Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mardi 10 juin 2003


Budget communautaire

Marché intérieur Politique étrangère et de sécurité commune

Budget communautaire

Communication de M. Denis Badré sur l'avant-projet de budget
des Communautés européennes pour l'exercice 2004

La Commission a adopté le 30 avril dernier l'avant-projet de budget pour l'exercice 2004, qui sera le premier budget de l'Europe élargie à vingt-cinq États membres.

D'ailleurs, le fait que l'élargissement entre en vigueur non pas au 1er janvier, mais le 1er mai seulement, imposera certaines contorsions à la procédure budgétaire. En effet, le 1er janvier 2004 entrera en vigueur un budget pour 15 États membres ; ce budget sera ensuite modifié au début de 2004 par un budget rectificatif qui entrera en vigueur le 1er mai 2004 et qui intègrera les dépenses liées à l'élargissement. Pour des raisons politiques et pratiques, ce budget rectificatif, qui modifiera la plupart des lignes budgétaires, devrait être adopté au moyen d'une procédure simplifiée, afin d'éviter un réexamen complet de l'ensemble du budget.

Ainsi, l'avant-projet de budget pour 2004 présente les deux séries de chiffres, ce qui permet à l'autorité budgétaire d'examiner les chiffres pour l'UE 25, tout en arrêtant effectivement le budget pour l'UE 15.

Avec un montant de 100,6 milliards d'euros, le volume des crédits de paiement proposé par la Commission pour l'Union élargie se caractérise par une croissance modérée de seulement 3,3 % par rapport au budget de 2003, qui ne couvre pourtant que les 15 États membres actuels. Cette augmentation relativement faible s'explique par une réduction de 2 % des dépenses pour l'UE 15. Les dépenses prévues pour les 10 nouveaux États membres en 2004 s'élèvent à 5 milliards d'euros. L'avant-projet de budget est nettement inférieur, de 10,9 milliards d'euros, au plafond prévu pour l'année 2004 dans les perspectives financières.

Les crédits d'engagement s'élèvent à 112,2 milliards d'euros pour l'Union élargie, dont 11,8 milliards destinés aux nouveaux États membres. Pour l'UE 15, l'augmentation sera très limitée, de 0,7 %, pour aboutir à 100,3 milliards d'euros. Le montant global laisse subsister une marge de 3,4 milliards d'euros sous le plafond fixé pour 2004.

En ce qui concerne l'agriculture, les besoins de l'UE 15 se montent à 45,8 milliards d'euros, dont 4,8 milliards sont destinés au développement rural (+ 2,2% par rapport à 2003). Les nouveaux États membres se voient attribuer 2 milliards d'euros, dont 1,7 milliard pour le développement rural. Au total, le volume des crédits d'engagement s'accroît de 6,9 % pour l'Union élargie par rapport à 2003. Les dépenses de marché en faveur des nouveaux États membres sont relativement peu élevées du fait que l'impact des aides directes ne sera sensible qu'en 2005.

En ce qui concerne les actions structurelles, le volume des crédits d'engagement s'accroît de 20,8 % pour l'Union élargie par rapport à 2003. Conformément aux décisions de Copenhague, la somme prévue pour les nouveaux États membres est de 6,7 milliards d'euros. Les crédits de paiements consacrés aux fonds structurels s'élèvent pour l'Union élargie à 30,68 milliards d'euros, soit une diminution de 7,5 % par rapport au budget de 2003. Ce recul significatif s'explique par le fait qu'en 2003 il a fallu financer la clôture de programmes datant d'avant 2000. En 2004, les dépenses destinées aux nouveaux membres consisteront principalement en avances. Les contributions du fonds de cohésion à l'Espagne, au Portugal, à la Grèce et à l'Irlande sont inscrites au budget 2004 pour un montant identique à celui de 2003.

