Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 9 juillet 2003



Politique commerciale

Présentation du rapport d'information
de M. Jean Bizet sur l'état d'avancement des négociations
au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC)

Créé par l'accord de Marrakech, l'OMC a succédé au GATT le 1erjanvier 1995. Elle comprend aujourd'hui 146 États membres, dont une large majorité de pays en développement, et l'Union y parle d'une seule voix par l'intermédiaire de la Commission européenne. Les décisions s'y prennent à l'unanimité, sur un mode parfaitement égalitaire, et son mode de fonctionnement prévoit que les parties contractantes négocient en continu selon des programmes déterminés lors de conférences ministérielles convoquées tous les deux ans.

En moins de neuf années, l'OMC a affermi son autorité, contribué à la loyauté des échanges et permis l'ouverture des marchés en supprimant certains obstacles au commerce. Elle a renforcé le système multilatéral, notamment grâce à la mise en place d'une instance spécifique de résolution des conflits, l'organe de règlement des différends (ORD).

Cela étant, alors même qu'elle confortait sa position d'arbitre du commerce international, l'OMC a concentré contre elle des manifestations d'opposition parfois violentes. Dénoncée comme symbole d'une mondialisation de l'économie favorable aux forts et destructrice des faibles, elle a subi les foudres d'une contestation antimondialiste, critiquant sa complexité, son opacité et sa confidentialité.

La Conférence de Seattle en 1999 a constitué le point culminant de cette contradiction virulente, témoignant de surcroît de l'irruption de la société civile dans un domaine dont la technicité l'avait jusqu'alors tenue à l'écart. Alors que de nombreux États membres avaient proposé que cette Conférence soit l'occasion d'élargir le programme de travail à d'autres domaines de négociations que ceux de l'agenda intégré de Marrakech (agriculture et services), les réunions plénières n'ont pas permis d'emporter la conviction de tous et elles ont débouché sur un résultat a minima.

Cet échec a été imputé à un manque de transparence, de concertation et d'explication, ainsi qu'à l'insuffisante coordination des positions européenne et américaine, les États-Unis restant sur la thèse de départ d'un cycle étroit de négociations.

En revanche, la conclusion la plus patente de la Conférence a été de constater l'intervention d'un nouveau partenaire dans le concert international : le groupe des pays en développement. Ce sont eux qui ont provoqué l'échec de Seattle, arguant de l'absence de prise en compte de leurs préoccupations.

Deux années plus tard, la Conférence de Doha a été organisée dans un contexte international profondément ébranlé par les événements tragiques du 11 septembre.

Pour la plupart des parties, l'hypothèse d'un second échec n'était pas concevable, sauf à condamner par avance l'idée d'une mondialisation équilibrée et à affaiblir durablement la thèse du multilatéralisme prônée par l'OMC. Les leçons de Seattle avaient été tirées, la Conférence était mieux préparée, mais son issue est restée incertaine jusqu'à son terme.

Elle a finalement débouché sur un accord pour l'ouverture d'un cycle large de négociations, orienté clairement sur les questions de développement. Vingt-et-un sujets ont été inscrits à son agenda, parmi lesquels sept domaines de négociation devant aboutir à des résultats concrets : l'agriculture, les services, l'accès aux marchés des produits industriels, l'environnement, les règles commerciales, l'organe de règlement des différends et le régime de protection des appellations d'origine pour les vins et spiritueux.

Enfin, le dossier particulier de l'accès des pays les moins avancés aux médicaments de base ena constitué un point très sensible et l'engagement d'organiser un régime spécifique à leur intention a conditionné le ralliement de nombreux partenaires à la déclaration finale.

La Conférence a pris le parti d'une négociation globale : l'ensemble des points en discussion doit faire l'objet d'un compromis et les arrangements sectoriels sont exclus. En effet, ceux-ci ne permettant pas la répartition des avantages entre tous les participants, ils pourraient compromettre les chances d'aboutir à un résultat final acceptable par tous. Bref, pour reprendre les mots de Pascal Lamy, « il n'y aura d'accord sur rien tant qu'il n'y aura pas d'accord sur tout ».

