Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mardi 28 octobre 2003



Élargissement

Rencontre avec une délégation du Parlement hongrois,
conduite par Mme Ibolya Dávid, vice-présidente du Parlement

M. Hubert Haenel :

Après avoir joué un rôle déterminant dans l'ébranlement du rideau de fer pendant l'été de 1989, la Hongrie a aussi été le premier pays d'Europe centrale à déposer sa demande d'adhésion à l'Union européenne, le 31 mars 1994. Depuis lors, l'ensemble de la classe politique hongroise s'est mobilisée pour rapprocher la Hongrie de l'Europe et de l'OTAN et elle a fait de l'adhésion à l'Union européenne la priorité de la politique extérieure de votre pays. L'entrée de la Hongrie dans l'Union européenne est ainsi le juste aboutissement de la volonté hongroise de mettre définitivement un terme à la division de l'Europe.

Un des premiers résultats majeurs de l'entrée de la Hongrie dans l'Union européenne sera d'ailleurs la création, d'ici à 2005, avec l'Autriche, la Slovaquie et la République tchèque, d'une grande région transfrontalière, au coeur même de l'Europe centrale, pour renforcer la coopération économique, culturelle, touristique et écologique entre ces quatre pays. Cette nouvelle « région européenne » devrait rendre plus faciles les communications par la construction de nouvelles liaisons ferroviaires et autoroutières et de nouveaux ponts. Elle devrait également permettre d'améliorer la navigation sur le Danube, de favoriser le tourisme et de renforcer certains projets écologiques.

La Hongrie est un pays qui, de l'avis de tous les observateurs, est prêt à rejoindre l'Union sans état d'âme et sans difficultés particulières. L'entrée dans l'Union européenne ne résoudra certes pas tous les problèmes de la Hongrie qui reste confrontée - comme bien d'autres États membres - à la mise en oeuvre de réformes structurelles difficiles comme celle du système de santé, ou celle du renforcement de l'administration d'État. Mais, nous avons noté que déjà, afin de mieux gérer les aides européennes, la Hongrie venait de créer un comité de gestion du plan de soutien communautaire pour remédier aux insuffisances qui étaient apparues en matière de politique agricole et régionale ou en matière de sécurité alimentaire et de contrôles vétérinaires et phytosanitaires.

Après avoir pleinement participé à la Convention sur l'avenir de l'Europe, votre pays est maintenant un acteur à part entière de la Conférence intergouvernementale qui s'est ouverte le 4 octobre à Rome.

Quelques jours après l'ouverture de la Conférence intergouvernementale, le Parlement hongrois a organisé une Conférence interparlementaire sur le processus de négociation du traité d'adhésion à l'Union. Notre délégation pour l'Union européenne y était représentée par nos collègues Claude Estier et Robert Del Picchia qui, malheureusement, ne peuvent être des nôtres aujourd'hui parce qu'ils sont tous deux à New York pour la réunion de l'Assemblée générale des Nations Unies. À l'occasion de cette Conférence organisée à Budapest, le Premier ministre hongrois a rappelé les points forts de la position de votre pays :

- la protection des droits des minorités nationales ;

- la composition de la Commission européenne ;

- enfin, le régime des présidences de l'Union qui devrait garantir l'égalité d'accès de chaque État aux présidences.

En dépit des divergences que nos deux pays peuvent avoir sur certains points précis, nous avons constaté que votre pays est bien conscient que des réformes indispensables doivent être mises en oeuvre pour éviter la dilution de l'Union européenne et pour préserver l'existence des instruments communautaires existants.

Et croyez bien que, tous ici, très sincèrement, nous sommes heureux que la Hongrie retrouve enfin les pays européens qui se sont réunis au sein de l'Union européenne.

Mme Ibolya Dávid (vice-présidente du Parlement, présidente du parti politique conservateur « Forum démocratique hongrois »):

Je vous remercie, Monsieur le Président, d'avoir présenté l'évolution de notre pays depuis le changement de régime et d'avoir esquissé la situation actuelle de la Hongrie. Je tiens également à remercier la France pour tout ce qu'elle a fait pour que la Hongrie devienne membre de l'Union européenne. En une décennie, notre pays aura connu des changements, économiques, sociaux, moraux, considérables. Avant ces changements, nous savions bien que les jours de la dictature étaient comptés, mais nous ne savions pas quand elle finirait, ni quand la Hongrie rejoindrait ses partenaires de l'Europe.