En ce qui concerne les politiques internes, les crédits d'engagement prévus s'élèvent à 8,63 milliards d'euros et les crédits de paiement à 7,5 milliards d'euros, soit une augmentation de 21 %. Un montant de 938 millions d'euros est prévu pour l'intégration des nouveaux États membres dans les programmes communautaires : 317 millions d'euros sont consacrés à la transposition de l'acquis Schengen, 221 millions d'euros sont prévus pour le renforcement de la structure administrative et 138 millions d'euros sont alloués à la fermeture des réacteurs nucléaires d'Ignalina (Lituanie) et de Bohunice (Slovaquie).

L'avant-projet de budget pour 2004 prévoit en outre de nouvelles mesures en faveur d'un espace européen de sécurité : santé et protection des consommateurs, sécurité alimentaire, sécurité des transports et des personnes, sécurité des transactions financières et des télécommunications. Cela se traduit par une hausse de 248 % des crédits consacrés à la justice et aux affaires intérieures, de 33 % pour l'énergie et les transports, de 24 % pour la santé et la protections des consommateurs.

En ce qui concerne les actions extérieures, les crédits sont reconduits à leur niveau de 2003, soit près de 5 milliards d'euros. Toutefois, l'assistance financière accordée à la Turquie n'étant plus financée sous cette rubrique, mais rejoignant celle des aides de préadhésion, le volume de crédits disponible pour les autres actions est en fait supérieur de 3,9 % à celui de l'exercice 2003. Les moyens consacrés à la Méditerranée s'élèvent à 859 millions d'euros, en hausse de 13,2 %, ceux consacrés à l'Europe de l'Est et à l'Asie centrale s'élèvent à 513 millions d'euros, en hausse de 6,2 %, et ceux consacrés aux Balkans sont stabilisés au niveau de 610 millions d'euros. Les crédits consacrés à l'Asie sont en hausse de 8,4 %, pour atteindre 610 millions d'euros, en raison de l'aide à la reconstruction de l'Afghanistan.

En ce qui concerne les dépenses administratives, les crédits prévus s'élèvent à 6,11 millions d'euros en crédits d'engagement, soit une augmentation de 14 % par rapport à 2003. Cette augmentation couvre les frais liés à l'élargissement : accueil de 10 nouveaux commissaires ; recrutement de 780 nouveaux employés, dont 232 affectés aux services linguistiques ; frais postaux, de télécommunication et de voyage. En sens inverse, l'entrée en vigueur de la réforme du statut des fonctionnaires au 1er janvier 2004 devrait permettre de réaliser une économie de 20 millions d'euros.

L'avant-projet de budget pour 2004 fait montre d'une modération inhabituelle. En crédits de paiement, l'avant-projet de budget UE 15 représente 0,99 % du PNB communautaire, soit nettement moins que le budget 2003, qui en représentait 1,04%. L'avant-projet de budget 2004 pour l'Europe élargie représente lui aussi 0,99 % du PNB communautaire, ce qui signifie que la hausse des dépenses due à l'élargissement est parallèle à l'augmentation du PNB communautaire consécutive à l'intégration de 10 nouveaux États membres.

La croissance des crédits de paiement est différenciée selon qu'il s'agit de dépenses obligatoires ou non obligatoires. Pour l'UE 25, alors que les dépenses obligatoires augmentent de 6,5 %, les dépenses non obligatoires ne progressent que de 0,8 %. Ce phénomène est dû à l'écart important entre l'évolution des dépenses agricoles, qui sont en hausse de 2 milliards d'euros, et celle des dépenses structurelles, qui sont en baisse de 2,491 milliards d'euros.

Tel qu'il se présente, l'avant-projet de budget pour 2004 donne peu de prise à la critique. Le premier budget de l'Europe élargie est en hausse modérée en crédits de paiement, grâce à des efforts d'économie qui viennent compenser l'accroissement des dépenses liées à l'adhésion de 10 nouveaux États membres. À la différence de l'an dernier, les plafonds des perspectives financières, tels qu'ils ont été révisés en vue de l'élargissement, sont parfaitement respectés. Il reste à savoir si cette modération perdurera au-delà de la première année de l'élargissement.