*

Nous nous trouvons aujourd'hui à un stade intermédiaire des travaux, vingt mois après le lancement d'un nouveau cycle à Doha et quelques semaines avant la prochaine Conférence ministérielle de Cancun qui se tiendra du 10 au 14 septembre prochain. Bien qu'elle ne constitue qu'une échéance normalement programmée dans le schéma de travail de l'OMC, cette Conférence est considérée comme une étape cruciale. C'est donc pour nous l'occasion de faire le point de l'avancée des négociations, des espoirs de compromis et des difficultés qui restent à surmonter dans les trois domaines où le débat s'est réellement engagé et qui demeurent les plus emblématiques pour l'ensemble des parties contractantes : l'agriculture, les services et l'accès des pays en développement aux médicaments.

1. LA QUESTION AGRICOLE 

Une fois de plus, l'agriculture apparaît comme un des principaux thèmes du nouveau cycle de négociations commerciales, même si le principe de la réouverture de ce dossier était déjà inscrit dans l'accord de Marrakech de 1994.

La déclaration de Doha a confirmé l'objectif à long terme d'établir un système de commerce équitable et axé sur le marché, afin de remédier aux restrictions et aux distorsions touchant les marchés agricoles mondiaux et de les prévenir.

L'engagement agricole tient dans un texte assez court : « Sans préjuger du résultat des négociations, nous nous engageons à mener des négociations globales visant à : des améliorations substantielles de l'accès aux marchés ; des réductions, en vue de leur retrait progressif, de toutes les formes de subventions à l'exportation ; et des réductions substantielles du soutien interne ayant des effets de distorsion des échanges ».

Par ailleurs, la reconnaissance de « considérations autres que commerciales » à prendre en compte dans les négociations a laissé entrevoir une évolution des mentalités au sujet des concepts de multifonctionnalité de l'agriculture, du principe de précaution, des questions environnementales, du développement rural et du bien-être animal.

Depuis lors, les négociations ont progressé très lentement en dépit de deux échéances fixées : les membres devaient s'entendre sur les modalités de la négociation agricole, c'est-à-dire son calendrier et ses méthodes de travail, avant le 31 mars 2003 et l'ensemble des offres devait être déposé sur le bureau de l'OMC avant la réunion de Cancun.

La difficulté tient au fait que le volet agricole de la négociation met en présence des partenaires placés dans une grande hétérogénéité de situations. Dans ce contexte, la recherche d'un rapprochement des points de vue paraît une mission difficile.

Pour reprendre l'expression de Pascal Lamy, la négociation agricole prend la forme d'un « jeu de quatre coins » associant l'Union européenne, les États-Unis, le groupe de Cairns et les pays en développement. Entre ces quatre partenaires se sont établis des relations de confiance ou de rejet et un jeu subtil d'alliances, parfois contre nature.

À la mi-février 2003, au vu des premières modalités d'engagements déposées par les parties, le groupe de négociations agricoles a constaté la grande divergence des points de vue et tenté un rapprochement pour préparer l'échéance du 31 mars.

Un premier projet, dit Harbinson, du nom de son président, a suscité une levée de boucliers, notamment de la part de l'Union européenne qui l'a déclaré totalement inacceptable. Un mois plus tard, le 18 mars 2003, un second projet a été élaboré, mais il n'apportait aucune modification substantielle, se bornant à des évolutions chiffrées infimes par rapport au texte précédant.

Dans ce nouveau projet, la Commission européenne a continué de contester notamment :

- le taux de réduction des tarifs douaniers retenu, jugé trop élevé ;

- la suppression des mesures de sauvegarde dont un pays développé peut se prévaloir en cas de situation de crise provoquant de brusques déséquilibres des marchés ;

- la réduction des quotas ;

- la suppression complète, et non pas progressive, des restitutions à l'exportation.

En résumé, le document Harbinson reprenait à son compte les positions soutenues par le groupe de Cairns et les États-Unis et faisant reposer l'essentiel de l'effort sur l'Union européenne, sans pour autant ménager les intérêts des pays en développement.

Vous savez quelle a été l'attitude de l'Union européenne pour préparer cette échéance : une nouvelle PAC a été adoptée voici quelques jours, certes principalement justifiée par des considérations d'ordre interne, mais aussi par l'existence de ce nouveau cycle de négociations. La Commission a estimé que, en découplant les aides de la production, c'est-à-dire en ne les subordonnant pas mécaniquement aux volumes produits, la réforme la placerait à l'abri de la critique, puisque les aides découplées sont censées ne pas avoir d'effet important de distorsion sur les échanges.

