SCHENGEN 11/6816/98 REV 4  du 14/07/1998
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 20/05/1999

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 24/02/1999
Examen : 10/03/1999 (délégation pour l'Union européenne)


Justice et affaires intérieures

Communication et proposition de résolution de M. Paul Masson sur le texte E 1219 relatif au projet de décision du Conseil déterminant les bases juridiques de l'acquis de Schengen

La modification de la Constitution intervenue en 1993 a accordé au Parlement le pouvoir de se prononcer sur les propositions d'actes communautaires ; malheureusement la formulation de cette révision était imparfaite puisque le Conseil d'Etat a estimé que le Parlement ne pouvait pas se prononcer sur les projets d'actes de l'Union, notamment dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.

La dernière modification de la Constitution a été l'occasion de revenir sur la rédaction de l'article 88-4 de telle sorte que le Parlement peut désormais connaître des projets d'actes de l'Union. La proposition de résolution que je présente inaugure cette nouvelle procédure, et ceci avant même la mise en vigueur du traité d'Amsterdam.

Le Gouvernement, qui a manifesté à plusieurs reprises son intention d'associer le Parlement aux travaux du Conseil dans le domaine du troisième pilier, vient ainsi de saisir les assemblées d'un projet de décision émanant du secrétariat général du Conseil des ministres de l'Union européenne et qui a pour objet, s'il est adopté, de déterminer la base juridique de chacune des dispositions ou décisions qui constituent l'acquis de Schengen. Ce projet a été imprimé et distribué sous le numéro E 1219.

L'acquis de Schengen est un vaste domaine qui constitue l'essentiel de ce qui a été fait entre Etats pour lutter contre l'immigration clandestine, les trafics de drogue, la réglementation de l'asile, etc. Je rappelle que le traité d'Amsterdam, lorsqu'il sera mis en vigueur, aura pour effet de communautariser la politique des visas, de l'asile, de l'immigration et des autres domaines liés à la libre circulation des personnes ; ces politiques, transférées dans la compétence de la Commission, vont ouvrir à cette dernière un champ nouveau et vaste d'intervention.

Mais l'aspect pratique de ces matières, par exemple l'application du droit de suite ou la mise en place des contrôles de personnes et de marchandises illicites, relève de la matière qui est actuellement traitée dans le cadre de la convention de Schengen de 1990 et qui est un cadre intergouvernemental. Malgré les carences inhérentes à ce genre de coopération, Schengen existe et est utile. C'est cet acquis de Schengen qui, du fait d'un protocole annexé au traité d'Amsterdam, va être transféré dans le cadre de l'Union européenne, et il revient au Conseil de décider, à l'unanimité, des modalités de ce transfert. Tant que cette décision ne sera pas prise, les matières de Schengen continueront à relever toutes du domaine intergouvernemental de l'Union.

Le débat est donc de savoir, pour chaque article de la convention de 1990, s'il est transféré dans le premier pilier ou dans le troisième pilier. Le travail de ventilation de cet acquis a été engagé dès la signature du traité d'Amsterdam et il approche de son terme. Il s'agit maintenant de connaître les positions que le Gouvernement français va arrêter définitivement et on peut penser que, si elle est appuyée par une résolution du Parlement, sa position de négociation sera plus solide.

Je rappelle que, dès l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, et donc dès l'entrée en vigueur du protocole Schengen, le Conseil de l'Union européenne se substituera au Comité exécutif des ministres qui avait été créé par la Convention de 1990. Son premier acte devrait être, à l'unanimité des membres concernés, d'arrêter les nouvelles bases juridiques de chacune des dispositions ou décisions constituant l'acquis de Schengen. Comme cet acte du Conseil doit être adopté à l'unanimité, le Gouvernement français dispose d'un pouvoir de blocage de toute décision de transfert qui ne serait pas conforme aux intérêts de notre pays.

La négociation a buté sur deux points sensibles.