Budget communautaire

Communication de M. Denis Badré sur l'avant-projet
de budget rectificatif n° 4 pour l'exercice 2003

L'avant-projet de budget rectificatif n°4 (APBR) pour l'exercice 2003 est un texte technique qui a principalement pour objet :

- de réviser à la baisse les estimations relatives aux droits de douanes, à l'assiette TVA et à l'assiette PNB, car la croissance n'est pas au rendez-vous ;

- de budgétiser la correction britannique pour les exercices 1999 et 2002, selon des modalités complexes qui ont pour effet de modifier la répartition de son financement entre les États membres.

Le montant de la correction britannique est diminué de 13 millions d'euros pour l'exercice 1999, et augmenté de 455,7 millions d'euros pour l'exercice 2002. Depuis que l'Allemagne, en même temps que l'Autriche, les Pays-Bas et la Suède, a obtenu que sa contribution au financement de la correction britannique soit écrêtée, la France en est devenue le principal financeur. Elle devrait ainsi fournir 1,683 milliard d'euros sur un total de 5,475 milliards d'euros, soit presque 31 %.

Au total, les ressources du budget communautaire seraient réduites de 6,7 milliards d'euros par l'APBR n°4. La contribution de la France serait diminuée de 670 millions d'euros.

Il me semble que nous ne pouvons que prendre acte de ce budget rectificatif.

La délégation en a ainsi décidé.


Marché intérieur

Communication de M. Denis Badré sur la réforme
du régime du contrôle des concentrations (E 2176)

Nous sommes saisis d'un projet de règlement de la Commission modifiant le régime du contrôle des concentrations. Cette proposition constitue un des volets essentiels de la réforme de la politique européenne de la concurrence. Je vais donc, d'abord, rappeler les grands axes de cette réforme.

I. UNE REFORME INDISPENSABLE DE LA POLITIQUE EUROPEENNE DE LA CONCURRENCE

La réforme de la politique européenne de la concurrence est une réforme très importante, tant par ses enjeux que par son ampleur.

a) Des enjeux majeurs

La politique de la concurrence figure parmi les plus anciennes des politiques communautaires, avec la politique agricole commune. C'est une politique sur laquelle il existe un large consensus, au moins sur le plan des principes. Cette politique se situe aujourd'hui à la croisée des chemins. Comme l'ensemble des activités de l'Union européenne, elle est confrontée à de nouveaux défis, le plus important étant celui de l'élargissement. Elle doit également s'adapter au contexte de la mondialisation et définir de nouvelles formes de coopération avec ses principaux partenaires, au premier rang desquels figurent les États-Unis. Mais surtout, la politique européenne de la concurrence connaît une crise profonde. On se souvient, en effet, des récentes polémiques qui ont suivi plusieurs veto opposés par la Commission au rapprochement entre les entreprises françaises Schneider et Legrand ou entre Sidel et Tetra Laval. On peut également citer l'interdiction de la fusion entre les sociétés Airtours et First Choice. Or, ces décisions, qui ont eu des conséquences importantes sur les entreprises précitées, ont été ensuite annulées par la Cour de justice de Luxembourg. Et les juges communautaires ont été extrêmement sévères à l'égard de la Commission en dénonçant notamment une violation des droits de la défense et plusieurs « erreurs manifestes, omissions et contradictions » dans le raisonnement économique de la Commission.

Une réforme de cette politique est donc indispensable afin notamment de faire face à l'engorgement des services de la Commission et des juridictions, de répondre à la longueur excessive des délais de jugement, à la complexité des règles et des procédures et à l'absence de véritables « contre-pouvoirs » dans la procédure. J'ai toujours insisté sur l'importance d'assurer une véritable sécurité juridique pour les entreprises car, dans ce domaine, l'insécurité constitue la principale source de préoccupation des entreprises.

b) Une réforme de grande ampleur

La refonte du régime des concentrations s'inscrit dans un ensemble de mesures qui constituent une réforme de grande ampleur.

