COM (2004) 623 final  du 01/10/2004
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 20/09/2005

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 18/11/2004
Examen : 02/03/2005 (délégation pour l'Union européenne)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : voir le dossier legislatif


Collège européen de police en tant qu'organe de l'Union européenne (texte E 2765)

Communication de M. Robert Del Picchia

(Réunion du mercredi 2 mars 2005)

Le Sénat a été saisi, dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution, d'une proposition de décision transformant le Collège européen de police - le CEPOL - en organe de l'Union européenne, pour le doter d'une indépendance fonctionnelle vis-à-vis du Conseil.

Institué en 2000, le Collège européen de police a été créé pour répondre aux exigences posées par le Conseil européen de Tampere. Celui-ci avait en effet préconisé la création d'une « académie européenne de police » pour former les hauts responsables des services de police à travers un « réseau d'instituts nationaux de formation ».

Le CEPOL a pour objectif de favoriser une approche commune des problèmes les plus importants dans le domaine de la lutte contre la criminalité, de la prévention de la délinquance et du maintien de l'ordre. Il est dirigé par un conseil d'administration, constitué des directeurs des instituts nationaux de formation, qui établit, à l'unanimité, le programme annuel de formation à destination des hauts fonctionnaires de police. Le budget du CEPOL est constitué des contributions des États membres.

Le CEPOL a été confronté durant ses premières années d'existence à de nombreuses difficultés :

- l'absence de siège permanent a pu être en partie résolue par l'installation provisoire de son secrétariat dans les locaux de l'école nationale danoise de police. Le Conseil européen de Bruxelles a, en décembre 2003, décidé de fixer le siège définitif du secrétariat permanent à Bramshill (Royaume-Uni), ce qui a été confirmé par le Conseil en février 2004 ;

- la personnalité juridique lui a été finalement conférée par le Conseil en février 2004. Parallèlement, un accroissement de son personnel a été décidé.

Pour l'instant, seules subsistent les difficultés financières liées à son mode de financement. Malgré les avancées apportées par les récentes décisions du Conseil, la Commission a présenté un texte nouveau curieusement intitulé : proposition « instituant » le Collège européen de police (qui fonctionne pourtant depuis quatre ans). Cette proposition ambitieuse a été, comme nous allons le voir, fraîchement accueillie par les États membres.

I - UNE PROPOSITION AMBITIEUSE FRAÎCHEMENT ACCUEILLIE PAR LES ÉTATS MEMBRES

1. Un renforcement du statut du CEPOL

La proposition de la Commission renforce le statut du CEPOL en le transformant en organe de l'Union. Son siège reste fixé à Bramshill. Le secrétariat permanent disparaît : un directeur est désormais nommé, assisté par le personnel du CEPOL. Le Conseil d'administration est composé d'un représentant de chaque État membre et d'un représentant de la Commission (qui, auparavant, était simplement observateur). Les décisions sont adoptées à la majorité simple, sauf cas spécifiques prévus dans la décision du Conseil (dans ce cas, il faudrait une majorité des deux tiers). Ces dispositions sont calquées sur les dispositions-types des agences.

Ses missions sont élargies :

- le public visé n'est plus seulement celui des hauts responsables des services répressifs, mais aussi « les autres membres qui jouent un rôle-clé dans la lutte contre la criminalité transnationale », c'est-à-dire les cadres moyens de ces mêmes services ; l'offre de formation est élargie aux douaniers ;

- ses missions ne se cantonnent plus à l'offre de formations, mais sont étendues au développement de normes communes pour la formation des policiers. Par ailleurs, une « certification » CEPOL est mise en place pour les formateurs et le contenu des formations.

Il est prévu de mettre en place des unités nationales du CEPOL dans les États membres afin de faciliter la communication avec les instituts nationaux de formation.

Enfin, la Commission a repris les dispositions standard relatives au budget d'une agence européenne. Le budget alloué pour la période 2005-2006 serait de 7,5 millions d'euros.

Les objectifs de l'Office sont les suivants :

- compléter les formations menées par les instituts nationaux sur les aspects pratiques de la coopération des services répressifs ;

- renforcer les connaissances sur les points suivants : systèmes de police nationale, institutions de l'Union européenne, Europol, Eurojust, instruments en matière de coopération dans la lutte contre la criminalité... ;

- développer les connaissances techniques et scientifiques en matière de lutte contre le crime et le maintien de l'ordre ;

- améliorer la coopération entre les services répressifs.

2. Des négociations difficiles

La discussion de cette proposition a commencé sous présidence néerlandaise. Elle a rapidement montré l'opposition entre deux blocs d'États :

- l'un, mené par la France et l'Allemagne, rejette catégoriquement cette proposition, à laquelle il préfère la logique du réseau des instituts nationaux de formation, qui s'appuierait sur un secrétariat renforcé. Son rôle serait limité à des stages de formation continue pour les cadres des polices européennes, axés sur des thématiques à dimension européenne (comme la police aux frontières par exemple) ;

- l'autre bloc souhaite la transformation en une véritable « académie européenne de police », avec un rôle et des missions étendus à un public plus large, comportant son propre corps enseignant, et rattaché au budget communautaire. La proposition de la Commission ne va pour l'instant pas aussi loin, mais elle s'inscrit dans cette perspective.