Le premier point sensible concerne la gestion future du Système d'Information Schengen (SIS), car le SIS est la pierre angulaire des accords : pas moins de 28 articles de la convention de 1990 (articles 92 à 119) sont concernés qui définissent les catégories de données traitées, les conditions d'intégration des signalements nominatifs dans le système informatisé, les motivations des signalements de non-admission pour des étrangers non communautaires, la nature des données relatives aux personnes disparues, aux témoins, aux personnes citées à comparaître devant les autorités judiciaires, aux surveillances discrètes, aux objets, véhicules, armes à feu, documents d'identité recherchés, aux utilisateurs des données, à la protection des données à caractère personnel et à la sécurité des données, à l'autorité de contrôle commune...

Plusieurs propositions ont été formulées au cours des négociations. Une première proposition consisterait à fonder les articles qui traitent de l'architecture et de la gestion du SIS sur une base du troisième pilier, tandis que les articles concernant les données relatives à la circulation des personnes seraient, eux, répartis entre le premier et le troisième pilier. Une seconde proposition a été formulée par le service juridique du Conseil. Le SIS serait considéré comme une entité créée antérieurement, en dehors du cadre de la Communauté et de l'Union. Son intégration résulterait de l'adoption de deux actes : d'une part, un acte communautaire (premier pilier) et, d'autre part, un acte du Conseil de l'Union (troisième pilier). Ainsi, la Communauté et l'Union reconnaîtraient toutes deux le SIS et approuveraient son fonctionnement, chacune pour ce qui la concerne et en fonction de ses compétences propres. Dans cette hypothèse, toute modification ultérieure des règles du SIS conduirait à rouvrir le débat sur la nature communautaire ou intergouvernementale du système, ouvrant la porte à un contentieux devant la Cour de Justice. Ces propositions ne sont pas satisfaisantes ainsi que je l'ai développé en décembre dernier dans le rapport que j'ai déposé au nom de la délégation. Il convient en effet que le système continue de relever d'une gestion entre Etats, la coopération policière et judiciaire en matière pénale restant du domaine intergouvernemental ; il faut être conscient que le passage d'une gestion intergouvernementale à une gestion communautaire du SIS comporterait des risques sérieux.

Le second point sensible concerne l'avenir de la clause de sauvegarde. Cette clause stipule que « lorsque l'ordre public ou la sécurité nationale l'exigent, une Partie Contractante peut... décider que, durant une période limitée, des contrôles frontaliers nationaux adaptés à la situation seront effectués aux frontières permettant à un Etat de rétablir les contrôles aux frontières lorsque l'ordre public ou la sécurité nationale l'exigent » (article 2 § 2 de la Convention). Dès juin 1995, la France a utilisé cette clause de sauvegarde pour assurer le contrôle de sa frontière avec la Belgique. En décembre 1996, le Comité exécutif des ministres a défini une procédure comportant une consultation préalable des autres Etats membres et l'indication d'une durée limite d'effet. Cette clause a été également utilisée par nos partenaires : les Pays-Bas l'ont appliquée il y a dix-huit mois à l'occasion d'une rencontre sportive ; plus récemment, en février dernier, la Belgique, et le Luxembourg ont à nouveau eu recours à cette clause pour contrôler l'identité de manifestants agriculteurs et kurdes.

Selon les informations que nous avons recueillies au cours des auditions auxquelles nous avons procédé en novembre dernier, il a été envisagé par les négociateurs que la clause de sauvegarde relève du pilier communautaire. Ce transfert vers le domaine communautaire de la clause de sauvegarde aurait des conséquences importantes, car même si le traité prévoit la possibilité, pour les gouvernements, de prendre des mesures dictées « par la sécurité intérieure et le maintien de l'ordre public », ces mesures seraient indirectement placées sous le contrôle de la Cour de justice ; certes la Cour n'aurait pas compétence pour apprécier l'opportunité ou la proportionnalité des mesures de maintien de l'ordre décidées par les ministres de l'intérieur, mais elle pourrait néanmoins interpréter les arguments avancées par un Etat pour faire valoir que sa sécurité est en cause. De plus, les conditions de procédure de l'application de la clause de sauvegarde, qui avaient été définies dans une décision de décembre 1996 du Comité exécutif Schengen, seraient à l'avenir réglementées sur proposition de la Commission, sous le contrôle de la Cour de justice. Il ne faudrait donc pas exclure la possibilité de contentieux si des contrôles fixes étaient maintenus - comme, par exemple, par la France sur la frontière belge - ou mis en place exceptionnellement par les Etats membres.