Ainsi, le Conseil vient d'adopter, le 16 décembre 2002, un nouveau règlement qui remplacera le célèbre règlement n° 17 sur l'interdiction des ententes et des abus de position dominante. Cette réforme très importante, dont je vous avais présenté les grandes lignes en janvier 2000, à l'occasion de l'examen du Livre blanc de la Commission, s'articule autour de trois axes : la suppression du système de notification, la déconcentration accrue de l'application des règles communautaires de concurrence et la mise en place d'un réseau d'autorités publiques appliquant les règles de concurrence.

Les négociations sur ce texte ont été difficiles, mais, en définitive, le compromis auquel est parvenu le Conseil me paraît équilibré. Je voudrais, en particulier, saluer la déconcentration de l'application du droit communautaire de la concurrence qui constitue une application exemplaire du principe de subsidiarité. L'existence d'une politique commune n'est nullement contradictoire avec une application déconcentrée au niveau des États membres. Comme l'a déclaré le Commissaire Mario Monti, lors d'une conférence prononcée le 22 novembre 2002, « il s'agit de prendre acte de la maturité acquise pour réduire au minimum la bureaucratie pesant jusqu'alors sur les entreprises tout en garantissant une mise en oeuvre plus efficace encore du droit de la concurrence ». La suppression du système d'autorisation préalable, basé sur la notification obligatoire, procède de cette démarche. La Commission européenne devra dorénavant centrer son action sur la poursuite des infractions graves, tout en veillant, naturellement, au maintien de la cohérence d'ensemble des règles en vigueur dans l'Union. Cette cohérence sera d'ailleurs grandement renforcée car les autorités nationales n'appliqueront plus qu'une seule et même norme à l'égard des accords affectant le commerce entre les États membres. Loin de représenter une « renationalisation » de la politique européenne de concurrence, cette révolution donnera donc naissance à un espace européen homogène offrant aux entreprises une meilleure sécurité juridique. Cette déconcentration, qui sera effective en mai 2004, implique cependant une mise à niveau des moyens nationaux, en particulier dans les pays candidats à l'adhésion, comme nous l'avions souligné dans la proposition de résolution que je vous avais présentée.

Parmi les autres réformes engagées, je pourrais citer également la réforme du régime de la distribution automobile, sur laquelle s'est penchée récemment la commission des Affaires économiques du Sénat. La révision du règlement sur le contrôle des concentrations occupe toutefois une place particulière.

II. LA REFORME DU REGIME DU CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS

Cette réforme a été précédée par un Livre vert de la Commission, publié en décembre 2001, dont je vous avais présenté les grandes lignes l'année dernière. Dans ma communication, j'avais mis l'accent sur trois questions fondamentales, que je reprendrai ici.

a) Tout d'abord, le problème de la répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres.

La réforme envisagée par la Commission dans son Livre vert me semblait paradoxale puisqu'elle visait à étendre le champ de la compétence européenne, et donc les pouvoirs de la Commission, tout en laissant à celle-ci le pouvoir de décider elle-même, de manière discrétionnaire, des affaires dont elle serait saisie. Cette orientation me semblait en totale contradiction avec le respect du principe de subsidiarité et le mouvement de déconcentration du droit de la concurrence. Je me félicite donc que la Commission européenne ait finalement renoncé, du moins en apparence, à élargir la compétence européenne en établissant une présomption de compétence dès lors qu'une opération de concentration doit être notifiée dans trois États membres au moins. Je dis « en apparence » car, si la Commission européenne a abandonné l'idée d'élargir sa compétence par une modification des seuils de chiffres d'affaires, la réforme qu'elle propose du mécanisme de renvoi aboutirait, en réalité, au même résultat. En effet, d'après le projet de règlement, dès lors qu'une opération aurait fait l'objet d'une demande de renvoi par au moins trois États, la Commission disposerait d'une compétence exclusive. De plus, elle disposerait d'un mécanisme de « renvoi forcé » des affaires, lui permettant de contrôler une opération même lorsque la condition des trois États ne serait pas remplie. Le système proposé par la Commission me semble donc un leurre puisque, en définitive, il aboutirait, au travers du critère du nombre d'États, à une extension de l'intervention communautaire ; or, ce critère avait pourtant été accueilli avec beaucoup de réserves lors de la publication du Livre vert.

