur légitimité.

En conclusion, je tiens à souligner que, sur tous les sujets que nous venons d'évoquer (énergie, financement de la recherche, réorientation de la proposition de directive « services », augmentation des bourses Erasmus et Leonardo), notre pays a été l'initiateur. La France a en effet été active et a fait des propositions. Sur chacun d'entre eux, nous sommes repartis de Bruxelles avec des résultats. C'est donc la bonne méthode. Méthode que le Gouvernement entend poursuivre au service de l'Europe des projets, qui est le meilleur moyen de donner confiance en l'Union européenne, et dont nous savons tous ici l'importance pour répondre aux préoccupations de nos concitoyens.

M. Denis Badré :

Le Premier ministre est le coordonnateur national de la stratégie de Lisbonne. C'est sans doute le signe que la France attache une grande importance à cette question, mais j'aimerais qu'il délègue cette responsabilité, par exemple au ministre délégué aux affaires européennes, qui est peut-être moins indisponible que le Premier ministre. J'aimerais que vous nous assuriez que, derrière le Premier ministre, il y a bien un système qui permet effectivement de mettre en oeuvre cette stratégie.

Je prends acte par ailleurs du fait que la France a pris des initiatives à l'occasion de ce Conseil, car il est important que les Français aient le sentiment que notre pays n'a pas tourné la page de l'Europe, comme on en a parfois l'impression depuis le 29 mai. Il faut qu'ils sentent que la France n'a pas abandonné sa responsabilité historique. Pour relancer la construction européenne, il faut d'abord restaurer le sens de l'intérêt commun. Pour le moment, on débat sur la directive « services », sur les perspectives financières, en somme sur un certain nombre de sujets qui fâchent et sur lesquels on voit se heurter les intérêts nationaux. Même s'il faut poursuivre le travail sur ces questions, il faut aussi que, de manière plus forte et plus éclatante, la France fasse des propositions sur un certain nombre de sujets permettant à l'intérêt commun de réémerger.

Il faut afficher des objectifs d'intérêts communs en matière d'énergie, comme également sur l'euro. Pour la recherche - concept qui est plus facile à comprendre par nos concitoyens que la stratégie de Lisbonne -, il est possible de construire une politique scientifique européenne pour affermir notre compétitivité. De même, il me semble nécessaire pour la France d'afficher l'objectif commun de l'aide au développement pour lutter contre l'immigration et les délocalisations.

À l'occasion de la venue du président de la Commission européenne à Strasbourg devant l'Assemblée du Conseil de l'Europe, j'ai l'intention de l'interroger sur cette question de l'intérêt commun européen. J'attire à ce propos votre attention sur les difficultés budgétaires de cette Assemblée.

M. Aymeri de Montesquiou :

Sur la question de l'énergie, le premier constat est que l'Europe va bientôt souffrir des besoins de la Chine et de l'Inde, qui vont être multipliés par quinze d'ici cinquante ans. En raison des progrès de la consommation dans les principaux pays industriels, même en doublant les énergies renouvelables et en faisant des investissements massifs dans le nucléaire, il manquera alors des dizaines de milliards de tonnes équivalent pétrole (TEP). Quelles sont les réponses qu'apporte l'Europe ? A-t-elle une stratégie pour disposer des hydrocarbures nécessaires dans les prochaines décennies ? Quelle est sa stratégie face à la balkanisation totale des actions des États ? Or, il faut savoir qu'il faut dix ans pour construire une centrale nucléaire. Ne faudrait-il pas, par exemple, inciter les pays qui se refusent à produire de l'électricité nucléaire, mais qui en importent de leurs voisins, à construire des centrales ?