Là encore, j'ai expliqué dans mon rapport de décembre dernier les inconvénients de ces dispositions, dès l'instant où la communautarisation de la clause de sauvegarde aurait comme effet d'en placer l'usage sous le contrôle de la Commission, du Parlement européen qui bénéficierait de la codécision, et de la Cour de Justice de Luxembourg. Je propose, dans la proposition de résolution que je vous soumets, de soutenir la position qui a été exprimée publiquement par le ministre de l'intérieur et qui n'allait pas dans le sens de la communautarisation de la clause de sauvegarde.

Il est vraisemblable que la perspective de l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam va entraîner prochainement une reprise active de la négociation et une pression nouvelle pourrait ainsi apparaître en faveur de propositions auxquelles la France s'est jusqu'alors opposée. Il importe donc que le Sénat exprime fortement sa position vis-à-vis du SIS dont la gestion devrait demeurer clairement dans le domaine intergouvernemental. De même les Etats membres devraient rester maîtres de l'utilisation de la clause de sauvegarde. Il serait utile que le Sénat puisse s'assurer, à l'occasion de l'adoption de cette proposition de résolution, que telle demeure bien aujourd'hui la position du Gouvernement.

Nous sommes là au coeur des problèmes de la sécurité des citoyens ; elles concernent la gestion au quotidien des menaces qui pèsent sur la tranquillité publique ; elles sont très sensibles aux yeux de l'opinion et nous devons, à cet égard, aider le Gouvernement français dans la recherche d'un équilibre entre le principe de la liberté de circulation des personnes et la préservation de ses capacités d'intervention. Cette proposition de résolution doit donner au Gouvernement un argument supplémentaire dans la négociation qu'il mène avec nos partenaires européens.

Compte rendu sommaire du débat

consécutif à la communication

M. Michel Barnier :

Comme l'a souligné Paul Masson, la présentation de ce texte est une première qui prouve, s'il en était besoin, que le Sénat va exercer sa vigilance sur ce sujet pendant les cinq ans qui viennent et au cours desquelles va se mettre en place la nouvelle politique communautaire en matière de la sécurité ; il s'agit bien d'une période intermédiaire pendant laquelle les Etats disposeront d'un droit de veto jusqu'au moment où le Conseil des ministres aura décidé, à l'unanimité, de gérer désormais la question de la sécurité des citoyens à la majorité qualifiée.

Notre rôle consiste, dès maintenant, et avant même que le traité d'Amsterdam ne soit ratifié, de montrer au Gouvernement que nous sommes non seulement vigilant sur cette question, mais également prêts à l'aider. Nous pouvons faire confiance à Paul Masson, qui suit attentivement cette question depuis des années, pour nous suggérer des auditions au fur et à mesure de l'élaboration de cette politique communautaire et pour que nous puissions exprimer notre sentiment, dans cette matière si sensible et pour laquelle le Parlement dispose de compétences très spéciales.

M. Xavier de Villepin :

Pour que nous soyons efficaces, ne faudrait-il pas effectuer un certain nombre d'auditions sur ce sujet qui est actuellement en grande évolution, par exemple le ministre de l'intérieur et le préfet coordonnateur. Par ailleurs, pouvez-vous nous dire quelle est l'évolution de nos partenaires ? Ont-ils ou non une réticence à communautariser ces matières ?

M. Paul Masson :

C'est bien parce que nous aurons transféré à la Commission ces sujets que nous serons, à l'avenir, critiqués. L'idée européenne, dans son abstraction, prendra des allures bien plus concrètes que celles que l'on connaît épisodiquement avec les procédures d'aujourd'hui. Nous entrons pour la première fois dans des questions qui touchent au quotidien, et de manière proche, aussi bien les français que les allemands ou les italiens. Tout ce que nous pourrons faire pour montrer notre vigilance sera le bienvenu.