Certes, l'assouplissement des règles de renvoi me paraît aller dans la bonne direction car il répond aux impératifs de rapidité et de sécurité juridique pour les entreprises. C'est pourquoi je suis favorable à l'idée d'une simplification de ces règles. Mais je voudrais souligner à nouveau la nécessité de préserver la délimitation des compétences entre les États membres et la Commission. L'instauration d'un mécanisme de renvoi à la seule initiative de la Commission me paraît susceptible de remettre en cause cette délimitation des compétences. Il faut une règle claire qui s'impose à tous, y compris à la Commission. Chaque État membre devrait pouvoir conserver sa compétence, même si d'autres décident d'un renvoi à la Commission. Cela correspond, en effet, à un souci de traiter les affaires au cas par cas, selon le principe de subsidiarité. Les autorités nationales de la concurrence sont, en effet, souvent mieux placées et mieux outillées pour évaluer les effets d'une opération de concentration sur le marché national. Il ne s'agit donc pas de vouloir garder absolument sa compétence dans toutes les affaires, mais d'attribuer l'examen de ces affaires de manière optimale, soit à la Commission, soit aux autorités nationales chargées de la concurrence, sans s'enfermer dans un système trop rigide.

b) Le second point concerne l'équilibre dans la procédure entre la Commission, les États membres et les entreprises.

La situation actuelle aboutit à conférer à la Commission un pouvoir très important, voire exorbitant. Les récents arrêts de la Cour de justice ont, d'ailleurs, dénoncé le non-respect des droits de la défense par la Commission. Plus généralement, les États membres ne jouent qu'un rôle marginal durant la procédure au sein d'un comité consultatif et les entreprises déplorent de n'être pas suffisamment associées. Le seul organe susceptible de jouer le rôle de contre-pouvoir, le juge communautaire, n'est pas capable en pratique d'exercer ce rôle en raison de la longueur des délais de jugement. J'avais donc regretté que le Livre vert de la Commission ne soit pas plus ambitieux sur cet aspect. La récente déclaration du commissaire Mario Monti me rend plus optimiste.

Parmi les idées présentées par le commissaire figure, en particulier, l'institution d'une sorte d'« avocat du diable », chargé d'apporter un deuxième regard sur une affaire. Il me semble qu'il s'agit là d'une idée intéressante mais qu'il conviendrait d'aller au bout de la logique en confiant ce rôle à un ou plusieurs États rapporteurs, comme le propose le gouvernement. Cela permettrait, en effet, de mieux valoriser le rôle des États et d'offrir une réelle contre-expertise. Les États peuvent, en effet, faire valoir une expertise juridique reconnue dans ce domaine.

Par ailleurs, l'accélération des délais de jugement devant le Tribunal de première instance et la Cour de justice me paraît être une question fondamentale et je regrette qu'elle ne soit pas au coeur de cette réforme. Les recours devant les juges communautaires mettent, en effet, en moyenne deux à trois ans pour aboutir, ce qui, dans la pratique, aboutit à rendre tout recours inefficace. La création d'une procédure de référé spécifique aux opérations de concentration avait pourtant été évoquée dans plusieurs contributions au Livre vert de la Commission.

c) Enfin, une dernière question porte sur le critère de référence utilisé pour évaluer les effets d'une concentration.