Entre nos deux peuples, le premier contact remonte à 1003 quand Gerbert d'Auriac a apporté en Hongrie la couronne de Saint Étienne. Dans les épreuves, ce sont nos convictions et notre religion qui nous ont permis de rester unis. Revenir à l'Europe c'est une sorte de récompense pour tous les peuples d'Europe centrale qui ont connu tant de souffrances ces deux derniers siècles.

Les difficultés de l'élargissement viennent du nombre de pays candidats et des problèmes économiques actuels de l'Union européenne. Mais l'intérêt vient aussi du fait que nous rejoignons l'Europe alors qu'elle revoie ses mécanismes de fonctionnement avec l'adoption d'une Constitution. En Hongrie, les partis d'opposition, comme les partis de la majorité, soutiennent les priorités fixées par notre Gouvernement qui portent sur le droit des minorités nationales, la composition de la Commission européenne et la défense.

S'agissant des minorités, notre position diffère de celle de la France pour des raisons historiques. J'ai été très touchée quand, au Conseil européen de Thessalonique, le président Jacques Chirac a soutenu notre position. J'ai plus de difficultés, il est vrai, à interpréter ses propos récents. L'exemple de l'ex-Yougoslavie montre qu'il serait très utile de reconnaître des droits aux minorités qui vivent sur leur terre natale, mais que l'histoire a séparées de leur pays d'origine, sans qu'elles aient une quelconque responsabilité dans cette situation.

Les pays qui vivent depuis des siècles dans un régime démocratique ont une vision nécessairement différente de ce problème par rapport à ceux qui l'ont vécu dans un régime « socialiste ». Je demande en conséquence votre compréhension pour notre politique des minorités nationales.

M. Hubert Haenel :

Nous n'avons pas de difficultés sur la question des minorités d'un État membre que l'histoire a malmenées et que des traités ont amené à vivre sur le territoire d'un autre État ; en revanche, comme vous le savez, nous sommes plus réservés sur la reconnaissance de minorités au sein d'un État national, et nous considérons que les droits doivent être reconnus et protégés pour toutes les personnes, qu'elles appartiennent à des minorités ou non.

M. Imre Pichler (MDF - Forum démocratique hongrois - opposition):

Ma fille s'étant mariée avec un Français, je voudrais témoigner de l'importance des liens familiaux pour les rapprochements entre nos pays et souligner le fait que ces rapprochements ne mettent pas en cause l'attachement à nos traditions respectives.

M. Hubert Haenel :

Votre témoignage est précieux car il montre bien que l'Europe rapproche les peuples sans porter atteinte à leurs identités propres ; l'Europe, ce n'est pas le nivellement de nos traditions.

M. Richard Hörcsik (FIDESZ Jeunes démocrates - opposition):

Vous venez d'évoquer un point très important, celui des minorités historiques. Le gouvernement français a-t-il déjà donné sa réponse au gouvernement hongrois sur notre demande relative aux minorités nationales ?

M. Hubert Haenel :

Je suis persuadé, pour ma part, que la position de notre Gouvernement sera très claire et très positive pour la Hongrie lorsque la question sera abordée par la Conférence intergouvernementale, dès lors que l'on trouvera une formule répondant précisément au cas hongrois et ne heurtant pas les autres États membres.

M. Richard Hörcsik :

Afin de faire mieux comprendre l'acuité du problème des minorités nationales en Europe centrale, je vais raconter une histoire. Une personne qui vient de mourir comparait devant Saint-Pierre. Celui-ci lui demande d'où elle vient. Et la réponse est la suivante : « Je suis né au début du siècle dernier dans l'empire austro-hongrois ; j'ai fait mes études en République tchécoslovaque ; je me suis marié dans le royaume de Hongrie ; j'ai pris ma retraite en territoire soviétique ; enfin je suis décédé en Ukraine. » Saint-Pierre s'exclame alors : « Vous avez beaucoup voyagé. Vous avez presque fait le tour du monde. » Et la personne répond : « Je n'ai jamais quitté ma ville natale, la ville de Munkach. »

C'est la question des minorités nationales qui, déjà à deux reprises, a été à l'origine, en 1914 et en 1991, de deux guerres, en Europe. L'adoption d'une Constitution européenne est une opportunité historique pour régler définitivement ce problème sans nuire à la souveraineté des États. Nous serons reconnaissants à la France de nous aider sur cette question des minorités nationales.