Je ne reviendrai pas sur le contenu de cette réforme que le ministre, Hervé Gaymard, nous a exposée la semaine dernière de façon remarquable.

La suite des travaux à l'OMC dira si l'attitude européenne consistant à anticiper sur la négociation internationale constituera pour elle un atout ou pas. En tout état de cause, pour le gouvernement français, cette réforme a été arrêtée « pour solde de tout compte » et il n'est pas envisageable d'accepter d'aller, lors des futures négociations internationales, au-delà des concessions déjà consenties.

Partant de l'hypothèse que l'Union européenne se trouve désormais dans une position de négociation plus favorable que précédemment, que peut-elle espérer de ses partenaires à Cancun ?

 En matière de soutiens internes, parmi les demandes déposées par l'Union, on trouve l'encadrement des « marketing loans » et du crédit export agricoleaméricains, l'organisation disciplinée de l'aide alimentaire américaine, la suppression des coopérations monopolistiques d'État qui existent notamment en Australie et en Nouvelle-Zélande. L'Europe est également très soucieuse d'aboutir sur la question de la protection des indications géographiques, notamment, mais non uniquement, en matière de vins et spiritueux.

 Pour ce qui concerne le second point - les restitutions et aides à l'exportation -, il faut bien souligner que la réforme de la PAC n'apporte aucune amélioration et l'Union européenne se trouve dans une situation ni pire ni meilleure que les États-Unis. En la matière, les efforts devront provenir de tous côtés. L'Union européenne a proposé une réduction des aides de 45 % sur six ans mais c'est la seule proposition chiffrée présentée à ce jour.

 Enfin, la question de l'accès aux marchés constitue toujours le sujet le plus sensible en discussion. D'abord, pour l'Union européenne elle-même, car ce problème interfère avec la question de la préférence communautaire et remet donc en cause le principe même de la construction européenne, mais les pays en développement y attachent également la plus grande importance. En la matière, la seule offre déposée émane, cette fois encore, de l'Union qui propose un abaissement moyen de 36 % des droits de douanes à l'importation, assorti d'un plancher fixé à 15 %. Il est désormais nécessaire que les autres partenaires prennent aussi l'initiative d'émettre des propositions.

 Par ailleurs, on devrait logiquement décider à Cancun d'une prolongation jusqu'à la fin du cycle de la « clause de paix », valable pour l'instant jusqu'au 31 décembre 2003 et par laquelle les différents pays de l'OMC se sont engagés à ne pas introduire de recours en contestation des politiques de soutien menées par leurs partenaires en faveur du secteur agricole.

2. L'OUVERTURE DES ÉCHANGES DE SERVICES

La négociation sur les services est un sujet qui concerne directement l'ensemble des pays membres de l'OMC. Ce secteur constitue en effet aujourd'hui le principal moteur de croissance pour les pays développés : il représente les deux tiers du produit intérieur brut de l'Union européenne et 70 % de son emploi, la situation étant sensiblement la même aux États-Unis.

La France, troisième exportateur mondial de services, est particulièrement intéressée par la négociation qui s'y rapporte et l'Union européenne, dans son entier, a des intérêts défensifs et offensifs à faire valoir.

De leur côté, les pays en développement, qui souffrent de lacunes dans les domaines des services, peuvent espérer de cette ouverture des échanges une amélioration de leur capacité d'exportation. Il convient en effet de souligner que cette négociation ne porte pas sur la libéralisation du secteur des services, mais sur l'ouverture des échanges de services, c'est-à-dire sur les règles et conditions d'accès aux différents marchés nationaux.

L'inclusion des activités de services dans les négociations de l'OMC a constitué une avancée majeure du cycle d'Uruguay par la conclusion de l'Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS). Les services visés concernent tous les services de tous les secteurs, à l'exception de ceux qualifiés de « gouvernementaux », c'est-à-dire ceux qui ne sont ni fournis sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services.

La conclusion de l'accord AGCS a conduit à inventer intégralement un cadre juridique adapté à cette forme d'échanges immatériels : les services étant une catégorie économique hétéroclite, les négociateurs ont dû s'entendre sur des définitions et des principes généraux.