Le Livre vert ouvrait, en effet, un débat sur les mérites respectifs du test de dominance, utilisé actuellement par la Commission, et du test de l'examen des réductions substantielles de la concurrence (test SLC) utilisé aux États-Unis. Ces deux approches sont, en effet, différentes, voire même opposées. Selon le dispositif européen, l'examen porte sur le fait de savoir si une opération de concentration conduit à « la création ou au renforcement d'une position dominante », alors que les autorités américaines de la concurrence vérifient si une telle opération provoque « un affaiblissement substantiel de la concurrence ». Je rappellerai, à cet égard, que le système français combine des éléments des deux modèles.

Cette question reste très débattue, tant parmi les États membres que parmi les entreprises. Le test américain présenterait, selon certains, l'avantage de prendre en compte les gains d'efficience susceptibles de découler d'une opération de concentration. La Commission fait cependant valoir que la jurisprudence de la Cour de Luxembourg permet déjà une interprétation plus économique de la « dominance ». Toutefois, le projet envisagé par la Commission est unanimement critiqué, car il consiste à conserver en apparence le test de dominance tout en redéfinissant cette notion pour la rapprocher de la notion d'atteinte substantielle à la concurrence, ce qui ne va dans le sens ni de la clarté, ni de la sécurité juridique. En effet, une telle définition de la position dominante dans un texte législatif risquerait de figer cette notion et d'empêcher toute adaptation ultérieure aux évolutions du marché. Elle serait également source de confusion, puisque la notion de « position dominante » se retrouve dans d'autres volets de la politique de la concurrence. Il faut donc être cohérent et ne pas aboutir à donner à la notion de « position dominante » deux définitions différentes. Plutôt que cette approche, il me semblerait préférable que la Commission s'inspire du modèle français qui accorde une place prépondérante à la notion de position dominante, tout en permettant une analyse fondée sur la réduction substantielle de la concurrence.

Sur ces trois points, je partage les orientations du gouvernement. Ces orientations dépassent d'ailleurs les clivages politiques, car elles avaient été définies en grande partie par le précédent ministre de l'Économie, Laurent Fabius, dans sa contribution au Livre vert de la Commission. Il me paraît toutefois important, au regard des enjeux soulevés par cette réforme, que la délégation manifeste son soutien à la position du gouvernement.

Compte rendu sommaire du débat

M. Marcel Deneux :

Je fais confiance à notre rapporteur et j'approuverai donc les conclusions qu'il nous soumet. Je voudrais toutefois exprimer ma perplexité devant la réforme de la politique de la concurrence qui nous est présentée. Les règles applicables dans le domaine de la concurrence ne sont pas toujours d'une très grande clarté. Les entreprises sont souvent confrontées à une véritable insécurité juridique car elles ne savent pas toujours si la Commission va ou non se saisir d'une opération de concentration. Le rapprochement entre le Crédit agricole et le Crédit lyonnais en offre l'illustration. Or, notre économie a besoin de grands groupes industriels qui soient compétitifs au niveau mondial. Une réforme de la concurrence doit donc en priorité offrir une meilleure sécurité juridique aux entreprises. Il s'agit là d'un vieux débat, mais qui me paraît toujours d'actualité.

M. Denis Badré :

Le contexte économique international est en constante évolution. La politique européenne de la concurrence doit s'adapter à ces évolutions. En particulier, il est indispensable que les autorités européennes et les autorités américaines chargées de la concurrence développent un partenariat étroit. Dans le même temps, les règles nationales de la concurrence doivent pouvoir s'appliquer lorsqu'une opération intéresse uniquement le marché national. Comme je l'ai souligné dans ma communication, le point central me paraît être la délimitation des compétences, car elle seule peut offrir aux entreprises une réelle sécurité juridique. Les entreprises doivent savoir le plus tôt possible quelles règles vont s'appliquer.

A l'issue de ce débat, la délégation a adopté à l'unanimité les conclusions suivantes :

Conclusions

La délégation pour l'Union européenne du Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (E 2176),

Considère que la réforme du régime du contrôle des concentrations doit se fonder, d'une part, sur une répartition optimale des compétences entre l'Union européenne et les États membres qui soit conforme au principe de subsidiarité et, d'autre part, sur un système de « contre-pouvoirs » garantissant une procédure simple, rapide et équitable.