M. Denis Badré :

Nous sommes particulièrement heureux de vous accueillir dans l'Europe, une Europe qui fonctionnera si, comme aujourd'hui, ses citoyens apprennent à travailler ensemble. L'Union européenne est la meilleure réponse pour régler les antagonismes nés de l'histoire de nos peuples, par exemple celui de l'Alsace et de la Lorraine, deux de nos régions qui ont été écartelées entre la France et l'Allemagne. L'Union européenne sera aussi la meilleure réponse pour régler le drame des affrontements entre minorités nationales dans les Balkans, sans que, pour autant, celles-ci doivent renier leurs origines différentes. Pour les minorités hongroises, une première étape va être franchie avec l'adhésion de la Slovaquie ; il sera souhaitable qu'elle soit suivie sans trop de délais par celles de la Roumanie et de la Serbie.

S'agissant de la Constitution européenne, la Convention sur l'avenir de l'Europe a fait un bon travail, qui s'est traduit par un consensus général. L'exercice est plus difficile pour la Conférence intergouvernementale (CIG), car elle est composée de délégations nationales qui défendent les intérêts de leurs pays. La CIG favorise les divisions alors que la Convention favorisait le consensus. Je souhaite que les vingt-cinq gouvernements entendent la voix de leurs peuples qui demandent que l'on avance hardiment vers l'Europe. Il ne faut pas les décevoir.

La Convention comprenait des parlementaires qui, eux, écoutent les peuples. Nous devons donc faire pression sur nos gouvernements pour qu'ils n'oublient pas ce que veulent leurs populations. Ce serait un désastre si on ne parvenait pas à un accord au sein de la CIG. L'Union européenne n'est pas qu'une Union de consommateurs ; elle est aussi une Union d'acteurs, où chaque État, comme chaque citoyen, doit se demander, non seulement ce qu'il reçoit de l'Europe, mais aussi ce qu'il apporte à l'Europe.

M. Hubert Durand-Chastel :

Des propos que vous avez tenus, Madame la Présidente, comme de ceux de notre président, je retiens que la Hongrie a fait d'importants efforts pour se rapprocher de l'Union européenne. Vous avez fait allusion aux difficultés économiques que nous rencontrons actuellement et que la Convention n'a que peu abordés. Précisément, dans ces circonstances économiques générales difficiles marquées par la globalisation, les petits et les moyens pays sont ceux qui ont le plus intérêt à rejoindre l'Union européenne pour échapper à l'influence des États-Unis et de la Chine.

Je comprends que les nouveaux arrivants veuillent avoir une représentation permanente au sein de la Commission européenne. Si une formule était trouvée pour régler cette question, estimez-vous que la Hongrie pourrait accepter le projet de Constitution ?

Mme Ibolya Dávid :

La Hongrie ne veut pas faire de chantage pendant les négociations de la CIG. Nous n'avons pas de conditions à imposer pour accepter la Constitution. Notre position sur la composition de la Commission européenne répond d'abord au besoin de contact entre notre population et les administrations européennes. Notre crainte est aussi que la Commission ne soit dévaluée pendant les périodes où les « grands pays » n'auraient pas de commissaires avec droit de vote et que, en conséquence, le Conseil n'en sorte renforcé. Il faut comprendre que nos peuples ont des inquiétudes pour l'avenir et qu'ils seraient rassurés s'ils étaient certains d'avoir un commissaire à Bruxelles.

M. Denis Badré :

Il ne faut pas perdre de vue que la Commission est porteuse de l'intérêt commun européen. Il ne faudrait donc pas tomber dans le défaut où chaque commissaire deviendrait le représentant de son pays.