Le processus de négociation sur les services est particulièrement complexe et opaque puisqu'il comporte deux volets :

- un volet multilatéral auquel tous les États membres participent, pour prendre des décisions collectives sur les règles générales, les calendriers de discussions ou les conditions d'organisation des travaux ;

- un volet bilatéral où les partenaires échangent demandes et offres de libéralisation, de manière confidentielle en principe, sauf s'ils souhaitent en faire officiellement état. À l'issue de cette première étape, une confrontation multilatérale des concessions réciproques est nécessaire pour vérifier l'équilibre du dispositif, en application de la clause de la nation la plus favorisée.

Conformément à l'Agenda intégré de Marrakech, les négociations sur les services se sont engagées le 1er janvier 2000. Le mandat de Doha a entériné les travaux accomplis, puis établi des éléments de calendrier. Destinée à s'achever, avec l'ensemble du processus de négociation du cycle, le 31 décembre 2004, la négociation sur les services devait conduire le 30 juin 2002 au dépôt, par les membres, de leurs demandes adressées aux autres partenaires et le 31 mars 2003 à la présentation, en réponse, des offres conditionnelles. Aucune de ces échéances n'a été respectée dans les faits.

Quelles sont les attentes européennes en matière de services ?

L'Union européenne a procédé au dépôt de cent neuf demandes auprès de ses partenaires. Conformément aux souhaits français, ces demandes sont ambitieuses tout en excluant les secteurs jugés sensibles, notamment ceux de l'audiovisuel et des services culturels, de la santé et de l'éducation ; elles tiennent compte du niveau de développement des pays auxquels elles s'adressent.

L'Union européenne a ensuite élaboré sa propre offre conditionnelle, déposée à Genève quelques temps après la date butoir du 31 mars 2003.

Actuellement, le niveau de libéralisation est très supérieur à celui accordé par nos partenaires commerciaux, notamment dans les services postaux, les télécommunications, les transports, les services financiers et la fourniture de gaz et d'électricité. Il est donc légitime que nous attendions de leur part l'ouverture de leurs marchés sans pour autant nous astreindre à des efforts supplémentaires.

Entre le 31 mars 2003 et ce jour, seuls vingt-cinq pays, en plus de l'Union européenne, ont déposé leurs offres auprès de l'OMC. On ne dispose donc pas encore de la masse critique nécessaire pour qu'un bilan de situation soit envisageable. Les parties contractantes s'attendent de ce fait à une négociation longue et difficile et l'échéance de Cancun consistera simplement à prendre acte de l'état d'avancement des travaux et à formuler quelques orientations pour la seconde partie du cycle.

3. L'ACCÈS DES PAYS EN DÉVELOPPEMENT AUX MÉDICAMENTS

La question de l'accès des pays les plus pauvres aux médicaments s'est trouvée au centre des discussions de la Conférence de Doha. Elle est devenue le symbole de la prise en compte des spécificités des pays en voie de développement et de leur intégration à un monde globalisé et elle a conditionné, pour une large part, leur ralliement au principe de l'ouverture d'un nouveau cycle de négociations commerciales internationales.

L'enjeu du problème est en effet immense : selon l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le tiers de la population mondiale, deux milliards de personnes environ, n'a pas accès aux médicaments essentiels. Or, la situation sanitaire des pays en développement, notamment en raison de l'épidémie de sida qui touche 42 millions de malades à travers le monde, est dramatique.

Cette problématique, qui relève plutôt a priori d'une approche de santé publique, de solidarité et d'aide humanitaire, s'est trouvée directement mêlée à des négociations internationales de type commercial à travers l'accord ADPIC, qui régit la protection, au niveau mondial, des droits de propriété intellectuelle. Cet accord instaure des droits pour ceux qui en sont titulaires et prévoit des mécanismes permettant de les faire respecter. La réglementation s'applique notamment aux médicaments et participe de la détermination de leur prix de vente.

Il s'agissait donc de trouver une solution juridique acceptable pour tous, permettant de réduire le prix des médicaments, en autorisant l'exemption des droits, sans pour autant porter atteinte aux moyens financiers qui en découlent et qui servent à alimenter la recherche.

À l'issue de la Conférence, les parties ont adopté une déclaration distincte relative à la santé publique et aux conséquences de l'accord ADPIC sur l'accès aux médicaments.

Celle-ci accorde aux pays émergents le droit de reproduire des médicaments brevetés dans les pays développés. L'autorisation ainsi octroyée bénéficiait aux grands pays émergents, comme l'Inde, la Thaïlande, le Brésil ou l'Afrique du Sud, qui disposent des laboratoires et des capacités scientifiques de production des substances thérapeutiques. En revanche, l'accord laissait de côté les pays les plus pauvres, ne possédant pas les moyens techniques de fabrication nécessaires.