Jusqu'à présent, peu de nos partenaires ont pris conscience de l'ampleur du problème dans sa réalité quotidienne. Maintenant on commence à découvrir la vérité derrière les mots. Tout ce qui se passe en Italie, mais aussi tout ce qui se passera demain et inévitablement ailleurs, forcera nos gouvernements à une obligation de résultat. On ne pourra plus se réfugier derrière les carences de l'un ou de l'autre. Par conséquent, nous passons de la diplomatie abstraite et globale à la réalité de terrain. C'est pourquoi nous avons un devoir d'information réciproque au plus près avec nos partenaires européens.

Il faut également convaincre les corps d'exécution - douanes, polices, gendarmeries - de notre pays comme de nos voisins, qui n'ont d'ailleurs pas les mêmes pratiques ni les mêmes méthodes, de l'urgence de cette collaboration ; il faudra mener une réflexion intense et mettre en place des techniques qui conduiront fatalement à exercer une surveillance réciproque. Il ne nous est donc pas interdit de faire des missions pour voir ce qui se passe réellement dans le sud de l'Italie ou sur l'Oder ; ces missions nous permettront d'apporter une analyse politique et responsable à des fonctionnaires qui n'ont pas toujours nécessairement notre vision politique de la situation, ni notre préoccupation des opinions publiques.

M. Michel Barnier :

Nous sommes tous d'accord pour effectuer ces missions d'information, notamment au regard de la coordination des politiques d'immigration.

M. Maurice Blin :

J'ai été tout à fait sensible à la précision de l'exposé de notre rapporteur sur ces matières délicates. Il s'agit d'une affaire de tout ou rien, avez-vous dit, M. le rapporteur, et il suffit donc qu'un Etat manifeste son opposition pour que le processus, qui est contenu dans le traité d'Amsterdam, soit bloqué et qu'il ne se passe rien ; ainsi le traité d'Amsterdam serait vidé de son contenu. Ce qui revient à dire que, si la France, ou un autre pays, prenait la décision de bloquer ce transfert à la Commission des matières de Schengen, le traité deviendrait une coquille vide ; notre débat de ratification perdrait alors toute sa valeur historique. Je découvre avec inquiétude qu'Amsterdam, sans ce contenu, perd beaucoup de son intérêt et que de ce fait nos choix revêtent une grande importance.

Ma seconde question est la suivante : si Schengen a bien fonctionné dans un cadre intergouvernemental, pourquoi prendre la décision grave d'en changer l'attributaire. Pourquoi transférer à la Commission ce qui fonctionne bien ? Est-ce un souci de pureté idéologique ? Est-ce parce que le système marcherait mieux s'il était confié à la Commission plutôt qu'aux Etats, ce dont je doute ?

Je n'arrive toujours pas à comprendre enfin comment on peut transférer une matière aussi délicate et aussi sensible à la Commission. Dans mon esprit, la Commission reste un organisme de proposition, et non d'organisation, de décision ou de gestion. Elle n'est pas équipée pour cela et nous en avons eu la confirmation tout à l'heure, avec l'audition de M. Jean-François Bernicot. Plus la Commission sera chargée de compétences de gestion et moins elle pourra avancer. Je comprendrais, à la rigueur, qu'on transfère ces compétences au Conseil, qui est composé d'exécutifs responsables, mais pas à la Commission. Il y a là un défaut de logique qui m'inquiète.

Cette affaire mérite la plus grande attention et la plus grande vigilance. Il faut donc que nous nous y appesantissions davantage afin de bien mesurer le geste que nous allons accomplir.

M. Emmanuel Hamel :

J'adhère totalement aux analyses de notre rapporteur et je soutiens la proposition de résolution qu'il nous a présentée, même si elle conduit à soutenir le Gouvernement dans l'action qu'il mène sur ce sujet.