Sur la Biélorussie, il est normal que l'Europe soit en pointe en matière de droits de l'homme et de respect des règles démocratiques, mais il ne faut pas faire de l'ingérence, comme ce fut le cas en Ukraine, en faisant du suivisme des Américains. Il faut prendre en compte le fait que la Russie retrouve maintenant ses zones d'influence traditionnelles et qu'elle est notre partenaire naturel pour notre alimentation en énergie. Or, la Russie a besoin de plus de 700 milliards d'euros d'investissements pour développer sa production gazière et pétrolière. La Chine, comme l'Inde, passera avec elle tous les accords nécessaires, comme aussi avec l'Iran - y compris en matière d'armes - pour avoir du gaz à sa porte.

Enfin, s'il est heureux que la France soit à l'origine de plusieurs initiatives, il serait également souhaitable qu'elle ne soit pas parmi les dernières dans la transposition des directives. Elle doit montrer l'exemple dans ce domaine, ne serait-ce que pour entraîner nos électeurs dans la voie de l'Europe.

M. Roland Ries :

J'ai quelques difficultés à partager votre optimisme, même si je souhaiterais pouvoir le faire. J'ai le sentiment qu'un certain nombre d'idées ont été agitées à l'occasion de cette réunion du Conseil européen, mais que, comme souvent malheureusement ces derniers temps, elles correspondent à peu de projets concrets. Je voudrais en donner trois exemples.

Le premier concerne l'Institut européen de technologie, dont la localisation, à en croire certaines rumeurs, serait envisagée à Strasbourg en remplacement du Parlement européen. Cet institut constitue sans nul doute un thème intéressant, mais il ne s'agit, pour l'instant, que d'un projet.

Le deuxième exemple concerne la fameuse stratégie de Lisbonne. C'est une belle idée que celle de « l'économie la plus compétitive du monde pour 2010 », mais nous sommes déjà en 2006. Et cette idée ne s'est pas encore traduite dans une véritable stratégie opérationnelle.

Le troisième exemple concerne l'énergie. Là non plus, je n'ai pas le sentiment qu'il existe une véritable stratégie avec des objectifs chiffrés par type de production, par secteur, etc. Va-t-on le faire ? Si ce n'est pas le cas, nous resterons encore dans le domaine des idées, et non dans celui des réalités. Tout cela semble enlisé, sans effet d'entraînement sur le réel.

M. Pierre Fauchon :

Je me suis déjà exprimé la semaine dernière lors du débat européen. Je ne vais pas vous infliger le même commentaire, d'autant que Roland Ries vient de s'en charger. Je ne dirai donc rien de plus, même si je sais qu'il y a toujours une marge entre le souhaitable et le possible. Bien sûr, il faut continuer de s'accrocher au terrain pour faire avancer les choses dans le domaine du possible.

M. Jean Bizet :

Sur la stratégie de Lisbonne, je me réjouis de l'implication nouvelle de la Banque européenne d'investissement (BEI) à hauteur de 30 milliards d'euros ; c'est une recommandation que nous avions faite à plusieurs reprises. Je suis toujours déçu qu'il n'y ait pas, dans notre pays, un coordonnateur « Lisbonne ». En matière de recherche-développement, le Conseil a-t-il progressé dans la définition de secteurs-clés pour l'Union européenne et a-t-on évoqué la mise en place d'un partenariat entre la recherche civile et la recherche militaire ?

Mme Catherine Colonna :

Je ne peux naturellement, dans les fonctions qui sont les miennes, qu'approuver le choix qui a été fait par les autorités françaises de confier au chef du gouvernement le soin de s'occuper lui-même de la stratégie de Lisbonne. Dans la tradition politique de notre pays, il est important d'avoir une véritable autorité interministérielle.  Je m'efforce aussi de parler de l'Europe, aussi bien à Paris que dans nos régions. Vous le faites aussi, et je salue à nouveau le travail de la délégation du Sénat comme je me réjouis du fait que nous avons désormais un débat public avant chaque Conseil européen. Mais l'Europe concerne chacun d'entre nous et, par conséquent, chacun d'entre nous a aussi sa part de responsabilité pour parler de l'Europe en dehors des cercles des initiés habituels. Nous continuons aussi à développer des mécanismes pour une meilleure association des collectivités locales et des partenaires sociaux aux questions européennes. Le Comité du dialogue social européen et international (CDSEI), qui dépend du ministère des affaires sociales et de l'emploi, a été revitalisé depuis le mois de juin dernier sous la présidence d'un ministre, et je reçois moi-même les syndicats, ce qui ne se faisait pas auparavant. De surcroît, nous ouvrirons fin avril un nouveau site Internet à partir de « Sources d'Europe », cofinancé par la Commission européenne et par le ministère délégué aux affaires européennes. Ce site va devenir un portail sur l'Europe destiné à l'opinion publique, avec des forums à la disposition des internautes. Enfin, le 9 mai, jour de l'Europe à la suite d'une décision prise par le Conseil européen de Milan en 1985, fera l'objet dans notre pays d'une célébration solennelle.