En effet, si elle acceptait la fabrication des médicaments pour un usage local, l'OMC s'opposait à la commercialisation des médicaments génériques, donc à leur exportation en dehors du marché national, en raison notamment de la résistance des grands groupes pharmaceutiques. Ceux-ci craignaient que l'exportation de substances à bas prix vers les pays du tiers-monde n'entraîne des détournements de trafic vers les pays développés et des pertes de ressources venant tarir les moyens financiers qu'ils consacrent à leurs efforts de recherche et développement.

Constatant l'impasse, les pays de l'OMC avaient chargé le Conseil des ADPIC de trouver une solution à cette difficulté d'ici la fin 2002.

Or, à ce jour, le dossier n'a pas progressé, du fait de l'opposition des États-Unis à l'adoption d'un accord. Les États-Unis étaient en effet partisans d'imposer une liste restrictive de vingt-cinq maladies transmissibles. Ce faisant, certains pays en développement ont durci leur position en refusant de s'éloigner du texte élaboré à Doha qui ne prévoit aucune limitation des pathologies. L'Inde, l'Afrique du Sud ou le Brésil ont alors fait montre d'intransigeance dans le débat, ce qui s'explique aussi par le fait que, producteurs potentiels de médicaments génériques exportables, ils souhaitent pouvoir disposer du plus large marché possible.

L'Union européenne a fait preuve, dans ces négociations, d'une grande volonté d'aboutir qui n'a toutefois pas suffi pour emporter la décision. Elle avait notamment proposé d'établir une liste préalable de vingt-deux maladies, mais qui pouvait être complétée après avis de l'OMS en fonction des crises sanitaires. La situation est toujours dans l'impasse.

Il convient de préciser que la position des laboratoires pharmaceutiques, notamment français, n'est pas une hostilité de principe à l'octroi de facilités particulières aux pays en développement. Ils ont d'ailleurs eux-mêmes mis en fabrication, à destination des pays déshérités, des médicaments particuliers qui, sans être génériques, permettent d'abaisser de 85 à 90 % le coût des traitements.

Ils font toutefois valoir que la difficulté tient, à leur sens, moins à la question du prix des médicaments qu'à celle de la structure de dépistage, d'administration et de suivi de la thérapie qui est encore largement défaillante dans les pays concernés.

Par ailleurs, les industriels restent vigilants sur les risques de détournements de trafic des médicaments vers les pays riches : précisant qu'un traitement de trithérapie coûte environ 10 000 euros par an et par malade, tandis que son prix, sous forme générique, n'est que de 200 euros, il est aisé de mesurer l'intérêt financier qui découlerait d'une revente à prix fort d'un médicament fabriqué hors brevet.

Dans l'attente de la résolution du problème, les pays producteurs de médicaments sous licence ont arrêté un moratoire et se sont engagés unilatéralement à ne pas saisir les tribunaux d'éventuels litiges.

Pour autant, l'inquiétude des pays en développement demeure et ils attendent qu'une solution durable et juridiquement valable soit trouvée. On ne peut donc exclure que si la situation restait figée jusqu'à l'ouverture de la Conférence de Cancun, les pays en développement n'en tirent des conclusions peu propices à la tenue de cette réunion dans un climat apaisé.

*

La Conférence de Cancun constitue donc une échéance d'autant plus importante, qu'elle doit être replacée dans un contexte d'évolution médiocre du commerce mondial. Tandis que celui-ci progressait d'environ 7 % par an dans les années 90, sa croissance n'est plus que de 2 % en 2002 et les perspectives d'avenir ne sont guère favorables, notamment pour les pays les moins avancés.

À ce stade du débat, l'état de préparation de la conférence ne porte pas à l'optimisme : non respect des échéances, absence d'accord sur les modalités de la négociation agricole, échec du compromis sur les médicaments, retard pris dans les discussions sur l'ouverture des services, le registre des appellations d'origine et la réforme de l'organe de règlement des différends...

En dépit de ces signaux alarmants, le discours reste déterminé si l'on se rapporte à la déclaration sur le commerce publiée lors du G8 d'Évian du 6 juin dernier qui a confirmé la volonté des pays les plus développés de respecter les engagements pris à Doha et de conclure les négociations à l'échéance prévue.