M. Xavier de Villepin :

Mon interrogation porte sur le point de savoir si nous pouvons aujourd'hui nous prononcer sans connaître la future composition de la Commission.

M. Michel Barnier :

Alors que quatorze de nos partenaires se sont déjà prononcés pour transférer à la Commission la gestion communautarisée de Schengen, il convient que notre Gouvernement soit vigilant sur les conditions du transfert de cette nouvelle compétence à la Commission. Je ne suis d'ailleurs pas totalement certain que le Conseil serait parfaitement organisé pour exercer cette compétence. Concernant la clause de sauvegarde, je voudrais demander à notre rapporteur son sentiment sur son avenir.

M. Paul Masson :

Mon sentiment est que rien n'est définitif. Nous sommes devant une très grande affaire et je crains qu'on n'ait pas totalement réfléchi aux conséquences du sujet. Si les choses marchent bien, rien ne s'opposerait alors à ce que l'on donne à la Commission la capacité de gérer elle-même la clause de sauvegarde, c'est-à-dire de définir les mutations qui peuvent intervenir dans sa gestion. Par exemple, la Commission pourrait proposer que la clause de sauvegarde ne soit mise en oeuvre qu'avec l'accord du pays voisin directement concerné. En réalité, je ne vois pas actuellement l'utilité de la communautarisation de la clause de sauvegarde ; cette communautarisation correspond à une appréciation prise en fonction du grand principe de la libre circulation des personnes. C'est la doctrine qui a, jusqu'à présent, mobilisé une grande majorité de la Commission, du Parlement européen et des diplomates. Mais on peut être d'un avis différent.

Concernant notre attitude au regard de la Commission dans le futur, je répondrai à M. de Villepin que certains avaient défendu un amendement, lors du débat constitutionnel, qui consistait précisément à permettre au Parlement de revoir, dans cinq ans, le dispositif avant que le gouvernement de l'époque ne prenne définitivement sa décision de transfert de ces matières dans l'ordre communautaire. On avait alors évoqué l'enjeu du transfert, dans cinq ans, de ces matières, alors que subsiste toujours l'inconnu de la future composition de la Commission et de ses conditions de fonctionnement.

Pour répondre à M. Blin, la décision sur laquelle nous nous exprimons est effectivement du tout ou rien comme le précise le protocole du traité d'Amsterdam : « Aussi longtemps que les mesures visées n'ont pas été prises, les dispositions ou décisions qui constituent l'acquis de Schengen sont considérées comme fondées sur le titre VI intergouvernemental du traité sur l'Union européenne ». C'est un scénario catastrophe auquel je ne crois pas personnellement, car les Etats sont parfaitement conscients de la responsabilité de celui qui bloquerait cette décision ; mais le texte même du traité prévoit cette possibilité, ce qui permet notamment à la France de chercher à rallier une unanimité sur ses positions.

Cela étant, je suis très réservé sur le transfert du Système d'Information Schengen à la Commission, car le système intergouvernemental fonctionne ; pour le reste nous assisterons alors à des débats philosophiques, qui ne seront certes pas sans intérêt, mais qui seront en plus aggravés par les discussions au Parlement européen, où on évoquera la question des droits de l'homme ou même on remettre en question la raison d'être du système lui-même. L'opinion va en fait bientôt prendre conscience de l'importance de la matière et de ses incidences sur la sécurité au quotidien : prenons garde aux incidents qui pourraient perturber une certaine opinion publique dans les années qui viennent si on ne parvient pas à maîtriser la situation dans le contexte d'une communautarisation que nous aurons nous-mêmes créée par notre vote.

M. Claude Estier :

Parmi les quinze pays de l'Union européenne qui ont ratifié le traité d'Amsterdam, certains ne sont pas membres du système Schengen. Que signifie pour eux le transfert dans l'Union européenne de Schengen ?

M. Michel Barnier :

Ces pays disposent dans le cadre du traité d'un opting-in pour rejoindre la coopération Schengen.