Exprime, à cet égard, trois préoccupations :

- En ce qui concerne les mécanismes de renvoi

Partage le souci de simplifier les règles et les procédures, mais considère que la décision de renvoi d'une affaire vers la Commission devrait rester de la seule compétence des États ;

- En ce qui concerne la procédure

Souhaite qu'un meilleur équilibre soit trouvé entre la Commission, les États et les entreprises et suggère d'impliquer davantage les États membres dans la procédure ;

En ce qui concerne le critère de référence utilisé pour évaluer les effets d'une concentration

S'oppose au système proposé par la Commission qui ne répond pas aux impératifs de clarté et de sécurité juridique.


Politique étrangère et de sécurité commune

Communication de M. Hubert Haenel sur une action commune relative à l'opération militaire de l'Union européenne
en République démocratique du Congo

Mardi dernier, le ministère des Affaires étrangères m'a fait parvenir le projet d'action commune qui devait être adopté par le Conseil de l'Union jeudi à propos de l'opération militaire européenne en République démocratique du Congo.

Si j'ai souhaité évoquer ce texte devant la délégation, ce n'est pas parce qu'il paraît nécessaire d'engager un débat entre nous sur son bien-fondé. Nous sommes en effet là dans un domaine tout à fait consensuel puisqu'il s'agit, pour l'Union européenne, de mener une action militaire reposant sur une force multinationale intérimaire d'urgence fournie en réponse à une demande du secrétaire général des Nations unies et en application du mandat prévu par la résolution adoptée par le Conseil de sécurité le 30 mai dernier.

Toutefois, cette action est une première puisqu'il s'agit, pour l'Union européenne, de mener une action militaire sans recourir aux moyens et capacités de l'OTAN.

Sans doute l'Union a-t-elle déjà pris en charge une première opération militaire, l'opération « Concordia » en Macédoine, qui consistait en une relève de l'OTAN, mais cette première opération s'est faite en utilisant les moyens et capacités de l'OTAN. De plus, cette opération se déroulait sur le territoire européen.

Nous avons donc une double novation : c'est une opération militaire menée par l'Union européenne hors du continent européen et sans les moyens, et par là même la tutelle, de l'OTAN. Il va de soi cependant que cette opération doit s'accompagner d'une transparence totale entre l'Union européenne et l'OTAN.

Les caractéristiques de cette action sont les suivantes :

- selon la résolution du Conseil de sécurité, le terme de cette action est fixé au 1er septembre 2003 puisqu'il s'agit seulement de mettre en place une force intérimaire d'urgence en attendant le renforcement de la mission de l'Organisation des Nations unies en République du Congo (MONUC) ;

- selon les termes mêmes de la résolution du Conseil de sécurité, la force multinationale doit, à Bunia, stabiliser les conditions de sécurité et améliorer la situation humanitaire, assurer la protection de l'aéroport et des personnes déplacées se trouvant dans les camps et, si la situation l'exige, assurer la sécurité de la population civile, du personnel des Nations unies et des organisations humanitaires dans la ville ;

- la France est désignée comme « nation-cadre » pour cette opération qui est baptisée « Artémis » ;

- Javier Solana, le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, assurera le contact avec les Nations unies, les autorités de la République démocratique du Congo et des pays voisins, ainsi qu'avec les autres participants au processus de paix ;

- le Comité politique et de sécurité (COPS), qui est l'organe permanent constitué d'ambassadeurs représentants des États membres, exercera le contrôle politique et la direction stratégique de l'opération ; il recevra régulièrement des rapports du président du Comité militaire sur la conduite de l'opération. Le COPS fera rapport au Conseil des ministres des Affaires étrangères ;

- le commandant d'opération, le général Neveux, fera rapport au Comité militaire de l'Union européenne qui surveillera l'exécution de l'opération ; l'État-major d'opération sera situé au Centre de Planification et de Conduite des Opérations (CPCO) à Paris ; le commandant de la force sera le général Thonier.