Je souscris totalement à votre remarque sur l'intérêt commun des Européens. Ce Conseil n'a pas eu de résultats spectaculaires, mais il a permis à l'Europe de faire un certain nombre de pas concrets. Ce qui n'est pas si mal dans la période de doute et d'incertitudes dans laquelle nous nous trouvons toujours. Mais si nous manquons encore d'esprit européen après les deux référendums négatifs en France et aux Pays-Bas, c'est néanmoins le premier Conseil auquel j'assiste qui se déroule dans un climat apaisé. Il faut reconnaître, sans vouloir offenser le peuple français, qu'indiscutablement ces référendums nous laissent avec un traité plutôt moins bon que le projet de traité constitutionnel et qu'ils ont eu un effet négatif sur l'esprit collectif des Européens. Je ne fais pas partie de celles et de ceux qui pensent que l'Europe doit vivre des crises pour progresser. Mais, d'un autre côté, je constate que l'Europe a toujours su surmonter les crises qu'elle s'infligeait ; c'est pourquoi je veux voir dans cet esprit collectif retrouvé plutôt un bon signe pour l'avenir.

L'énergie peut clairement devenir un des sujets pour lesquels l'Europe a un intérêt collectif à se doter d'une politique commune. Elle ne l'avait plus fait dans ce domaine depuis l'origine de la CECA et elle ne l'abordait plus que sous l'angle du marché. Le Conseil européen aura été la première étape de la mise en place progressive d'une politique européenne de l'énergie. Tous les Européens ont bien évidemment un intérêt à s'unir pour négocier ensemble leurs contrats avec leurs partenaires, pour développer leurs capacités de production, pour s'échanger l'énergie électrique avec des interconnexions, pour faire progresser la recherche dans des énergies renouvelables ou non polluantes. J'espère que l'Union saura passer cette première étape et s'en fixer d'autres. Je suis optimiste, car le consensus s'est fait assez facilement sur ce sujet, même si les conclusions du Conseil sont en retrait par rapport au Livre vert de la Commission. Mais il faut aussi rappeler que, en raison du principe de subsidiarité, les États sont libres de fixer comme ils l'entendent leur bouquet énergétique et qu'ils entendent bien le rester. Il est important que, dans le Livre vert, soient expressément mentionnés certains avantages de l'énergie électro-nucléaire, puisque cette énergie représente déjà 34 % de la production électrique en Europe. Il faudra certes du temps pour que les États sortent de leurs réticences et changent leurs politiques, par exemple en Allemagne où l'accord de coalition ne remet pas en cause les décisions du gouvernement précédent à cet égard. En outre, il n'est pas concevable que ces changements soient imposés par l'Union européenne.

Pour la recherche, l'Union tient ses engagements dans les perspectives financières. L'Institut européen de technologie et le recours à la BEI, permettant de doubler les sommes affectées à la recherche, sont aussi de bons choix. Il faudra naturellement continuer pour que la part de la recherche dans le budget communautaire progresse alors que, jusqu'à présent, 95 % des efforts budgétaires de recherche restent du domaine national. Encore faudra-t-il que nous soyons prêts à effectuer ce basculement des budgets nationaux vers le budget européen.