En tout état de cause, il est nécessaire d'obtenir l'adhésion de nos concitoyens à ce processus dont ils dénoncent la complexité et l'opacité. Dans cette démarche de pédagogie et d'explication des objectifs et des enjeux du cycle, les parlements nationaux ont un rôle essentiel à jouer. C'était notamment le souhait du Sénat qui a créé en son sein, au lendemain de Doha, un groupe de travail chargé de suivre le déroulement des négociations commerciales de l'OMC.

Plus récemment, l'Union interparlementaire (UIP) s'est également souciée d'organiser un suivi du processus de négociation internationale en constituant « un comité de pilotage post-Doha » afin d'approfondir le rôle que peuvent jouer les assemblées parlementaires dans l'avancement des négociations et le soutien du multilatéralisme.

En effet, il est fondamental, à l'occasion de cette conférence, de conforter le principe du multilatéralisme qui, malgré ses lacunes, assure une protection plus efficace des pays en développement que les accords régionaux ou bilatéraux où l'emporte systématiquement la loi du plus fort.

Compte rendu sommaire du débat

M. Lucien Lanier :

Je vous remercie d'un exposé aussi clair dans un domaine aussi complexe. En vous écoutant développer les différents volets des négociations en cours, je me suis demandé si l'on n'avait pas été ambitieux à l'excès en incluant trop de sujets dans le cycle de Doha.

Par ailleurs, je comprends les inquiétudes des industriels et des laboratoires pharmaceutiques qui risquent de perdre certains des moyens qu'ils peuvent consacrer à la recherche et l'on sait combien les crédits que l'Union européenne et les États membres affectent à ce secteur sensible sont faibles.

M. Jean Bizet :

C'est sans doute un agenda très chargé et, qui plus est, sur un cycle très court de trois ans. Mais peut-être, à Cancun, décidera-t-on d'être moins exigeant sur la date de conclusion des négociations. Le risque majeur est, à mon sens, de voir se développer une OMC à deux vitesses, entre le Nord et le Sud, ce qui me paraît une évolution inquiétante des choses. J'insiste enfin sur le grand nombre d'accords bilatéraux qui sont en vigueur : 270, nous-a-t-on dit lors du symposium de l'OMC tenu à Genève à la mi-juin 2003. J'y vois un danger réel pour le multilatéralisme qui assure indéniablement mieux la protection des pays les plus faibles.

Je partage vos inquiétudes sur la recherche et sur les risques de voir se tarir les moyens financiers qu'on y consacre si l'on abuse des procédures de licences obligatoires. Au cours des diverses auditions auxquelles notre groupe de travail OMC a procédé, il nous a été souvent rapporté que le prix des médicaments était un facteur secondaire par rapport aux structures de santé dont les pays en développement ont besoin.

M. Marcel Deneux :

Je partage la plupart des conclusions présentées par le rapporteur. Je reste pour ma part très perplexe sur la négociation agricole et je crains vraiment que l'Union européenne, même classée « meilleure élève de la classe » après la réforme de la PAC, ne soit pas forcément récompensée par la négociation OMC.

Je crois, tout comme notre rapporteur, que, si les parlementaires étaient davantage associés à ces négociations, qui sont menées par les gouvernements, on assurerait un meilleur dialogue avec nos concitoyens, on limiterait peut-être la place croissante des ONG dans le débat et on éviterait des manifestations de rue d'une ampleur inquiétante. Lorsque j'étais à Johannesburg, au Sommet de la Terre, j'ai eu la surprise de constater la faible présence des parlementaires français rapportée aux autres pays du monde. Nous devons nous inscrire dans ces évolutions mondiales si nous voulons y prendre part.

Concernant les services, il faut que l'Union européenne, et notamment la France, défende ses intérêts, je pense surtout à la distribution de l'eau où nous disposons d'un avantage comparatif indéniable. J'observe, enfin, que cette négociation sur les services est bien opaque et que la société civile devrait y être mieux associée.

Par ailleurs, je soutiens bien sûr le multilatéralisme, mais il est nécessaire de l'organiser en liaison avec des accords bilatéraux pour prévoir une articulation efficace entre les différents engagements.