Je souligne que, à la suite de la demande du secrétaire général des Nations unies, l'Union a réussi à adopter cette action en un temps record.

On ne connaîtra que demain la liste des États membres qui contribueront à cette force qui devrait atteindre environ 1 700 hommes, mais il devrait y avoir une majorité des quinze, avec notamment la Grande-Bretagne, l'Allemagne, la Belgique, l'Italie, l'Espagne, la Grèce, la Suède. Je note d'ailleurs que, dans beaucoup de ces pays, la décision de participer à la force de stabilisation sera soumise à un vote du parlement.

La contribution de la France devrait représenter à peu près la moitié des forces totales puisqu'elle envisage d'envoyer entre 700 et 900 personnes et qu'elle devrait fournir, en outre, une « force aérienne de projection » ainsi qu'un « appui-chasse ».

Enfin, des pays tiers, non membres de l'Union européenne, devraient se joindre à cette opération. On évoque le Canada, l'Afrique du sud, le Sénégal, le Brésil, l'Éthiopie, etc.

C'est demain que devraient être connues plus précisément les modalités de cette opération, notamment les participants, au cours d'une « conférence de génération des forces » qui se tiendra à Paris.

J'ajoute que cette opération ne sera pas dénuée de risques militaires car la force multinationale devra faire face à des groupes très bien équipés, notamment en missiles sol-air et en blindés.

Compte rendu sommaire du débat

M. Pierre Fauchon :

Cette initiative très intéressante, dont vous nous avez exposé les modalités de mise en oeuvre, me paraît être d'une grande force symbolique dans le contexte actuel. Nous nous trouvons donc dans la situation d'être mandatés, mais par qui ?

M. Hubert Haenel :

Le mandat est confié par le Conseil de sécurité sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations unies.

M. Pierre Fauchon :

S'agit-il de la première expérience de ce genre ?

M. Hubert Haenel :

L'opération « Concordia », lancée en mars dernier en Macédoine, était fondée sur la résolution 1371 du Conseil de sécurité des Nations unies. Toutefois, comme je vous l'indiquais, elle se déroule sur le territoire européen et avec l'appui des moyens de l'OTAN, ce qui lui donne un tout autre contenu. Dans le même ordre d'idée, mais dans un contexte différent, l'Union européenne a pris la relève du groupe international de police des Nations unies en Bosnie-Herzégovine, le 1er janvier 2003, dans le cadre d'une mission de police assurée par les quinze États membres et dix-huit autres pays.


Politique étrangère et de sécurité commune

Communication de M. Hubert Haenel sur le texte E 2295
imposant des mesures restrictives à l'égard du Libéria

Le gouvernement nous a transmis, le 5 juin dernier, le texte E 2295 relatif à une proposition de règlement du Conseil imposant certaines mesures restrictives à l'égard du Libéria.

Ce texte transcrit en droit communautaire les dispositions des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, dont la résolution 1748 du 6 mai 2003, ainsi que les positions communes successives de l'Union européenne, dont la dernière a été adoptée le 19 mai dernier.

L'ensemble de ces mesures vise, d'une part, à interdire les importations de diamants bruts du Libéria et, d'autre part, à imposer à ce pays une série de mesures restrictives, comme l'interdiction de la fourniture d'assistance technique en matière militaire. La dernière position commune, adoptée le 19 mai dernier, a prévu d'interdire les importations de bois ronds et de bois d'oeuvre originaires de ce pays.

Cette proposition doit être adoptée lors du Conseil Affaires générales du 16 juin prochain au moment où la situation dans ce pays est particulièrement instable et où le président Charles Taylor a été inculpé par le tribunal international pour le Sierra Leone.

Il ne me semble donc pas nécessaire que la délégation intervienne sur ce texte.

La délégation en a ainsi décidé.