En matière de transposition des directives, et pour remercier le Sénat, je suis heureuse de constater que la situation s'améliore sensiblement puisque, entre juillet dernier et aujourd'hui, le taux de non transposition dans les délais est passé de 2,4 % à 1,7 %. Malheureusement, nous restons toujours au dix-huitième rang en Europe. Les nouveaux États membres sont plus performants que nous.

Pour l'Institut européen de technologie, les rumeurs colportées par certains députés européens ne correspondent en rien à la position du gouvernement et à celle du Président de la République. Plusieurs villes sont d'ailleurs d'ores et déjà candidates. L'augmentation du budget de la recherche, la décision de créer un Institut européen de technologie, l'augmentation des ressources des programmes Erasmus et Leonardo, qui pourront être doublées d'ici à 2013, la mise en place d'un fonds anti-choc de la mondialisation, sont des avancées concrètes. Mais il est certain qu'il faudra faire encore plus avec un esprit européen plus vigoureux.

L'articulation entre la recherche civile et la recherche militaire ne figure pas dans les conclusions du Conseil, mais le budget du septième programme-cadre de recherche et de développement (PCRD) comportera certains secteurs prioritaires, dont un sur la sécurité.

M. Jean Bizet :

Du fait de la date butoir de 2013 et de l'obligation de rendre nos dépenses agricoles compatibles avec l'Organisation mondiale du commerce (OMC), il faudra progressivement communautariser les politiques de recherche et de développement. Il me semble qu'on assiste actuellement à la naissance d'une prise de conscience de nos concitoyens sur cette question et que nos agriculteurs n'y seraient pas nécessairement opposés. Mais, comme il s'agira d'une vraie rupture psychologique et intellectuelle, il faudra anticiper ces décisions, d'autant plus qu'il faudra sans doute aussi mettre en oeuvre la subsidiarité dans d'autres domaines, comme par exemple en matière de taux réduits de taxe à la valeur ajoutée (TVA).

Mme Catherine Colonna :

Il faudra nécessairement que les proportions des dépenses nationales et européennes de recherche évoluent, sans aller jusqu'à être inversées, car il est peu probable que l'Europe ait suffisamment de capacités pour gérer de tels fonds. Dès 2008 et 2009, des propositions seront d'ailleurs faites par la Commission pour préparer un débat au Conseil sur les futures politiques européennes et leur financement. Ce sera un débat difficile, mais un débat absolument nécessaire, qui posera d'ailleurs la question d'un impôt européen, faute de ressources européennes suffisantes. Il est également important de prendre en compte les potentialités des politiques de recherche dans le domaine de la politique agricole commune, comme par exemple pour les bio-carburants et la biomasse, deux domaines pour lesquels le ministère français de l'agriculture a déjà déposé des propositions.

M. Denis Badré :

En complément de mon intervention, je vous indique que, avec mon collègue Maurice Blin, et en nos qualités de rapporteurs spéciaux de la commission des finances pour la recherche et pour le budget européen, nous engageons un contrôle sur les relations entre les budgets français et européens de la recherche. Je crois qu'il ne s'agit pas d'une question de nombre de postes budgétaires. L'objectif est, d'une part, de faire revenir les chercheurs français, allemands, espagnols qui sont partis aux États-Unis, en leur donnant l'envie d'occuper les postes qui sont créés en Europe et, d'autre part, d'attirer les chercheurs indiens dans nos laboratoires. Il s'agit avant tout de questions d'organisation, de mentalité, de structuration du système. C'est pourquoi il faut aussi penser aux relations entre la recherche et l'aide au développement pour éviter demain un monde difficile. C'est une véritable politique d'aide au développement qu'il s'agit de mettre en place et qui va bien au-delà de la création d'une taxe sur les billets d'avion, parce qu'elle concerne tout à la fois l'immigration, la maîtrise des déficits publics, l'accueil des chercheurs étrangers. Il serait heureux que la France prenne l'initiative de lancer une telle politique européenne, qui aurait plus d'allure que l'actuelle stratégie de Lisbonne.