Pour en revenir à l'agriculture, je m'interroge sur ce qu'il est advenu du mandat de Pascal Lamy, en droit, puisque celui-ci s'appuyait sur les accords de Berlin qui n'existent plus depuis la réforme de la PAC. Enfin, il n'est pas envisageable de maintenir sans limite les accords de Blair House, qui ont organisé notre dépendance à l'égard des importations américaines de protéines végétales destinées à l'alimentation du bétail. Il faut revenir sur cette question et ne pas considérer que c'est une position définitivement figée.

M. André Ferrand :

J'assistais au symposium de l'OMC à Genève et j'ai retrouvé, dans le rapport de Jean Bizet, les éléments d'information qui m'avaient marqué lors des discussions qui y ont eu lieu. Les problèmes évoqués montrent quelles sont les préoccupations de la planète, dans ses différentes composantes et il faut en effet être vigilant sur l'équilibre à trouver pour la participation des ONG dans tous les débats liés au concept de « gouvernance mondiale ».

Je crois vraiment que la réforme de la PAC nous place à l'abri des critiques de nos partenaires internationaux - je ne parle pas des seuls intérêts français qui sont un autre aspect des choses - et que l'Union est aujourd'hui dans une position plus confortable dans la négociation.

Je voulais aborder aussi un sujet qui me tient à coeur, celui de l'organisation des pays francophones au sein de l'OMC. Au niveau ministériel, la France a mis en oeuvre des procédures pour transmettre les documents de travail qu'elle établit à ses partenaires francophones, ce qui est apprécié, notamment des pays qui ne disposent pas des moyens techniques suffisants pour prendre part aux négociations. Elle essaie aussi de créer un rapprochement entre les points de vue des pays francophones, ce qui réunit des pays placés à des stades de développement différents comme le serait une OMC en réduction. Nous pouvons nous inspirer utilement du groupe du Commonwealth, qui est très performant dans ce rôle rassembleur.

Enfin, pour ce qui concerne les pays en voie de développement, il faut bien réaliser que cette catégorie recouvre à la fois des pays émergents et des pays moins avancés. C'est un groupe très hétérogène qu'on ne peut appréhender d'une manière unique.

M. Philippe François :

Si l'Union européenne était considérée comme un mauvais élève, cela résultait largement d'une mauvaise foi car les États-Unis subventionnent plus massivement encore leur agriculture.

Sur la question des carburants de substitution et des protéines végétales qu'évoquait Marcel Deneux, nous sommes effectivement dépendants des États-Unis en la matière, mais si l'on appliquait les lois, et notamment la loi sur la qualité de l'air, on devrait pouvoir développer ces cultures et éviter le risque de pénurie qui résulterait d'un éventuel embargo. Dois-je rappeler que nous attendons encore les décrets d'application de cette loi ?

M. Jacques Oudin :

Concernant la réforme de la PAC, il reste encore à définir quels sont les aspects qui seront les plus directement menacés à Cancun et, par conséquent, ce sur quoi le parlement doit être le plus vigilant. Je suis partisan d'une prise de position de principe sur cette question de la part du Sénat, par la voix de notre délégation.

M. Jean Bizet :

La réforme de la PAC ne répond qu'aux critiques portant sur la ligne « diminution des soutiens internes », mais pas aux deux autres exigences de Doha. Dans le même temps, les États-Unis ont fait le chemin inverse, en recouplant leurs aides. Le problème majeur à Cancun sera celui de l'accès aux marchés, qui s'oppose au principe de la préférence communautaire.

À mon sens, il faut que l'Union européenne n'accepte pas de céder du terrain à Cancun, en tout cas pas si les États-Unis ne produisent pas un effort majeur sur leurs systèmes de soutiens, « marketing loans », règle « de minimis » et aide alimentaire. Il faut en effet que le mandat de Pascal Lamy soit très clair sur ce point.

Pour revenir sur la présence des ONG dans ce débat, elle est réelle, mais on observe aussi une montée en puissance des parlements nationaux et je m'en réjouis car ils constituent un intermédiaire légitime et naturel entre les négociateurs et les citoyens.

M. Lucien Lanier :

Si vous en êtes d'accord, je vous propose de préparer une lettre que notre délégation adresserait au Premier ministre pour attirer son attention sur les conclusions de notre débat d'aujourd'hui.

La délégation a approuvé cette suggestion et a alors autorisé, à l'unanimité, la publication de ce rapport sous le n° 397.