La Présidence a été confrontée à des négociations difficiles au sein des groupes du Conseil. Les dispositions sur le statut des fonctionnaires du CEPOL et sur son mode de financement recueillent l'assentiment de la plupart des délégations qui sont favorables, d'une part, à l'attribution du statut de fonctionnaires européens au personnel et, d'autre part, au financement du CEPOL par le budget général de la Communauté. Le Conseil Justice et Affaires intérieures qui s'est tenu la semaine dernière a permis de dégager un accord sur ces deux points. Il a aussi décidé de reporter l'examen des autres propositions substantielles de la Commission à la parution du deuxième rapport tri-annuel du CEPOL prévu pour la fin de l'année.

II - UNE INITIATIVE DISCUTABLE

1. Sur le recours systématique à la formule des agences

La transformation du CEPOL en organe est la première étape vers la transformation en agence souhaitée par la Commission. Celle-ci n'apporte cependant pas d'arguments en faveur de l'utilité et de l'urgence de cette réforme. Le CEPOL devrait garder le rôle qui lui a été défini par les chefs d'État et de gouvernement lors du Conseil européen de Tampere, c'est-à-dire un réseau des instituts de formation. Le conseil d'administration du CEPOL a d'ailleurs manifesté son souhait de garder cette orientation dans son avis rendu le 23 novembre dernier.

Plusieurs États ont montré leur opposition à la logique de la Commission du « tout ou rien ». Le dépôt de la proposition de la Commission en novembre 2004 ne permet pas de faire le bilan du CEPOL « rénové » puisqu'elle a été présentée par la Commission quelques mois seulement après les réformes de février 2004. Il aurait été plus judicieux d'attendre le deuxième rapport tri-annuel d'activité du CEPOL.

Sur la formule des agences, je crois, comme l'avait fait remarquer notre collègue Marie-Thérèse Hermange dans sa communication sur l'agence des droits fondamentaux, que les institutions de l'Union ont tendance à recourir un peu hâtivement au système des agences. La création d'une agence devrait être précédée par un état des lieux justifiant sa nécessité, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Il me semble que nous devons nous opposer à cette éventualité.

2. Sur les compétences qu'il est envisagé d'accorder au CEPOL

Les propositions de la Commission relatives à la compétence ratione materiae du CEPOL et au public visé paraissent incompatibles avec la logique du réseau et vont au-delà des conclusions du Conseil européen de Tampere. L'introduction de « certifications européennes » des contenus pédagogiques des formations policières n'est-elle pas disproportionnée ? Les fonctionnaires européens sont-ils réellement plus compétents que les experts nationaux pour concevoir le contenu des formations policières ? S'il est souhaitable d'encourager un certain rapprochement des formations, la qualité de la formation des policiers dépend avant tout de sa bonne adéquation aux réalités spécifiques du pays où ils opèrent. Le CEPOL étant installé au Royaume-Uni, il y a un risque - si le système de certification des formations est mis en place - que l'influence du droit anglo-saxon devienne prépondérante, tout comme l'anglais pourrait rapidement devenir la langue dominante.

Je vous propose de manifester nos réserves sur ce texte par la voie d'une proposition de résolution.

Compte rendu sommaire du débat

Mme Alima Boumediene-Thiery :

Dans le contexte actuel d'une Europe qui se renforce, nous avons besoin d'une véritable formation des policiers. La proposition de la Commission me paraît relever d'un bon sentiment, mais semble difficile à mettre en oeuvre. On oublie une étape : l'objectif de lutte contre la criminalité transnationale doit d'abord passer par une harmonisation européenne de la définition des crimes et des délits ainsi que des sanctions. Avant de chercher à améliorer la performance des policiers, il faudrait déjà réfléchir à l'élaboration d'un code pénal européen, voire à l'établissement d'un tribunal pénal européen. Dans ces conditions, il est préférable pour l'instant de donner plus de moyens au développement de la logique du réseau. Par ailleurs, je crois, comme vous, qu'il faut s'inquiéter du développement de l'influence anglo-saxonne.

Je soutiens donc votre proposition de résolution.

M. Christian Cointat :

Je partage le point de vue du rapporteur. Toutefois, si la situation actuelle milite dans le sens que vous préconisez, il faut quand même aller de l'avant. Il est aujourd'hui prématuré de créer une agence mais cette formule ne peut être exclue pour l'avenir. Je propose donc d'ajouter au dernier alinéa de la proposition de résolution que c'est « en l'état actuel » que la délégation a pris cette position.

M. Robert Del Picchia :

Je suis d'accord avec votre amendement. La proposition de résolution ne ferme pas la porte à une évolution du statut du CEPOL, elle souligne l'importance de faire une évaluation avant toute modification substantielle.

M. Hubert Haenel :

D'autant plus que cette proposition sur le CEPOL va plus loin que ce qui a été fait pour Europol ou Eurojust.

*

A l'issue de ce débat, la délégation s'est prononcée en faveur du dépôt de la proposition de résolution suivante :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de décision du Conseil instituant le collège européen de police en tant qu'organe de l'Union européenne (texte E 2765),

Constate que la proposition de la Commission de transformer le CEPOL en un organe au statut similaire à celui d'une agence européenne ne découle pas des orientations définies par le Conseil européen de Tampere ;

Estime que toute évolution éventuelle du statut du CEPOL doit être précédée d'une évaluation aussi complète que possible de son fonctionnement ;

Considère que la mise en place d'un système de certification des formations des policiers est disproportionnée par rapport à l'objectif à atteindre ; que le rapprochement souhaitable peut être atteint en développant la mise en réseau des formations ;

Est favorable, en l'état actuel, à un texte qui améliorerait le fonctionnement du CEPOL sans modifier son champ de compétences.