Au regard des opinions, nous aurons à faire preuve de vigilance sur le bon fonctionnement du système communautarisé. J'ajoute qu'une des raisons qui nous ont fait nous rallier à cette communautarisation tient au fait que ce système, parce qu'il devient un acquis communautaire, s'impose aux pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne. Avec un système intergouvernemental, les pays candidats n'auraient pas été contraints de reprendre l'acquis de Schengen.

M. Maurice Blin :

Je suis toujours troublé par le fait que nous pourrions donner notre assentiment au traité d'Amsterdam tout en risquant de le priver de son contenu par une décision négative sur la communautarisation de Schengen.

M. Michel Barnier :

Le traité d'Amsterdam ne se limite pas à ce seul aspect ; il y a par exemple la politique extérieure et de sécurité commune ; nous avons toujours dit que, dans un délai de cinq ans, les ministres auront un droit de veto sur cette communautarisation des matières de sécurité intérieure.

M. Xavier de Villepin :

Je m'inquiète du risque d'affaiblissement de notre position au regard de la lutte contre les trafics de stupéfiants si la clause de sauvegarde est communautarisée ; et il est non moins inconcevable que l'on continue à tolérer la culture de drogues douces sur le sol européen.

M. Paul Masson :

Compte tenu de la situation géographique de la France, il est clair que sa position au regard de la lutte contre les trafics de stupéfiants sera considérablement affaiblie en cas de communautarisation de la clause de sauvegarde. La plupart des saisies de stupéfiants sont en effet rendues possibles grâce au maintien de contrôles fixes à la frontière belge, sans qu'il soit pour autant nécessaire qu'un cordon de douaniers ou de policiers soit en permanence en faction. Mais la possibilité juridique de faire ces contrôles reste un élément appréciable d'intervention dans cette lutte contre les trafics de stupéfiants. Personne ne peut nier que, à partir du moment où ce dispositif sera contrôlé par la Commission, celui-ci sera plus difficile à mettre en oeuvre.

M. Michel Barnier :

Il me semble que, sur cette question de la drogue, il serait souhaitable que notre délégation procède à l'audition des responsables compétents, afin que l'information des membres de la délégation soit la plus complète possible, en particulier au regard de la politique laxiste de santé publique des Pays-Bas.

A l'unanimité, les sénateurs communistes s'abstenant, la délégation a alors approuvé le dépôt de la proposition de résolution suivante :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le projet de décision du Conseil déterminant la base juridique de chacune des dispositions ou décisions constituant l'acquis de Schengen (E 1219),

Considérant que le traité d'Amsterdam, en créant un nouveau titre IV, transfère dans l'ordre communautaire, dès sa mise en vigueur, les domaines des visas, de l'asile, de l'immigration et des autres politiques liées à la libre circulation des personnes ;

Considérant d'autre part que le traité d'Amsterdam, par le moyen d'un protocole annexé, régit l'introduction de l'acquis de Schengen dans l'ordre communautaire et qu'il prévoit, à cet effet, la répartition des dispositions constituant l'acquis de Schengen soit dans le premier pilier, soit dans le troisième pilier ;

Considérant que cette ventilation détermine le traitement communautaire ou intergouvernemental de matières jusqu'alors traitées exclusivement dans le cadre intergouvernemental et que cette ventilation peut conduire à une remise en cause de l'équilibre même du traité, tel qu'il a été signé à Amsterdam, le 2 octobre 1997 ;

Considérant enfin que le présent projet de décision du Conseil doit être adopté à l'unanimité ;

Demande au Gouvernement :

- de s'opposer au transfert dans l'ordre communautaire du dispositif de la convention d'application des accords de Schengen qui traite du système d'information Schengen (SIS), la coopération policière et judiciaire en matière pénale relevant du domaine intergouvernemental ;

- d'obtenir le maintien dans le ressort de la seule responsabilité des Etats de la clause de sauvegarde de l'article 2 § 2 de la convention d'application des accords de Schengen du 15 juin 1990.

La proposition de résolution de M. Paul Masson a été publiée sous le numéro 263 (1998-1999).